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Pourquoi les élèves en apprennent-ils si peu? À la recherche de réponses au sein des classes d'élèves d'haïti 1

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Pourquoi les élèves en apprennent-ils si peu ? À la recherche de réponses au sein des classes

d'élèves d'Haïti 1

Melissa Adelman, Juan D. Baron, Moussa Blimpo, David K. Evans, Atabanam Simbou et Noah Yarrow

Mai 2015

1. Contexte

Au cours des dix dernières années, le système éducatif haïtien a considérablement amélioré son accessibilité, de sorte que la majorité des enfants du pays fréquentent l'école désormais.

La majorité des enfants d'âge préscolaire et 90 % des enfants officiellement en âge de se rendre à l'école primaire (6-11 ans) sont scolarisés. Le taux de scolarisation net en école primaire s'est accru ces dernières années, passant d'environ 50-60 % au début des années 2000 à 70-80 % en 2012 (Banque mondiale, 2014). Cette évolution constitue un progrès important pour Haïti, dont 58,5 % de la population vit dans la pauvreté. Cependant, la scolarisation est loin d'être universelle et les résultats effectifs, en termes d'apprentissage et de réussite, demeurent insatisfaisants.

Malgré certaines améliorations, le système d'éducation primaire reste très inefficace : les enfants entrent en école primaire avec deux ans de retard en moyenne et moins de 60 % d'entre eux parviendront à atteindre le dernier niveau du cycle2. Si l'âge officiel d'entrée à l'école primaire est 6 ans, l'âge moyen des enfants entrant en première année pour la première fois est 7,8 ans, après deux ans ou plus passés en école maternelle ou un établissement comparable. Cette distorsion s'aggrave au fur et à mesure : près de 10 % des enfants, en effet, redoublent une classe et entre 2 et 6 % d'entre eux à chaque niveau abandonnent l'école primaire. Ce taux de redoublement est plus élevé que les moyennes observées dans le reste de la région ALC et en Afrique sub-saharienne. Si l'on se base sur une approche de cohorte simulée, ces taux impliquent que seuls 58 % des enfants en première année parviendront à atteindre le niveau 6 et seulement 29 % d'entre eux atteindront la dernière année du cycle secondaire. Concernant ceux qui parviennent à achever avec succès le cycle primaire, les âges moyens par niveau indiquent qu'il faut 7 à 8 ans pour parvenir à terminer le cycle durant normalement 6 années.

1 Les auteurs souhaitent remercier Violeta Arancibia, Barbara Bruns, Peter Holland, Raju Singh, Samira Halabi, Ludovic Signarbieux et Jeff Ramin pour leurs échanges et leurs commentaires et le Fonds d'évaluation d'impact stratégique de la Banque mondiale pour le financement de la collecte de données.

2 Les données utilisées pour les calculs indiqués dans ce paragraphe proviennent de l'Enquête démographique et de santé et des Indicateurs de développement dans le monde de 2012. De plus amples informations sur ces données sont

Public Disclosure AuthorizedPublic Disclosure AuthorizedPublic Disclosure AuthorizedPublic Disclosure Authorized

96500

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Mais surtout, l'apprentissage de nombreux élèves, en particulier dans les communautés les plus pauvres, semble très insatisfaisant. Les évaluations menées dans chaque niveau d'un nombre choisi d'écoles ont montré que les compétences fondamentales sont acquises très lentement voire pas du tout, en particulier dans les écoles des communautés pauvres. Par exemple, les évaluations conduites dans des écoles situés dans des zones défavorisées des départements de l'Artibonite et des Nippes ont montré que l'élève moyen de troisième année ne pouvait lire que 23 mots à la minute, soit bien en dessous des 35 à 60 mots par minute nécessaire pour la compréhension d'un texte de base (Research Triangle Institute 2010; USAID 2012).

Comment expliquer ces mauvais résultats en matière d'apprentissage ? Une fois les élèves scolarisés, de nombreux facteurs entrant également en ligne de compte influent sur l'apprentissage : les écoles doivent être ouvertes, les élèves et les enseignants doivent être présents, les élèves doivent être préparés à apprendre et les enseignants doivent disposer des compétences et de la motivation nécessaires pour enseigner d'une manière qui soit efficace. En Haïti, plusieurs de ces facteurs semblent dysfonctionner. Les enseignants fuient souvent leurs responsabilités, occupant plusieurs emplois à la fois pour boucler les fins de mois, tandis que les élèves manquent souvent l'école pour de multiples raisons, y compris en réponse aux absences de leurs enseignants. Des données basées sur un échantillon de pays en développement indiquent que l'absentéisme des enseignants à l'école primaire s'élèverait en moyenne à 19 % (Chaudhury et al. 2006). Parallèlement, la qualité de l'instruction et la fourniture de matériel d'apprentissage sont généralement considérées comme étant très limitées en Haïti (MENFP (Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle) 2013). Par exemple, dans le cadre des évaluations en langue française et en mathématiques des enseignants d'école primaire du Plateau central, dont les questions étaient tirées des examens de l'institut de formation des maîtres, seuls 10 % (Français) et 22 % (mathématiques) des enseignants ont été en mesure de répondre correctement à au moins la moitié des questions (MENFP et World Vision 2013). Globalement, d'après le recensement des écoles de 2013-2014, moins de 50 % des enseignants du primaire déclaraient être titulaires d'un diplôme du second degré.

