INFLUENCE D’UN APPORT CROISSANT D’ORGE
SUR LE COMPORTEMENT ALIMENTAIRE
DE LA VACHE LAITIÈRE ET LA DIGESTION
B. RÉMOND
Jeanne FLÉCHET A. OLLIER Station de Recherches sur
l’Élevage
des Ruminants,Cexxtre de Rerherches
zootechniques et
1’étérinaires sur les Ruminants, 63 - Theix, près Clerrnant-FerrandInstitut rcational de la Recherche
agronomique
SOMMAIRE
Trois vaches taries portant une fistule du rumen ont reçu du foin de lu!erne normal ad libitum et une
quantité
croissante d’orgebroyée.
On a étudié les modifications de leur comportement ali- mentaire (tabl. r) et de leurdigestion.
La
quantité
de matière sècheingérée
augmentejusqu’à
ce quel’orge
représente de 35 à 45p. 100 de la ration(fig.
i). Cetteaugmentation s’accompagne
d’un accroissement de la vitesse de transitdigestif
del’orge
et du foin(fig.
2), desquantités
de contenusdigestifs
du rumen et de ladigestibilité
de la ration (tabl. 2) ; la vitesse des fermentations dans le rumen
(fig.
3) augmenteégalement,
bienque l’activité
cellulolytique
du jus de rumen diminue.Au-delà
de 35
à 45p. 100d’orge,
laquantité
de matière sècheingérée
diminue; la vitesse des fer- mentations dans le rumen n’augmente plus ; les vitesses de transit del’orge
et du foin ont tendance à diminuer ; laquantité
de contenudigestif
du rumen décroît. Les informationsqui
limitent alorsl’ingestion
ne doivent doncplus provenir
du rumen ; ellesproviendraient
descompartiments digestifs postérieurs
ou seraientd’origine métabolique
mais elles pourraient aussi résulter d’une diminution del’appétence
de la Vache car la vitessed’ingestion
diminue àpartir de 5S
p. 100d’orge(tabl.
i).INTRODUCTION
L’intensification
de laproduction
laitière et la mécanisation de l’alimentation conduisent à accroître laquantité
d’aliments concentrés distibués aux vaches. Ces aliments modifient le niveaud’ingestion
dufourrage
defaçon différente,
enparticu-
lier selon la
quantité qu’on
endistribue,
et laqualité
et la nature dufourrage.
Il enrésulte une variation du niveau
d’ingestion
de la ration totale.Ainsi,
en faisant varier lerapport fourrage/aliments concentrés,
KESLER et Srnxx(1963)
constatentqu’il
existe une zone de valeurs pour
lesquelles
laquantité d’énergie ingérée
est maxi-male. De
plus,
cesrégimes peuvent
s’avérer défavorables à laproduction
laitière endiminuant le taux
butyreux
du lait(RooK, i 9 6r).
L’objet
de cette étudepréliminaire
a étédouble ;
d’unepart enregistrer
les varia-tions du
comportement
alimentaire de la Vachelorsqu’on
la fait passer d’unrégime
de foin seul à un
régime comportant
uneproportion
croissanted’orge ;
d’autrepart,
étudier l’influence de laquantité d’orge
sur ladigestion
de laration, principalement
au niveau du rumen.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Nous avons
expérimenté
sur 3 vaches adultes taries, 2 PieRouge
(449et ¢50) et une Pio B’oire (535)!qui
portaient une large fistule du rumen. L’essai a commencé le 3janvier
tg66. Pendant les 3 premières semaines, les animaux ont reçu le foin de luzerne à volonté et i kg d’orge ; ensuite lefoin restant distribué à volonté, on a augmenté
chaque jour
la quantitéd’orge
olferte d’abord de200g,
puis
de z5o g àpartir
du 3 mars pour les vaches ¢5o et 535, mais les accroissements dequantités ingérées
furent inférieurs car ces vaches firent alors des refus.Les aliments utilisés étaient une orge flnement
broyée
additionnée de 3 p. 100decompléments
minéraux et ayant une teneur en matières azotées totales de tz,r p. 100
(par
rapport à la MS(’))
etun foin de luzerne long, récolté au stade «
bourgeons
lloraux » et dont la teneur en cendres était de 11 ,
4 p. 100, en matières azotées totales de 14,2 p. 100et en cellulose brute de go,o p. 100. La
diges-
tibilité de la matière
organique
de ce foin mesurée sur 4moutons était de 57,r p. 100.L’orge
étaitdistribuée il 5 !3o et r7h 30, et le foin il 6 heures et 18 heures,
après
enlèvement des refus(environ
10p. 100pour le
foin)
de la distributionprécédente.
