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Quand les animaux sauvages apprivoisent la ville

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Uoici où uous p o u u e z e f f e c t u e r uos p a i e m e n t s a u e c

EEIEEEHÌ

V e l l o u j N e t

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Les gendarmes, le CIO et les quarante dopeurs

Face au torrent de révélations autour du dopage, face aux appels à la libé- ralisation des médicaments dans les compétitions de haut niveau, les défen-

seurs d'une cer- taine idée du

sport vont tenter de lui racheter une éthique lors de la Confé- rence mondiale sur le dopage, prévue début février à Lausanne. Mission impossible ? Coiutat déjabiué en page 41

Affaire Montand, délits sexuels, recherches en paternité...

le test ADN n'empêche pas l'erreur judiciaire

L'empreinte génétique, c'est la preuve-reine, la star des affaires Mon- tand, Clinton et Jefferson, celle qui, en établissant la «carte d'identité bio- logique de chaque être humain», don- nerait à l'enquêteur la certitude de tenir «son» coupable. Et pourtant, démontre le chercheur de l'Université de Lausanne Franco Taroni, la justice interprète trop sou-

vent de manière erronée les résultats de ces tests.

w Explication.'

IMPRESSUM

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Allez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne

№ 1 3 , janvier 1999 Tirage 20'000 ex.

44'000 lecteurs (Etude M I S Trend 1998) Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Broquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75 Internet: http://www.unil.ch/spul uniscope@unil.ch

Rédacteur responsable:

Axel-A. Braquet

Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat, journaliste à L'Hebdo Ont collaboré à ce numéro:

Sonia Amai, Michel Beuret, Patricia Brambilla, Sylvie Fischer, Alexandra Rihs

Photographe: Nicole Chuard Correcteur: Albert Grun

Concept graphique: Richard Salvi, Chessel http://www.swisscraft.ch/salvi/

Imprimerie et publicité:

Imprimerie Corbaz SA Editions-Publicité: Philippe Beroud Av. des Planches 22, 1820 Montreux Tél. 021 /966 81 81

Fax 021/966 81 83 Photos de couverture:

Lausanne: Nicole Chuard

Sommaire

Edito page 2

H I S T O I R E

Faut-il réhabiliter la Bernois?

page 3

Les dates-clé page 5 Paroles de révolutionnaires page 11

I O T R E É P O Q U E

Quand les animaux sauvages apprivoisent la ville

page 12 Quand la ville se fait hostile page 17 Eux aussi habitent la ville. Mais discrètement page 18

S O C I É T É

Affaire Montand, délits sexuels, recherches en paternité...

le test ADN n'empêche pas l'erreur judiciaire

page 20 Les sciences humaines aussi fascinées par la preuve:

la philosophe Marie-Jeanne Borel et l'éthicien Denis Muller page 24 Thomas Jefferson, trahi par ses gènes page 25

I T E R V I E 1

«Le seul bon impôt, c'est celui que paient les autres»

Danielle Yersin, Juge fédérale et spécialiste du droit fiscal page 27

Chuuuut... Secret d'Etat!

page 33

Le Secret, Cours général public de l'Université de Lausanne,

le programme: page 39 Les ovnis? Histoire d'un faux vrai secret page 40

S P O R T / IVIÉ D E C

Les gendarmes, le CIO et les quarante dopeurs

page 41

Mark McGuire, idole ouvertement dopée page 43

«Lutter contre le dopage, c'est légiférer» page 47 Sport-plaisir, sport-performance page 48

C E Q U ' I L S E N P E N S E N T . . .

Pourquoi le progrès de la science n'a-t-il pas fait disparaître les superstitions ?

Réponse du professeur Jacques Dubochet page 49

Abonnez-vous, c'est gratuit ! page 51

F O R M A T I O N C O N T I N U E

Prochains cours à Lausanne page 52

HHHHHH1HHHHHHHHI

(3)

«Vaudois, un nouveau jour se lève. Il porte la joie dans nos cœurs. La liberté n'est plus un rêve. Les Droits de l'hom- me sont vainqueurs... » Ils célèbrent la fin d'une tyrannie, les couplets de l'hymne vaudois qu'on chante au soir du 24 janvier dans une arrière-salle de bistrot. La Révolution vaudoise, telle qu'on nous l'a enseignée, c'était notre Bastille à nous. C'était la prise des châ- teaux, la mise à la

porte des baillis et la naissance d'un souf- fle nouveau dans le Pays de Vaud oppressé.

L a réalité nous o- blige à ajouter une ribambelle de bé- mols à cet hymne patriotique. Les historiens de l'Uni- versité de Lau- sanne revoient en effet à la hausse le bilan de «l'enva-

hisseur» bernois. Et nous découvrons ébahis que les Vaudois n'étaient pas si mal lotis sous les baillis. Va-t-on pour autant réhabiliter Leurs Excellences? Les chercheurs préfèrent «faire un sort à la légende noire des Ber- nois» et ont pour seule ambition de présenter

«un bilan objectif» de la conquête.

Pas question de prononcer le terme de

«réhabilitation»: trop à la mode et pas scientifique.

Restent des faits qui sont têtus. On peut analyser le registre des naissances de l'époque, observer que les villes et

es villages vaudois témoignaient d'une certaine opulence, arpenter ces routes que nous devons à Leurs Excellences de Berne et s'étonner de la fiscalité

«légère» de l'époque. On peut encore soupeser les inconvénients découlant du statut de sujet: les Vaudois n'étaient pas libres et les Bernois se montraient parfois trop «mômiers» dans la gestion des Eglises romandes. Malgré cela, il faut bien abonder dans le sens de

Pierre-Maurice Glayre, ce ré- volutionnaire vaudois qui

admettait, en 1798 déjà: «Notre révo-

lution a ceci de particulier que

ses motifs ne sont ni les mal- heurs du peuple ni la haine de notre gouver-

nement.»

C e n'est pas encore une réhabilitation, mais presque.

Comment, dès lors, a- t-on pu décrier à ce point les Bernois? Les histo-

riens nous expliquent que tout commence peu après le départ

forcé des douze baillis alémani- ques qui «enva- hissaient» à eux seuls le Pays de Vaud. Il fallait bien justifier le chan- gement de régime, surtout face à des campagnes récalcitrantes au point de prendre les armes contre les révolu- tionnaires. Les nouvelles élites démo- cratiques ont alors abusivement noirci le bilan des aristocrates alémaniques,

inventant notamment le mythe du major Davel (qui fut trahi, arrêté, jugé et condamné par des... Vaudois) et imaginant la «légende noire» des Ber- nois, une thèse légèrement «révision- niste» qui s'est progressivement impo- sée comme une vérité. Jusqu'à ce que les chercheurs nous invitent à tourner la page.

S ' i l y a là de quoi déchanter, on ne par- lera pas pour autant de «révélation»

historique. Les universitaires qui fré- quentent le professeur Alain Dubois (lire en page 3) font ce genre d'ana- lyses depuis des années. Mais, comme cela s'était produit pour les échanges d'or avec l'Allemagne nazie, ces réajustements de l'histoire restaient confinés dans les cercles académiques.

De découverte en relecture surpre- nante du passé, nous finirons peut-être par apprendre à nous méfier de ces his- toires trop belles ou trop héroïques pour être vraies. Ces réinterprétations historiques à répétition résonnent pourtant comme une invitation à ces- ser de conjuguer le passé au présent.

Après tout, on peut continuer à pester contre les diktats de la Berne fédérale sans se prendre pour la réincarnation du major Davel. Et ça peut même sim- plifier les débats.

Jocelyn Rocha t

Faut-il réhabiliter les Bernois ?

I / Ourd n a pas bonne presse en terres vaudoises. Une réputation largement

imméritée. Les historiens ont en effet profité du Bicentenaire de la Révolution

vaudois e pour montrer que la vie sous le régime de Leurs Excellences n 'avait

rien à voir avec la case de l'oncle Gilles. Le point à l'occasion du 24 janvier.

(4)

H I S T O I R E : F a u t - i l r é h a b i l i t e r l e s B e r n o i s ?

