É RIC T ÉROUANNE
Comparaison de tendance centrale par l’analyse de transferts
Mathématiques et sciences humaines, tome 134 (1996), p. 63-76
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COMPARAISON DE TENDANCE CENTRALE PAR L’ANALYSE DE TRANSFERTS
Éric TÉROUANNE1
RÉSUMÉ -- La différence de tendance centrale entre deux distributions sur un ensemble fini est représentée par une série de transferts entre les modalités. Un modèle unique est proposé qui permet d’analyser ces
différences
pour des variables nominales, ordinales ou métriques aussi bien que pour les variables numériques.En particulier on définit un indice de différence entre les distributions qui se ramène à l’indice de distorsion de Gini dans le cas d’une variable nominale et à la différence entre les moyennes dans le cas d’une variable
numérique.
SUMMARY - Comparison of central tendencies by means of transfer analysis.
The differences in the central tendency of two distributions on a finite set is
represented by
a series of transfersbetween modalities. A common model is
presented
which allows one toanalyze
these transfers for nominal,ordinal or metric variables, as well as for numerical ones. In
particular,
wedefine
an indexof difference
betweenthe distributions which boils down to Gini’s distortion index in the case of a nominal variable and to the
difference
between the means in the case of a numerical variable.1. INTRODUCTION
On
distingue classiquement,
dans lacomparaison
de deuxdistributions,
cequi
concerne latendance centrale et ce
qui
concerne la concentration oudispersion.
Faute d’un terme mieuxadapté,
etqui
seraitpeut-être
à trouver, nous utiliserons les termes de tendance centrale pourdésigner
tout cequi
ne concerne pas ladispersion-concentration.
Cefaisant,
on vise àdépasser
la
simple comparaison
des résumés(mode,
médiane oumoyenne)
et àanalyser plus
finementles différences entre les deux distributions. Sans même introduire
l’analyse
destransferts,
il y a bien desfaçons
de le faire.Comparons
parexemple
deux distributions p et q d’une variable nominale à trois modalités(figure 1,
àgauche).
Figure
1. Divers niveaux decomparaison
de deux distributionsen termes de tendance centrale.
1 Département de mathématiques et informatique appliquées, Université Paul Valéry, B.P. 5043, 34032 Montpellier Cedex. e-mail
EricTerouanne@bred.univ-montp3.fr
On peut
distinguer
au moins trois niveaux decomparaison
en termes de tendancecentrale,
tous trois fondés sur le mêmeprincipe :
dans le casnominal,
une modalité est d’autantplus
centralequ’elle
estplus fréquente.
Ces trois niveaux sont emboîtés : le dernier contienttoute l’information du second
qui
lui-même contient celle dupremier.
Onpeut développer
desoutils de
comparaison analogues
dans le cas de variables non nominales.i - La
comparaison peut
se réduire à celle de la modalité laplus
centrale dechaque distribution,
dans le cas nominal son mode. Dans notreexemple,
on dirasimplement
que pet q
n’ont pas le même mode
(a
pour p et b pourq).
ii - On
peut,
au lieu de ne s’intéresserqu’à
laplus centrale,
considérer le classement detoutes les
modalités,
de laplus
centrale à la moinscentrale,
dans chacune des deux distributions(figure 1,
aucentre).
On dira alors que la modalité laplus
centrale pour p est laplus
excentréepour q, alors que la
plus
centrale pour q est en secondeposition
pour p. Ou encore que b et cgagnent
chacune uneplace quand
on passe de p à q. Onpeut
mêmequantifier
les désaccordsentre les deux classements
(ici
deux désaccords sur un maximum detrois).
iii - On
peut
encore nuancer cettecomparaison
en situant les modalités sur l’échelle desfréquences (figure 1,
àdroite).