L'absentéisme des enseignants n'est pas le problème. Au vu des taux d'absentéisme observés dans d'autres pays, le ministère de l'Éducation haïtien, avec l’appui de la Banque Mondiale, a mis en place un train de mesures visant à accroître le suivi de la présence des enseignants, appelé Initiative de renforcement des services scolaires - IRSS. Les directeurs d'école ont été équipés de téléphones portables et de caméras connectées à Internet et formés en vue de prendre quotidiennement des photos des enseignants qui ont été téléchargées vers une base de données centrale afin de permettre une vérification par les inspecteurs du ministère. Une évaluation de l'impact du déploiement de l'IRSS sur un échantillon aléatoire de 200 écoles primaires (100 traitement et 100 contrôle) dans les départements Nord et Nord-Est a montré que l'absentéisme des enseignants est de type inhabituel et est, en réalité, très faible en moyenne. Concernant l'ensemble des visites d'école non annoncées, dans plus de 70 % des écoles, l'absentéisme était inférieur à 5 %, tandis que dans le reste des écoles, ce taux atteignait presque 30 %. Ce groupe d'écoles au fort taux d'absentéisme a fortement varié au fil des visites non annoncées. Le Nord-Est est une zone très marquée par la ruralité et constitue l'un des trois départements les plus pauvres des 10 départements que compte le pays. De l'autre côté, le Nord abrite la seconde plus grande ville du pays et est, par conséquent, plus prospère (Banque mondiale, 2014).

Si ces deux départements demeurent particuliers par rapport aux autres, il n'y a pas lieu de penser que

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Cette découverte surprenante s'explique en partie par le dispositif d'incitation assez unique s'appliquant aux enseignants haïtiens. Plus de 80 % des écoles primaires sont non publiques : les enseignants qui y travaillent sont principalement des employés qui peuvent être licenciés à tout moment et sans motif, ce qui, par conséquent, tend à renforcer les mécanismes de responsabilisation.

Même dans les écoles publiques, où la sécurité de l'emploi est renforcée, le paiement des salaires n'est pas toujours assuré, ce qui motive les enseignants à se rendre au travail dans l'espoir de recevoir peut- être un paiement. Lorsqu'il se produit, l'absentéisme relève manifestement d'un problème systémique : la majorité du personnel scolaire ne se rend pas au travail en raison du non-paiement des salaires par le gouvernement, et ce jusqu'à cessation des activités de l'école. Pour plus d'informations et de données sur cette question voir Adelman et al. (2015).

Étant donné que les enseignants sont présents dans les classes, qu'est-ce qui dans l'action des enseignants en classe pourrait expliquer les mauvais résultats d'apprentissage des élèves ? Un temps minimal passé en classe est une condition nécessaire, mais loin d'être suffisante, influant sur les résultats de l'apprentissage des élèves. Si le temps passé en classe est insuffisant, les bénéfices apportés par les facteurs pourraient s'avérer limités (Gillies et Quijada 2008, UNESCO 2008). De plus, la façon dont les enseignants utilisent leur temps en classe permet de déterminer le niveau de productivité sur cette période de temps et l'étendue de l'apprentissage par les élèves (Bruns et Luque 2015).

Dans l'optique de dégager des mesures sur le temps en classe effectivement offert aux élèves en Haïti et les pratiques moyennes des enseignants en classe, un sous-échantillon de 97 écoles de l'évaluation de l'impact a été réexaminé3. Dans chaque école, des observations en classe ont été menées à l'aide de la méthode appelée « Stallings Classroom Snapshot » [méthode Stallings d'instantané de la salle de classe] et des questions posées concernant le calendrier et l'emploi du temps quotidien. Les résultats fournissent une image représentative du temps passé en classe et des pratiques en classe des enseignants dans les départements Nord et Nord-Est, et, s'ils ne sont pas représentatifs d'Haïti dans son ensemble, ils offrent un bon point de départ pour mieux comprendre les principaux freins à l'amélioration du niveau de l'éducation pour tous les enfants, à savoir la qualité et le niveau d'instruction des enseignants. La Section 2 décrit l'échantillon d'écoles et la méthode Stallings, les Sections 3 et 4 présentent les principaux résultats des observations en classe concernant l'utilisation du temps par les enseignants et leurs pratiques pédagogiques, la Section 5 fournit des estimations du temps en classe global dont bénéficient les élèves et la Section 6 propose une conclusion.

2. Observations en classe : échantillon et méthode d'étude

Le MENFP s'est associé à la Banque mondiale et deux autres organisations (Institut de Formation du Sud - IFOS et FHI360) pour collecter les données à partir d'un sous-échantillon de 97 écoles ayant pris part initialement à l'initiative IRSS. L'échantillon est un échantillon aléatoire stratifié dont les strates sont définies selon les critères suivants : l'école appartient un groupe

3 L'échantillon comptait initialement 100 écoles; trois d'entre elles, cependant, n'ont pas pu être visitées, en raison du climat

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de traitement ou à un groupe de contrôle, l'école affiche un fort taux d'absentéisme ou un taux d'absentéisme faible, les résultats au test de lecture sont élevés ou sont faibles, sur la base des caractéristiques des écoles qui ont été mesurées4. Entre le 10 novembre et le 5 décembre 2014, sans être prévenue chaque école a été visitée par les collecteurs de données qui y ont mené des observations en classe et demandé au directeur de fournir le calendrier et les horaires d'ouverture de l'école. Les écoles sont généralement de petite taille, avec 23 élèves en moyenne par classe observée et une classe par niveau.5 En moyenne, 3,8 classes ont été observées dans chaque école. Le Tableau 1 décrit l'échantillon.

