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PERMIS DE CONDUIRE 441

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Academic year: 2022

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PERMIS DE CONDUIRE

Vous avez lu certainement beaucoup d'articles sur l'automobile.

Leur plus grand défaut est de provoquer chez leurs auteurs un afflux de lettres venant de lecteurs qui ont des choses extraordi- naires à leur proposer. L'un vous écrit de Pont-à-Mousson pour vous dire que si tous les gens qui sont nés un jour impair prenaient leur gauche et tous les gens qui sont nés un jour pair prenaient leur droite, cela irait beaucoup mieux — et j'exagère à peine ! Car on lit des projets aussi déconcertants dans les lettres de ces lecteurs, pourtant, la plupart du temps, fort sérieux.

Mais j'ai découvert une catégorie de gens qui possèdent sur la circulation des automobiles et sur les mœurs et coutumes des auto- mobilistes, sur la psychologie de ces étranges bipèdes, une véritable mine d'idées nouvelles : les moniteurs !

Car l'élève, lorsqu'il apprend à conduire, regarde avec terreur son professeur, son volant, ses pieds, les ennemis qui l'enserrent de toutes parts. Mais le moniteur qui est beaucoup plus à son aise, et comme on le dit si détestablement, de nos jours, plus détendu, contemple avec calme son élève.

Il le juge. Et il en parle sans bienveillance, parfois de façon féroce.

Je me suis adressé à plusieurs d'entre eux : la directrice de la plus grande école parisienne, un moniteur d'une autre société, ainsi qu'à un bon camarade qui est souvent mon passager en avion, et qui, chaque fois que nous allons voler le samedi, hausse les épaules à chaque sottise qu'il voit, en murmurant :

— Pas étonnant ; nous sommes samedi !

Son jugement sur les élèves en général est simple :

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— Je parle contre mes intérêts. Mais si on me demande mon avis je dirai que 30 % des Français ne devraient pas conduire du tout, et que 60 % ne peuvent pas conduire au-dessus de 70 à l'heure... L'autre jour, un enfant sur une route a été renversé par une voiture. C'était peut-être sa faute. Mais il était presque intact.

A ce moment sont arrivés — derrière la première — deux voitures dont l'une lui a cassé les jambes et dont l'autre lui a roulé sur la tête. La mort a été instantanée. Aucun des deux conducteurs n'avait réagi... Ils roulent en état de songe!... Que voulez-vous y faire ? Aucune leçon ne les tiendra éveillés quand ils en auront besoin...

J'ai eu le plaisir de parler avec cette personne agréable et charmante, cette femme d'expérience qui dirige la plus grande école de conducteurs automobiles de Paris et de sa région. Elle a souri avec scepticisme, et m'a dit :

— Oui, en effet, nous les voyons de près ! Et ils ne sont guère raisonnables. La courbe des brevets bondit depuis 1959 en mars, c'est-à-dire bien avant Pâques. Et cela va constamment en mon- tant jusqu'en juillet. Nos élèves ne pensent à ce moment-là qu'à se lancer sur la route. Je dois, je vous assure, les retenir !... '

— Pourtant je croyais que le chiffre des brevets était en baisse.

Car le préfet de police, M. Papon, un homme extrêmement précis, nous annonce qu'il a donné depuis douze mois 523.000 cartes grises et seulement 140.000 cartes roses. Ce chiffre me rassure un peu! H y a donc moins de permis de conduire ?

— Il y en a certainement moins.

— Et il y aura donc un peu moins de gens à croire qu'avec une 2 CV on peut scier un peuplier, et vivre pour le raconter ?

— Je n'en sais rien ! Car c'est lorsqu'ils croient savoir bien sonduire, qu'ils font des coups pendables.

