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La co-construction des dispositifs d’intervention psychosociologique :un processus de coopération

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Academic year: 2021

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1 Biennale Internationale 2015

N°336

Atelier : Méthode de recherche, d’intervention et de formation Catherine David

Mention : Chercheur indépendant

La co-construction des dispositifs d’intervention psychosociologique Un processus de coopération

Résumé

Coopérer se pense, se pratique et se parle au regard d’enjeux notamment psychiques, réels ou imaginaires propre à chacun. L’intervention d’un tiers peut être nécessaire pour que le groupe traite de ses difficultés de coopération. Psychosociologue clinicienne, ma communication témoigne d’une pratique d’intervention proposant aux équipes concernées la co-construction du cadre de travail propre à l’intervention. La première rencontre consiste alors à mobiliser les participants sur les vécus individuels et de groupe dans les situations de travail. Puis, participants et intervenante co- construisent le dispositif pour traiter les problématiques soulevées. Cette expérience déclenche des processus essentiels à la coopération. Les pratiques, leurs récits, les identités professionnelles, les liens intersubjectifs, l’organisation, les fonctionnements institutionnels s’en trouvent transformés au fil du temps.

MOTS CLES

- Approche psychosociologique et clinique - Intervention et équipes

- Travail de groupe

- Co-construction des dispositifs de travail

- Processus psychiques individuels, de groupe et institutionnels

Pour cette communication, je vous invite à partir à la rencontre d’une équipe située dans une organisation de province, gérée par une association. La structure a une mission d’orientation vers la qualification, l’insertion sociale et professionnelle de jeunes âgés de 13 à 18 ans, provenant du département et relevant de la protection de l’enfance. Je suis sollicitée pour mettre en place de l’analyse des pratiques au sein d’un service. Initier ce travail suppose une alliance, une relation transférentielle de travail possible entre les participants et avec l’intervenante, un accord sur la nature du travail. Dans ma démarche d’intervention psychosociologique clinique, j’instaure une première étape nommée séance exploratoire. J’appelle « exploratoire » la première rencontre avec les personnes concernées. Chacun est invité à échanger sur ce qu’il désire travailler dans cet espace et à contribuer à la fabrique du dispositif qui signe le début d’une coopération.

Je propose en premier lieu, de clarifier la mise en rapport de la question de la coopération avec celle de la co-construction du dispositif. Puis je témoignerai des processus individuels, groupaux, organisationnels et institutionnels sollicités par laco-construction et de certaines limites.

Un parcours personnel à propos des groupes

L’étape de co-construction s’appuie sur un désir d’intervenante mis en travail par la pratique, elle- même interrogée tant sur le plan des vécus émotionnels que des supports théorico méthodologiques mobilisés. Un retour en arrière me semble nécessaire pour éclairer mon cheminement actuel.

D’abord, travailler dans les groupes prend sa source dans ma trajectoire privée et professionnelle. Un parcours jalonné d’expériences groupales depuis la naissance : Si je me réfère aux conceptions de

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2 J.C.Rouchy, il y a au départ, un groupe primaire, pour moi, une famille nombreuse prise au travers de mon roman familial. Puis arrivent au fil du temps, des groupes secondaires : la scolarité, les activités culturelles et sportives, les « petits boulots » dans l’animation. Travailler au sein de groupes s’affirme et s’affine par différentes formations : Éducatrice de jeunes enfants, enseignante, formatrice. Au fil des vécus dans ces différentes fonctions et rencontres, j’ai pu ressentir l’importance de saisir mon rapport aux autres et de disposer d’appuis théorico méthodologiques pour aider les équipes à avancer dans la réalisation de leurs objectifs. J’entreprends alors un cycle de formation de psychosociologue clinicienne à l’ARIP : Association de Recherche en Intervention Psychosociologique. Les expériences axées sur la dynamique interne des groupes et l’évolution personnelle incitent à des mises en rapport de certains déplacements et transferts du groupe primaire dans les groupes secondaires. Leurs repérages me permettent la prise de conscience de la dimension psychique groupale interne pour mieux m’en distancier.

D’autres dispositifs centrés sur la conduite de groupe, la problématique de l’intervention dans un cadre organisationnel et institutionnel, l’accompagnement aux changements et une supervision analytique depuis plusieurs années étayent mes pratiques. S’ajoute l’appartenance à des réseaux et enfin des lectures théoriques et méthodologiques.

