• Aucun résultat trouvé

Blogues_intimes.com, Écriture di@ristique sur internet et constitution du genre intime

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Blogues_intimes.com, Écriture di@ristique sur internet et constitution du genre intime"

Copied!
118
0
0

Texte intégral

(1)

Section de Français

Blogues_intimes.com,

Écriture di@ristique sur internet et constitution du genre intime

Sous la direction de Jérôme Meizoz

Dubey Emilie

Mauborget 3, 1003 Lausanne 079’3381866

emdubey@yahoo.fr

(2)

Résumé

Cette étude cherche à appréhender une nouvelle forme d’écriture de soi, incarnée dans les blogues intimes. Les hypothèses ayant conduit à ces recherches sont les suivantes : d’une part, le blogue doit être considéré comme une nouvelle forme de diarisme. Bien que diffusé en ligne, il semble en effet contenir les traits d’une expression intime telle qu’elle pourrait apparaître dans un carnet tenu secret.

D’autre part, cette diffusion et la visibilité qui en découle amènent à une progressive constitution d’un genre intime. L’analyse d’un corpus constitué de huit blogues cherchera donc à affirmer ces hypothèses. Les outils seront ceux de l’analyse littéraire, mais un recours à certaines notions telles que celles d’intimité et d’extimité servira également à en établir la validité.

(3)

Remerciements

J’aimerais remercier Monsieur Jérôme Meizoz d’avoir accepté la direction de ce mémoire, et d’y avoir apporté ses remarques et corrections tant dans la période de recherches que dans celle de sa rédaction.

Je voudrais également mentionner ici Romain Junod, Raffaëlla Simeone, Louis Olivier Scalvinoni ainsi que Maria Da Silva, et les remercier vivement pour leurs relectures et critiques constructives.

Enfin, je suis très reconnaissante envers mes proches, qui m’ont soutenue et encouragée pendant ce travail et plus largement tout au long de mes études.

(4)

TABLE DES MATIÈRES

1. INTRODUCTION...5

1.1PROBLÉMATIQUE...5

1.2HYPOTHÈSES...6

2. PORTRAIT DU JOURNAL INTIME ...8

2.1PROBLÈMES DE DÉFINITION, LIMITES...8

2.2HISTORIQUE...10

2.3FONCTIONS ET CARACTÉRISTIQUES DE LÉCRITURE DIARISTIQUE...11

2.4PROBLÉMATIQUE DU GENREDU JOURNAL INTIME...15

3. INTERNET : NOUVEAU MÉDIA, NOUVELLE FAÇON DE COMMUNIQUER ET DE S’ÉCRIRE ... 18

3.1INTERNET ET LÉMERGENCE DES BLOGUES...19

3.1.1 Virtualité...22

3.1.2 Hypertextualité...22

3.2LES DIARISTES DAUJOURDHUI : PORTRAIT DES BLOGUEURS INTIMES...25

3.2.1 Blogosphère : définition des nouvelles tribus virtuelles ...26

3.3ECRITURE DE SOI SUR INTERNET : PARADOXES ET ENJEUX...29

3.3.1 Notion d’intimité ...29

3.3.2 Mises en scène du moi : le journal intime au pays de l’extime ...31

3.3.3 Diffusion et publication ...33

3.3.4 Rapports entre auteur(s) et lecteur(s) ...36

4. BLOGUES INTIMES : DESCRIPTION ET ANALYSE D’UNE NOUVELLE FORME D’ÉCRITURE DE SOI SUR INTERNET... 39

4.1PRÉSENTATION DU CORPUSDANALYSE : DESCRIPTION...39

4.2ANALYSE DU CORPUS...42

4.2ANALYSE DU CORPUS...42

4.2.1 Modalités d’écriture...42

4.2.2 Forme ...47

4.2.3 Contenu...51

4.2.4 Approche linguistique...62

4.3L’AUTRE, LES AUTRES : QUEL(S) DESTINATAIRE(S) POUR UNE ÉCRITURE DE SOI ?...72

4.3.1 Analyse linguistique des destinataires dans l’écriture intime sur internet ...73

4.4DIFFICULTÉS À SÉCRIRE...93

4.4.1 L’écriture comme distance de soi à soi...93

4.4.2 L’éphémère des blogues : raisons de leur disparition...97

5. CONCLUSION : SYNTHÈSE ET OUVERTURE...103

6. BIBLIOGRAPHIE...109

6.1OUVRAGES SUR LE JOURNAL INTIME...109

6.2OUVRAGES SUR LES NOTIONS DINTIMITÉ / EXTIMITÉ...111

6.3OUVRAGES SUR INTERNET ET LES BLOGUES INTIMES...111

7. ANNEXES ...114

(5)

1. INTRODUCTION

1.1 Problématique

L’écriture de soi au jour le jour, nommée diarisme, est longtemps restée une activité secrète. Encouragée tout d’abord auprès des jeunes filles dans un cadre religieux comme sorte de confession, puis appropriée plus largement par des individus en quête d’eux-mêmes, elle se pratiquait en général en retrait du monde, seul face à soi et sa propre intimité. Cette forme d’invisibilité a maintenu le journal intime dans un statut ambigu, puisque nombreux étaient ceux à y recourir, alors que sa légitimité posait problème. Comment justifier en effet une écriture de soi pour soi ? Jugée vaniteuse, stérile, voire lâche, elle semblait être un refuge pour ne pas avoir à s’exprimer face à l’autre.

De même, rares étaient les études sur ce sujet, et de plus elles se limitaient aux publications, le plus souvent posthumes, de journaux d’auteurs dont l’écriture était le métier, ou dont les autres œuvres bénéficiaient déjà d’une reconnaissance au sein du milieu littéraire.1 Faisant partie des « pratiques ordinaires d’écriture »2, le diarisme n’a longtemps pas été jugé digne d’intérêt académique. Du moins jusqu’à ces dernières décennies, où un intérêt croissant s’est manifesté pour ce type particulier d’expression de soi. Dès lors, plusieurs recherches ont mis à jour les spécificités de l’écriture diaristique, sans toutefois lui accorder une réelle place dans la littérature en tant que genre. Les difficultés d’accès aux journaux intimes n’ont notamment pas favorisé cette reconnaissance.

L’apparition d’internet marque un tournant dans l’évolution des supports de l’écriture intime. Ses possibilités techniques ont fait naître un nouveau rapport au texte : virtuel, éphémère, l’écrit prend place dans un espace public, lieu de partage en simultané. Ce nouveau média implique une visibilité tout à fait nouvelle pour le diarisme, ceci d’autant plus qu’elle concerne les journaux d’anonymes. A une écriture en intimité se substitue ainsi une écriture en ligne, accessible à tous et en tout temps. Le journal intime sur cahier se change en blogue intime, contraction

1 Le cas du « Journal » d’Anne Frank reste un cas particulier.

2 Référence au titre du chapitre de Bernard Lahire, « Les pratiques ordinaires d’écriture en action ! », in L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris : Nathan, 2001.

(6)

francisée du terme weblog qualifiant un site internet (web) dont la forme se rapproche du journal (log).3 Les modalités d’écriture se sont également modifiées : le cahier se mue en clavier, et la situation de retrait caractérisant l’activité diaristique se dote d’une dynamique interactive. La présence de lecteurs, auparavant exclus du journal, remet en question la nature de l’intimité donnée à lire. Enfin, le blogueur, créateur d’un blogue, n’est plus un auteur solitaire, mais s’intègre au contraire dans un réseau, la blogosphère, constitué de diaristes avec lesquels il communique au sein même de son espace personnel.

