QUELQUES SYMBOLES ASIATIQUES DE LA SAGESSE
Nous
avions, enrendant compte
icimême
de l’ou- vrage deM. Jacques Bonnet
consacréaux Symboles
traditionnels de la Sagesse (1),
exprimé
l’intention delui apporter
quelques prolongements
en direction t el’Asie orientale. C’est ce
que nous
attacherons à taire en ces pages, sousune forme nécessairemennt
p us abrégée,moins complète que
celledu
livre,mais
enen respectant la structure,
en
évitant dedéborder
--- saufincidemment — son cadre. L’inconvenient de
têts
prolongements
est évident :nous
aventuiant hoisu domaine
des civilisations indo-européenne.s, la bellehomogénéité
d’expression qui les caracteiise lisque de se trouverrompue. Mais
l’universalitédu
langagesymbolique — et n’est-ce pas l’occasion de la démon-
tt-er •?
—
a le plus souvent raison de telles barrières.Encore
la rupture formelle peut-elle, iciou
là, êtreévitée grâce à rintermédiaire de la Tradition
bouddhi-
que, qui transplante et transpose plus a 1 Est le lan- gage de l’Inde.Symboles
de la Sagesse, dit M. Bonnet, c’est-à-direexpressions tangibles de la manilestation de 1 Esput, de la Puissance divine.
Les
différences de perspec-tive
rendent
difficilement réductibles a de telles no-tions, les expressions
symboliques
de traditions quine
personnifient qu’exceptionnellementou
secondai-rement
les réalitésmétaphysiques.
Si les correspon-dances
s’établissentnéanmoins — et nous
espérons
montrer
qu’il en est bien ainsi—
c’estque nous som-
mes en
présence d’une Réalité absolue, universelle-ment
perçue,même
si elle l’est selon des modalites(1) £d. Horvath, Roanne,. 1971 Cf E-1
.
Nov.-DeC 19; s
QUELQUES SYMBOLES ASIATIQUES DE
LA SAGESSELe
souffley Veau, le feu,1.
L homologation du
souffle à TE^sprit estcom-
mune aux
anciennes langues européennCvS etaux
lan- gues sémites-On
rappellera en outreque Hamsa,
le^
sauvage
quicouve Tœuf cosmique du Veda
est aussiun
souffle.On
pourrait, d’autre part,évoquer
ici la notionupanishadique du sutrâtma
: lesmondes
et les êtres sont reliés entreeux
parun
fil(sûtra) qui est à la fois
Aima
(îe Soi) eiprâna
(le souffle). « Connais-tu le fil par lequel sont reliés et cemonde
et Tautremonde,
et tous les êtres ?...Par
le souffle tous les êtres sont unis,
dans
le souffle tous les êtres convergent, »(Brihadâranpaka
Upanis- had),
L
espacephysique
originel, selon la cosmologietaoïste ancienne, se constitue par la coagulation pro- gressive de
neuf
souffles (kieoiiddi) : « LesNeuf
Souffles
mystérieusement
se coagulèrent et achevè- rent le plan desN
eut Cieux. î* {T^ai-ch(ing san-Vieu icheng-fa king, tr.Maspéro)
; encore paraissent-ils bien être la manifestation d’ununique
Souffle ori-ginel, che-kd,
ou
gaanddi,îi est de tradition constante
que
le souffle, ou levent, Vâgu^ emplisse l’espace intermédiaire. C’est éga-
lement
le cas en Chine,où
tout l’espace entre Ciel et Terre,comparé
àun
soufflet, est empli par lesouffle producteur, Idi. «
Dans
Tespace entre Ciel et Terre, le souffleharmonieux
circule librement, et lesdix mille êtres se produisent, »
(Ho-chang
kong).« Les dix mille êtres sont portés nar îe yin,
embrassés
par legang
; sublil,un
souffle en'réali.serhamionie,
»(Tao-te
kmg,
42), <.<Dans rimmensiLC
de l’espace, ilexiste
un
souffle, ldi, essentiel, primordial, qui don- ne naissance à tous les êtres et s’incorpore à eux- ü»(Houang~h
nei-king),
« le souflle, kd,
harmonieux
et subtil aformé
leshommes.
» (Lie-tseu, ch 1).L’hom-
me
est dit baignerdans
le k'I «comme
îe poissondans Peau
»(Tong Tchong^chou).