On voit alors que lechangement
de classement de bquand
onpasse de p
à q
est dû à uneplus
faible différence que lechangement
de classement de c. Ouencore, que le
changement
de mode est dû à une forte différence en cequi
concerne a et à unebien
plus
faible en cequi
concerne b. Làaussi,
divers indices permettent dequantifier
ce type de différence.L’analyse
de transferts que nousdéveloppons
ici est un nouvel outil decomparaison
finede deux distributions en termes de tendance centrale. Dans le cas
nominal,
la différence entre cet outil et le troisième niveau decomparaison
décrit ci-dessus relève de la différence entrecomparaison
additive etmultiplicative :
au lieu deprendre
encompte
les différences entre lesfréquences
d’une mêm~ modalité dans les deuxdistributions,
ilprend
encompte
leursrapports,
autrement dit la densité d’une distribution par
rapport
à l’autre. C’estpourquoi
au lieu dereprésenter
ces distributions sur deux échellesparallèles (figure 1,
àdroite),
nous lesreprésenterons
sur deux échellesperpendiculaires (figure 2).
Figure
2. densité d’unedistribution q
par rapport à une distribution psur E
= 1 a, b, c 1,
et l’ordre(ql p)
associé.Cette
façon
de comparer deux distributions pet q
d’une variable nominale nous a amené à introduire la notion de distorsion[11].
Cettegrandeur
est la somme des valeurs absolues desquantités tx,y(p,q)
= Onpart
ici de deux remarques :i -
On peutinterpréter
lesgrandeurs tx,y(p,q)
comme une famille de transferts entremodalités, qui change
p en q(§.2).
ii - La
distorsion,
bien queparfois appelée
indice de concentration de p parrapport
à q,mesure en fait la différence entre p
et q
en termes de tendance centrale et non en termes dedispersion
ou concentration(§.3).
L’étude de tels transferts est ensuite étendue du cas nominal au cas ordinal
(§.4) puis
aucas
métrique (§.5),
etplus généralement
au cas de variables combinant ces deux structures, dont les variablesnumériques
sont un casparticulier (§.6).
Il suffit pour cela de doter les transferts d’une orientation ou d’unelongueur.
On
peut ainsi,
dans un formalisme commun à unegrande
variété de structures,quantifier
la différence de tendance centrale entre deux distributions et la
décomposer
en une somme decontributions de chacune des modalités ou de chacune des
paires
de modalités. L’indiceglobal
de transfert ainsi défini coïncide dans le cas nominal avec la
généralisation
de l’indice de Gini etdans le cas
numérique
avec la différence entre les moyennes. Dans le cas d’une structurepurement
métrique
ou purementordinale,
il fournit des indices de différencequi manquaient
àla
panoplie
des outilsclassiques.
Pour
finir,
on met en oeuvre ces divers outils sur un mêmeexemple simple
mais réel(§.7),
afin d’illustrer la variété et la finesse desanalyses possibles.
2. TRANSFERTS
CANONIQUES
ET DISTORSIONIl y a
toujours
de nombreusesfaçons
de passer d’une distribution p sur un ensemble fini E àune autre distribution q, au moyen d’une série de transferts entre modalités. Parmi toutes ces
façons
nous endistinguerons
une que nousappellerons transferts canoniques changeant
p en q.Le transfert
canonique
de la modalité x vers la modalité y pourchanger
p en q est le déterminant :Si tx,y (p,q)
estpositif,
il y a un transfertpositif
de x vers y. S’il estnégatif,
le transfertpositif
a lieu de y vers x. On a bien sûr :On vérifie immédiatement que cette famille de transferts transforme bien p en q. On a en
effet pour tout x dans E :
Dans le cas d’une variable
dichotomique,
avec E =ixyl,
le transferttx, y (p,q)
se réduitOn
appelle
ordre de distorsion de q par rapport à p lepréordre,
noté(qlp),
induit sur Epar la densité
de q
parrapport à p (figure 2).
Lecouple (x,y) appartient
à l’ordre(qlp),
ce que l’on note(x,y)(q/p),
si :. "
Ce
qui
revient à dire que, dans le passagede p à q, x
est relativement moins favorisé(ou
plus défavorisé)
que y. Celas’exprime
encore :Autrement
dit,
tous les transfertscanoniques positifs
se font d’une modalité inférieurevers une modalité
supérieure
pour l’ordre de distorsion(qlp).
La distorsion entre p et q, définie comme la
superficie
de lasurface
de distorsion(figure 3)
entre p et q, est la somme des transfertscanoniques positifs [ 11 ].
Pour des raisonsd’homogénéité
avec les autres structuresenvisagées
dans cetarticle,
nousappellerons également
cettegrandeur
letransfert
nominal et la noterons :Figure
3. Transfertscanoniques
entre modalités et transfert nominalentre les distributions de la
figure l .
