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Peut-on raconter une histoire rien qu'avec des odeurs ? La gageure de "Green Aria: A scent Opera"

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Submitted on 5 Jun 2020

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Peut-on raconter une histoire rien qu’avec des odeurs ? La gageure de ”Green Aria: A scent Opera”

Sophie Domisseck, Roland Salesse

To cite this version:

Sophie Domisseck, Roland Salesse. Peut-on raconter une histoire rien qu’avec des odeurs ? La gageure

de ”Green Aria: A scent Opera”. 2015. �hal-02800835�

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Peut-on raconter une histoire

rien qu'avec des odeurs ? La gageure de "Green Aria: A scent Opera"

Création d'un spectacle olfactif et musical et sa réception par le public.

Par Sophie Domisseck et Roland Salesse

INRA, UR1197, Neurobiologie de l'Olfaction, bât 230, 78350 Jouy-en-Josas, France Contact : roland.salesse@jouy.inra.fr ; tél. : 06 44 70 53 38.

Résumé

L'odorat est souvent considéré comme un sens mineur et la parfumerie n'a pas (ou pas encore) accédé au cercle restreint des "Beaux-Arts". D'une part, la fugacité des odeurs semble incompatible avec la permanence d’un chef-d'œuvre plastique ou littéraire. D'autre part, l’obligation d’une lente diffusion des molécules odorantes pose quelques problèmes purement techniques. Enfin, le manque de vocabulaire et d'éducation dans le domaine olfactif constitue un barrage culturel.

C'est dire si le spectacle "Green Aria: A scent opera" donné en 2009 à New York et à Bilbao aux Musées Guggenheim peut paraître un défi à tous ces obstacles. C'est pourtant celui relevé par Christophe Laudamiel, grand parfumeur au parcours très original : évoquer une histoire dans l’obscurité et en moins d'un quart d'heure avec, comme seuls supports, de la musique et des odorants. Deux ans après cette performance, nous avons interviewé Christophe Laudamiel sur sa création et interrogé une dizaine de spectateurs sur leurs impressions. Nous relatons dans cet article l'accueil très favorable donné à cette expérience, qui non seulement supporte la possibilité d'un art olfactif, mais d'un art olfactif porteur de narration et d'émotion.

1/ INTRODUCTION

La création artistique s'adresse essentiellement à l'œil et à l'oreille. Les autres sens, dont l'odorat, n'intervenant que minoritairement (voir par exemple Le Guérer, 1998 ; Jaquet, 2010). Cependant, bien des artistes ont été séduits par le potentiel de rappel mnésique et émotionnel des odeurs

1

(Diaconu, 2006 ; Shepherd, 2006) si bien qu’au théâtre, des auteurs et des metteurs en scène les ont utilisées dans le but d’apporter une dimension

supplémentaire à leur propos (Paquet, 2005), allant jusqu'à impliquer le public dans la création (Schechner, 2008).

Malgré de nombreuses tentatives, l'art olfactif demeure un "art hybride" (Drobnick, 2014) ayant pour mission d’accompagner l'action sans la porter intrinsèquement. Pour arriver à lui conférer un réel pouvoir narratif, il faudrait lever plusieurs obstacles.

Tout d'abord, si les spectateurs sont familiers des signaux visuels et auditifs délivrés par les arts vivants, ils se montrent souvent peu aptes à discriminer les odeurs et encore moins à saisir leur signification (Paterson, 2006).

Ensuite, alors que la vision et l'audition sont des sens "à distance", les molécules odorantes traversent nécessairement le "quatrième mur" (entre la scène et la salle ; Banes, 2001) pour atteindre non seulement le nez mais aussi les poumons des spectateurs, créant ainsi une promiscuité potentiellement troublante, en-dehors de leur pouvoir évocateur.

1

Du point de vue de la physiologie de l'odorat, l'odeur est la représentation cérébrale

que nous nous faisons des molécules odorantes (ou odorants, au sens anglo-saxon) qui ont stimulé

notre système olfactif. Il arrive qu'une molécule soit odorante pour les uns et inodore pour les autres.

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Enfin, alors que lumière et son nous parviennent quasi-instantanément, la nature matérielle des molécules odorantes leur impose de diffuser lentement et les livre aux caprices des courants d'air, compromettant l’assurance d’une synchronisation rapide et homogène entre l'action sur scène et l'inhalation par les spectateurs. Et que dire de la possible rémanence des produits susceptibles d’imprégner durablement les murs, les sièges, voire les vêtements et les cheveux des spectateurs, noyant ainsi le propos artistique dans un incompréhensible et désagréable "bruit" olfactif !

Les parfums se voient donc reprocher leur fugacité autant que leur possible rémanence.

La question de la diffusion des odorants a stimulé l'imagination des artistes et des ingénieurs : la base des brevets états-uniens contient un certain nombre de dispositifs d'odorisation (voir par exemple Leavell, 1930). Cependant, même si la situation est en train d'évoluer (Salesse et Domisseck, 2015), aucun d'eux n'a connu un véritable développement industriel (Gilbert, 2008) et actuellement, il n'existe aucune solution bon marché compatible avec les budgets souvent restreints des troupes d'intermittents du spectacle.

C'est pourquoi les représentations de "Green Aria: A scent Opera" en mai 2009 constituent peut-être un tournant de l'art olfactif, supporté par une invention technique unique. L'idée est radicale : l'action se déroule dans le noir avec pour seules clés des signes musicaux et olfactifs. Totalement insolite, cet évènement a néanmoins été largement salué par la presse d'information (Tammasini, 2009) comme par la presse spécialisée, économique (Alter, 2009) et scientifique (Khamsi, 2009).

Afin de retracer l'histoire de la création de "Green Aria", nous avons interrogé une dizaine de spectateurs sur l’accueil qu’ils ont réservé à ce spectacle.

2/ MÉTHODES

En novembre 2010, dix-huit mois après la première, nous avons rencontré le parfumeur Christophe Laudamiel (Laudamiel, 2014). Puis nous avons interrogé neuf spectateurs (8 hommes, 1 femme) ayant assisté au spectacle new-yorkais et un homme ayant assisté à celui de Bilbao. Deux d'entre eux étaient parfumeurs, deux journalistes, deux artistes et quatre du grand public.

Entre mars et mai 2001, au cours d'entretiens téléphoniques semi-directifs, nous nous sommes enquis auprès des participants, de leurs motivations pour assister au spectacle, de leurs souvenirs sur son déroulement, de leurs commentaires sur l'histoire à travers leur perception des odeurs et enfin de leur jugement esthétique. Nous avons également recueilli leurs réactions à la bande-son.

L’entreprise Azerty (Paris) s’est chargée de consigner par écrit les enregistrements de ces interviews. A partir du texte, nous avons classé les extraits d'entretien en 3 grandes classes chronologiques : avant le show (anticipations, attentes), pendant le spectacle

(perceptions sensorielles, identification des personnages, suivi de l'intrigue et comportement des spectateurs) et enfin après la représentation (impressions et commentaires).