«L’homme meurt
lors- qu’il est privéde
ldicomme meurt
le poisson prive d’eau. » (T'ai-yikin-houa
tsongdche).Soufne
créateur, le ldi est en effet aussi, par par- ticipation, le souffle vital, analogue en ceci auprâna
hindou. Aussi rencontre-t-on en Chine, aussi bienque
16 17
ÉTUDES TRADITIONNELLES
dans
leBouddhisme
tantrique, desméthodes
de « con-trôle
du
souffle » équivalant àprânayâma.
Il est évi- dentque
îa « circulation interne »du prùna ou du kH
s’applique,non
pas à la « respiration grossière^ », ]nais àune
« respiration subtile »dont
lapremière
n’est
que
Timage. «Le
souffle vientdu cœur.
» (î ai-iji
kin-hoaa
tsong-tche).
La
respiration rythmée,en
tant qu’« ouverture et
fermeture
des portes célestes » (Tao-ie king, 10), ijin et gang, est le signe de Talter-nance
cosmique,l’homologue du
Souffle créateur ori- ginel.En mode
« tantrique », le /cT (souffle,mais
aussi « esprit » et « lumière »), s’unit intérieurement au tsing (essence,
mais
aussi « force »)pour
procréerl’Embryon
d’immortalité : « Tsing etkT
s’unissent etdonnent
naissance àl’Embryon
mystérieux. » (7king),
La conséquence
en est, dit-ondans
lemême
ouvrage, l’ascension vers le Ciel « sur
un
char denuages
».On
observeraincidemment que
lamon
turc deVàyu, le vent, est
un
cheval,symbole
tout a la foisde
force et de rapidité.
Granet
a suggéréque
les huitchevaux du
semi-légendaire roiMou
desTcheou
pour-raient correspondre
aux
huit vents, K'ien, le principeactif, productif, agit, dit le
Choao-koaa,
«dans
le che- val »- Il faut se souvenirque
le cheval est en sanscrit ashva, le « pénétrant », etque
lesAshvin
à tète de cheval, divinités solaires et détentricesdu breuvage
de vie, sont fils d’un cheval ei d’unejument
qui in- carnent respectivement leDharma
et la Connaissance.La
« pénétralion »dont
U s’agit est celle de la lu- mière : associéau
soleil, le cheval 1 est aussiau
feu.Dans d’innombrables
légendes chinoises~ où il se
distingue souvent mal du dragon —
il est rinstrument
d’une quête de la Sagesse ou
de rîmmortaUté. Mon-
ture
du Bouddha
lorsdu
«Grand Départ
», il estparfois le
symbole iconographique
de sonpropre
cavalier.
Avec
plus de constance toutefois, c est la gazelle,animal
véloce, qu’on associe à Vàyu, ainsi qu’à la yoginîVayuvegà,
«Rapide comme
le vent ».^Dans le tantrisme également, la gazellecorrespond
à l’élémentair, qui est celui
du
« centredu cœur
» (anâhata-cha- kra).Dans
l’iconographiebouddhique,
les gazellesQUELQUES SYMBOLES ASIATIQUES DE
LASAGESSE évoquent
lepremier sermon
deBouddha, prononcé dans
leParc aux
Gazelles de Sarnath ; figuréesau
piedde son
trône,ou
de part et d’autre de laRoue
de îa Loi, elles
évoquent
la « mise en branle » de cette Roue, la révélationdu Dharma,
éternelle Loi de la libération. Et si leDharma
s’identifie auBouddha
(« Celui qui voit le
dhamma me
voit »Samyutta-
Nikâija, III, 120), il ne s’identifie pas
moins
claire-ment
àVAtmâ
: « C’est ledhamma,
vous dis-je, qui conduit votre char î » (Samyatta-Nikâya, I, 33).2. L’influence céleste se manifeste, outre le souffle,
par les
eaux
supérieures ; l’eau est d’ailleurs, en cer- taines allégories tantriques,une
figure de prâna.La forme
la plus évidente de raction céleste figurée parl’eau, c’est -la pluie,
ou
la rosée,La
pluie estune éma-
nation directe, enseigne le Yi-king, deKhen,
le prin- cipe actif, céleste.Le
caractèreUng
qui, dan.s le Tao-ie kiny (ch, 39) désigne rinflux
du
Ciel, secompose du
caractèrewoa,
expression de rincanlation rituelle (peut-être dansée), et de troisbouches
ouvertes re- cueillant la pluie quitombe
des nuées. Selon le pa- triarchedu Zen
Houei-nêng, « la Sagessesuprême immanente
à la nature propre de chacun, peut êtrecomparée
à la pluie,., »La
rosée lunaire chinoise éclaircit la vue et nourritles Immortels.
