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Dépression et reconstruction identitaire : intégration de l'expérience de la dépression et changements bénéfiques dans la vie professionnelle

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Academic year: 2021

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(1)

Dépression et reconstruction identitaire :

intégration de

l'expérience de la dépression et changements

bénéfiques dans la vie professionnelle

Mémoire

Nicole Ouellet

Maîtrise en sciences de l'orientation - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

Dépression et reconstruction identitaire :

Intégration de l’expérience de la dépression et changements

bénéfiques dans la vie professionnelle

Mémoire

Nicole Ouellet

Sous la direction de :

(3)

Résumé

Ce mémoire a pour objectif de mieux comprendre les remaniements identitaires qui s’associent à la dépression et qui mènent à des changements importants et positifs jusque dans la vie scolaire ou professionnelle. Plus précisément, il examine les répercussions proximales de la dépression, les processus identitaires associés, le rôle des professionnels de l’aide ainsi que le sens donné à cet évènement de la dépression au regard de sa biographie. Cette problématique se révèle pertinente dans le domaine des sciences de l’orientation puisque la dépression est une menace importante à l’insertion socioprofessionnelle et que les conseillers d’orientation sont de plus en plus appelés à accompagner des personnes rencontrant ou ayant rencontré ce problème de santé mentale. Pour répondre à l’objectif de ce mémoire, une méthodologie de nature qualitative a été empruntée. Des entretiens approfondis de type récit de vie ont été réalisés auprès de quatre personnes ayant vécu une dépression. Les résultats montrent que cette dernière peut constituer une crise identitaire majeure à partir de laquelle un retour à soi est utilisé comme tremplin pour repenser ses choix et effectuer des changements professionnels qui permettent une vie plus satisfaisante. Les résultats montent également que les professionnels de la relation d’aide peuvent y jouer un rôle primordial notamment dans la compréhension de la crise et le travail du projet, mais d’abord en accueillant et en légitimant la personne en dépression aux prises avec des insécurités identitaires.

(4)

Table des matières

RÉSUMÉ ... II

TABLE DES MATIÈRES ... III

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX ... VI

REMERCIEMENTS ... VIII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE ... 3

1.1

CONSEILLER D’ORIENTATION AU QUÉBEC : PROFESSIONNEL DE LA SANTÉ MENTALE ... 3

1.2

DÉPRESSION ET TRAVAIL ... 4

1.3

LA DÉPRESSION COMME CRISE IDENTITAIRE ET ÉVÉNEMENTS DE VIE ... 6

1.4

OBJECTIFS ET QUESTIONS DE RECHERCHE ... 7

CHAPITRE 2 : CONTEXTE THÉORIQUE ... 9

2.1

DÉPRESSION : DE LA VISION BIOMÉDICALE À LA VISION CONTEXTUELLE ... 9

2.1.1

Perte de sens, image de soi douloureuse et panne d’action au cœur de la dépression contemporaine ... 13

2.1.2

La sphère du travail intimement liée à l’épreuve dépressive ... 17

2.2

L’IDENTITÉ ... 18

2.2.1

L’identité en contexte ... 19

2.2.2

L’identité : notion complexe et dialectique ... 20

2.2.3

Rôles et statuts ... 27

2.2.4

Construction identitaire et autrui ... 28

2.2.5

Approche biographique de la construction de l’identité ... 31

2.2.6

Événements et bifurcations biographiques dans la construction de l’identité ... 33

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ... 40

3.1

ORIENTATION MÉTHODOLOGIQUE GÉNÉRALE ET POSTURE ÉPISTÉMOLOGIQUE ... 40

3.2

MÉTHODE DE COLLECTE DE DONNÉES ... 41

3.3

MÉTHODE DE RECRUTEMENT ET PARTICIPANTES ... 42

3.3.1

Participantes à l’étude ... 44

3.4

MÉTHODE D’ANALYSE DES DONNÉES ... 45

3.4.1

Lectures préliminaires ... 45

3.4.2

Choix des unités de classification ... 45

3.4.3

Processus de catégorisation et de classification ... 46

3.4.4

Description scientifique : analyse qualitative ... 48

3.4.5

Interprétation ... 51

CHAPITRE 4 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ET DISCUSSION ... 52

4.1

PORTRAITS DU PARCOURS DES QUATRE PARTICIPANTES ... 52

4.1.1

Sandra ... 52

4.1.2

Clara ... 55

4.1.3

Marguerite ... 57

4.1.4

Stéphanie ... 59

4.2

(QR1)RÉPERCUSSIONS DE LA DÉPRESSION ... 61

(5)

4.3

(QR2)PROCESSUS IDENTITAIRES ... 73

4.3.1

Crise identitaire de la dépression ... 74

4.3.2

Formation de la crise : la première hélice perd de sa force ... 74

4.3.3

Paroxysme de la crise: vide et enrayement de la double hélice ... 84

4.3.4

Sortir de la crise : la seconde hélice en mouvement et les ingrédients de l’action sur sa biographie ... 88

4.4

(QR3)LE RÔLE ET LES EFFETS PERÇUS DE L’AIDE PROFESSIONNELLE ... 99

4.4.1

Qualité de la relation ... 100

4.4.2

Être entendue et légitimée pour sortir de la crise identitaire ... 102

4.4.3

Coconstruire le sens ... 105

4.4.4

En résumé : accueil, légitimation et intégration au service d’un nouveau projet de soi ... 107

4.5

(QR4)LA DÉPRESSION COMME ÉVÉNEMENT DE VIE SIGNIFICATIF ... 108

4.5.1

Une épreuve nécessaire ... 108

4.5.2

Un cadeau de la vie ... 110

4.5.3

Ressource pour le présent et l’avenir ... 114

4.5.4

De la contrainte à de nouvelles formes de libertés d’action sur sa biographie ... 116

4.6

RETOMBÉES ET LIMITES DE L’ÉTUDE ... 119

4.6.1

Retombées pratiques et théoriques ... 119

4.6.2

Limites de l’étude ... 121

4.6.3

Pistes de recherche ... 123

CONCLUSION ... 125

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 129

ANNEXE A : SANDRA ... 139

A.1.

PORTRAIT DU PARCOURS DE SANDRA ... 139

A.2.

RÉPERCUSSIONS (QR1) ... 141

A.3.

PROCESSUS IDENTITAIRES (QR2) ... 144

A.3.1.

De la force « programmée » à la déstructuration ... 144

A.3.2.

Panne d’action et image de soi douloureuse ... 146

A.3.3.

Incapacité-s ... 146

A.3.4.

Image de soi ... 149

A.3.5.

Rapport à autrui et dépression ... 153

A.3.6.

Sortir de la crise, changer ... 157

A.4.

SENS ET INTÉGRATION DE LA DÉPRESSION (QR4) ... 162

A.4.1.

Questionnements et construction du sens de son expérience ... 163

A.4.2.

La dépression : expérience douloureuse, mais nécessaire ... 164

A.5.

LE RÔLE ET LES EFFETS PERÇUS DE L’AIDE PROFESSIONNELLE (QR3) ... 166

A.5.1.

Travailleuse sociale ... 167

A.5.2.

Médecin de famille et psychiatre ... 169

ANNEXE B : CLARA ... 171

B.1.

PORTRAIT DU PARCOURS DE CLARA ... 171

B.2.

RÉPERCUSSIONS (QR1) ... 172

B.3.

PROCESSUS IDENTITAIRES (QR2) ... 175

B.3.1.