3/ PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE "GREEN ARIA: A SCENT OPERA"

"Green Aria" raconte l'histoire de la bataille entre la technologie et la nature, jusqu'à la réconciliation finale sous les auspices du personnage abstrait Green Aria (voir plus de détails dans l'encadré 1); le tout en moins de 15 minutes et en 33 odeurs ! Son originalité est de se dérouler dans l’obscurité et sans acteurs, avec seulement une diffusion d'odorants et de musiques. L'intention des auteurs étant d'éviter de créer une illusion de réalité, les

personnages portaient le nom d’éléments (Earth ou Air) ou de symboles (Chaos, Industrial, Green Aria ; voir encadré 1).

A noter que le spectacle était précédé d'un court prologue "pédagogique" – à la

lumière – où l'on présentait l’intrigue et les personnages (très souvent abstraits, voir

encadré 1), en les appariant chacun à une odeur. Si l'on ne peut attendre de spectateurs

non-experts en parfumerie de mémoriser ces fragrances, au moins pourront-ils lors du

spectacle déceler les changements d'odeur.

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Pendant le spectacle, les spectateurs ont ensuite reçu, via des "micros à odeur"

individuels, 33 bouffées parfumées – soit pratiquement une bouffée toutes les 30 – en provenance d’un "orgue à parfum" conçu spécialement pour l'occasion (voir les détails dans l'encadré 2).

4/ LA CRÉATION DES PARFUMS : LES CHOIX DE CHRISTOPHE LAUDAMIEL A travers la conception des parfums, il ne s'agissait pas simplement pour Christophe Laudamiel de donner un spectacle original, mais bien de créer une partition olfactive, telle une symphonie musicale. Mais cela supposait de fournir aux spectateurs suffisamment de clés pour "entendre

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" cette partition.

Outre les obstacles déjà mentionnés à l'odorisation d'un spectacle, celui-ci ne doit pas se résumer à un "quiz des parfums" où les spectateurs passeraient leur temps à tenter de reconnaître les odorants au détriment de la dramaturgie.

Le premier choix de Christophe Laudamiel fut donc de créer des fragrances nouvelles et inconnues mais suffisamment différentes pour que le public soit en mesure de discriminer un personnage d'un autre après le bref apprentissage du prologue.

Son second choix fut de ne pas rechercher une beauté intrinsèque des odorants (comme en parfumerie) mais de mettre en valeur leur potentialité évocatrice en poussant ou masquant certaines facettes olfactives. C’est ainsi que l'anis, qui outre son odeur, possède une facette "fraîche", sera utilisée pour exprimer l’idée de "frais". Le côté anisé sera alors masqué grâce à d'autres produits et à l'ajustement des concentrations. Un autre exemple : pour faire ressortir une note aqueuse, une pointe d'odeur boisée pourra être ajoutée. Une autre astuce de parfumeurs pour renforcer une perception est d'adjoindre un produit puissant à la composition : la nature agit de même lorsqu’elle mêle du scatole (à l'odeur de fèces !) au parfum des fleurs les plus odorantes (telle la jacinthe), dans le but d’attirer les insectes.

Pour l'odeur du Chaos, on pourrait penser qu’une association aléatoire d’odorants ferait l’affaire. Pourtant, cela ne sentirait pas le chaos, mais plutôt une odeur "blanche"

(Weiss et al, 2012). Laudamiel a pris le parti de s'inspirer de la théorie des fractales, qui dit que le chaos possède sa propre organisation. Il rompt avec la démarche habituelle d’un parfumeur qui recherche rondeur et harmonie pour composer délibérément un mélange très déséquilibré. Il surdose le Veloutone, notes florales fruitées qui suggèrent la pêche, l’abricot ou encore une pointe de lavande. Avec une concentration de 10 %, il obtient une sensation de chaos par l’orchestration de facettes velours électrique, métallique, encre fraîche, fruits blets et trop mûrs, additionnées à des essences boisées.

Ensuite, Laudamiel a tenu compte de l'harmonie entre toutes ces fragrances. Non seulement fallait-il une transition progressive entre deux odeurs successives mais encore devait-il exister des correspondances entre des odeurs diffusées à des moments différents (par exemple, tous les "Green" avaient un air de famille). Un autre parfumeur, en outre expert en odorisation de spectacles, exprime la même opinion (Roudnitska, 2005).

Enfin, l'art et la technique ont dû s'adapter à la physiologie olfactive. Outre la distinction entre odorants, il faut aussi prendre en compte le phénomène d'adaptation des systèmes sensoriels : lorsqu'un odorant stagne dans une pièce, on ne le perçoit plus au bout de quelques dizaines de secondes. La solution fut de créer un "orgue à parfums" capable de distribuer les parfums directement et individuellement à chaque personne sous forme de courtes bouffées d'odorant ne durant que quelques secondes, entrecoupées de bouffées d'air pur (voir encadré 2). Ce principe présente un triple avantage : il évite de saturer le nez des spectateurs ou l'air de la salle, et la durée de transit est calculée précisément pour être synchronisée avec l'action, conférant ainsi aux odeurs un potentiel diachronique absent en cas de diffusion lente et massive.

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Il est intéressant de noter que la pratique japonaise du Kôdô, ou voie des fragrances (qu'on appelle quelquefois "cérémonie de l'encens") est basée sur la "dégustation" des odorants de bois particuliers soigneusement choisis. En japonais, on "écoute" les odeurs lors de cette cérémonie.

En italien également, "sentire" veut dire sentir (par le nez) et écouter (par les oreilles).

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5/ LA RÉCEPTION PAR LES SPECTATEURS Avant le spectacle

Les attentes des spectateurs

Green Aria fut donné au Guggenheim, et spécialement dans la série "Works &

Process", bien connue pour ses contributions aux formes nouvelles de l'art. Cela implique un état d'esprit curieux pour une expérience olfactive et musicale inédite : "Parce que j'étais au Guggenheim, je me sentais bien et prêt à me livrer à l'expérience"

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. "Je n'avais pas d'attente particulière, n'ayant jamais assisté à un opéra odorisé", dit un non-expert en parfum, tandis qu'un expert ajoute : "Il faut en quelque sorte faire table rase et entrer sans savoir ce que vous allez ressentir". Ils avaient envie de "… découvrir une façon très différente d'explorer les potentialités narratives des odeurs dans une œuvre d'art".

La plupart pensaient qu'il serait difficile d'orchestrer convenablement les fragrances.

"Quand vous avez des parfums, ou quelque chose qui sent, ça stagne dans la salle et vous le sentez longtemps. Et je me demandais, avant que ça commence, comment ils se

débrouilleraient pour utiliser les odeurs juste au bon moment et à tout le monde en même temps".