— Sans oublier, dis-je gravement, le Marseillais dont on raconte l'histoire et qui roulait à gauche sous les platanes. Et comme on l'arrêtait et lui demandait pourquoi, il répondit : « Monsieur, nous sommes en été, nous sommes à Marseille, je me tiens à l'ombre ! »

— Estimez-vous qu'ils vont trop vite, et que le 90 à l'heure de M. Buron est une mesure utile ?

— Us vont certainement trop vite, me dit-elle, et le 90 à l'heure

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est une mesure non pas utile mais nécessaire, parce que la vitesse crée, quoiqu'on dise, l'accident. Je vous assure que j'en ai l'expé- rience. Elle la créé d'abord parce que toutes sortes de gens n'ont que des réflexes que jusqu'à 50 à l'heure, et encore tout juste, à peine à 60 et jamais à 80. C'est vous dire qu'à 120 ils sont complè- tement perdus !... Ensuite parce que si le choc se produit — il finit toujours avec eux par se produire — les blessures sont incom- parablement plus graves.

— Je me permettrai, madame, de vous raconter ici une histoire.

Un jour, roulant avec le Glaoui, au Maroc, j'entendis le vieux prince africain hurler : « Poum Poum ! » Comme je m'étonnais, le prince se tourna vers moi et me sourit : « Je fais ça, m'avoua-t-il lorsque le compteur dépasse le 90. Alors mon chauffeur, instruit de mes désirs, ralentit...

— Combien de Français, cher monsieur, devraient crier à tue tête ce Poum Poum!

— Quels sont vos élèves actuellement ? Des jeunes ?

— Oh ! mon Dieu, monsieur, des gens de tous les âges. Ce- qui est intéressant à préciser, c'est que le nombre des femmes a exac- tement doublé.

Ici elle sourit un instant, s'arrête, hésite :

— Est-ce que je puis dire la vérité ? Tous les gens qui ont leur permis ne conduisent pas des automobiles...

— Heureusement !

— Vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est vrai. C'est ainsi qu'actuellement, pour une seule voiture et une seule famille, je fais passer cinq candidats : le papa, la maman et les trois sœurs !

— Et tous ces gens vont se lancer sur la route ?

— Jamais de la vie... C'est toujours papa qui conduit. Pour rien au monde il ne prêterait sa voiture aux filles.

— Pourquoi ? Par égoïsme ?

— Non, mais c'est un fait que les pères français ne sont pas généreux.

— Il est donc rare de voir, comme je l'ai vu à Hossegor l'été dernier, un petit torpédo de sport sur lequel des jeunes avaient peint tout au long de sa carrosserie : « On a encore eu papa » ?

Ma directrice d'école éclate de rire :

— Oui, monsieur, c'est infiniment rare !... Car Papa en général est dur à convaincre. Et pourtant beaucoup de femmes actuelle-

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ment mènent leur mari au bureau. Elles vont faire des courses, elles repartent, puisqu'elles ne peuvent stationner là où c'est généra- lement impossibles ; et si le mari vit en banlieue, elles le ramènent le soir venu...

— Comment jugez-vous la conduite des femmes ?

— Timide au début, suivie d'un rodage qui est parfois lent. Il y a d'ailleurs une catégorie de conductrices fort dangereuses, celles qui reviennent chez nous de temps en temps parce qu'elles se rendent compte de leur imperfection...

« Je veux dire les femmes qui ont passé leur permis un peu avant la guerre, par exemple, et qui ne sont pas pour cela des vieilles dames ; mais qui ont évidemment perdu leurs habitudes entre 1940 et 1945. Beaucoup ne se sont jamais remises à conduire, parce que leur situation de famille a changé, ou pour d'autres raisons.

Alors elles reprennent le volant et elles s'aperçoivent qu'elles ne peuvent plus se ranger au trottoir, qu'elles seraient dangereuses sur la route... L'autre jour, un de mes moniteurs a eu une cliente de cette sorte. Il est venu me trouver et m'a dit : « Madame, je ne peux vraiment pas la garder, je voudrais que vous la découragiez, que vous lui expliquiez son cas. Je ne peux pas la lâcher. Si j'envoie cette femme se promener toute seule sur une route elle tuera quelqu'un...

