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TERRITORIALITÉS ET TEMPORALITÉS EN MÉDITERRANÉE :

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T ERRITORIALITÉS ET T EMPORALITÉS EN M ÉDITERRANÉE : L A LEÇON DE B RAUDEL

M

ICHEL

C

ASTEIGTS*

Publié dans Sedjari A. (dir.), 2010, Euro-Méditerranée : Histoire d’un futur, Paris et Rabat, L’Harmattan, pp. 31-58.

L'histoire n'est pas autre chose qu'une constante interrogation des temps révolus au nom des problèmes et des curiosités – et même des inquiétudes et des angoisses du temps présent qui nous entoure et nous assiège. Plus qu'aucun autre univers des hommes, la Méditerranée en est la preuve, elle ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même. Par plaisir sans doute, non moins par nécessité. Avoir été, c'est une condition pour être (Braudel, 1977 [1985, pp. 7 et 8]).

Rarement une œuvre de l’esprit se sera autant identifiée à un lieu que celle de Fernand Braudel à la Méditerranée. C’est peu de dire qu’il a transformé le regard que nous portons sur la « mer Intérieure » et son histoire : il a, par son travail sur la Méditerranée, bouleversé notre façon d’écrire l’histoire et, dans une mesure moindre mais incontestable, la géographie et l’économie.

Dans son ouvrage fondateur, publié en 1949 au terme de plus de vingt ans de travail, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Braudel introduisait

« l’histoire de longue même de très longue durée » (1958 [1969, p.45]), non pour remplacer mais pour compléter « l’histoire événementielle » :

Ainsi sommes nous arrivés à une décomposition de l’histoire en plans étagés. Ou, si l’on veut, à la distinction, dans le temps de l’histoire, d’un temps géographique, d’un temps social, d’un temps individuel (Braudel, 1949 [1969, p.13]).

A cette diversification des temporalités s’ajoute une diversification des échelles territoriales, depuis les espaces restreints de la vie quotidienne jusqu’à l’économie-monde, concept introduit par Braudel pour caractériser le monde méditerranéen (1949, pp. 325 et suiv.), développé dans le troisième tome de Civilisation matérielle, Economie et capitalisme, XV

e

-XVIII

e

siècle (1979, t.3, pp. 12-70), avant d'être repris et systématisé par Immanuel Wallerstein (1974, 1980). Il aurait été bien sûr confortable pour l’historien, comme pour le géographe, l’économiste, le sociologue ou le politologue, que les phénomènes qui se jouent sur de grandes échelles territoriales se déploient dans la longue durée. Mais tel n’est pas le cas. Tel n’est pas non plus le cas du contraire. C’est précisément l’absence de corrélation

*

Inspecteur général de l'administration (France), Michel Casteigts est professeur des universités associé en

management public à l'Université de Pau et des pays de l'Adour (IAE) et chercheur au Centre de documentation

et de recherches européennes (CDRE).

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systématique entre durées et distances qui dessine un paysage événementiel chaotique malgré la grande stabilité des évolutions profondes. Ainsi s’explique le paradoxe apparent, souligné par Fernand Braudel (1950 [1969, pp. 131-132]) et repris par Michel Foucault (1969 [2008, pp. 9-18]), que c’est au moment même où l’histoire découvrait la longue durée que la question des discontinuités des processus ou des discours s’imposait à elle comme un problème central.

Tel est le contexte intellectuel et le cadre conceptuel dans lequel cette communication entend replacer l’Union pour la Méditerranée (UPM), pour en questionner les objectifs et le dispositif. Elle met en évidence les contradictions entre des enjeux qui s’inscrivent dans la longue durée et dans une territorialisation en réseau et une démarche qui privilégie le temps court et les territoires institutionnels.

Topiques et chroniques

Aussi loin que l’on peut remonter le cours de l’histoire, ou le reconstituer, à travers l’œuvre des premiers historiens (Hérodote, Thucydide et avant eux Hécatée de Milet), la production des scribes, les traces archéologiques ou les récits mythiques, la Méditerranée a toujours vécu dans un rapport singulier à l’espace et au temps. De ce rapport, la philosophie platonicienne porte témoignage :

Tout se passerait donc comme si l’espace et le temps, même les plus mythiques, entretenaient chez Platon d’étroits rapports avec la cartographie et la chronologie anciennes et comme si « l’utopie » trouvait dans la géographie et l’histoire réelle une sorte de vérité topique et chronique (Joly, 1994, p. 327).

Cette histoire et cette géographie sont parcourues de contradictions fondatrices entre un sentiment d’infini et d’éternité né des cosmogonies anciennes et la conscience des discontinuités du temps et de l’hétérogénéité de l’espace que portait avec elle la naissance du regard scientifique. Plus encore que chez Platon, c'est chez Héraclite que ce système de contradictions constitue l'axe central de la pensée du monde, en prenant la forme de l'union des contraires et de l'irréversibilité du temps:

Sont le même le vivant et le mort, l'éveillé et l'endormi, le jeune et le vieux; car ces états-ci, s'étant renversés, sont ceux-là, ceux-là, s'étant renversés à rebours, sont ceux-ci (Héraclite, fragment 107, p.372

1

).

On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve (ibid., fragment 134, p.459).

Au delà de la proverbiale obscurité de ses formulations, le propos d'Héraclite est clair: il n'y a pas d'intangibilité des choses, mais simplement des états furtifs qui se dissolvent pour céder la place à d'autres. Ainsi se résout la contradiction entre l'éternité et l'événement, puisque l'événement est la trame même de l'éternité et que la permanence apparente du fleuve s'accompagne de la fuite infinie de ses eaux.

Villes et réseaux

Une des traductions pratiques les plus manifestes de ce système de contradictions est le jeu complexe et permanent des complémentarités et des oppositions entre villes et campagnes,

1

La numérotation des fragments et des pages sont celles de l'édition d'Héraclite par Marcel Conche, Paris, PUF,

1986.

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entre logiques impériales et dynamiques urbaines. Dans ce dispositif instable, ce sont les jeux de l'échange, pour reprendre une expression braudélienne, qui apportent organisation et cohérence

Place centrale des logiques urbaines

La distinction ville-campagne constitue un des premiers termes des contradictions fondées sur le fait urbain, qui ont joué un rôle essentiel dans l'histoire de la Méditerranée.

Depuis toujours, la relation entre ville et campagne est ambivalente: s'il existe une incontestable complémentarité fonctionnelle entre l’espace de production et le lieu de l’échange, les logiques spatiales et sociales diffèrent fondamentalement. Cette dualité est aussi ancienne que l'agriculture:

Qui dit agriculture dit sédentarisation, enracinement dans des habitats groupés. Mais la surprise [...] a été de découvrir, dès le VIII

e

millénaire, non pas seulement des villages ou des hameaux, mais de grosses agglomérations qu'on peut appeler des villes [...] D'où l'argumentation révolutionnaire et convaincante de Jane Jacobs (The Economy of Cities, 1969): elle prétend que dans le vide, celui de la préhistoire ou celui de telle ou telle partie du Nouveau Monde après la conquête européenne, il est normal, logique que des villes commencent à vivre en même temps, voire plus tôt même que les villages. Jéricho, Çatal Hüyük sont deux exemples de ces « agglomérations » néolithiques (Braudel, 1977 [1985, pp. 85-86]).