1.2 Hypothèses

L’essor des blogues intimes ces dernières années nous a amenés à nous interroger sur leur statut au sein des écritures de soi. Peut-on encore parler de journal intime, lorsque le support n’est plus un cahier ou des feuilles volantes, et que le contenu est livré aux yeux d’une multitude de lecteurs ? Notre travail cherchera à répondre à cette question centrale. Le rappel des caractéristiques du diarisme servira à poser un cadre de comparaison, puis la mise en relief des spécificités de l’écriture de soi sur internet nous permettra d’établir des parallèles entre ces deux types d’expression. L’analyse d’un corpus de blogues intimes nous amènera finalement à constater si nous pouvons les considérer en continuité du journal. Nous nous demanderons à quel(s) besoin(s) particulier(s) répond cette démarche d’écriture non plus tournée vers soi-même, mais vers l’extérieur.

Comment la diffusion de ses propres écritures peut-elle aider à satisfaire la quête de soi-même ? Et quel type d’intimité est étalé aux yeux des autres ? Nos recherches se focaliseront notamment sur cette notion, ainsi que sur l’opposition entre privé et public, importante il nous semble dans l’analyse de cette thématique.

Enfin, notre travail devrait nous permettre de définir quel rôle les blogues peuvent jouer dans la constitution progressive d’un genre intime, et quel désir fondamental le journal sous toutes ses formes incarne par l’écriture.

3 Nous adopterons la forme francisée de ce terme (blogue) tout au long de notre travail, mais respecterons l’orthographe choisie par les différents auteurs cités qui utilisent encore fréquemment la forme anglophone (blog).

(7)

La constitution d’un corpus de travail n’a pas été aisée, en raison de l’aspect éphémère des journaux sur internet. Nous avons pu malgré tout établir un ensemble de huit blogues, aussi représentatifs que possible de la variété existante, tant au niveau de l’âge, du milieu social ou du style des diaristes sur internet. Au moment de conclure cette étude, deux sites sont devenus inaccessibles ; la seule trace de leur existence est donc leur forme imprimée telle que nous la représentons en annexe. Nous y ajoutons également la correspondance établie avec deux blogueurs.

Par discrétion pour ces personnes, nous ne citerons que les éléments en lien direct avec notre thématique. Les pseudonymes des blogueurs seront typographiés au fil de notre travail dans une police différente, pour aider à leur identification au sein du texte. De plus, ils apparaîtront tels que sur leur site, c’est-à-dire pour quelques- uns sans majuscule, par respect de la forme dans laquelle ils ont choisi de se représenter. Enfin, les passages cités seront corrigés dans leur orthographe dans un souci de confort de lecture, mais aucunement dans leur syntaxe afin de conserver le style propre à chacun, et de laisser le plus possible aux blogues les marques de leur création.

(8)

2. PORTRAIT DU JOURNAL INTIME

Si le journal intime est une écriture, il possède néanmoins une place toute particulière au sein de la littérature et de ses genres. Peut-être avant tout parce qu’il relève d’avantage d’une pratique, d’une manière de vivre et exprimer son vécu que d’un réel projet littéraire. L’important n’est pas le produit, mais sa production en tant que telle. Selon Béatrice Didier, le journal est ainsi le refuge de l’intimité car il n’est pas, ne peut pas être, une production ; celle-ci appartient au monde du dehors, alors que l’intime appartient à celui du dedans.4 Pourtant le journal est publié, lu et possède une existence publique, notamment en raison de l’émergence et de l’essor des blogues intimes qui en fournissent aujourd’hui la plus évidente preuve. La question du paradoxe entre écriture intime et diffusion, voire publication, sera largement traitée au cours des deux prochains chapitres, mais afin d’y parvenir il nous faut rapidement évoquer les principales caractéristiques et fonctions de l’écriture diaristique, son parcours historique, et les problèmes généraux que cette expression de soi pose au niveau de sa reconnaissance et validation en tant qu’écriture littéraire. Pour ce faire, nous ferons référence aux spécialistes qui ont déjà tracé l’histoire de cette pratique et les conditions sociohistoriques de son apparition.

2.1 Problèmes de définition, limites

Alors qu’une définition de l’autobiographie a été clairement donnée par Philippe Lejeune5, et reconnue par nombre de spécialistes en la matière, aucune n’a été établie en ce qui concerne le journal intime. Frontières floues, contenu et forme à géométrie variable, le journal intime se décrit avant tout par ce qu’il n’est ou ne possède pas. Sa description négative est d’ailleurs le signe de sa réputation : ses auteurs sont généralement considérés comme des non-écrivains, ou s’ils se définissent comme auteurs, leur journal n’est souvent décrit que comme une sous- œuvre, le journal d’une œuvre, la vraie, celle qui sera ensuite reconnue et publiée, ou encore comme la raison, coupable, du manquement de l’œuvre littéraire. Dans

4 Didier Béatrice, Le Journal intime, Paris : Presses universitaires de France, 1976, p.132.

5 Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris : Ed. du Seuil, 1975, p.14 : « […] récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité ».

(9)

le cas où le diariste n’est pas considéré ou ne se considère pas comme un écrivain, la représentation du journal et de sa pratique subit là encore les conséquences de son informité. Plus largement, les critiques faites au journal sont celles d’être la marque d’un repli sur soi, d’une personnalité faible et lâche, ou d’une activité stérile, signe de retrait du monde. Lejeune souligne également que le journal est la seule forme de littérature qui soit appréhendé par des spécialistes qui lui sont (ou du moins étaient) « hostiles ou méfiants »6. Progressivement cette gêne s’est heureusement dissipée, et le nombre de travaux sur le diarisme ainsi que l’engouement pour les blogues montrent que cette pratique d’écriture a enfin sa place et son poids aujourd’hui.

Même si une définition semble compromise et peu adéquate, le journal intime se caractérise néanmoins par certains aspects généraux et majoritairement représentés dans les divers exemples approchés par les spécialistes. Françoise Simonet-Tenant esquisse une définition mimimum :

 « L’aspect protéiforme du journal, suggéré par l’observation de ses caractérisants,  ne saurait masquer ses spécificités formelles. Le journal se présente sous la forme  d’un énoncé fragmenté qui épouse le dispositif du calendrier et qui est constitué  d’une succession d’ « entrées » (une entrée désignant l’ensemble des lignes écrites  sous une même date).7 S’y exprime un « je », le plus souvent omniprésent, prisme  qui réfracte actions, observations, pensées et sentiments. Le « je » qui s’énonce  renvoie à une réalité extérieure au texte, et un « pacte référentiel » (Ph. Lejeune)8 surplombe tout le journal. »9

L’ « aspect protéiforme » du journal ne permet donc pas d’en donner une définition plus précise, mais cette esquisse nous sert à mettre en avant les composantes essentielles de l’écriture diaristique : fragmentation, structure calendaire, expression des diverses facettes du moi intime. Avant d’en décrire plus profondément les fonctions et d’en développer les caractéristiques, un rapide coup

6 Il cite notamment le cas de Michèle Leleu, auteure d’un des premiers ouvrages de référence sur les journaux intimes.

7 Les « entrées » des blogues intimes seront plutôt par la suite nommées « articles », ou « posts » (tiré de l’anglais), termes les plus souvent employés par les blogueurs eux-mêmes.

8 Le « pacte référentiel », notion définie par Philippe Lejeune, pose « la ressemblance entre le texte prétendant à une certaine vérité et la vérité de l’existence réelle, et met en avant le jeu entre l’intériorité du texte et l’extériorité de la réalité », in Amaudruz-Solano Valérie, Enquête de soi : les écrits autobiographiques dans le processus de civilisation, Mémoire de licence en sociologie, Genève : Université de Genève, 2000, p.44.