La
chute de ia « roséedouce
» {Tao-le king, 32) est le signe derunion harmonieuse du
Ciel etde
la Terre. «(Aux temps
anciens) le Ciel dispen-sait
une
rosée bienfaisante. » {Li-ki, ch. 7). «La
roséedouce
a le goCi tdu
miel et ne s’énandque
sur leroyaume
en paix. » (Kouan-tseu). Elle naît sponta-nément
de l’accord parfait joué .sur les quatre cordes d’un luth-Si l’on suit l’étymologie
donnée
par leRâmàyana, Vapsara
{ap, eau rasa, essence), cette gracieuse figuremythologique
popularisée par les bas-reliefsd’Angkor, est
un symbole
deseaux
supérieures.Leur
fréquencedans
les cortèges de Ticonographle boud-dhique
leur confère d’ailleursun
caractère angélique (l’exemple le plus typique est celui des fresquesdu Hônjùji
de Nara).Vapsara
s’oppose, auCambodge,
à la nagi, divinité des
eaux
inférieures.ÉTUDES TRADITIONNELLES
Pourtant, très
exceptionneUement,
le nâ(^ùj associéâ Indra, est
au
Banteai Srei d'Angkor,un symbole
des
eaux
supérieures- L’arc d’ïndra, c’est,au Cam-
bodge, Varc-cn-ciel : Indra dispense la pluie et la fou-
dre, signes et
moyens
de Tactivité céleste :V
« arc àmakara
» de Ticonographie n’est pas difièrent deî’arc-en-ciel.
Le makara
est parfois aussi lamonture
de Gangâ, le fleuve d’en-haut, qui s’écoule
de
la che- velure de Shiva.Le
très richesymbolisme bouddhh
que
de la « traverséedu
fleuve »nous
éloigneraitquelque peu
de noire sujet,mais
le sensde
1 « autie rive » n’en est pasmoins
lememe que
celui deTeau
courante, si l’on
en
croit le patriarcheHoueimêng
:«
Le non-aitachement
estun
état par-delà I existenceet la non-existence, pareil à l’eau courante sans écu-
me
; on rappelle : la « riveopposée
» (pâraniitâ), » Il n’est pas jusqu’à lamer
qui.symbole
habituelde
rindistinction primordiale,
ne
deviennedans
leLnud-
dhisine « étincelante »
pour
figurer l’Essence divine.«
Le
courantdu
fleuveGange
flottejusqu
à la mer,glisse
dans
la mer, gravite vers la mer. » (Samijutta- Nikàta, IV, 179)* « Les cours d’eau qui,dans
lemon-
de entier, se déversent
dans
leGrand
Océan, les pluies qui ytombent du
ciel, n’affectent en rien la vacuité ni fa plénitudedu Grand
Océan. » (Vinaya-pitaka, II, 237),
Ce
qu’on peutrapproher du
texte deTchouang-tseu
(ch. 12) : «Toutes
leseaux
confluentà la
mer
sans la remplir.Toutes
leseaux
en sortent sans la vider. Notions qui, d’ailleurs, ne sont nul-lement
particulières à l’Asie orientale.En mode
tan-trique, l’océan est
Paramatma,
l’Esprit unîveisel enquoi se fond la goutte d’eau de jîua
ou
jlvàtma.Dans
le Mahâijâna, l’Océan est le Dharma-kàija, le corps d’illumination »
du Bouddha,
qui seconfond
avec la Bodhi, l’Intelligence primordiale, la Sagesse essen-tielle.