Cet indice est
toujours compris
entre 0 et 1. Il est nul si et seulementsi p
= q. Ilprend
lavaleur 1 si et seulement si les
supports de p et q
sontdisjoints.
C’est un écart surl’espace
desdistributions,
mais pas une distance car ilpeut
violerl’inégalité triangulaire2.
Enposant :
on a aussi :
Le transfert nominal se
décompose
en somme des contributions de chacune des modalités([11]).
La contribution de la modalité x est laquantité :
2 Par exemple entre les distributions (1/3,1/3,1/3), (1/2,1/2,0) et (0,112,112).
3.
TRANSFERTS,
CONCENTRATION ET TENDANCE CENTRALEL’idée de comparer deux distributions
statistiques
enanalysant
les transfertsqu’il
faut effectuerentre les modalités pour passer de la
première
distribution à la seconde remonte au moins aux travaux de Dalton[3],
formalisant une idée dePigou [9]
pour comparer des distributions de fortune ou de revenus. Les différences entre distributions étudiées dans ce cadre sont des différences de concentration : une distribution estplus
concentréequ’une
autre si l’onpeut
passer de la
première
à la seconde au moyen de transfertsqui
tousprennent
à unplus
richepour donner à un
plus
pauvre.Au
demeurant,
peuimporte
de savoir si c’est la même personne ou nonqui
demeure laplus
riche : cette notion de concentration est insensible auxpermutations
sur les modalités.Dans ces
études,
on oublie enquelque
sorte lesmodalités,
c’est à dire les personnes entrelesquelles
sont distribués lesbiens,
pour ne s’intéresserqu’aux fréquences,
c’est à dire les fortunes. L’ordrepartiel
ainsi défini surl’espace
des distributions est décrit par la courbe de Lorenz[5].
Il a été abondamment étudié dans le cadre d’une théorie desinégalités
que Marshallet Olkin
présentent
defaçon
détaillée[6].
Pour desdéveloppements
et unebibliographie plus
récents,
le lecteur peut se reporter à[7]
ou[8].
Le contour inférieur de notre surface de distorsion
(trait
gras dans lafigure 3)
se confondavec la courbe de Lorenz de la
distribution q quand
p est la distribution uniforme. C’est cequi
lui vaut habituellement le nom de courbe de concentration
([ 1],[2])
ou courbe de concentration relative([12])
de q par rapportà p.
Chez ces auteurs, ce que nousappelons
transfertnominal,
et
qui généralise
l’indice de Gini[4],
estappelé
indice de concentration de q par rapport à p.Regazzini [ 10]
donneégalement
uneinterprétation
de cettegrandeur
en termes de transferts(mais
seulement entre modalités successives dans l’ordre dedistorsion)
et larebaptise
meanequalizing transfer changing p into
q.On a
justifié ([11])
leremplacement
duconcept
de "concentrationde q
par rapportàp"
par celui de "distorsion
(ou
tansfertnominal)
entre p etq"
par le fait que les mesures pet q
yjouent
des rôlessymétriques.
Il convientd’ajouter
que le terme de concentrationprête
ici àconfusion,
car ils’agit
bien de différences de tendance centrale.Comparons
parexemple
ladistribution p de la
figure
1 avec lescinq
autres distributions de la même variable nominale obtenues àpartir de p
parsimples permutations
desfréquences (figure 4).
Figure
4. Transferts nominaux entre une distribution pet les
cinq
distributions de même concentrationqu’elle.
Ces six distributions ont exactement la même concentration. Par contre elles diffèrent en
termes de tendance
centrale,
laplus
différentede p
étant cellequi
inverse l’ordre desfréquences
: son mode est la modalité la
plus
rarede p
et vice-versa. C’est bien cette différence de tendance centrale que mesure le transfert nominal.4. TRANSFERT
ORIENTÉ
On considère maintenant le cas où E est doté a
priori
d’un ordre total 6). Parconvention,
nousdirons que x est à
gauche
de y, ou y à droite de x, et nous écrirons(x,y)m,
si lecouple (x,y) appartient
à 6). Si les ordres m et(qlp)
coïncident sur la c’est à dire si x est àgauche
de y et quetx,y(p,q)
estpositif,
ou si x est à droite de yet que tx,y(p,q)
estnégatif,
letransfert
canonique
entre x et y se fait degauche
à droite. Il se fait de droite àgauche
sinon.Examinons notre
exemple
desfigures
1-2 avec pour ordre apriori
c a b. Le transfertpositif
entre a et b se fait alors de
gauche
à droite tandis que les deux autres(de a
vers c et de b versc)
se font de droite à
gauche (figure 5,
àgauche).