— Oui, dis-je, voilà un problème assez grave, celui des gens âgés qui ont cessé de conduire ?

— C'est exact, me dit ma Dame-Professeur, mais tout compte fait les vieux sont tout de même moins dangereux que les jeunes !...

Le Centre de Psychotechnique de la Prévention routière a publié là-dessus des chiffres tout à fait intéressants, si l'on considère les nombres d'accidents selon les tranches d'âges.

— Les gens qui en causent le moins sont d'âge moyen. De trente à cinquante-cinq ans, par exemple. Si ceux-là font dix acci-

dents, les gens plus âgés qu'eux en font quatorze et la couche la plus jeune en fait dix-neuf. Cela prouve assez que le goût de l'accé- lération est redoutable !

Le jeune homme est beaucoup plus dangereux, tout compte fait, que le vieillard et surtout que l'homme d'âge mûr...

— Et les femmes ?

Ici c'est mon moniteur n° 1 qui parle :

— Les femmes, me dit-il, sont surtout distraites. C'est leur distraction qui, dans les villes, fait enrager les hommes. Ils n'ont

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d'ailleurs pas de quoi se vanter eux ! Mais ils savent mieux où ils vont. Ils foncent...

Le toro espagnol n'est pas le compagnon de route idéal.

Le moniteur n° 2 intervient :

— Nous leur faisons passer cependant un sévère examen sur le Code ! Ils et Elles l'oublient vite. La plus brève habitude fait naître un toupet infernal. Seul les vrais, les bons, les vieux conduc- teurs s'attendent à tout. Ils savent que bien conduire, c'est éviter les chocs.

Le moniteur n° 2 ajoute :

— Trop de gens semblent croire que l'accident est réservé aux autres. Ces fameux « autres », dont vient tout le mal...

— C'est exact. Un grand reporter de la radio, Roland Dhordain, interrogeant une petite dame qui entrait dans un village à 85 à l'heure, lui a fait de grands signaux à bras, et l'a rejointe deux cents mètres plus loin.

— Madame, a-t-il dit, vous rendez-vous compte que vous traversez ce village un peu vite ? Le 80 à l'heure, c'est bon sur

route, mais dans un village...

E t la petite dame lui a répondu d'un air innocent : « Oh I vous savez, en roulant, on est toujours un peu emporté... »

Pour le coup, c'est moi qui m'étonne :

— N'est-ce pas ahurissant ?

D'ailleurs, avec la Directrice, on a, de ce point de vue, des surprises. C'est ainsi qu'une de mes élèves, une dame, et je dis bien une dame fort élégante, stationnait en double file le jour de son brevet. Elle me quitta, traversa l'avenue, vit un papillon sur son pare-brise, lança un mot qui évoque les femelles des bœufs.

A l'instant même, elle se retourna avec terreur : un agent était près d'elle, comme dans le Crainquebille d'Anatole France !

Que faire ?... Cet agent heureusement avait le sens de l'humour, il salua gracieusement la dame élégante et lui dit :

« Madame, ce n'est pas ma faute, c'est celle de mon camarade qui est là-bas ! »

— Elle évita donc le sort de Crainquebille ?...

— Oui ! insiste la Directrice, mais je mets en fait que si cette même femme du monde dans un salon renversait son thé, elle se confondrait en excuses ! Alors pourquoi l'automobile a-t-il fait d'elle une mal élevée ?

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Les professionnels, ceux du moins qui m'ont parlé, sont donc inquiets de voir l'automobile se répandre en profondeur dans la masse. « N'importe qui, me disent-ils, a une voiture. Même les gens sans discipline morale et sans éducation. Le résultat ne peut certes pas être bon... »

— J'ai vu la garde-barrière de mon village, ajoutais-je, s'offrir récemment une voiture avec laquelle elle a emmené en promenade un certain nombre de ses vieilles camarades. La voiture a fini contre un peuplier, car la Dordogne est malheureusement un pays de peupliers, et, le lendemain elles étaient toutes à l'hôpital. La garde-barrière a eu les deux jambes coupées. Il est évident qu'elle n'aurait jamais dû conduire.