Les observations ont été menées à l'aide d'une version traduite en français de la méthode Stallings Classroom Snapshot ayant été récemment utilisé dans six pays d'Amérique latine et des Caraïbes (Bruns et Luque 2015). Cette méthode a été conçue à l'origine par Jane Stallings dans les années 1970 en vue de mesurer l'efficacité et la qualité des enseignants des écoles primaires aux États-Unis (Stallings 1977; Stallings et Mohlman 1988). Cette méthode permet de produire des données quantitatives concernant quatre aspects centraux de la pratique des enseignants en classe, à savoir l'utilisation du temps en classe, l'utilisation du matériel, les pratiques pédagogiques fondamentales et la capacité à motiver les élèves. L'encadré 1 propose une description plus détaillée de cette méthode et les instruments complets qui ont été utilisés en Haïti sont présentés à l'Annexe 1.

Tableau 1 : Échantillon Panel A : Nombre d'écoles observées par département et secteur

Département Publiques Non publiques Total

Nord 15 53 68

Nord-Est 6 23 29

Total 21 76 97

Panel B : Nombre de classes observées par niveau

Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4 Niveau 5 Niveau 6 Total Nombre

de classes

observées 18 78 101 72 89 11 369

Cette méthode d'étude génère des données solides, quantitatives et comparables, ce qui en fait des données utiles dans le contexte des pays en développement. Les recherches montrent qu'un coefficient d'objectivité de 0,8 ou plus peut être atteint avec un minimum de formation, et parce

4 Ces strates ont été établies principalement en vue de d'étudier si l'utilisation du temps par l'enseignant était affectée par l'intervention ou si l'utilisation du temps par l'enseignant était corrélée avec l'absentéisme. Aucun effet n'a été identifié.

5 En moyenne, les écoles publiques sont de plus grande taille que les écoles non publiques et les garçons et les filles

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que la méthode n'est pas biaisée par rapport aux programmes, les résultats sont directement comparables entre les écoles et les contextes géographiques (Abadzi 2007; DeStefano et al. 2010;

Bruns et Luque 2015). De plus, les résultats peut être comparés aux meilleures pratiques de référence identifiées par Stallings, Knight et Markham en 2014 sur la base de leurs recherches aux États-Unis (Tableau 2).

Cependant, cette méthode comporte des limites importantes dont il est essentiel de tenir compte lorsque l'on interprète les résultats6. Tout d'abord, les enseignants sont conscients de la présence de l'observateur et de l'objet de cette présence en classe, ce qui accroît le potentiel d'effets Hawthorne non négligeables. Les résultats pourraient donc être interprétés comme la captation d'un moment durant lequel les enseignants exercent un effort quasi-maximum. De plus, les détails de la pratique et du contenu pédagogiques de ce qui est enseigné ne sont pas mesurés par cette méthode.

Si cet aspect facilite la comparaison, cela implique également que la méthode fait l'impasse sur certaines composantes importantes de la pratique en classe des enseignants, comme par exemple les interactions entre enseignants et élèves, qui sont étudiées par d'autres outils plus complexes. Ces deux limites ont un impact tout particulier pour le cas haïtien qui sera abordé à la section suivante. La troisième limite dépend du fait que les observations n'ont été effectuées qu'une seule fois par classe et qu'elles ne constituent donc pas des données fiables du point de vue de la pratique individuelle des enseignants, de sorte que les résultats sont présentés à la section suivante à l'échelle des écoles ou de façon encore plus agrégée. Enfin, la façon de grouper les élèves par enseignant peut également avoir un impact sur la pratique des enseignants et l'apprentissage des élèves, par exemple, lorsque des élèves particulièrement doués sont regroupés ensemble. En Haïti, les écoles sont généralement petites et la plupart de celles de l'échantillon ne comptaient qu'une seule classe et enseignant par niveau, ce qui réduit l'importance de cet effet.

Tableau 2 : Meilleures pratiques de référence de Stallings concernant l'utilisation du temps par les enseignants

Activité Référence établie sur la base des

recherches aux États-Unis

6 Une autre limite de la méthode Stallings est le manque d'informations détaillées sur les interactions entre élèves et enseignants. Les interactions dans le cadre de l'instruction, en particulier celles qui sont intentionnelles, axées, directes et qui font intervenir le feed-back, sont importantes car elles offrent aux élèves l'opportunité de mettre en pratique leurs capacités acquises et d'améliorer leur développement cognitif (Pianta et al 2002). D'autres instruments axés sur ces interactions, tels que le Classroom Assessment Scoring System (CLASS), pourraient compléter utilement les information collectées par la méthode Stallings. Cependant, étant donné la complexité de l'application de ces instruments, leur usage devrait plus particulièrement s'avérer utile aux exercices de formation des enseignants, plutôt que pour la collecte de données à grande échelle.

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Instruction 85 % ou plus

Instruction active 50 % ou plus

Cours magistral/exposé Lecture à voix haute

Discussion/débats/questions et réponses

Pratique et simulation

Instruction passive 35 % ou moins

Travail individuel Copie

Gestion de la classe 15 % ou moins

Distraction de la classe 0 %

Sources : Stallings, Knight et Markham 2014; Bruns et Luque, 2015

3. Utilisation du temps de classe et motivation des élèves

Les enseignants haïtiens consacrent plus de temps à l'instruction que ceux des autres pays de la région ALC, qui reste cependant inférieur à celui des bonnes pratiques de référence.

