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I. Le travail

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Philosophie La Technique, le Travail

Introduction : le travail et la technique sont des processus la fois naturels et spécifiquement

humains. Ils permettent une libération de l'homme vis-à-vis des contraintes de la nature ; en même temps ils produisent un nouvel asservissement, rendant l'homme étranger à lui-même (= aliénation).

D'où leur caractère ambivalent : travail et technique sont à la fois aliénation et libération.

I. Le travail

Le travail est un processus humain de transformation de la nature. Selon Marx, ce processus est fondamental pour l'homme : travailler fait partie de la nature humaine. On ne dit pas, ou alors par abus de langage, que la fourmi, le castor ou l'araignée travaillent. « Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille rivalise par la structure de ses cellules de cire avec l’habileté de l’architecte. Mais ce qui distingue d’emblée le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. » (Marx). L'homme travaille, non pas naturellement « sans y penser », mais bien en faisant des efforts, en utilisant sa conscience, en engageant sa subjectivité. C'est bien cela qui fait que le travail est ambivalent : il est à la fois ce dans quoi l'homme se réalise, et ce dans quoi il souffre de son aliénation. Le travail est-il donc aliénant ou libérateur ?

a) Le travail est un facteur de libération de l'homme

Le travail est une libération par rapport à la nature : cultiver, domestiquer la vie, transformer la matière brute en produits ayant une valeur d'usage permet à l'homme de dépasser la sphère de la survie et de mener une vie authentiquement humaine. Dans ce qu'Hegel appelle la « dialectique du maître et de l'esclave », l'esclave est supérieur à son maître parce qu'il travaille et se réalise comme homme en transformant la nature. Le maître, lui, a besoin de la médiation d'un autre (l'esclave) pour exister, et finalement ne parvient pas à être libre.

Le caractère libérateur de l'homme s'entend aussi dans le rapport à l'activité elle-même : travailler c'est cultiver des capacités en soi. Ainsi le travail prolonge l'éducation. Il permet d'apprendre à coopérer, prendre des décisions en commun, surmonter les obstacles, développer son intelligence pratique (réflexion sur les méthodes, inventivité), à maîtriser ses désirs immédiats, etc.

Le travail enfin a une dimension sociale. Il est l'un des lieux où les individus tissent des liens sociaux. Avoir un travail, c'est jouer un rôle dans la collectivité, se socialiser. Dans le mythe développé dans le dialogue de Platon, Protagoras, Prométhée répartit inégalement les savoir-faire techniques entre les hommes pour qu'ils puissent vivre dans la nature. On parle ainsi de « division sociale du travail » : les humains s'apportent mutuellement les fruits de leurs compétences.

b) Le travail est aussi, dans une société capitaliste, une aliénation.

Mais avec l'âge industriel, cette division du travail s'est reportée à l'intérieur de l'entreprise. Les tâches sont divisées. Avec la fragmentation du travail, le travailleur est dépossédé du fruit de son travail ainsi que de son travail lui-même, puisque le but, le sens de son activité ne lui appartiennent plus. Si l'intelligence se forme dans notre activité quotidienne, la fragmentation du travail, sa mécanisation conduisent à l'abêtissement du travailleur et endorment sa volonté. (cf. Charlie Chaplin, Les Temps modernes)

C'est ce que décrit notamment Marx (19è) : « En quoi consiste la dépossession du travail ? D’abord, dans de fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son être; que, dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie; qu’il ne s’y sent pas satisfait, mais

malheureux; qu’il n’y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son

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corps et ruine son esprit. C’est pourquoi l’ouvrier n’a le sentiment d’être à soi qu’en dehors du travail; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n’est pas lui. Son travail n’est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n’est pas la satisfaction d’un besoin,, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail.

La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l’homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l’ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas, que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas à lui-même, mais à un autre » (Marx)

Dans la dernière phrase du texte précédent, Marx identifie la cause qui fait que le travail se traduit par une aliénation du travailleur dans une société capitaliste. Le travail est fondamentalement ce qui ajoute de la valeur à une matière première : le travailleur devrait en toute logique percevoir un salaire égal à cette valeur ajoutée. Mais lorsque la matière et les outils appartiennent au détenteur du capital (le patron, les actionnaires), la valeur ajoutée par le travail servent à faire des profits, et le salaire est réduit au minimum qui permet au travailleur de survivre. La lutte des classes se traduit donc dans notamment dans la concurrence entre profits et salaires.

c) Il y a souffrance au travail lorsque l'organisation du travail méconnaît la part irréductible de subjectivité du travailleur.