— Je vous l'ai dit, s'obstine le moniteur n° 1, cinquante pour cent de mes élèves devraient aller à pied 1...

— J'ai vu aussi, dit le moniteur n° 2, un accident récent où étaient en cause un plâtrier et un berger. Je ne sais pas ce que vous

pensez des bergers, ils ont un rôle très poétique dans la littérature, mais croyez-vous que ce métier leur donne de bons réflexes ? Le chien, oui, doit en avoir, car il court derrière les moutons, mais le berger reste là piqué dans sa capeline, ne fait jamais un mouvement, ce qui ne vaut rien pour les réflexes...

— Songez, me dit le moniteur n° 2, c'est que les gens achètent, possèdent, une voiture par orgueil ! Ce n'est pas qu'ils s'en servent, ou qu'ils en aient besoin. En fait ils roulent très peu. De moins en moins même...

— Au fait, pourquoi achète-t-on une voiture ?

— Pas du tout pour s'en servir, me répondent les deux moni- teurs, sauf peut-être au moment des vacances. On l'achète avant tout par une sorte de souvenir d'enfance : quand on est petit, on aime bien les voitures, on aime jouer avec, et l'on a envie d'un joujou un peu plus grand. On l'achète ensuite pour « remonter son égo », et vous savez que c'est un des mobiles principaux de l'humanité.

L'homme fera toujours n'importe quoi pour se rehausser dans sa propre estime !

— Nous en avons vu récemment deux cas extraordinaires, répond le moniteur n° 2. L'un était celui d'un ouvrier qui gagnait très médiocrement sa vie, il buvait presque tout son argent ; sa

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fille, un jour tomba d'un hamac. La malheureuse petite se fendit le crâne, tous les journaux prirent feu sur le sujet, et l'on s'aperçut que si l'enfant était ainsi suspendue dans un hamac, c'est que l'homme n'avait pas pu lui payer un lit ! Pourquoi ? Parce que ce chômeur perpétuel, ce bon à rien, venait d'acheter six cent mille francs une Ariane d'occasion !

— Une autre histoire, me dit mon premier moniteur, est celle du criminel Letecette, qui, comme vous le savez, arrivait des Antilles ; il a rencontré une dame qui en venait aussi et l'a tout simplement assassinée pour la laisser ensuite dans une malle en consigne à la gare de Lyon. Qu'a-t-il fait de l'argent de sa victime et pourquoi donc avait-il besoin d'argent ? Pour acheter une voi- ture t

Eh oui... et tous les Français sont maintenant dans le même cas, sauf notre confrère Fernand Brigneau qui nous a dit il y a quelque temps « qu'il n'avait pas de voiture, n'en voulait pas, n'en aurait jamais, que l'automobile avait gâché les routes fran- çaises, où il était autrefois agréable de se promener, où il est odieux maintenant de risquer sa peau... »

Ce fait que les gens cherchent à se remonter dans leur estime et a keep up with the Joneses, comme disent les Anglais (c'est-à- dire à étonner leurs voisins) est nettement démontré si l'on voit les voitures qu'ils achètent. C'est ainsi que tel homme qui gagne bien sa vie, tel homme occupé, qui a réussi, pourrait par exemple avoir une 403. Celui-là achètera une voiture anglaise, avec une direction à droite, ce qui est idiot ! Il aura simplement voulu étonner ses relations. Je peux vous en indiquer plusieurs exemples...

Je peux vous citer celui d'un de mes amis qui avait une Floride.