Mais « si la ville, lieu des échanges, du loisir et de toute la vie sociale, s'oppose nettement à la campagne, lieu du travail, de la vie animale et de la production des biens matériels, elle ne constitue pas un espace simple homogène, où il suffirait d'entrer pour devenir un citadin, mais une imbrication étroite d'espaces organisés selon des règles non écrites, et d'autant plus rigoureusement respectées » (Aymard, 1977 [1985, p. 203]). Car la ville est aussi le lieu des pouvoirs, souvent brutaux et rarement prévisibles, de la domination, des impôts. C'est précisément cela qui permet aux villes d'exercer une fonction de protection de leur zone d’influence

Au-delà de la ville il y a l’Etat, et c’est dans et par la ville que l’Etat advient. La culture politique gréco-latine a introduit dans l'ancestral système de tension un nouveau paramètre en distinguant la ville comme espace urbain (αστυ, urbs), qui s'oppose à la campagne (χωρα, rus), et la cité (πολίς, civitas) qui les englobe toutes deux. Dans un tel dispositif, les oppositions sont rarement binaires, mais jamais absentes.

Les tensions entre logiques impériales et dynamiques urbaines constituent le second terme du système de contradictions. Il n'y a pas lieu ici d'opposer villes et Etats, puisque la plupart des villes marchandes étaient des cités-Etats. Il s'agit plutôt de distinguer deux ordres de temporalité liés à deux modes d'organisation de l'espace: d'un côté de grands ensembles politiques, puissants et statiques, organisés pour défendre d'immenses territoires et pour en reproduire indéfiniment la structure; de l'autre les pôles d'échange, villes-ports tirant leur puissance de leur capacité à faire circuler rapidement la richesse sur des espaces de plus en plus vastes, d'en créer et d'en maîtriser les circuits, d'en contrôler l'évolution.

L’empire égyptien, comme les civilisations mésopotamiennes, était porteur de la vision

d’un monde immuable et sans limites. Pourtant, à ses marges, c’est le développement des

villes marchandes, notamment des cités phéniciennes (Arwad, Byblos, Sidon ou Tyr) et de

leurs réseaux d’échanges qui a écrit l’histoire de la Méditerranée telle que nous la

connaissons, aussi loin que nous remontions dans le temps. L'ancienneté de ces échanges est

attestée par la grande quantité de matériaux et d'objets qui n'étaient pas d'origine égyptienne

dans les tombeaux des premiers rois.

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A une époque où les frontières n'avaient pas encore la netteté juridique et topographique que nous leur connaissons aujourd'hui, le choc entre empires et cités-marchandes était rarement frontal, tant leur communauté d'intérêts rendait les compromis nécessaires. Cela conduisait à des équilibres subtils entre allégeances et autonomies, protectorats et franchises.

Plus tard, quelques millénaires plus tard, sur d'autres mers, c'est la même histoire qu'écriront les marchands des villes hanséatiques dans leurs démêlés séculaires avec les royaumes de Norvège, du Danemark, des Pays-Bas, de Pologne, d'Angleterre et le Saint-Empire Romain Germanique.

Rôle structurant des réseaux d’échange

Si les pouvoirs impériaux ont souvent toléré et parfois encouragé cette vitalité urbaine à leur périphérie, c’est que les villes remplissaient une fonction irremplaçable dans l’organisation des échanges. Très tôt, dès l'invention de l'agriculture, sont apparues les premières économies de surplus et les premières formes de division territoriale du travail sans lesquelles les agglomérations néolithiques, évoquées plus haut, n'auraient pas existé:

Ces « villes primitives » sont déjà des centres organisateurs. Elles provoquent et entretiennent une circulation à large rayon. Jéricho exporte du sel et du bitume, elle reçoit, entre autres, de l'obsidienne d'Anatolie, des turquoises du Sinaï, des cauris de la mer Rouge. Çatal Hüyük échange son obsidienne contre du silex de Syrie, elle importe de Méditerranée des coquillages en quantité et toutes sortes de pierres, de l'albâtre, du marbre. [...]

Pourtant, c'est la plaine, c'est la basse Mésopotamie qui, avec l'Egypte, va devenir l'accumulateur essentiel de la civilisation en gestation. Parce qu'une grande civilisation ne peut vivre sans une large circulation et que l'eau des fleuves – l'Euphrate, le Tigre, le Nil – a permis l'essor d'une batellerie. Que ces bateaux, finalement, s'aventurent sur l'eau salée du golfe Persique, ou de l'océan Indien, ou de la mer Rouge, ou de la Méditerranée, le pas décisif est franchi. Un miracle commence. Biens, marchandises, techniques, tout peu à peu transitera par les routes de la mer. La Méditerranée va commencer à vivre (Braudel, 1977 [1885, pp. 86-87]).

De cette dialectique de la diversité et de la complémentarité émerge progressivement une organisation stable de l'espace et des échanges:

Si l’espace divise, il unit aussi du fait même de cette division créatrice sans fin de besoins complémentaires : entre zone céréalière et d’élevage, par exemple, entre producteurs de grains et producteurs de vin, le contact est quasi obligatoire. De même, lorsque des disparités culturelles juxtaposent des groupes humains très différents par la langue, la culture, la civilisation matérielle, le niveau technique, cette juxtaposition peut être explosive; elle fait sauter les obstacles. Bref, aussi différents ou même hostiles qu'ils soient, les groupes humains de toutes dimensions ne vivent jamais à l'intérieur de leur coquille, à l'abri d'une vraie clôture. Pratiquement l’autarcie parfaite ne se rencontre jamais. Pour vivre il faut s’ouvrir, si peu que ce soit, sur le dehors (Braudel, 1986, p.122).

De temps immémoriaux, les échanges par voie de mer ont été beaucoup plus faciles que les échanges terrestres. Le faible développement des routes, l’état rudimentaire des moyens de transports et les difficultés du relief expliquent que les premiers échanges furent maritimes, et cela pour de longs siècles :

La mer, c’est autre chose qu’un réservoir nourricier, d’autant plus que la Méditerranée est pauvre aux meilleurs moments de sa flotte, sa pêche entière représente le tiers de la seule pêche norvégienne, mais la mer c’est aussi, avant tout, une surface de transport, une surface utile, sinon parfaite (Braudel, 1977 [1985, p. 57]).

La Méditerranée est une mer suffisamment vaste pour que la diversité des échanges leur

donne une forte valeur ajoutée, mais assez limitée pour qu’il soit possible de la traverser, d’y

établir des itinéraires stables, d’en connaître et d’en déjouer les pièges. Cette structuration de

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l’espace par l’échange s’oppose à son découpage par le pouvoir des Etats. L’échange suppose la paix, la confiance et la réciprocité là où l’empire s’appuie sur la confrontation, la force et l’autorité. Rien d’étonnant que les périodes où les cités marchandes étaient autonomes aient été des périodes de paix et que celles où dominaient les Etats aient été marquées par les guerres.

