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FONCTIONS DES MYTHES DANS LA GESTION TRADITIONNELLE DES RESSOURCES NATURELLES: LE CAS DU MYTHE DE TOULA OU «SERPENT D EAU» EN PAYS SONGHAY (NIGER)

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FONCTIONS DES MYTHES DANS LA GESTION TRADITIONNELLE DES RESSOURCES NATURELLES:

LE CAS DU MYTHE DE TOULA OU «SERPENT D’EAU» EN PAYS SONGHAY (NIGER)

Salamatou ALHASSOUMI SOW *, Diouldé LAYYA ** et Issa OUSSEINI *

Abstract Studies of anthropogenic factors of the Sahelian ecosystem deterioration often put forward impacts caused by population growth, poverty or land use systems. An often ignored factor is the thorough disintegration which changes the original perception of nature these societies had. The study of the myth of Toula, allowed to assess the role and the weight of the cult of «water spirits» called

«serpents d’eau» in the traditional water resources management of natural. Water is the main element structuring natural resources in these semiarid regions. The cult returned in Toula structured the access rules to the water resources by supervising and prioritizing the perception of the social group. The effectiveness of the regulations between intakes and available water resources relied on self-censorship principles and the pertinence of traditional knowledge. The cult is celebrated by children of the matriarchal lineages, creating equilibrium between the political power detained by the men, which is linked to the earth and the spiritual power of the matriarchal lineages linked to water. Around powers several stakes are managed in an integrated way: the management of water in social and mythical environment, the consanguinity and alliances. The fading of the cult since two generations led consequently to a deregulation of the natural resources management system which the desacralized traditional land tenure systems and the current land tenure laws could not still supplant.

Key words: myth, cult of the « Serpents d’eau », perception of natural resources, power regulation, Songhay, Niger.

Résumé Les études des facteurs anthropiques de la dégradation des écosystèmes sahéliens ont souvent mis en avant les impacts dus à la croissance démographique, à la pauvreté des ménages, ou aux techniques et modes de production. Un facteur souvent ignoré est la déstructuration de fond qui

* Département de Géographie, Université Abdou Moumouni

** Centre d'Etude Linguistique et Historique par la Tradition Orale, OUA-CELTHO

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modifie les perceptions que les sociétés ont de la nature.

L’étude du mythe de Toula, a permis d’évaluer le rôle et le poids du culte des «esprits de l’eau»

dénommés «serpents d’eau» dans la gestion traditionnelle des ressources naturelles liées à l’eau. L’eau est le principal élément structurant des ressources naturelles dans ces milieux semi-arides. Le culte rendu à Toula structurait les schémas d’accès aux ressources liées aux eaux en encadrant et en hiérarchisant les perceptions du groupe social. L’efficacité de la régulation entre les prélèvements et les disponibilités en ressources reposait sur l’autocensure et la pertinence des savoirs traditionnels. Le culte est célébré par les enfants de «femmes» de la lignée maternelle, créant ainsi un équilibre entre le pouvoir politique des hommes, lié à la terre et le pouvoir spirituel de la lignée maternelle lié à l’eau. Autour des pouvoirs plusieurs enjeux sont gérés de manière intégrée: celui de la gestion de l’eau dans l’environnement social et mythique, celui de la parenté et des alliances.

L’évanouissement du culte depuis deux générations induit une dérégulation du contrôle de la gestion des ressources naturelles que les règles foncières traditionnelles désormais désacralisées et les textes législatifs de l’Etat n’arrivent pas encore à compenser.

Mots clés: mythes, culte des «serpents d’eau», perceptions des ressources naturelles, régulation de pouvoirs, Songhay, Niger.

1. Récit sommairef du mythe de Toula ou «serpent d’eau»

Le mythe de Toula a été rapporté par un écrit de l’homme politique, éducateur et historien traditionaliste nigérien Hama (1971). L’histoire est celle d’une jeune fille (Toula), sacrifiée par son oncle maternel (Biéké) à titre de contrepartie exigée par les génies pour sauver son clan d’une sécheresse très sévère. Le sacrifice de Toula ramena les pluies qui remplirent les mares et assurèrent l’abondance. Le sacrifice avait été fait en l’absence de la mère de Toula. Quand celle-ci le su, elle invoqua l’esprit de sa fille et lui demanda de mettre ses pouvoirs au service de la descendance matrilinéaire du clan (les

«enfants des femmes» woy-ize). Depuis alors, l’esprit de Toula habite l’eau (mares, rivières, puits). Sa représentation la plus commune est «le serpent d’eau» («bangu gondi»). Toula, métamorphosée en

«bangu gondi» est un mythe vivant en pays Songhay, particulièrement dans la région de Téra (Ouest du Niger). Elle détient des pouvoirs sur l’eau (mares, rivières, puits) et sur toutes les ressources naturelles directement associées à l’eau (Hammadou et al. 1998).