Le calme
de sa surface signifie tout à la foisla vacuité (shanyâta) et l’Illumination. «
Le Oharma- kâya
est symbolisé... parun océan
infini, calme, sansune
vague*^duquel
s’élèventbrumes, nuages
et arc- en-cielsymbolisant
leSümboghù''kâya
; cesnuages
illuminés de la gloire de l’arc-en-ciel, sccondensent
et
retombent
en pluie,symbolisant
leNirmâna-kâya
».(Evans-Wentz,
introductionau Bardo
Thôdol).Dans
OüELQUES SYMBOLES ASIATIQUES DE LA SAGESSE
la légende
même
de la vie deShâkyamuni,
l’eau et lefeu s’associent
pour
concourir à sasymbolique
apo- théose : « Il atteignit la région de la lumière, et n’y fut pas plus tôt,que
des lueurs multicolores s’échap- pèrent de sapersonne
; de la partie supérieuredu
corps jaillirent des
flammes,
et de la partie inférieure ruisselaune
pluie d’eau froide. » (Divycwadâna).3.
Au
feu sacrificiel de l’Hindouisme, leBouddha
substitue le feu intérieur, qui est à la fois connais- sance pénétrante, illumination et destruction de r «
enveloppe
» : « J’attiseune flamme
en moi...mon
cœur
est l’âtre, laflamme
est le soidompté.
» (San^y- Litta-nikâya, I, 169).La
technique tantrique tibétainedu
« feu intérieur » le faitégalement
correspondreau
cœur.Et
le «creuset intérieur » de l’alchimiesym-
bolique chinoise correspond à peu près
au manipura-
chükra,que
leYoga
place sous le signedu
feu. Cettemême
terminologie alchimique identifie le souffle IPi,au
trigrarnme U qui est soleil et feu, et lenomme
« feu de l’esprit ».
Le flamboiement du
corpsdu Bouddha comme
signe de l’atteinte de lasuprême
Sa- gesse a été noté plus haut. II estconfirmé
par Dîgha- Nikâya, III, 27 : «Quand
j’eus enseigné, réveillé, in- cité et réconforté l’assemblée en lui parlantdu dhamma,
j’entraidans
l’étatdu
feu... Je produisisun flamme
qui brûlait et fumait à lahauteur
de sept palmiers... » Aussi leBouddha
est-il parfois repré- senté parun
pilierde
feu, et sonnimbe esLü
entouré,en
d’autres images, « deflammes
qui symbolisent l’irradiation de la lumièreémanant
de sa personne, de la sagesse illuminant lemonde.
» (D. Seckel).La flamme
de la connaissance et de i’Illuminationest le plus souvent figurée par la
lampe
et,au
Japon, par la lanterne de pierre. «La
lampe, dit Houei-nêng,est le
support
de la lumière et la lumière est lama-
nifestation de la lampe. » Cette identité, ajoute-t-il, est
semblable
à celle de la concentration et de laSagesse.
Et
encore : «Tout comme
lalampe
peut dis-perser des ténèbres millénaires, de
même une
étin- cellede
Sagesse peutsupprimer
l’ignorance qui dure depuis des âges, »La
« transmission de laflamme
de
lalampe
»,importante formule
de l’enseignementdu
Zen, est celledu
Dharrna, c’est-à-dire finalementÉTUDES TRADITIONNELLES
de ia Sagesse essentielle. «
Prenez
le Soipour
lampe,le Soi
pour
refuge, et pas d’autre ; prenez ledhamma
pour
lampe, ledhamma pour
refuge, et pas d’autres...répètent inlassablement les textes
canoniques
{Dtgha-Nikâija, lï, 101).
Il ne serait certes pas inutile d’évoquer,
en com-
plément, lesymbolisme du
soleil, etnous
retrouve-rions, ici encore,
un
langage universellement intelli-gibie.
Non
pas, disent les écrituresbouddhiques,
« lesoleil
que
touspeuvent
voir,mais
le Soleilque peu
connaissent par l’esprit », et qui est « le Soi de tousles êtres ».
Pierre Ghison.
(à suivre.)
&
A
Al-Harithal-Hichâm
qui luidemandait comment
lui venait la révélation
du Coran
(wahy), leProphète
fit, selon
un
hadîth, la réponse suivante : «Tantôt
elleme
vientcomme
le retentissement de la cloche, salsa- lat al-jaras, et c’estpour moi
la plus pénible, tantôt l’Ange (Gabriel)prend
laforme humaine pour me
par-ler et je retiens ce qu’il dit » (1).