:

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1 ^1

Projeteur Alain DuboL), spécialiste de l'Histoire moderne à l'Université de Lausanne

« c

ourbés depuis deux siècles sous le joug de quelques familles ambitieuses, nous nous sommes affranchis.» Voilà pour la lé- gende de la Révolution vaudoise. La réalité historique, elle, est nettement moins sombre et plus complexe. Le professeur Alain Dubois, spécialiste de l'Histoire moderne à l'Université de Lausanne, qualifie même les conqué- rants bernois de «dirigeants longtemps admirés». Une citation tirée de la pré- face de l'ouvrage du livre «De l'Ours à la cocarde» (Editions Payot, Lau- sanne, 1998). Ce recueil d'articles que l'on doit à un collectif d'historiens donne une image plus réaliste de ce

qu'était la vie des Vaudois assujettis aux Bernois, entre 1536 et 1798. Le livre montre que la mauvaise réputa- tion des envahisseurs bernois n'est, pour l'essentiel, qu'une construction a pojteriori. Les «libérateurs» vaudois au-

raient noirci le bilan de la tutelle de l'Ours, créant de toutes pièces la

«légende noire» des maîtres bernois...

On en avale son papet de travers!

Une collaboration active et musclée

Bien que le concept de réhabilita- tion «lui hérisse le poil», Alain Dubois trouve sans difficulté de nombreux mérites à Leurs Excellences de Berne.

«Si l'on fait une étude objective de cette période, il faut commencer par consta- ter que les Vaudois ont été des sujets moins contestataires que bon nombre d'Alémaniques assujettis aux familles dirigeantes de la ville de Berne.»

Les Vaudois sont allés bien au-delà de la simple prise en compte de l'arri- vée d'un nouveau seigneur dans la région en lieu et place des évêques de Lausanne ou des comtes de Savoie. On les voit notamment prendre les armes pour défendre Leurs Excellences lors- que les paysans de l'Emmental se révol- tent et attaquent Berne. Les troupes vaudoises n'ont pas hésité à malmener ces sujets en colère contre leur maître, plutôt que de les rejoindre sur le sen- tier de la révolte.

L'indépendance^

Pourquoi faire?

Comment expliquer que les sujets des bords du Léman n'aient pas tenté de profiter de la révolte paysanne et de l'affaiblissement du pouvoir bernois qui en découlait pour gagner leur liberté?

«D'abord parce que les Vaudois n'é- taient pas trop mal lotis, même s'ils

Une allégorie de la fertilité du pays et de la prospérité de l'Etat de Berne, par Johann Rudolf Huber, 1775

Le<f dateé-clé

L'exécution de Davel en 1723

n'étaient pas libres. Ensuite parce que cette revendication n'existait pas à l'époque. Même si nous avons bien cherché, nous n'avons pas retrouvé un seul texte - à part les doléances du major Davel qui ne fut pas suivi - où un Vaudois réclame l'indépendance. Ce n'était pas dans l'air du temps.»

L'air du temps. Voilà justement une bise qui agace le professeur Alain Dubois. Parce que le Pays de Vaud sous la domination bernoise, ce n'est pas tout à fait l'Afrique des colonies:

«Comme nous avons vécu une succes- sion de régimes totalitaires durant ce siècle, nous y associons bien à tort les Bernois... On atrop souvent jugé cette époque en fonction de problèmes et de concepts actuels. Voyez à ce sujet la Ligue vaudoise qui n'aime pas le cen- tralisme de la Berne fédérale du XXe siècle et qui prend donc la défense de la Savoie, régime pourtant bien plus centralisant et bureaucratique à l'échelle de l'époque que celui de Leurs Excellences...»

Des Bernois admirés à la ronde

«En fait, les dirigeants bernois é- taient admirés par leurs contemporains en Europe. Le régime de Leurs Excel- lences était considéré comme supérieur à beaucoup d'autres. Les écrits de nombreux voyageurs en témoignent», observe le professeur Dubois. La qua- lité et la sécurité de leurs routes étaient reconnues à des lieues à la ronde. Les sujets vaudois bénéficiaient par ailleurs d'un sort matériel et judiciaire tout à

• ! a

1 5 3 6 :

Berne déclare la guerre au duc de Savoie. Led troupe\i entrent à Genève le 2 février, et prennent le Château de Cbillon le 28 inard.

Le payé de Vaud, le Chablaid Mvoyard (Tbonon) et le paya de G ex dont découpéd en bailliaged.

21 mai: Genève adopte la religion réformée ded Bernoid.

ler-8 octobre : led clercd va dont convoque'd à Laïuanne.

A la fin d'une dut pu te de relig, led Bernai), «à qui la cbode bien plaidaù», ordonnent la dedtn

ded auteb et imaged catholigued e.

interdident de célébrer la medde.

1 5 3 7 :

Fondation par Berne di l'Académie de Lau- danne, première haute école de théologie de lan- gue français

(dont le dceau edt reproduit ci- contre).

1 5 8 8 :

Idbrand Daux, bourgmedtre de Liittdanne, tente de livrer la ville au duc de Savoie. Il échoue et d'enfuit.

Sed conipliced dont exécuté,' à Berne.

1 5 9 0 - 1 6 5 0 :

In tende période de chiidde aux dorcièred. 2000pe/vonned dont conàamnéed au bûcher.

(5)

H I S T O I R E : F a u t - i l r é h a b i l i t e r l e s B e r n o i s ?

Durant te régime bernois, près de 2000 sorcières et sorciers vaudois furent condamnés à mort, mais c'était par des tribunaux et des juges vaudois.

On voit ici l'exécution de cinq sorcières à Lausanne, le 14février 1573

(dessin de Johann Jakob Wick)

fait enviable. Les impôts, comparables à ceux qui étaient versés précédemment à l'Eglise, étaient relativement légers.

Enfin, les Bernois se montraient compréhensifs: «Leur gestion était pointilleuse, mais pas arbitraire. Ils sa- vaient par exemple que les récoltes dans le J u r a variaient énormément en

fonction de la météo. Et certaines années, on les voit avancer des grains aux paysans ruinés par la mauvaise récolte de l'année précédente.» Même phénomène lors de l'affaire Davel : les doléances exprimées par le rebelle sont analysées et amènent plusieurs amé- nagements dans la gestion du Pays de Vaud. Un comble pour le malheureux major, finalement entendu à Berne mais condamné à mort par ses concitoyens!

Le progrès? Connaît pas...

Autre idée reçue, autre contrevérité historique: les territoires bernois n'é- taient pas fermés au progrès. Les «colo- nisateurs» bernois n'ont pas confiné le Pays de Vaud dans la seule agriculture.

Du moins pas volontairement: «La colonisation n'a pas empêché les gens de la Vallée de Joux de développer de leur initiative un grand savoir-faire dans le domaine de la métallurgie et de l'horlogerie, analyse le professeur Dubois. Ceci dit, il est vrai que Leurs

L'éclat de Leurs Excellences de Berne.

Ici, l'avoyer Niklaus Friedrich Steiger (1729-1799)

Le démocrate vaudois, tel qu'il était

carricaturé dans un journal révolutionnaire parisien à la fin du XVIIIe siècle

Des banquet,! comme celui des Jordils, donné à Lausanne le 14 juillet 1791 en souvenir de la prise de la Bastille, ont particulièrement inquiété et agacé

Leurs Excellences de Berne

Excellences, des propriétaires terriens vivant de la rente foncière et du mer- cenariat, ne se sont pas montrés aussi entreprenants que les marchands zuri- chois ou que les Bâlois, ces industriels précoces. Ce manque d'esprit d'entre- prise constitue bien une faiblesse du régime bernois, mais pas dans l'inten- tion de nuire à ses sujets. Et les excel- lents Vaudois de la rue de Bourg n'étaient guère plus entreprenants.

Ouverts, les Bernois l'étaient cepen- dant aux idées progressistes en agri-

culture, s'inspirant largement des pré- ceptes des physiocrates français.»