Ce cheminement m’amène à considérer la coopération au cœur du travail d’équipe. Elle suppose des dispositifs rigoureux, des modalités de conduite de groupe, des systèmes d’organisation et un cadre institutionnel favorables. Au fil de l’expérience, se confirme que la co-construction du cadre d’intervention avec les groupes eux-mêmes constitue une condition favorable pour déclencher un processus coopératif dans le fonctionnement réel des équipes.

Venons-en maintenant à quelques appuis réflexifs qui sous-tendent mes dispositifs et modes d’intervention.

Des repères théorico méthodologiques

L’intervention psychosociologique clinique vise à traiter les problèmes inhérents au processus de coopération et de changements. Par coopération, j’entends un processus de liaison, de co-penser essentiel pour faire œuvre commune.

Dans les établissements et services de l’économie sociale et solidaire, je distingue deux modes de coopération : « le faire ensemble » et « le co-penser avant et après avoir agi ». Deux modes que l’on retrouve à deux niveaux interdépendants et à différencier:

— Le premier concerne la tâche primaire qui se réalise par l’instauration de liens, de relations coopératives duelles et groupales avec les personnes en situation de vulnérabilité. Les vécus relationnels font éprouver des conflictualités intrapsychiques et intersubjectives qui peuvent produire de la déliaison. Le cadre d’un dispositif d’analyse des pratiques permettra alors de les élaborer.

— Le deuxième porte sur les conditions de réalisation de la tâche primaire, de la mission. Les liens entre professionnels dans la ligne horizontale, hiérarchique et transversale et les articulations entre services prennent place en fonction du cadre institutionnel et des systèmes organisés qui peuvent être, en référence à la typologie d’E. Enriquez, à dominante bureaucratique, charismatique, coopérative ou technocratique. La coopération va dépendre du degré de partage du projet, des règles, des conceptions de la tâche primaire, des systèmes de valeurs et de normes intériorisés, de la répartition du travail, des modes de traitements des problèmes, des fonctionnements relationnels.

Certaines défaillances des conditions empêchent la coopération. Il peut donc être nécessaire d'instaurer une consultation /régulation ou une analyse institutionnelle.

Ainsi, la situation de coopération n’est pas une évidence. Elle interroge, les systèmes organisés et le cadre institutionnel. Elle déclenche des processus intrapsychiques et intersubjectifs conscients et inconscients plus ou moins constructifs, défensifs, voire négatifs. Elle produit de fait un rapport avec

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3 les autres. Elle convoque à vivre des situations groupales. En référence à J.C.Rouchy, être en groupe interroge entre autres l’identité professionnelle : quelle image je renvoie, je pense renvoyer, comment l’autre me perçoit, se représente ma fonction ? Une situation d’interdépendance et de conflictualité est inéluctable: Chacun cherche à réaliser ses désirs, ses objectifs conscients et inconscients, à actualiser ses conceptions, ses modèles, ses valeurs, ses règles, à faire accepter ses manières de faire, sa singularité. Chacun espère aussi que les autres vont lui permettre d’y arriver.

Mais cette complémentarité attendue est souvent déçue, sources de controverses, de désaccords.

En tant que psychosociologue, je peux être amenée à intervenir dans certaines structures ayant l’une ou l’autre des caractéristiques. Selon les endroits de conflictualité, l’intervention peut prendre la forme d’analyse des pratiques professionnelles ou supervision, ou de consultation institutionnelle/régulation ou encore d’analyse institutionnelle.

Avec les acteurs concernés, nous allons rechercher au travers de dispositifs rigoureux, des éclaircies par des mises en lumière et parles analyses des conflictualités inhérentes à toute situation professionnelle groupale. Nous chercherons des éclairages des zones d’ombre et des points aveugles qui entravent les contributions réciproques nécessaires aux traitements des problèmes. Une co- construction de sens se fabrique à partir de l’expression des vécus professionnels.

Ces distinctions étant posées, selon l’analyse coproduite avec les acteurs lors de l’exploratoire, l’un ou l’autre dispositif peut être initié, voire deux simultanément comme je vais avoir l’occasion d’en témoigner.

J.C.Rouchy, par dispositif, entend « la structure dans laquelle les interactions entre les personnes et les groupes vont prendre place en rapport à leur groupe d‘appartenance et leurs réseaux d‘interactions intériorisés » Certaines conditions et fonctions s’avèrent nécessaires pour permettre l’émergence de la coopération. Comme le groupe primaire, pour le développement de l’individu, se doit d’assurer une fonction contenante, être source d’identifications et espace transitionnel, il en est de même pour les groupes secondaires en tant que maillons essentiels entre l’individu et la société.