Rapportant
ce hadîth célèbre, Al-Bùxiî(Shams
al ma'ârif al-kabrâ' l p. 43, lignes 4 à 9) faitun
rappro-chement
entre la cloche de la révélation cora- nique (2) etl’idéogramme
de la lettreMim.
«
Le
secretdu Mîm,
écrit-il, connote le secretdu
retentissement de la cloche ».Pour
étayer cette assertionAl-Bûnî
arguenotamment
dela rotondité, tadwir, de
Mîm.
Etant la seule partie(1) On notera que
Mohammed
présente expressément la révé- l:iüon du Coraa en rapport avec la modalité sonore toutcomme
le fait la tradition hindoue pour le Véda qu’elle considère com-
me
une « audition », shriili. Une haute autorité hindoue,S. S. le .Jagadguru de Kanchi a pu écrire des Véda qu’il « n’a
jamais été prévu qu’ils devaient être mis par écrit et lus. Ils
doivent être entendus de la bouche d’un maître et répétés après lui. L’ancien tamii classique les
nomme
< un livre nonécrit »... Ils sont ce qui est entendu, d’où le
nom
de shruti »(The Call of Jagadgiini. Madras 1958, p. 104). Bien que le Coran
ait été conservé par écrit du vivant
même
du Prophète, ces lignes peuvent lui être appliquéescomme
suggestives de laqualité de shruti (entendue alors
comme
désignant l’écrit d’ins- piration directe, par opposition à la smriti, formulation plus élaborée et explicite) qu’il comporte essentiellement en tant que Livre sacré.(2) On ne peut parler de cloche < islamique » car l’ïsîâm ignore la cloche qui, selon, un hadith, fait fuir les Anges, non
plus que de cloche « mohammedienne » car elle est un attribut de ILAnge Gabriel {Jibrà'il), le Seigneur de la Révélation et du Message.
23
ÉTUDES TRADmONNBLLES
embarras
à rattacher les principesmasculin
et fé-minin
à Texpression de sesdeux
« volontés adver- V ses » : s’il paraît, en thèse générale, résoudre îa ques-tion en faveur de l’élément féminin, parce qu’il croît ^ affirmer par là la supériorité de l’espèce sur l’indi-
vidu,
on
peut lui objecterque
bien des doctrinescosmologiqiies présentent pourtant la force expansive i
comme masculine
et la force attractivecomme
fémi-nine, et cela
en
les figurantsymboliquement par
la j dualitédu
« plein ^ etdu
« vide » ; ce sujet mérite- irait
quelque
réflexion. D’ailleurs, le « plande
l’es- pèce 2> n’est pasvraiment
supérieur à celui de l’in- dividu, il n'en est en réalitéqu’une
extension, et tousdeux
appartiennent àun même
degré de l’existence universelle ;U
ne faut pasprendre pour
des degrés différents ce qui n’estque
des modaiités diverses d’unmême
degré, et c’est ceque
faitsouvent M.
Las-bax, par
exemple quand
il envisage les multiplesmodalités possible de l’étendue.
En somme,
et cesera là notre conclusion, les
données
de la science, au sens actuel de ce mot,peuvent nous
conduire à envisagerune
extension indéfinie d’un certain « plan d’existence », celui qui est effectivement ledomaine
de cette science, et qui peut contenir bien d’autres modalités
que
lemonde
corporel quitombe
sous nos sens ; mais,pour
passer de là à d’autres plans, ilfaut
un
tout autre point de départ, et la vraie hié- rarchie des degrés de l’existence ne saurait êtreconçue comme une
extension graduelle et successive des posibilités qui sont impliquées sous certaines conditions limitatives tellesque
l’espaceou
le tempes.Cela,
pour
être parfaitement compris,demanderait assurément
d’assez longsdévelopements
;mais nous nous sommes
surtout proposés ici,en
indiquant cer-tains points de
comparaison
entre des théories d’ori-j
gine et de nature fort diverses, de
montrer quelques
voies de recherches qui sont trop
peu
connues, parce ;que
les philosophes ontmalheureusement
l’habitude|
de se
renfermer dans un
cercleextrêmement
restreint.|
René Goénon.
QUELQUES SYMBOLES
ASIATIQUES 1>E LA SAGESSE
{fin) *
La colombe
y le don, le paraclet.Le symbolisme du
doigt de DieUyévoqué
parM.