Avancer dans un sillon déjà tracé ... 175

B.3.2.

Un rêve identitaire à l’épreuve de la réalité : avancer vers un mur ... 176

B.3.3.

Se reconstruire, personnellement et professionnellement ... 182

B.4.

LE RÔLE ET LES EFFETS PERÇUS DE L’AIDE PROFESSIONNELLE (QR3) ... 190

B.4.1.

Travailleuse sociale et psychothérapeute ... 191

B.4.2.

Conseillère d’orientation ... 195

B.4.3.

Groupe de supervision ... 197

(6)

B.5.1.

Une épreuve nécessaire ... 198

B.5.2.

Un cadeau ... 198

B.5.3.

Une ressource pour un parcours cohérent ... 199

ANNEXE C : MARGUERITE ... 201

C.1.

PORTRAIT DU PARCOURS DE MARGUERITE ... 201

C.2.

RÉPERCUSSIONS (QR1) ... 202

C.3.

PROCESSUS IDENTITAIRES (QR2) ... 204

C.3.1.

Vivre pour les autres, être fusionnée aux autres ... 204

C.3.2.

Implosion et déstabilisation identitaire ... 206

C.3.3.

Se relever et se choisir : le temps de la rémission ... 207

C.3.4.

Se réparer, se reconstruire ... 215

C.4.

LE RÔLE ET LES EFFETS PERÇUS DE L’AIDE PROFESSIONNELLE (QR3) ... 219

C.4.1.

Psychologue ... 219

C.4.2.

Conseillère d’orientation ... 221

C.5.

SENS ET INTÉGRATION DE LA DÉPRESSION (QR4) ... 223

C.5.1.

Nécessité pour cheminer ... 223

ANNEXE D : STÉPHANIE ... 225

D.1.

PORTRAIT DU PARCOURS DE STÉPHANIE ... 225

D.2.

RÉPERCUSSIONS (QR1) ... 227

D.2.1.

Arrêt et réactions de Stéphanie ... 227

D.3.

PROCESSUS IDENTITAIRES (QR2) ... 229

D.3.1.

Être aidante dans un système déshumanisé ... 229

D.3.2.

Entrée officielle dans la dépression ... 231

D.3.3.

Changements d’image et ouverture affective ... 234

D.3.4.

Une formation pour donner une nouvelle forme à sa vie ... 243

D.4.

LE RÔLE ET LES EFFETS PERÇUS DE L’AIDE PROFESSIONNELLE (QR3) ... 247

D.4.1.

Difficultés à obtenir de l’aide ... 247

D.5.

SENS ET INTÉGRATION DE LA DÉPRESSION (QR4) ... 251

D.5.1.

Une maladie à démystifier ... 251

D.5.2.

Une expérience extrême ... 252

D.5.3.

Une expérience nécessaire ... 253

ANNEXE E : CRITÈRES DIAGNOSTIC SELON LE DSM-5 ... 254

ANNEXE F : ANNONCE DE RECRUTEMENT ... 255

ANNEXE G : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ... 257

ANNEXE H : QUESTIONNAIRE SOCIODÉMOGRAPHIQUE ... 260

ANNEXE I : LIGNE DE VIE ... 262

ANNEXE J : GUIDE D’ENTRETIEN ... 264

(7)

Liste des figures et tableaux

Figure 1: Logique fissionnelle de la dynamique identitaire ... 21

Figure 2: Logique fusionnelle de la dynamique identitaire ... 21

Figure 3: Modèle théorique de la double hélice de Kaufmann (2008) ... 25

Figure 4: Dynamique entre l'analyse verticale et l’analyse horizontale selon Gaudet et Robert (2010) ... 50

Tableau 1: Répercussions proximales de la dépression ... 68

Tableau 2: Double hélice chez les participantes ... 87

Tableau 3: Logique fissionnelle et fusionnelle pour les participantes ... 89

(8)

À Élodie, ma petite « fleur des champs ».

Pour que jamais tu n’oublies de regarder vers le ciel. Dans la nuit, cherche les étoiles.

(9)

Remerciements

Ce projet ne serait jamais arrivé à bon port sans le souffle, le phare et les coups de rame de plusieurs personnes. Je désire leur témoigner ici toute ma gratitude pour avoir été présents lors de ce long trajet, chacun à leur manière.

Je remercie d’abord les participantes qui ont si généreusement contribué à ce projet. Je tiens à leur témoigner ma profonde gratitude pour la confiance qu’elles m’ont accordée et pour tout le soin qu’elles ont mis à partager leur récit. Leurs témoignages ont été d’une grande richesse pour cette étude, mais également sources de leçons de vie pour la personne que je suis. Je souhaite que ce mémoire s’inscrive dans un prolongement cohérent de ce don qu’elles ont fait.

Je tiens également à remercier Chantal Leclerc, professeure en sciences de l’orientation, maintenant retraitée et première directrice de ce projet. Cette chercheure chevronnée, notamment en ce qui concerne les questions de santé psychologique au travail, a été d’une inspiration et d’une aide précieuse. Je souligne ici son analyse toute en finesse et ses commentaires toujours bienveillants qui m’ont enrichie comme étudiante et aussi comme personne. Malgré le départ à la retraite, elle a su demeurer un soutien indéfectible, à bien des égards. Je ne la remercierai jamais assez pour cette aide incommensurable, véritable protection contre l’écueil du découragement.

Je souhaite également remercier celle qui a repris le flambeau de la direction de ce mémoire, Marcelline Bangali, professeure en sciences de l’orientation et spécialiste de la construction identitaire. Elle a su s’arrimer à ce projet avec enthousiasme et y apporter un regard différent, rigoureux et toujours ouvert aux questionnements. Ses exigences de cohérence et de clarté m’ont permis de me dépasser et de raffiner la rédaction de ce mémoire. Je souligne ici également sa patience ainsi que son grand respect de mon contexte de vie et du rythme de croisière très modeste qui a été le mien. Sans cette attitude de sa part, je n’aurais pas eu la capacité de me rendre à destination. Infiniment merci.

Ce mémoire marque la fin de mon parcours de retour aux études, un itinéraire marqué par la rencontre avec d’autres professeurs et personnel d’enseignement ou d’encadrement que je remercie également. Ils ont enrichi le bagage qui m’a permis de cheminer jusqu’à la réalisation de ce mémoire. J’adresse une pensée toute spéciale à Chantale Jeanrie, également professeure en sciences de l’orientation. Grande passionnée dans ses enseignements, elle est à l’origine de mes premières connaissances et mes premiers élans pour le monde de la recherche. En outre, je lui serai toujours reconnaissante de m’avoir invitée à discuter avec elle et de m’avoir accueillie avec ce grand respect de l’être humain que je lui connais. Je lui suis redevable d’avoir vu chez-moi un potentiel pour la

(10)

recherche et d’avoir pu faire en sorte que d’autres interlocuteurs croient en moi et m’appuient dans mon projet.

Je reconnais ici également la précieuse aide financière du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) qui a facilité mon investissement personnel dans ce projet de mémoire.

Il m’importe également de remercier les professeurs qui ont accepté de lire ce mémoire et d’en faire l’évaluation. Je me considère privilégiée de pouvoir bénéficier bientôt de leur regard. Je suis d’autant plus reconnaissante que je devine la densité de leur quotidien au travail et que je devine également le temps et l’investissement personnel que nécessite leur rôle.

