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Images en Dermatologie Vol. IX - n° 6 novembre-décembre 2016 177 Sir William Henry Perkin (1838-1907).

Paul Ehrlich (1854-1915).

©DR ©DR

Culture et peau

J usqu’à la fi n du siècle dernier,

les colorants ont été largement utilisés pour soigner les maladies de la peau.

Ainsi, en 1985, une étudiante en pharmacie, après un stage à l’hôpital Tarnier puis une visite à la pharmacie de l’hôpital Saint-Louis, consacre sa thèse (1) aux colorants utilisés en dermatologie, surprise et intriguée par cette utilisation massive ! Leur quasi-abandon récent a été aussi brutal que l’engouement qu’ils avaient suscité…

Historique de l’utilisation des colorants

Dès la fin du XIX

e

 siècle, les colorants ont été considérés comme des excipients pharmaceutiques : pour améliorer la présentation de certaines formes galéniques comme les sirops, mais aussi pour éviter la confusion entre médicaments d’aspect similaire, comme les comprimés. Vers 1906, on va les utiliser en thérapeutique après les avoir utilisés en bactériologie et en histologie.

Nature des colorants

Les colorants naturels

L’utilisation de pigments (ocre, manganèse) par l’homme est authentifi ée depuis plus de 250 000 ans. De possibles “boîtes à couleurs” ont été découvertes récemment en Afrique du Sud : elles datent de 100 000 ans  (2) . Les usages concernent le coloriage corporel, le maquillage du visage et des yeux (à titre esthétique et thérapeutique), les tatouages, mais aussi la teinture des vêtements, des lieux d’habitation, des aliments, etc.

Seuls une douzaine de colorants naturels ont été utilisés : l’indigo (bleu), extrait de l’indigotier, de la famille des papi- lionacées ; la garance (alizarine, colorant rouge extrait de la racine de Rubia tinctorum ) ; le campêche ; la gaude (jaune) ; la cochenille (carmin) ; les murex (coquillages dont on extrayait la pourpre) ; les boues et argiles ; l’oxyde de titane ; le carbo- nate de calcium ; la poudre de lapis-lazuli (bleu outremer) ; les noirs de carbone.

La peau teinte…

Histoire de l’utilisation des colorants en dermatologie

J. Chevallier (Dermatologue, Lyon)

Les colorants de synthèse Le chimiste anglais William Henry Perkin (1838-1907) synthétise la mau- véine, premier colorant violet à base d’aniline, en 1856 ; l’année suivante, il construit la première usine de colo- rants de synthèse, près de Londres.

Entre 1834 et 1928, de nombreux colo- rants sont synthétisés : citons l’acide rosolique (Runge, 1834) ; l’aniline, à partir de l’indigo (Fritzsche, 1841) ; l’acide picrique (Laurent, 1842), à partir du phénol tiré du goudron de houille ; la fuchsine (Verguin, à Lyon, 1859) ; les

“bleus de Lyon” (Girard et De Laire,

1860) ; le violet d’Hofmann (1863) ; le violet de Paris (Lauth, 1866) ; le vert à l’iode (Hofmann, 1866) ; les premiers azoïques (colorants azotés avec le brun Bismarck [1864-1869]) ; la tartra- zine ; le bleu de méthylène (Caro, 1876). L’industrie des colorants est à l’origine de l’essor de l’industrie pharmaceutique ; ainsi, le premier sulfamide, le rubiazol, était rouge. Soixante-dix pour cent des colorants trouvent un débouché dans l’industrie textile.

La première application thérapeutique a eu lieu en 1878 avec le carmin d’indigo, par Heidenhain. En 1906, Mesnil et Nicolle uti- lisent le bleu de trypan dans le traitement de la trypanosomiase (d’où le nom du colorant). Paul Ehrlich (1854-1915) l’avait syn- thétisé en 1904 pour mettre en évidence les cellules mortes qui se coloraient en bleu . Il utilisait aussi les colorants pour visua- liser les bactéries, et a eu l’idée de les utiliser pour les détruire, notamment avec le jaune d’acridine, en 1912. Ehrlich et Shiga

“signent ainsi les débuts de la ‘ Farben therapie ’, thérapeutique par les colorants contre les cellules de

la cible à détruire –  magic bullets  –,

idée inspirée par la spécifi cité de la

réaction toxine- antitoxine”  (3) . Pour

Anne-Marie Moulin, la “biologie du XIX

e

siècle a les doigts barbouillés de colo-

rants !”  (4) . Fairbrother et Renshaw

montrent en 1922 que la propriété

antiseptique des colorants est liée à

la présence de fonctions aminées. La

fl uorescéine et le rose Bengale sont

utilisés pour l’exploration des fonc-

tions hépatiques ou rénales.