On
appellera transfert
orienté de p à q pour l’ordre co, et on noterat,)(p,q),
la somme detous les transferts
canoniques
degauche
à droite :où
désigne
l’ordre dual de ru. Cet indice varie entret({ p,q } ), quand
ru et(qlp) coïncident,
et-t(ip,q 1), quand
ru est le dual(plq)
de(qlp).
En posant :OO O
Si
t~~p,q)
estpositif,
on diraqu’il
y a untransfert
vers la droitepositif quand
on passede p
à q. S’il estnégatif, -t,)(p,q) représente
untransfert
vers lagauche positif.
Figure
5. Transfert orientéde p à q
pour l’ordre m =(c,a,b) (à gauche)
et pour l’ordre dual ce
(à droite).
Graphiquement (figure 5,
aucentre),
on peutreprésenter
l’ordre apriori co
par uneligne
brisée
(trait gras)
où lessegments représentant
les modalités se suivent dans l’ordre 6). Si l’on reconstitue lepuzzle
de la surface de distorsion en respectant cetteligne,
celle-cisépare
celle-làen deux
parties.
La surface du dessus est constituée desparallélogrammes
associés auxpaires
de modalités sur
lesquelles met (qlp) coïncident,
et celle du dessous de ceux pourlesquels 6)
et(qlp) s’opposent.
Le transfert orienté de pà q
est donc la sommealgébrique
de cessurfaces, comptées positivement
au dessus etnégativement
au dessous de laligne représentant
w. Avecles mêmes
conventions,
lafigure
3 et lafigure
5(à droite) représentent
les transferts orientés de pà q
pour les ordres(qlp)
et oerespectivement.
On
peut
montrerégalement
que le transfert orienté de pà q
pour 6) est la mesurealgébrique (avec
la même convention designe
queci-dessus)
de lasuperficie comprise
entre laligne qui représente 6)
et sasymétrique
parrapport
au centre du carré(en pointillés
sur lafigure 5,
aucentre), qui représente
l’ordre dual w*.La contribution de la modalité x au transfert orienté entre p
et q
est laquantité :
où vaut 1 si
(x,y)w,
-1 si(y,x)m.
Le transfert orienté mesure le bilan
global,
soit vers la droite soit vers lagauche,
destransferts entre modalités
quand
on passe de p à q. Une autregrandeur
intéressante dans lacomparaison
de deux distributions d’une variable ordinale estl’homogénéité
de ces transferts.Quelle
que soit la valeur absolue du transfertorienté,
il est intéressant de savoir s’il résulte de l’addition de transferts entre modalitésqui
vont tous dans le même sens(transferts homogènes),
ou bien si unegrande partie
d’entre eux, designes opposés,
secompensent.
On peut évaluer
l’homogénéité
des transferts encomparant
la valeur absolue du transfert orienté au transfert nominal. On noterahafp,q)
cet indiced’homogénéité :
L’homogénéité
estcomprise
entre 0 et 1. Elle est de 100% pour l’ordre(qlp)
ou son dual.Dans le cas de l’ordre m de notre
exemple (figure 5),
elle vaut seulement0,03
/0,37,
soit environ 8% : les transferts vers lagauche
et vers la droite secompensent
presque, avec unléger
avantage
auxpremiers.
Dans le cas de l’ordre a cb,
on obtient un transfert orientépositif (0,13
+0,17 - 0,07
=0,23)
et un indiced’homogénéité
de0,23 / 0,37
=62%, indiquant
que les transferts vers la droitel’emportent
assezlargement
sur les transferts vers lagauche.
5. TRANSFERT
MÉTRIQUE
Considérons maintenant le cas où E est muni a
priori
d’une structuremétrique.