Il convient maintenant de terminer ces remerciements en soulignant l’apport de mon entourage personnel, oh combien nécessaire tout au long de ce voyage. Merci à mes précieux amis de leurs encouragements inconditionnels. Ils ont su être comme un lieu de rassurance lorsque la tempête me faisait douter. Ils ont su également rester compréhensifs et présents pour moi, malgré mes propres failles de présence à eux. Cela est d’une valeur inestimable.

Je remercie également ma famille. Je souligne ici l’apport de mon père, source d’inspiration par son désir de comprendre les choses, sa vivacité d’esprit et son audace. Un merci tout particulier à mes beaux-parents pour avoir été d’une si grande et si belle disponibilité, notamment pour leur aide concrète dans ma gestion étude-travail-famille…

Un merci tout spécial à Christian, mon « grand p’tit mari » qui est resté près de moi, beau temps, mauvais temps. Je n’aurais pu me rendre où je suis sans que ce jardinier des cœurs ne m’aide d’abord, il y a longtemps, à cultiver les fleurs de mon jardin… Je reconnais également ici tout ce que cela lui a demandé de m’accompagner sur cette route de retour aux études et dans la réalisation de ce mémoire. L’espace est bien trop petit ici pour témoigner de l’immensité de son apport au long cours, quotidiennement, jour après jour. Un immense merci d’avoir été là et d’y être encore…

À travers ce mémoire qui prenait vie tranquillement, une petite « fleur des champs » a vu le jour. Elle a fleuri et embelli le chemin. Je remercie ma fille, Élodie, pour cette contemplation dont elle a été la source et pour toute sa joie de vivre si communicative. À travers le quotidien exigeant et affairé des dernières années, elle m’a bien souvent ramenée à l’essentiel.

(11)

Introduction

Ce mémoire s’intéresse aux remaniements identitaires qui s’associent à l’expérience de la dépression et qui mènent à des changements dans la vie de la personne concernée. Nous portons un intérêt particulier aux changements scolaires ou professionnels considérés comme importants et bénéfiques à l’issue de cette expérience déstabilisante et souffrante de la dépression. Il appert que cette problématique est pertinente au regard de la pratique de l’orientation scolaire et professionnelle en raison notamment de l’évolution de la profession au Québec.

En effet, depuis quelques décennies, la profession de conseiller d’orientation (c.o.) a connu une évolution importante, prenant une place plus marquée dans le domaine de la relation d’aide. L’adoption de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines a contribué à cette reconnaissance des c.o. comme professionnels de la santé mentale au Québec. Ainsi, les c.o. s’ouvrent de plus en plus à diverses populations dont celle qui souffre de troubles de la santé mentale comme la dépression.

Qualifiée de mal du siècle, la dépression est la première cause mondiale d’incapacité et constitue une réelle menace à l’insertion socioprofessionnelle. Les liens établis entre la dépression et le travail indiquent que ce trouble a des répercussions négatives importantes sur l’économie d’un pays, sur la productivité des organisations, mais aussi sur le plan humain, notamment sur la vie professionnelle des individus.

Malgré le fait que la dépression soit habituellement associée dans la littérature à des répercussions négatives qui peuvent aller jusqu’au suicide et malgré qu’elle s’inscrive dans la souffrance, elle aurait potentiellement un versant constructif, positif. En effet, il semble que cela puisse être appréhendé comme un événement de vie et puisse constituer une expérience vitale, une période de remise en question et de changement menant à des ajustements bénéfiques. Peuvent s’en suivre des changements d’attitudes, de choix de vie, de projets et des remaniements identitaires. Cet aspect constructif de la dépression semble peu étudié.

Croisant panne de sens, panne d’action et perte d’estime de soi, la dépression serait l’exemple le plus répandu de crise identitaire dans notre société contemporaine. Capable de bouleverser la perception de soi, des autres et du monde, la dépression touche à des aspects majeurs de l’identité.

En s’inscrivant dans cette problématique générale présentée au premier chapitre, le présent mémoire s’intéresse donc au phénomène de la dépression sous l’angle de cette notion d’identité, centrale en orientation scolaire et professionnelle (OSP). Ainsi, nous cherchons à mieux comprendre les remaniements identitaires qui s’associent à dépression et qui mènent à des changements importants

(12)

et bénéfiques dans la vie scolaire ou professionnelle. Cela constitue l’objectif général du présent mémoire.

Pour explorer la question, au deuxième chapître nous présentons un cadre théorique contextuel qui croise deux disciplines utiles à l’OSP, la psychologie et la sociologie. Ainsi, la dépression est présentée comme un phénomène personnel et social. Des éléments du contexte de la société contemporaine sont mis en lumière comme constituant un terreau favorable pour les effondrements individuels tels que la dépression. Également, la personne en dépression serait une contre-figure des exigences sociale, elle se retrouve en situation de handicap social dont il est parfois difficile de sortir. L’identité est également présentée dans ce deuxième chapître comme une notion éminemment sociale et personnelle pouvant se comprendre à travers ses différentes dialectiques. Une attention particulière est portée également à l’apport d’autrui dans la construction identitaire dans le but de notamment mieux comprendre le rôle de professionnels de la relation d’aide auprès de la personne qui vit ou se sort d’une dépression. Afin de mieux comprendre les remaniements identitaires qui s’associent à la dépression et qui créent des changements dans la vie professionnelle, nous présentons une approche biographique de l’identité, par le biais de notions telles que l’évènement ou la bifurcation. Ce cadre théorique nous permettra de mieux comprendre également comment la dépression s’intègre dans la biographie comme évènement de vie significatif.

Le troisième chapitre présente la méthodologie choisie en fonction de ce cadre théorique, de l’objectif général de l’étude ainsi que les questions de recherche. Sont donc présentées la méthode de cueillette de donnée qui s’inscrit dans l’approche biographique, la méthode de recrutement, les participantes à l’étude ainsi que la méthode d’analyse des données. Celle-ci constitue une combinaison de l’analyse verticale et horizontale dite également transversale.

Le quatrième chapitre présente les résultats de l’analyse sur un mode davantage transversal. Ces résultats sont interprétés et discutés largement à la lumière des connaissances issues du cadre théorique. Ce quatrième chapitre est l’hôte également d’une réflexion sur les apports et les limites de l’étude en plus des pistes potentielles de recherche.

Le corps de ce mémoire se termine par une conclusion qui fait office de synthèse de l’ensemble de la démarche de cette étude et des résultats qui en ont émergé.

Les annexes présentent des éléments d’information sur la démarche de recrutement et de cueillette de données tels que l’annonce de recrutement, le formulaire de consentement ou le guide d’entretien. On y trouve également les analyses verticales de chaque récit recueilli.

(13)

Chapitre 1 : Problématique

Ce premier chapitre expose la problématique à l’origine de la présente étude, contextualise le sujet et en montre la pertinence dans le domaine des sciences de l’orientation au Québec. Un aperçu de certains éléments de la pratique de la profession de conseiller d’orientation (c.o.) met en évidence le rôle de ceux-ci et leurs responsabilités spécifiques en matière d’accompagnement des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale comme la dépression. Cet aperçu situe également cette pratique dans son contexte légal. Suit une présentation du phénomène social grandissant de la dépression et de ses liens avec le travail afin de mieux en comprendre les implications en matière d’insertion socioprofessionnelle ainsi que les coûts humains et sociaux associés. Est ensuite proposée une vision émergente, psychologique et sociale de la dépression, vécue comme crise identitaire. Cette dernière est mise en lien avec les événements de vie qui peuvent s’y associer, avec les bouleversements qu’elle entraîne, mais aussi avec les possibilités qu’elle peut ouvrir. Le chapitre se poursuit en mettant en évidence l’importance de la contribution d’autrui dans la sortie d’une crise identitaire telle qu’une dépression. Finalement, ce premier chapitre se termine par l’objectif général de l’étude ainsi que les questions de recherche qui en découlent.