Des psychologues du travail comme Yves Clot ou Christophe Dejours estiment que toute activité de travail nécessite une capacité d'initiative, ou encore une « capacité normative » des individus. Par exemple, les ouvriers sur une ligne de montage dans une usine s'écartent, même de façon minime, des règles imposées « d'en haut ». Ils choisissent de faire certains gestes qui n'étaient pas prévus

« sur le papier ». C'est non seulement une façon pour eux de mettre du leur dans l'activité, mais aussi et surtout cela est requis si l'on veut que le travail soit efficace. Leur geste en plus ou en moins a une utilité. Le travail réel (ce que les gens font en réalité au travail) est ainsi toujours décalé par rapport au travail prescrit (ce que les gens sont censés faire). Autrement dit, il y a toujours une part d'invention dans le travail. Les normes du travail ne peuvent donc venir d'en haut mais doivent être corrigées, modifiées, appropriées par les individus qui travaillent.

Cela implique selon Chr. Dejours que si l'on n'évalue les travailleurs que sur le respect des

procédures sans prendre en compte leur part d'autonomie, leur part d'inventivité, alors cela conduit à de la souffrance, et potentiellement à des pathologies. Pour lui, si le travail aujourd'hui est de plus en plus aliénant et pathologique, c'est moins parce que les travailleurs ne sont pas propriétaires des moyens de production comme le disait Marx que parce que l'on évacue leur autonomie, qu'on ne les considère pas comme des sujets actifs, inventifs, mais comme des éléments aveugles dans un rouage qui les dépasse.

Conclusions :

Le travail soulève de redoutables problèmes philosophique. Valoriser le travail sans prendre garde à la façon dont il est exercé et évalué, c'est prendre le risque de renforcer l'aliénation. Par ailleurs, on parle aujourd'hui de distinguer le travail de l'emploi. Il existe en effet de nombreux travaux,

notamment dans la sphère privée (travail domestique, soin aux personnes, etc.), qui ne sont pas des emplois au sens juridique du terme, et donc ne sont pas reconnus comme relevant du « travail ».

D'un autre côté, il paraît difficile de dépasser radicalement le travail, bien que certains auteurs considèrent que nous sommes entrés dans l'ère de la fin du travail. Il apparaît en tous cas que l'enjeu, pour aujourd'hui, est bien plutôt de savoir « comment » et « pourquoi » l'on travaille plutôt que « combien ».

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II. La technique (en sommes nous maîtres ou esclaves ?)

Le travail requiert des outils et des savoir-faire techniques. Cette capacité technique est elle aussi à la fois naturelle et humaine. Elle est naturelle en ce que l'objet technique est le prolongement du corps. L'objet technique sert à agir sur le monde, mais il agit aussi sur le corps de celui qui s'en sert, il oriente les comportements parce que les objets techniques nécessitent un apprentissage. Le principal problème est donc de savoir si l'homme reste maître de la technique, ou bien si l'homme se trouve piégé dans le système des objets techniques dont il ne devient qu'un maillon.

a) L'homme est l'animal qui maîtrise la technique, il s'élève donc au-dessus de la nature (Platon, Descartes).

D'après le mythe de Prométhée (Platon, Protagoras), l’homme ne sait rien faire à l’origine, mais il peut grâce à la technique apportée par Prométhée s’adapter à toutes les situations. La faiblesse naturelle de l’homme est compensée par son savoir technique (techne).

L'animal ne semble pas disposer de la technique ; il dispose de l'instinct. L'instinct est un comportement préformé, spécifique, inné - et ainsi non réfléchi et non volontaire - immédiatement adapté aux nécessités du milieu. L'instinct manque de plasticité : il reproduit à l'identique ; il ne s'adapte pas à une situation nouvelle. « Les ruches des abeilles étaient aussi, bien mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui, et chacune d'elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte », écrit Pascal (17è) dans la préface de son Traité du vide.

A la rigidité de l’instinct va répondre le caractère mouvant et dynamique des techniques. Le pouvoir technique, indissociable de l’intelligence, a en ce sens une valeur supérieure aux qualités naturelles des animaux : par le pouvoir technique, l'homme fait plus que simplement survivre, l'homme va s'élever au-dessus de la vie. Ce pouvoir n’est évidemment pas sans danger : en s’élevant au-dessus de la nature, en devenant, comme le dit Descartes dans son Discours de la méthode, « comme maître et possesseur de la nature », il prend le risque de ne pas contrôler sa puissance technique.

b) Cependant, la technique devient progressivement autonome et dépossède l'homme de sa maîtrise (Ellul)

De plus en plus d'objets techniques sont « high-tech », des technologies sophistiquées. Conséquence : on ne peut plus accéder à l'intérieur de ces machines pour les connaître et les modifier (la taille des circuits-imprimés est désormais si réduite qu'il faut d'autres outils techniques sophistiqués pour y accéder). A l'opposé de cette évolution majeure, certains préconisent l'emploi de « low-tech », des objets techniques accessibles, pas nécessairement nouveaux, robustes et simples, réparables et modifiables par l'utilisateur. Par exemple, les voitures sont de moins en moins bricolables, tandis que d'autres véhicules tels que les vélos le restent encore.

