• Aucun résultat trouvé

Le style des représentations paléolithiques de plein air de la vallée du Côa (Portugal)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le style des représentations paléolithiques de plein air de la vallée du Côa (Portugal)"

Copied!
9
0
0

Texte intégral

(1)

Images, textes e t so c iété s

Les A nim aux

Le

style

des

représentations

de

plein

air

de

la

vallée

Emmanuel Guy (UMR ArScAn - Ethnologie préhistorique)

Dans le c a d re d'une recherche post-doctorale financée par la Fondation Fyssen, nous travaillons actuellem ent sur les représentations paléolithiques d e plein air découvertes, depuis 1992, dans la vallée du fleuve Côa, située dans le nord-est du Portugal. C e tte étude s'inscrit dans une rech erch e plus générale sur les m o d es d e représentation du paléolithique supérieur.

En effet, quelle q u e sort son origine, une représentation ne tire pas forme du hasard ou d'un q u e lc o n q u e arbitraire artistique. Elle fait nécessairem ent a p p e l à a i répertoire conventionnel d e formes, indispensable à l'intelligibilité d e l'im age par l'environnement socioculturel dont elle est issue’(Barthes 1982; Eco 1992; Lévi- Strauss 1961). De fait, c h a q u e m anière d e représenter, élab o rée e t adm ise p a r une culture donnée, constitue le produit symbolique d e sa m anière particulière d e concevoir ie m onde à un m om ent déterm iné d e son histoire.

Notre objectif consiste do n c à mettre en é v id e n c e la diversité des choix d'expression au cours du paléolithique supérieur (Guy 1998). Pour déterm iner tout ou partie des règles établies qui définissent in style d o nné, nous m ettons en œ uvre une analyse c o m p arativ e entre figures, d e stin é e à établir la récurrence, e t d o n c l'intentionnalité, d e tel ou tel p ro c é d é formel (un traitement particulier du contour, une disproportion, une m anière d e suggérer la troisième dimension, etc.), en l'excluant ainsi des a lé a s du geste individuel.

C e sont les premières observations d e c e tte analyse stylistique appliquée aux représentations paléolithiques d e la vallée du C ô a q u e nous présentons ici.

Définition de trois com posantes formelles du style des représentations piquetées de la vallée du C ôa

L'art paléolithique d e plein air du C ô a 2 connu depuis 1992, m arque un tournant dans la re c h e rc h e préhistorique. I dém ontre, en effet, après plusieurs découvertes d e moindre am pleur (la roche g ra v é e d e M azouco au Portugal, celles d e Siega verde, d e Domingo Garcia et d e Piedras blancas en Espagne e t la ro ch e d e Fornols-Haut en France) l'existence, à une très vaste échelle, d 'u n e activité artistique d e plein air q u e l'on croyait, jusqu'alors, indissociable du m o n d e souterrain {cf. l'art d e s cavernes).

S est co m p o sé (pour c e qui est du paléolithique supérieur, car il est aussi d e nom breuses représentations d 'é p o q u e s postérieures) d e centaines d e figures réparties sur près d e vingt kilomètres, d e m anière discontinue, le long des rives du fleuve Côa, affluent du Douro. Elles sont toutes gravées ou p iq u eté es, principalem ent à proximité d e l'eau, sur les parois verticales des affleurem ents d e schistes qui dom inent en fo n d d e vallée.

C es figures (dont le bestiaire est principalement constitué d'aurochs, d e chevaux, d e bouquetins e t d e cervidés) témoignent, au premier co u p d'œil, d 'u n e importante diversité d e style et donc, sans doute,

’C 'e s t d'ailleurs p récisém en t c e qui explique q u e c h a q u e p é rio d e d e l'histoire d e l'art est m a r q u é e p a r i n « m ê m e » style, p a r-d e là les individualités ou les régionalism es qui s'y expriment.

(2)

Im ages, textes e t so ciété s

d 'é p o q u e . La distinction chrono-culturelle d e c e corpus est encore mal co n n u e en uaison, notamment, d e l'impossibilité matérielle d e d a te r directem ent la gravure.

Parmi elles, i est in nom bre élevé d e représentations (plus d'une centaine d e c a s observés à l'heure actuelle), le plus souvent réalisées par piquetages, qui témoignent, selon nous, d 'u n e très forte unité d e style. Celle-ci repose sur la p rése n c e systématique d e trois com posantes formelles.