1.1 Conseiller d’orientation au Québec :

professionnel de la santé mentale

Depuis sa création au début du XXe siècle, la profession de conseiller d’orientation (c.o.) a connu des

mutations considérables au Québec. D’abord cantonnés presque exclusivement au secteur scolaire et dans un travail auprès d’une population adolescente (Mellouki & Beauchemin, 1994), les c. o. sont maintenant présents dans les secteurs organisationnels, communautaires, de la réadaptation, de l’employabilité et de la pratique privée (OCCOQ, 2019). Par ailleurs, le contexte actuel du marché du travail voit évoluer les travailleurs à travers des trajectoires complexes où l’orientation se fait maintenant de l’enfance jusqu’au-delà de la retraite. Ainsi, les c.o. sont plus que jamais appelés à travailler dans de multiples milieux, avec des populations diversifiées. Ils sont confrontés à toutes sortes de problématiques, dont celles touchant à la santé mentale (Bastien, 2011; Cournoyer, Lepire, & Lachance, 2018).

En 2012, le Gouvernement du Québec (2013) mettait en application le Projet de loi 211 qui encadre

les pratiques professionnelles dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Cette disposition législative est venue délimiter le champ de pratique de divers intervenants travaillant auprès de personnes qui présentent des problèmes de santé mentale. Dès lors, les conseillers

1 Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des

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d’orientation ont vu l’énoncé de leur champ d’exercice redéfini et des activités du domaine de la santé mentale leur sont maintenant réservées, conjointement avec d’autres professionnels. Les c.o. sont reconnus comme des professionnels habilités à évaluer et accompagner les personnes ayant des troubles mentaux2. Ces actes professionnels doivent être interprétés en fonction de leur champ

d’exercice :

Évaluer le fonctionnement psychologique, les ressources personnelles et les conditions du milieu, intervenir sur l’identité ainsi que développer et maintenir des stratégies actives d’adaptation dans le but de permettre des choix personnels et professionnels tout au long de la vie, de rétablir l’autonomie socioprofessionnelle et de réaliser des projets de carrière chez l’être humain en interaction avec son environnement. (Gouvernement du Québec, 2019, C-26, Article 37, paragraphe i).

Le champ d’exercice des c.o. peut aussi s’inscrire dans une démarche plus globale de psychothérapie sous certaines réserves 3 . Ces reconnaissances législatives amènent des

responsabilités et une imputabilité pour les conseillers d’orientation qui ont, aujourd’hui, de plus en plus à travailler avec des populations fragilisées et avec des problématiques complexes (Bastien, 2011). Dans ce contexte, les c.o. du Québec ont maintenant une obligation plus nette de mettre leur formation et leurs connaissances à jour en ce qui concerne les problématiques de santé mentale (Bastien, 2011) comme la dépression, le trouble le plus répandu au Québec (MSSS, 2010). Or, il semble que l’accompagnement en orientation des personnes qui vivent ou se remettent d’un épisode dépressif ait peu retenu l’attention de la communauté scientifique. Pourtant, les connaissances actuelles montrent que la dépression serait une véritable menace à l’insertion socioprofessionnelle (OMS, 2018), domaine de pratique principale des c.o. Il devient donc d’autant plus pertinent d’étudier de plus près les liens entre travail, orientation scolaire ou professionnelle (OSP) et dépression.

1.2 Dépression et travail

La dépression peut se décliner en diverses dénominations catégorielles selon les acceptions, les symptômes et le degré d’atteinte. Dans tous les cas, il y a présence d’une souffrance psychique et lors d’une dépression sévère, le fonctionnement de toutes les sphères de la vie de la personne peut être affecté, dont la sphère professionnelle (OMS, 2018).

On admet qu’il serait urgent d’étudier davantage les troubles de la santé mentale et tout particulièrement la dépression, cela, en raison de l’ampleur du phénomène (Corbière et al., 2014). En effet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2017, 2018) estime que la dépression est la première cause d’incapacité dans le monde. Le phénomène est particulièrement en augmentation dans les sociétés modernes (APA, 2000) comme le Québec. Qualifiée par certains de mal du siècle, la dépression est connue comme le trouble mental le plus fréquent au Québec (MSSS, 2010). On

2 Sous réserve d’obtenir une attestation de formation adéquate (Gouvernement du Québec, 2013)

3 Sous réserve d’obtenir un permis délivré par l’Ordre des psychologues du Québec. Pour plus de détails sur les conditions,

(15)

estime que 14 % des Québécois connaissent un épisode de dépression majeure au cours de leur vie et cette prévalence est de 4,8 % pour une période de douze mois (ISQ, 2008). Cette prévalence élevée de la dépression est reconnue comme environ deux fois plus marquée chez les femmes que chez les hommes (Canadian Psychiatric Association, 2001; Otero, 2012).

Ce trouble est donc marqué par l’ampleur de sa prévalence, mais aussi par les conséquences humaines qu’il engendre, en terme de souffrance psychique, de perte de qualité de vie, de stigmatisation, de discrédit ou d’isolement social (Salois, 2012). Les conséquences humaines sont parfois d’une gravité fatale. En effet, on évalue à entre sept et onze années la réduction de l’espérance de vie des personnes qui connaissent au moins un épisode de dépression (Chesney, Goodwin, & Fazel, 2014), les diverses études montrant des liens très étroits entre les troubles dépressifs et les risques suicidaires (Rihmer, 2007). De plus, au moins 25 % des suicides pourraient avoir un lien direct avec le travail (Huez, 2003) . Un travail qui perd de son sens serait source de souffrance, il fragiliserait la santé mentale et potentiellement, le lien à la vie. (Gaulejac, 2011; Masclet, 2005; Molinier & Flottes, 2012; E. Morin, 2008)

En plus des coûts humains pour les personnes directement affectées et leurs proches, la dépression engendre des coûts économiques pour la société entière. Une étude commandée par la Commission de la santé mentale du Canada en 2011 révélait que les troubles mentaux sont associés à des coûts directs annuels s’élevant en dollars à plus de 26 milliards. Ces coûts directs comprennent notamment le soutien au revenu, les hospitalisations et la médication, y compris les antidépresseurs. Massivement, le traitement de choix de la dépression octroyé par les intervenants de première ligne (Otero, 2012), la prescription d’antidépresseur a plus que doublé au Canada entre 2000 et 2015 (OCDE, 2017). Cela malgré les diverses controverses et mises en garde (Conseil du médicament, 2008; Fleury & Grenier, 2012)4. Seulement au Québec, pour l’année 2018, La Régie de l’assurance

maladie a remboursé plus de 83 millions de dollars pour les antidépresseurs (RAMQ, 2019).