Une frénésie anti-sorcières Si les Bernois ne favorisaient guère le développement industriel vaudois, ils surveillaient en revanche de très près le fonctionnement de la justice et ont laissé se développer la chasse aux sor- cières. Une marque de ce protestan- tisme qu'ils ont imposé aux Vaudois?

«Ily a effectivement une frénésie anti- sorcières et anti-sorciers (il y avait autant d'hommes que de femmes parmi les condamnés). A l'époque, le Pays de Vaud est sans conteste le champion du genre», admet Alain Dubois. Pas ques- tion pour autant de jeter la bave du cra- paud sur les seuls Alémaniques: la plu- part des procès en sorcellerie ont été initiés et menés par des juges vaudois.

Dans la pratique, en effet, les élites vaudoises étaient largement associées au pouvoir communal et judiciaire: «En fait de Bernois, il y avait en tout et pour tout une douzaine de baillis en Pays de Vaud. Tout le reste de l'administration, soldats, policiers, lieutenants bailli- vaux, était composé de Vaudois.

Contrairement aux baillis, les lieute- nants baillivaux étaient même nommés à vie, ce qui leur conférait beaucoup d'influence.»

Les «intégrismes»

du X V I Ie siècle

«Pour ne prendre qu'un seul exemple, celui de la chasse aux sorcières de Gollion au début du XVIIe siècle qui a été longuement analysée dans le mémoire de licence de Fabienne Tarie Zumsteg, on découvre que le seigneur-justicier est le seigneur de Gollion et pas un Bernois», constate le professeur Dubois.

Innocentés, les Bernois ne quittent pas pour autant le tribunal de l'histoire

1 6 1 1 - 1 6 1 4 : Des épidémie*) de peste

emportent 1500personnes à Vevey, 2000 à Lausanne, 2500 dans Le Pays-d'Enbaut.

1 6 5 3 :

Guerre des paysans. La ville de Berne est assiégée par sa campagne.

Loin de profiter de l'aubaine, les troupes vaudoises s'en prennent aux révoltés qu'ils répriment durement.

1 7 1 2

Guerre de Villmergen.

Les Vaudois Jean de Sacconay, lieutenant-général des troupes bernoises, et son adjoint Jean- Daniel Davel contribuent à la victoire du camp protestant.

1 7 1 5 - 1 7 5 3 Affaire du Consensus.

Les professeurs et pasteurs de l'Académie de Lausanne sont contraints par les Bernois de serment à la très contestée

Confession helvétique.

1 7 2 3

Tentative de coup d'Etat du major Davel, fils d'un pasteur forcé de signer le Consensiui.

Les Vaudois ne le suivent pas et le condamnent à me 1 7 8 9

Prise de la Bastille à Paris.

Arrivée clandestine de brochures i propagande dans le Pays de Vaiu

1 7 9 0

Fondation à Paris du Club

Helvétique, regroupant des émigrés révolutionnaires vaudois et

fribourgeois.

(6)

H I S T O I R E F a u t - i l r é h a b i l i t e r l e s B e r n o i s ?

La révolution vaudoise a saface d'ombre.

Elle provoque l'une dej rares invasions qu'ait connues la Suisse. Les troupes françaises engagées pour libérer le Pays

de Vaud envahissent la ville de Berne, le 5 mars 1798

>

avec leur absolution en main : « Par leur mentalité, leur attitude, les dirigeants bernois n'échappent pas à la montée de l'absolutisme perceptible dans toute l'Europe. A l'instar des princes, ils se considèrent comme une autorité toute- puissante, de droit divin, à laquelle leurs sujets doivent respect et obéissance.

Mais cela nous entraînerait dans une longue analyse... Il faudrait replacer l'affaire dans le cadre de la grande dis- cussion historique sur la crise générale du XVIIe siècle, une période de pro- fonds changements, d'insécurité, où les attitudes se durcissent notamment sur le plan religieux. Une période où l'on constate le triomphe d'intégrismes, pour employer un terme anachronique, ou plus précisément de l'orthodoxie dont le père de Davel fut l'une des victimes lors de l'affaire du Consensus.»

Des envahisseurs peu envahissants

Les Vaudois ayant finalement si peu de choses à reprocher aux Bernois, com-

envahisseur si peu envahissant? «Il y a l'influence des Lumières; les écrits et la présence de philosophes comme Vol- taire ou l'Anglais Gibbon ainsi que la Révolution française ont fini par faire prendre conscience aux élites vaudoises - et uniquement à elles - qu'elles étaient prétéritées, qu'elles n'étaient malgré tout que des citoyens de deuxième classe. Gibbon reproche d'ailleurs aux bourgeois de Lausanne de ne pas se révolter contre cet état des choses», répond le professeur Dubois.

Mais cet élément n'aurait pas suffi à déclencher la révolution vaudoise s'il n'avait été accompagné d'une série d'erreurs bernoises et d'une série de coups de pouce français. Alors que Leurs Excellences ont dans l'ensemble géré les crises précédentes avec intel- ligence, les voilà qui se crispent au moment de la Révolution française.

Qui prennent des mesures humiliantes, autoritaires contre les élites vaudoises en ébullition (obligation de prêter ser- ment, bannissements, condamnations à mort pour des participations à des

1 7 9 1 :

Le calendrier perpétuel du gouvernement bernois, 1726-1755

14juillet: les banquets organisés pour célébrer l'anniversaire de la prise de la Bastille provoquent

l'intervention de troupes bernoises.

Amédée de La Harpe, condamné à mort, s'exile en France.

1 7 9 3 :

21 janvier: exécution de Louis XVI. La Terreur fait tomber

l'enthousiasme des admirateurs vaudois de la Révolution.

1 7 9 7 :

9 décembre: dix-neuf Vaudois, dont de La Harpe, signent une pétitwn demandant au gouverne- ment français d intervenir pour garantir les droits politiques des

Vaudou.

1 7 9 8 :

10 janvier : une majorité de Vaudois prêtent mollement serment à L.L.E.E.

(refus à Rolle, Aubonne, Cossonay, Moudon, Nyon et Vevey).

La milice de Vevey, craignant l'arrivée de troupes bernoises.

occupe le château de Chillon.

24 janvier : proclamation de la République lémanique; adoption de la cocarde verte.

3mars: les montagnards rebelles du Pays-dEnhaut obtiennent un succès sur les Vaudois, mais sont dispersés par des Fronçais près de

Vttileluïtif.

30 mars : installation des nouvelle, autorités vattdoi.'cs.

(7)

H I S T O I R E : F a u t - i l r é h a b i l i t e r l e s B e r n o i s ?

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Pamphlet pro-bernoi) de 1799 Âgné par dej «payjarw fidèlej»

«Ce durcissement reflète surtout l'insécurité du pouvoir bernois, ses di- visions internes. Une nouvelle généra- tion émerge : des Bernois éclairés qui ont lu les philosophes et qui apportent des idées nouvelles, sans toutefois pou- voir les imposer. Ce conflit de généra- tions amène les traditionalistes à se sen- tir menacés et les pousse à ces réactions

inhabituellement dures qui causeront la fin de la domination bernoise en Pays de Vaud.»

Des Bernois regrettés

Même la mise à la porte des baillis bernois témoigne de l'attachement que leur portait une bonne partie de la population. Il fallut l'intervention mus- clée des troupes françaises pour forcer le Pays-d'Enhaut à déposer les armes.

Les montagnards, mais encore une bonne partie des campagnes vaudoises, ne voulaient pas l'indépendance. «La Révolution vaudoise fut celle des élites urbaines et pas du peuple», estime Alain Dubois.

Le vote organisé dans les paroisses du Pays de Vaud à propos de la nou- velle Constitution (qui marque l'entrée du canton dans l'ère autonome) témoigne de ce manque d'enthousias- me. Le texte est ainsi refusé à Baulmes, au Lieu et à Sainte-Croix, et le vote boycotté à Bullet, Château-d'Oex, Ros- sinière, Rougemont et aux Ormonts.

Et qu'en ces lieux...