L'entrée dans la salle et le préambule

En entrant dans la salle, les gens découvrirent, devant chaque siège, un objet étrange : le "microphone" à odeurs. Ils comprirent que les auteurs avaient choisi une distribution individuelle des odorants, en congruence avec l'intimité du sens olfactif : "Ils ont rendu cela très intime, c'était comme des micros sortant du siège, et à travers lesquels on pouvait sentir, c'était tout près de nous". Les gens devinrent rapidement familiers des microphones : "Comment ça marchait, et si vous vouliez sentir plus fort, vous n'aviez qu'à le rapprocher de votre nez". Si bien que, pendant le spectacle, manipuler les micros devint l'expression de leur implication physique, cognitive et émotionnelle.

Ensuite, le prélude apprit aux spectateurs les relations entre odeurs et personnages.

"Ils nous ont présenté chaque personnage de l'opéra et chacun avait une odeur différente".

Cependant, si certains acceptèrent volontiers ce préambule pédagogique – "L'idée de présenter les personnages, un peu comme dans Pierre et le Loup de Serge Prokofiev, était très intéressante" –, d'autres regrettèrent qu'il canalise trop leur ressenti à venir, ou encore

"je n'ai pas fait très attention à cela car pour moi l'histoire n'était pas très importante". Après ces instructions préliminaires, "on fit le noir et l'opéra commença pour de bon", sans la modalité visuelle.

Pendant le spectacle Les personnages

Le nom d'"opéra" impliquait une forme narrative. Huit sur dix interviewés l'ont effectivement perçu comme l'interaction entre personnages, parmi lesquels, le plus mémorable fut sans doute le méchant – doté d'une mauvaise odeur –, le "Funky Green Impostor" (l'imposteur vert puant).

Mais au moment de l'interview (2 ans après le show), les témoins se rappelaient leurs sensations plutôt que les personnages eux-mêmes, "passeurs éphémères" vers une trace mnésique olfactive et symbolique. Seuls les spectateurs ayant délibérément suivi le scénario à travers les odeurs furent capables de les identifier tous, ainsi que leur personnalité. "Les odeurs étaient comme des personnages complets, des personnes complètes, avec leurs bons et leurs mauvais côtés. C'était comme dans un film ou une pièce de théâtre" et aussi

"spécialement quand je reconnaissais un personnage à son odeur, je pouvais le classer en fonction de sa personnalité".

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Les extraits d'interviews sont traduits de l'anglais et placés entre guillemets.

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Les odeurs

Les gens étaient venus pour elles ; ils y ont donc prêté la plus grande attention

"beaucoup des parfums étaient intéressants pour eux-mêmes". Mais les participants ont retenu 4 caractéristiques : les aspects techniques (diffusion, réception), l'esthétique (en utilisant des termes musicaux : composition, orchestration, dimension hédonique), le potentiel narratif et le ressenti.

Sentir et respirer

On ne peut sentir sans respirer. Tandis que les experts en parfum n'accordèrent pas trop d'attention à leur respiration, les non experts durent s'habituer. "J'étais concentré sur ma respiration, ce que, normalement, je ne fais pas, parce qu'il y avait ce micro qui vous soufflait dans le visage. Alors, je devenais très conscient de mon propre souffle et parfois je devais m'arrêter de sentir, je devais me tourner de côté et respirer de l'air normal durant un moment, pas parce que l'odeur était trop forte, simplement parce que ce souffle régulier dans mon nez était un ressenti bizarre".

Les auteurs avaient anticipé cette réaction en donnant des instructions durant le préambule. Néanmoins, certains participants reconnaissaient "qu'ils réagissaient non à l'odeur mais à l'acte de sentir". Ils oscillèrent entre l'hyperventilation et le repos : "Les gens des parfums sentent tout le temps, mais nous, nous devons nous forcer et nous disant "je vais sentir maintenant", c'est presque de l'hyperventilation et j'ai dû me reposer".

De plus, respirer entraîne un contact physique intime avec les odorants. Certains spectateurs craignaient l'impact des produits chimiques sur leur santé. "Je trouvais que les composants individuels étaient d'un haut niveau artistique. Pour les odeurs synthétiques, elles étaient magnifiquement composées […] mais j'étais inquiète de savoir si ces molécules pouvaient être utilisées comme ça".

Au contraire, d'autres y trouvèrent une stimulation et une inspiration. "Ces molécules entraient dans nos corps […] et je n'avais jamais auparavant expérimenté un art qu'on ingère réellement pendant la performance ; ça me dérangeait un peu, mais d'une façon stimulante".

Il y avait aussi des gens confiants et détendus, ne craignant pas l'expérience ; ils se laissèrent aller sans résistance à inspirer à fond et à laisser venir leur sensations : "Vous n'avez pas besoin d'éducation pour faire ça […], les odeurs et la musique me suffisaient pour créer ma propre expérience".

Un effort pour le cerveau

Au début, les spectateurs se concentrèrent pour s'adapter à un système de signes non familiers. "Beaucoup ont fermé les yeux pour diminuer le nombre de distractions. Ainsi, ils pouvaient se concentrer sur ce qu'ils sentaient". Mais fermer les yeux ne veut pas dire se relaxer ; l'expérience nécessitait un effort cérébral car les participants devaient décrypter un nouveau langage. "On entrait dans un monde avec des règles différentes et on était comme des enfants qui apprennent leurs premiers mots ; c'était quelque chose comme apprendre la grammaire des odeurs par essais et erreurs".

C'était plus facile pour les experts, "parce que je suis un professionnels des parfums, je les connais par cœur donc, c'était très photographique pour moi". Mais les profanes se sont battus avec les nombreuses odeurs – "Il y a eu tellement d'odeurs et on avait à

combiner dans notre cerveau toutes les impressions et les images ; c'était vraiment un gros travail" – et leur succession rapide – "dans la vie de tous les jours, les odeurs ne changent pas d'une seconde à l'autre, et encore, et encore ; vous avez le temps de les suivre avant de reconnaître de quoi il s'agit".

Certains participants ont essayé d'observer les règles données pendant le préambule pour se construire leur propre représentation. "Je devais sans arrêt essayer de coordonner les odeurs, les personnages et mes impressions", et pour la relier également à la musique

"Pour ceux d'entre nous qui n'ont pas souvent affaire aux odeurs, c'est une épreuve d'avoir à interpréter différentes odeurs sans se laisser submerger".

D'autres se sont livrés à une expérience immersive : ils se mouvaient dans un

nouveau monde, riche en évocations et en sensations, sans nécessairement suivre le

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scénario. Ils se sont plutôt fiés à leurs propres sensations, images mentales et souvenirs :

"Dans ma tête, il y avec des espaces plus ou moins connus qui s'ouvraient et j'évoluais dedans". Pour quelques-uns, ça ressemblait à d'autres expériences artistiques – "Je le ressentais plus comme une symphonie que comme un opéra".