9 Simonet-Tenant, Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, Paris : Nathan, 2001, p.11.

(10)

d’œil sur son histoire nous semble important pour permettre une meilleure appréhension de cette pratique.

2.2 Historique

L’histoire du journal intime a déjà été l’objet de nombreux ouvrages, notamment ceux de Béatrice Didier, Philippe Lejeune ou encore Alain Girard, qui permettent d’avoir une vision complète et détaillée des conditions d’émergence et du développement du diarisme. Notons au passage que cette vision historique n’est pas unanimement partagée, et que Georges Gusdorf par exemple s’oppose à l’idée d’apparition du journal. Selon lui, il ne faut pas y voir une naissance, mais l’évolution d’une pratique d’expression de soi existante depuis toujours, et face à laquelle il est vain de chercher des origines figées. Nous adhérons à cette idée dans le sens où les études historiques sur le journal lui attribuent généralement une existence dès lors qu’il est publié. Mais la publication ne concerne en général que les journaux d’écrivains ou de personnalités dont l’histoire suffit à justifier la reconnaissance. Philippe Lejeune a en cela largement contribué à la légitimation et la recherche de journaux d’anonymes, non publiés et pourtant riches et intéressants pour l’étude des écritures de soi.

Pour éviter toute redite sur l’essor du journal, nous renvoyons aux ouvrages précités et ne prenons ici que les aspects qui nous semblent les plus pertinents pour notre sujet. L’une des caractéristiques fondamentales concerne l’évolution de la notion d’individu, qui donne, à travers la progressive prise en charge du je, la possibilité de se créer un territoire propre, qui soit en dehors de la société. Il s’agit d’une condition première pour l’écriture intime et pour l’expression d’un for intérieur. Ensuite, il nous paraît important de mettre en avant l’influence des supports et outils utilisés pour cette expression de l’intimité au fil du temps. Nous nous pencherons sur cette question dans le chapitre 3, mais nous pouvons souligner dès à présent que la modification des supports (cahier, feuilles volantes, écran d’ordinateur), ainsi que les instruments d’écriture (plume à recharger, stylo, machine à écrire, clavier d’ordinateur), ont fortement modelé l’écriture et son contenu. L’hégémonie de l’écriture a aussi permis à une population de plus en plus large de s’approprier ces différents moyens et de s’exprimer à travers leur

(11)

utilisation, l’écrit s’avérant être « le médiateur essentiel et légitime pour l’approfondissement de soi, pour la mise à plat de ce qui est ressenti. »10 Selon Daniel Fabre :

 « Tout se passe comme si le besoin de témoigner de son existence, d’exprimer ses  pensées, ses opinions, d’affirmer son individualité passait aujourd’hui de façon  privilégiée par une mise en écriture dans laquelle l’acte même d’écrire semble  avoir autant sinon plus d’importance que la chose écrite. »11

Le journal est un fait culturel et socio-historique qui doit être replacé dans son contexte pour être envisagé dans toute sa complexité. Depuis le milieu du XXe siècle, de nombreuses études, anthologies, expositions et autres émissions télévisées l’ont peu à peu sorti de l’ombre. Selon Philippe Lejeune12, le développement des écritures intimes et l’intérêt qui leur sont portées ces dernières décennies peuvent être rattachés à plusieurs phénomènes : relâchement des liens sociaux de proximité, accroissement de la mobilité, accélération des changements historiques, allongement de la durée de vie humaine, développement des technologies de communication conduisant à la mondialisation et à une individualisation extrême. Dès lors, « la socialisation frénétique de l’intime répond probablement à ces difficultés à se construire une identité dans le temps et l’espace. » Nous devons donc constater que l’évolution du journal intime, de ses formes et de son contenu découle de l’évolution des supports et techniques utilisés, mais doit également être mise en parallèle avec les changements sociaux. Ainsi, pas d’écriture de soi si la conscience du moi n’existe pas et aujourd’hui, nous le verrons, pas de journal intime sur internet si le rapport aux nouvelles réalités virtuelles n’est pas établi et leur appropriation intégrée.

2.3 Fonctions et caractéristiques de l’écriture diaristique

Malgré son « aspect protéiforme », le journal intime, bien qu’apparemment libre et sans contraintes (puisque généralement non soumis au regard extérieur), est le fruit de lois profondes et assume différentes fonctions. Première caractéristique

10 Amaudruz-Solano Valérie, Enquête de soi : les écrits autobiographiques dans le processus de civilisation, Mémoire de licence en sociologie, Genève : Université de Genève, 2000, p.27.

11 Cité par Amaudruz-Solano Valérie, idem.

12 Tiré d’une interview de Philippe Lejeune par Francesco Biamonte et Pierre Lepori en 2006, consultable sur le site www.culturactif.ch/invite/lejeune.htm.

(12)

nécessaire et fondamentale : la date. Le journal s’écrit au jour le jour, entrée après entrée, et cette structure est peut-être la seule véritable de ce type d’écriture. A la limite, nous affirme Béatrice Didier, le journal n’est que ça : une inscription temporelle, un moyen pour l’homme d’écrire le temps.13 La démarche de noter l’heure ou le lieu favorise également l’ « entrée dans l’entrée », c’est-à-dire qu’elle incite le diariste à se lancer dans l’expression de soi. De même pour la graphie et la mise en page, qui parallèlement à ces rites d’ouverture, servent de tremplin et jouent le rôle de stimulateurs et déclencheurs du mécanisme de l’écriture. Cette structure calquée sur le calendrier est responsable de l’aspect fragmenté du texte, ainsi que de son caractère parfois répétitif. Bien que le contenu et la forme varient, les seuls traits récurrents sont par conséquent la fragmentation et la répétition.

Le diariste réfléchit sur le temps, mais il réfléchit aussi, voire surtout, sur sa propre activité. Le journal s’interroge lui-même, rendant le métadiscours très présent en son sein. « Tout journal de l’ego devient journal de l’ego scriptor », dit Paul Valéry.14 En effet, peu importe qu’il soit ou non reconnu comme littéraire, l’auteur écrit et se demande en écrivant pourquoi et comment il le fait.15 L’écriture repose sur une « construction en abyme »16 selon Béatrice Didier. Le discours diaristique se mêle fréquemment à son propre métadiscours ; leurs frontières se confondent, donnant au journal sa spécificité textuelle. Apparaissant en général au début ou à la fin d’une entrée, cette autoréflexion permet d’initier l’expression de soi ou au contraire de la conclure en explicitant soit les conditions d’écriture, soit le jugement du diariste sur lui-même en tant qu’auteur.

Le journal s’écrit et se voit écrire, mais que raconte-t-il ? Le propre du journal est d’exprimer une singularité, ou de permettre d’en faire la recherche ; il paraît donc vain d’essayer de donner une description détaillée du contenu puisqu’il est aussi varié que ses producteurs. Un portrait général se laisse toutefois tirer pour autant que l’on ne le considère pas comme exhaustif ou restrictif : un journal intime de voyage n’est pas le journal d’un malade, et celui d’une adolescente ne partage peut-être que très peu avec celui d’un homme âgé, et pourtant certaines thématiques réapparaissent fréquemment. Les thèmes avancés par Alain Girard17

13 Didier Béatrice, Le journal intime, Paris : Presses universitaires de France, 1976, p.172.

14 Cité par Didier Béatrice, op.cit., p.150.

15 L’analyse des blogues intimes au chapitre 4 nous en fournira notamment plusieurs exemples.

16 Didier Béatrice, op.cit., p.145.

17 Girard Alain, Le journal intime et la notion de personne, Paris : PUF, 1963.

(13)

nous semblent représentatifs de ce que l’on peut trouver au sein de journaux les plus variés : il s’agit par exemple de la réflexion sur la fuite du temps, la mobilité des impressions, le sentiment d’absurde, la volonté d’être sincère et les difficultés d'y parvenir, la mauvaise foi et le mensonge à son propre égard, l’amour et la haine de soi, la crainte de l’autre, et finalement le désir de vivre et d’être heureux. Bien que constituée de « lieux communs » selon ce même auteur, cette liste traduit néanmoins nombre d’interrogations profondes et sincères.