(2)

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Culture et peau

Les principaux colorants

Les phtaléines

L’éosinate de césium est utilisé dans le traitement du choc anaphylactique en 1926 et dans la pathologie cutanée en 1932.

L’éosine est proposée en 1936 par Gougerot et Degos dans le traitement du psoriasis, des parakératoses, des mycoses et des infections cutanées bactériennes, et également pour visualiser des dermatoses invisibles.

Le mercurochrome est considéré alors comme un bactéricide puissant, efficace sur le staphylocoque. Il est préconisé comme antiseptique génito-urinaire, notamment dans la gonorrhée, et comme antiseptique oculaire et cutané dans les pyodermites, le pemphigus, le pityriasis versicolor, les brûlures, les gangrènes, etc.

Les azoïques

Ils sont utilisés pour leurs propriétés antiseptiques sur le staphylo coque et le bacille typhique, mais également pour leurs vertus cicatrisantes. Le bleu de trypan était proposé dans les trypanosomiases, les cancers et la maladie de Parkinson.

Les dérivés du triphénylméthane

Les fuchsines ont été utilisées dans le traitement des fistules anales par injection de solution hydralcoolique.

Le violet de méthyle, considéré comme actif sur les bactéries à Gram positif ou négatif, était utilisé pour le lavage des plaies, les conjonctivites purulentes et les affections génito-urinaires.

Le violet de gentiane était utilisé dans les parasitoses, la fila- riose et l’oxyurose.

Le bleu d’aniline semblait avoir une action curative dans le cancer.

Les dérivés de l’indole

L’action antiseptique de l’indole était considérée comme supé- rieure à celle du phénol.

Les colorants de l’acridine

Le jaune d’acridine a été un adjuvant dans le traitement de la méningite et était considéré comme actif sur Salmonella typhi.

L’acriflavine était considérée comme antiseptique et a été uti- lisée dans les années 1930 dans le lavage des plaies, le trai- tement de la gonorrhée, les infections à colibacille des voies urinaires, l’érysipèle et les blépharites purulentes.

Le flavocide était indiqué dans l’eczéma, la furonculose, la diphtérie, la blennorragie et l’antisepsie des plaies.

La synflavine était un antiseptique utilisé en chirurgie et en dermatologie.

Les dérivés de la quinone-imine

Le bleu de méthylène était utilisé comme antiseptique génito - urinaire, buccal, oculaire et intestinal, mais aussi comme anal- gésique et comme stimulant des centres respiratoires.

Les colorants utilisés en dermatologie et leurs indications

Un article de 1946 de Degos et Delort (8) semble essentiel quant aux indications des colorants en dermatologie : peu d’éléments vont se modifier pendant 40 ans. Ces auteurs vantaient les mérites et l’innocuité des colorants, et déploraient déjà l’oubli dans lequel ils étaient tombés. Les colorants agiraient par leur action déshydratante et tannante de la peau, par leur action dénaturante, coagulante des protéines cytoplasmiques. La peau devient ainsi impropre à l’agression bactérienne. En effet, à la grande déception des biologistes, il n’existe pas de colo- rants réellement vitaux : rappelons l’idée d’Ehrlich d’utiliser ce pouvoir destructeur en thérapeutique.

Colorants acides ou anioniques

L’éosine

Elle est très soluble dans l’eau (rouge), moyennement soluble dans l’alcool (verdâtre). On lui attribuait des propriétés anti- septiques lentes, tannantes et desséchantes de la peau. Son spectre comportait les streptocoques, les staphylocoques et les champignons. En 1982, Aron-Brunetière et al. (9) lui accor- daient un pouvoir antiseptique léger (et encore, seulement si la solution était exposée à la lumière) et un pouvoir anti- prurigineux. Thivolet (10) et Guillet (11) lui attribuent une action anti- inflammatoire.

Elle est utilisée en solution aqueuse ou alcoolique à 1 ou 2 %. Les solutions alcooliques sont réservées aux lésions sèches, mais le pouvoir desséchant de l’alcool s’ajoute à celui de l’éosine. Les indications sont alors le psoriasis, les para- kératoses, l’érythème fessier du nourrisson, la dyshidrose.