En outre, la technique ne désigne pas seulement un ensemble d'outils et de machines pour agir sur la nature. Aucun objet technique ne peut être réduit à ce qu'il est comme objet (voir manuel p. 152 : exemple du boomerang et du cerf-volant). Il existe un système de significations et d'usages qui donnent leurs sens aux objets techniques. Exemple : le « système automobile », c'est l'ensemble des routes, véhicules, cadres administratifs, parkings, garages, représentations sociales de l'automobile (...). Aucun objet technique ne peut être efficace sans un réseau socio-technique.

De ce fait, à partir d'une certaine échelle, le milieu de vie humain devient de plus en plus étroitement défini par un « système de systèmes techniques ». Jacques Ellul (20è) parle ainsi du

« système technicien ». Ce sytème finit par évacuer l'humain qui prétend en être le maître, il finit

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même par remplacer la nature. « La technique tend, aveuglément, à remplacer la totalité de ce qui a formé l’écosystème naturel. L’universalité du milieu technique produit l’image d’une nature », écrit Jacques Ellul.

c) La technique donne à l'homme des responsabilités envers lui-même et envers la nature (Illich, Jonas).

La technique ouvre de nouvelles responsabilités sociales : Ivan Illich (20è) estime que la technique, si elle ne se plie pas aux limites naturelles et si elle n'est pas démocratiquement contrôlée, risque d'asservir l'homme.

« Si nous voulons pouvoir dire quelque chose du monde futur, dessiner les contours théoriques d'une société à venir qui ne soit pas hyper-industrielle, il nous faut reconnaître l'existence (…) de limites naturelles. L'équilibre [naturel] de la vie se déploie dans plusieurs dimensions ; fragile et complexe, il ne transgresse pas certaines bornes. Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l'esclavage humain n'a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle.

Car, passé un certain seuil, l'outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l'équilibre global, ce seuil critique.

Alors il sera possible d'articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l'homme, de l'outil et de la société. J'appelle société conviviale une société où l'outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d'un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil ». (Ivan Illich, La convivialité)

Elle crée aussi une responsabilité à l'égard de la nature et des générations futures :

« Le danger qui nous menace actuellement vient-il encore du dehors ? Provient-il de l’élément sauvage que nous devons maîtriser grâce aux formations artificielles de la culture ? (…) C’est désormais à partir de nous que s’ouvrent les brèches à travers lesquelles notre poison se répand sur le globe terrestre, transformant la nature toute entière en un cloaque pour l’homme. Ainsi les fronts se sont-ils inversés. Nous devons davantage protéger l’océan contre nos actions que nous protéger de l’océan. Nous sommes devenus un plus grand danger pour la nature que celle-ci ne l’était autrefois pour nous. Nous sommes devenus extrêmement dangereux pour nous-mêmes et ce, grâce aux réalisations les plus dignes d’admiration que nous avons accomplies pour assurer la domination de l’homme sur les choses » (Hans Jonas (20è), Une éthique pour la nature).

Conclusions :

On peut observer aujourd'hui plusieurs tendances dans nos sociétés :

- Un regain de réflexion sur l’écologie. La problématique du dérèglement climatique du à l'activité de l'homme sur la planète pourrait entraîner une remise en cause profonde de nos modes de vie. La notion de développement durable est malheureusement parfois employée comme un leurre pour légitimer le renforcement d'activités économiques et industrielles néfastes pour la planète (greenwashing = lorsqu'une entreprise utilise l'argument écologique pour donner une nouvelle image à un produit qui n'est, en réalité, pas respectueux pour l'environnement).

- Une réflexion sur la « démocratie technique ». Des conférences de citoyens peuvent être organisées pour débattre et prendre des décisions à propos des nouvelles technologies (OGM, biométrie, nanotechnologies). Ces forums où se côtoient experts, politiques et usagers sont difficiles à mettre en oeuvre, et en sont encore au stade expérimental.

- Une interrogation philosophique : l’individu moderne est fasciné par ces moyens techniques au point de parfois considérer qu’ils ont une valeur en eux-mêmes ; son désir de nouveautés

technologiques, et notamment de technologies de communication, est sans cesse réactivé par les techniques publicitaires, au point de tomber dans la démesure (hubris). Or, l'homme peut-il être maître de quoi que ce soit, s'il ne sait se maîtriser lui-même ?

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