Après avoir évoqué les motifs sur lesquels s’expriment les diaristes, il nous reste à décrire quelles fonctions peut endosser cette écriture de l’intimité auprès d’eux. En grande majorité, l’activité diaristique commence vers 10-11 ans, puis se renforce nettement chez les adolescents. Pourquoi cette classe d’âge est-elle la plus représentée ? Entre enfance et âge adulte, cette période est souvent instable et complexe pour le jeune individu qui se découvre et qui cherche à se donner une singularité propre. Le journal intime « permet la catharsis du moi juvénile »18, et offre un moyen de mieux se définir et se représenter à soi-même. Cette dernière idée implique par ailleurs que le journal n’est pas le seul apanage d’auteurs adolescents ; la typologie des diaristes montre en effet une grande diversité d’âges, de classes sociales ainsi qu’une répartition inégale en genre, les femmes étant plus adeptes de l’écriture de soi que les hommes.19 Adoptant de multiples formes, le journal est donc également difficile à définir selon ses auteurs, eux aussi disparates.

Il nous paraît ainsi plus pertinent d’appréhender la relation qu’entretiennent ceux-ci avec leur écriture que de définir si tel ou tel écrit est un journal intime en soi.

Un des éléments-clés du journal, nous l’avons dit, est le rapport au temps et à sa maîtrise. L’image de trace est fréquemment mentionnée par ceux qui écrivent : besoin de conserver ses souvenirs, son moi passé afin de le confronter à celui du présent. Cette idée de conservation pourrait, selon l’approche socio-historique de Béatrice Didier, découler du contexte capitaliste dans lequel a émergé le journal.

D’abord simple livre de comptes, il a évolué en livre des décomptes du moi. Les faits les plus banals comme les plus décisifs y sont transcrits, et ainsi sont

18 Girard Alain, Le journal intime et la notion de personne, Paris : PUF, p.490.

19 Nous signalons les ouvrages de Philippe Lejeune, La pratique du journal personnel : enquête, pour des résultats détaillés sur les auteurs de journaux intimes, ainsi que Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, pour une analyse approfondie de la question du genre en ce domaine.

(14)

conservés à l’abri des défaillances de la mémoire. De plus, l’écriture de sa vie permet, paradoxalement à travers une multitude d’événements ou de sentiments les plus divers, de donner une unité à un moi toujours mouvant. Le retour sur son propre passé est alors teinté de sentiments variés, de la surprise à la nostalgie, en passant par la colère voire l’incompréhension. Pour Barthes, la relecture de son propre journal est synonyme de plaisir, et permet de satisfaire un besoin narcissique tout naturel :

« Si je relis mes pages de journal plusieurs mois, plusieurs années après les avoir  écrites, […] j’éprouve un certain plaisir à  me remémorer, grâce à elles, les  événements  qu’elles  relatent,  et  plus  encore,  les  inflexions  (de  lumière,  d’atmosphère, d’humeur) qu’elles me font revivre. […] Aucun intérêt littéraire  […], mais une sorte d’attachement narcissique (faiblement narcissique : il ne faut  pas exagérer) à mes aventures […]. »20

Cette fonction mnémotechnique est peut-être l’une des plus fondamentales du journal intime. Mais l’écriture des souvenirs, sensations ou pensées amène aussi à une réflexion sur soi dont les racines sont à chercher du côté de l’histoire du journal. L’examen de conscience a été fortement encouragé par le christianisme, et l’exploration de soi à travers l’écriture s’est notamment développée auprès des jeunes filles par ce biais-là. Aujourd’hui, l’aspect religieux a majoritairement disparu pour laisser place à une quête dont le projet est d’approcher au plus près d’un bien-être et d’un équilibre individuel. Car le plus souvent le diariste semble recourir à son journal lorsqu’il va mal. Le bonheur ne s’écrit-il donc pas ? Selon Georges Gusdorf, l’écriture intime implique une blessure secrète21 ; dans ce cas, elle ne sert plus alors à se souvenir, mais à oublier. Le journal devient catharsis, et son écriture est la seule résistance possible face aux difficultés vécues.

Nous évoquerons plus tard la question d’un ou plusieurs éventuels destinataires, mais remarquons déjà qu’une adresse fréquente est celle faite au journal lui-même : « cher cahier », « cher journal » sont souvent les premiers mots écrits lors d’une nouvelle entrée. Parfois nommé (tel que « Kitty », le journal d’Anne Frank), le recueil de l’écriture intime est non seulement l’objet de la confidence, mais il se personnifie et devient alors le confident lui-même. Véritable compagnon pour certains diaristes, il prend un statut d’interlocuteur et possède une forte valeur communicative, même si a priori à sens unique. Parfois signe de

20 Barthes Roland, « Délibération », in Tel Quel, n°82, 1979, p.8.

21 Gusdorf Georges, Les écritures du moi, Paris : O. Jacob, 1990, p.394.

(15)

malaise social, il peut être un moyen d’expression idéal pour certaines personnes en mal de relations satisfaisantes. Béatrice Didier, dans son analyse psychologique du diarisme, va même jusqu’à parler du « rôle matriciel » que peut avoir le journal : il permettrait de revenir à l’unité première, de réintégrer un état bienheureux perdu.22 Par son caractère intime et secret, il devrait alors permettre de tout dire, de tout se dire ; pourtant, le poids des conventions sociales, des tabous culturels ou familiaux peut parfois peser lourd et retenir le diariste.

Même si retenue ou viciée par son dialogue à sens unique, l’activité diaristique est souvent centrale dans la vie des individus qui la pratiquent. Elle ressort d’une pulsion fondamentale, d’un besoin parfois presque physique, mais inexpliqué.

Comme le dit Julien Green dans son Journal, « on écrit parce qu’on écrit, de même qu’on aime parce qu’on aime ».23 Peu importe les raisons psychologiques, historiques ou sociales qui se trouvent à son origine, le journal intime possède une place toute particulière dans la vie de celui qui l’écrit, et ceci même de façon discontinue.

2.4 Problématique du genre du journal intime

La reconnaissance du journal intime en tant qu’objet littéraire n’est que récente et ce processus est encore en cours. Selon Dominique Kunz Westerhoff, « il s'agit […] d'un genre dont le statut de littérarité est problématique; autant pour l'auteur lui-même, souvent très critique sur la valeur, la légitimité de son activité, que pour les lecteurs. »24 Sa place dans la littérature reste donc fragile. Le journal pose en effet problème : comment reconnaître une écriture qui reste secrète et donc invisible ? Constitue-t-il un genre à part entière ? Peut-on seulement parler de genre ? La question est vaste, mais nous souhaitons mettre en avant les quelques idées fondamentales qui la traversent.