D'après leurs recherches menées sur plusieurs dizaines d'années aux États-Unis, Stallings, Knight et Markham (2003) font apparaître que les enseignants des districts scolaires les plus performants passent en moyenne 85 % du temps de classe à l'instruction, 15 % à la gestion de la classe et 0 % à des activités de distraction (voir Tableau 2). Dans la région Amérique latine et Caraïbes, les enseignants ne consacrent en moyenne que 52 à 65 % du temps de classe à l'instruction, contre 76 % dans l'échantillon haïtien (Figure 1). Ce temps supplémentaire consacré à l'instruction est principalement lié au fait que les enseignants haïtiens passent beaucoup moins de temps aux activités de gestion de la classe (attribution de notes, gestion de la discipline, etc.). Le temps de distraction de la classe est légèrement inférieur en Haïti également, avec un taux de 7 % contre 9 à 14 % pour la région ALC. Cependant, si le temps moyen consacré à l'instruction en Haïti est plus élevé que celui des pays voisins, il n'en demeure pas qu'il reste inférieur à la référence en matière de bonnes pratiques, établie à 85 %, ce qui signifie que 10 % du temps d'instruction, l'équivalent d'une demie journée d'école, est perdu. De plus, comme l'indique la Figure 2, on observe des écarts importants entre les écoles pour ce qui est du temps consacré à l'instruction. La forme de cette distribution correspond à celle observée dans les pays voisins de la région ALC (Bruns and Luque 2015).

Encadré 1 : Méthode Stallings Classroom Snapshot (tiré de Bruns et Luque, 2015)

La méthode Stallings recourt à une grille de codage standardisée pour enregistrer les activités et le matériel utilisé par l'enseignant et les élèves durant un cours. Dix observations distinctes ou

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« instantanés » sont effectués à intervalles réguliers durant le cours de chaque période de classe. Par exemple, si une classe dure 50 minutes, des observations sont effectuées toutes les 5 minutes.

Chaque observation dure 15 secondes. Durant ces 15 secondes, l'observateur scanne la salle de classe selon un cercle à 360°, en commençant par l'enseignant et attribue un code à chacune des principales caractéristiques de la dynamique opérant dans la salle de classe de manière détaillée : (1) la façon dont l'enseignant utilise le temps de la classe selon trois grandes catégories (instruction, gestion de la classe et autres activités considérées comme des distractions) ; (2) si le temps est utilisé pour l'instruction, quelles sont les pratiques pédagogiques auxquelles il a recours ; (3) si le temps est utilisé pour l'instruction, quel est le matériel utilisé , et (4) quelle proportion d'élèves en classe est concentrée sur les activités réalisées par l'enseignant et/ou affiche des comportements de distraction (comme des interactions sociales ou des signes évidents d'absence de concentration sur les activités en cours). Les activités sont catégorisées de la manière suivante :

Utilisation du temps Pratique spécifique

Activités d'instruction Cours magistral/exposé

Lecture à voix haute

Discussion/débats/questions et réponses Pratique et simulation

Travail individuel Copie

Gestion de la classe Instruction à l'oral

Discipline

Organisation de la classe

Organisation de la classe uniquement Enseignant pas à la tâche Enseignant absent de la salle de classe

Enseignant en interaction sociale avec les élèves Enseignant non impliqué ou en interaction sociale avec autrui

La grille de codage a un format matriciel selon lequel différentes activités sont énumérées sur un axe vertical et le matériel utilisé indiqué sur un axe horizontal. Chaque activité compte deux lignes, la ligne du haut indiquant avec qui l'enseignant interagit dans la salle de classe : s'il s'agit de l'ensemble de la classe, d'un grand groupe d'élèves (6 et plus), d'un petit groupe d'élèves ou d'un seul élève. La ligne du bas indique ce que certains élèves font, si toute la classe ne participe pas à la même activité que celle de l'enseignant.

INSTANTANE DOBSERVATION DUNE CLASSE MATERIEL

ACTIVITE

PAS DE

MATERIEL LIVRE CAHIER TABLEAU NOIR

AIDES DIDACTIQUES /MANIPULAT IVES

TIC COLLABORATION

1. LECTURE A VOIX

HAUTE M 1 P G C 1 P G C 1 P G C 1 P G C 1 P G C 1 P G C P G C E 1 P G 1 P G 1 P G 1 P G 1 P G 1 P G P G

COCHER SI LA LECTURE EST A VOIX HAUTE ET A LUNISON La rangée M:

indique les activités qui impliquent le maître / la maîtresse

La rangée E: indique les activités qui impliquent l’élève & et pas Le maître / la maîtresse le maître / la maîtresse

1, P, G, C: indiquent un individu, un groupe petit ou grand et une classe entière respectivement

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Figure 1 : Les enseignants haïtiens consacrent plus de temps à l'instruction que leurs voisins de la région ALC

Remarque : Les échantillons tirés de chaque pays ne sont pas statistiquement représentatifs de toutes les écoles du pays

en question. Voir Bruns et Luque pour plus d'informations concernant les échantillons des pays autres qu'Haïti Sources : Les données provenant d'autres pays qu'Haïti sont tirées de Bruns et Luque 2015

La majeure partie du temps non consacrée à l'instruction concerne la gestion de la classe, mais une part importante est perdue dans des activités de distraction. En moyenne, les enseignants consacrent près de 10 % du temps de la classe à des activités de gestion qui ne font pas participer les élèves et passent 5 % du temps en dehors de la classe (Figure 3). À ces moments-là, si certains élèves restent concentrés sur leurs devoirs comme copier ce qui se trouve au tableau, au moins la moitié du temps un grand groupe d'élèves (6 ou plus) le consacre à des interactions sociales. Étant donné la rareté du temps de classe disponible (abordée à la Section 4), cela constitue une opportunité gaspillée.

