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Reference
Leonardo da Vinci
DEBARBIEUX, Bernard
Abstract Bref commentaire du paysage dans la Joconde
DEBARBIEUX, Bernard. Leonardo da Vinci. In: Jakob, M. & Schwok C.L. 100 paysages:
Expositions d'un genre . Genève : In Folio, 2011.
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:122285
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LEONARDO DA VINCI (Vinci, 1452 – Amboise, 1519), La Joconde, 1503- 1506, huile sur bois, 77 cm x 53 cm, Paris, Musée du Louvre, INV 779C’est un portrait, assurément. Sur lequel on a tout dit et son contraire.
Jusqu’à l’excès. Mais détachons-nous du regard aimable et profond, et du sourire que l’on crut énigmatique. En arrière-plan, un paysage, un incroyable paysage composé de formes étranges, aux couleurs de terre, baigné d’une évanescence. Certes Léonard n’a jamais souhaité peindre des paysages reconnaissables, contrairement à certains de ses contem- porains. Mais il a beaucoup travaillé, dans ses carnets, sur ses tableaux, la représentation des reliefs et de l’atmosphère. Attentif à la matière, à la texture, au ciel, il s’est doté d’un catalogue d’objets, plus ou moins génériques, qui au final participent de compositions très équilibrées.
Pourtant derrière la Joconde, un paysage tourmenté, presque d’Apoca- lypse. Le contraste est voulu, certainement ; mais que nous dit-il ? Mise en regard de l’apparence paisible et des tourments de l’âme ? Il y a peu de chances : Léonard n’est pas un ‘romantique’. Réflexion sur la nature ? Sans doute, car Léonard est de curiosité naturaliste. Vasari, un quasi- contemporain, l’écrivait peu après sa mort, en parlant de portrait, lui aussi : « Qui veut savoir à quel point l’art peut imiter la nature, peut s’en rendre compte facilement en examinant cette tête, où Léonard a représenté les moindres détails avec une extrême finesse. Les yeux ont ce brillant, cette humidité que l’on observe pendant le vie ; ils sont cernés de teintes rougeâtres et plombées qu’on ne peut rendre qu’avec la plus grande finesse ; les cils qui les bordent son exécutés avec une extrême dé- licatesse [...] Au creux de la gorge, un observateur attentif surprendrait le battement d’une artère » (1568). Toutefois en arrière-plan, rien dans le trait, ni dans les couleurs, ne rend compte d’un tel souci de restitution vé- riste. C’est que ce paysage représente autre chose que ce que nous voyons, naturellement, dans la réalité. Il est ici illustration d’une théorie, celle du macrocosme et du microcosme, théorie des correspondances formelles en- tre le corps humain et le vaste monde. Léonard, comme beaucoup de ses contemporains, voit le monde naturel avec les yeux de celui qui examine les corps ; les montagnes sont le squelette de la terre ; les torrents, d’eau ou de lave, sont le sang de la Terre ; les vapeurs en sont les exhalaisons. La terre est chair, et le paysage en est son portrait. La terre a donc aussi le sien, comme Mona Lisa qui, sous la paisible apparence de ses traits, n’est que matière, fluide, vapeur ou solide.
BERNARD DEBARBIEUX