De ce principe général, le second millénaire av. JC donne l'illustration, avec l'apparition

« d'un phénomène d'une extraordinaire nouveauté, une culture cosmopolite [...] où l'on peut reconnaître les apports des diverses civilisations construites en bordure ou au milieu de la mer »:

Ces civilisations sont les unes prises dans des empires: l'Egypte, la Mésopotamie, l'Asie Mineure des Hittites; les autres lancées par la mer et soutenues par des villes: la côte syro-libanaise, la Crète, plus tard Mycènes. Mais toutes désormais communiquent entre elles... C'est l'époque des voyages, des échanges de présents, des correspondances diplomatiques et des princesses qu'on donne pour épouses à des rois étrangers comme gage de ces nouvelles relations « internationales ». L'époque où, sur les fresques des tombes égyptiennes, on voit surgir, dans leur costume original, minutieusement reproduits, tous les peuples du Proche-Orient et de l'Egée, Crétois, Mycéniens, Palestiniens, Nubiens, Cananéens... (ibid., pp. 91-92]).

Cet univers cosmopolite s'effondre brutalement au 12

ème

siècle av. JC, pour des raisons qui restent controversées, et ne connaitra une nouvelle prospérité que plusieurs siècles plus tard, avec l'expansion vers l'ouest des cités grecques et des villes phéniciennes. Sur ces nouvelles routes maritimes s'échangent non seulement des marchandises, mais aussi des techniques, des modes de vie, des représentations du monde. Les conflits militaires entre assyriens et égyptiens au 7

ème

siècle, la conquête de Tyr par le babylonien Nabuchodonosor vont mettre un terme provisoire à cette prospérité, avant que l'essor de Carthage ne parachève la colonisation marchande de l'Afrique du Nord et relance à nouveau les échanges. La rivalité entre Rome l'impériale et Carthage la marchande se termine au 2

ème

siècle par la destruction de la seconde. L'empire romain va réaliser, pour la seule fois de son histoire, l'unité politique de la Méditerranée, permettant d'établir une synthèse instable entre logique impériale et rationalité marchande. Toute l'histoire postérieure de la Méditerranée va confirmer le principe mis en lumière par Braudel:

La décadence, les crises, les malaises de la Méditerranée, ce sont justement les pannes, les insuffisances, les cassures du système circulatoire qui la traverse, la dépasse et l'entoure et qui, des siècles durant, l'avait mise au dessus d'elle-même. (ibid., p.80])

Les pulsations de l’histoire

Si la naissance de l'histoire comme science a marqué l'inscription de la rationalité dans la construction des discours sur l'évolution des sociétés, il n'y a apparemment rien de moins rationnel, rien de plus chaotique que cette évolution:

Comme la vie elle-même, l'histoire nous apparaît un spectacle fuyant, mouvant, fait de l'entrelacement de problèmes inextricablement mêlés et qui peut prendre, tour à tour, cent visages divers et contradictoires.

Cette vie complexe, comment l'aborder et la morceler pour pouvoir la saisir ou du moins en saisir quelque chose? (Braudel, 1950 [1969, p.20])

Cette insaisissable intelligibilité, c'est la logique du récit qui lui confèrera un minimum

de consistance, c'est elle qui rétablira un semblant de continuité entre l'ordre éternel des

choses et l'imprévisibilité des événements, donnant une traduction sociale aux paradoxes

d'Héraclite.

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Pensé et impensé de la conscience historique: la logique du récit

Dans le monde méditerranéen, la naissance de la conscience historique est inséparable de l’imaginaire mythique. Pendant des millénaires les mythes ont tracé le visage des dieux, la généalogie des hommes et l'explication du monde. Ils ont surtout permis de nouer le dialogue entre les mortels et les dieux, de cerner le mystère de la finitude des hommes face à l'éternité du monde. Epousant le tracé des migrations puis des échanges marchands, la circulation des grands récits où se mêlaient les dieux, les héros et les hommes contribuait autant que celle des biens et des richesses à la structuration du monde méditerranéen.

C'est en Grèce que ce mouvement va connaître au 5

e

siècle av. JC une inflexion décisive dont F. Nietzsche a donné, dans Naissance de la tragédie (1872), une image excessive mais globalement exacte. En quelques décennies, autour de 450 av. JC, l'unité du récit mythique

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va voler en éclat, donnant naissance d'une part à la tragédie, avec Eschyle, Sophocle et Euripide, et de l'autre à l'histoire, avec Hérodote et Thucydide. Les uns et les autres étaient contemporains de Socrate et de Platon et il est difficile de voir dans cette concomitance le fruit du hasard. Ce dont la naissance simultanée de la philosophie, de la tragédie et de l'histoire témoigne, n'est rien moins que l'avènement d'une conscience rationnelle du monde et de la destinée humaine.

C'est au nom de la raison que le récit historique, fondé sur l'enquête et l'établissement des faits, va supplanter le merveilleux mythologique. C'est au nom de la même raison que le mythe cessera d'être le support de rituels religieux pour rentrer dans le champ de la représentation, où le spectateur est de plus en plus extérieur, d'Eschyle à Sophocle et de Sophocle à Euripide

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. Dans le même mouvement, la place des dieux dans le récit tragique se réduit au profit des héros et de la cité. Pour Nietzsche, l'œuvre d'Euripide marque la mort de la tragédie en consacrant la victoire de la rationalité apollinienne sur la vitalité dionysiaque. Il faut cependant constater que les mythes grecs étaient prédisposés à subir ce traitement, dans la mesure où leurs héros étaient, avant tout, des personnages politiques, comme Ulysse, roi d'Ithaque, ou Oedipe, roi de Thèbes.

Mais la conscience historique qui se constitue ainsi, restera orpheline de ses origines, dont elle conservera une indicible nostalgie. Entre l’héritage mythique et la pensée politique, il n’y a pas de solution de continuité : la conscience historique reste porteuse d’un impensé qui la travaille en permanence. C’est au récit – histoire, épopée, conte … la frontière est fluctuante entre réalité, symbole et imagination – qu’il revient de réarticuler en permanence les représentations collectives pour les adapter aux nécessités du moment, pour assurer au mieux le retour du refoulé mythique dans la conscience historique.

Aussi différentes soient-elles, les civilisations méditerranéennes ont en commun d’être des civilisations du récit, auquel incombe le soin de rétablir, sur le triple registre du réel, du symbolique et de l’imaginaire, la continuité des horizons temporels, de réconcilier la longue durée et le temps court, l’éternité et l’événement, la raison et la déraison. Elles ont aussi en commun de ne jamais s'être tout à fait résignées à l' « Entzauberung », ce « désenchantement du monde » dont Max Weber (1893 [2000, pp. 166-167 etc.]) a noté la présence au cœur des sociétés occidentales et dont Marcel Gauchet (1985) a mis en lumière toute la portée.

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Dont les rites dionysiaques étaient un lieu et un moment privilégiés.

3

Pour une vision plus large des débats suscités par la notion même de mythe, se reporter aux actes du colloque

international, organisé à Lausanne en 1987, sur « Le mythe et la mythologie » (Calame, 1988).

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Entre éternité et événement

Le temps méditerranéen, à l'image du temps de la tragédie (Romilly, 1971) relève d'un équilibre instable entre instant et durée. L’événement, c’est l’irruption de l’instant dans la durée, un fait singulier qui fracture la continuité de la vie collective ou personnelle et en bouscule les représentations. Il véhicule le plus souvent une forte charge émotionnelle, nourrie des craintes, des fantasmes, des désirs, des pulsions que la routine quotidienne refoule et qui se trouvent soudain libérées par le surgissement de l’imprévu.