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Figure 2 : Le temps moyen consacré à l'instruction varie fortement entre les écoles

Figure 3 : La majeure partie du temps non consacré à l'instruction est consacré à la gestion de la classe

01234

Density

0 .2 .4 .6 .8 1

Time on academic activities

kernel = epanechnikov, bandwidth = 0.0324

Across school variation

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Qu'est-ce qui permettrait d'accroître le temps de classe consacré à l'instruction en Haïti ? Comme il a été indiqué à la Section 1, plus de 80 % des écoles primaires sont non publiques et comprennent un mélange d'écoles à but non lucratif, à but lucratif, religieuses ou autres. Dans le secteur non public, les enseignants sont embauchés directement par les écoles dans lesquelles ils travaillent et ne sont pas fonctionnaires. Cela implique que leur motivation à faire preuve de plus d'effort peut être plus élevée, étant donné qu'ils peuvent être licenciés sans motif à tout moment.

Parallèlement, les enseignants des écoles publiques disposent d'une plus grande sécurité de leur emploi.

Cependant, d'après des entretiens, il apparaît que la plupart ne sont pas payés régulièrement et toute interaction avec des représentants du MENFP est considérée comme une opportunité de démontrer leur application au travail, dans l'espoir que le ministère prenne la décision d'effectuer les paiements (Adelman et al., 2015). La Figure 4 montre en effet que l'utilisation du temps en classe est assez comparable entre les écoles publiques et non publiques dans l'échantillon. Dans les deux cas, les effets Hawthorne pourraient avoir été plus importants en Haïti qu'ailleurs dans la région ALC, car les enseignants, quelle que soit l'école, ont pu considérer l'observateur capable d'avoir une influence sur le maintien de leur emploi ou sur leurs chances de recevoir un paiement de salaire.

Malgré un taux élevé d'utilisation du temps de classe consacré à l'instruction, de nombreux élèves ne sont pas concentrés et, de ce fait, passent à côté d'une partie de l'enseignement du professeur. La Figure 5 montre que les enseignants haïtiens ne parviennent pas à maintenir

concentrés au moins une partie des élèves sur les activités qu'ils effectuent, plus fréquemment que dans les autres pays de la région ALC. Les observateurs ont remarqué que les élèves qui n'étaient pas concentrés regardaient souvent dans le vide ou avaient leur tête baissée, possiblement en train de dormir, tandis que d'autres jouaient à des jeux ou se passaient des messages les uns aux autres. Les enseignants ont de façon générale ignoré ces élèves, sans tenter de les ramener à la discipline ou de les motiver à suivre le cours.

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Figure 4

Figure 5

Remarque : La proportion de temps de classe avec un groupe important d'élèves non concentrés sur les activités de la

classe est un sous-groupe du temps de classe avec (au moins) quelques élèves non concentrés sur les activités de la classe.

Sources : Les données des pays autres qu'Haïti sont tirées de Bruns et Luque 2015.

Des résultats probants indiquent que le temps consacré à l'instruction est corrélé avec

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toute la région ALC, il existe une corrélation positive entre le fait que les enseignants consacrent plus de temps de classe à l'instruction et les notes d'examen des élèves (Bruns et Luque 2015). En Haïti, des évaluations de l'habileté à la lecture en école primaire (EGRA) ont été conduites sur un échantillon d'élèves de niveau 3 et 5 à la fin de l'année scolaire 2013-2014, dans le cadre de l'évaluation de l'impact conclusive de l'IRSS. Dans la Figure 6a, il apparaît que les scores EGRA en ce qui concerne le créole sont corrélés avec la proportion de temps de classe consacré à l'instruction pour les enseignants ayant enseigné en 2013-2014 et en 2014-20157. Il n'existe aucune relation essentielle entre le temps total consacré à l'instruction et les résultats de l'évaluation. Cette absence de relation s'explique en partie par l'intervalle de temps entre l'évaluation (mai-juin 2014) et le moment des observations (novembre- décembre 2014), au cours duquel les enseignants ont pu avoir modifié leurs pratiques et le fait que le groupe d'élèves ayant été soumis à l'évaluation était différent de celui observé en classe. Cependant, les notes EGRA et la proportion de temps de classe durant lequel toute la classe est concentrée sur le cours sont clairement corrélés positivement (Figure 6b). Les résultats indiquent que les enseignants en mesure de maintenir toute la classe concentrée efficacement sur le cours ont un impact sur l'apprentissage. Il est toutefois important de noter que les notes moyennes les plus élevées de 80- 90 points demeurent très basses. L'évaluation est conçue pour tester les compétences qui devraient avoir été acquises dans les premiers niveaux (1-3), selon une performance parfaite de 321 points.

Comme nous le montrerons à la section suivante, la plupart des enseignants recourent à des pratiques pédagogiques peu efficaces, ce qui explique probablement ces résultats.

Figure 6a : Le temps global consacré à l'instruction n'est pas fortement corrélé avec les résultats en matière d'apprentissage dans les classes de 3e et 5e niveaux

5060708090

Average Kreyol EGRA score (3rd and 5th graders)

.2 .4 .6 .8 1

Share of class time on instruction

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Figure 6b : Le temps consacré à l'instruction lorsque l'ensemble de la classe est concentrée sur le cours est positivement corrélé avec les résultats en matière d'apprentissage dans les classes de 3e et 5e niveaux

Remarque : les graphiques affichent la somme simple des moyennes sous-composantes d'EGRA des élèves de 3e et 5e niveaux qui ont choisi de passer le test en créole haïtien (88 % des étudiants), dans les classes où l'enseignant avait été le même pour les deux années scolaires. Coefficient de corrélation dans la Figure 5a = 0,029 et dans la Figure 5b = 0,083.