Je vais donc décrire une situation d’intervention que j’ai conduite en tentant au fur et à mesure de mettre en évidence quelques hypothèses de processus intrapsychiques et intersubjectifs à l’œuvre en rapport avec les contextes organisationnels et institutionnels, de certaines conceptions sous-tendues de systèmes de valeurs, de modèles intériorisés plus ou moins en conflictualité et élaborés le moment venu par le groupe et avec mon aide.

Préliminaires à la rencontre du (es) groupe (s)

Une première demande me parvient par courriel. Elle est formulée par un psychologue-cadre fonctionnel-référent santé. Elle concerne donc la mise en place d’un groupe d’analyse des pratiques professionnelles pour des personnes volontaires, suite à un arrêt datant de deux ans avec une intervenante.

Sur le moment, je trouve curieux que ce soit un cadre fonctionnel qui m’adresse la demande. Le volontariat institué m’étonne, s’agissant de réfléchir sur l’activité de travail. D’autres indications me questionnent : pourquoi l'analyse des pratiques précédente s’est-elle arrêtée et comment ? Quelles traces ont laissées ces expériences ?

Je prends contact avec mon interlocuteur. J’ai comme objectif d’arriver à la mise en place d’une séance exploratoire avec les équipes et les cadres. Je recueille un certain nombre d’informations : il y a trois équipes composées chacune de trois travailleurs sociaux et d’une secrétaire réparties sur le territoire départemental relativement urbanisé et une autre de six travailleurs sociaux et deux secrétaires installées dans l’établissement de base nommé « le siège ». Les pratiques se structurent autour d’entretiens individuels, et très peu de réunions existent. Je n’obtiens pas d’éléments sur les orientations et le projet de service. Une majorité de personnes désertait le groupe d’analyse des pratiques vécu comme, « bureau des plaintes « et qui « ne sert à rien ». Le climat relationnel est

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4 décrit comme « plutôt tendu, certains professionnels ne se parlent plus, avec les responsables, ça ne se passe pas très bien ». Mon interlocuteur présente son vécu de travail comme difficile. Il regrette les approches administratives de ses collègues. Il témoigne de sa difficulté à insuffler un regard plus clinique à l’endroit des jeunes et à introduire les questions relatives à leur santé. Cela explique son désir de mettre en place cet espace. Il occupe une fonction qui lui permet de réenclencher ce type de réflexion. Il dit être « délégué par la directrice ».

Durant ce court échange, je fais part de ma démarche. Comprendre la demande nécessite de rencontrer les équipes réelles, d’écouter les personnes ensemble pour amorcer l’analyse de leur contexte et repérer la faisabilité d’un travail d’analyse des pratiques. Je lui propose d’étudier avec ses collègues et la direction, la mise en place de séances exploratoires. Je suggère des critères de constitution des groupes : ceux qui interviennent directement auprès des populations et l’appartenance à une équipe instituée, dite équipe réelle. Je sollicite la présence des cadres intermédiaires et de la directrice. Il me demande un document explicatif pour en discuter en réunion.

Je lui adresse un texte succinct qui reprend ces différents éléments.

Quelques semaines plus tard, mon interlocuteur m’informe par courriel de leur intérêt et de l’accord de la directrice pour l’exploratoire. Il stipule le refus de participation au dispositif proposé, d’un cadre et de certains intervenants de proximité. De même, au regard de leur enveloppe financière, ils constituent deux groupes : un qui regroupe les équipes des trois sites et un autre pour celle située au siège.

La lecture du courriel me laisse perplexe. J’éprouve une certaine déception de ne pas rencontrer l’ensemble des acteurs et chaque équipe réelle. Je repère ma crainte du risque de répétition de ce qui s’est vécu avec l’autre intervenante. Dans un second mouvement, j’interprète cela comme un matériel de travail, un symptôme marquant les difficultés de coopération en interne.

Je reprends contact pour organiser les exploratoires et les programmer.

La phase exploratoire comme expérience de coopération

Pour cette communication, je prends appui sur la première partie de l'exploratoire avec le premier groupe, composé des trois équipes, car significative de l’ensemble des problématiques.

