• Aucun résultat trouvé

Angoisse, humour et réalité

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Angoisse, humour et réalité"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

Solange Fasquelle

Angoisse, humour et réalité

Y

La Paroi déglace deYasushilnoué

Le Censeur de rêves deYasutaka Tsutsui

Triste Vie de Chili

1. Publié au Japon en 1957.

Traduit du japonais par Corinne Atlan. Stock, 410 p., 130 francs.

asushi Inoué (1907-1991), écrivain très fécond, qui aurait bien mérité d'être distingué par le jury Nobel, est sans doute depuis la parution du Fusil de chasse (Stock) l'un des auteurs japonais les plus appréciés du public français.

Séparé de ses parents à l'âge de six ans, il est élevé par sa grand-mère dans une péninsule montagneuse au sud de Tokyo : son enfance est solitaire, comme le seront souvent ses héros, et proche de la nature.

Les paysages évoqués dans la Paroi de glace (1), pour la première fois traduit chez nous, ne sont pas sans rappeler ceux décrits dans Kosaku et Shirobamba (tous deux publiés chez Denoël), romans qui constituaient une sorte d'auto- biographie déguisée. Mais, cette fois, le héros n'est plus un jeune garçon, apprenti de la vie, mais un adulte qui découvre l'amour et ses tour- ments, et finalement la mort.

Uozu est un passionné de montagne. En com- pagnie de son meilleur ami, Kosaka, amoureux de Minako, une femme beaucoup plus jeune que son mari, il s'attaque à des escalades de plus en plus risquées : « Certes, ils étaient blo- qués dans une anfractuosité de rocher à trente mètres du sommet, mais la situation n'avait rien de catastrophique, songea Uozu. Pourtant, il sentait la mort emplir tout l'espace au dehors.

Elle rôdait autour d'eux, prête à les emporter s'ils relâchaient leur garde, ne serait-ce qu'un instant. *

Les pressentiments d'Uozu ne l'ont pas trompé : ce jour-là, justement, survient l'accident qui coûte

(2)

CHRONIQUES

Un portrait d'homme déchiré entre l'amour et l'amitié

la vie à Kosaka. A partir de ce moment, la vie du survivant est empoisonnée par les questions que se posent son entourage et celui de la victime : quelle est la cause de l'accident ? Défaillance humaine, de la corde, meurtre ou suicide ? Des tests révèlent que la corde était solide. Peu à peu, on en vient à suspecter Uozu : après tout, n'est-il pas lui aussi épris de Minako, à laquelle cependant il renoncera - alors que son amour est partagé -, pour se tourner vers Kaoru, la sœur du défunt.

Tout au long de l'enquête, qui oscille entre meurtre et suicide - et dans ces conditions parti- culières, un suicide serait abject puisqu'il mettrait en danger la vie d'un ami -, le corps de Kosaka demeura hors d'atteinte : ce n'est qu'au prin- temps qu'on pourra l'arracher à son linceul de neige et de glace pour l'incinérer, en présence de quelques intimes, dans la quiétude de la mon- tagne : « Uozu se remémora les énormes flammes embrasant le ciel lors de la crémation. La vision de ce brasier rouge réduisait l'agitation du monde d'en bas - les tests, les articles des jour- naux- à d'ineptes absurdités. »

Inspiré d'un fait divers qui passionna le Japon dans les années cinquante, ce beau roman sur la montagne illustre le code de l'honneur propre à ses adeptes et les vertus - discipline, courage, solidarité et endurance - qu'elle en exige. Avec le personnage d'Uozu, Inoué nous offre un magnifique portrait d'homme, déchiré entre l'amour et l'amitié.

On n'a pas oublié le héros loufoque de Yasutaka Tsutsui, le célèbre professeur Tadano (les Cours particuliers du professeur Tadano, chez Stock)

en butte à la hargne non dénuée de perversité de ses collègues, et ses aventures désopilantes à l'université de Meseida. Hanté peut-être par la perspective d'un avenir qui ne s'annonce pas rose, l'auteur réitère avec un recueil de nouvelles

(3)

qui aborde toute une gamme d'émotions et d'inquiétudes provoquées par un univers qui prend ses racines dans une réalité aux franges du fantastique, et pourtant non dénuée d'humour.

Le Censeur de rêves (2), qui donne son titre au recueil, nous entraîne dans un futur qui n'est pas sans évoquer le monde de George Orwell décrit dans 1984. Là aussi l'autorité estime néces- saire de contrôler la vie inconsciente des gens et par conséquent d'intervenir dans leurs rêves : désormais, la science le permet. Au tribunal des rêves, tout un personnel s'affaire, un peu comme dans les coulisses d'une production de cinéma qui modifie les décors à mesure des besoins, pour transformer les images perçues par le dor- meur. En principe, le motif est avouable : le som- meil de l'individu en question ne doit pas être per- turbé par des images qui lui rappelleraient des épreuves récentes, des moments douloureux de son existence.