Le transfertcanonique
entre deux modalités x et y se fait alors sur une certaine distanced(x,y).
Onappellera transfert métrique
de x vers y leproduit d(x,y)tx,y(p,q).
La somme des transfertsmétriques positifs, notée td ({ p,q }),
constitue letransfert métrique
entre p et q :Si l’on
interprète
comme laproportion
d"’individus"qui
se sontdéplacés
lorsdes transferts
canoniques changeant
p en q, laproportion
d’individusqui
n’ont pasbougé
estest la distance moyenne parcourue par tous les individus. Le transfert nominal t
( { p, q } )
estsimplement
le casparticulier
où la distance d est uniformémentégale
à 1hors de la
diagonale.
6. TRANSFERT
MÉTRIQUE ORIENTÉ
Si E est muni à la fois d’une
métrique
d et d’un ordre total 6), on définit letransfert métrique
orienté de p à q par :
L’indice
d’homogénéité
est alors défini comme :Le transfert orienté
({p,q})
est le casparticulier
où la distance d est uniformémentégale
à 1 hors de ladiagonale.
Un autre cas
particulier
est celui où lamétrique
peut être définie au moyen d’une fonctioncroissantef de E
dans R telle que, pour toutcouple (x,y) :
On a alors :
Or cette
quantité
est aussiégale
à :On a donc :
Le transfert
métrique
orienté de p à q est donc la différence entre les moyennes, pour q et prespectivement,
de lafonction f
Un
exemple
d’une telle situation est une variable ordinale àlaquelle
onadjoint
lamétrique
des rangs. Le transfert
métrique
orienté de pà q
se confond alors avec la différence entre lesrangs moyens pour q et pour p. On a ainsi le
choix,
pour caractériser la différence de tendance centrale entre deux distributions d’une variableordinale,
entre le transfertmétrique
orientécalculé avec la
métrique
des rangs et le transfertorienté,
c.à.d. le transfertmétrique
orientécalculé avec la
métrique
uniforme. Ce choix est exactement celui que l’on est amené à fairequand,
pour caractériser la liaison entre deux variablesordinales,
on choisit entre le Rho deSpearman (métrique
desrangs)
et le Tau de Kendall(métrique uniforme).
Un autre
exemple
est bien sûr celui d’une variablenumérique : f est
alors l’identité et le transfertmétrique
orienté estsimplement
la différenceq - p
entre les moyennesq
etp
des deux distributions. La contribution d’une modalité x à ce transfert s’écrit :
7. UN EXEMPLE
Le tableau 1 donne la
population
de chacune descinq
villes lesplus importantes
de l’Hérault lors des recensements de1881,
1968 et 1990 en nombre d’habitants(trois premières lignes) puis
enpourcentàges (trois lignes suivantes).
Chacune des trois dernièreslignes
donne ladensité de l’un des recensements par
rapport
à unplus
ancien. Ainsi pour1968/1881,
la densitépour la ville v est le rapport où
pa(v)
est laproportion
de la ville v dans le total despopulations
descinq
villes pour l’année a.Tableau 1.
Populations
decinq
villes de l’Hérault lors de trois recensements, distributions defréquences correspondantes
et densitésde ces distributions les unes par
rapport
aux autres.Nous allons comparer ces trois distributions en considérant d’abord que l’ensemble des villes est
dépourvu
de structure apriori, puis
en le dotant d’une structuremétrique,
enfin en yadjoignant
un ordre. Pour faire court, les villes pourront dans la suite êtredésignées
par leurs initiales.7.1. Transfert nominal
L’ordre de distorsion de 1968 par rapport à 1881
(7° ligne
du tableau1)
est(S, A, L, B, M).
Les
plus grandes
villes dominent(Montpellier)
ou stagnent(Béziers),
au détriment de la troisième(Sète)
et, dans une moindre mesure, des deuxplus petites (Lunel
etAgde).
Le tableau2
indique
les valeurs des transfertscanoniques tmy (p, q).
Tableau 2. Transferts
canoniques
d’une ville(ligne)
à une autre(colonne)
lors du passage de la distribution de 1881 à celle de 1968.
Le transfert nominal est la somme des transferts
positifs (triangle supérieur),
soit0,1957.