4. Pratiques pédagogiques

Les enseignants appliquent principalement des méthodes d'instruction « active », en recourant trop fréquemment, cependant, à la répétition et sans parvenir à maintenir réellement l'attention des élèves. La Figure 7 montre que les cours magistraux/exposés, les discussions/débats/questions et réponses, la lecture à voix haute et la pratique/mémorisation constituent au total 54 % des 76 % du temps de classe consacré à l'instruction. S'il est avéré que ces méthodes sont plus fortement corrélées avec l'apprentissage que les méthodes d'instruction passive (copie et travail individuel), elles ont leurs limites en Haïti. Les enseignants consacrent la majeure partie du temps catégorisé comme cours magistral/exposé à leur faire cours proprement dit, sans suffisamment tester leur compréhension de ce qui leur est enseigné. Les discussions/débats/questions et réponses consistent pour l'enseignant à demander aux élèves de compléter à l'unisson ses phrases ou de répondre à l'unisson à des questions dont les réponses sont à mémoriser. Les lectures à voix haute et la pratique/mémorisation étaient également principalement pratiquées à l'unisson dans le cadre des observations. Dans toutes ces activités, les observateurs ont remarqué que les enseignants prêtaient rarement attention au fait que de nombreux élèves répondaient de façon incorrecte ou ne

5060708090

Average Kreyol EGRA score (3rd and 5th graders)

0 .2 .4 .6 .8

Share of class time on instruction w/ whole class engaged

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Quelle est l'efficacité de ces méthodes ? Les recherches montrent, par exemple, que les compétences de lecture des élèves s'améliorent lorsqu'on les engage activement à la lecture, l'écriture, l'expression, la discussion, la recherche et l'expérimentation autour d'un concept donné (Guthrie et al., 2004). Ces types d'activités n'ont pas été observés en Haïti, la réponse et la répétition à l'unisson constituant la principale forme d'interaction. Il est vrai que la répétition favorise le développement de compétences cognitives telles que la mémoire. Cependant, l'accent mis principalement sur la répétition ne permet pas au processus éducatif de développer les capacités cognitives plus complexes telles que la comparaison, l'analyse, le classement et l'évaluation (Taylor et al., 2003). De plus, les recherches montrent que lorsque le cours magistral ou l'exposé constitue la principale forme d'instruction, il se dégage une relation inverse avec un apprentissage réussi de la lecture (Taylor et al., 2002; Taylor et Peterson, 2006). Si les élèves restent assis et écoutent la majeure partie de la journée à l'école, ils n'ont que rarement l'occasion de réellement lire, écrire et de parler de ce qu'ils ont lu.

Le contenu de l'instruction est également faible. Si les observateurs n'étaient pas des praticiens de l'éducation et qu'il ne leur avait pas été demandé de faire des commentaires sur les contenus enseignés, ils ont néanmoins consigné les matières enseignées et la langue d'instruction utilisée. Il a été troublant de remarquer que si pour la vaste majorité des élèves haïtiens la première langue parlée à la maison est le créole haïtien, de nombreuses écoles haïtiennes n'apprennent pas à leurs élèves à lire et écrire en créole, choisissant de donner la priorité exclusive au français. Seules 9 % des cours observés ont été des cours de créole, tandis que les cours de français représentaient environ 30 %. Comme l'indique le Tableau 3, même en première année, seuls 12 % des cours observés étaient assurés en créole, contre 34 % en français, ce qui semble contredire la politique officielle du MENFP selon laquelle la lecture et l'écriture doivent être introduites exclusivement en créole en première année, le français devant être introduit seulement en deuxième année. De plus, les enseignants et les élèves semblent manquer de la maîtrise essentielle pour assurer et suivre les cours de français principalement en langue française : même pour les cours de lecture et d'écriture en français des niveaux 4 à 6, seul environ 50 % d'entre eux se faisaient principalement en français. Dans les autres classes, l'enseignant recourait à un mélange de créole et de français, ou parlait uniquement en créole. Ces résultats suggèrent que les élèves risquent de ne maîtriser ainsi aucune des deux langues et jette le doute sur la qualité de la formation des enseignants.

Tableau 3 : Matières enseignées par niveau

Français Créole Mathématiques Science Autres

1er niveau 34 % 12 % 30 % 10 % 14 %

2e niveau 26 % 14 % 35 % 11 % 15 %

3e niveau 32 % 7 % 41 % 5 % 14 %

4e niveau 19 % 13 % 49 % 12 % 7 %

5e niveau 32 % 6 % 43 % 8 % 11 %

6e niveau 35 % 0 % 51 % 10 % 5 %

(15)

Figure 7

Les enseignants utilisent principalement du matériel traditionnel et, souvent, les élèves ne disposent d'aucun matériel, ce qui limite également l'efficacité du temps consacré à l'instruction. La Figure 8 montre que 95 % du temps de l'instruction environ, les enseignants utilisent le tableau, un cahier, un manuel, ou aucun matériel. Ce recours intense au matériel traditionnel n'est surprenant, car les écoles en Haïti sont rarement équipées d'outils pédagogiques. Le recensement de 2013-2014 a montré que seul 17 % des écoles primaires du pays disposaient d'une bibliothèque et, dans cet échantillon, les observateurs ont relevé que dans plus de 70 % des salles de classe, il n'y avait ni images, ni affiches ou autre type de support pédagogique installés dans la salle. Parallèlement, si les élèves consacrent 20 % de leur temps d'instruction à des activités de travail individuel à leur pupitre ou à faire des copies de texte à partir du tableau, les observateurs ont noté que tous les élèves disposaient du matériel nécessaire (tel que papier et outil d'écriture) que moins de 40 % du temps, ce qui implique que de nombreux élèves dans l'ensemble étaient exclus de la pratique de ces activités.