C om posante form elle n° 7 : Le dessin géom étrique en poin te des contours d u ventre e t de la p a tte arrière L'une des particularités com m une à toutes ces figures concerne le traitem ent d e leur contour. En effet, on co n state q u e le contour n'est pas uniquement déterm iné par l'observation du m odèle (quel que soit le d e g ré d e fidélité rech erch é) mais qu'il décrit ponctuellem ent des formes géom étriques qui, en tant q u e telles, constituent des motifs à part entière.

L'un des exem ples les plus caractéristiques d e c e principe co n cern e le dessin d e s lignes du ventre et d e la p a tte arrière, systém atiquem ent représenté d e deux arcs d'orientation o p p o s é e e t qui forment un a n g le souvent exag érém en t a c c e n tu é au niveau d e l'aine (fig. 1).

Certes, c e dessin d es contours s'inspire d e la réalité anatom ique, mais il la réduit à une expression ouvertem ent géom étrique par la simple association d e ce s deux arcs. De fait, si c e dessin correspondait exclusivement à la réalité anatom ique, on le retrouverait sur d e nom breuses figures paléolithiques d e styles distincts, c e qui n'est p a s le cas. En outre, s'il existe parfois des tracés analogues sur des figures stylistiquement distinctes d e celles-ci, on constate bien souvent q u e c e tte proximité relève probablem ent d 'u n e co n v e rg e n c e fortuite d u e au schém atism e des contours com m e le suggère une p ré se n c e b e a u c o u p moins systém atique que sur les figures d e la vallée.

Enfin, i est à noter q u e d'autres parties du contour d e ce s piquetages décrivent elles aussi des motifs géom étriques propres. On peut évoquer, par exem ple, le dessin d e la crinière é rig ée des chevaux e t d e l'oreille exprim ée d e deux traits symétriques e s p a c é s par in blanc, ou en co re, celui d e la queue d e s bouquetins simplement constitué d e deux courts traits rectilignes parallèles (parfois com p lété p a r un trait m édian).

On a donc affaire ici à un traitement très particulier d an s lequel le dessin du contour n'est pas, com m e c 'e s t habituellement le cas, soumis à la seule observation du sujet mais répond aussi, d e m anière indépendante, à des principes d e construction géom étrique. Le recours du dessin à ces formes préétablies constitue c e q u e l'on peut qualifier d e c o n cep tio n graphique du contour.

C o m posante formelle n ° 2 : le dessin systém atique à ch a q u e train d'un m e m b re unique e t d é p o u rv u d'extrém ité.

Le se co n d élém en t formel caractéristique d e c e s représentations c o n c e rn e le dessin des m em bres. En effet, toutes c e s figures présentent à c h a q u e train la particularité d'un m em bre unique e t systém atiquem ent dépourvu d'extrém ité (fig. 2).

Plus encore, on c o n s ta te q u e la description g én érale des pattes sur tous ces c a s se réduit délibérém ent à deux tracés parallèles sans aucun autre souci descriptif particulier (articulation, jarret, extrémités, e tc .) ; autrem ent dit, à une représentation, là encore, d é lib é ré m en t réduite à son pur constituant graphique.

C om posante form elle n° 3 : la sélection des inform ations anatom iques

Enfin, le troisième parti pris d'expression d e c e s figures concerne, selon nous, la sélection particulière des informations anatom iques.

En effet, on constate, tout d 'a b o rd , l'ab se n c e systém atique d e toute représentation d e p e la g e interne (fig. 3). Une constante q u e l'on ne peut attribuera une contrainte du support d a n s la mesure où coexistent sur les m êm es surfaces rocheuses, des figures d 'un style différent qui portent un remplissage d e stries internes. Plus généralem ent, on note une présence très aléatoire d es principales informations anatom iques internes (œil, bouche, naseaux, etc.) qui sont, en tout é ta t d e cause, exprimées d e m anière laconique (et géom étrique) : un simple point pour l'œil, un trait rectiligne horizontal pour la b o u ch e, deux pour les naseaux, un trait vertical pour m arquer le mufle dépourvu d e poils, etc.

Or, 1 est e n c o re intéressant d e constater q u e c e tte pauvreté descriptive n'est pas attribuable à une q uelconque in ca p a c ité à voir ou une m aladresse, puisque ces m êm es figures portent, par ailleurs, au niveau d e leurs contours, des annotations subtiles. On pense, p a r exemple, à l'arrondi systém atique du trait au niveau

(3)

Images, textes e t sociétés

d e la g a n a c h e des chevaux ou aux deux bosses successives des reins et du garrot que dessine justement la dorsale d e s aurochs. On a le sentiment, ici, d'un désintérêt affiché pour la seule observation qui s'exprime par une désinvolture (p ré se n ce ponctuelle e t description minimale) à l'égard des détails d'o rd re général (œil, b o u che, p elages, etc.) tout en privilégiant certaines annotations, apparem m ent anodines, mais que justifie le fait qu'elles servent, q u a n t à elle, à la caractérisation m êm e du sujet représenté.