On
peut interprétéer
ce nombre en disant que les transfertscanoniques
entre 1881 et 1968 ontconcerné
19,57%
de la masse totale. Il faut bien sûrprendre garde
à ne pasinterpréter
cestransferts comme de véritables transferts de
population
au sensdémographique
du terme : nonseulement les
populations
à ces deux dates sontquasi disjointes,
mais enplus
l’évolution entre deux recensements combine de tels transferts avec un solde naturel et desmigrations depuis
ouvers le reste du monde.
Pour
interpréter
cestransferts,
il faut d’abord admettrequ’ils
s’exercent au sein d’unepopulation
fictive de masse totale constante etégale
à 1. Il faut ensuite admettre que ce ne sont pas les transferts lesplus "économiques" :
dansl’exemple ci-dessus,
on peut passer de la distribution de 1881 à celle de 1968 enopérant uniquement
des transfertsdepuis
lesquatre
autres villes vers
Montpellier, déplaçant
alors seulement16,07%
de la masse totale(somme
desdifférences
positives
entre leslignes
4 et 5 du tableau1).
Les transfertscanoniques,
eux,rendent
compte,
pourchaque paire
de villesséparément,
de la modification durapport
entre leurs masses : le transfert de x vers y estpositif
si lerapport
entre lespopulations
de x et y adiminué, négatif
s’il aaugmenté,
nul s’il est resté le même.On
peut représenter
ces transferts par ungraphe (figure 6)
danslequel
les villes sontplacées
degauche
à droite selon l’ordre de distorsion. Les transferts de 1881 à 1968 se font engrande majorité
versMontpellier (82%
dutotal).
Le transfert de Béziers versMontpellier (28%
du
total)
faitplus
que compenser lesgains
de Béziers(16%).
Sète assume à elle seuleplus
de lamoitié des
pertes.
Figure
6.Graphe
des transfertscanoniques
de 1881 à 1968.Les
pourcentages
concernent des flèches issues de ou allant vers une même ville(arcs
decercle).
On
applique
le même traitement au passage de 1968 à 1990(tableau
3 etfigure 7).
L’ordre de distorsion est alors
(B, S, M, L, A).
Le transfert nominal s’élève à0,0976,
soit lamoitié du transfert nominal observé de 1881 à 1968. Les deux
plus petites
villes(Lunel
etAgde)
sont devenuesbénéficiaires,
avec descomportements
très similaires : ellesreçoivent
chacune 16% des transferts sans
pratiquement
rien céder.Montpellier
reste leplus
gros gagnant, recevant 63% des transferts et en cédant par ailleurs 14%. Enfin c’est Béziers et nonplus
Sètequi
est leplus
grosperdant,
avec 65% des transfertsnégatifs.
Tableau 3. Transferts
canoniques
entre les distributions de 1968 et 1990.Figure 7.Graphe
des transfertscanoniques
de 1968 à 1990.L’ordre de distorsion de 1881 à 1990
(tableau 4)
est encore différent. Le transfert nominals’y
élève à0,2445,
soit un peu moins que la somme de ses valeurs pour les deuxpériodes
successives. Legraphe
des transferts(figure 8)
illustre l’écrasement parMontpellier
des autres
villes,
àl’exception
de Lunel dont le bilan estpositif.
Figure
8.Graphe
des transfertscanoniques
de 1881 à 1990.Tableau 4. Transferts
canoniques
entre les distributions de 1881 et 1990.7.2. Transfert
métrique
Introduisons maintenant une structure
métrique (figure 9),
celle des distanceskilométriques
entre les villes. On a considéré les distances par la route et on n’a pas tenu
compte,
poursimplifier,
de la constructionentre-temps
d’une autoroute. Les distances nonindiquées
sontcelles des
plus
courts chemins dans legraphe
de lafigure
9(par exemple
96km entre Béziers etLunel
).
Figure
9.Disposition géographique
descinq
villesavec leurs distances routières
(en km).
Les
transferts métriques,
calculés parexemple
entre 1881 et 1990(tableau 5),
se font par définition dans le même sens que les transfertscanoniques (tableau 4).
Par contre ilss’expriment
dans uneunité,
ici le kilomètre. Le transfertmétrique
entre ces deux distributions s’élève à12,47km.