Le culte rendu à Toula est célébré par la lignée maternelle (les «enfants des femmes»), créant ainsi un équilibre entre le pouvoir politique lié à la terre et transmis par voie patrilinéaire («enfants des hommes», Arou-izé) et le pouvoir spirituel lié à l’eau, transmis par voie matrilinéaire (Hama 1979).

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2. Genèse et de l’évolution du mythe de Toula: situation spatio-temporelle

Le lieu de résidence du clan était alors Tarégou. Ce terroir est situé entre Fonéko, Namandérou et Farko (Fig.1). Il est actuellement habité par des groupes Touareg. Cependant, des vestiges des anciens habitats sont encore visibles; notamment le puits où les manifestations de Toula seraient fréquentes en saison sèche.

Après la migration du clan à Téra aux abords de Folko (rivière Dargol), Toula a vu «son terroir d’alliance» s’étendre le long dudit cours d’eau à Boura puis Dargol. Dans tous ces terroirs, les descendants liés par l’alliance se reconnaissent encore de façon explicite au sein des communautés villageoises.

En se fiant aux citations généalogiques, la métamorphose de Toula daterait d’environ 5 (cinq) générations passées, c'est-à-dire tout au plus de 200 ans. Bien que la population soit islamisée depuis longtemps, les cultes liés aux religions de terroirs restaient encore vivaces (Hammadou et al. 1998).

Mais, depuis deux générations on constate l’abandon progressif de ces cultes et leur évanouissement dans les pratiques sociales.

Cependant les enquêtes sur le terrain ont permis encore (2005 et 2006) de situer les fonctions de ce mythe. Elles sont variées. Une évidence est d’abord qu’il faut dissocier la fonction du discours de l’écrit de Hama (1971), de celles du mythe dans son environnement social. Pour l'éducateur, pédagogue et homme politique qu'était Hama, le récit écrit de Toula (1971) sert un discours volontairement campé dans l'engagement militant qui impose au leader des choix parfois déchirants. Il s'est agi pour lui, de

Fig. 1 Localisation des lieux historiques de la métamorphose de Toula

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puiser dans les références des traditions, un exemple destiné à la formation de la conscience politique des leaders de nos Etats modernes en mal de bonne gouvernance (Maïzama 1990).

Les pratiques et les discours sur le terrain révèlent d’autres dimensions bien plus variées et beaucoup plus complexes qui fondent le vécu social du «mythe de Toula».

3. De la nature des «serpents d’eau» d’après le cas de Toula

Les enquêtes attestent que les «serpents d’eau» sont des personnages assez communs chez les groupes Songhay et même au-delà, chez nombre de groupes négro-africains sous des appellations diverses (/ex. Mamy Wata dans les pays du Golfe de Guinée). La métamorphose de personnes en

«serpents d’eau» paraît avoir été une pratique assez courante dans la zone. Elle se réalisait en une fois pour toutes, au nom d’un lignage ou d’un clan et scellait une alliance définitive avec l’être métamorphosé.

L’opération est à nuancer du sacrifice rituel courant. La perte de l’enveloppe charnelle n’est pas réalisée pour «nourrir» une autre entité située en dehors de l’individu sacrifié. Autrement dit, le sacrifice n’est pas adressé à un autre être ou esprit. Il s’agit d’une opération de «fabrication» d’une entité propre qui s’insère dans la cosmogonie et le panthéon des génies. Et c’est bien Toula qui devient objet de rituel (I maa tee Tooru) et détentrice de pouvoirs reconnus nécessaires au groupe et recherchés à travers l’opération. Elle est de ce fait «esprit», exigeant nourriture symbolique. Il est affirmé que Toula est bien une personne (Wallay Boru no!) dotée de pouvoirs d’ubiquité mais non d’omniprésence, de nature versatile dans le visible vivant ou inerte et dans l’invisible, maîtrisant les eaux de surface et souterraine ainsi que leurs contenu. En fait Toula est un être vivant qui fait partie de son groupe lignager qu’elle accompagnerait à l’éternité dans la mesure où celui-ci a besoin d’elle et s’intéresse à elle.

