La Lettre du Cardiologue • N° 493 - mars 2016 | 5
ÉDITORIAL
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Quel est l’impact de l’obésite
sur les risques de fibrillation atriale ?
What is the impact of obesity on atrial fibrillation?
S.N. Hatem*
* Département de cardiologie, GH Pitié-Salpêtrière ; Institute of Cardiometabolism and Nutrition (ICAN), Paris ; Inserm UMR_S 1166.
Il est probable que l’un des articles les plus surprenants dans le domaine de la fibrillation atriale (FA) de ces dernières années soit celui d’Abed et al., publié dans la revue JAMA (1).
Dans cette étude, 150 patients ayant un indice de masse corporelle (IMC) > 27, souffrant de FA paroxystique ou persistante, en rythme sinusal au moment de l’enrôlement, ont été randomisés entre un groupe devant suivre un régime hypocalorique strict, reprendre une activité physique régulière et contrôler leurs facteurs de risque vasculaire, et un autre, où seuls les facteurs de risque étaient contrôlés. Après 15 mois de suivi, les patients du premier groupe ont perdu 14 kg, leur tour de taille est passé de 110 à 96 cm, leur IMC de 32 à 27 et le nombre et la durée des épisodes de FA, ainsi que les symptômes associés, ont été très significativement diminués ; dans le groupe contrôle, aucun changement n’était noté. D’autres études à large échelle avaient déjà montré que l’obésité est un facteur de risque de la FA (2). Chaque augmentation d’une unité de l’IMC accroît l’incidence de l’arythmie de 4 %. Clairement, il existe une association entre obésité, surpoids et FA.
L’étude de la physiopathologie de ce nouveau paradigme débute juste. L’hypertension artérielle, l’apnée du sommeil et la dysfonction du système nerveux autonome sont souvent associées à l’obésité ; ce sont aussi des facteurs de risque de la FA ; il s’agit évidemment d’un premier niveau d’explication. Mais, au-delà de ces comorbidités partagées, l’obésité a probablement un impact direct et spécifique sur le myocarde auriculaire. Cela a d’abord été suggéré chez l’homme, par l’observation d’une déformation caractéristique ovoïde de l’oreillette gauche des patients obèses (3), puis bien établi par l’étude de modèles expérimentaux (4). Ainsi, après 1 an d’un régime riche en graisse, les moutons développent une obésité et une vulnérabilité à la FA. Leurs oreillettes sont dilatées, avec une conduction anormale de l’influx électrique marquée par des complexes fractionnés typiques du substrat de la FA. À l’échelon tissulaire, il existe une fibrose interstitielle diffuse du myocarde qui participe aux défauts de conduction de l’influx (4).
Et puis, il y a cette observation de l’infiltration massive du myocarde auriculaire des animaux obèses par du tissu adipeux, aboutissant à des zones dépolarisées et électriquement silencieuses. Cette étude s’ajoute à de nombreuses autres pour désigner le tissu adipeux cardiaque comme un maillon entre l’obésité − mais probablement d’autres situations cliniques − et la FA.
0005_LAR 5 07/03/2016 17:24:30
ÉDITORIAL
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Le tissu adipeux cardiaque est composé du gras paracardiaque à la face séreuse du péricarde pariétal et du gras épicardique entre le myocarde et le feuillet viscéral péricardique. Ces 2 tissus adipeux ont des origines embryonnaires différentes et des profils biologiques distincts. L’épicarde (Epicardial Adipose Tissue [EAT]) est un tissu adipeux de type brun, c’est une source d’acides gras libres, de cytokines et d’adipo
cytokines qui peuvent diffuser librement dans les tissus à son contact, comme le myocarde (2). Deux mécanismes ont été identifiés, qui pourraient relier le tissu adipeux épicardique et la fibrose du myocarde auriculaire, une composante majeure du substrat de l’arythmie. Le premier fait intervenir la sécrétion par l’EAT d’une cytokine, l’activine A, qui appartient à la famille du TGFβ, et qui induit une fibrose du myocarde auriculaire en quelques jours (5). Le tissu adipeux des patients diabétiques ou insuffisants cardiaques sécrète de l’activine A en grande quantité. Le deuxième mécanisme est lié à la présence d’infiltrats de tissu adipeux au niveau du sousépicarde du myocarde auriculaire, semblables à ceux observés dans le ventricule droit. Ces infiltrats graisseux peuvent être remplacés par de la fibrose lors de la FA permanente (6). Aucun doute que, audelà de la fibrose, d’autres mécanismes viendront expliquer les liens entre le tissu adipeux et le substrat de la FA : sécrétion de cytokines inflammatoires, de produits radicalaires de l’oxygène, notamment dans le contexte de la FA postopératoire et altération de l’innervation locale du myocarde. Certaines adipokines (TNFα [Tumor Necrosis Factor alpha], activine Α) peuvent aussi agir directement sur le couplage excitationcontraction et le trigger des arythmies. Il s’agit d’un tout nouveau champ d’investigation.
En clinique, les progrès de l’imagerie cardiaque, notamment l’IRM, seront déterminants pour faire du tissu adipeux cardiaque un marqueur de la progression du substrat de la FA, et pour localiser les zones d’ablation. Quant à de nouvelles
stratégies ciblant le tissu adipeux cardiaque, et pour la petite histoire, un des coauteurs de l’article du JAMA (1) a, depuis la publication, suivi un régime alimentaire drastique, pas seulement pour diminuer son IMC et améliorer sa silhouette, mais avant tout pour réduire son risque de FA : chaque diminution de 1 point de l’IMC diminue l’incidence de l’arythmie de 4 % !
Références bibliographiques
1. Abed HS, Wittert GA, Leong DP et al. Effect of weight reduction and cardiometabolic risk factor management on symptom burden and severity in patients with atrial fibrillation: a randomized clinical trial. JAMA 2013;310(19):2050-60.
2. Hatem SN, Sanders P. Epicardial adipose tissue and atrial fibrillation. Cardiovasc Res 2014;102(2):205-13.
3. Ito K, Date T, Kawai M et al. Morphological change of left atrium in obese individuals. Int J Cardiol 2011;152(1):117-9.
4. Mahajan R, Lau DH, Brooks AG et al. Electrophysiological, electroanatomical, and structural remodeling of the atria as conse- quences of sustained obesity. J Am Coll Cardiol 2015;66(1):1-11.
5. Venteclef N, Guglielmi V, Balse E et al. Human epicardial adipose tissue induces fibrosis of the atrial myocardium through the secretion of adipo-fibrokines. Eur Heart J 2015;36(13):795-805a.
6. Haemers P, Hamdi H, Guedj K et al. Atrial fibrillation is associated with the fibrotic remodeling of adipose tissue in the subepi- cardium of human and sheep atria. Eur Heart J 2015 Nov 26 (Epub ahead of print).
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
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