Il l'a vendue parce qu'il a trouvé qu'elle ne lui donnait pas encore une « situation » suffisante, et il vient d'acheter avec un camarade

— ce qui va donner de drôles de résultats — une voiture anglaise de deux millions huit cent mille francs 1 Or je suis sûr qu'il est incapable de les payer...

— Car ce qu'il y a de plus curieux en effet, me dit le moniteur n° 1, c'est que la plupart de ces voitures que vous voyez le long des rues ne sont pas payées.

— Et, dit l'autre, qu'elles ne servent à rien!

— Tenez, continue le Moniteur n° 2, je vais vous raconter une histoire tout à fait personnelle. J'habite une petite maison à

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Vanves. Il y a quelques années, j'étais absolument seul, là, à avoir une voiture, et encore parce que je faisait le taxi... Puis un deuxième locataire est venu habiter dans ma maison, il était garagiste, et lui aussi avait une voiture qu'il n'avait pas payé cher et qui tout de même lui servait dans son métier.

Il prend un temps, sûr de son effet :

— Il y a maintenant dix-sept locataires dans la maison.

Savez-vous combien nous avons de voitures ?

— Je n'en sais rien, dis-je, huit ou dix ?,

— Non, crie le second moniteur d'un air de triomphe, nous en avons quatorze.' Et de ces quatorze voitures il y en a au moins onze, Monsieur, qui ne roulent jamais. Elles sortent quelquefois le vendredi soir ou samedi à midi, c'est pourquoi à ces heures précises la pagaille commence. Elles servent, en général, le dimanche.

Elles vont en réalité, une fois par an, en vacances... Le reste de l'année ? elles sont là, immobiles devant la porte, on ne peut plus balayer les trottoirs ! On ne peut plus nettoyer les ruisseaux !...

Et des cas de ce genre scandalisent M. Papon... Moi aussi I

J'ai soupiré. Evidemment je n'aimerais pas être à la place de M. Papon. Que peut-on décider dans une ville où les voitures ont une longueur totale supérieure à celle des avenues ?

— Attendez ! me disent les deux moniteurs à la fois, ce ne serait encore pas grave si ces voitures circulaient et rendaient des services... mais elles sont là jour après jour, nuit après nuit, exacte- ment au même endroit devant une porte — et elles ne bougent jamais. Je peux vous dire que dans la rue Guillaume-Tell à Paris, pour prendre un exemple, et sur le boulevard Péreire, il y a des voitures que l'on voit là huit jours de suite et quelquefois davantage.

Avenue Montaigne (que le Préfet de Police pour une raison qui m'échappe ne veut pas mettre en zone bleue sous le prétexte, faux, que diverses expositions ont lieu au Grand Palais), avenue Mon- taigne je vous garantis que vous trouvez des voitures qui ne bougent pas pendant deux moisi Certaines sont couvertes de poussière comme une bouteille de vieux Bordeaux. Pourquoi ces gens-là ont-ils des voitures ? Parce que la rue leur sert de garage, et que cela ne coûte rien...

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Pourquoi, vous demanderez-vous alors, les ont-ils achetées ? Puisqu'au fond ils ne s'en servent pas ? Si l'on éliminait des rues de Paris toutes les voitures immobiles, constamment, perpétuel- lement immobiles, les autres pourraient parfaitement circuler, conduire leurs propriétaires là où ils vont. Ce sont des huîtres qu'il faut arracher du rocher ! Le Préfet de Police le comprend parfai- tement, mais il ne sait pas comment s'y prendre et, à vrai dire, moi non plus...

— En attendant cela nous ramène à l'argument essentiel, celui auquel je tiens le plus et que je vous demande de publier, c'est que dans 80 % des cas, tout au moins à Paris, les Français ont des voitures par vanité. A la campagne, c'est autre chose ! Elles roulent, elles vont quelque part, et en tous cas les facilités de stationnement sont abondantes.

— Puisque ces voitures ne roulent pas, elles ne devraient causer aucun danger ?

— Si, précisément.