Dans le monde contemporain, la médiatisation des événements bouleverse les rapports de l’espace et du temps. Jusqu’au siècle dernier, il y avait peu d’événements vécus comme tels hors de la proximité immédiate. Un fait lointain, aussi important fût-il, avait perdu l’essentiel de son impact quand il venait à être connu. Tel n’est plus le cas. L’instantanéité de l’information abolit les distances en même temps que la durée. Un attentat suicide à l’autre bout du monde participe au même sentiment d’insécurité qu’un vol à la tire dans la rue voisine. Cela est d'autant plus marqué que, parallèlement à la mondialisation, les images sont devenues le vecteur principal de l'information. Or, comme le note Marc Augé, l'image a un double effet:

D'un côté on repère que des événements pourtant d'inégales importances possèdent le même statut, et d'un autre côté, on expérimente une espèce d'atténuation, voire de quasi-effacement, de la distinction entre réel et fiction, pour autant que les fictions sont d'un hyperréalisme qui en fait l'équivalent d'un reportage réel et qu'à l'inverse la réalité est pleine de fiction. Il y a donc à la fois une réduction de l'écart entre fiction et réalité et une égalisation des différents domaines de l'information (Bessis et Augé, 2004, p.63).

Cela est particulièrement vrai avec la mise en scène du terrorisme, dont les événements du 11 septembre constituent la forme aujourd'hui la plus aboutie. La recherche systématique de l'imprévisibilité, ressort fondamental de ce spectacle là, accentue le divorce entre perception d'un présent atomisé et incompréhensible et continuité intelligible du temps.

L'accélération de la perte de repères temporels va donc de pair avec une aggravation de la perte des repères logiques. La conscience d’un temps continu, moment d’éternité qu’il nous était donné de partager, disparaît derrière une succession ininterrompue d’événements qui fragmentent la durée en une mosaïque d’instants dont nul ne perçoit plus le sens. La relation ancestrale entre la longue durée et le temps court, qui caractérisait les temporalités méditerranéennes, est rompue et avec elle disparait la capacité du récit à donner de la cohérence au monde.

C'est dire l'enjeu essentiel de la création d'un « espace public »

4

méditerranéen, au sens donné à cette expression par Jürgen Habermas (1962) pour désigner un ensemble de processus de débat permettant de fonder la constitution d'une opinion publique globale sur le développement des moyens d'information. A cette condition seulement, le spectre du « choc des civilisations » (Huntington, 1993) sera exorcisé, permettant que se noue à nouveau la trame des récits croisés qui raconteront un destin commun.

Continuités et ruptures

Il y a entre l'espace et la société, les milieux et les populations des relations réciproques incorporées aux structures mêmes de l'histoire et de la géographie. L'inscription spatiale des

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Le terme allemand original « Oeffentlichkeit » n'a pas de connotation spatiale. La spatialisation de l'expression française est un artefact de traduction, susceptible de créer des confusions avec sa signification urbanistique.

Mais la solution alternative « publicité » est encore plus sujette à malentendus.

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civilisations est un facteur essentiel de leur stabilité, comme la permanence des usages humains façonne durablement les paysages:

Sur ces modes de vie archaïques, autant que le folklore, le paysage lui-même est un témoin, et quel témoin!

Un paysage fragile entièrement créé de main d'homme: les cultures en terrasse, et les murettes sans cesse à reconstruire, les pierres qu'il faut monter à dos d'âne ou de mulet avant de les ajuster ou de les consolider, la terre qu'il faut remonter dans des paniers et accumuler en arrière de ce rempart. (Braudel, 1977 [1985, p.31])

Cette relation n'est pas seulement matérielle mais aussi symbolique et identitaire. En la matière, la continuité comme les ruptures marquent à la fois les milieux et les hommes, l'identité des espaces comme celle de leurs occupants.

Milieux et démographie

Dans son paysage physique comme dans son paysage humain, la Méditerranée carrefour, la Méditerranée hétéroclite se présente dans nos souvenirs comme une image cohérente, comme un système où tout se mélange et se recompose en une unité originale (ibid., p.10).

Cette unité miraculeuse est aujourd'hui menacée. L'équilibre millénaire entre les besoins des populations et la capacité de la terre à les satisfaire, équilibre auquel depuis toujours contribuaient les mouvements migratoires, se rompt, compromettant l'aptitude de l'espace à garantir la stabilité des sociétés comme l'aptitude des sociétés à assurer la préservation des milieux.

Diversité des milieux et continuité de l’espace

C’est la Méditerranée qui fait l’unité du monde méditerranéen. Cette apparente tautologie renvoie à un paradoxe : si la mer crée une continuité de l’espace, elle unit des terroirs et des milieux radicalement différents:

Des montagnes récentes, hautes, aux formes mouvementées, et qui, comme un squelette pierreux, trouent la peau du pays méditerranéen: les Alpes, l’Apennin, les Balkans, le Taurus, le Liban, l’Atlas, les chaînes d’Espagne, les Pyrénées ; quel cortège ! [...]

Le désert, c’est un univers étrange qui fait déboucher sur les rives mêmes de la mer, les profondeurs de l’Afrique et les turbulences de l’ère nomade. Ce sont des modes de vie qui n’ont rien à voir avec ceux des zones montagneuses. C'est une autre Méditerranée qui s'oppose à l'autre et sans fin réclame sa place. La nature a préparé d'avance cette dualité, voire cette hostilité congénitale. Mais l'histoire a mélangé les ingrédients différents comme le sel et l'eau se mêlent dans la mer. (ibid., pp. 20-22])

L'unité de l'espace méditerranéen, telle qu'elle est perçue à la fois de l'intérieur et de l'extérieur, ne relève donc pas seulement de réalités objectives, qui pourraient conduire aussi bien à constater son hétérogénéité fondamentale. Elle relève d'une dialectique subtile entre certains aspects de la réalité et la façon dont les représentations sociales et historiques les ont progressivement réinterprétés. Le premier des supports matériels à partir desquels s'est opérée cette construction imaginaire de l'unité méditerranéenne fut évidemment la fonction de la mer comme voie de communication et la permanence des réseaux d'échanges qui s'y sont établis.

Mais un second facteur joue un rôle essentiel dans cette perception de l'unité du monde méditerranéen, le climat:

L'unité essentielle de la Méditerranée, c'est le climat, un climat très particulier, semblable d'un bout à

l'autre de la mer, unificateur des paysages et des genres de vie. Il est en effet presque indépendant des

conditions physiques locales, construit du dehors par une double respiration, celle de l'océan Atlantique, le

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voisin de l'ouest, celle du Sahara, le voisin du sud. Chacun de ces monstres sort régulièrement de chez lui pour conquérir la mer, laquelle ne joue qu'un rôle passif [...] (ibid., p.23)

Si cet univers physique n'est pas immobile, il est stable et ne se transforme que lentement. Petit à petit le désert progresse, les étés sont plus secs, l'eau plus rare. Mais les progrès accomplis dans les techniques de culture et d'irrigation permettent quand même un développement régulier de la production agricole. Au sud, cette croissance mesurée peine à nourrir une population en forte expansion, d'autant que l'exode rural, favorisé par le décollage industriel et l'attractivité urbaine, met à mal l'agriculture d'autosubsistance.