Kipnis (12), en 1978, la propose pour son pouvoir sensibilisant chez les psoriasiques, avant un traitement par ultraviolets ; cela permettrait de réduire la durée du traitement.

La fluorescéine

Sa solubilité est comparable à celle de l’éosine. Elle est bactério statique dès la concentration de 0,1 % (13), et son spectre est large. Elle est utilisée en solution aqueuse ou alcoo- lique aux concentrations de 1, 2, 0,1 et 0,2 %. Les indications dermatologiques sont l’antisepsie des muqueuses génitales, les parakératoses, la dyshidrose et l’eczéma non suintant.

La mercurescéine

Très soluble dans l’eau, insoluble dans l’alcool, c’est un anti-

septique léger, de moins en moins utilisé pour Delanoë (14),

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Culture et peau

bactériostatique, surtout sur les bactéries à Gram positif, pour Aron-Brunetière. On utilisait les solutions aqueuses à 1 ou 2 %. Les indications étaient la désinfection des plaies super fi cielles et peu étendues et le traitement des ulcères indolores.

Colorants basiques ou cationiques

Le violet de gentiane

Il est moyennement soluble dans l’eau et dans l’alcool.

C’est le nom commun donné aux méthyl violets 2B (violet de méthyle), 6B et 10B (cristal violet, ou violet de Paris). Le vert de méthyle ainsi que le cristal violet, le vert brillant et le vert malachite sont considérés comme bactériostatiques à toutes les concentrations. Le violet de gentiane est surtout utilisé aujourd’hui en bactériologie pour l’élaboration de la coloration de Gram. On accorde à ces colorants une action sur les bactéries à Gram positif due à l’inhibition de la synthèse de la paroi bactérienne et un pouvoir fongicide sur Candida albicans. On les utilise seuls ou associés en solution aqueuse de 0,05 à 2 %. La solution de Milian (cristal violet et vert de méthyle à 0,25 g, alcool à 60° 100 ml) est très utilisée en France, alors que les Anglo-Saxons utilisent le triple dye (cristal violet 229 mg, vert brillant 229 mg, hémisulfate de profl avine 114 mg, eau qsp 100 ml), considéré comme anti- staphylococcique et antistreptococcique. Les indications sont alors les plaies, les brûlures infectées, l’inter trigo des plis et autres candidoses, les dermatoses infectées et les derma- toses bulleuses.

Le bleu de méthylène

Soluble dans l’eau, moins dans l’alcool, il est considéré comme un antiseptique bactériostatique et un cicatrisant.

Il est prescrit localement dans les stomatites (sous forme d’attouchement ou de collutoire) et les balanites. Par voie orale, il est éliminé par le rein, colore les urines et est un anti- septique urinaire. Par voie parentérale, il est antiméthémo- globinisant : c’est un antidote de l’intoxication aux cyanures ou aux autres agents méthémoglobinisants (comme la dapsone) [encadré 1] .

Produits assimilés aux colorants

Le permanganate de potassium

Considéré comme un excellent antiseptique, fongicide et viru- cide, il est aussi asséchant et un peu décapant, car il oxyde la matière organique. On l’utilise en solution aqueuse préparée extemporanément, en bains ou longues applications. Il est irri- tant à une concentration supérieure à 1/20 000. Les indications sont nombreuses : antisepsie de la peau dans les infections variées, soins postopératoires, prévention de l’infection dans les dermatoses bulleuses ou en cas de grattage. Il est très peu toxique mais colore les ongles (encadré 2, p. 180) .

L’iode

Il a une action bactéricide rapide et fongicide vis-à-vis des dermatophytes. On utilise la teinture d’iode, solution alcoolique à 5 %, ou l’alcool iodé, solution alcoolique à 1 %. Son indication principale était les staphylococcies.

Le nitrate d’argent

C’est un antiseptique bactéricide et un asséchant ; il préci- pite les protéines. Il est utilisé en solutions aqueuses à 0,1, 1, ou 2 % ou sous forme de crayon. Ses indications étaient les staphylococcies, les streptococcies, dont l’impétigo, l’eczéma suintant, les maladies bulleuses, le bourgeonnement excessif des plaies et ulcères.

Les conséquences pour les patients :

le pittoresque des services de dermatologie Le Dr Jacques Rudloff, dermatologue installé à Cherbourg en 1946, évoque ses souvenirs de l’époque  (15) : “Pour traiter les eczémas, les colorants étaient à la mode : le rouge, le vert, le violet, le bleu, le noir. Dans les cours et les couloirs

Encadré 1. La “chromothérapie” de la lèpre.