En fonction de leur effort mental, les spectateurs n'ont pas eu la même notion de la durée du spectacle :"Je crois que ça durait environ un quart d'heure. Mais c'était suffisant, on était vraiment épuisé !" ou "le temps était rempli de tant d'impressions et le cerveau avait tant à faire qu'on avait l'impression d'une durée bien plus longue, 40 minutes ou même plus".

Diffusion et réception des odeurs

Le système de diffusion semble avoir satisfait tout le monde. "Délivrer les odeurs à une centaine de nez en même temps, chacun assis à une place différente et à différentes distances, c'est remarquable". De plus, les odeurs n'étaient pas invasives et même les non- experts ont pu les distinguer entre elles. "Elles n'étaient pas fortes, elles ne nous inondaient pas mais on pouvait les sentir ; elles étaient parfaitement disponibles mais pas criantes".

Exceptionnellement, on nous a dit : "Quelques-unes étaient trop fortes, il devrait encore y avoir quelques ajustements mais, définitivement, c'était un beau travail". En dépit des différences physiologiques individuelles dans les seuils de détection des odorants (Doty et al, 1984), ce fut un exploit que tout le monde puisse profiter simultanément de leur

perception.

Esthétique des senteurs

Nous avons cherché à savoir si les spectateurs étaient conscients du soin particulier que Christophe Laudamiel avait apporté à la composition des fragrances. Et en effet, "il y avait des parfums qui étaient complètement nouveaux pour moi, comme des choses que l'on n'a jamais senties auparavant. Et ce n'était pas des parfums au sens classique de faire des belles senteurs, mais c'était pour le drame et pour l'histoire". Certaines odeurs ont paru plus ou moins familières : "Quelques-unes étaient vraiment particulières mais il y en avait que je connaissais vaguement, comme la forêt ou l'océan ; mais d'autres défiaient toute

description". Mais les odeurs abstraites furent bien accueillies : "Ils n'avaient pas besoin d'avoir des références ; je ne sais pas ce qu'est l'Acier Brillant (Shiny Steel)".

Les senteurs étaient intéressantes en elles-mêmes. Une échelle hédonique est habituellement la première dimension pour les qualifier (Zarzo, 2008) et les spectateurs l'ont fait spontanément : "Certaines étaient très agréables, d'autres un peu déplaisantes et ça allait et ça venait". Mais les spectateurs ont décelé certaines intentions de l'auteur, "certaines étaient faites pour être belles, d'autres pour être désagréables".

Même les non-experts furent capables d'apprécier et d'interpréter des senteurs inattendues ou uniques. "Quelques-unes étaient très agréables, certaines me rappelaient l'eau ou la terre ; mais d'autres étaient plus soufrées et déplaisantes", mais, toutefois, reconnues comme congruentes avec le scénario : "Il y avait beaucoup de fragrances de nature, il y avait la forêt, quelques verts différents […], il y en avait une de mousse, une autre plus de pin, et il y avait aussi un certain nombre d'odeurs industrielles, le métal par exemple".

Les participants ont décelé les intentions artistiques de l'auteur : "Ce qui venait à notre nez, ce n'était pas accidentel". C'est ici que la diffusion contrôlée a servi le dessein artistique. "J'étais impressionné par le timing des senteurs et comment elles étaient

chorégraphiées et synchronisées artistiquement" et "la machine pulvérisait une odeur, puis l'évacuait, et à nouveau envoyait une autre senteur ; et ça m'étonnait beaucoup comme c'était orchestré sans bavure" ou encore "les odeurs changeaient très vite, en quelques secondes ; après quelques secondes, il y en avait une autre".

Finalement, les participants se sont émerveillés d'être capables de capter les

changements de rythme et de tonalité via leur seul odorat. Les compositions olfactives

évoluaient sur différents tempos, avec des ralentissements et des accélérations : "Quelques

odeurs venaient vite, d'autres plus lentement". Les participants ont également perçu le

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déroulement des compositions odorantes comme une construction de tonalités olfactives.

"Quelquefois, elles étaient en harmonie, comme un passage en douceur de l'une à l'autre ; d'autre fois, le contraste était abrupt", ce qui conférait une progression globale par

succession de mouvements harmonieux et de discordances.

Potentiel narratif des odeurs

Grâce à cette construction des odeurs, les spectateurs ont pu attribuer une valeur narrative aux odeurs : "C'était étonnant, je n'avais jamais pensé que des odeurs puissent créer un récit". Leur organisation créait une interaction entre des passages contrastés qui racontaient une histoire. "On sentait vraiment que quelque chose se passait réellement, une sorte de drame avec des odeurs". Le scénario racontait le duel entre nature et industrie : "Je me rappelle le contraste qu'ils arrivaient à créer avec les odeurs : de nature à manufacture, du vert au métal ; c'était très facile à imaginer, juste avec mon nez. Je n'avais pas besoin d'autre chose".

Enfin, quelquefois, les participants construisirent leur histoire personnelle à partir du conte olfactif : "Pour les odeurs que je pouvais identifier, je leur accolais une histoire à moi".

Evocations et mémoires dues aux odeurs

Certains spectateurs rapportèrent que les parfums n'avaient rien éveillé de personnel à cause de leur étrangeté et de leur abstraction. "Ils semblaient "fabriqués" si bien qu'il n'y avait pas de lien avec mon histoire personnelle". Mais aussi, ce scent opera était un exercice inhabituel accaparant déjà trop l'attention : "Je n'avais plus de temps pour ça parce que l'expérience était nouvelle et ma concentration était focalisée sur les odeurs reliées aux personnages". Quelques soucis sanitaires pouvaient aussi empêcher de savourer la pièce

"J'étais vraiment inquiète pour ma santé, au lieu de me laisser aller à [accueillir] les odeurs.

C'est pour ça que ça serait bien de recommencer l'expérience". D'autres, enfin, enrichirent cette expérience par leurs perceptions subjectives : "Mon souvenir le plus intense, c'est la sensation de larges espaces nouveaux dans lesquels je me mouvais avec ces senteurs ; c'était comme ouvrir une pièce et imaginer ce qu'il y a dedans".

La partition olfactive pouvait aussi réveiller des souvenirs. Au moins la moitié des spectateurs ont rapporté une dimension personnelle dans les parfums : "Le truc avec ce show, c'est que c'était très personnel" ; ou "je sais ce que c'est cette odeur de métal quand vous le chauffez fort ou que vous le coupez" ; ou "Vous savez bien qu'une même odeur suscite des sentiments différents chez les gens". Ce mystérieux pouvoir des odeurs pouvait mettre certains mal à l'aise, "parce que c'était une façon très intime d'apprécier l'art". Au contraire, cette propriété en réjouissait d'autres : "Ça nous ramenait à des endroits oubliés"

ou "Dès qu'on sent une odeur familière, on se rappelle et ça suscite des émotions". Les évocations dépendaient spécifiquement des odeurs. "Il n'y avait peut-être que deux ou trois odeurs que je n'associais à rien. Mais les autres, instantanément", dit un non-expert.