Ruptures démographiques

Comme le note Jean-François Daguzan (2006), si « les Etats d'Afrique du Nord, à l'exception de l'Egypte, ont entamé leur transition démographique [...], le pic de population va se situer autour de 2030-2050. Sauf à produire un effort considérable en un temps très court, l'économie ne sera pas au rendez-vous de la démographie ». Dans ces pays, les jeunes qui ont aujourd'hui moins de vingt ans, constituent plus de la moitié de la population, et ne trouveront pas leur place sur un marché du travail trop étroit. Au même moment, l'Europe du Sud, à l'exception de la France, connaîtra un fort déficit démographique. Il est clair que la façon dont seront gérés ces déséquilibres inversés pèsera lourdement sur les modes de développement des économies et des sociétés concernées et sur le type des relations entre Etats.

Par ailleurs, cette démographie exercera au sud une forte pression sur des milieux vulnérables. Globalement, au regard des espaces disponibles, il n'y aura pas véritablement de surpopulation, sauf la situation égyptienne. Mais la concentration de l'habitat et des activités dans les zones côtières posera des problèmes aigus de conflits d'usage de l'espace, d'encombrement des agglomérations, de déplacements et de pollution, auxquels les politiques publiques sont mal préparées à faire face

5

. A cela s'ajouteront les inévitables tensions sociales liées à une croissance urbaine mal maîtrisée et à une offre insuffisante de logements et de services publics. Tous les ingrédients d'une crise sociale majeure sont donc réunis et conjugueront leurs effets aux malaises identitaires récurrents.

Instabilités identitaires

Dire que le rapport des civilisations méditerranéennes aux enjeux identitaires est complexe relève de l’euphémisme. Dans ce monde clos parcouru d’influences multiples, l’identité est la base de tous les partages et la clé de tous les conflits. Le jeu perpétuel du même et de l’autre n’a pas cessé, depuis des millénaires, de façonner les imaginaires. Il en résulte un paysage incertain et paradoxal, où les crispations identitaires sont d’autant plus violentes qu’elles interviennent dans un contexte de plus en plus métissé. Depuis la fin du 19

ème

siècle, les Etats se sont emparés de la question de l’identité pour légitimer leur autorité dans le système de tensions qui les oppose aux villes, notamment aux métropoles marchandes, ouvertes sur le monde et cosmopolites.

5

Se reporter à ce sujet au texte d'Yves Jégouzo « Pour une gestion internationale du littoral méditerranéen »,

publié dans le présent ouvrage.

(10)

Interpénétrations et confrontations culturelles

Dans un remarquable article paru en 2003 dans les Cahiers de la Méditerranée, Robert Escallier, professeur de géographie à l’Université de Nice Sophia Antipolis et directeur du Centre d’études de la Méditerranée moderne et contemporaine, retrace cette évolution :

La ville méditerranéenne, port marchand, carrefour commercial et centre administratif, donna naissance à une société complexe et à des formes d’organisation sociales originales. Produits d’une activité commerciale exercée dans un cadre géographique étendu, comme escale, comptoir, emporium, tête de réseau, le caractère pluriethnique et la diversité confessionnelle transmirent sens et cohérence même au système urbain

La ville multiculturelle et multilingue démontra jusqu’au lendemain de la première guerre mondiale, plus tardivement encore à Beyrouth et à Sarajevo, que la cohabitation de plusieurs cultures n’induisait pas l’instabilité politique, que le territoire pouvait être occupé, partagé, même administré par et pour différentes communautés (Escallier, 2003).

Cet équilibre a été compromis par la montée en puissance des Etats-Nations, dans une dialectique typique de l’histoire méditerranéenne (cf. ci-dessus « Place centrale des logiques urbaines »). Il est significatif que ce soient précisément les villes les plus multiculturelles, Beyrouth et Sarajevo, qui symbolisent le mieux, dans l’histoire récente, le martyre des cités victimes de la logique des Etats.

Il fallut la rencontre, forcée et idéologisée, du religieux et de la langue pour que l’idée d’appartenance à une même communauté politique et territoriale l’emportât, pour que ce qui était hier encore une entité ethno-culturelle réclamât un statut d’Etat-Nation.

Les différences culturelles, qui étaient perçues jusqu’ici comme un plus, désormais se traduisirent en négatif, comme facteurs d’affrontement dans le cadre de projets politiques divergents. Les réseaux brisés, interrompus par les frontières et les contrôles étatiques, la cité cosmopolite fut asséchée économiquement et sociologiquement. Intégrée à L’Etat-Nation, en perte d’autonomie, elle s’effaça devant la ville nationalisée. L’idée de l’incompatibilité des cultures en s’imposant rejetait le concept de méditerranéité (ibid.).

Et c'est un libanais multiculturel, Amin Maalouf, qui a donné de cette confrontation une des analyses les plus pertinentes dans « Les identités meurtrières », avec un sens des nuances qui exclut tout manichéisme:

On donne souvent trop de place à l'influence des religions sur les peuples et leur histoire, et pas assez à l'influence des peuples et de leur histoire sur les religions (1998, p.79).

Face à la mondialisation, entre métissage et repliement

Pour Robert Escallier, les formes d’organisation spatiale liées à la globalisation

instaurent un nouvel âge du cosmopolitisme, fondé sur le couple mondialisation-

métropolisation, car « la mondialisation donne sens à une métropolisation d'un nouveau type,

qui est fondamentalement le processus de territorialisation de la globalisation » (Escallier,

2002). La concentration de la population méditerranéenne sur ces façades littorales, avec en

corollaire un fort taux d'urbanisation de la population, ne suffit pas à caractériser un

processus de métropolisation: encore faut-il que la présence de fonctions urbaines à très forte

valeur ajoutée et l'insertion dans les courants d'échanges planétaires transforme de

gigantesques conurbations en véritables métropoles. Or, de ce point de vue, la situation du

monde méditerranéen est contrastée. Il ne comporte aucune métropole de rang mondial et

l'attractivité de ses quelques métropoles régionales (Barcelone, Casablanca, Le Caire, Istanbul

etc.) s'appuie sur des niveaux de services urbains très inégaux. Cela renvoie à l'affaiblissement

séculaire du rayonnement méditerranéen depuis le début du XVII

e

.

(11)

Sur ce point, la lecture de Braudel nous invite à réfléchir à la rivalité des économies- mondes et au déclin de la Méditerranée dans un monde globalisé. Il n'y a là rien de très nouveau:

La Méditerranée n'est certes plus, au delà de 1620 ou 1650, au centre du monde. Chez elle pénètrent le commerce des autres et la guerre des autres. Dans ces échanges et ces guerres, les Méditerranéens ont tout juste leurs petits rôles. Pions sur l'échiquier, on les déplace au gré de puissances et de volontés lointaines (Braudel, 1977 [1985, p. 183]).