Paradoxalement, cette «colonisation douce» est transformée en période

«noire» sous la plume alerte des révo- lutionnaires vaudois. Et c'est cette vision «révisionniste», exagérément cri- tique envers Leurs Excellences de Berne, qui s'est progressivement impo- sée. Jusqu'à ce que le Bicentenaire de la Révolution fournisse l'occasion de rendre aux Bernois un hommage mérité, sans toutefois taire les travers de leur régime.

Dans l'histoire vaudoise, donc, un nouveau jour se lève. Il porte l'Ours dans nos cœurs. Et qu'en ces lieux règne à jamais l'amour des faits, la vérité, la joie...

Jocelyn Rachat

P a r o l e s

e r é v o l u t i o n n a i r e s

De la légende...

«Courbés depuis deux siècles sous le joug de quelques familles ambitieuses, nous nous sommes affranchis. (...) En un mot, nous avons passé du néant à l'Etre, de l'esclavage à la lib erte.»

Le landainami Juleé Muret, marj 1798

A la réalité...

«Il est hors de doute qu'il (le peuple vaudois) n'était pas tellement à plaindre (...) et qu'au moment de sa révolution, le Pays de Vaud avait infiniment gagné sous plusieurs rapports et présentait un aspect très éloigné de celui de la misère.»

Henri Monod, révolutionnaire vaudou

«Peu de pays en Europe, aucun peut-être, n'était au point de prospérité où était le canton de Berne et nom- mément le Pays de Vaud. (...) c'est cet état de prospérité qui a amené la chute de notre Gouvernement.»

Alexander Georg Thormann, dernier bailli de Morgej

de 1792 à 1798

Notre révolution a ceci de particulier que ses motifs ne sont ni les malheurs du peuple ni la haine de notre

gouvernement.»

Pierre-Maurice Glayre, correspondance avec Fredér'ic-Cééar de La Harpe,

février 1798

«Je ne dissimule pas que les Bernois ne sont pas détestés ici autant qu'ils devraient l'être.»

Le général Brune, commandant dej troupej françauied

gui «libèrent» le Payj de Vaud

«Que l'aristocratie bernoise n'eût pas été détruite,

je serais mort son fidèle sujet;

j étais né tel, je pouvais lui trouver un grand nombre de défauts et cependant m'y soumettre, parce que je pouvais craindre les dangers du chan- gement plus que les incon- vénients de l'état dans lequel je me trouvais placé.»

Henri Monod

«Les campagnes

sont généralement et très généralement opposées à la révolution. La terreur des armes françaises les

contient dans un morne silence.

Dans les villes, on est très partagé...»

Philippe Secretan, président de l'Ajjemblée constituante

du payj de Vaud, en février 1798

(8)

iguana

J U U v

L.

apprivoisent

ej ratd et led plgeond vivent collée aux badqued ded citadine depui) belle lurette. Mai) IL ne dont plus led deuld. Voilà que

renardd, mudaralgned, tourterelled turqued et

Cle de bousculent auddl au portillon ded vllled. Qui, en quelqued annéed, J dont devenued plud 1 attract'wed que led

campagned dtérlll- déed. Petit bedtlalre de la nouvelle jungle

balne.

Voleuse d'œuf à la campagne, la fouine n'hésite pas à s'attaquer aux pigeons en ville

I

l n'est plus rare d'entendre un couple de fouines en chaleur coui- ner en pleine ville et au milieu de la nuit.

De croiser, vous sur le perron asphalté, eux en plein ciel, un martinet pressé ou une tourterelle turque. Ou d'aper- cevoir dans le faisceau des phares, ave- nue de la Gare, à Lausanne, Genève ou Zurich, la fine silhouette rousse d'un renard. A croire que la ville avec ses tours immobiles, son glacis de béton et son bruit ne fait plus peur à personne.

Même pas aux animaux sauvages ou, disons, à certains d'entre eux: «Il faut être un prédateur nocturne, suffisam- ment opportuniste et adaptable pour oser s'avancer dans les centres urbains.

Un lièvre herbivore ne viendra jamais en ville, la vie est déjà assez dure pour lui en campagne! » dit en souriant Peter Vogel, professeur au Laboratoire de zoologie et écologie animale de l'Uni-

versité de Lausanne. Claude Mermod, professeur à l'Institut de zoologie de l'Université de Neucbâtel

La fouine :

de la garrigue à la cité

Impossible de parler des locataires de la ville sans évoquer la fouine. Cette vieille habituée a un gros atout : elle est omnivore, donc facile à contenter. Elle adore les fruits, les insectes, les ron- geurs, les oiseaux, en particulier les pigeons, et se cale même parfois un petit creux avec une pâtée pour chats ou un morceau de plastique. Et les câbles rongés? s'énervent les automo- bilistes. Jeux d'enfants! tempère Clau- de Mermod, professeur à l'Institut de zoologie de l'Université de Neuchâtel, qui attribue ces dégâts à quelques jeunes individus, attirés par la chaleur

des moteurs et qui, tels des chiots en vadrouille, se font les dents sur le pre- mier bout de caoutchouc qui passe.

Très rapide, très agile, Martes foina escalade les murs les plus abrupts et une brèche de quelques centimètres lui

Les jeunes fouines se font parfois les dents sur les cables des automobiles

suffit pour se faufiler. Pas besoin de ter- rier: un simple abri, un interstice sous un toit fait son affaire. Pas étonnant que sa densité ait explosé en une trentaine d'années: «En 1960, on ne comptait que quelque 200 fouines en ville de Zurich. Aujourd'hui, on peut multiplier ce nombre par dix pour toutes les capi- tales. La fouine a augmenté partout, même dans les pays du Nord. On en trouve en Angleterre, et jusqu'en Scan- dinavie, alors qu'il y a vingt ans, il n'y en avait pas. On assiste à une expan- sion de l'espèce, laquelle passe par les villes exclusivement: vous ne trouve- rez pas de fouines dans les forêts sué- doises», explique Claude Mermod.

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N O T R E É P O Q U E : Q u a n d l e s a n i m a u x s a u v a g e s a p p r i v o i s e n t la v i l l e

Peter Vogel, professeur au Laboratoire de zoologie et écologie animale de l'Université de Lausanne, avec une musaraigne musette

Mais pourquoi ce petit animal au pelage brun, nez rose et bavette blan- che sous le menton, colle-t-il toujours aux basques des citadins? C'est que la ville lui rappelle, de par son micro- climat et sa topographie, son berceau natal. Il faut dire que la fouine est ori- ginaire du bassin méditerranéen, où elle vit, à l'état sauvage, batifolant dans les falaises, les garrigues, dor- mant au creux d'une pierre, loin des villes et des hommes. Dans sa grande migration vers le Nord, logique fina- lement que cette solitaire maligne s'arrête dans les localités: «Elle y retrouve des conditions de tempéra- ture agréable avec le chauffage des

bâtiments. De même, le béton lui rap- pelle ses parois rocheuses.»

Une musaraigne qui venait d'Afrique

La ville est ainsi un îlot de chaleur : combustion, pollution forment une nappe protectrice, un système-cloche aux conditions thermiques exception- nelles. Qui attire bon nombre de clan- destins sensibles au froid. C'est prin- cipalement pour cette raison que la musaraigne musette, originaire d'Afri- que du Nord, ne peut se passer du voi- sinage de l'homme. Après la dernière glaciation, cette petite frileuse a fran-

chi le détroit de Gibraltar. S'est rendu compte que les hivers pouvaient, de ce côté-ci de la Méditerranée, être rudes.

Mais qu'ils pouvaient l'être moins à proximité des habitations. Alors, talus de chemins de fer, grandes herbes, jar- dins, tout lui va pour autant que le chauffage ne soit pas loin. Peter Vogel le sait bien, lui qui héberge quelques spécimens sous son toit: «Elles vien- nent passer l'hiver dans le garage où il fait 5°C. Il leur arrive aussi de faire leur nid dans le compost, où la fermenta- tion des végétaux en décomposition dégage une certaine chaleur. Les musa- raignes peuvent se serrer les unes contre les autres et faire baisser leur température corporelle à 18°C en hiver pendant les heures de repos. Un état de léthargie qui leur permet d'écono- miser de l'énergie.»