Là, c'est la directrice qui parle :

— Ces braves gens, et M. Gallienne le directeur de la Prévention routière, nous l'a fait remarquer, ne roulent jamais, ne conduisent jamais, ont des réflexes de cloportes quelles que soient les leçons que nous essayons de leur donner. Et un beau jour, une fois par an, ils montent au volant, chargent la voiture en dépit du bon sens, avec leur sœur, leur belle-mère, leur cousine, quatre enfants, des canaris, et tout cela s'en va sur la route avec un équilibre complè- tement modifié, des freins qui font leur effet sur une distance à peu près triplée...

— Oui, dis-je, je sais que c'est un des grands dadas de ces messieurs de la Prévention routière.

— Et, me dit ma directrice d'école, ils ont parfaitement raison !

Ici c'est le premier moniteur qui s'adresse au second :

— Après tout, qu'est-ce que cela peut nous faire qu'ils aient des voitures par orgueil ?

— Ah ! réplique le second, c'est justement cela qui change tout... C'est que si l'ensemble des Français achetait comme c'est le cas des provinciaux, une voiture pour aller vraiment à ses affaires, à une allure modérée, il n'y aurait pas grand risque — et la preuve

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en est que ces gens-là ne se tuent jamais. Mais lisez le journal : et essayez de deviner les raisons pour lesquelles les gens montent dans les arbres. C'est presque toujours l'orgueil et un excès de confiance en soi 1...

Il y a pis encore. L'orgueil, qui est sur la terre un des pires péchés, devient au volant péché mortel. Le monsieur qui se croit une voiture supérieure à celle du voisin, et qui passe de force, cause un accident. S'il passe en face d'une voiture qui vient, il provoque la vraie catastrophe.

Celui qui emmène à son bord un ami qu'il veut étonner, celui qui est persuadé qu'il doit aller à Deauville en deux heures, celui qui, d'une manière générale, se sert d'une auto comme d'un instru- ment de vanité, est invariablement puni. C'est le cas, si l'on des- cend l'échelle, de tous ces malheureux qui n'ont pas de quoi acheter une bicyclette, s'offrent une voiture à crédit et essaient ensuite de la nourrir tout en se nourrissant un peu eux-mêmes. Ce sont ceux- là qui se lancent dans les plus foliés entreprises...

Si Nietzche avait connu l'automobile, il l'aurait dénoncée comme un instrument de la volonté de puissance. E t c'est bien ce qu'elle est... C'est bien pourquoi elle coûte si cher. Même aux pauvres même aux petits. Et je dirai qu'il y a au volant trois classes de gens très dangereux : D'abord ceux qui achètent une voiture sport pour étonner les gens par leur bruit, et qui ne se rendent pas compte que la vitesse de cet engin dépasse complètement celle de leurs réflexes, souvent diminuée par l'alcool. Ensuite les inhabitués, les braves gens qui admettront parfaitement n'importe quel reproche, mais qui n'accepteront jamais qu'on leur dise qu'ils sont mauvais conducteurs. Ceux-là montent sur les voitures ac- tuelles, qui peuvent atteindre les 120 à l'heure et quelquefois 150, et ils ne sont pas du tout capables de rouler au-dessus de 70. S'ils les chargent de nombreux enfants « cela augmente simplement, dit M . Gallienne, le nombre des victimes ».

Et enfin, la troisième catégorie, c'est celle de ces braves gens qui ont acheté des voitures utilitaires et qui s'en servent complètement au rebours de leur utilisation normale. La 2 CV a été chronométrée à 70 à l'heure à Monthléry, sur une piste avec laquelle on ne triche pas*. Les nouveaux modèles, les plus récents, atteignent peut-être 80.

LA K S V ' U f i N« 15 4

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Or, nous sommes constamment dépassés au-delà de 80 à l'heure par les 2 CV ; et comme ces voitures n'ont pas d'accélération, s'arrêtent sur la moindre -pente et mettent un quart d'heure à vous vaincre, elles créent pour elles-mêmes et pour tout le monde un danger épouvantable !