D’abord, la notion de genre est complexe en soi, mais nous pensons pouvoir la lier à celles de publication et de littérature. Un genre ne peut se former qu’à la

22 Didier Béatrice, Le journal intime, Paris : Presses universitaires de France, 1976, p.113.

23 Cité par Didier Béatrice, op.cit., p.22.

24 Kunz Westerhoff Dominique, Le journal intime, Méthodes et problèmes, Genève: Département de français moderne, 2005.

http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/journal/

(16)

suite de publications qui permettront de créer un réseau d’intertextualité et d’influences réciproques. La publication « introduit les textes dans l’ordre du littéraire, mais surtout dans l’ordre de la "littérature", c’est-à-dire les constitue comme des objets propres d’un mode de communication spécifique à l’intérieur d’un système institutionnel. »25 Pourtant les publications de journaux intimes n’ont été en majorité jusqu’à maintenant que ceux d’auteurs déjà reconnus pour d’autres œuvres littéraires, appartenant ainsi déjà à ce « système ». C’est là que se trouve le nœud du problème : l’écriture diaristique est par essence l’écriture de chacun, justement accessible puisque ne faisant pas partie d’un « système institutionnel » exigeant et restrictif. De plus, le journal est une écriture, mais aussi un objet. Il ne se limite généralement pas qu’à un texte écrit, mais est multidimensionnel et donc difficilement publiable. Le journal s’oppose ainsi à un processus de littérarisation et acquiert même un statut d’anti-œuvre : « Le journal est un des facteurs, leviers, levains, de la modernité, et même de la post-modernité. Il met en question le modèle fermé et artificiel de l’ "œuvre". »26

Cependant la notion de genre peut se comprendre différemment, et ainsi nous permettre d’avancer l’idée d’une constitution progressive d’un genre intime. En effet, Béatrice Didier refuse de lier nécessairement genre et publication.27 Pour illustrer son propos, elle cite le cas de la littérature orale ou du genre poétique, qui se définissent par des spécificités génériques propres. Jean Rousset reconnaît quant à lui d’une part l’aberration du journal intime, un « texte individuel [qui] précède sa matrice générique », alors qu’un genre doit précéder toute œuvre individuelle.

Mais d’autre part, il en propose une définition générique : « soliloque du je, fréquence quotidienne et optique de l’instant de rédaction, fragmentation en discours-mosaïque, répétition des jours et des formules, inachèvement. »28 Par conséquent, nous pensons que plusieurs parallèles peuvent être établis entre les journaux intimes, qu’ils soient ou non publiés. Et nous soulignons que le statut particulier que le diarisme occupe en marge de la littérature (au sens de « système

25 Rannaud Gérald, « Le journal intime : de la rédaction à la publication, essai d’approche sociologique d’un genre littéraire », in Le journal intime et ses formes littéraires : acte du 2e colloque de septembre 1975, textes réunis par Del Litto Vincent, Histoire des idées et critique littéraire, n° 175, Genève : Droz, 1978, p.278.

26 Lejeune Philippe, interview par Biamonte Francesco et Lepori Pierre, 2006.

http://www.culturactif.ch/invite/lejeune.htm

27 Didier Béatrice, Le journal intime, Paris : Presses universitaires de France, 1976, p.139.

28 Rousset Jean, Le lecteur intime : de Balzac au journal, Paris : J. Corti, 1986, p.14.

(17)

institutionnel ») ne l’écarte pas d’une considération en tant que genre intime. Celui- ci se constitue, nous semble-t-il, d’un ensemble de textes découlant d’une même démarche et partageant entre eux une série de fonctions communes pour leur auteur qui suffisent à le définir comme tel. Même sans publication, le journal intime s’inscrit donc dans un genre à part entière.

(18)

3. INTERNET : NOUVEAU MÉDIA, NOUVELLE FAÇON DE COMMUNIQUER ET DE S’ÉCRIRE

La fin du siècle passé a vu se développer de façon accrue et rapide les divers moyens de communication dont l’usage dans notre société actuelle est devenu banal. « Société d’information », « société de communication », tels sont les qualificatifs qui la décrivent, et pour cause : internet, comprenant courriels, messagerie instantanée, forums et en l’occurrence blogues, sont désormais intégrés au quotidien d’une partie de la population mondiale. L’abolition des contraintes spatio-temporelles multiplie les possibilités d’interaction de façon tout à fait inédite. Cette révolution technologique ne s’opère pas qu’au niveau des outils utilisés, mais se remarque également dans les échanges. En effet, les nouvelles donnes du partage et de la diffusion de l’information ont des conséquences sur la nature des relations entre individus. Une modification des supports implique un changement dans les rapports sociaux et donc dans les formes d’expression, envers autrui et soi-même. Selon Kenneth J. Gergen « the developing communication technologies of the last twenty years have had profound implication for our sense of self. »29 Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre 2, la notion d’individu a évolué et ne cesse de le faire, notamment à travers les mutations des outils d’expression de soi. Selon Joshua Meyrowitz, théoricien des médias, l’adoption d’internet semble impliquer un déplacement ou une confusion des limites entre sphères privées et publiques.30 L’avènement de nouvelles formes de communication n’est donc pas sans conséquences sur des conceptions aussi centrales que celles de l’individu ou de son intimité, et nous verrons sous quels aspects ces notions doivent être envisagées dans le contexte socioculturel actuel.

Un contenu ne peut être dissocié de sa forme : cette optique médiologique nous semble fondamentale pour bien comprendre l’évolution de notre sujet d’étude, le journal intime, au travers d’un nouveau support, l’ordinateur, et d’un nouvel usage, internet. C’est pourquoi nous exposerons quelques idées sous-jacentes à l’apparition d’internet, puis l’avènement en masse d’un type particulier de sites : les blogues. Par leur caractère virtuel et hypertextuel, nous montrerons en quoi ils

29 Gergen Kenneth J., in Miller Hugh, The Presentation of Self in WWW Home Pages, mars 1998.

http://www.ess.ntu.ac.uk/miller/cyberpsych/goffman.htm

30 Benoît Desavoye y fait référence dans son livre Les blogs : nouveau média pour tous, Paris : M2 Ed., 2005, p.44.

(19)

peuvent s’adapter particulièrement bien à l’expression de soi, bien qu’ils paraissent a priori s’y opposer. Suite à la description de ces sites, nous nous attacherons à décrire ceux qui les créent : un nouveau type de diaristes, les blogueurs, et de communauté diaristique, la blogosphère. Finalement, les paradoxes qui sous- tendent l’écriture de soi sur internet seront mis en lumière sous divers angles : d’abord par les notions d’intimité et d’extimité, puis à travers les deux aspects qui semblent les plus éloignés du journal intime : la diffusion et l’interaction.

3.1 Internet et l’émergence des blogues

Actuellement, le nombre d’utilisateurs d’internet est estimé à 1'210 millions.31 De quoi créer un nombre démultiplié d’échanges et de relations diverses entre eux.

Une idée de partage s’est trouvée au centre des motivations des premiers informaticiens internautes, pour qui ce nouvel outil devait être « le vecteur des valeurs d’égalité, de fraternité, reposant sur la gratuité et le sens du partage »32. Même si cet objectif peut sembler utopique, il souligne cependant la fonction première d’internet, qui est celle d’une mise en commun et d’une égalité d’accès à l’information. L’appropriation de ce nouvel outil fut rapide, et un des résultats est aujourd’hui une explosion des sites personnels, les blogues.33 Ces espaces personnels sur internet sont gérés par leur créateur, offrant une liberté totale quant au contenu et à la forme que celui-ci désire lui donner. L’internaute n’est plus un simple consommateur, mais devient un producteur et acteur du nouvel espace virtuel :

 « The World Wide Web is one of the first venues where individuals can construct  portrayals of themselves using information rather than consumer goods as their  palette. For the first time, individuals can project huge amounts of detailed  information about themselves to a mass audience […]. »34

31 Ce chiffre est cité par Benoît Desavoye dans Les blogs : nouveau média pour tous, Paris : M2 Ed., 2005, p.23. Il prévoit pour 2007 un nombre avoisinant les 1’350 millions.