Cette technique a été expérimentée à partir de 1930 en injections intra- veineuses : mercuro- chrome, vert brillant, bleu de trypan, fluorescéine, éosine… Montel, de Saïgon (Vietnam) , publie dès 1934 sur les résultats obtenus avec le bleu de méthy- lène, le “sauveur bleu”.

“Au cours de l’injection et quelques instants après, le tégument du patient, les muqueuses (face et lèvres en particulier) prennent une teinte livide, ardoisée ; le masque devient effrayant, cada- vérique, en contraste avec l’état général du sujet qui semble ne s’apercevoir de rien” (6). Le colorant se fi xe électivement dans les lésions lépreuses. Pour Berthezène (7), “cette coloration, qui stig- matise et souvent inquiète les malades, disparaît après la cessation du traitement en un temps variable, d’un mois environ”. Les 2 cas traités à Lyon n’ont montré qu’une amélioration passagère dans 1 cas (fi gure 1).

Figure 1. Patient lépreux traité par le bleu de méthylène. In Berthezène R, Traitement de la lèpre par le bleu de méthylène. Thèse de médecine.

Lyon ; 1936 (coll. J. Freney, Lyon).

(4)

Images en Dermatologie Vol. IX - n° 6 novembre-décembre 2016 180

Figure 2. Lavages urétraux en batterie dans une prison . In Cattier.

La blennorragie dans l’armée. Paris : J.B. Baillière et fi ls, 1919.

©Coll J. Chevallier

Culture et peau

de Saint-Louis déambulaient ces malades polychromes, chaque patron ayant sa couleur préférée.” Il n’en existe malheureusement que peu de traces photographiques ; il était de règle de ne prendre aucune photographie dermato logique de lésions auxquelles on aurait appliqué des colorants, qui, évi- demment, fausseraient leur couleur naturelle. On peut toutefois deviner la gêne que cela entraînait pour les patients , déjà honteux de présenter une maladie de peau  (16) . Le comble était peut-être de couvrir un patient érythrosique d’éosine (fi gure 4) ! D’autant que d’autres traitements topiques appli- qués sur la peau participaient au pittoresque de l’ensemble.

Citons le témoignage d’une infi rmière lyonnaise, Francine Bajon, daté de 1936 : “On manipulait la pommade de Milian pour les galeux, l’oxyde de zinc ou le goudron. Jaunes, blancs ou noirs, les malades avaient toutes les couleurs”  (17) . Nous nous souvenons aussi de l’aphorisme appris en service de dermatologie : “Quand c’est rouge, il faut mettre du bleu, quand c’est bleu, il faut mettre du rouge” !

Enfi n, rappelons que les premières photographies en noir et blanc illustrant les traités de dermatologie de la seconde moitié du XIX

e

 siècle étaient souvent colorées en rouge ou en jaune – mais à l’aquarelle ! – pour mieux mettre en évidence les lésions (fi gure 5) .

Et aujourd’hui ?

Les mercuriels ont été pratiquement retirés de la pharma- copée.

Le bleu de méthylène fait partie de la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), même si le Collubleu

®

(collutoire à 2,42 %) n’est plus commercialisé depuis le 1

er

mars 2003.

Les sites Internet nous rappellent que le violet de gentiane reste un excellent traitement pour Candida albicans . Il peut être utilisé pour traiter le muguet du nourrisson ainsi que la candidose des canaux lactifères chez la femme allaitante, responsable de brûlures. Il est alors recommandé de ne pas l’employer seul et, comme il est très salissant, de mettre un peu d’huile d’olive sur les joues et autour de la bouche du bébé. En revanche, bleu et éosine sont très prisés pour sécher les lésions de varicelle, ce qui permet aux parents de faire de pittoresques photos qu’ils exposent sur les réseaux sociaux (fi gure 6) .

Les antiseptiques iodés commercialisés restent utiles dans la préparation du champ opératoire.

Un peeling récent (le Blue Peel

®

du Dr Obagi) passe par une phase de coloration du visage d’un bleu intense. Celle-ci donne un aspect de Schtroumpfette, curieusement bien accepté (fi gure 7) .

Encadré 2. Les grands lavages urétraux (fi gures 2 et 3).