Le même indice vautrespectivement 9,12km
entre 1881 et 1968 et5,56km
entre 1968 et 1990. ,
Tableau 5. Transferts
métriques
entre les distributions de 1881 et 1990(en km).
La différence entre
l’analyse
du transfert nominal et celle du transertmétrique
résideessentiellement dans les valeurs relatives des transferts. Ainsi les
pertes
deSète,
la ville laplus
centrale
géographiquement, chutent, passant
de 50% du transfert nominal à 33% du transfertmétrique.
Par contre les soldes des villes lesplus
excentrées voient leurs valeurs relativess’aggraver, passant respectivement
de +3% du transfert nominal à +7% du transfertmétrique
pour Lunel et de -38% à -53% pour Béziers.
7.3. Transfert orienté
On
peut également
introduire des ordres totaux sur E. En effet lacomparaison
de ces troisrecensements fait
apparaître
unedynamique,
surtout sensible dans la deuxièmepériode, qui
favorise l’est du
département
au détriment de l’ouest. Onpeut représenter
ladisposition
desvilles d’ouest en est
(figure 10)
par un ordre(B, A, S, M,L).
Le transfert orienté de 1968 à 1990 est la somme des transfertscanoniques
du tableau 3qui
vont d’une ville vers uneautre située
plus
à l’est(autrement
dit à l’orient!).
La
plupart
de ces transferts sontpositifs,
les seulsnégatifs
étant ceux deMontpellier,
Sète et Lunel vers
Agde (en gris
sur lafigure 10).
Il en résulte un transfert orientétw(1968,1990)
=0,0880.
Sonsigne positif
confirme que les transferts vers l’estl’emportent
sur ceux vers l’ouest. La valeur de l’indice
d’homogénéité, ~(1968,1990)
=0,0880 / 0,0976,
soit
90%,
confirme la force de cette tendance.Figure
10. Transferts d’ouest en estpositifs (noir)
ounégatifs (gris)
entre les distributions de 1968 et 1990.
Le transfert orienté est
également positif
de 1881 à 1968 : les seuls transfertsnégatifs (ou
d’est en
ouest)
sont ceux de Sète vers Béziers etAgde
et de cette dernière vers Béziers. Ontrouve
t,)(1881,1968)
=0,1651
eth,,(1881,1968)
=0,1651 / 0,1957
= 84%. Cette dernière valeur confirme que ladynamique
d’ouest en est est moins forte dans cettepremière période
que dans la seconde. On trouve enfin
t,)(1881,1990)
=0,2186
et~(1881,1990)
= 89%.On
peut
évidemment faire les mêmes calculs enprenant
encompte
la structuremétrique.
Les transfert
métriques
orientéscorrespondants
sont5,85
km de 1881 à1968, 4,62
km de 1968 à 1990 et10,52
km de 1881 à 1990. Les indicesd’homogénéité
sont alorsrespectivement
de 83% entre 1968 et
1990,
de 63% entre 1881 et 1968 et de 84% entre 1881 et 1990.On
peut
étudier de la mêmefaçon
une autredynamique,
surtout sensible dans lapremière période, qui
favorise lesgrandes
villes au détriment despetites.
Onreprésente
alors la taille des villes par l’ordre total(A, L, S, B, M ) (malgré
que Lunel soitplus petit qu’Agde
aupremier recensement).
On trouve là encore des transfert orientéspositifs
et pour indiced’homogénéité (dans
le casmétrique)
97% de 1881 à1968,
37% de 1968 à 1990 et 81% de 1881 à 1990.7.4. Transfert
numérique
On
peut
enfin utiliser une variable detype numérique
pouranalyse
parexemple
ladynamique
d’ouest en est : il suffit pour cela dereprésenter chaque
ville par salongitude.
Letransfert
métrique
orienté d’une distribution à l’autre sera alors la différence entre leurslongitudes
moyennes. On obtiendrait un autreplongement
de cetype,
et des résultatslégèrement différents,
enremplaçant
la distance routière entre les villes par leur distance lelong
de la voie de chemin de fer
qui
les relie effectivement dans cet ordre.Avec ce type de structure, et avec lui
seulement,
le transfertmétrique
orienté de 1881 à1990 est la somme des transferts
métriques
orientés des deuxpériodes
1881-1968 et 1968-1990.
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