Me voilà dans le train. J'arrive sur le lieu. La séance démarre. Je m’installe au bout d’une grande table ovale, dans une salle louée, pour l’occasion à une association partenaire d’un des trois sites. Les personnes se présentent au compte-gouttes. À ma question « Attend-on encore des participants ? », certaines évoquent les absences de certains collègues et des cadres. Une participante annonce la convocation de mon interlocuteur à une réunion extérieure. Nous constatons également la non- présence des autres référents des domaines « social » et « emploi ». Certains expriment leurs regrets et l’un d’eux de dire « Ce n‘est pas étonnant ».

Je garde cela dans un coin de ma tête et propose de démarrer.

Le groupe est composé de huit personnes : six travailleurs sociaux et deux secrétaires. Les trois sites sont représentés. En quelques mots, je me présente, je relate l’historique de la demande et l’objet de cette séance. Je précise la consigne de discrétion, l’attention à porter à ce qui se dit et à la manière dont on le dit. Je propose de suspendre l’attitude de jugement. Je suggère que les présentations de chacun se réalisent au fur et à mesure des prises de parole sur les attentes de chacun d’un groupe d’échanges et d’analyse des pratiques.

Un temps de silence est partagé et un participant énonce « On nous a dit que c‘était obligatoire de venir ce matin, mais moi, le problème c‘est pas les jeunes, c‘est l‘organisation du travail, on n‘est pas écouté ici, on est des exécutants, nos collègues n‘ont pas été encouragés par la hiérarchie pour venir »… et un autre exprime« s‘ils étaient là, on ne dirait pas les mêmes choses ». La parole se délie : « la directrice, on la voit jamais, elle est toujours au siège, avec l‘autre équipe »,« on accueille n‘importe quel jeune, ça fait un prix de journée, c‘est tout c‘qui les intéresse », « on n‘a

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5 pas le temps de faire les choses »,« faut courir » ou encore « on a les jeunes pour l‘argent, ici c‘est faîtes des chiffres ». Un participant poursuit « on nous dit de changer, mais on ne sait pas où on va »,« y en a qui font ce qu‘ils veulent », « les responsables, on ne sait pas ce qu‘ils font, ils n‘ont pas de responsabilités ».« Oui, mais certains s‘adressent à la directrice avant de s‘adresser au cadre »

Une demi-heure s’est écoulée et tout le monde se coupe la parole. Un brouhaha s’installe. J’observe des apartés et des taiseux. J’interviens pour mettre au travail ce qui se passe dans le groupe dans l’ici et maintenant, dans leur manière d’échanger.

— « Que se passe – t-il, on ne s‘entend plus » ? Un participant dit :

— « Excusez — nous, on n‘a pas l‘habitude d‘être en réunion, on a plein de choses à dire, on travaille tout seul, mais heureusement y à la pause — café on se parle et on rigole quand même…. » Une autre d’ajouter : « ici on n‘a pas de réunions en équipe et encore moins tous ensemble » ; « avant ici on avait des réunions intersites, et maintenant plus rien », « oui, mais entre nous, l‘ambiance… y a pas de confidentialité »ou encore « on travaille dans notre coin »,« il faudrait que tout le monde ait une parole sans jugement »,« Oui, libérez la parole »,« C‘est vrai ici, chacun protège sa gueule, excusez c‘est vulgaire, mais c‘est vrai »,« Ici il n‘y a pas assez de coordination entre nous, y a pas de projets » « heureusement on s‘entend bien personnellement, ça nous sauve ».

À ce moment de l’intervention, plusieurs niveaux d’analyse et de questionnements s’entrecroisent :

Au fur et à mesure des récits, j’entends des fonctionnements problématiques liés aux conditions de réalisation de leur mission. Ils sont colorés de l’expérience subjective de chacun, mais ils me laissent percevoir une certaine réalité partagée. J’observe que la discussion de groupe ne porte pas sur leurs attentes concernant l’échange et l’analyse des pratiques, et ce malgré mes tentatives.