32 Deroche-Gurcel Lilyane, « Cyberspace : les nouvelles formes de sociabilité », in Universalia, Paris : Encyclopaedia universalis France, 1997.

33 Pour un historique complet des blogues, nous renvoyons à l’ouvrage de Benoît Desavoye, op.cit., clair et très complet à ce sujet.

34 Erickson Thomas, The World Wide Web as Social Hypertext, janvier 1996.

http://www.pliant.org/personal/Tom_Erickson/SocialHypertext.html

(20)

Le blogue n’a pas encore reçu de définition stable. Celle-ci diffère en effet selon que l’on considère l’aspect technique, c’est-à-dire une page web dont le contenu est géré par un utilisateur, ou que l’on prenne en considération la dimension sociale de son usage, par exemple le nombre de visites. Selon Stéphanie Booth, figure en Suisse Romande de ce nouveau type d’écriture de soi, un blogue se caractérise « par la publication à intervalles plus ou moins réguliers d’articles de longueur variable, dont on retrouve généralement les derniers classés par ordre chronologique inverse sur la page principale. C’est la forme plus que le thème ou le contenu qui définit le weblog. »35 Au vu de nos recherches, il nous semble également que le contenu des blogues est très variable et ne peut être un critère décisif de sélection. Espace multimédia, regroupant tant le texte que l’image ou la vidéo, le blogue ne demande pas de connaissances informatiques poussées, et offre à une large palette d’individus un espace d’expression simple dans sa création et son utilisation. De nombreux serveurs mettent à disposition un hébergement gratuit, mais sont alors souvent engorgés de publicité ou d’annonces diverses. La forme générale des blogues est standardisée : les notes figurent au centre, en ordre chronologique inverse, et deux ou trois colonnes sur les côtés comprennent des liens vers d’autres sites, des archives ou divers types de dossiers.

L’estimation du nombre de blogues aujourd’hui est sujette à variation, et le comptage étant fait par des programmes automatisés, des erreurs conséquentes peuvent survenir. On peut néanmoins dire qu’environ 175'000 nouveaux sites personnels sont créés quotidiennement, et que leur nombre tend à doubler tous les 200 jours environ.36 Les chiffres montrent l’ampleur de cette nouvelle pratique, accessible et en grande partie gratuite, mais qui semble peu à peu soumise à des réseaux d’influence qui tentent d’en tirer profit. Une certaine hiérarchisation se met également en place, notamment au travers de prix désignant les meilleurs blogues37, ou de listes mentionnant les sites les plus visités sur les serveurs les hébergeant.

35 Booth Stéphanie, C’est quoi un Weblog, juillet 2002.

http://spirolattic.net/CestQuoiUnWeblog

36 Chiffres provenant d’Olivier Glassey, de l’Observatoire Science, Politique et Société, Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne.

37 Exemple de prix : Skybeurk Awards, récompensant le meilleur blogue d’adolescents selon certaines catégories (« Caillera », « J’raconte ma vie inutile », « Gothik Satanik » etc.).

http://www.skybeurk.groland-vidz.com

(21)

Le contenu d’un blogue peut être très variable, nous l’avons dit, suivant les intérêts et objectifs de son créateur. Notre étude porte sur les sites présentés comme intimes, ou catalogués comme tels sur les serveurs. Un site personnel, géré par un seul individu, n’est pas forcément intime, et semble même à priori s’opposer par nature à l’expression d’une intimité : mise en ligne, elle semble en effet perdre sa raison d’être. Pourtant, l’engouement provoqué par les blogues doit nous questionner sur les motivations qui poussent un internaute à créer son propre espace intime sur internet. Tout d’abord, certaines raisons peuvent être rattachées à celles qui initient souvent la tenue de n’importe quel journal intime : besoin de se souvenir, de construire une image de soi, d’affronter des événements importants etc. Ces diverses raisons, notamment évoquées dans le chapitre 2, relèvent souvent d’une auto-thérapie par l’écriture. Ensuite, les blogues soulèvent une autre dimension cruciale, celle des destinataires. Le désir de communiquer, nous le verrons par la suite, est souvent paradoxalement présent dans l’écriture de soi.

Alors que dans un cahier, la présence de destinataires est parfois réelle mais reste non concrète, à travers un blogue ceux-ci sont des lecteurs potentiels, voire même des interlocuteurs. L’intimité est alors une « intimité de réseau » telle que la nomme Philippe Lejeune.38 Enfin, le blogue est un espace multimédia, et cette hybridité semble être un facteur décisif dans l’adoption d’une écriture diaristique sur internet. En effet, elle implique un dynamisme et une complexité qui la rapproche selon certains spécialistes de la construction de l’identité, qui est souvent le nœud même de l’écriture intime. Les possibilités offertes par les blogues semblent ainsi dans un premier temps s’opposer aux conditions d’écriture d’un journal intime, qui reposent sur la maîtrise du temps et le secret. Mais elles mettent également en avant deux caractéristiques étrangères au journal intime jusqu’à l’avènement d’internet, la virtualité et l’hypertextualité, qui donnent à l’expression de soi de nouvelles dimensions.

38 Lejeune Philippe, « Cher écran… » : journal personnel, ordinateur, internet, Paris : Ed. du Seuil, 2000, p.227.

(22)

3.1.1 Virtualité

L’idée de virtualité est souvent associée à celle de superficialité, et considérée comme une sous-catégorie de réalité. Miguel Benasayag parle par exemple d’une

« virtualisation de la vie réelle »39 qui tendrait à occulter les diverses dimensions dans lesquelles on vit, en multipliant les liens de surface, ceux de la communication, mais en appauvrissant ceux plus profonds de sociabilité. Si cette optique a le mérite de remettre en question l’avènement et la toute-puissance de certains outils de communication (internet, téléphones portables), elle nous semble cependant rester dans une vision manichéenne ne rendant pas à ce nouveau type de réalité toute sa complexité, et ne lui accordant pas la place qu’elle prend inexorablement. Pour Régis Debray, médiologue, il existe une autre façon de considérer le monde virtuel :

«  […]  cette  vogue  de  l’image  synthèse,  puis  de  l’image  virtuelle  va  nous  convaincre qu’il y a d’abord plusieurs réels, que le virtuel n’est pas le faux, mais  une autre sorte de réel, un espace parmi d’autres. Cela été dit le réel est une  catégorie technique. Nous voilà maintenant avec un réel en plus, un espace en  plus. »40

Mais si les blogues donnent accès à un nouveau type de réalité virtuelle, faut-il en conclure que le moi qui y est exprimé l’est aussi ? Et Philippe Lejeune d’y répondre par une autre interrogation : « Ne l'est-il pas toujours ? Seule la manière change… »41 Pour Daniel Chandler, le moi virtuel est un concept depuis longtemps établi, qui prend sa source dans l’expression de soi au travers d’un medium, en l’occurrence le livre : 

« ʺVirtual selvesʺ  have existed ever since people have been publishing their  writing. Plato noted this feature of the technology of books in the Phaedrus and  Seventh Letter […]. What is new about such virtual selves is that they have never  before been available to so many people. »42

39 Benasayag Miguel, del Rey Angélique, Plus jamais seul : le phénomène du portable, Paris : Bayard, 2006, p.19.

40 Debray Régis, L’éloge du virtuel, Intervention au colloque d’Imagina, Monte-Carlo, 1994.

http://www.regisdebray.com/content.php?pgid=medioint

41 Lejeune Philippe, « Cher écran… » : journal personnel, ordinateur, internet, Paris : Ed. du Seuil, 2000, p.12.

42 Chandler Daniel, Personal Home Pages and the Construction of Identities on the Web, août 1998.

http://www.aber.ac.uk/media/Documents/short/webident.html

(23)

La description de Pierre Levy sur la nature de la « matière mentale affective » permet également de rapprocher ces deux notions que sont le moi et la virtualité.