Ceci générait différents ressentis, depuis une atmosphère globale (avec une

succession de sensations évanescentes). "Ce qui était drôle, c'est que ce n'étaient pas des images réelles, mais plutôt des images très molles dans lesquelles on se déplaçait et c'est un mélange d'images et d'émotions", jusqu'à des instantanés d'expériences passées : "Ça me ramenait vraiment à mon enfance quand je ne vivais pas dans une grande ville mais quand je vivais à la campagne, plus ou moins dans les bois". Finalement, pour quelques participants, ces évocations étaient tout à fait photographiques : "L'odeur de forêt était incroyablement juste comme odeur de forêt. Avec ce parfum, tout le monde dans la salle était instantanément dans une forêt de pins" ou "C'était une odeur d'air frais, ça sentait littéralement comme si vous étiez dans un jardin, ou peut-être comme si quelqu'un avait fait une lessive fraîche ; c'était très frais, rafraîchissant, une senteur d'air comme on en a par un beau jour de printemps ou d'été quand on est dehors".

Au total, le spectacle semble avoir rempli les critères esthétiques puisqu'il entraîna le

public dans un voyage à travers ses états d'âme : "Il me semble qu'on avançait à travers une

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série d'états d'esprit, d'émotions, et un petit peu d'imagerie mentale". L'enchaînement de ces états était narratif en lui-même : "Les yeux fermés, c'était facile d'imaginer une histoire avec les odeurs et la musique qui venaient". De plus, les experts ont reconnu une nouvelle approche artistique – "Votre esprit pouvait se perdre dans la créativité". Ils ont compris la dynamique narrative, en navigant entre "… les personnages et leurs sensations, dans les deux sens".

5.2.3. Olfaction et musique

Préalablement avertis de l'histoire et des personnages, les spectateurs ont

naturellement suivi le mouvement dramatique grâce aux fragrances et à la musique. "C'était comme instinctif ; parce que on n'avait pas le langage et […] que le contenu complet de l'opéra était transmis par les odeurs et la musique". Comme susmentionné, les odeurs pouvaient être narratives en elles-mêmes mais leur combinaison avec la musique faisait sens et produisait une certaine histoire.

Tout d'abord, la musique et les sons étaient appariés (c'était dit dans le prélude) :

"Chaque personnage était accompagné par un certain son et était aussi traduit par une certaine odeur". Deuxièmement, les gens remarquèrent la synchronie de la musique et des odeurs. "Ils ont dû écrire la musique de façon à ce qu'elle s'écoule avec ce qu'on sentait".

Troisièmement, les notes olfactives et musicales convergeaient : "Elles étaient le miroir l'une de l'autre" ; "quand la musique était aigüe, les odeurs étaient "aigües" ; quand c'était des tons plus bas, il y avait des odeurs qui vous descendaient vers des sentiments mystérieux, presque sombres, chauds, on pourrait dire même sensuels". Le choix même des instruments était cohérent avec les tonalités olfactives : "A cause des différents instruments, la musique était quelque chose qui nous enveloppait et nous ramenait à ce qu'on sentait".

Finalement, les notes olfactives et musicales apportaient les mêmes ressentis

agréables ou déplaisants. "Certaines des senteurs agréables venaient pendant des mélodies agréables ; mais quand il y avait conflit dans l'histoire, alors une odeur plus déplaisante et soufrée venait". Bien que empruntant deux canaux sensoriels différents, la musique et les odeurs agissaient en synergie pour amener les gens vers certains états d'âme. "Elles avaient en commun le fait d'utiliser l'abstraction pour induire des états d'âme ou un ressenti" ; "ils ont fait un beau travail en les appariant pour les émotions et les états d'âme".

Cette synergie n'était pas redondante. Quarante pour cent des personnes interrogées expliquèrent clairement que les odeurs et la musique jouaient des rôles différents. Pour elles, les parfums donnaient les éléments d'identification des personnages, tandis que la musique portait plutôt les ressentis "les personnages avaient des odeurs différentes pour vous rappeler ce qui se passait et la musique nous donnait l'émotion de la scène". L'usage des deux sens rendait les choses plus claires : "Il y avait toujours une double identification ; il y avait d'un côté le signal musical pour les éléments de l'action, et de l'autre les odeurs pour l'identification et les deux sens nous aidaient vraiment". Même si l'attention des participants était plus activement tournée vers les senteurs que vers la musique, 80 % des spectateurs ont considéré que les premières s'enrichissaient de la complémentarité musicale. "C'était comme le sel dans la nourriture, pour expliquer le caractère de la fragrance" ou "Il y avait différentes clés [sensorielles] mais ensemble elles créaient une façon de penser bien plus puissante".

Après le spectacle

Catégories de spectateurs

En dépit d'un échantillon réduit, classer les modes de réception du spectacle nous a

aidés à apprécier l'impact des odeurs. Si le public a bien passé le premier niveau, à savoir

distinguer les odeurs les unes des autres, le deuxième niveau (relier les odeurs aux

personnages et aux épisodes) fut parfois plus difficile (voir ci-dessus). Ensuite, suivant les

attitudes et les ressentis, nous avons identifié 3 catégories de spectateurs.

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1) Les "intellectuels" qui ont travaillé dur pour identifier et mémoriser les indices olfactifs afin de comprendre la narration et de progresser dans la reconstitution de l'action et la caractérisation des personnages. Certains s'aidèrent du synopsis – "lLs mots nous aidaient à former des images". Néanmoins, d'autres se sont plaints de ce que l'effort intellectuel limitait leur perception globale du spectacle :

"Quand on va au cinéma, on à juste à s'asseoir et à se relaxer pour voir ce qui arrive, mais là, il fallait tout le temps être actif".

2) D'autres abandonnèrent le fil narratif pour se perdre dans leur imagination et leurs souvenirs : "Il n'y avait pas de mots pour décrire cela mais on plongeait dans son imagination". Quelquefois, parce les indices sensoriels leur semblaient

suffisamment cohérents, ils déplorèrent les indications explicites du prélude, perçues comme un frein à leur imagination. Ces "explorateurs des états d'âme"

ont visité un monde onirique en se concentrant sur leurs propres sensations qui étaient source d’impressions mobiles, narratives. "Avec les yeux fermés, c'était facile d'imaginer une histoire avec les odeurs qui venaient et la musique".