Maître goupil par l'odeur alléché

Repère de frileux, la ville séduit aussi les opportunistes. Ecuelles à pâtées, nichoirs, poubelles et stations d'épuration, autant d'occasions de manger sur le pouce, sans se fatiguer à chasser un lièvre incertain ou un hypothétique campagnol. C'est le rapide calcul qu'a fait le renard. Qui, depuis quelques années, vit et pros- père à la ville, heureux comme un coq en pâte.

Mais le roi des rouquins n'a pas tou- jours vécu à proximité des hommes.

Avant d'être choyé, Vulpej vulpes a passé par quelques sombres décennies:

«Dans les années 50, quand je faisais mon gymnase à Berne, j'étais un pas- sionné de la grande faune. A cette époque, il n'y avait pas de renards en ville, mais un tournant s'annonçait.

Après des siècles d'oppression des

«nuisibles» avec tous les moyens à dis- position des agriculteurs, les pièges à mâchoire furent interdits. La persécu- tion impitoyable a fait place à la notion peut-être trop naïve d'un équilibre naturel. Une nouvelle sensibilité s'est établie considérant la chasse avec hos- tilité. En conséquence, les populations de renards sont montées en flèche», raconte Peter Vogel. Mais l'arrivée de la rage, dans les années 60, a, une nou- velle fois, fait baisser la densité du renard jusqu'à 95% des effectifs, d'après les chiffres de Claude Mermod.

Aujourd'hui, grâce à la campagne de vaccination (pour protéger l'homme,

non le renard!), c'est reparti, puisque cette maladie terrible a pu être endi- guée. Une ville et sa périphérie peu- vent accueillir plus d'une centaine de goupils, soit une douzaine au kilomètre carré pour Genève et Zurich, comme l'avance une étude zurichoise en cours («Integrated Fox Project»). Une den- sité plus élevée en ville qu'en milieu rural, puisqu'on ne trouve que quatre renards au km2 dans la plaine de l'Orbe, par exemple.

Regarder

mais pas toucher

Signalé dans les grandes villes amé- ricaines et anglaises îly a une vingtaine d'années déjà, l'«urban fox» gagne aujourd'hui ses galons auprès des cita- dins suisses. Qui l'admirent, s'ébau- bissent devant son poil flamboyant et sa jolie dégaine. S'émeuvent d'avoir ainsi un morceau de vie sauvage à deux

pas du salon et, imprégnés des textes de Saint-Exupéry, ne peuvent parfois s'empêcher d'imaginer un jour l'animal apprivoisé. La conservation de la faune a dû interdire, il y a dix ans, le nour- rissage du renard. Lequel n'a au fond pas tant besoin d'être invité pour oser s'installer. Et qui, surtout, ne doit pas être considéré comme un animal domestique, ni être caressé. Le renard est souvent porteur du Taenia échino- coque, un parasite transmissible à l'homme par le contact. Même s'il existe aujourd'hui des traitements contre ce méchant cestode, mieux vaut donc admirer le renard à distance.

Charognard à ses heures

La surpopulation des campagnes est-elle responsable de cette migration vers les villes? Les renards urbains sont-ils des exilés, chassés par leurs congénères? L'hypothèse est plausible, mais non vérifiée. Pour Claude Mer- mod, il ne faut surtout pas oublier que le renard est un omnivore très intelli- gent: «Il a de grandes facultés d'adap- tation. Il est aussi très paresseux comme tous les carnivores : il ne se déplace que deux à trois heures par nuit pour manger.» Alors, la ville, quelle aubaine pour ce flemmard noctambule ! En quelques années, il a changé de comportement: il lui arrive de s'exhi- ber en plein jour (ce qui n'est plus au- jourd'hui un signe de rage, mais de confiance) et n'hésite pas à jouer les

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N O T R E É P O Q U E Q u a n d l e s a n i m a u x s a u v a g e s a p p r i v o i s e n t l a v i l l e

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I Exode rural

Raphaël Arlettaz, chercheur associe' au Laboratoire de zoologie de l'Université de Lausanne, photographié avec un hibou grand duc. Cet animal très rare venait d'être accidenté en ville de Sion.

Il n'a malheureusement survécu que quelques jours à ses blessures

charognards : pourquoi se fatiguer à chasser quand on peut faire les pou- belles? Mieux: pourquoi s échiner à creuser un terrier, quand chantiers de construction, entrepôts, garages aban- donnés s'offrent comme autant de gîtes confortables? Suffit d'éviter les parcs publics avec leurs carrés de gazon tondu : trop de chiens et pas assez de cachettes.

Flemmard mais rusé

La ville lui convient donc, d'autant que maître goupil a les moyens d'y sur- vivre. Rusé, il l'est véritablement. Hôte habile de plusieurs terriers, il sait déjouer les pièges de l'homme. Peter

Vogel le sait, lui qui a essayé, à fin d'études, d'en capturer un sur le site de Dongny. En vain : «J'ai installé une grande cage avec un appât à l'intérieur.

Mais, en quatre mois, je n'ai réussi à attraper que des chats!» La prudence du renard n'est prise en défaut que quand il est en bas âge. A peine sortis du terrier, les renardeaux circulent librement, jouent, vont faire leurs gali- pettes et, souvent, échappent à la sur- veillance des parents. Malgré un sys- tème matriarcal élaboré, mère et filles s'occupant de la portée tandis que le père reprend très vite son chemin soli- taire, les mois de juillet et août sont ceux de l'hécatombe.

Finalement, la ville n'est peut-être plus aussi hostile qu'il n'y paraît. Avec ses recoins, ses bâtisses abandonnées, ses couloirs verts, elle est parfois un véritable réservoir de ressources. Une récente étude sur le canton de Zurich («Brutvôgel im Kanton Zurich», de Marting Weggler et al., Ed. Merkur Druck AG.) a même révélé que les agglomérations abritaient actuelle- ment une plus grande variété d'oiseaux que la campagne agricole, c'est-à-dire champs, pâturages et vignes. Raphaël Arlettaz, chercheur associé au Labo- ratoire de zoologie de l'Université de Lausanne: «Il faut bien se rendre compte que la campagne a été ratiboi- sée: il reste peu de haies, d'arbres et de bosquets, où petits oiseaux et ron- geurs peuvent faire leur nid. Et les rares zones de verdure qui subsistent sont traitées chimiquement, stérilisées.

Depuis la fin de la guerre, l'intensifi- cation de l'agriculture a entraîné un appauvrissement colossal des cam- pagnes. Et du coup, les villes sont deve- nues proportionnellement plus inté- ressantes pour certains animaux sauvages.»

Un pèlerin à New York

A commencer par l'étonnant faucon pèlerin (photo ci-dessous). Pourtant, on imagine mal ce rapace diurne s'accli- mater à nos pics de béton et nos tou- relles de verre. Ou peut-être qu'on le préfère en solitaire royal, survolant les

Quand la ville se fait hostile

hautes cimes, observant le monde à dis- tance, de son œil glacé, et nichant dans un repère inaccessible. Cette espèce, qui a failli disparaître dans les années 60 à cause de l'utilisation intensive du DDT, loge toujours dans le J u r a et les Préalpes, qu'on se rassure. Mais cer- tains spécimens se sont entichés des villes : «Le faucon pèlerin recolonise les régions de plaine, essentiellement les falaises. Cela dit, il existe quelques couples qui nichent en ville de Prague, à Bâle et même à New York», se réjouit Raphaël Arlettaz.

Anomalie? Excentricité ornitholo- gique? Non, ce rapace de haut vol et chasseur de pigeons, qui a besoin d'alti- tude pour chasser, a simplement com- pris l'avantage d'une tour haut perchée ou d'un gratte-ciel: «Beaucoup d'oiseaux nichent dans les clochers d'église, parce que ce sont des éléments qui leur rappellent de par leur struc- ture leur milieu naturel. Une cathé- drale, c'est un monolithe, un repère tranquille pour y installer un nid», explique le spécialiste. Ainsi, la ville, avec ses escarpements de béton, ses parois de briques, ses tabliers de pont et ses hauts pylônes électriques, offre une architecture intéressante pour les oiseaux. Une topographie qui rappelle en un sens l'enfilade de falaises ou l'ali- gnée de canyons. Au point que cer- taines espèces ont tout simplement abandonné leur gîte rupestre pour une résidence en ville.