Figure 8

(16)

5. Faire entrer les enfants et les enseignants dans la salle de classe

Si l'absentéisme des enseignants n'est pas répandu en Haïti, en revanche le temps passé en classe, lui, constitue un problème. Comme il a été indiqué à la Section 1, l'apprentissage par les élèves nécessite qu'un minimum de temps soit passé en classe (Gillies et Quijada 2008; UNESCO 2008). Afin d'estimer le temps effectif passé par les élèves en classe, les observateurs ont posé aux directeurs d'école plusieurs questions relatives au calendrier scolaire et à l'emploi du temps quotidien.

Au maximum, selon les données officielles relatives au calendrier scolaire et aux horaires de classe journaliers, les élèves du primaire sont censés recevoir 824 heures d'instruction par an. Ce volume est considéré comme nécessaire pour permettre l'apprentissage et est conforme aux moyennes régionales, tel que le montre le Tableau 4 (UNESCO 2008). Cependant, à chaque niveau, les élèves perdent des heures pour diverses raisons liées au système.

Tableau 4 : Volumes médians d'heures d'instruction au niveau 4 par région

Région Volume médian d'heures

d'instruction annuelles au niveau 4

Afrique subsaharienne 888

Asie de l’Est et Pacifique 821

Asie du Sud et de l'Ouest 734

Amérique latine et Caraïbes 796

Amérique du Nord et Europe de l'Ouest 808

Europe centrale et orientale 645

Sources : Gillies et Quijada 2008

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Le calendrier scolaire officiel du MENFP comportait 183 jours d'école en 2013-2014, mais de nombreux jours ont été perdus en raison de chocs récurrents. Si aucunes données globales sur les fermetures non programmées des écoles ne sont disponibles, celles-ci ferment couramment en cas d'évènements météorologiques extrêmes et de troubles sociaux. Par exemple, durant la période de collecte des données, de fortes pluies ont forcé le MENFP à annoncer la fermeture de toutes les écoles pendant une semaine entière et comme il a été déjà mentionné plus haut, trois écoles n'ont pas pu être jointes durant plusieurs semaines en raison de troubles sociaux. Des manifestations et des violences politiques, des grèves d'enseignants (souvent pour protester contre le non-paiement de leurs salaires) et d'autres évènements sporadiques mais courants peuvent entraîner la fermeture des écoles pendant des jours, voire plusieurs semaines. Parmi les 97 écoles de l'échantillon, les directeurs ont déclaré 1,2 jour en moyenne de fermeture non programmée de leur école, le mois précédent (octobre 2014).

Cela représente au moins 5 % de jours d'école perdus au cours de l'année scolaire.

Lorsque les écoles sont ouvertes, elles offrent 4,5 heures de temps de classe par jour, mais la majeure partie de ce temps est perdue au moins en ce qui concerne certains élèves. Comme la plupart des écoles en Haïti et dans l'échantillon sont non publiques, elles fixent elles-mêmes leurs propres horaires de fonctionnement. La majorité des cours commencent entre 7 h 00 et 8 h 00 le matin et se terminent entre midi et 13 h 00 avec une pause de 30 minutes durant la journée. Dans de nombreux pays, la journée scolaire est structurée de la même manière, mais uniquement pour laisser place à d'autres activités l'après-midi. En Haïti, seulement 8 % des écoles primaires déclaraient avoir des activités secondaires l'après-midi d'après le recensement de 2013-2014, laissant suggérer que les infrastructures ne constituent pas une contrainte à l'allongement des journées scolaires. Sur les 4 heures et demie de temps de classe, seulement 76 % est consacré à l'instruction ainsi que la Section 3 le montre, et seulement 29 % du temps de classe, soit 1,3 heure par jour est consacré à l'instruction mobilisant la concentration de la classe toute entière. De plus, dans de nombreuses écoles, les enfants consacrent beaucoup de temps à attendre d'être nourris dans le cadre des programmes d'alimentation à l'école, qui sont généralement exécutés durant les heures de classe. Cependant, cet aspect n'a pas fait l'objet de collectes de données.

Toutes ces déperditions impliquent que même les élèves les plus motivés ne bénéficient pas d'un temps d'instruction suffisant et que les élèves les moins engagés dans les études pourraient ne recevoir qu'une instruction extrêmement limitée, même en se rendant à l'école chaque jour. En y ajoutant les déperditions liées aux évènements météorologiques ou sociaux et les pertes de temps dues à la gestion de la classe ou les distractions, les élèves pleinement motivés et présents chaque jour ne bénéficieraient que de 594 heures d'instruction par an, tandis que les élèves les moins engagés mais se rendant à l'école chaque jour ne recevraient que de 230 heures d'instruction annuellement. Il découle de ces estimations que les élèves fréquentant régulièrement l'école sont loin de recevoir l'instruction minimale requise pour acquérir les compétences qui leur sont nécessaires.