L'avènement de la navigation à vapeur et le creusement du canal de Suez vont porter le coup de grâce:

C'était la fin du lac méditerranéen, la transformation de la mer Intérieure en une route tendue vers l'océan Indien. Les voyageurs à destination de l'Inde n'en finiront plus bientôt de noter leurs impressions: le canal, la mer Rouge torride, le balancement et la houle de l'océan Indien, la Méditerranée n'étant plus que la première et brève et presque insensible étape d'un très long parcours (ibid. p. 186).

Au delà de leurs différences et de leurs différents, tous les peuples riverains de la Méditerranée partagent le regret irrémédiable de la centralité perdue. Le programme de recherche Méditerranée de l'UNESCO, dont les travaux ont été publiés en 2000 (La Méditerranée: modernité plurielle) et en 2001 (Aire régionale Méditerranéenne) rend bien compte de cet état d'esprit, partagé entre la nostalgie d'un passé à jamais révolu et l'espoir inquiet d'un avenir incertain. Le second tome s'ouvre de façon symptomatique sur une synthèse de Nourredine Abdi intitulée « La Méditerranée entre centralité et périphérisation », elle-même suivie d'un texte de Lazlo Nagy « La centralité méditerranéenne du XVIe au XXe siècle: perte et survivances ».

Dans un tel contexte de doute et de perte de repères, la question des fondements culturels et religieux de l'identité va prendre une importance toute particulière, d'autant que le monde méditerranéen a été le creuset des trois grandes religions monothéistes dont les affrontements

6

déchirent aujourd'hui la planète. C'est qu'ici se confrontent deux postures du religieux face à la globalisation: « un religieux par soustraction et différenciation revalorisant les traditions et tendant à se crisper sur les frontières » et « un religieux par pluralisation des médiations du sacré, regroupant des croyants venus d'horizons spirituels différents » (Laplantine, 2003). A ces deux attitudes religieuses correspondent deux types de réactions sociétales, l'acceptation du métissage ou le repliement identitaire.

Ce contexte complexe, dans lequel s'inscrit le projet d'Union pour la Méditerranée, en dessine les enjeux, en conditionne la pertinence et en détermine, autant que l'habileté de ses promoteurs et la détermination de ses acteurs, le succès ou l'échec.

Sens et contresens de l’Union pour la Méditerranée

L'utilisation fugace, par le Président de la République française, en janvier 2008, de l'expression « politique de civilisation » introduite par Edgar Morin (2002), a fait polémique.

Sans prendre partie dans les débats qui ont suivi, force est de reconnaître que l'épisode a eu le mérite de réactualiser une idée qui vaut que l'on s'y arrête. Et s’il y a un domaine où la notion de « politique de civilisation » a un sens, c’est bien celui des rapports euro-méditerranéens,

6

Qui, perçus du point de vue d'un shintoïste japonais, relèvent de simples querelles de famille...

(12)

dans la mesure où le temps court du politique s'y heurte en permanence à « l'inépuisable durée des civilisations » (Braudel, 1959 [1969, p.303]).

C'est à la lumière de ces confrontations chaotiques entre le long cours des civilisations et les exigences immédiates de l'action publique que se jouent et que s'expliquent le sens et les contresens de l'Union pour la Méditerranée (UPM).

Pertinence dans l’intuition des enjeux

Il est paradoxalement difficile de déduire la réalité des priorités de l'UPM de l'énoncé des actions engagées sous son égide. En effet se mêlent inextricablement le programme de travail quinquennal engagé au titre du « processus de Barcelone »

7

et la mise en œuvre de la déclaration du « sommet de Paris »

8

. Quelque soit le biais méthodologique que cela implique, les « chantiers prioritaires » identifiés par la déclaration du sommet de Paris constitueront ici la référence pour caractériser les intentions de l'UPM

9

. Ces chantiers prioritaires répondent bien aux enjeux d'un monde méditerranéen façonné par la dialectique des milieux et des échanges, puisqu'ils ont précisément pour objet de lutter contre la vulnérabilité des milieux et de renforcer les dynamiques de l'échange. De façon plus lyrique que la froide prose diplomatique des déclarations officielles, ils étaient ainsi formulés par Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères et européennes, dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 10 juillet 2008:

Quelle ambition plus noble que de faire de la Méditerranée une des mers les plus propres du monde?

Quelle ambition plus haute que de nous rassembler autour de notre histoire, de partager nos cultures en favorisant les échanges d'étudiants dans le cadre d'un Erasmus méditerranéen, de multiplier les échanges d'universitaires et de scientifiques? De travailler à un plan solaire méditerranéen pour améliorer l'accès à l'énergie des populations du Sud? D'aider les PME du Nord et du Sud à investir en Méditerranée et à y créer des emplois? De mieux mutualiser nos moyens de protection civile face aux catastrophes naturelles?

De développer des autoroutes maritimes pour mieux relier Méditerranée orientale et occidentale?

Lutter contre la vulnérabilité des milieux

La gestion de l'eau, ressource rare et précieuse, a toujours été au centre des préoccupations des civilisations qui se sont succédé sur les rivages méditerranéens. Les échanges de savoir-faire en la matière ont été un des objets essentiels de diffusion des

7

Le processus de Barcelone a été engagé en novembre 1995 avec la déclaration finale de la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui réunissait les ministres des Affaires étrangères des quinze Etats membres de l'UE et de douze pays tiers méditerranéens (Algérie, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et Autorité palestinienne). Il avait pour objet d'établir un partenariat global pour faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité, au moyen d'un renforcement du dialogue politique et de sécurité, d'un partenariat économique et financier et d'un partenariat social, culturel et humain. La faiblesse des résultats obtenus dans ce cadre a été invoquée pour justifier la création de l'Union pour la Méditerranée.

8

Créée par le sommet de Paris, le 13 juillet 2009, l'Union pour la Méditerranée associe tous les Etats riverains, à l'exception de la Libye. En annexe de la déclaration adoptée par le sommet, six « initiatives clés » sont retenues:

dépollution de la Méditerranée; autoroutes de la mer et autoroutes terrestres; protection civile; énergies de substitution et plan solaire méditerranéen; enseignement supérieur et recherche, université euro-méditerranéenne;

initiative euro-méditerranéenne de développement des entreprises (PME et micro-entreprises).

9

Même s'il est réel, ce biais est ici de peu de portée, dans la mesure où les réserves formulées à l'encontre de

l'UPM pourraient l'être tout autant pour le processus de Barcelone.

(13)

innovations sur l'ensemble du bassin. Dans ce domaine, les transferts dans l'espace sont souvent des transmissions dans le temps: les arabes, héritiers des techniques égyptiennes et romaines, les ont léguées à l'Espagne bien des siècles après:

La preuve des efforts accomplis, ce sont les systèmes très anciens ou très modernes de drainage et d'irrigation, avec des redistributions savantes de l'eau. Au total, un fabuleux travail dont les Arabes ont été, en Espagne, les initiateurs (Braudel, 1977 [1985, p.28]).

Mais il ne suffit pas d'assurer quantitativement la disponibilité de la ressource en eau, encore faut-il en maintenir dans la durée la qualité, ainsi que celle des milieux aquatiques et de la mer elle-même, afin de préserver leur capacité à contribuer à l'alimentation des hommes.