4. Le mythe du «serpent d’eau» et la gestion des ressources naturelles

La motivation déclarée de la «fabrication» de Toula est le désir de satisfaction des besoins en eau du groupe. En se dotant d’un «serpent d’eau», allié au groupe, celui-ci se prémuni des risques de manque d’eau fréquents dans ces milieux semi-arides particulièrement contraignants.

Il est intéressant de noter que la zone de naissance du mythe est encore aujourd’hui, même avec les techniques de forage profond, une des plus déficitaires en points d’eau en raison d’une lithologie locale granitique, massive et imperméable. C’est par ailleurs ce qui explique sa désertion actuelle par les groupes agriculteurs Songhay. Dans le cadre des techniques traditionnelles, les ressources en eau accessibles y sont donc strictement limitées à la pluie, aux mares ou cours d’eau temporaires, et aux rares nappes alluviales superficielles. Toutes ces nappes d’eau sont assez éphémères, tout au plus saisonniers.

Ainsi mis en contexte, et selon un certain angle de vue, «l’invention de Toula» correspondait à des

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besoins du vécu quotidien, notamment de maîtrise de l’eau et des ressources halieutiques. Le mode opératoire fondamental de cette maîtrise est tout simplement l’existence et la présence du «serpent d’eau» allié du groupe. Le «serpent d’eau» ne pouvant vivre loin de l’eau, sa présence est une assurance pour le groupe parce qu’elle génère l’eau, Mais le discours n’explicite pas la trame de ce processus de génération de l’eau. Il est cependant reconnu que le serpent d’eau n’a pas de pouvoir spécifié sur l’eau atmosphérique (pluie) qui relève plutôt de la sphère de compétence du dieu du tonnerre ou «Dongo».

L’accès à toutes les ressources aquatiques ou proches de l’eau, est sous conventions édictées par les prêtres du rituel, «enfants des filles». Cela concerne:

1) l’accès au bain à la rivière: les lieux et moments déconseillés ou interdits, 2) la traversée de la rivière: les modalités, les endroits et moments,

3) la pêche: les périodes, les types de matériel à utiliser, le rituel préliminaire et le comportement des pêcheurs tout au long de la pêche,

4) et de façon indirecte, l’exploitation des ressources foncières à proximité de la rivière: l’accès aux herbacées, aux ligneux, l’exploitation de terres de jardins, les implantations d’infrastructures.

Les transgressions sont sanctionnées par des mesures de rétorsions plus ou moins immédiates du

«serpent d’eau». La sanction extrême est la noyade du transgresseur. Mais il s’agit plus couramment d’accidents plus ou moins graves touchant sa personne, un parent proche ou un animal domestique (bœuf, âne, cheval) lui appartenant. Des offrandes périodiques faites exclusivement par le biais des prêtres (poulets, sésame, bouillie de mil, etc.), assurent la permanence de l’alliance et les régulations nécessaires en cas de transgressions.

En fait, le mythe ne s’encombre pas de schémas logiques. Mais en aval, il sécrète un schéma vécu très encadré des pratiques des milieux humides et c’est quelque part cela à la fois son objectif et sa justification. Le schéma A (Fig. 2) propose un résumé des mécanismes fonctionnels mobilisant les différentes perceptions que la population a de l’espace. Face aux besoins sentis par les usagers, les dimensions matérielles des ressources naturelles ne sont accessibles qu’à travers le filtre des dimensions mythiques qui sécrètent et entretiennent le formel et le vécu (c’est à dire les pratiques). Les modalités de régulation rétroactive sont doubles. Partant de la dynamique des ressources matérielles et à la mesure des savoirs traditionnels, la régulation des prélèvements s’appuie sur le formel empirique associé aux valeurs mystiques. Les besoins déviants par rapport aux valeurs et normes de ce couple empirisme/

mysticisme exprimant la spiritualité des rapports nature/société, sont autocensurés. Ces mécanismes ont contribué à édifier des modes de gestion relativement conservateurs de l’équilibre des écosystèmes des milieux humides dans un contexte de pression démographique modérée.