Mais la cruauté est aussi au rendez-vous avec le Cercle des gentes dames du quartier. Huit femmes qui s'estiment lésées par la vie qu'elles mènent se sont réunies en association de malfai- teurs : « Le maigre salaire de son mari et les frais de scolarité de son fils la mettaient hors d'elle. Elle détestait aussi l'inflation, la courbe ascendante du coût de la vie, et notamment le coût exorbi- tant de la bonne nourriture et de la confection de qualité. »

Afin de satisfaire leurs désirs, elles cambriolent d'autres femmes, celles qui vivent dans de somp- tueuses demeures et s'habillent chez les grands couturiers. La préparation de leurs expéditions est minutieuse et ne laisse rien au hasard. Leur prudence est extrême : elles se contentent de l'argent liquide et ne volent jamais des objets ni, malgré des tentations presque irrésistibles, des bijoux dont la possession pourrait les faire accu- ser. Naturellement, elles ne laissent aucune trace de leurs forfaits et, afin de n'être pas reconnues

L'humour japonais, bien dif- férent de l'humour anglais, n'en est pas moins savoureux

2. Yasutaka Tsutsui.

Traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier et Jean-François Laffont.

Stock, 260 p., 130 francs.

(4)

CHRONIQUES

par leurs victimes, elles n'hésitent pas à les tuer.

Tout cela, avec une délicatesse infinie. Il y a aussi un petit garçon, qui n'aime pas ses parents et les laisse mourir ; des Africains qui veulent à tout prix se procurer une bombe atomique, même au rabais ; un homme dont les médias empoisonnent la vie ; une civilisation où le gou- vernement oblige les contrevenants à prendre racine.

Toutes les nouvelles révèlent un côté inquiétant, soit dans l'évolution des êtres soit dans celle de la société. A partir de situations ou d'événements anodins, Tsutsui excelle à créer une sourde angoisse qui amène le lecteur à se poser des questions : et si cela était possible ? Et si cela arrivait un jour ?

Cette lecture est un vrai régal. Certes, l'humour japonais est très différent de l'humour anglais : il n'en est pas moins savoureux.

Les auteurs chinois de la nouvelle génération, tels Yu Hua, qui a publié récemment Vendeur de sang (Actes Sud), ou Suy Tong, dans son très émouvant roman Riz (Flammarion), ne laissent rien ignorer de la misère ordinaire qui sévit dans leur pays : elle est le lot de la majorité, que ce soit au fin fond des campagnes ou dans les grandes villes.

Avec son premier livre, la jeune romancière Chi Li (née en 1957) nous décrit sans éclat ni com- plaisance la condition qui est celle de dizaines de millions de ses compatriotes à l'ère post-Mao Zedong (3). Elle s'attache à suivre son sympa- thique héros, le malheureux Yin Jiahou tout au long de sa vie quotidienne, qui consiste en une suite de difficultés, d'épreuves, de tracas engen- drés par la pauvreté, de rêves avortés, d'espé- rances déçues, qu'il lui faut surmonter tant bien que mal à l'aide de petits moyens, d'ingéniosité, de sens de la débrouillardise.

Sans éclat ni complaisance

(5)

Mais, heureusement pour lui, notre héros est doté d'un formidable appétit de vie qui lui per- met de profiter de chaque petit instant de bon- heur qu'il peut arracher au cours de sa journée ordinaire, qui correspond très exactement à ce que nous appellerions une journée de cauche- mar : « Pour arriver à huit heures au travail, il lui fallait sans faute attraper le bac de six heures

cinquante. Pour cela, il devait prendre d'abord l'autobus n° 4 ; or il y avait dix minutes de marche jusqu'au bus, et encore dix après. Et comment faire si le bus n 'arrivait pas tout de suite, ou bien s'il était trop bondé pour qu'il puisse y monter ? »

Le plus grand bonheur de Yin est son fils de quatre ans, Leilei, petit garçon délicieux et intelli- gent qui lui permet de supporter son existence précaire et de retrouver chaque soir sa femme, qui lui reproche avec aigreur ses conditions de vie : ne lui avait-il pas promis, lors du mariage, de lui procurer un appartement digne de ce nom?

Malgré ses efforts répétés, Yin Jiahou n'y est pas parvenu... Et nous devinons bien, hélas ! qu'il n'y parviendra jamais, et qu'il lui faudra bien s'accommoder de cette triste vie. •

3. Triste Vie. Traduit du chinois par Sha Baoquing. Actes Sud, 100 p., 68 francs.

Références

Documents relatifs

La courbe de la voie ferrée produit ce mouvement d’enveloppement de l’objet qui, à la différence des visions fragmentaires saisies au vol dans le même passage,

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

Les recherches actuelles tendent à prouver que tout semble se mouvoir de façon harmonieuse dans le monde naturel, mais que cette harmonie est parfois soudainement

[r]

Mais alors que mes maîtres PU-PH me formaient en faisant leur métier de chirurgien dans le service, moi jeune PU-PH je devrais me dédoubler et être à la fois dans le service et

4 enfants font du camping dans un bois. Les 4 enfants feront tous le même rêve ; dans ce rêve, des personnages de contes vont se côtoyer. A leur réveil, les enfants vont trouver

(Le Petit Chaperon Rouge, Javote, Anasthasie, Cendrillon et le Chat Botté arrivent en ombre chinoise en courant et ils sont essoufflés.).. Petit Chaperon Rouge : Eh bien nous

haite un conseil pour une peti- te de quatre ans (14 kg) attein- te de fièvre méditerranéenne familiale (FMF) et traitée par colchicine.. Rappelons la définition que donne le