Un style partagé dans d ’autres sites

La p ré se n c e récurrente d e c e s trois éléments formels particuliers, selon nous, fonde le style d e la majorité des p iq u etag es paléolithiques d e la vallée du C ô a .

À c e titre, il est intéressant d e noter q u e l'on retrouve l'association d e ces trois élém ents sur d'autres figures provenant d e sites distincts e t ce, indépendam m ent d e la diversité des supports e t des techniques em ployés (fig. 4).

Sans p ré te n d re ici à un inventaire exhaustif d e ces correspondances, on peut évoquer, à titre démonstratif, tout ou partie des figures pariétales d e s grottes d e Pair-Non-Pair (gravure profonde, p iq u eta g e) e t d e La Croze à Gontran (gravure) d an s le sud-ouest d e la France, d'Escoural (peinture), seule grotte ornée du paléolithique au Portugal e t d e La Pileta (peinture) dans le sud d e l'Espagne.

En effet, on trouve sur c e s figures :

• le m êm e dessin g éo m étriq u e du ventre e t d e la patte arrière formant un angle aigu au niveau d e l'aine — une p arenté d e style si forte q u e toutes ces figures présentent, celles du C ô a comprises, la m êm e particularité com m une consistant à déporter légèrem ent la courbe ventrale vers l'arrière ;

• le m êm e dessin systém atique à c h a q u e train d 'un membre unique e t dépourvu d'extrém ité ; • la m êm e a b s e n c e d e représentation d e s p e la g e s internes et une p ré se n c e rare d e s

principaux détails anatom iques (œil, bouche, naseaux, etc.) au profit d e certaines annotations (toujours les mêmes) exprimées par le biais du seul contour e t destinées à renforcer l'identification des différents animaux représentés.

Conclusion

Nous avons mis en év id e n c e , au cours d e c e tte brève note, trois des co m p osantes formelles qui fondent le style des principaux p iq u e ta g e s d e la vallée du C ôa. Bien entendu, i ne s'agit là q u e d'une toute prem ière exploration qui ne p réte n d p a s définir l'ensem ble des partis pris d'expression qui déterminent c e style.

Toutefois, nous avons pu observer, à c e stade, la p e rm a n en c e d e l'association d e ces trois c a ra c tè res sur des figures d e techniques (peinture, gravure) et d e contextes différents (grotte) parfois localisées à d e s distances très éloignées d e la région du Haut-Douro (fig. 4). C es correspondances stylistiques appellent d'ores e t d é jà quelques com m entaires.

Tout d 'a b o rd , elles dém ontrent l'existence d e conventions d'expression p a rta g é e s p ar d e s groupes provenant d e différentes régions e t tém oignant ainsi d e l'existence d'un m êm e fond culturel sur une v a ste zone g é o g ra p h iq u e d o n t on ne co n n a ît pas encore les limites. Un constat d'unité qui n'exclut pas, par ailleurs, l'existence d e particularismes locaux : on pense, par exem ple, au dédoublem ent des encolures pour suggérer le m ouvem ent qui sem ble ê tre une spécificité des chasseurs-cueilleurs qui ont fréq u en té la vallée du C ô a .

En outre, nous avons montré q u e certaines d e ces conventions, en particulier le traitement d e s contours, reposaient partiellem ent sur des form es géométriques. Soit, des motifs que l'on ne saurait retranscrire naturellement à la seule observation d'un cheval ou d'un aurochs. C e qui signifie d onc q u e la p e rm a n e n c e d e c e s form es « abstraites » à une v a ste échelle tém oigne, selon to u te vraisemblance, d 'u n enseignement. Bien entendu, ces prem ières observations devront être é ta y é e s par des travaux plus approfondis ; tout d 'a b o rd à C ô a m êm e, par la mise en contexte d e c e tte production figurative a v e c son c a d re chrono- culturel (mis à jour dans les niveaux d 'o ccu p atio n d'outils a y a n t servi à dessiner, p rése n c e possible d'art mobilier, e tc .) : mais aussi, en établissant d e nouvelles corrélations stylistiques perm ettant, non seulem ent d e préciser les premiers c a ra c tè re s observés, mais en co re d e d é g a g e r d e nouvelles informations : informations sur chronologie d e c e m o d e d'expression, établissement d e sa cartographie précise et, le c a s échéant, mise en lumière à travers ces com paraisons d'autres constantes (formelles mais aussi thématiques, par exem ple).