Quant aux coûts indirects associés à la dépression, au Canada ils sont évalués à 83,1 milliards de dollars par année, surtout en raison des périodes d’invalidité au travail (Harnois, Salvador, Gilbert, Dubé, & Cid, 2011). En outre, on estime qu’entre 30 et 60 % des coûts sociaux associés à la dépression relèvent de la baisse de productivité au travail (Corbière et al., 2014). Les répercussions

4 Les dépenses massives associées aux antidépresseurs font l’objet de remise en question notamment en raison de

l’efficacité de ceux-ci ; des études montrent que leurs bénéfices seraient comparables à ceux d’un placebo (considérant les effets secondaires des antidépresseurs), sauf possiblement dans le cas d’une dépression considérée majeure (Kirsch et al., 2008; Latimer, Bond, & Drake, 2011). Quant aux mises en garde au Canada, elles concernaient « certains antidépresseurs » dont l’usage pourrait comporter un « risque suicidaire » ainsi qu’un « risque accru de gestes autodestructeurs ou de faire mal à autrui » (Conseil du médicament, 2008, p. 17). À propos, plutôt que de parler de « certains antidépresseurs » Otero (2012, p. 146) souligne qu’il serait plus juste de parler de « la majorité des antidépresseurs » puisque ces mises en garde se rapportent à 70% des antidépresseurs vendus à la population. Les antidépresseurs seuls ne seraient donc pas une panacée. Or, on estime qu’entre 80% et 90% des personnes qui consultent pour un problème de santé mentale reçoivent seulement une prescription de médication alors que les appréciations de la population ainsi que les recommandations des spécialistes vont dans le sens d’un meilleur accès à la psychothérapie et au counseling (Salois, 2012).

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négatives de la dépression sur la vie professionnelle en termes d’absentéisme, de perte de rendement, de souffrance au travail et d’autodévalorisation sont d’ailleurs bien documentées (Gilmour & Patten, 2005; Lhuilier, 2009; Raffaitin & Raffaitin-Bodin, 2008).

Inversement, l’influence du travail sur les problèmes de santé mentale, notamment la dépression, a aussi été étudiée. Les différentes études mettent en lumière des facteurs de risque tels que l’horaire de travail, la précarité, le type de profession, le déséquilibre entre l’effort investi et la reconnaissance (Siegrist, 1996, 2000), un faible soutien social associé à une grande exigence psychologique et un faible niveau de latitude (J V Johnson & Hall, 1988; Jeffrey V. Johnson, Hall, & Theorell, 1989; Karasek & Theorell, 1990) et, primordialement, un niveau élevé de tension, contraintes et de stress (Shields, 2006). De façon plus globale, on pointe le contexte de mondialisation, de compétitivité et d’exigences de haute performance et d’adaptabilité qui teinte de plus en plus le marché du travail actuel (Freitag, 1999; Gaulejac, 2011; Lhuilier, 2009).

Malgré les nombreuses études empiriques, souvent quantitatives, qui établissent des liens entre dépression et travail, d’autres approches, qualitatives et pluridimensionnelles, s’imposent pour mieux comprendre les processus psychiques en jeu dans la dépression et dans les relations de la personne à elle-même, à son histoire, aux autres et à l’activité de travail (Lhuilier, 2009). Cette compréhension suppose de prendre en compte l’individu dans sa globalité et de voir l’interaction entre certaines fragilités personnelles et le domaine du travail (Ibid.). Dès lors, il est possible de reconnaître la pertinence d’études qui se penchent sur les processus internes et complexes par lesquels s’inscrit le vécu dépressif dans la vie d’un travailleur. C’est dans cette perspective que le présent mémoire se situe en abordant cette crise de la dépression par les rives d’une notion complexe, globale et centrale en orientation scolaire et professionnelle : l’identité.

1.3 La dépression comme crise identitaire et événements

de vie

La dépression est souvent dépeinte par ses aspects négatifs, décrite notamment comme une crise réactionnelle qui ferait suite à un événement biographique majeur et souffrant, tel qu’un licenciement inattendu au travail (Dubar, 2000a). Toutefois, elle pourrait constituer en elle-même un événement biographique en tant que trouble psychopathologique (Pachoud, 2005). Or, il est admis que les événements biographiques ont le potentiel de réorienter la trajectoire de vie et déboucher sur une issue positive (Hélardot, 2007; Legrand, 2004). Le présent mémoire suggère de se pencher sur la sortie de crise dépressive qui a pu mener à une insertion socioprofessionnelle davantage satisfaisante et impliquant forcément des changements identitaires chez l’individu concerné. En effet, la dépression peut toucher profondément la personne et même la changer dans ce qu’elle est, transformer ses valeurs, ses croyances, ses buts, sa perception d’elle (Dubar, 2000a), allant parfois

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jusqu’à modifier ses traits de personnalité (Costa, Bagby, Herbst, & McCrae, 2005). Dubar (2000a) parle de la crise identitaire que peut être la dépression comme d’un passage douloureux, mais qui peut constituer, à sa sortie, une expérience vitale de transformation de soi. Toujours dans son versant positif, la dépression pourrait, dans certaines conditions, permettre de « reprendre son souffle », stimuler l’élan créateur d’un « nouveau Soi » et être l’occasion de prendre des tournants décisifs dans sa vie (Pringuey, 2010).

Croisant panne de sens, panne d’action et perte d’estime de soi, la dépression serait l’exemple le plus répandu de crise identitaire dans notre société contemporaine (Kaufmann, 2004). Capable de bouleverser la perception de soi, des autres et du monde, la dépression touche à des aspects majeurs de l’identité. Or, les crises identitaires impliquent l’apport d’autrui pour la sortie de crise (Berger & Luckmann, 1996). Cet apport, chargé cognitivement et émotionnellement, serait essentiel ne serait-ce que pour réinterpréter la trajectoire biographique ou confirmer et légitimer la nouvelle réalité identitaire (Berger & Luckmann, 1996; Dubar, 2000a). À la lumière de ces écrits, il devient pertinent de comprendre le rôle positif que peut avoir autrui dans les remaniements identitaires à l’œuvre lors d’une dépression ou à la sortie de celle-ci et qui a des répercussions jusque dans la sphère du travail. Le rôle d’autrui tels que les professionnels de la santé mentale comme les c.o. nous semble donc particulièrement intéressant pour éclairer l’accompagnement des personnes qui vivent la dépression. L’apport de ces professionnels de l’aide n’est en effet pas à négliger puisqu’il est reconnu que les stratégies gagnantes à long terme5 pour traiter la dépression sont complexes et

multidisciplinaires, qu’elles incluent l’accompagnement de divers intervenants psychosociaux (Beaucage, Cardinal, Kavanagh, & Aubé, 2009).

1.4 Objectifs et questions de recherche

Considérant: que les c.o. sont appelés à travailler avec des personnes qui rencontrent des problèmes de santé mentale, notamment la dépression qui est en progression ; qu’il existe des liens étroits entre la dépression et la vie professionnelle; que ces liens gagnent à être approfondis sous l’angle multidimensionnel et en intégrant multiples disciplines comme l’orientation; que la dépression en tant que crise d’identité est potentiellement le lieu de changements majeurs et bénéfiques dans la vie professionnelle d’un individu ; que l’issue de la dépression et que ses répercussions professionnelles positives peuvent être facilitées par l’intervention de personnes significatives et plus spécifiquement par celle de professionnels de la relation d’aide…

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Il est pertinent de mieux comprendre les remaniements identitaires qui s’associent à dépression et qui mènent à des changements importants et positifs dans la vie scolaire ou professionnelle. Cela constitue l’objectif général de la présente étude.

Plus spécifiquement, nous chercherons à répondre à ces questions :

1. Quelles sont les répercussions proximales de la dépression sur la vie scolaire et professionnelle?

2. Quels sont les processus impliqués dans la reconstruction identitaire lors d’une dépression ou à la sortie d’une dépression?