Bonnet, ne peutévidemment
trouver son équiva- lenten
Asie, àmoins
toutefois qu’on enrapproche
certains
mudrà
de riconographiebouddhique
:nous pensons
surtoutau
varadOyou
dcina-madrâ, quinous permet
de rejoindre par ailleurs lesymbolisme du
don.
Ce madrâ — main
abaissée,paume
en avant, tous les doigts étendus—
figure ledon
des TroisJoyaux
de la Connaissance.Nous
y reviendrons plusloin, car cela touche à tout
un
aspect de la spiritualitébouddhique.
On
ne trouvera pas trace, en Extrême-Orient,du Symbolisme
de* la colombe,mais
on lui découvrira,par
contre, d étonnantsbomologues.
C’est ainsi par1 inteimédiaiie d
un
éléphernieau
« blanccomme
laneige et î argent »,
nous
dit le Lalitavistarafque
lareine
Maya
conçut leBouddha.
Cette fonction tout àla fois spirituelle et angélique de l’éléphant paraîtrait curieuse si
nous
ne lui découvrions par ailleurs de solides références : associé à Indra, il est producteur de la pluie et de foudre, dispensateur,dans
toute l’Asiedu
sud-est, des bénédictionsdu
Ciel. L’éléphant, c est Ganesha,symbole
de la connaissance. Significa- tion voisine : figuré seulau sommet
d’un pilier,com-
me
à la balustradedu
shipa de Bharut, ilévoque
l’Eveil
du Bouddha. Dans
Ticonographiedu
Vajraijà- nüyun
éléphant blanc à six défenses est lamonture
O
Voir E. T. de janvier-février 1972.llTUDÎ^S
TRADITIONNELLES
du
bodhisailuaSamantabhadra,
incarnation de la Sa- gesse transcendante.Comme
Ta bien notéM. Jacques
Bonnet,Thomolo- gue
le plus précis de lacolombe
est iouiefois le cygne, ou plutôt Voie sauixige (hain.sa), qui est aussi Uttérâ-lement
le souffle,ou
TespriL Citons àson
sujet ce texte sanscritdu Cambodge
: Shiva « est le kalaham.sa qui fréquente le lacdu cœur
des yogi ; il est le /îa/n.vaqui siège
dans
le blnda, qui apour domaine
Tesprit, qui po.ssède le nâdcr » (2). 11 n’est pas superflu de noter que,dans
le Yi-king, Voiesaiwage
est lesymbole
de la prudence, rin.strument d’une progression cir-conspecte, par étapes, ce qui est bien
entendu
suscep-tible d’une interprétation spirituelle : « L’oie
sauvage approche peu
àpeu
de la rive... l’oiesauvage
appro- chepeu
àpeu du
sommet... l’oiesauvage
rejointpeu
a peu le haut des nuages. Ses
plumes peuvent
servirpour
ladanse
sacrée, »D’une
façon plus générale d’ailleurs, Voiseaii estun symbole
de TEs
prit, et le caractère célestedu
lan-gage des oiseaux s’étend jusqu’à la Chine,
où
les héros organisateursdu monde
savent Len tendre.Le
aol est.dans
le langage taoïste, le signe de la légèretédu
corps,de la libél’aLion de la pesanteur corporelle, de l’accès
au
monde
subtil ; il permet,en mode bouddhique,
d’atteindre le lac .Anavatapta,
ou
le paradis ; le pou- voir qu’ü implique est le fruit de lacontemplation
;comparé
au vent, leBouddha
« peutmarcher
sur leseaux comme
si elles étaientune
terre solide, $emou-
voir
dans
l’aircomme un
oiseau, (SainyiiUa-Nikâga,V, 25).
On
pourrait souligner encore le caractère solai-re,
flamboyant
de Vaigle Garuda,symbole
de la pénétra- tion spirituelle, le caractère céleste de Laiglemessager
des kaim,dans
la mythologiedu
Shinto ; Thomologa-
tion
symbolique
de la caille, oiseaudu sud
etdu
feu,- à la lumière inteliective.Nous avons
indiqué plushaut que
ledon du Bouddha
était celuidu
TripleJoyau
de la Connais- sance {triralria), à savoir leBouddha,
le Dharrna,ou
la Loi eterneiie, le
Sang
ha,ou
laCommunauté. Au
(2) Cocdès, Inacripliona du Canibod<]c, cité par K. BhaUa
charyo. Les religions hrahn'iaiiiques dans l'Ancien Cambodge.