3) Enfin, les parfumeurs furent capables de comprendre complètement l'histoire avec son esthétique olfactive et musicale. Ces "intégrateurs" ont vécu à la fois une expérience analytique d'une nouvelle forme d'art et un voyage sensoriel. Ils ont capté la syntaxe symbolique, proche d'une poésie de signes abstraits – "L'expérience autorisait les gens à décider ce qui leur arrivait, à interpréter les senteurs, à interpréter la musique, pour les assembler dans leur tête" – et ils ont découvert une nouvelle approche artistique – "Notre esprit était perdu dans la créativité". Ils ont perçu plus facilement la dynamique narrative. "Il y avait les personnages et les ressentis, dans les deux sens : entendre et sentir". Pour eux, les éléments analytiques qu'ils collectèrent furent fondus en un seul corpus.

Education olfactive

Il semble donc que l'absence d'éducation olfactive ne fut pas un obstacle pour comprendre qu'il se passait quelque chose ; par contre, saisir l’intrigue demanda plus d'énergie et de connaissances professionnelles.

Pour les spectateurs, cela fut néanmoins l’occasion d’une prise de conscience de nouvelles capacités personnelles. Ils se rendirent compte du potentiel des odeurs à créer des liens avec leur propre mode de pensée. Mais une grande difficulté pour la plupart des participants fut de trouver un lexique sémantique adéquat pour qualifier le matériel olfactif :

"C'est une expérience que je n'ai jamais pu décrire à personne avec des mots parce que ce n'était pas verbal". Même s'ils étaient volontaires pour l'expérience, ils reconnaissaient l'absence d'un langage partagé. "Je pense que n'importe quoi d'autre possède un meilleur vocabulaire que les fragrances". Pourtant, en relatant leur soirée, les participants n'en sont pas restés à une expérience narcissique. Ils ont pressenti une construction olfactive

complexe et esthétique, qui leur a fait aspirer à une éducation de l'odorat pour, à l'égal des experts, jouir complètement d'un tel spectacle. Ces personnes ont donc découvert que l'apprentissage du langage olfactif leur ouvrait un nouveau champ esthétique.

Un évènement social

L'aspect social a frappé les gens par son côté innovant : "Je ne m'étais jamais assis dans une salle avec autant de personnes ne faisant que sentir ensemble, c'était tout

nouveau". Ils ont perçu que leur expérience individuelle s'insérait dans une expérience

collective : "On savait que chacun dans la salle était avec nous parce qu'on entendait les

gens respirer et quelquefois rire ou soupirer, et la musique était belle ; mais en même temps

on était chacun dans son monde". Pour certains, c'était comme prendre part à une recherche

visant à rendre les spectacles olfactifs plus accessibles : "En fait, ça me rappelait l'exposition

de 1900 à Paris ; ce fut la première où les gens virent des films animés, dehors et en

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groupe ; les frères Lumière ont tourné des films et les ont montrés à peut-être 30 000 personnes".

L'expérience paradoxale fut de partager l'acte intime de sentir dans un contexte collectif : "C'était drôle de partager une sensation intime avec autant de gens que je ne connaissais pas. Habituellement, quand je vais au théâtre, j'ai l'impression qu'il n'y a que moi et les acteurs sur scène et j'ignore en quelques sorte mes voisins ; mais là, parce que nous respirions tous ensemble, j'avais le sentiment que c'était une façon différente d'appartenir à un groupe". Rompant avec la distanciation classique, les odorants créent un contact

physique avec l'audience et rassemblent les spectateurs par le partage des sensations olfactives.

Potentialités et limites d'un art olfactif

Ce changement de repères fit entrer les spectateurs dans une nouvelle forme d'intégration sensorielle : "Christophe Laudamiel et les gens avec qui il a travaillé ont repoussé les limites de ce que sentir veut dire et de ce que signifie la création olfactive et musicale en tant que forme artistique et narrative". Les auteurs n'étaient pas que des techniciens, c'étaient des pionniers de l'art olfactif. "Pour moi, c'était voir un art créatif, la convergence des sens, voir si les senteurs et la musique, et la vue – qui sont toutes choses qui demandent de l'interprétation et de la distance –, de voir si elles pouvaient être

combinées pour cette expérience collective". Comme pour d'autres formes d'art – mais pour lesquels l'éducation rend inconscient ce processus – les spectateurs se sont aperçus qu'ils devaient reconstruire mentalement l'histoire à partir des signaux qui leur étaient proposés.

Quelques personnes s'interrogèrent sur la nécessité d'une communication fonctionnelle (comme raconter une histoire) dans l'art. Ils ont donc trouvé le préambule superflu et même gênant puisqu'il imposait une description verbale avant les sensations.

Pour eux, la contemplation d'un art olfactif autonome ne nécessiterait aucun cadre sémantique. "Après tout, c'était une expérience très abstraite ; alors je ne vois pas la nécessité de ce genre d'exercice dans une œuvre d'art". A l'opposé, d'autres s'attachèrent naturellement à l'identification des thèmes, des personnages et de l'action, comme

habituellement au théâtre.

Ces réactions individuelles se rencontrent sans doute quelle que soit la sensorialité sollicitée. Du fait du côté insolite du spectacle, les participants y ont sans doute accordé plus d'attention qu'à l'ordinaire et ce d'autant plus qu'ils ne connaissaient (sauf les experts) aucune règle de "dégustation" des odeurs. A partir de ces divers points de vue, on peut estimer que les odeurs peuvent non seulement porter un récit compréhensible, mais aussi ouvrir le champ de l'imaginaire.

Des mots et des odeurs : fertilisation croisée ou conflit ?

Cependant, récit et imaginaire ont pu sembler incompatibles pour certains. En effet, les trois catégories de spectateurs reflètent le "pouvoir des mots" face au mode sémiotique olfactif, nouveau et inhabituel. Alors que certains s'en tenaient à l'histoire telle qu'exposée dans le prologue, d'autres se sont concentrés sur leurs propres sensations, en s'échappant de la sémantique du langage susceptible de les distraire de leur expérience purement sensorielle.

Deux ans après le spectacle, les spectateurs se rappelaient mieux le thème général que les détails de l'intrigue. Cependant, leurs témoignages révèlent l'influence du support textuel préalable au spectacle. Plusieurs participants – comme les "intellectuels"– gardaient en mémoire ces indications qui les aidaient à interpréter leurs perceptions. Pour d'autres, le texte préalable et leurs sensations personnelles s'enrichissaient mutuellement, même au prix d'une concentration mentale importante. C'était un processus coopératif, l'imagination complétant le langage. "La chose importante, c'est qu'on avait à produire beaucoup : tout ce qui pouvait être visuel ou inclus dans l'histoire, il fallait l'imaginer, provoquer votre

imagination".

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Cependant, certains ont ressenti un conflit fondamental entre les deux modes d'expression : "Ils projetaient sur des petits écrans sur pieds, je suppose parce qu'ils

voulaient trois images différentes à la fois ; et il y avait du texte, si bien que je devais lire, ce qui mobilise un autres sens [que l'odorat] ; c'est moins abstrait que sentir et écouter, ça produit du langage qui n'aurait pas dû se trouver là". La confrontation de ces modalités sensorielles produisait donc un conflit entre un mode littéral explicite et un mode olfactif abstrait.