3. Comment la personne concernée considère-t-elle le rôle d’un ou de plus d’un intervenant en santé mentale l’ayant accompagnée dans ce processus et les effets de cette aide?

4. Comment l’expérience dépressive est vécue et intégrée dans l’histoire de la personne concernée en tant qu’événement de vie significatif?

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Chapitre 2 : Contexte théorique

En considérant l’objectif général et les questions de recherche de ce mémoire, ce chapitre présente l’éclairage théorique qui servira à mieux comprendre le vécu dépressif de l’individu dans son contexte professionnel et social. Ce chapitre vise également à guider la méthodologie que nous privilégierons pour étudier cette réalité. Considérant la dépression comme une crise identitaire, ce contexte théorique sera articulé autour de deux grandes notions : la dépression et l’identité, dans une approche contextuelle qui marie la psychologie et la sociologie. La dépression sera toutefois d’abord abordée par la rive de l’approche biomédicale, incontournable dans notre société pour l’obtention du diagnostic, de l’arrêt de travail et du traitement. Sera ensuite présentée une vision émergente de la dépression, qui considère le contexte social et professionnel, avec en son cœur la perte de sens, d’estime de soi et la panne d’action. Suivra une présentation de la notion d’identité vue comme un processus qui se construit également en interaction avec le contexte social et autrui. Une approche biographique de l’identité sera ensuite exposée, venant clore ce chapitre, et permettra de mieux comprendre le rôle et le sens des évènements de vie capable de bouleverser la trajectoire professionnelle.

2.1 Dépression : de la vision biomédicale à la vision

contextuelle

Terme emprunté à la physique, le mot « dépression » dans son étymologie fait référence à l’abaissement, l’enfoncement, l’affaiblissement, le fait de passer du haut vers le bas (Gaffiot, 1990). En dehors de ces images qui suggèrent la chute, définir la dépression humaine n’est pas aisé. Ehrenberg (2000) parle même d’une « impossible définition » en raison de l’hétérogénéité et de l’universalité du phénomène. La vision de la dépression varie selon les cultures, les courants théoriques, les disciplines, les acceptions, selon qu’on tente de la saisir en fonction des symptômes, de l’étiologie, de la pathogénie, etc. (Ibid., p. 95-97).

À l’heure actuelle, il n’existe donc pas de définition et encore moins d’explication consensuelle de la dépression. Toutefois, la communauté scientifique s’entend habituellement sur le fait qu’il y a différents degrés de gravité de la dépression et sur les symptômes généralement associés qui sont d’ailleurs répertoriés depuis l’Antiquité (Kleftaras, 2004). La symptomatologie de la dépression comporte habituellement une humeur morose, une perte d’intérêt et de plaisir, de l’anxiété, des perturbations du sommeil et de l’appétit, de la difficulté à se concentrer, un sentiment de culpabilité ou de dévalorisation, divers troubles somatiques que la médecine ne peut expliquer, une fatigue entraînant une diminution des activités privées, sociales ou professionnelles (OMS, 2018). La capacité d’action est donc touchée de plein fouet lors de la dépression à travers ce ralentissement

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psychomoteur qui serait largement vu aujourd’hui par une majorité de spécialistes comme le principal symptôme de la dépression (Vinit & Moreau, 2007).

Cette centration sur les symptômes de la dépression a connu un essor depuis l’arrivée des électrochocs et des antidépresseurs, découvertes contribuant au virage médical et social du phénomène à la fin des années 60 (Ehrenberg, 2000, 2010a). Devant la pluralité des paradigmes, l’approche biomédicale actuelle considère les symptômes plutôt que l’étiologie. Le but étant de faire en sorte que les intervenants de divers horizons théoriques puissent avoir un langage commun et une meilleure « fidélité diagnostique » (Ehrenberg, 2000, p. 191). Même si cet aspect est remis en question (Ehrenberg, 2000; T. Morin, 2010), l’approche biomédicale se dit « a-théorique », l’objectif étant de rassembler ces différents courants paradigmatiques et cliniques. Cette approche est dite aussi catégorielle et statistique, la référence étant la normalité (T. Morin, 2010). Ce qui sort de la normalité, surtout comportementale, est ainsi classifié comme pathologique. Les praticiens de l’approche biomédicale conçoivent donc la dépression comme une maladie et s’intéressent aux manifestations pour porter un jugement clinique. Le diagnostic6 est majoritairement posé à l’aide des

critères du DSM-V (Annexe E), véritable référence actuelle pour les intervenants de première ligne tels les médecins omnipraticiens qui prescrivent le plus souvent les arrêts de travail et le traitement (Otero, 2012). Celui-ci s’accompagne parfois d’une psychothérapie, mais est surtout largement constitué de médicaments psychotropes (Salois, 2012). Traitement de choix pour l’approche biomédicale, les antidépresseurs et leur utilisation massive ne fait toutefois pas l’unanimité en ce qui concerne leur efficacité. Cela, d’autant plus lorsque le traitement ne s’associe pas à une aide psychologique (ibid.). Malgré l’accroissement effarant de la consommation d’antidépresseurs, la dépression comme phénomène social continue sa courbe de croissance; le nombre de cas augmente et la durée des traitements s’allonge (Ehrenberg, 2000). La médication bien que pouvant être aidante ne permet pas à elle seule de « trouver un sens à sa souffrance psychique, ni de trouver en soi la faculté de surmonter son problème, ni d’en explorer les causes environnementales et sociales » (Salois, 2012, p. 42).

En parallèle à l’approche biomédicale, les problèmes de santé mentale et tout particulièrement le phénomène montant de la dépression, attirent de plus en plus l’attention d’analystes adoptant une perspective à la fois sociologique et psychologique, tels que Ehrenberg (2000, 2010a) ou Otero (2012, 2016) et même Dubar (2000a). Ce dernier soutient que « les grandes dépressions […] n’ont pas que des racines psychologiques dans la petite enfance ou l’histoire personnelle singulière. Elles ont aussi un cadre social » (Dubar, 2000a, p. 166). La dépression ne se vit pas en vase clos. En tant que crise

6 Dans cette cinquième version du DSM, le vocable pour qualifier la dépression est « trouble dépressif caractérisé » (APA,

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existentielle, elle prend une saveur sociale parce qu’elle touche à ce qu’il y a de plus intime dans son rapport au monde et aux autres en plus du rapport à soi-même (Dubar, 2000a).

Ainsi, Otero (2012) affirme clairement qu’il n’est pas possible de bien comprendre le phénomène de la dépression en le détachant de l’analyse sociologique :

Rien dans les argumentations de la psychiatrie actuelle ne permet de comprendre pourquoi tant de personnes se sont mises à dysfonctionner et à souffrir dans les « figures syndromiques » attribuées à la dépression. La compréhension des racines de cette « démocratisation dépressive » revient, comme autrefois celle de la névrose, inéluctablement à la sociologie (p. 18.)

La dépression telle qu’elle se manifeste empiriquement à l’échelle du social ainsi que la manière institutionnalisée de la prendre en charge, de la combattre ou de la gérer sont un phénomène à la fois social et psychologique. Elles expriment une expérience psychologique intime qui est vécue individuellement et très souvent […] de manière solitaire. Elles expriment aussi en même temps une expérience sociale qui met en relief les caractéristiques d’une individualité sociale inadéquate, insuffisante, défaillante ou encore prise tout à coup en défaut (p. 15-16).