Le locataire des fissures

Le martinet noir, par exemple, a quasiment déserté les falaises de rochers ou les trous d'arbres. Ce qu'il préfère : un espace sous un toit, une anfractuosité dans un mur. Répandu dans toute l'Eurasie, sur le bassin médi- terranéen et jusqu'en Ecosse, cet infa- tigable volatile - il ne se pose que pour

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a ville est attractive, la reproduction, en revan- che, ne s'y passe pas forcément bien, fait remarquer Peter Vogel, professeur au La- boratoire de zoologie et écolo- gie animale de l'Université de Lausanne. Et de citer le cas des

corneilles. Qui se laissent sé- duire par l'appât des villes:

comment résister aux sirènes des jardins à l'herbe rase, aux parcs ripolinés où le moindre ver de terre se voit à l'œil nu?

Pourquoi se fatiguer la rétine à fouiller les vieilles ronces, quand les quignons de pain jon- chent les quais? Les corneilles gourmandes lâchent ainsi leur gîte rural pour une proie facile.

Mais ne s'acclimatent pas si bien à la ville : il a été montré que les individus nés en ville ont un bec et un tarse plus petits

que leurs congénères campa- gnards (étude de Heinz Rich- ner). Carrément chétives, les corneilles citadines ne sont ensuite pas aptes à défendre un territoire de reproduction:

«Une défaillance due à un man- que de diversité de la nourri- ture. En campagne, les oiseaux mangent davantage d'insectes, ce qui est plus nourrissant qu'une miette de pain», estime Peter Vogel.

Quant aux belles hirondelles, avec leur longue redingote noire, elles sont obligées d'émi- grer peu à peu hors des centres urbains. Parce que la ville pré- fère le béton autoritaire aux terrains vagues, tandis que l'hirondelle a besoin de boue:

elle lui est indispensable pour façonner des boulettes impré- gnées de salive, sorte de mor- tier qui lui sert à cimenter son nid. Voilà pourquoi l'hiron- delle, de nos jours, est devenue une nomade des villes: elle les survole, mais ne peut plus y loger.

P.B.

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N O T R E É P O Q U E : Q u a n d l e s a n i m a u x s a u v a g e s a p p r i v o i s e n t l a v i l l e

nicher - a tout simplement changé de stratégie et est devenu un citadin accompli. Il fait son nid d'une f i s s u r e :

une petite coupe bricolée avec un peu de salive lui suffit pour y déposer ses œufs.

Il faudrait parler encore des pendu- laires, comme le fau- con crécerelle, qui n'hésite pas à loger en ville, mais s'en va chasser le campa- gnol en terrain découvert. Ou des locataires nocturnes des parcs urbains : la MB ! ^ chouett e hulotte.

Wm ' - Ou, enfin, cle c e t t e

W \ ^ " nouvelle conqué- rante originaire des Balkans, qui a envahi toute la région européenne en quelques décennies: la tourterelle turque, qui se nourrit des restes comme les pigeons et qui fait des villes les principaux comptoirs de ses colonies.

Les centres urbains vont-ils retour- ner à la vie sauvage, peu à peu grignotés par ces hôtes charmants, parfois enva- hissants? Les spécialistes s'accordent à dire que le point de saturation est atteint: difficile d'imaginer beaucoup plus d'animaux sauvages sur le maca- dam. «La ville ne convient pas à tout le monde. Les espèces quiy vivent sont souvent peu exigeantes en matière de reproduction et d'alimentation. Elles s'adaptent quand elles arrivent à trou- ver dans les structures de la ville un succédané des structures naturelles qu'elles utilisent», estime Raphaël Arlettaz. Reste qu'un effort écologique, de la part de l'homme, peut encore être fait: se montrer moins intervention- niste, ne pas restaurer les bâtisses à tout va, semer varié, bref, laisser carte blanche à la nature, ou presque. Et tenir compte de ces nouveaux loca- taires à poils et à plumes dans les pro- jets urbanistes de demain.

Patricia Brambitla

Eux aussi

habitent la ville.

L'opportuniste

La

pipistrelle de Kuhl.

Voilà une chauve-souris qui ne mesure que cinq centimètres, mais dont le flair est inversement proportionnel à sa petite taille. Fraîchement arrivée et en constante augmentation, elle a lâché sa région natale au Sud des Alpes pour coloniser le Nord, en par- ticulier les villes. Qui sont devenues son garde-manger privilégié: «La pipistrelle profite des éclairages publics pour chasser. Insectes et papillons de nuit volent en masse autour des réverbères. La force de la lumière, surtout celle à vapeur de mercure, inhibe totalement leur sys- tème sensoriel et en fait des proies

vulnérables, qui plus est, concentrées au même endroit», explique Raphaël Arlettaz, chercheur associé au Labo- ratoire de zoologie de l'UNIL, qui se souvient avoir aperçu cette chauve- souris à Sion. Le petit insectivore n'a donc qu'à voler en piqué sous les lam- padaires, bouche grande ouverte, pour se garnir l'estomac. Pour les voir, sortez la nuit. Pendant le jour, ils se cachent dans les anfractuosités des bâtiments ou dans les cages de stores. Et peuvent constituer d'impressionnantes colonies en un minimum de place. A titre indicatif:

le volume d'un annuaire télépho- nique peut contenir jusqu'à 200 pipistrelles.

Le timide

Le

blaireau

aime les villes anglaises. Surtout celles du Sud où les habitations de la moyenne bour- geoisie sont généralement entourées d'un petit lopin de terre. Sa densité y est importante (plusieurs centaines

Mais discrètement...

au km2), mais ily est aussi fortement persécuté : victime d'une destruction massive, le blaireau est accusé de transmettre la tuberculose au bétail.

Un crime non prouvé. En Suisse, le blaireau se limite aux banlieues avec parcs et jardins. La grande ville?

Trop dure pour lui. Ce maître foreur a besoin de creuser à toutes pattes pour faire son terrier, souvent laby- rinthique, et exhumer sa pitance: vers de terre, limaces, éventuellement fruits et épis de maïs. Décimé par l'épidémie de rage il y a quelques années, il se rétablit aujourd'hui len- tement: on en compte un à deux par km2. Va-t-il devenir prolifique? Peu de chances, estiment les spécialistes.

Ce prédateur, dont on fait encore les brosses à barbe, ne peut pas s'adap- ter à l'urbanisme effréné : trop lent et pas assez futé.

L'invité

On croit qu'il ne vit que dans les grandes rivières sauvages au pays de Jack London. Erreur : le

castor

habi-

te aussi sous nos latitudes. Et mieux encore : dans nos villes, pour autant qu'elles soient traversées d'un cours d'eau. Réintroduit en Suisse dans les marais de Versoix, le castor n'a pas hésité à s'installer dans l'Arve et le long de la côte lémanique. Un couple audacieux a même bâti son terrier sur le site de Dorigny. Tant qu'il y a de la végétation au bord des rivières, que celles-ci ne sont pas canalisées, il peut y vivre. Herbage, feuilles, pommes

constituent son menu d'été et quel- ques arbres à bois tendre, peuplier ou saule, qu'il peut peler et ronger, lui suffisent pour passer l'hiver. Pas dif- ficile, le gros rongeur à jolie denture.

Le revenant

Longtemps persécuté, comme tous les becs droits, parce qu'ils étaient des concurrents du paysan, le

grand corbeau

peut de nouveau étirer ses longues ailes en toute séré- nité. Depuis une vingtaine d'années, on le revoit donc dans les zones de basse altitude sur le plateau suisse et en Europe, où il commence à rega- gner du terrain. La ville, il y vient plus par hasard que par choix. A i n s i ,

le couple installé sur la coupole du Palais fédéral est une belle histoire mais anecdotique. Même si toutes les conditions de vie y sont réunies (pois- sons crevés sur les rives de l'Aar, détritus à proximité, tranquillité du lieu), le grand corbeau préfère les zones en périphérie des aggloméra- tions urbaines. L'idéal: une falaise rocheuse, un massif forestier suffi- samment dense, comme celui du Jorat. Eventuellement: un rebord sous un grand pont d'autoroute.