Du point de vue de la dimension émotionnelle individuelle et groupale, je ressens une tension, de la colère chez certains, de l’amertume, de l’usure. J’entends de la désespérance, une certaine inertie, de la revendication, mais aussi certaines positions de toute puissance, de l’enthousiasme et de l’implication. Ces éprouvés et les fonctionnements relationnels non traités n'auraient-ils pas détourné du travail d’interrogation sur les pratiques avec l’autre intervenante? Je me remémore la conversation téléphonique et me demande s’ils répètent ce qui se passait avec elle ? Empêcheraient-ils la formulation de leurs attentes ? L’absence de réunions permet-elle d’éviter l’expression des conflictualités professionnelles qui entraineraient une mauvaise entente sur le versant interpersonnel ? Je pense alors, sans l’exprimer, à l’illusion groupale et au fantasme de casse tel que le décrit D. Anzieu. Y a-t-il un fonctionnement du type « statu quo », sous-tendu d’accommodements : des désaccords entre eux ne seraient-ils pas minimisés, voire ignorés au profit d’un semblant d’harmonie ? S’agirait-il d’un certain évitement de la mise au travail des habitudes, de certains conforts et intérêts personnels et professionnels acquis ? Quel rapport chacun entretient-il avec la situation de groupe ? J’entends la récurrence du mot « on »et des formulations impersonnelles, signes d’indifférenciation.

Une image d’iceberg s’impose à moi illustrant des relations gelées à certains endroits. Je m’interroge sur les rapports entre la directrice et les cadres intermédiaires et sur ce qui se passe entre les trois équipes des sites et l’équipe située au siège quia « la directrice pour elle » comme ils disent. Quelle place occupe cette dirigeante pour chaque équipe et pour chacun ? L’expression d’un climat instable entre les acteurs me questionne sur les rapports de places et de fonctions ainsi que sur leurs représentations de l’autorité hiérarchique et l’autorité de compétence.

À propos des systèmes d’organisation et du cadre institutionnel, je note l’absence de réunions, de lieux de transformation de l’information et d’élaboration des vécus. Le fonctionnement sans réunions, avec de l’informel, sans pratiques de groupe auprès des publics révèle-t-il des systèmes organisés à la fois charismatique et bureaucratique empêchant la conflictualisation, son traitement et par là la coopération ?

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6 Je suppose des modèles intériorisés et des systèmes de valeurs instituées comme l’approche individuelle, voire individualiste. Comme si les pratiques d’entretien individuel actualisaient une représentation qui met en correspondance automatique le travail du projet personnalisé du jeune avec la forme d’un travail individuel avec celui-ci. Certains paradoxes sur les règles du jeu : l’obligation de présence honorée par certains et pas par d’autres. La liberté de participer est à la fois établie et faisant loi et en même temps dénoncée. À quoi cela tient-il ?

Je perçois des incohérences entre certaines pratiques et des valeurs et théories instituantes, innovantes soutenues par certains comme l’approche groupale et l’approche psychologique du jeune portée par le psychologue.

L’analyse des pratiques qui nécessite un cadre organisationnel stable, une coopération dans le dire, une confiance est-elle possible ? Comment faire dans ce contexte sans existence de groupe comme espace intermédiaire entre l’individu et l’organisation ?

Ces questions sollicitent mon cadre interne d’intervenante et certaines de mes conceptions de base : les fonctionnements décrits m’apparaissent peu en cohérence avec la mission d’insertion qui vise à permettre aux jeunes de trouver leur place dans la société. Pourquoi et comment porter un espace instituant de cette place d’intervenante ? Mes conceptions, désir de favoriser le travail groupal, la coopération, de faire évoluer les pratiques en favorisant l’articulation individu/groupe se trouve interrogé. Je garde mes questions à l’esprit.

À ce moment-là, je décide de reformuler ce qui a été dit.

Hypothèses partagées pour co-construire les dispositifs

Je pointe les vécus de paradoxes, de sentiment d’inégalité de traitement : certains sont là quand d’autres s’abstiennent ou font ce qu’ils veulent, ce qui pose entre autres la question des règles et des conceptions partagées. Je souligne que certaines difficultés se traitent en individuel, dans l’informel et qu’il manquerait des espaces de travail donc des réunions, autres qu’à visée informative, ce qui peut produire une position d’exécutants et d’isolement. Je note que, sur certains sites, les bonnes relations sur le plan personnel semblent primordiales. Je reprends le climat de tension avec les cadres. Pour les amener progressivement à l’objet de la rencontre, je me risque à formuler que les pratiques en direction des jeunes restent peu soulevées et recouvertes par les problèmes organisationnels et de relation. Quelques voix et mimiques confortent mon propos. « Oui, c‘est vrai, on parle jamais de nos pratiques entre nous ou que quand on a un gros problème ».