La friction pouvait également provenir du désaccord entre les impressions personnelles et l'intrigue explicite. "Ces deux-là, je ne pouvais pas les mettre ensemble.

C'était comme si on me demandait de faire ma propre expérience tout en voulant être sûr que c'était la même pour tout le monde". En fonction de la personne et des odeurs, ces critères narratifs pouvaient être dissonants ou au contraire devenir redondant : "J'étais déjà au courant, mon nez me l'avait dit".

Enfin, les mots ont pu être perçus comme imposant une restriction aux signaux sensoriels, empêchant ainsi la jouissance du côté poétique du spectacle. "C'était si élaboré et maladroit, et forcé, que ça me distrayait de cette expérience sensorielle extraordinaire".

Remarquons que les personnages étaient particulièrement abstraits ou symboliques, ce qui relève de modes cérébraux différents du traitement des signaux sensoriels (olfactifs et musicaux) et des émotions qu'ils suscitent. De plus, ce paysage sensoriel changeait

constamment (une odeur toutes les 30 secondes), si bien que les personnes plus sensibles à leur imagination et états d'âme ont pu éprouver des difficultés à faire correspondre les indications textuelles préalables et leur voyage sensoriel.

L'art olfactif, à quel prix ?

Revenons au niveau plus prosaïque du budget de ce spectacle. Nous n'avons pas eu connaissance de la rémunération de toutes les personnes impliquées dans la réalisation mais le seul coût de l'orgue à parfum se montait à 113 000 $ (voir encadré 2). Une somme rédhibitoire pour les petites compagnies d'intermittents du spectacle, pourtant porteuses de nombreuses innovations dans les arts vivants. Lors d'une étude récente en France, nous avons découvert que le coût minimum du matériel nécessaire à l'odorisation d'un spectacle était de quelque 40 000 €, sans compter les salaires et la fourniture des produits odorants (ces derniers peu onéreux par rapport au matériel ; Salesse et Domisseck, 2015). Cette situation pourrait changer avec les projets récents d'odorisation de cinémas, de télévision et de smartphones, pour lesquels la miniaturisation et la production en série pourraient casser les prix.

6/ CONCLUSION

Les représentations odorisées constituent encore un champ expérimental où l'absence de codes favorise l'inspiration artistique. L'obstacle majeur est de délivrer les odorants de façon précise et compatible avec la physiologie olfactive. Il semble que ces deux critères aient été remplis pour Green Aria, comblant les attentes des créateurs et surprenant les spectateurs.

Le second obstacle est de générer un langage olfactif que chacun puisse

comprendre. Le préambule présentant l’association personnages, odeurs et musiques, pallia partiellement cette difficulté. Les auteurs n’étaient pas maîtres des réactions du public (ce qui est le cas dans tous les spectacles mais tout particulièrement ici, à cause de l'effort cérébral demandé). Effectivement, c’est en fonction de leur degré d'expertise dans les parfums et de leur propension à intellectualiser, que les spectateurs ont eu accès à un niveau de compréhension du scénario variable et/ou qu’ils ont goûté des états d'âme induits par les odeurs.

Un large consensus s'est établi à propos de l'enrichissement mutuel des odeurs et de

la musique. Grâce à l'orchestration méticuleuse des senteurs assortie à la partition musicale,

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grâce à l'enchaînement des parfums, à la récurrence de certains thèmes olfactifs et musicaux, les participants ont su imaginer une histoire de façon plus ou moins subjective.

Dans une autre étude de théâtre olfactif, nous avons noté la même compréhension intuitive du rôle des odeurs comme composant intégral du jeu (Domisseck et Salesse, 2015).

Ceci suggère que l'odorisation pourrait être accueillie par un public plus vaste, et non seulement réduit à une élite comme au Guggenheim. C’est dans cette optique que la pièce Les Parfums de l'âme fut jouée devant un public parisien standard.

En outre, les spectateurs n'ont pas entamé la controverse entre le côté intime de la perception olfactive et le côté ouvert des sens dits "publics" (la vue et l'ouïe) mais les ont spontanément décrits comme complémentaires, mentionnant même l’aspect social de l'expérience. De plus, ils ont montré leur intérêt pour une éducation approfondie dans les sciences de l'odorat … un domaine presque toujours négligé, à la maison comme à l'école, sauf pour les experts. Par-delà leur diversité, les réponses des spectateurs ouvrent donc la possibilité d'une esthétique olfactive, moyennant cet apprentissage. Si la performance marqua les esprits, elle fut aussi l'opportunité d’envisager des développements artistiques et d'exprimer de nouvelles attentes. "L'étape suivante serait, non pas d'avoir une histoire, mais simplement les fragrances toutes seules, avoir les senteurs par elles-mêmes comme point de fixation", comme disait un non-expert.

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Remerciements

Nous remercions chaleureusement Christophe Laudamiel pour son intérêt constant et son aide lors de cette étude. Nous remercions Didier Trotier pour son aide dans la rédaction.

Ce travail a été financé par l'INRA et l'ANR (Agence

Nationale de la Recherche, projet "Kodo", n° ANR-10-CREA-003).

(16)

Encadré 1:

Green Aria: A scent Opera, scénario, personnages et crédits

Dès sa création, l'opéra fut présenté au Musée Guggenheim de New-York du 31 mai au 1

er

juin 2009 (5 représentations). Il fut ensuite joué au Musée Guggenheim de Bilbao, du 2 au 15 octobre 2009 (32 représentations).

L'histoire (noms des personnages en majuscules et traduits de l'anglais)

Un préambule de 15 mn précédait la pièce pour présenter l’intrigue. Chaque

personnage était également présenté, avec le parfum et la musique qui lui étaient associés.

Ensuite, la pièce était jouée dans l’obscurité complète, sans acteur, avec seulement les odorants et la musique. Elle durait 13 mn 40 s en 4 mouvements, soit 3-4 mn par mouvement.

Premier mouvement :

Les voix des siècles, TERRE, AIR, FEU et EAU forment le cycle de la vie.

Deuxième mouvement :

On forge les matériaux terrestres pour créer le METAL DE BASE qui sera bientôt modernisé en une flamboyance qui se durcit en ACIER BRILLANT, ce qui augure mal des choses à venir.

Le deuxième mouvement se termine et l'émotion « donquichotesque » des voix de l'AIR FRAIS exprime leur soulagement.

Troisième mouvement :

La fierté de l'homme, le VERT EVANGELIQUE fait un prêche intimidant où il annonce l'arrivée de la Création faite par l'homme.

Il revient à son disciple, l'ACIER BRILLANT, de l'aider à forger ce renouveau.

En dépit de cette promesse, d'étranges "Verts" s'échappent du CHAOS qui s'ensuit.