Publié en 1977, le passage suivant montre que, face à la permanence des enjeux, il est bien difficile d'inventer des projets radicalement nouveaux, quelle que soit la volonté d'innover des responsables politiques:

Maintenant que les Etats méditerranéens se préoccupent sérieusement de protéger la mer Intérieure contre les pollutions et les destructions qui la menacent si dangereusement, le projet d'un « parc » maritime devient un peu moins utopique (ibid., p.51).

Les milieux méditerranéens ne sont pas seulement vulnérables, ils sont souvent hostiles, et de façon imprévisible:

En Méditerranée, le moteur des cassures, des plissements et de la juxtaposition des profondeurs marines et des cimes montagneuses, c'est une géologie bouillonnante dont le temps n'a pas effacé l'œuvre et qui continue à sévir sous nos yeux (ibid., p.17).

De ces caprices de la nature, les mythes, notamment celui de l'Atlantide, ont gardé la mémoire ; l'archéologie, l'histoire et l’actualité même témoignent de leur violence, de Pompéi à L’Aquila en passant par Agadir. Les aléas climatiques viennent souvent s’ajouter à l’instabilité de la terre pour rendre la vie difficile et rappeler aux hommes que rien n’est jamais acquis :

Chaque été, l'air sec et brûlant du Sahara enveloppe étendue entière de la mer, en déborde largement les limites vers le nord. [...] Alors les animaux et les plantes, la terre desséchée vivent dans l'attente de la pluie.

De l'eau si rare, alors richesse d'entre toutes les richesses. [...] Dès octobre, les dépressions océaniques gonflées d'humidité entament leurs voyages processionnaires, d'ouest en est. [...] Les tempêtes, de terribles tempêtes, se déchaînent. Les vents dévastateurs, le mistral, la borah, tourmentent la mer et, sur terre, il faut s'abriter de leurs rages et leurs violences. [...] Tous les paysages disparaissent sous un rideau de pluies torrentielles et de nuages bas. C'est le ciel dramatique de Tolède dans les tableaux du Greco. Ce sont les trombes d'eau des hivers d'Alger qui stupéfient les touristes (ibid., pp. 23-25).

Dans ces conditions, mettre au premier plan la coopération en matière de protection civile semble relever d’une juste appréciation des urgences et des intérêts communs. De même, au moment où la lutte contre le réchauffement climatique devient une priorité mondiale et où la déforestation est la conséquence des difficultés des populations du Sud pour accéder à l’énergie, un plan solaire coordonné permettant de valoriser un ensoleillement exceptionnel est difficilement contestable.

Renforcer les dynamiques d’échanges

La Méditerranée, ce sont des routes de mer et de terre, liées ensemble, des routes autant dire des villes, les plus modestes, les moyennes et les plus grandes se tenant toutes par la main. Des routes, encore des routes, c'est à dire tout un système de circulation. C'est par ce système que s'achève à nos yeux la compréhension de la Méditerranée, laquelle est, dans toute la force du terme, un espace-mouvement (ibid., p.77).

Dans cette perspective, le chantier prioritaire consacré au développement des autoroutes

de la mer et des autoroutes terrestres s’inscrit parfaitement dans l’histoire du monde

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méditerranéen et dans le renforcement de ce qui a fait son identité d’ « espace-mouvement ».

Par ailleurs, le rôle essentiel des échanges marchands dans l'organisation de l'espace méditerranéen, depuis des millénaires, atteste de la pertinence de mettre les enjeux entrepreneuriaux au centre du projet de l'UPM : juste retour des choses, puisque l’entreprise capitaliste, telle que nous la connaissons aujourd’hui, et ses techniques marchandes, juridiques, financières et comptables sont nées sur ces rivages.

Venir en fin de compte sur le terrain de l’enseignement supérieur et recherche, c’est retourner aux origines du monde méditerranéen comme creuset de civilisations, c’est articuler une fois de plus l’échange des idées et des savoirs avec celui des biens :

La source est là, dans l'espace méditerranéen, la source profonde de la haute culture dont notre civilisation se réclame.[...] Je parle de cette part profane de la culture, au sein de quoi les croyances se sont immédiatement installées, qu'elles ont envahie, conquise et qui, maintenant que refluent ces croyances, demeure l'objet d'une vénération dont les musées et les bibliothèques sont les temples et que s'efforcent de vivifier l'école, l'université, les multiples appareils de l'idéologie qui nous domine (Duby, 1977 [1986, p.

193]).

Si tout cela confirme la pertinence des priorités retenues par l’Union pour la Méditerranée, au regard des leçons de l’histoire et de la longue durée, le contenu concret des actions engagées et les modes opératoires mis en jeu sont largement contradictoires avec les intentions affichées.

Contradictions dans le contenu des actions et les modes opératoires

Des actions en contradiction avec les intentions affichées

La mise en œuvre des objectifs prioritaires de l’UPM ne constitue pas un isolat dans les politiques des Etats concernés. Elle est au contraire totalement immergée dans un ensemble complexe d’actions publiques de toutes natures, au sein desquelles elle bénéficie rarement d’une priorité effective. Que les urgences du moment se trouvent en contradiction avec ses objectifs, et c’est tout l’édifice qui se trouve remis en cause, nonobstant les artifices rhétoriques que chacun emploiera pour prouver le contraire.

L’exemple le plus caractéristique en la matière est la contradiction entre les intentions

affichées en matière d’intégration économique, culturelle et humaine des deux rives de la

Méditerranée et les procédures concrètes mises en place pour assurer la maîtrise des flux

migratoires. Que signifie réellement « partager nos cultures en favorisant les échanges

d'étudiants dans le cadre d'un Erasmus méditerranéen » ou « multiplier les échanges

d'universitaires et de scientifiques », lorsque les universités européennes se heurtent aux pires

difficultés pour obtenir des visas pour les étudiants étrangers qu’elles inscrivent, lorsque ces

étudiants, contrairement à leurs camarades français, ne peuvent légalement exercer la moindre

activité économique pour compléter leurs maigres bourses, lorsque les redoublements sont un

prétexte quasi-systématique pour refuser le renouvellement des visas, lorsque les doctorants

du Sud ne peuvent rendre visite librement à leurs directeurs de thèse du Nord ? Les étudiants

du Nord qui vont au Sud ne se heurtant à aucune de ces difficultés, comment peut-on

présenter cette coopération dans une fausse symétrie dont personne n’est dupe ? Quel

contenu concret donner à l’objectif « d'aider les PME du Nord et du Sud à investir en

Méditerranée et à y créer des emplois » alors que la création d’entreprise par les migrants du

(15)

Sud se heurte au Nord à des obstacles permanents, d’autant plus redoutables qu’ils sont généralement non écrits, et qu’un projet de création d’entreprise ne vaut pas contrat de travail pour l’obtention d’un permis de séjour ? Comment ne pas comprendre que ces objectifs en trompe l’œil suscitent souvent, au Sud, un solide scepticisme face à une réalité objectivement néocoloniale au regard de la différence de statut des « citoyens » euro-méditerranéens selon leur origine ?