Les animaux avaient en permanence les aliments à leurdisposition.
La Vache ¢¢9 a été retirée de
l’expérience
le 20févrierpuis
abattue à la suite de l’obturation de sa sonde urétrale, etremplacée jusqu’au
go avril par la Vache 535 dont l’alimentation étaitidentique.
La Vache 450a été éliminée le go mars à la suite d’uneindigestion.
Nous avons effectué, au cours de
périodes expérimentales
successives de 2semaines, les mesuressuivantes : comportement alimentaire,
digestibilité
de la ration(pendant
7jours),
activité cellulo-lytique
dujus
de rumen(avec
2 g depapier-filtre pendant
48heures),
vitesse de fermentation du contenu du rumen,poids
de contenu de rumen, pII du jus de rumen, dans les conditions exposéespar
J OURNET
et Di£;IARQUII.I.1’( 19 6 7 ).
Du
jus
de rumen a été prélevé de façon continuependant
24heures avec une pompeSigniaiiiotor.
Le prélèvement a été répété 2
jours
consécutifs(G AI’ SS ERES , 19 6 5 ).
La concentration en AGV (2)a été mesurée par la méthode de VANDENHEUVEL
( 19 6 5 )
et leurséparation
a été effectuée sur unecolonne de silicone avec un
chromatographe
enphase
gazeuse muni d’un détecteur à ionisatiun de flamme (1).RÉSULTATS
Comportement
alimentaire(fig.
i, tabl.i)
Lorsque
laquantité d’orge
distribuées’accroît,
laquantité
de foiningérée
nediminue pas immédiatement
(Vache 535 )
ou diminue moinsrapidement
quel’apport d’orge n’augmente (respectivement
deo,6g kg
et0 , 4 8 kg
parkg d’orge supplémentaire ingérée
pour les vaches 449 et450 ).
Il en résulte que laquantité
totale de 1!ISingérée augmente jusqu’à
unmaximum ;
elle est alorsplus
élevéequ’initialement, respecti-
( 1
) MS : matière sèche.
( 1
) AGV : acides gras volatils.
( 3
) Le protocole de la méthode sera publié ultérieurement.
vement de 3,25
kg (23
p.100 )
et6,io kg (5 1
p.100 )
pour les deux vaches. Puis laquantité
de foiningérée
commence à diminuer(Vache 535 )
ou diminueplus
vite(Vache 450 ),
et laquantité
totale de MSingérée
décroît.Les vaches 450 et 535 ont commencé à ne pas consommer la totalité de
l’orge lorsqu’elles
en ont reçu environ 8kg,
soitapproximativement
55 p. 100 de la ration.A
partir
de cetteproportion, l’ingestion
fut moinsrégulière.
L’emploi
dutemps
a été étudié par la méthoded’enregistrement graphique
de RucKEBuscH
( 19 6 3 )
sur les vaches 449( 3 périodes
entre 5 p. 100 et 22 p. 100d’orge
dans laration),
450(5 périodes
entre 6 p. 100 et56
p.100 )
et 535( 2 périodes
pour 54 et 74 p.
I oo).
Les chiffres que nous donnons sont la moyenne d’au moinsquatre jours d’enregistrement.
Entre les
périodes
i et 5(6
à5 6
p. iood’orge
dans laration),
letemps d’ingestion
de la Vache 450
(exprimé
enpourcentage
dutemps total)
diminue environ demoitié,
le
temps
de rumination de 35 p. 100 et le nombrejournalier
depériodes d’ingestion
et de rumination de 19 p. 100
(tabl. i).
Il en est de même de la durée despériodes d’ingestion ( 37
p.100 )
et de rumination( 1 8
p.100 ).
La diminution dutemps
d’in-gestion
est doncprincipalement
due à la diminution de la durée despériodes d’inges-
tion tandis que la diminution du
temps
de rumination est dueégalement
à la diminu-tion du nombre de
périodes.