Pour cet auteur, « l’élément psychique offre un exemple canonique du virtuel »43. Les blogues intimes semblent donc répondre à une logique profonde de rapprochement entre la forme et son contenu.

3.1.2 Hypertextualité

La deuxième dimension propre au monde virtuel des blogues est l’hypertextualité44. Elle nous semble particulièrement intéressante en écho à l’article de Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique »45 : « Parler d’histoire de vie, c’est présupposer que la vie est une histoire, et qu’une vie est inséparablement l’ensemble des événements d’une existence individuelle conçue comme une histoire et le récit de cette histoire. » Mais ce présupposé est réfuté par Bourdieu lui-même, qui oppose ses propos à ceux de Robbe-Grillet : « […] Le réel est discontinu, formé d’éléments juxtaposés sans raison dont chacun est unique, d’autant plus difficiles à saisir qu’ils surgissent de façon sans cesse imprévue, hors de propos, aléatoire. »46 La vie n’est donc pas une succession, mais se compose d’événements disparates qu’il semble illusoire de rendre par une expression fermée et linéaire.

L’hypertextualité des blogues semble ainsi permettre de concevoir et surtout d’exprimer un moi éclaté et discontinu. Elle se base en effet sur une organisation non pas linéaire mais tabulaire des données, multipliant des choix constants entre les éléments mis en ligne. Chaque composante peut être reliée à d’autres par des hyperliens, créant un réseau au sein d’un seul blogue, et par suite, vers une multitude d’autres sites. Le blogue d’[AnO]rchiDeA, qui fait partie de notre corpus, en est un bon exemple. Diverses rubriques viennent agrémenter le texte de

43 Levy Pierre, Qu’est-ce que le virtuel ?, Coll. Essais, La Découverte Poche, 1998, p. 106, cité par Ferjoux Céline, in Les journaux intimes sur internet, DESS 2000-2001.

44 Par cette notion, nous entendons la qualité d’un hypertexte, que Christian Vandendorpe définit comme suit : « en informatique, [cette] notion […] représente une façon de relier directement entre elles des informations diverses, d’ordre textuel ou non, situées ou non dans un même fichier (ou une même "page"), à l’aide de liens sous-jacents. » in Vandendorpe Christian, Du papyrus à l’hypertexte, essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris : La Découverte, 1999, p.113.

45 Bourdieu Pierre, « L’illusion biographique », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°62/63, juin 1986, p.69.

46 Idem, p.70.

(24)

base, c’est-à-dire l’écriture du journal : BloGs qUe J’m : sélection de blogues (dont la plupart des auteurs sont ses lecteurs réguliers) ; NoUv’Ls FrAîChes : derniers articles publiés ; VieiLLerieS : archives ; cHaPitreS : sélection d’articles selon diverses thématiques ([AnO]rcHideA’s life, CinéMa, LeCtuRe, X-pos, ArtS grAphiqueS) ; AnOr’s ShoW : autoportraits photographiques ; mauX vOléS : citations ; Images aléatoires : photographies diverses. Pour l’auteure, son blogue

« ne se résume plus à un journal, c'est carrément devenu un espace perso. »47 Les hyperliens contribuent ainsi à la création et la personnalisation de cet espace en lui donnant une structure complexe et variée. De plus, ils permettent au lecteur de créer son propre parcours de lecture et de se construire une vision personnelle du texte. Cette structure peut être mise en parallèle, d’autre part, à la structure non- linéaire des idées par opposition au format linéaire du livre. Elle fait naître un rapport interactif au blogue, offrant de nouvelles possibilités de lecture grâce à des embranchements au sein d’une même trame textuelle. La relation avec le lecteur s’en trouve alors transformée, se rapprochant plus d’un rapport dialogual que d’une situation discursive unilatérale. Il faut remarquer également que chaque nouvelle entrée vient s’ajouter à la précédente dans un ordre chronologique inverse, c’est-à- dire que le lecteur a une image renversée de la trame textuelle intime que le blogueur tisse peu à peu, brisant toute vision linéaire ou historique.

L’hypertextualité a donc une portée tout à fait pertinente dans l’expression de soi et la construction d’une identité. « Show me what your links are, and I’ll tell you what kind of person you are » affirme Hugh Miller.48 Chaque hyperlien permet au blogueur d’étendre la portée des informations qu’il souhaite faire apparaître sur son site, mais de façon annexe ou secondaire. Sur son site coexistent ainsi de multiples aspects de sa personnalité que le lecteur découvre au fil de sa navigation virtuelle. Par exemple, fagboy, autre blogueur de notre corpus, décide un mois après avoir créé son blogue de le doter d’une rubrique spécifique réunissant les articles en rapport avec sa séropositivité : « Vie de séropo »49, ou met en ligne des

47 cf. Annexes, Correspondance e-mail avec [AnO]rchiDeA.

48 Cité par Chandler Daniel, in Personal Home Pages and the Construction of Identities on the Web, août 1998.

http://www.aber.ac.uk/media/Documents/short/webident.html

49 fagboy, The Story of a Fag, L’histoire banale d’un pédé banal, 11 octobre 2005. Par commodité, nous ne mentionnerons en bas de page que le nom du diariste et de son blogue. Pour la référence internet complète, nous renvoyons le lecteur au corpus en annexe.

(25)

hyperliens menant à des sites luttant contre la peine de mort infligée aux homosexuels dans certains pays.50 Dans son article, Hugh Miller met également en avant l’idée de simultanéité qui sous-tend la structure hypertextuelle des blogues :

« The Web has the ability to present lots of pieces of information linked together in  complex ways with no necessary order or hierarchy. By using this, people can  present  many  aspects  of  themselves  simultaneously  (or  at  least  non‐

hierarchically),  or  their  extended  selves,  or  themselves as  nodes  within  an  extended community. » 51

Cette structure semble ainsi adaptée à l’écriture d’un moi discontinu et constitué de multiples strates superposées, se chevauchant parfois, qu’il paraît intéressant de pouvoir exprimer simultanément et de façon non-hiérarchique. Mais cette conception de l’individu repose sur le présupposé de non-linéarité, et nous envisageons qu’il puisse ne pas être celui de certains diaristes qui ont besoin de s’appuyer sur une structure d’écriture linéaire pour exprimer leur intimité : à chaque forme d’expression correspond un type de diariste particulier.

3.2 Les diaristes d’aujourd’hui : portrait des blogueurs intimes

Le nombre d’auteurs de journaux intimes sur internet est une donnée difficile à obtenir. A première vue, on pourrait penser qu’à x sites correspondent x blogueurs.

Mais la réalité n’est pas si simple, et il arrive que des internautes possèdent plusieurs blogues, parfois sous différents pseudonymes. Quant à leur profil, la question est la même : qui se cache sous ces noms d’emprunt ? Quelques études et nos recherches personnelles ont montré que les blogues sont principalement le fait de jeunes adultes, entre 18 et 35 ans. 52 Il est intéressant de noter que la classe d’âge la plus représentée diffère de celle du journal intime qui touche plutôt les (pré)adolescents, qui sont aussi très adeptes des blogues mais ne le sont souvent que de manière éphémère.53

50 fagboy, The Story of a Fag, L’histoire banale d’un pédé banal, 23 septembre 2005.