(4)

Im ages, tex tes e t so ciétés

C 'est là l'une d e s voies q u e nous proposons pour tenter d e définir les différentes normes d'expression visuelle au paléolithique supérieur et, à travers elle, la diversité idéologique des sociétés préhistoriques.

Éléments bibliographiques

Barthes R. 1982. Le message photographique. In : R. Barthes. L'obvie et l'obtus. Essais critiques 111 (1951) , p. 9-24. Paris : Le

Seuil.

Eco H. 1992. La production des signes.Paris : Le livre de Poche.

GuyE. 1998. Évolution des formes dans l'art figuratif paléolithique occidental. Introduction à une grammaire stylistique.

thèse d e d o c to ra t, université d e Paris I, 1 vol.

Lévi-Strauss C. 1961. Entretiens avec Cl. Lévi-Strauss. In : Charbonnier G. Paris : Julliard.

Zilhào J. (sous la direction de). 1997. Arte rupestre e pré-histôria do Vale do Côa Trabalhos de 1995-1996. Relatôrio

cienfifico ao govemo da Repüblica Portuguesa elaborado nos termos da resoluçao do Conselho de Ministros n°4/96, de 17 de Janeiro.Lisboa. Ministério da Cultura.

Zilhâo J., A ubry t., Carvalho A. F., Baptista A.M.. Gomes M. V., Meireles J. 1997. The rock art of the Côavalley (Portugal)

(5)

Im ages, tex tes e t so ciété s

w

1

3

(6)

Images, textes e t so ciété s

7 ^ Y

(7)

Images, textes e t so ciétés

n

\r—v

/

1

v ^ i

\

a

Fig. 3 - Le traitement sélectif des informations anatomiques des figures piquetées de la vallée du Côa (relevés d'après CNART).

(8)

Im ages, textes e t s o c ié t é s

FozCôa (Portugal)

Pair Non Pair(France)

La CrozeàGontran (France) Escoural (Portugal)

\

La Pileta (Espagne)

m .

: le dessin géométrique du contour ventral

: un membre unique et dépourvu d’extrémité à chaque train

R g. 4 - Comparaison entre les piquetages du Côa et quelques exemples pariétaux (relevés : Pair-Non-Pair, La Croze à Gontran : d’après Delluc ; Escoural : d’après Lejeune ; cliché : La Pileta : d’après Breuil.

(9)

1 : Vallée du C ôa (Portugal) 2 : Grotte d'Escoural (Portugal) 3 : Grotte de La Pileta (Espagne)

4 : Grotte de La Croze à Gontran (France) 5 : Grotte de Pair-Non-Pair (France)

Figure

Fig.  1  - Le traitement géométrique du contour ventral
Fig. 3 - Le traitement sélectif des informations anatomiques des figures piquetées de la vallée du Côa (relevés d'après CNART).
Fig.  5  -  Localisation des sites mentionnés

Références

Documents relatifs

Tout l’équipement dont vous pourriez avoir besoin pour vous assurer un par- fait séjour de pêche est offert aux vacanciers, et comme le territoire est très grand, le lac devant

Aventure : La traversée de la Gaspésie en bikepacking Globe-Trotter : Randonnées dans les îles grecques Globe-Trotter : Randonnée dans les Alpes albanaises Disponible début

Privilégiez chaque fois que possible les méthodes alternatives et les produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et animale et pour

SENSIBILISER les intervenants touristiques pour les aider à mieux se préparer aux impacts et tendances climatiques sur les activités de plein air, et utiliser les outils

Aujourd’hui, la vigueur économique de l’HPA s’explique par la mon- tée en gamme des terrains de camping, plus particulièrement par le développement, quan- titatif et qualitatif,

Pourtant, tenter d’établir une loi serait, selon l’auteur, une démarche naturelle selon la culture scientifique des ingénieurs de l’époque, aussi l’auteur

Choisissez l’une des 3 chambres confortables pour découvrir l’ambiance reposante de la région de Bruyères.. Vous pourrez vous prélasser dans

Le catéchuménat et la pénitence publique ont existé en Orient du 2e-3e siècles au 56_66 siècles. Ces catéchumènes et ces péni- tents, au moins certaines classes parmi ces