Pour Otero (2012), d’une part, l’analyse de la société permet de mieux comprendre le contexte où l’individu emboîte le pas dans ce qu’il appelle l’« épreuve dépressive », d’autre part, l’analyse du vécu intime de la dépression est le reflet de la société, de ses exigences, de ses injonctions ainsi que des tensions créées entre le social et l’individu, celui-ci étant invité à une continuelle adaptation :

[…] hier les névroses freudiennes, aujourd’hui les dépressions […] permettent de mettre en lumière les tensions produites par la forme sociale de l’individualité sur chaque individu singulier. C’est en ce sens que la dépression, et de plus en plus les anxiodépressions, est l’une des figures emblématiques de l’ombre portée de l’individualité contemporaine. Il s’agit d’une sorte d’épreuve latente qui, lorsqu’elle s’actualise, teste les limites de ce qu’on nous demande d’être comme individus aujourd’hui dans une lutte perpétuelle entre interpellations d’adaptation sociale et investissement de nouvelles possibilités d’action, […]. (Otero, 2012, p. 19)

Pour Ehrenberg (2000) « ce qu’on nous demande d’être comme individu » se traduit aujourd’hui surtout par une injonction à la valeur phare d’autonomie dérivée de la libération individuelle amorcée dans les années 60. L’auteur rappelle que ce n’est pas dans le contexte de crise économique, ni dans le contexte des atrocités des grandes guerres que se « propage » la dépression, mais bien dans un contexte sociohistorique associé à la libération individuelle, à l’initiative individuelle et à la conquête de l’épanouissement personnel. Ainsi, c’est vers la fin des années 1960 que la dépression s’enracine de plus en plus socialement.

[…] son succès [la dépression] accompagne un changement dans la règle sociale qui a modifié les modes d’institution de l’individu, à savoir le basculement d’une société se référant à la discipline, à l’obéissance, jusqu’à l’exécution mécanique des ordres, et à l’interdit, à une société s’appuyant sur l’autonomie, c’est-à-dire sur l’initiative individuelle généralisée et l’idéal d’épanouissement personnel. (Ehrenberg, 2010, p. 15). Dans un contexte où « chacun semble être son propre souverain », avec la liberté vient la responsabilité de « prendre sa vie en main » et de le faire de façon autonome. La panne de l’initiative et de l’agir que traverse le dépressif est à l’opposé de ces injonctions sociales. « Fatigué de n’être

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que soi », l’individu se retrouve face à son insuffisance. Il semble qu’aujourd’hui « la dépression se présente comme une maladie de la responsabilité dans laquelle le sentiment d’insuffisance domine celui de la culpabilité » (Ehrenberg, 2010,p. 15).

À l’instar de Ehrenberg et d’Otero, d’autres auteurs soulignent le contexte social contemporain difficile, terreau pour la souffrance psychique en général. Ainsi, Freitag (1999), Dubar (2000), Gaulejac (2011), Dejours (2012), Le Breton (2015), Kaufmann (2004) parlent de société occidentale marquée par l’urgence, la flexibilité, la performance, l’excellence, la compétitivité... Société pathogène où l’individu est enjoint à faire preuve d’initiative, de responsabilité individuelle et d’autonomie. Dans ce contexte, « les états dépressifs sont des révélateurs empiriques exemplaires des difficultés d’adaptation à ces exigences normatives » (Otero, 2012, p.51).

S’ajoute à ces injonctions sociales faites à l’individu le contexte d’une société continuellement et rapidement mouvante qui prédispose à la chute. On constate que les choix sont difficiles à réaliser, que les repères sont de plus en plus nébuleux, nombreux et changeants. On constate également une montée de l’individualisme et un effritement des rapports de types communautaires (Dubar, 2000a). Le rapport au transcendant et la réflexivité verticale fait de plus en plus place à la réflexivité dite horizontale où la référence à l’autre domine (et nourrit l’esprit de compétition), l’autre qui lui aussi est mouvant… (Freitag, 1999). Ainsi, l’adaptation devient particulièrement difficile dans un contexte où tout bouge tout le temps et rapidement ; avec peu d’appui, l’individu en quête d’équilibre psychique risque la chute.

Ainsi le sujet postmoderne doit-il sans cesse s’adapter, en soi comme hors de soi, au « pluri », au « multi », à l’« incertain », au « changement », au « précaire », au « circonstanciel », au « processif », à la « migration » et à l’« errance » […]; il ne se saisit plus qu’ « en procès », « en devenir » ou « en changement », ou alors il se perd dans la dispersion et dans le vide. […]

Finalement, un tel sujet, qui n’existe et ne se saisit que par réaction, toujours tendu vers la promptitude, la vivacité, l’opportunité et l’efficacité de ses choix et de ses réponses a à l’environnement immédiat, à l’instantané et à l’imprévisible qui surgit malgré toutes les prévisions, perd pied (car sur quoi prendre pied ou simplement poser le pied ?) (Freitag, 1999, p. 31)

En constatant ce qui précède, nous pouvons affirmer que le contexte social qui enjoint les individus à s’adapter continuellement, à être excellents dans les diverses sphères de leur vie, à être des sujets autonomes capables de formuler des projets qui ont un sens et à les mettre en action, ce contexte social, donc, est devenu un terreau fertile pour la chute dépressive. En corollaire, nous pouvons aussi affirmer que l’individu qui vit un épisode dépressif se retrouve dans une situation de handicap face à son insertion socioprofessionnelle, lui qui ne répond plus aux normes de son époque. Il devient un véritable contre-modèle de ce qui est attendu dans notre société contemporaine (Kaufmann, 2004), il est « à l’envers exact de nos normes de socialisation » (Ehrenberg, 2000, p. 294), il est une « contre-figure des exigences contemporaines de performance sociale » (Otero, 2012).

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Traditionnellement liée à un conflit intrapsychique, la dépression contemporaine, véritable épidémie, serait donc devenue « le symptôme d’un mouvement social anomique dû à un conflit entre le sujet et les normes ambiantes » (Audrain, 2006, p.3). Elle met en scène des individus fatigués, à l’estime de soi écorchée et qui sont en perte de sens à leur vie, incluant leur vie au travail. En d’autres termes, la dépression croise douloureusement trois dimensions centrales de l’existence humaine, dimensions qui se retrouvent en panne : 1) le sens; 2) l’estime de soi; 3) l’action (Kaufmann, 2004). Trois dimensions qui, comme nous le verrons plus loin, sont également au cœur de la construction identitaire, notamment en ce qui concerne la sphère professionnelle.