Je dis ne pas voir comment mettre en place l’analyse des pratiques dans ce contexte, sans que soit effectué un travail sur les fonctionnements, l’organisation en rapport aux missions et au projet, aux systèmes de valeurs. Je suggère donc que l’on organise la séance en prenant un temps pour explorer le premier axe, puis que l’on revienne sur les pratiques avec les publics après la pause.

En effet, je fais deux hypothèses : l’écoute sur les conditions de réalisation de la tâche et un début d’analyse dégage l’horizon pour pouvoir parler des conduites professionnelles et faire émerger la demande. La participation à penser le cadre de travail mobilise le processus de penser et fait expérimenter un processus de liaison. Je leur propose à la fois d’expérimenter deux centrations : régulation/consultation et analyse des pratiques et de vivre un processus de coopération par la co- construction du dispositif.

Certains se révèlent enthousiastes, d’autres partagés et deux désapprouvent. Des participants essayent de convaincre les sceptiques. « Si on n‘essaye pas, on ne changera rien » « Oui c‘est vrai on peut toujours essayer, ce serait bien qu‘ils soient d‘accord ». J’explore alors les craintes mobilisées. Les réponses sont « ça ne changera rien, et puis entre nous on s‘entend bien » « ils vont se servir de ce qu‘on dit ». Certains restent très perplexes, mais infléchissent leur position.

Je rappelle que la séance exploratoire est un lieu non décisionnel. Je précise que nous ne traiterons pas des problèmes, mais que nous réfléchirons à un espace dans lequel les problèmes peuvent être analysés avec les personnes concernées et que celui-ci ne remplace pas les réunions de travail internes à leur fonctionnement. C’est une façon de transformer ce que J.C. Rouchy écrit sur l’intervention psychosociologique et psychanalytique quand il indique que« Le dispositif

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7 d‘intervention devra être distinct de ceux du cadre de travail habituel » [...] Concrètement, un dispositif est constitué des éléments qui délimitent le rapport au temps et à l‘espace ». J’engage alors le groupe à penser un dispositif possible dans ces dimensions opératoires que je précise : les objectifs, les objets de travail, les participants, les méthodes, les règles, le type d’écoute, le lieu, le rythme et la durée.

Je questionne : si un espace de consultation/régulation était à imaginer, comment le verraient-ils ?

— Quels en seraient les objectifs ? Quelques propos exprimés : « Travailler mieux ensemble et avec les chefs », « Mettre en place des réunions pour parler des jeunes et de l‘organisation » « Savoir vers quoi on va, quelle direction », « Se parler autrement », « Savoir ce qu‘on attend de nous ».

— Quels seraient les objets de travail ? : « Ce serait bien qu‘on parle des relations difficiles avec les responsables et la directrice », « qu‘on parle des réunions, “qu‘on parle du projet”

— Qui composerait le groupe ? Je précise que les participants à un groupe de travail, à une réunion se déterminent en fonction de l’objet à traiter. “Il faut qu‘il y ait tout le monde, les responsables et la directrice”. Certains comme au début de la séance restent sceptiques et semblent inquiets. J’indique aussi que nous nous servirons de ce que vit le groupe lui-même, pour analyser les fonctionnements.

— Quelles méthodes vous sembleraient intéressantes ? “Partir des problèmes concrets”, “Avoir des apports théoriques”

Je reformule : des méthodes qui s’appuient sur les évènements, les points critiques. Certains apports théorico méthodologiques peuvent être réalisés en fonction de ce qui se développe : une manière de reprendre le propos de J.C.Rouchy à savoir, “Le dispositif ne doit pas être trop éloigné de la réalité quotidienne […] Il doit rester en rapport aux évènements‖…

J’aborde avec eux la question de la centration. Ceci m’amène à déterminer comment je vais les écouter. Je soutiens la mise en mot des éprouvés, des idées pour contribuer à produire l’analyse, dans le sens ou en rapport à ce qui se dit, j’aide à relier des éléments apparemment disjoints, je soutiens le groupe pour transformer les émotions en idées, en pensée. J’invite à formuler des hypothèses d’interprétation et à dégager des perspectives. Ma visée consiste à faire expérimenter un espace de transformation de l’information.

— Quelles règles de fonctionnement partagées ? Ils proposent : “faudrait pas qu‘on se juge‖ ,“faut pas que ce qu‘on dit ici, on le réutilise ailleurs‖, “j‘aurai peur qu‘un jour, quelqu‘un reprenne mes propos et s‘en serve contre moi”. Je m’arrête quelques instants sur ce discours.