Par ailleurs, les budgets consacrés aux chantiers prioritaires de l’UPM paraissent dérisoires au regard de l’ampleur de besoins identifiés, comme des flux économiques préexistants. Ainsi le « plan solaire méditerranéen », lancé en mai 2009, sera essentiellement financé par des crédits de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. La contribution européenne reste largement suspendue à l’évolution des négociations sur le climat puisqu’elle consiste essentiellement en la cession de crédit carbone et en l’achat d’électricité, pour lequel la question des interconnexions des réseaux reste entière (mis à part le Maghreb qui dispose d’une interconnexion de capacité médiocre avec l’Europe). Rapportés au montant que les pays européens consacrent aux achats de pétrole et de gaz au monde arabe, ces difficultés de financement font douter de la réalité de la volonté politique de faire de l’UPM un projet structurant.

Dans ces conditions, à l’aune des promesses non tenues et des espoirs déçus, il est à craindre que l’Union pour la Méditerranée ne finisse à terme par accentuer les clivages au lieu de les atténuer. Ces difficultés sont aggravées par le fait que le portage en repose exclusivement sur les Etats et s’inscrit dans les préoccupations de court terme caractéristiques de l’histoire immédiate.

Des modes opératoires marqués par la prédominance des Etats et par l’histoire immédiate

La chronologie des premiers mois d'existence de l'UPM illustre les limites d'une démarche reposant exclusivement sur ce portage étatique. Quelques mois après le sommet de Paris, consacrés à d'intenses négociations, la conférence ministérielle de Marseille, les 3 et 4 novembre 2009, a abouti, selon les termes du communiqué publié le jour même par le ministère français des Affaires étrangères et européennes,

à un accord global concrétisant l’ambition d’un partenariat renforcé autour de la Méditerranée (…) Le programme de travail de l’Union pour la Méditerranée pour l’année 2009 a été arrêté. Les réunions qui se dérouleront l’an prochain permettront de mettre en œuvre des projets concrets à caractère régional dans les six domaines identifiés au sommet de Paris, sur lesquels les ministres ont fait un point de situation. Sur le plan politique, un texte ambitieux a été adopté. Les ministres ont réaffirmé la volonté partagée par tous que l’UPM contribue à la paix, à la stabilité et au développement de la région. Ils ont affirmé à cette occasion l’importance de l’initiative de paix arabe et rappelé leur soutien au processus d’Annapolis ainsi qu’au dialogue indirect entre Israël et la Syrie. Ils ont salué l’établissement de relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban. La réunion de Marseille marque ainsi un incontestable succès pour la dynamique lancée à Paris le 13 juillet, associant les membres de l’Union européenne et leurs partenaires méditerranéens.

Moins de deux mois plus tard, la crise de Gaza (décembre 2008 - janvier 2009) démentait de façon cruelle ces propos lénifiants. Les réunions de l'UPM prévues de janvier à avril ont été annulées. Les travaux n'ont repris qu'en mai au niveau des hauts fonctionnaires et en juin à celui des ministres, et l'ensemble du calendrier a subi un retard important.

Si cet exemple est caractéristique des aléas liés au portage étatique de projets sociétaux

s'inscrivant dans le long terme, il n'est malheureusement pas isolé. On peut citer, sans s'y

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attarder, les difficultés qu'engendre la fermeture de la frontière algéro-marocaine, comme les tensions permanentes résultant du contrôle difficile de la frontière entre l'Espagne et le Maroc autour des enclaves de Ceuta et Melilla. Mais, sur un autre registre, il conviendrait de mentionner les effets désastreux de la tentation à laquelle cèdent bien des gouvernements de manipuler le chauvinisme et les inquiétudes identitaires pour asseoir leur légitimité intérieure.

Il faut enfin noter l'incapacité des pays de l'UPM à proposer un candidat commun, acceptable par tous, pour l'élection en septembre 2009 du directeur général de l'Unesco, alors que c'étaient des candidats issus de leurs rangs qui se disputaient les suffrages.

Pourtant, il n'y a pas lieu de se décourager. Ces difficultés sont inhérentes à une stratégie qui fait des Etats les acteurs principaux et de l'histoire événementielle l'horizon temporel. Pour les dépasser et sortir des impasses récurrentes dans lesquelles les projets de l'UPM ne manqueront pas de se trouver régulièrement bloqués, les enseignements que Braudel tire de l'histoire millénaire de la Méditerranée tracent quelques pistes précieuses.

En guise de conclusion, les conditions « braudéliennes » du succès

La prospérité du monde méditerranéen est née des villes et des réseaux d'échanges qui les reliaient. Chaque fois que les rationalités impériales, dont les Etats modernes sont les héritiers, l'ont emporté sur les dynamiques urbaines, le système s'est grippé. L'UPM n'échappera pas à cette logique. Elle n'existera vraiment, avec des chances raisonnables de stabilité et d'efficacité, que lorsque les villes, et de façon plus générales les collectivités infra- étatiques, en seront pleinement parties prenantes. Il ne s'agit pas seulement de mettre les projets à l'abri des vicissitudes des relations diplomatiques ou militaires, il s'agit surtout d'établir un relai plus direct en direction des sociétés et des territoires dans leur diversité. Dans cette perspective, la convergence entre la coopération décentralisée, l'instrument européen de politique de voisinage (IEVP) et l'UPM est une évidente nécessité

10

.

Ces coopérations décentralisées, plurielles par nature, dessinent des réseaux à géométrie et à intensité variables. Prenons garde à ne pas céder à la tentation de les institutionnaliser lourdement dans des « partenariats privilégiés » et autres « réseaux d'excellence », c'est tout le dynamisme et la créativité du dispositif qui en pâtirait. Ici la leçon de Granovetter (1973) complète utilement celle de Braudel: ce ne sont pas les relations privilégiées, stables et intenses qui créent les dynamiques de réseau, c'est au contraire la « force des liens faibles ».

Des relations trop fortes et exclusives enferment ceux qui y participent dans un partenariat qui les isole progressivement du reste du monde, alors que des contacts thématiques, plus épisodiques, moins formalisés mais plus diversifiés se prêtent à la diffusion de l'innovation et à des stratégies d'alliance opportunistes plus efficaces

11

.

Enfin, pour faire prévaloir les préoccupations de longue durée et s'arracher à l'événement, il y a lieu de favoriser l’émergence d’acteurs non gouvernementaux moins directement liés à l’agenda politique immédiat. A côté du secteur associatif et des organisations non gouvernementales, qui ont à jouer un rôle irremplaçable dans la prise en compte par les sociétés civiles des ambitions de l'UPM, les réflexions d’Alain Bourdin sur le rôle des

10

Cf. les développements de Francesc Morata sur « La coopération transfrontalière en Méditerranée. Les enseignements de l'expérience européenne » dans ce même livre.

11

Les liens faibles sont d'autant plus efficaces qu'ils sont nombreux et créent des chemins plus courts entre

acteurs. Les réseaux constitués autour de liens forts étant très intégrés, l’information qui y circule a du mal à

sortir du groupe. Les liens faibles sont plus pertinents dans les processus de communication et d'innovation.

(17)

universités et du monde académique

12

posent la question des conditions concrètes de construction d’un espace public euro-méditerranéen, dont l'importance a été soulignée plus haut.

Clémenceau avait coutume de dire que la guerre était chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls militaires. L’histoire de longue durée et la leçon de Braudel sont sans appel : l’Union pour la Méditerranée est une affaire trop importante pour en laisser le monopole aux Etats.

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12

Voir « Les universités, le monde académique et l'Euro-Méditerranée » dans le présent ouvrage.

(18)

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