● Cette méthode, préconisée par Jules Janet (1861-1940) en  1892, semblait donner de bons résul- tats. Étaient utilisés le permanganate de potasse (Janet), le protargol (albumi- nate d’argent), l’oxy- cyanure de mercure (Motz). Janet conseil-

lait de limiter le traitement à l’urètre antérieur, s’il était seul infecté, ou de faire un lavage urétro-vésical, si l’infection s’étendait à l’urètre postérieur. La dose de permanganate devait être inversement proportionnelle à l’état d’infl am- mation du canal. Les lavages devaient être réalisés 1 fois par jour et poursuivis jusqu’à l’obtention d’une urine limpide…

Un tube de caoutchouc est introduit par le méat du malade couché, le récipient est placé à 40 cm de hauteur pour un lavage antérieur et à 80 cm pour un lavage de l’urètre posté- rieur. Les résultats sont de l’ordre de 80 % de guérison en moins de 2 mois, avec 15 % de complications.

● Les colorants (violet de gentiane, bleu de méthylène, mercurochrome) sont aussi utilisés. Bull et Klein montrèrent en 1918 le pouvoir bactéricide des sels d’acridine (trypa- flavine) vis-à-vis du gonocoque. Paul Ehrlich utilise les dérivés du jaune d’acridine. En France, Jausion diffuse l’emploi du chlor hydrate de diéthyl-amino-acridine ou Gonacrine

®

en 1925. On injecte 5  cc tous les 2 jours d’une solution à 2 %. Le maniement est délicat, en raison d’une causticité locale et surtout d’une réaction générale lors de l’injection. Et le travail de Morvan au Val-de-Grâce montre une effi cacité médiocre : 227 guérisons sur 665 malades traités, dont 45 en 15 jours. Un effet analgésique et une réduction des complications sont notés (5).

Figure 3. Carte postale humoristique

des années 1920.

(5)

Images en Dermatologie Vol. IX - n° 6 novembre-décembre 2016 181 Figure 6. Varicelle traitée par le bleu de méthylène.

Figure 7. Blue Peel® (Coll. S. Béchaux, Thonon-les-Bains).

Figure 5. Photographie d’impétigo (in Hardy MA et de Montméja A, Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Paris : Librairie Chamerot et Lauwereyns, 1868).

Figure 4. Érythrodermie psoriasique couverte d’éosine (coll.

D. Wallach, Paris).

Culture et peau

Enfi n, l’éosine a conservé une indication dans certains services

de dermatologie qui traitent les cas de psoriasis sévères avec la

cignoline (ou anthraline, ou encore dithranol) et l’éosine  (18) . Ce

traitement local est notamment utilisé à Lille depuis 1970, sous

l’impulsion du Pr Henri Bergoend, et développé depuis 2000 .

L’éosine alcoolique n’ajoute pas d’effi cacité mais “renforce

indiscutablement la perception qu’a le malade de l’effi cacité

du traitement. Pourquoi s’en priver” (fi gure 8, p. 182) [18] ?

Les colorants étaient de fabrication, de préparation et

d’admi nistration faciles ; leur tolérance était bonne, et leur

coût, très faible. Leurs inconvénients étaient représentés par

une coloration affi chante , inesthétique de la peau, pouvant

d’ailleurs masquer les lésions et fausser les diagnostics  (19) .

(6)

Images en Dermatologie Vol. IX - n° 6 novembre-décembre 2016 182

Figure 8. Psoriasis traité par cignoline et éosine (coll. E. Delaporte, Lille).

Culture et peau

Ils  détérioraient le linge et pouvaient être à l’origine de réac- tions d’irritation, d’allergie ou de photosensibilisation. Enfin, leur pouvoir antiseptique n’était que modéré. Certes, ces inconvénients limitaient l’automédication abusive. Certains colorants, notamment azoïques et nitrés, se sont révélés cancérigènes ; c’est ce qui a conduit à une chasse aux colo- rants et à un retour aux produits dits “naturels” sans addition de colorants. En 1973, Daniel (20) écrivait que les colorants

“restent indispensables dans de nombreuses indications”, mais l’arrivée de nombreux traitements généraux ou locaux efficaces a réduit l’utilisation des colorants emblématiques de la dermatologie. Avec le recul, il paraît toutefois curieux que les services de dermatologie aient abusé du badigeonnage coloré des patients ! Il est vrai que le souci esthétique en dermatologie

n’en était qu’à ses prémices… II

J. Chevallier déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Remerciements : aux Drs Sabine Béchaux, Emmanuel Delaporte, Jean Freney et Daniel Wallach pour leur aimable apport photo graphique.

Illustrations : coll. J. Chevallier (sauf indication contraire).

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