Bruyant, mais tellement propice pour y trouver des charognes.

PB.

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S O C I É T É

Affaire Montand, délits sexuels,

recherches en

paternité... le test ADN

n'empêche pas

l 'erreur judiciaire

I / empreinte génétique, c edtla preuve-reine, celle qui, en établudant la «carte d'Identité biologique de chaque être humain», donnerait à l'enquêteur la cer- titude de tenir «don» coupable. Et pourtant, confie Franco Taronl, chercheur à L'Unlverdlté de Lau- danne, la judtlce Interprète encore trop douvent de manière faudde led rédultatd de ced tedtd.

Franco Taroni, docteur en police scientifique

et chef de projet à l'Institut de médecine légale de l'Université de Lausanne

L

a preuve ADN serait-elle la preu- ve absolue? Cette technique, qui permet d'établir, à partir des marqueurs extraits des cellules humaines, la carte d'identité de tout être humain, est om- niprésente dans les grandes affaires judiciaires actuelles. Yves Montand est-il ou non le père de celle qui se pré- tend sa fille? Guy Georges est-il le

«tueur en série de l'Est parisien», auquel on attribue cinq meurtres et une agression? Le test ADN donne la réponse. Peu importe la ressemblance de la jeune fille : Montand n'est pas son père. Peu importent les dénégations premières de Guy Georges : il est bien le meurtrier.

Des fichiers critiqués

«La preuve ADN semble être au- jourd'hui la solution à tout», résume

Franco Taroni, docteur en police scien- tifique et chef de projet à l'Institut de médecine légale de l'Université de Lau- sanne. La France a créé un fichier d'empreintes génétiques en vue de faci- liter la recherche des auteurs d'infrac- tions sexuelles, et les polices de plu- sieurs cantons rêvent de lui emboîter le pas. «Mais en utilisant ces bases de données pour rechercher des délin- quants, on sélectionne déjà un cercle de suspects (les personnes déjà con- damnées). On oublie du même coup le reste de la population, parmi lequel se

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S O C I É T É : Le t e s t A D N n ' e m p ê c h e p a s l ' e r r e u r j u d i c i a i r e

1

Après s'être fiés aux dessins des empreintes digitales, les policiers s'intéressent aux séquences d'ADN (ci-dessus) pour

confondre les coupables

trouve peut-être celui qui a commis le crime», poursuit le chercheur. «De tels fichiers, utilisés depuis quelques années en Angleterre, y font déjà l'objet de cri- tiques.»

Le résultat de l'analyse ne suffit pas

Critiquée, la preuve par l'ADN? Ne s'appuie-t-elle pas sur l'analyse de petits fragments d'acide désoxyribo- nucléique (=ADN), ce support des gènes, dont les séquences sont si variables d'une personne à l'autre qu'elles créent un véritable «photoma- ton» d'un individu, sans risque d'erreur possible? «Il est faux de croire qu'en ayant le résultat d'une empreinte géné- tique, on a automatiquement un cou- pable», dément Franco Taroni.

«Le résultat de l'analyse ne suffit pas s'il se borne à montrer une concordance entre des caractéristiques génétiques.

D'autres paramètres entrent en jeu, comme le cercle des suspects potentiels, leurs parents possibles, le mélange éventuel de traces d'individus diffé- rents. Pour ne pas faire d'erreur, il faut interpréter le résultat du test à la lu- mière d'un calcul de probabilités. Mal- heureusement, la justice néglige encore le plus souvent de le faire.»

L'«erreur du procureur»

et autres intuitions fausses

«Dans les pays anglo-saxons, où les données judiciaires sont plus acces- sibles, on sait que des déductions faus- ses ont été tirées de résultats géné- tiques. En Suisse, le risque d'erreur est à mon avis tout aussi grand. Cela tient au fait que les résultats présentés s'inté- ressent à la fréquence, c'est-à-dire à la

Analyses génétiques au Laboratoire de médecine légale de l'UNIL

rareté de la caractéristique génétique dans une population donnée. On dit par exemple: «Une telle constellation de caractéristiques se retrouve chez 0,001% de la population, donc il y a 99,999% de chances pour que la trace provienne bien du suspect». Or cette conclusion, extrêmement défavorable pour l'intéressé - en anglais, on l'ap- pelle «l'erreur du procureur» - repose sur une mauvaise compréhension des règles de probabilité.»

«Je suis un éléphant...»

Franco Taroni, qui a bénéficié de deux bourses pour effectuer un post- doctorat au département de mathé- matiques et statistiques de l'Université d'Edi nburgh, en Ecosse, est passé maître dans l'art d'illustrer son propos des exemples les plus simples : «Si l'on dit «je suis un éléphant, donc je suis un animal à quatre pattes», cette phrase pose une probabilité maximale.

Mais il serait erroné de renverser la proposition et de conclure que «si je suis un animal à quatre pattes, je suis forcément un éléphant», car là, la pro-

Une ressemblance physique, même confondante, ne signifie pas forcément qu'il y a un lien de parternité entre deux personnes

habilité n'est pas maximale: il peut aussi s'agir d'un chat.»

Autre déduction apparemment «de bon sens», mais fausse: celle de la dé- fense qui, face au même résultat, pour- rait dire «qu'en Suisse, il y a sept mil- lions d'habitants, donc si la probabilité est de 1/1000, il n'y a qu'une chance sur 7000 pour que le suspect ait laissé cette trace - un taux trop faible pour être significatif». Or les agresseurs potentiels ne sont pas six millions, relève Franco Taroni, et le taux, même faible, reste significatif.

Evaluer, malgré tout, sur la base du dossier

La solution, plaide le chercheur, est d'appliquer le théorème de Bayes. Pour prendre une décision sur une hypo- thèse, il est nécessaire tout d'abord que le juge évalue a priori, sur la base des

autres preuves du dossier, les risques de culpabilité du suspect. Puis cette évaluation sera revue à la lumière d'un

«rapport de vraisemblance»: la proba- bilité d'avoir une telle empreinte géné- tique si le" suspect est vraiment cou- pable sera comparée à la probabilité de trouver une telle trace, au cas où le sus- pect ne serait pas coupable. «Après cet examen, l'expert pourra dire, par exemple, que le résultat de l'analyse génétique soutient mille fois l'hypo- thèse A plutôt que l'hypothèse B.»

Une telle méthode permet d'éviter les erreurs lorsque deux frères, par exemple, font partie des suspects potentiels: «La probabilité de trouver une telle concordance génétique n'est dès lors plus de 1/1000, comme elle le serait si le groupe de référence était la population générale, mais beaucoup plus grande. Ces proches parents par- tagent en effet un certain nombre de

caractéristiques.» D'où la nécessité, avant même d'avoir le résultat du test, de connaître le groupe d'agresseurs potentiels.

Arbitrairement, une chance sur deux d'être le père

Pour Franco Taroni, c'est au juge, qui maîtrise toutes les pièces du dos- sier, et non à l'expert d'évaluer les risques a priori qu'une hypothèse (de culpabilité, ou de paternité) soit vraie.

«Or l'on constate que la jurisprudence suisse ou européenne fixe de façon arbitraire que l'individu en cause a une chance sur deux d'être le père. Dans une affaire où la mère de l'enfant aurait eu des relations sexuelles avec plu- sieurs pères potentiels, ce facteur a priori devrait être contesté, ce que les avocats ignorent souvent.»

La faute est à mettre surtout sur le manque de communication entre spé- cialistes des calculs de probabilités et juristes. Il est vrai que seule une quin- zaine de spécialistes en police scienti- fique - la plupart en Angleterre - s'inté- ressent aujourd'hui à la manière dont sont présentés les résultats des tests, et aux risques d'erreurs qui en résultent.