QUELQUES SYMBOLES
ASLîTiQUfiSDE
L/J.SAGESSE
Tibet, c’est le
Dhyâni-Bouddha Ratnasambhava
qui estfiguré en dânaxniidrâ, portant le Triple Joyau, irra- diant
une
lumière dorée,pour
figurer la i Sagesse de l’essentielle égalité de tous les êtres, » Cette attri-bution
du dâna-madrà
àRatnasambhava
se retrouve d ailleursau Borobudur
de Java. Selon Shinran, leTathàgata nous
dispense ledon dTme
« foi solidecomme
lediamant
».Dana,
le don, est la première des six « vertus de perleciion » appelées paramita, dontles autres sont : shlla, les observances, uinja, l’effort, kshànti^ 1 humilité, la patience,
dhyâna,
la méditation, et prajnâ, la connaissance illuminative. Ces vertus ne sont pas seuîenieni pratiquées par Thomme
c|ui aspire à la délivrance,mais
d’abord" et avant tout par le Bodhisattua, auquel elles sont nécessairespour
attein- dre la bouddhélte. Il en e.st évideniment
demême
de l’amour (meita), « état divin », dont il est dit avecemphase dans
le Saltanipâta : «Avec un cœur d’Amour,
ildemeure
irradiantun
quartier, puisun
second, puis
un
troisième,un
(quatrième ; et ainsi levaste
monde
tout entier, au-dessu.s, au-dessous, de tous côtes et partout, continue àrayonner
ducœur
d’
Amour
abondant, sans bornes, sans taches. » Leshymnes du Mahâyâna
sont pleins d’appels et d’ac-tions de grâce a
l’Amour du suprême Bouddha.
Ainsi cette inscription de la stèlekhmère
deVat
Sithor qui,on
le notera, tait appel àdeux
autressymboles
:1 arbre et
Veau
: « Je salue le corps sensible desBoud- dhas
bienfaisants qui est visible^et qui, telun
Arbre de désirs, réalise lesvœux du monde
impuissant à les satisfaire.,. Puissent le fruit des mériteséminents
et leseaux
pures jaillissant des piedsdu
meilleur des Maîtresmener
tous les êtrespour
toujours à la Terre de félicité. » Ainsi cethymne
deShàntideva
: « Puis- • sé-je être... la barque, la chaussée, le pont ! Etre lalampe
deceux
qui ont besoin de lampe, le lit de ceux qui ont besoin de lit, l’esclave deceux
qui ont besoin d’esclave, être la Pierredu
Miracle, la Plante qui gué-rit, l’Arbre des Souhaits, la
Vache du
Désir ! » Ledon du Bouddha,
celui deRatnasambhava —
faut-il le sou- ligner ?—
est ledon
de soi enmême temps que
celuidu
Dharrna,Dâna
implique d’ailleurs, en toutes ses dimensions, l’abandon desoi-même.
l^^TUDES
TRADITIONNELLES
La
shakli,dans
lesystème du
Vajrayàna^ est tou- jours, sous divers aspects,un symbole
de prajnâ, laConnaissance
illuminante.Chacun
des Dhijâni-Boad-dha
lui estamoureusement
uni :Aksobhva
à Locana,la
Voyante
;Ratnasambhava
àMâmakî, Ce
qui estMien
;Amitabha
à Pàndaravàsinî, la Blanc-vêtue ;Amoghasiddhi
à Tara, la Salvatrice.Tara
la Bienfai- sante,Tara
laBlanche
estsouvent
représentée parailleurs
comme
la shaictidu
Bodhisaiiva Avalokitesh- vara. Elle a parfois tendance à se confondre,dans
riconographie, avec
Prajnà
paramita, la Suj>rème‘ Sa- gesse,normalement
considéréecomme
lashah H du
Bouddha suprême.