Le moniteur n° 1 est indigné :

— Dans Paris, les voitures sans accélérations sont certainement celles dont les conducteurs se livrent aux coups d'audace les plus insensés. Sur la route, c'est encore pire. Avez-vous remarqué, on le remarque toujours trois ou quatre fois à chaque voyage, sur la route des Alpes à Paris par exemple, ces gens qui veulent dépasser à toute force, qui en sont incapables, et mettent un temps infini ? Presque toujours sur un voyage de 500 km. on est conduit à lever le pied au moins quatre fois parce qu'un fou furieux a passé en face de vous alors qu'il n'en avait ni le droit ni la place ni le temps.

Avec son petit chèque, ou des billets crasseux car il a probable- ment acheté son piège à crédit, il va coûter des millions aux assu- rances, pour les cliniques et les pompes funèbres. S'il faisait cela avec un fusil, on l'enverrait au bagne 1

Je me tourne vers la directrice de la plus grande école de France et je lui dis :

— Et les femmes dans tout cela ? Les voyez-vous très coupables ?

— Non, me dit-elle. Elles cassent beaucoup d'ailes, mais elles ne font jamais les grands drames. C'est extrêmement rare.

— Et les très jeunes ?.

— Les très jeunes gens sont ma terreur. Nous avons actuelle- ment à notre cours, dans la génération des dix-huit ans, celle qui monte (et qui malheureusement monte en automobile) exactement autant de filles que de garçons. Les garçons voudront faire de la vitesse, les filles en général y renonceront plus vite. J'en suis fort heureuse !

— Et vous dites que les parents français ne sont pas prêteurs ? Ils se montrent pourtant généreux avec leurs enfants ? Beaucoup plus qu'ils ne l'étaient autrefois ?

— Us ne le sont pas en ce qui concerne l'automobile !... Trop de femmes ont été gémir au garage : « Réparez moi ça vite que je

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puisse demander à mon époux comment il Va fait. » Alors les maris se méfient. Et puis ils se méfient aussi des très jeunes. On leur a si souvent rayé ou gratté leur voiture, cette chère voiture qui rehausse leur orgueil, qu'ils soignent avec amour ; vous les voyez souvent au Bois de Boulogne la masser le dimanche avec une espèce de petit balai (ce qui a pour effet de répandre sur toute la carrosserie de la poussière, c'est-à-dire de la pâte à rôder)...

Tous ces braves gens là adorent leur engin, et seraient consternés que les enfants l'abîment.

Us l'ont 1° pour s'étonner eux-mêmes, 2° pour se donner des sensations, et pas du tout pour amuser leurs gosses. C'est pourquoi le fils devra attendre, pour jouer à Luna Park à son tour, qu'il ait réussi à s'en procurer une à son compte.

Et là-dessus le second moniteur conclut :

— Mais parfois, rêve-t-il tout haut, parfois ces jeunes emballés rendent tout de même des services... Je peux vous citer l'histoire d'un garçon qui, une belle nuit, a emprunté l'auto de son père.

Il l'a oubliée devant un bar, et lorsqu'il l'a retrouvée elle était légèrement fripé sur les bords. Alors il a bondi chez un garagiste qui était de ses amis et il lui a dit : « Vite, vite, refais-moi Vaile droite avant, que mon père ne dise rien ! » Tout s'est passé pour le mieux, le lendemain matin, au déjeuner, le père s'est mis à discourir :

— Mes enfants, a-t-il dit, il faut que je vous raconte un véri- table prodige. Hier soir, à dix-neuf heures, et par un maladroit qui sortait d'une maison, j'ai été accroché rue Balzac. J'allais l'écrire à l'assurance. Et ce matin figurez-vous que mon aile est absolument neuve ! Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi j'appelle cela un miracle 1

HERVÉ L A U W I C K .

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