Sylvie Fischer

Pour en savoir plus :

«Probabilités et preuve par l'ADN dans les affaires civiles et

criminelles. Questions par la cour et réponses fallacieuses des

experts», par Franco Taroni et Colin Aitken, tiré à part de la «Revue Pénale Suisse», tome 116, fasc. 3, pp. 291-313, Staempfli, Berne, 1998

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S O C I É T É : Le t e s t A D N n ' e m p ê c h e p a s l ' e r r e u r j u d i c i a i r e

Les sciences

humaines aussi fascinées par la preuve

Comme les sciences dites exactes, la philosophie et la théologie se sont intéressées à l'idée de preuve. La philosophe

M a r i e - J e a n n e B o r e l

et l'éthicien

D e n i s M ü l l e r

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s'en expliquent:

Allez Savoir! Pourquoi vous êtes- vous intéressée à la preuve?

M.-J. Borel : J e me suis intéressée à la logique naturelle, soit à la façon dont on est amené à légitimer ce que l'on dit. L'idée qu'il existe des preuves irréfutables est aussi vieille que la phi- losophie. C'est le concept des idées pla- toniciennes, vraies, belles et bonnes, et constitutives de tout ce que l'on peut penser. C'est le «cogito» de Descartes.

Ces philosophes ont propagé l'idée qu'une connaissance scientifique non justifiée n'en est pas une.

Marie-Jeanne Borel, philosophe

Marie-Jeanne Borel:

«Les connaissances ne valent que si elles peuvent être remises en question.»

Cela explique-t-il l'engouement populaire actuel pour la «preuve scientifique»?

Cette fascination vient d'une idéo- logie fausse du «savant», propagée par les médias, mais aussi par l'école, qui utilise le mot «preuve» à toutes les sauces. Elle donne une image idéalisée de ce que la science fournit, comme étant irréfutable, en oubliant le travail de validation que tout scientifique doit faire. Or pour un scientifique, les connaissances ne sont importantes que si elles peuvent être remises en ques- tion. On peut se demander pour quelle raison les humains cherchent à dispo- ser de soi-disant certitudes. Peut-être que ces «preuves» jouent aujourd'hui le rôle que les mythes avaient dans les pensées plus anciennes. Elles nous don- nent l'impression de maîtriser les ques- tions fondamentales qui échappent à notre raison: la peur de la mort, le temps qui passe, la possibilité d'une injustice sans cause.

Quels sont les courants

philosophiques qui gardent une certaine fascination pour la preuve?

Il y en a deux, dès le début de ce siècle. Frege et Hubert se demandent si les mathématiques ne sont pas deve- nues si complexes qu'elles risquent de se contredire. Ensuite, grâce à la puis- sance de calcul des ordinateurs, cer- taines preuves mathématiques ont pu être données. Mais, n'étant plus véri- fiables par l'esprit humain, ne sont-elles pas le seul résultat de procédures ins- crites dans l'ordinateur?

Le second courant est celui de la phi- losophie analytique (Russell, Witt- genstein). Il promeut l'usage de méthodes logiques pour analyser les problèmes philosophiques; c'est une philosophie très formelle et classifica- toire, qui juge les chercheurs en leur demandant «donne-moi tes arguments, je te dirai qui tu es». Le risque est de mettre l'accent plus sur la forme que sur le fond, de mettre l'argumentaire au premier plan au détriment de la pro- fondeur de la pensée.

N'est-ce pas le signe que la réflexion sur la preuve en est arrivée à une certaine limite?

Oui, mais cela nous oblige à une remise en question : il n'y a pas un type de preuve ultime qui ferait qu'un type de sciences - les sciences «dures» par exemple - serait plus crédible que d'autres. Les preuves informatiques, qui ne rendent pas compte de la démarche rationnelle et intuitive, ne recouvrent pas tout ce que la raison sait faire. Notre raisonnement est fait de démarches complexes, axées sur l'ac- tion, dans lequel interviennent les images, les affects, les phénomènes de contexte.

Interview de Denis Millier

en page suivante —y

Thomas

J e f f e r s o n , t r a h i p a r s e s g ê n e s

Yves Montand n'est pas la seule person- nalité à faire l'objet de re- cherches en paternité post-mortem. En novembre dernier, l'Amérique apprenait en effet avec stupé- faction que le légendaire hom- me d'Etat Thomas Jefferson aurait eu un, voire plusieurs enfants illégitimes avec son esclave noire Sally Hemmings.

Cette histoire, que l'on se transmettait dans la famille Hemmings depuis des décen- nies, était pourtant considérée comme fantaisiste par les bio- graphes de Jefferson. Jusqu'à ce qu'un test génétique ne vienne confirmer la véracité de l'affaire. Et donne au passage un coup de pouce à un autre homme d'Etat américain en difficulté, un certain William Jefferson Clinton...

J.R.

(15)

S O C I É T É : Le t e s t A D N n ' e m p ê c h e p a s l ' e r r e u r j u d i c i a i r e

DenLi Müller, professeur de théologie à l'Université de Laïuianne

DE N I S MÙ L L E R :

« UN E P R E U V E Q U I F O R C E R A I T C H A C U N À C R O I R E S E R A I T U N A C T E D ' U N E T E R R I B L E V I O L E N C E »

«La question des preuves de l'exis- tence de Dieu, telle qu'elle existait chez St Thomas, avant d'être renouvelée par la critique de Kant et Hegel, n'est plus prioritaire pour la théologie aujour- d'hui», explique l'éthicien Denis Mill- ier. Ce professeur de théologie à l'Uni- versité de Lausanne s'est intéressé à cette question classique de la dogma- tique.

«C'est l'idée de Dieu qui est aujour- d'hui objet de débat. Il s'agit de savoir si elle peut faire l'objet d'une réflexion

philosophique, ou si la foi suppose un

«saut dans le vide», comme l'affirme Kierkegaard, c'est-à-dire qu'elle exclut tout débat rationnel.» Or l'on constate que même des athées discutent aujourd'hui de l'idée de Dieu, quitte à la rejeter. «Un philosophe contempo- rain comme Luc Ferry explique pour- quoi, en tant que philosophe laïc, il ne peut évacuer cette question. On cons- tate que la «mort de Dieu» annoncée par Nietzsche n'a pas fait cesser l'inquiétude humaine sur le sens de la

vie. Qu'y a-t-il après notre vie sur cette terre? Tout être humain se pose cette question, et l'on redécouvre que la reli- gion est une question qui intéresse tout le monde.»

Allez Savoir! Voua évitez

doignetuenient de parler de «preuve de l'existence de Dieu». Qu 'ejt-ce gui votui déplaît tant datu cette idée?

D. Müller : «Si l'on pouvait, à l'aide d'une preuve irréfutable, imposer à tous la foi, cela me paraîtrait un acte d'une violence inouïe vis-à-vis de la liberté de l'homme. En tant que théo- logien protestant, je suis attaché à la libre proposition que Dieu fait aux hommes; c'est dans la foi et l'espérance que l'on peut comprendre que Dieu existe. Personnellement, cela ne m'inté- resse pas de chercher à prouver. C'est déjà un suffisamment grand combat, une lutte avec le doute que de croire.»

Mali la Bible, en relatant Lé miraclej faitj par Jéjtu, n 'incite- t-elle paj jej lecteur*) à je fier à de tellej «preuves»?

«Les miracles ne sont pas offerts dans mon sens pour prouver l'existence de Dieu, mais pour attester de sa gloire.

Jésus guérit l'aveugle pour que nos yeux s'ouvrent, en signe que Dieu est lumière et non ténèbres. C'est un éveil à la foi et non une preuve.»

Propos recueilli) par S. Fr

I N T E R V I E W

«Le seul bon impôt, c'est celui que paient

les autres»

Avant de devenir Juge fédérale,

Danielle Yersin a enseigné le droit fiscal à l'Université de Lausanne et a collaboré avec Pierre Duvoisin

au Département des finances de l'Etat de Vaud

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