Des témoignages me font penser que la rumeur constitue un mode relationnel : tout se dit n’importe où. Je souligne que les propos prennent sens en rapport à ce qui se vit, avec les personnes présentes, garantissant ainsi la liberté d’expression sans crainte de s’exposer à une évaluation, ou à une utilisation dans un autre registre. Dans cet espace, chacun est invité à parler de sa place et de sa fonction. Je conforte la suspension d’attitude de jugement et le soutien du processus associatif. Le moment est venu pour moi de préciser que je suis tenue également à la discrétion. J’énonce que les éléments émotionnels (éléments Bêta de W. Bion) restent dans le groupe et que certains, transformés en idées, en pensées peuvent être repris en réunion comme objet de travail.

— Dans quel lieu se réunir ? Cette question permet un éclairage sur les aménagements “on a un seul bureau et donc les entretiens, on est sous le regard de nos collègues, c‘est pas facile pour le jeune ni pour nous‖. Un participant de répondre : “oui, mais c‘était pour éviter les cas de violence et d‘être seuls”, “oui, mais on a une double scène”. J’indique qu’effectivement l’espace et le mobilier interfèrent sur la qualité des échanges. Je fais remarquer que 9 autour d’une immense table ovale non amovible prévue pour recevoir 25 personnes produit sûrement ses effets. On associe dans le groupe : “ben quand il arrive qu‘on soit tous là, on ne se parle pas, on écoute la directrice‖. Des idées s’échangent sur le lieu.

— Sur quelle durée et à quel rythme ? : “Une fois par mois, comme avant‖. Nous imaginons 8 séances de 1 h 30 étalées sur un an. Nous partageons sur le moment le plus propice dans la semaine.

Une demi-journée se précise unanimement. La temporalité se révèle souvent problématique et en miroir avec le fonctionnement.

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8 La seconde partie de l'exploratoire concerne pendant une heure trente, l’analyse des pratiques.

J’utilise la même méthodologie. Pour clore, je formule au groupe que j’enverrai une proposition reposant sur le travail effectué : un temps d’analyse des pratiques de 2 h sur 8 séances puis après la pause, le temps de régulation/consultation institutionnelle en présence des cadres : 1 h 30 sur 8 séances. Je fais parvenir la proposition quelques jours après les exploratoires. Quelques semaines plus tard, j’apprends qu'elle est retenue.

La co-construction du dispositif comme expérience de coopération et les limites

Manifestement, la position d’exécutant et les pratiques individualistes entravent la coopération pour réaliser la mission dans un climat « suffisamment bon ». Lors de l’exploratoire, l’expérimentation de l’écoute de chacun et les interactions déclenchent différents processus.

Au niveau individuel et groupal, certains discours font entendre des projections notamment d’imago parental à l’endroit de la directrice et une certaine dépendance “mieux vaut s‘adresser à Dieu qu‘à ses saints‖. L’évocation des difficultés et la co-construction amorce un travail de co-penser réduit par la position d’exécutant. Elle déclenche des questionnements sur des représentations d’objets, un engagement de la parole, un certain dévoilement. Elle amorce l’ébauche d’une élaboration d’éventuels renoncements, de frustrations, mais aussi d’accordage, d’altérité, de mise en confiance.

La conflictualité n’est pas si dangereuse ! En arrière-plan, les rapports de places réelles et imaginaires, les enjeux de pouvoir et d’influence, les intériorisations de normes, les alliances inconscientes, en référence à R. Kaes, le fantasme de casse de D. Anzieu se perçoivent. Comme le notent J.Bleger et J.P. Pinel des fonctionnements parfois en résonance avec les problématiques des publics et altérant le processus de coopération se détectent. La pensée de W.R. Bion sur l’écoute des deux niveaux de groupe : la mentalité de groupe et le groupe de travail me sont utiles à la conduite et au repérage de dépendances pour conduire vers l’interdépendance, processus fondamental pour coopérer.

S’agissant du cadre institutionnel, certaines intériorisations de normes, de modèles, d’école de pensée, de valeurs instituées et les conflictualités avec l’instituant évoquées précédemment sont mises en évidence.