Enconséquence,
lestemps d’ingestion
et de rumination parkg
de 3IS ontrespectivement
diminué de 47 p. 100 et 31 p. 100. Deplus,
uneproportion plus importante
dutemps d’ingestion
a étépassée
au cours des troisheures
qui
suivaient la distribution des aliments du matin.Les données
enregistrées
sur les vaches 449 et 535 sonttrop
limitées pour que l’onpuisse dégager
une évolution. Chez la Vache 449 on observe peu de variations del’emploi
dutemps
entre 5 et 22 p. 100d’orge
dans la ration.Cependant, lorsque
la Vache 535 passe d’une ration où elle choisit librement ses aliments
(période 5 )
àune ration où la
quantité
de foin distribué est limitée à 3kg
parjour (période 7 ),
le
temps d’ingestion
parkg
de MSaugmente
de 44 p. 100alors que celui de rumina- tion a tendance à diminuer.Ces
résultats, principalement
ceuxqui
concernent les vaches 45o et 535,suggèrent
que, dans nos conditions
expérimentales,
la vitessed’ingestion
est d’autantplus
grande
que l’animal estplus
libre de choisir ses aliments. Ils semblent montrer aussi que la ruminationdépend
étroitement de l’étatphysique
de la ration alors que l’in-gestion dépend
aussi des «goûts
» de l’animal.Digestion
Les résultats sont
rapportés
au tableau 2.Quand
lepourcentage d’orge
dans laration
augmente,
ladigestibilité
de la ration croît d’abord fortementpuis
faiblement.La
digestibilité
du foin calculée en admettant unedigestibilité
constante de 88 pourcelle de
l’orge
est, pour les 5périodes
de mesures effectuées sur la Vache q.5o, de6 2 ,
9
-6o, 7
-6 1 ,8
et 50,3. La forte diminution ainsi calculée entre lespériodes
4et 5peut également provenir
d’une diminution dedigestibilité
del’orge. L’augmentation
de
digestibilité
de la ration et lesquantités ingérées
ontprovoqué
uneaugmentation
de
poids
vif des animaux. Chez la Vache 450, elle a été de 60kg
en 8semaines,
soiti o7o grammes par
jour.
Les
temps
deséjour
del’indigestible
du foin et del’orge
dans le tubedigestif
sont
rapportés
à lafigure
2.L’ensemble
des résultats obtenus sur les trois animauxmontre que le
temps
deséjour
des deux aliments passe par un minimumpendant
quele niveau
d’ingestion
des animaux est maximum. SH!r,!,!MB!RG!x et K!sr,!R( 19 6 1 )
ont
également
trouvé une corrélation hautementsignificative
entre la vitesse detransit
digestif
de la ration(mesurée
sur lefoin)
et le niveaud’ingestion.
Le
poids
de contenu de rumen en matière fraîche et en matière sècheaugmente
avec le
pourcentage d’orge jusqu’à
un maximumqui
acorrespondu
à 30 p. 100d’orge
pour la Vache 450. Il diminue ensuite defaçon importante
notamment pour lespourcentages d’orge supérieurs
à 7o p. 100. Ilprésente
ainsi une évolutionparallèle
à celle de la vitesse de transit
digestif
et desquantités ingérées.
L’activité fermentaire du rumen, mesurée par la
quantité
de gazdégagée
aucours des incubations de contenu de rumen,
augmente jusqu’à
45 p. 100d’orge
dansla ration
puis
semble neplus augmenter
ensuite. Cetteaugmentation
est d’autantplus
faible que leprélèvement
de contenu estplus éloigné
de la distribution(fig. 3 ).
Pour le
prélèvement
effectué à 15heures,
elle a même été nulle.L’activité cellulolytique
dujus
de rumen, mesurée par lepourcentage
dedispa-
rition de
papier-filtre placé
dans des sachets denylon plongés
dans le rumen, diminuepresque linéairement chez les vaches 449 et 45o de
7 ,6 points,
pour uneaugmenta-
tion de 10points
dupourcentage d’orge
dans la ration entre 6 et5 6
p. 100 chez la Vache 450.Malgré
cettediminution,
ladigestibilité
du foinjusqu’à 3 6
p. 100d’orge
dans la ration semble
supérieure
à celle du foinseul,
obtenue sur moutons(du
moinsavec le mode de calcul que nous avons
employé).
Le
pH
dujus
de rumenprélevé
paraspiration
dans le milieu du sac ventral durumen ne varie pas avec le
pourcentage d’orge
dans la ration. Il reste élevé(fig. 4 )
sans fluctuations
importantes
au cours de lajournée malgré
de fortes variations de la concentration dujus
de rumen enAGV,
duesprobablement
enpartie
à notre méthodede
prélèvement (irrégularité
de débit dejus
derumen).
La concentration en AGV semble avoir été maximum( II9
ml!Tol/1)
avec 45p. 100d’orge
dans la ration et mini-mum
(g8
et 80 mMol/1) respectivement
avec desproportions d’orge
faibles( 9
p.100 )
et élevées
(6 0
p.ioo).