En
fait, Pirradiation de PAmour
divin en tantque symbole
de la Sagesse, partout affirméedans
leMa-
haijànü; est inséparable de la fonction
bouddhique
de P« intercesseur », Et siPon donne au paradai
ce sens premier,comment
n'en pas trouver Péquivalentdans
le r(Me
du
Bodhisaiiva. et plus précisémentdans
celuid’Avalokiteshvara ? L’efficacité de sa fonction est
préparée par la pratique de prajnâ, la connaissance,
et de karunàj la
compassion
; elle s’identifie ensuite àparinànuina^ le « transfert » : la renonciation
du
Bo- dhisaitua à ses mérites propres au profit dePillumL
nation de tous les êtres. Ainsi est-il,comme
le dirait Shàntideva, « la barque, la chaussée, lepont
», ou, selon l’inscription de Val SUhor, Pun
de «Ceux
qui,ayant vu le
malheur du monde
ettourmentés par
cemalheur comme
le seraitune
mère, s’efforcent de ledélivrer en attachant à ÎTilu
mi
nation le joyau de leur pensée... »Mais pavinâmaïuL
souligne le Professeur Suzuki, agitdans
lesdeux
sens : à ce sens « ascen- dant »correspond
le sens c<descendant
»du
« pouvoirdu Vœu
origineld’Amida
». Ainida~ Amitabha, Lu-
mière Infinie— que le tantrisme fait correspondre au
souffle, prononça, enseigne le Sàlra de la Vie éter- nelle, le
vœu
suivant, alors qiPil était encore Bodhi- satina :que
tout être vivant qui ferait appel à luipour
obtenir Paccès au Paradis de la TerrePure
(Jôdo) seraitexaucé
; faute de quoi il renonceraitpour
lui-même
ausuprême
Eveil, Cevœu,
enseigne Shinran,«
nous
offre la force dePAutre
» (lariki) grâce sanc- tifianteopposée
à Peffort exclusivement personnel,QUELQLTS SYMBOLES
AStATIQUESDE
LA -SAGESSE a la force propre (jirîkO^En
fonctiondu Vœu
originel,nous
assure-t-il, «même
les bons iront au Paradis,à plus forte raison les
méchants
! » Le salut estdonné
en contrepartie de la foi, L’« envoyé »,
Pémanation d’Amida
est le Bodhisaiiva Avalokiteshvara, le Soi- gneur-qui-regarde-avec-compassion-vers-le-bas,ou
en- core le Seigneur-au-rayonnemient-lumineux : c’est, auCambodge,
Lokeshvara, leSeigneur-du-Monde
; c’est en Chine etau
Japon,Kouan-yin au Kannon, auquel on
a pai foi.s donné, significativement—
™ bienque
sansdoute de façon erronée
—
,une forme
féminine, «Le
son mystérieux (dumontra
d’Avalokiteshvara) ap- porte la libération et la paix à tous les êtres vivants qui,dans
leur détresse, appellent au secours.,. » (Sù~rangama
sulraé). Selon l’iconographie chinoise, le Bo- dhisailva descenddu
paradis de la PerrePure dans
notremonde,
et yramène
les fidèles défunts.On
noteraincidemment que Pem blême
d’Avaloki- teshvara est le lokis,svmbole
dePépanouissemeni
spi-rituel. ^
1/étoile.
L’identiticaüori de la lumière à la connaissance se
rencontre
en
Chinecomme
ailleurs ; le caractère ming, synthèse deceux
qui figurent le soleil et la lune, v possède effectivement lesdeux
sens :Mes deux yeux
(soleil -f lune)forment
le caraclèreming
» (Ri- tuel de société secrète).La
lumière céleste ré,sidedans
lesdeux yeux
» (T'akiji kiri-houa tsong-tche).Les Bouddhistes chinois i’utilisent
eux-mêmes dans
lesens d’« illumination ». Toutefois, la lumière stellaire est surtout manifestée par la
Grande
Ourse, « faîtedu
Ciel » (Taen-ki) etdemeure
de Vai-iji, le Suprê-me
Ln.Dans
lesméthodes
taoïstes de méditation, leméditant
se « concentre sur les sept étoiles de laGrande
Our.se :peu
a peu ellesdescendent
sur lehaut
de sa tete. » un-ki tsk-ls'ien) : preuve de son accession a Pétat « central »,Le
SeigneurSuprême Ln
» ditun
autre texte, tientdans
lamain gauche
« le
manche
des sept étoilesdu
Boisseau {leou, laGrande
Ourse),dans
lamain
droite lepremier
filetde la Constellation Boréale (Etoile Polaire). » (Cheou