Enfin concernant des systèmes organisés, en référence à E. Enriquez : certaines caractéristiques et intériorisations d’une structure d’organisation à dominante charismatique et bureaucratique et les effets surdéterminants dans les groupes s’entendent.

Tout au long de l’exploratoire, nous passons par un processus de consensus : ―les différents points de vue sont évalués à la lumière des faits. Les doutes et les réserves de tous sont examinés et pris en compte‖. Le passage à un processus de négociation se réalise au fur et à mesure entre eux et avec moi :“les compromis et les solutions mitoyennes sont acceptés de manière à ce qu‘il n‘y ait ni gagnant ni perdant. Les solutions adoptées sont ‗acceptables‘ sans être les meilleurs” (JM.Chevalier, D.J Buckles et M.Bourassa)

La co-construction dans le premier groupe s’est réalisée sans la présence de certains professionnels, de la directrice et des cadres. Le risque que le travail proposé soit “un coup d’épée dans l’eau” était réel, malgré une alliance perceptible avec les participants. Ma démarche va sûrement se heurter aux systèmes d’organisation.

Dans le second groupe “équipe du siège”, la directrice était présente. Je fais l’hypothèse que cela a permis l’accord sur la proposition, renforcé par l’adhésion d’un des cadres et de certains professionnels influents.

La démarche de co-construction se situe à l’opposé de l’audit qui consiste à proposer l’analyse après un recueil de discours et à partir d’un référentiel préétabli. Dans ma manière de faire, cette expérience permet aux professionnels d’éprouver une pratique coopérative qui ne semble pas à l’œuvre dans leur fonctionnement et qui réduit la qualité du travail et du vivre au travail. Il est question de co-fabriquer des analyses au fil des récits. La co-construction permet d’amorcer des prises de conscience de certains processus d’intériorisations des normes, des valeurs, et des structures d’organisation.

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9 Réceptacle des éprouvés, je mets à disposition mon appareil à penser, ma capacité de rêverie en assurant la fonction Alpha, concepts que j’emprunte à Bion. En tant qu’intervenante, l’analyse de mes après coup émotionnels, du transfert de travail, des processus entre autre de projection et d’identification projective élaborés dans un espace de supervision constitue un appui pour conduire le groupe qui deviendra lui même contenant et appareil à penser.

Épilogue

Après 5 séances, le dispositif a évolué. L’idée d’un espace d’accompagnement pour l’équipe d’encadrement se concrétise à raison de trois heures sur 6 séances. Au cours du bilan de la première année, se dévoile que la découpe proposée est en miroir avec leur fonctionnement : le clivage entre les trois équipes des sites et l’équipe située au siège perdure. Ils ne sont jamais en rapport malgré le repérage de nécessités. La difficulté de coopération au sein du dispositif est en résonance avec leur fonctionnement. Les agirs tels les absences sont l’indice de mouvements transférentiels sur le dispositif, qui restent difficiles à mettre en travail, les acteurs étant absents !

Le choix de centration sur la première partie de l’exploratoire révèle la nécessité de traiter l’axe des conditions de réalisation de la tâche primaire sans remettre à plus tard l’axe sur les pratiques. J’ai estimé devoir écouter les plaintes et tenter de les transformer en groupe pour ensuite pouvoir parler de la pratique et rendre possible un groupe d’analyse des pratiques. À ce propos, A. Wilhelm indique que les obstacles à la supervision peuvent être liés à certaines déficiences du cadre de travail, mais également de façon plus interne au risque que comporte la prise de parole. Au travers de ce récit, j’ai tenté d’être au plus près d’une pratique d’intervention. Prendre soin de l’exploratoire c’est réduire les risques de blocages, de non-adhésion au projet, de renforcement des résistances, sans toutefois les annuler évidemment. Mais c’est aussi l’occasion d’amorcer un vécu, une première expérience de groupe comme espace contenant, transitionnel, et sources d’identification. La co-construction démarre lors de l’exploratoire et continue tout au long de l’intervention en tant que processus de co- penser, manœuvre pour prendre soin du travail, des professionnels dans leur pouvoir d’agir et par ricochet celui des jeunes en situation de non-inclusion dans la société. Je terminerais par une citation de JC Rouchy : « On ne peut pas penser à des changements effectifs sans qu‘ils affectent les processus d‘identification et l‘identité des membres de l‘organisation, ainsi que les structures dans lesquelles ceux-ci travaillent, interagissent et évoluent ensemble »

Bibliographie de base

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Références

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