51 Miller Hugh, The Presentation of Self in WWW Home Pages, mars 1998.

http://www.ess.ntu.ac.uk/miller/cyberpsych/goffman.htm

52 Benoît Desavoye donne les profils d’âge suivants : 10-12 ans : 1,3% ; 13-19 ans : 51,5% ; 20- 29 ans : 39,6% ; 30-39 ans : 5,8 % ; 40-49 ans : 1 % ; 50-59 ans : 0,4% ; 60-69 ans : 0,3%. Source : http://www.perseus.com/blogsurvey, in Desavoye Benoît, Les blogs : nouveau média pour tous, Paris : M2 Ed., 2005, p.26.

53 Ceci explique le chiffre élevé donné par Benoît Desavoye pour la tranche d’âge des 13-19 ans.

(26)

De même, le genre des blogueurs intimes n’est pas toujours aisé à définir, et là encore l’anonymat rend les estimations difficiles. Certains auteurs se présentent de façon très complète (âge, sexe, profession, région de domicile, intérêts, etc.), alors que d’autres taisent volontairement leur identité. Il nous semble que les femmes, comme dans l’écriture de soi sur papier, sont majoritairement représentées. Mais certains auteurs, tels que Maryse Marpsat, émettent l’idée que « l’aspect valorisant conféré par la maîtrise technique supposée par l’usage d’internet, qui contrebalance l’image dévalorisée et dévirilisante du journal intime »54 ouvrirait la porte à une plus grande proportion d’hommes.55 La maîtrise des blogues ne requiert pas, nous l’avons dit, de connaissances informatiques poussées, mais ce nouveau type d’outil exige cependant d’y avoir un accès rapide et fréquent. La tendance générale du profil des blogueurs se dessine donc comme une population de jeunes adultes qui ont facilement accès à internet, aiment écrire, et ont souvent été précédemment ou simultanément diaristes sur papier. Leur chiffre ne cesse d’ailleurs d’augmenter au vu de la simplicité, de l’anonymat et des possibilités techniques d’internet.

3.2.1 Blogosphère : définition des nouvelles tribus virtuelles

Un blogueur écrit rarement sur internet pour lui seul ; il entre généralement en contact avec d’autres internautes qui comme lui possèdent un espace virtuel personnel. La culture propre des blogues est d’être interactive : la blogosphère désigne « l’ensemble des blogs et les connexions les reliant »56. Pour reprendre les termes de Miguel Benasayag, nous pourrions dire que ces interconnexions multiplient les « liens de surface » et « de communication ». Mais internet, au-delà d’une simple structure de partage d’information, donne aussi aux blogueurs une plateforme virtuelle sur laquelle un nouveau type de communauté peut se former.

Benoît Desavoye fait référence dans son ouvrage57 à un blogueur américain reconnu, Reynolds Glenn, qui compare ce phénomène à la naissance des cafés en

54 Marpsat Maryse et Vanderburg Albert, Le Monde d’Albert la Panthère, Paris : Bréal, 2004, p.235.

55Bernard Lahire souligne également une différence des genres face à l’utilisation de l’écriture :

« Les hommes qui désertent très largement le territoire des écritures domestiques « justifient » cette désaffection notamment en invoquant une sorte de fierté masculine ou d’honneur masculin liés à la mémoire incorporée. » in Lahire Bernard, « Les pratiques ordinaires d’écriture en action ! », in L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris : Nathan, 2001, p.205.

56 Desavoye Benoît, Les blogs : nouveau média pour tous, Paris : M2 Ed., 2005, p.51.

57 Ibidem.

(27)

Europe au XVIIIe siècle : lieux de débats, d’échanges d’idées, ils créaient, de même que les blogosphères aujourd’hui, des liens sociaux parallèles à la vie familiale et professionnelle, et s’établissaient selon les intérêts, croyances ou affinités communs de ceux qui y participaient. Ce parallèle avec l’espace social que peut être le café est également fait par [AnO]rchiDeA: « A travers les mots j'essaie de déchiffrer la personne, et si elle a du chien j'accroche de suite. Je ne me vois pas voyeuse... j'ai juste l'impression de partager un truc avec la personne. Comme si j'étais au café avec elle et qu'on se racontait le compte... »58 Cette comparaison simple et efficace met à jour le fonctionnement des blogosphères, constituées selon les sélections faites par les internautes en fonction de ces mêmes critères d’intérêts communs. Les cercles se forment, se déforment et se transforment ainsi rapidement, personne n’y étant attaché autrement que par la volonté d’en faire partie.

La société actuelle, bien que souvent considérée comme individualiste, offre paradoxalement une multiplication de groupes de partage dans lesquels l’individu peut développer ou exprimer tel ou tel aspect de sa personnalité ; les blogosphères peuvent être considérées comme tels. Ce type d’association se base sur des codes propres, et leur nature varie en fonction de leur structure. Nous parlerons plutôt de tribu virtuelle que de communauté, selon la distinction établie par Federico Casalegno.59 Ce type de microsocialisation peut être important pour des catégories d’individus manifestant des difficultés à s’exprimer dans la vie réelle, mais désirant se lier à d’autres individus partageant les mêmes préoccupations. Pour Paul, un blogueur cité par Daniel Chandler, « [Internet] facilitates association by quite specific personal characteristics (being gay, a second generation British Asian, a disabled woman, etc.) rather than geography or incidental interests (liking a certain kind of music for example). »60

58 cf. Annexes, Correspondance e-mail avec [AnO]rchiDeA.

59 « […] les nouvelles technologies permettent, en même temps, la formation de "communautés", c’est-à-dire des agrégations structurées entre individus, plutôt finalisées, avec des structures hiérarchiques et instrumentales, de même que la cristallisation des "tribus", c’est-à-dire des formes d’associations plus éphémères, transversales et empathiques […]. Les deux formes peuvent bien sûr coexister, mais elles ne coïncident pas. » Cité par Desavoye Benoît, Les blogs : nouveau média pour tous, Paris : M2 Ed., 2005, p.54.

60 Chandler Daniel, Personal Home Pages and the Construction of Identities on the Web, août 1998.

http://www.aber.ac.uk/media/Documents/short/webident.html

Références

Documents relatifs

1. Le soutien au fonctionnement est une partie de la dotation d’un État membre qui peut servir à aider les autorités publiques chargées d’accomplir des tâches et de fournir

«mégadonnées»), (2) la création et la gestion d’un répertoire de l’Union rassemblant les informations utiles aux activités de certification, de supervision et

(19) Afin de renforcer la transparence et d’assurer un degré adéquat d’harmonisation, le pouvoir d’adopter des actes conformément à l’article 290 du traité sur le

La proposition de règlement est une mesure d’urgence présentée par la Commission au Conseil en vue de fournir une assistance financière de l’Union aux États membres dans un

(8) Afin de garantir une reprise durable et résiliente dans toute l’Union et de faciliter la mise en œuvre du soutien économique, il convient de recourir aux mécanismes

Le financement de projets ou l’assistance technique ne constitueraient pas des instruments adéquats ou suffisants pour atteindre ces objectifs macroéconomiques.

Compte tenu de ce qui précède, l’aide au titre du règlement sur l’aide d’urgence (2016/369) devrait être activée dès que possible, ce qui permettra à l’Union

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) nº 2012/2002 du Conseil en vue de fournir une aide financière aux États membres et aux