La dégradation des ressources naturelles ressentie depuis deux générations correspond aussi à des mutations profondes dans les mécanismes de régulation entre les besoins des usagers et les disponibilités matérielles en ressources naturelles (schéma B). En effet, le mythe régulateur du «serpent d’eau» n’est plus vraiment fonctionnel à l’échelle de l’ensemble du groupe social. Les facteurs de son éclatement sont variés. Les populations citent elles-mêmes de façon explicite la généralisation et l’approfondissement de l’islam qui entraîne la perte des valeurs liées à la spiritualité des terroirs au profit de valeurs plus universelles. D’autres facteurs de non moindre importance doivent être soulignés: les

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mutations enregistrées dans les savoirs et techniques, l’élargissement du marché aux ressources naturelles, la diversification des groupes sociaux par les migrations et l’urbanisation, l’inefficacité des mécanismes traditionnels de régulation avec les nouveaux paramètres de démographie galopante et d’aridification climatique…

Les dispositions formelles existantes aujourd’hui sont d’une part, les règles foncières traditionnelles dépouillées de leurs dimensions «mythiques» et d’autre part, la législation de l’Etat moderne dérivée en droite ligne du code foncier colonial de l’Afrique Occidentale Française notamment: Code rural 1993;

textes législatifs sur la chasse de 1998, sur le régime de l’eau de 1993, sur le régime forestier, etc.

(Comité National du Code Rural 2006).

Les règles foncières traditionnelles offrant par nature des multi-usages ouverts à tous (Ousseini et al.

2005). Il en résulte une prise inefficace à la conservation des ressources naturelles sans les mécanismes d’autocensure endogène. L’ensemble des mesures législatives modernes est hétérogène, mal connu et

Fig. 2 Evolution des mécanismes de gestion à travers les perceptions des ressources naturelles

Dimensions mythiques

Dimensions vécues Dimensions

formelles

Dimensions matérielles

Besoins

Dimensions vécues

Dimensions matérielles

Besoins

Dimensions formelles

A

B

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souvent mal vécu par les populations. Il ne compense pas encore la perte d’efficacité liée à l’évanouissement des fonctions initiales du mythe.

Le désintérêt porté à Toula, dans toute son essence de «serpent d’eau», signifie l’abandon de conventions éprouvées et une exploitation sans restriction des ressources naturelles. Les impacts constatés sont notamment leur raréfaction: réduction drastique des prises de poisson, déboisement inconsidéré des formations ripicoles.

Par ailleurs la vigueur du mythe dans les modalités de gestion des ressources naturelles était l’assurance d’un équilibre socio-politique. Le pouvoir politique (chefferie) de la terre appartient aux

«enfants des fils», le contrôle mystique de l’eau qui structure les ressources naturelles est favorable aux

«enfants des filles».

La pérennisation du mythe sous forme d’affirmations identitaires diverses constatées (baptêmes d’auto-école, de pharmacie, de magasins de prêts-à-porter… du nom de Toula) le renouvelle en d’autres dimensions, mais ne restaure pas ses fonctions dans la gestion des ressources naturelles.

Références

Comité National du Code Rural. 2006. Code Rural 2006: recueil de textes. Comité National du Code Rural, Ministère de l'Agriculture et de l'Elevage. Niamey: République du Niger.

Hama B. 1971. Toula ( Manuscrit, écrit en Avril 1971 à Paris/Unpublished), Niamey.

Hama B. 1979. Le peuplement du Liptako( Manuscript CELHTO/Unpublished) Niamey.

Hammadou S., Moussa H., et Diouldé L. 1998. Traditions des Songhay de Téra (Niger). Paris:

Khartala.

Maïzama I. 1990. Patrimoine Culturel, Pouvoir et Société à travers Toula (Projet de thèse de Cinématographie/Unpublished) Niamey.

Ousseini, I., Amadou B., et Maman Mato W. 2005. Réseaux de gestion coutumière des ressources naturelles et enjeux de gestion territoriale décentralisée: analyses à partir de quelques cas au Niger.

Travaux et Recherches (Université de Lausanne, Suisse) 31: 133-148.

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Références

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