Les voies minaudantes de l'AIR FRAIS appellent à une pause, et à nouveau apportent un soulagement précaire.

Quatrième mouvement :

Le ZERO ABSOLU, dernière invention de l'homme, annonce le "contrôle"

technologique.

Le VERT EVANGELIQUE appelle l'INDUSTRIE à conclure une alliance sacrée avec la Nature.

L'INDUSTRIE et le FEU soufflent la chaleur sur l'acier, créant un échafaudage de vie…

Le vert (VERT HURLANT) crie son délice douloureux.

La Nature a finalement fusionné avec la TECHNOLOGIE et une force merveilleuse va en jaillir.

Le METAL VERT & CHAUD se forme mais soudain, un mouvement titanesque à lieu –tout devient froid jusqu'au sol- avant que le MAGMA n'émerge avec une grande fureur.

Le VERT CHATOYANT descend et se condense en une toute nouvelle essence : l'ARIA VERTE.

Jusqu'à ce que les verts se répandent à partir de cet ordre nouveau avant de se dissoudre dans un silence étouffé.

Sortant de la tranquillité vide, l'ARIA VERTE se réaffirme fragilement avec une joyeuse bouffée colorée.

FIN

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Personnages

Les éléments : Terre, Air, Feu, Eau, Métal de base.

Les personnages : Zéro Absolu, Chaos, Vert Evangélique, Feu + Fumée, Air Frais, Imposteur Vert Puant, Aria Verte, Métal Vert, Métal Lourd, Métal Vert & Chaud, Industrie, Magma, Vert Factice, Vert Fugitif Croquant, Vert Chatoyant, Vert Hurlant, Acier Brillant, Technologie.

Crédits

Le spectacle était une commande du programme "Work and process" du Musée Guggenheim. Il a été produit par la société Aeosphere LLC.

Il a été conçu par Stewart Matthew, Christophe Laudamiel et Howard Bernstein (dit "Howie B").

Christophe Laudamiel a composé les parfums.

Nico Muhly et Valgeir Sigurdsson (les musiciens de Bjork) ont composé la musique.

Joshua Starbuck a piloté les lumières (et le noir).

Paul Gunson a composé les images et les dessins.

La société Fläkt Woods a fabriqué l'orgue à parfums.

Les Parfums Thierry Mugler et Roberto Capua (investisseur dans Aeosphere) ont été les mécènes du spectacle.

Le Fond National pour les Arts a subventionné en partie la création.

Des remerciements spéciaux à : Arup (ingénierie), Firmenich (matières premières pour les

parfums), Arcade Marketing Inc. (programme parfumé) et Paul Mason.

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Encadré 2 :

La technique de diffusion

Christophe Laudamiel a conçu l'"orgue à parfums" (figure 1a) en collaboration avec la compagnie Fläkt Woods, leader mondial de la ventilation.

Un réservoir d'air comprimé pur, situé hors du bâtiment, maintenait la machine sous pression constante. On préféra le réservoir à une pompe en raison du bruit et des risques de contamination olfactive. La température et l'humidité de l'air étaient également contrôlées.

L'orgue contenait 33 cartouches, une par fragrance adsorbée sur un polymère de Pebax

4

. Chaque cartouche possédait son circuit d'air individuel commandé par ordinateur.

Chaque fois qu'on désirait une nouvelle odeur, on ouvrait la vanne correspondante. La console de commande informatisée ressemblait à une table de disc-jockey (cependant, lors de la première, l'ordinateur ne fonctionna pas et quelqu'un dut manœuvrer les vannes à la main !).

Chaque cartouche alimentait ensuite une pieuvre de 150 tuyaux en téflon, tous de longueur égale (15 m), se terminant par un "microphone à odeurs" (figure 1b) sous le nez de chaque spectateur. Comme le col de cygne était flexible, chacun pouvait rendre l'odeur plus ou moins intense simplement en approchant ou éloignant le micro. Ce dispositif avait un autre avantage considérable : il diffusait si peu d'odorants que cela ne contaminait pas l'air de la salle.

Le coût de l'orgue à parfums fut supporté par Fläkt Woods : on peut l'estimer à quelque 110 000 $, et celui de la tuyauterie à 13 000 $.

Christophe Laudamiel a dû tenir compte de la longueur des tuyaux pour ses compositions odorantes. En effet, au cours des premiers essais, le mélange initial se séparait en ses composants individuels – en fonction de leur volatilité – le long des 15 m de tuyau. Si bien que cela changeait complètement l'odeur et la durée de chaque bouffée olfactive. Le parfumeur dut recomposer ses fragrances avec des ingrédients de volatilités voisines pour que le mélange arrive inaltéré au nez des spectateurs.

Le téflon fut choisi pour les tuyaux parce que tous les autres plastiques adsorbaient les parfums, ce qui non seulement changeait leurs odeurs mais les mélangeait. L'acier inoxydable aurait pu être utilisé mais trop onéreux.

La taille des cartouches dut également être ajustée aux contraintes temporelles : au début, elles étaient trop grandes, ce qui retardait la diffusion des odorants. On choisit également un matériau des vannes sans adsorption parasite.

Chaque bouffée durait 6 secondes (ajustable entre 4 et 8 s), une durée voisine du cycle inspiration-expiration. Elle était suivie d'une chasse de 2 s avec de l'air frais. Ce rythme, proche du rythme naturel, était susceptible de cadencer le cycle respiratoire des spectateurs, optimisant ainsi la réception des odorants (Laing, 1983). En effet, selon les modèles de nez humain, les cycles de fréquence supérieure diminuent le temps d'inhalation et donc la prise d'odorants (Zhao et al, 2006).

L'air de la salle était extrait continuellement par le système de ventilation.

Ces conditions de diffusion (bouffées courtes, administration sous le nez, évacuation rapide) ont changé la qualité (qui ici serait un défaut) diffuse (c'est-à-dire lente et propagée par l'atmosphère) du message olfactif en un indice dramatique temporel précis ; que les spectateurs – même s'ils ne reconnaissaient pas les odorants – remarquent les

changements d'odeur étaient nécessaire pour l'objectif de raconter une histoire.

D'autres contraintes durent être prises en compte, comme les règles de sécurité et les soucis des syndicats au sujet de la conformité des tuyaux et des produits chimiques.

4

De la compagnie Arkema: http://www.pebax.com/sites/pebax/en/home.page .

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Légendes des figures

Figure 1a: "l'orgue à parfums".

La partie inférieure accueille 33 cartouches renfermant les parfums.

La partie centrale contient les vannes commandées par ordinateur, une vanne par cartouche.

En haut : les tuyaux de plastique bleu guident l'air comprimé depuis une source extérieure jusqu’aux cartouches.

Figure 1b: vue d'un "microphone à parfums".

A l'arrière-plan, on voit d'autres

microphones au bout d'un col de cygne flexible.

Photographies de Christophe Laudamiel.

Références

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