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6. Conclusions

Globalement, les résultats des observations des classes par la méthode Stallings ont fourni des informations utiles sur la manière de fonctionner des classes en Haïti. Les enseignants en Haïti consacrent plus de temps à l'instruction que leurs homologues de la région ALC, peut-être en raison d'incitations plus grandes à faire des efforts. Si le temps d'instruction consacré à une classe entièrement concentrée est corrélé positivement avec l'apprentissage, la qualité de l'instruction apparaît comme relativement faible. Les pratiques pédagogiques concernent essentiellement la lecture et la réponse à l'unisson en classe et les enseignants semblent souvent ne pas se soucier de vérifier si les élèves ont bien compris les choses qui leur sont enseignées. Ce dispositif est particulièrement inefficace durant les premières années du primaire, au cours desquelles les enfants ont besoin de se doter des compétences fondamentales qui leur permettront de tirer le meilleur profit possible de leur présence à l'école dans les niveaux supérieurs. Étant donné que la plupart des enseignants semblent être dotés d'au moins un niveau minimal de motivation à enseigner, la priorité principale consiste à leur fournir les compétences et les outils qui leur permettront de le faire efficacement (par le biais de formations ciblées et pratiques, de leçons retranscrites et d'autres moyens).

Les résultats de cette étude sont en accord avec ceux de Hanushek and Woessmann (2012) qui analysent des évaluations internationales d'élèves de la région ALC pour en conclure que les efforts considérables déployés en vue de renforcer l'accès dans la région n'ont pas permis d'améliorer les résultats en matière d'apprentissage de manière à favoriser le développement des compétences et d'augmenter la productivité. En d'autres termes, les enfants se rendent à l'école mais n'en tirent pas les bénéfices escomptés. Il est impératif que les écoles de la région ALC, et d'Haïti en particulier où les ressources sont extrêmement rares, fournissent un service qui soit réellement capable de renforcer le capital humain des enfants. Dans cette étude, nous avons montré que les enseignants consacrent une part importante de leur temps à l'instruction, sans être en mesure de la rendre efficace et que les élèves apprennent très peu de choses. Quelle en est la raison ? Notre première hypothèse est le problème de la langue d'enseignement au cours des premières années. Les données collectées durant les observations de classe suggèrent que les compétences de lecture et d'écriture ne sont pas enseignées telles qu'elles devraient l'être, que ce soit en français ou en créole. De récents résultats de la recherche en neurolinguistique pourraient apporter certains éclairages sur la stratégie optimale pour exposer les enfants à deux langues différentes dans des contextes où la plupart d'entre eux, mais en particulier ceux les plus désavantagés, ne sont exposés que de façon limitée à l'une des deux langues. Il n'est pas surprenant de voir que les études mondiales révèlent que les enfants ont de grandes difficultés à apprendre à lire dans une langue qui ne leur est que partiellement familière à l'oral et l'enseignement de la lecture et de l'écriture dans deux langues différentes sans bénéficier de la maîtrise d'au moins une des deux peut entraîner des échecs pour les deux langues (Nakamura and de Hoop 2014).

La deuxième hypothèse est que l'instruction reste relativement inefficace en raison des méthodologies dépassées qui sont employées. Des enseignants n'ayant pas eux-mêmes reçu la

(19)

de renoncer aux techniques d'instruction traditionnelles qui reposent fortement sur les cours magistraux, la mémorisation et les réponses à l'unisson. Des études sur l'apprentissage et le développement cognitif des enfants montrent que la mémoire joue un rôle important, mais qu'elle doit être limitée au bénéfice d'autres compétences cognitives. Les enseignants doivent tenter de développer la capacité de leurs élèves à comprendre ce qu'ils leur enseignent, recourir à des stratégies telles que les questions et réponses « réelles » et stimuler leur engagement et leur participation en leur demandant de comparer, d'analyser, de réviser, d'évaluer et d'appliquer ce qui a été appris. Beaucoup de ces stratégies ne semblent pas être communément appliquées dans la plupart des salles de classe haïtiennes.

Quelles sont, par conséquent, les méthodes à employer pour améliorer l'instruction dans les classes haïtiennes? Sur le long terme, l'amélioration de la formation des maîtres de manière à renforcer leur maîtrise des contenus, à encourager la pratique et le feed-back dans les classes et à se conformer aux normes sur la base d'un programme révisé devrait contribuer à améliorer l'instruction et l'apprentissage des élèves. Celui-ci profiterait également de l'abandon des pratiques d'enseignement axées sur la répétition par les élèves qui ne les font participer que de manière passive à l'instruction.

Les nouvelles méthodes d'enseignement en Haïti devront exiger de la part des élèves qu'ils posent des questions, comparent, analysent et résolvent des problèmes et débattent de questions, notamment.

Ces approches devraient constituent la norme, plutôt qu'une exception. À court terme, au vu des insuffisances des programmes existants de formation des maîtres, des méthodes d'enseignement programmés orientant les enseignants pour chacun de leurs cours, assorties néanmoins d'un soutien et d'un accompagnement adéquats, pourraient s'avérer utiles pour améliorer l'apprentissage des élèves durant le cours. Deux de ces approches « Tout Timoun Ap Li », ToTAL, Tous les enfants lisent, soutenue par USAID et « M’Ap Li Nèt Ale », soutenue par la Banque mondiale, constituent des exemples prometteurs d'interventions visant à aider les enseignants à améliorer leur pratiques d'enseignement dans les écoles haïtiennes. À moyen terme, celles-ci devront être complétées par d'autres mesures visant à attirer, soigner, développer et soutenir les enseignants haïtiens de manière à améliorer l''ducation offerte aux élèves.

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