Lacomposition
molaire reste trèssemblable, indépendante
dela
proportion d’orge,
tout au moins pour l’acideacétique.
Seule laproportion
desacides
butyriques
etvalérianiques
a tendance à s’accroître au détriment de l’acidepropionique.
A l’inverse des
quantités
de gazdégagées
au cours des incubations et de la concen-tration du
jus
de rumen enAGV,
la stabilité dupH
dujus
de rumen et sacomposi-
tion molaire en AGV
suggèrent
que l’activité fermentaire dans le rumen n’a pasbeaucoup augmenté
avec l’accroissement desquantités d’orge.
La contradiction n’estpeut-être qu’apparente.
Bien que lepourcentage
dutemps
totalpassé
àingérer
et à ruminer ait diminué de 42 p. 100, il est
possible
que les substancestampons apportées
par la salive aient suffi à neutraliser l’accroissement éventuel de la pro- duction desAGV,
maintenant ainsi lepH
à un niveau élevé et lemélange
des AGVdans sa
composition
initiale.Régulation
del’ingestion
Le nombre d’animaux mis en
expérience
et les accidents limitent laportée
denos résultats.
Néanmoins,
ilapparaît
que lespourcentages d’orge
dans la ration pourlesquels
ont lieu la vitesse maximaled’ingestion
etl’ingestion
maxitnale de PTS soientdifférents : la vache 450
ingère
laquantité
maximale de 3IS entre environ3 6
et 45 p. 100d’orge
dans laration,
mais n’atteint sa vitesse maximaled’ingestion (quan-
tité de MS
ingérée
par unité detemps)
que pour unpourcentage
d’au moins 55 p. 100pendant
lapériode 5 ).
Onpeut
donc penserqu’à partir
de 45 p. 100d’orge
dans laration,
des informationsd’origine digestive
oumétabolique empêchent
l’animald’ajuster
son niveaud’ingestion
à ses «goûts
».Pendant la
phase d’augmentation
desquantités ingérées,
la vitesse dedégra-
dation des aliments dans le rumen et la
digestibilité
de la ration sont accrues. Il enest de même pour la vitesse de transit de
l’orge
etaussi, semble-t-il,
celle dufoin, malgré
la réduction de l’activitécellulolytique
dujus
de rumen. L’animalpeut
doncingérer davantage, l’augmentation
del’ingestion s’accompagnant
d’un accroissement de laquantité
de l!IS du contenu de rumen.Pendant la
phase
de diminution desquantités ingérées,
les vitesses de transit del’orge
et du foin ont tendance à diminuer et la vitesse de fermentation des alimentsn’augmente plus. Or,
laquantité
de contenu de rumen diminue. La diminution del’ingestion
doit donc être recherchée dans des informations ayant pourorigine
nonplus
le rumen, mais lescompartiments postérieurs,
unchangement
du «goût
o del’animal
(du
moins àpartir
dupourcentage d’orge
pourlequel
la vitessed’ingestion diminue)
et(ou)
des informationsd’origine métabolique. L’engraissement
des ani-maux n’a pu que contribuer à la réduction de
l’ingestion
à la fin del’expérience.
Reçu pour
publication
en noiiei>ibre 1968.SUMMARY
EFFECT OF INCREASING AMOUNTS OF BARLEY ON FEEDING BEHAVIOUR AND DIGESTION IN DAIRY COWS
Three
dry
cows with rumen fistulae were given normal lucernehay
to appetite andincreasing
amounts of ground
barley. Changes
in feeding behaviour anddigestion
were studied(table
i).Intake of
dry matter increased
up to thepoint
wherebarley
represented 35 to 45 per cent of ration(fig.
i). This increase wasaccompanied by
increases in the rate of passage ofbarley
andhay
through the
digestive
tract, the amount of rumen contents anddigestibility
of the ration(table
2).Rate of fermentation in the rumen also increased
although cellulolytic activity
of rumen fluid dimi- nished.With more than 35to 45 per cent
barley,
intake ofdry
matter decreased. Rate of fermentation in the rumen did not increase any more and rate of passage ofbarley
and hay tended to fall. Amount of ruwen contents diminished. ’1’hus the factors which limit intake can no longeroriginate
in therumen ;
they
mightoriginate
in theposterior
parts of thedigestive
tract or be of metabolic origin butthey
might also be causedby
reduction inappetite
of the cow since rate of intake decreased when 3j per cent
barley
wasgiven.
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