2.1.1 Perte de sens, image de soi douloureuse et

panne d’action au cœur de la dépression contemporaine

2.1.1.1 Sens : le lien à la vie qui s’étiole

Une triste expression qui n’est pas tristesse, mais quelque chose de plus et de moins : le vide du monde dans le creux de sa tête. - Antonio Machado, Del Pasado Efimero (Otero, 2012, p. 171)

La dépression est un sentiment massif de perte de sens de l’existence (Pedinielli & Bernoussi, 2011)

Le concept de sens peut mieux se comprendre d’abord par ses racines étymologiques qui renvoient, d’une part à la faculté d’éprouver des impressions et l’idée ou l’image que représente un signe ou une expérience (signification). D’autre part, l’étymologie du sens renvoie à la direction (orientation). Dans le domaine de la psychologie, le sens fait référence à la cohérence, la cohésion, l’équilibre et même la plénitude (E. Morin, 2008). Vassal (2005) souligne l’importance de la cohérence, de lier les faits et les actes à un tout unifié, un « au-delà des faits » (p.42) :

Il n’y a sens que lorsqu’il est possible de retrouver dans les actes et les choses du quotidien la présence et la marque d’un tout cohérent. La première condition pour pouvoir attribuer un sens à une chose c’est de pouvoir la relier à un tout. Le sens naît avec l’unité et la cohérence. (Vassal, 2005, p. 42)

Le sens est nécessaire à l’hygiène mentale puisqu’il permet de comprendre et d’interpréter l’expérience personnelle (Yalom, 2008) et il est également intimement lié à la raison d’être ou de vivre (Frankl, 2006). Ainsi, le sens donne une compréhension de son existence propre, de son essence et il guide l’action (Frankl, 2006; Kaufmann, 2004). En situation de non-sens, l’être humain serait dans un état de vide existentiel, dominé par un sentiment d’impuissance (E. Morin, 2008) qui laisse dans l’inertie comme c’est le cas lors d’états dépressifs importants.

Quand le sens de sa vie devient flou, voire inexistant, c’est tout le lien à la vie qui est en danger. Il est d’ailleurs admis que la dépression a cette capacité parfois funeste d’effriter le lien qui unit l’individu

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à sa propre vie. Que ce soit d’une façon radicale par le suicide ou « à petit feu », les comportements autodestructeurs font partie du tableau clinique de la dépression.

Quelques repères sociologiques peuvent également nous éclairer sur le concept du sens, dans une perspective qui le lie à la dépression. Nous l’avons vu, avec la libération individuelle sont apparus nombre de changements sociaux qui ont laissé l’individu souvent perdu dans la multiplicité des repères ambigus autrefois clairement définis. Quand le cadre social est constamment en transition, il devient obscur, le sens de la vie également. C’est en récupérant un ancien concept sociologique élaboré par Émile Durkheim7 que Kaufmann (2008) parle de l’anomie qui caractérise notre époque

contemporaine comme le prix à payer pour la libération individuelle :

L’anomie caractérise une situation où un acteur ne parvient plus à s’inscrire dans des repères stables fondant sa pensée et son action. Il y a perte du nomos, ce cadre de vie qui donne le sens des choses en enfermant dans une réalité précise, contraignante, mais reposante pour l’esprit. […] L’anomie est une maladie de la société moderne, le prix à payer de la liberté individuelle, de la définition par chacun de sa propre vérité et de sa morale. L’invention de soi crée un « mal de l’infini » (Durkheim, 1995), résultant de l’ouverture des horizons et de la mise en flottement des repères » (p.205)

Le repos de l’esprit d’autrefois s’est transformé en fatigue pour l’individu qui doit maintenant lui-même donner ce sens à sa vie qui auparavant provenait largement des institutions (religieuses, politiques…), tâche ardue pouvant favoriser des effondrements comme la dépression :

Le temps s’éloigne où les disciplines collectives suffisaient à réguler les comportements. Les principes de la régulation sont désormais à fournir par l’individu lui-même. Il définit le sens, et corrélativement produit l’énergie du mouvement. Émile Durkheim a mis en évidence le lien étroit unissant les principes moraux d’une société et l’équilibre psychologique des personnes qui la composent. “Par elle-même, abstraction faite de tout pouvoir extérieur qui la règle, notre sensibilité est un abîme sans fond que rien ne peut combler” (1995, p. 273). Abîme qui se creuse dans les contextes anomiques, quand la confusion des valeurs entrave la structuration des individus, et provoque des effondrements pouvant aller jusqu’au suicide (Kaufmann, 2004, p. 194).

Dans ce contexte social anomique, en crise, marquée par une montée de l’insignifiance (Gaulejac, 2011), la construction du sens est bien ardue. À l’instar de Gaulejac, Vassal (2005) souligne comment, dans la sphère du travail, le management prédominant depuis des décennies induit une perte de sens quand il ne permet pas de concilier les contraires. C’est le cas pour la gestion qui cherche à la fois la productivité et la qualité, ce qui place les travailleurs devant des incohérences qui « alimentent des oppositions internes », déstabilisent et détruisent le sens de l’implication personnelle au travail (p.43). Malgré ces difficultés à construire le sens, ce dernier n’en demeure pas moins nécessaire à la santé psychologique en général, tout comme celle au travail. Le sens donné à la vie peut influencer

7 Sociologue français, Émile Durkheim (1981) avait il y a longtemps proposé l’idée que le phénomène du suicide pouvait être éclairé par des causes sociales. Pour cet auteur, l’intégration sociale et la régulation par les normes ou les règles étaient deux facteurs principaux pour expliquer les causes des effondrements personnelles menant au suicide. Son ouvrage sur le sujet « Le suicide. Étude de sociologie » d’abord paru en 1897 n’a pas connu un accueil favorable à l’époque. Son analyse fut toutefois récupérée par des sociologues contemporains, tels que Kaufmann dont il est question dans le présent mémoire, qui en soulève la pertinence actuelle.

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positivement la vie au travail, jusqu’à être qualifiée de vocation ou de « mission » (Frankl, 2006). Inversement, le travail contribue à donner un sens à l’existence et on observe une vulnérabilité lorsque ce travail ne constitue plus une voie pour construire ce sens. Un travail qui a du sens s’avère même une protection contre la souffrance pathogène (Molinier & Flottes, 2012). Ainsi, un travail porteur de sens, qui apporte une signification existentielle, une orientation de l’action et une cohérence identitaire se révèlerait un rempart puissant contre la dépression.

2.1.1.2 Estime de soi : image de soi douloureuse et problématique narcissique

Concept éminemment subjectif, l’estime de soi se construit dans l’intersubjectivité, à travers les interactions sociales (Bolognini & Prêteur, 1998), à travers des processus d’identification, d’intériorisation et d’appropriation et par une activité cognitive et sociale à la fois (Jendoubi, 2002) . Les variations de l’estime de soi sont d’ailleurs très sensibles au regard de l’autre et du groupe : « […] le niveau d’estime de soi est très étroitement corrélé aux expériences subjectives d’approbation ou de rejet par autrui. Plus le sujet pense qu’il est l’objet d’une évaluation favorable par les autres, plus cela améliore son estime de soi » (André, 2005).

Concept de soi et estime de soi sont souvent confondus, mais réellement intimement liés. Le concept de soi comprend la dimension cognitive (connaissance de soi) et la dimension affective et évaluative qu’est l’estime de soi, qui correspond au jugement qu’une personne se fait de sa propre valeur. C’est donc une « évaluation de soi chargée affectivement » (Famose & Bertsch, 2009, p. 19). Pionnier de l’étude de ce concept, William James (1890) soutient que l’estime de soi serait tributaire de la différence entre le concept de Soi réel perçu (caractéristiques perçues par la personne), et le Soi idéal, le concept de soi idéal (ce que la personne aimerait être). Plus une personne se verrait loin de son idéal, plus son estime personnelle diminuerait. Le résultat négatif de cette équation ouvre la porte à des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété ou la dépression (Bertsch & Famose, 2009, p. 19). On peut donc penser que les idéaux ambiants toujours plus exigeants et introjectés par l’individu qui échoue à les atteindre le rendent vulnérable jusqu’à l’entraîner dans la dépression. C’est ce que certains auteurs postulent, tels que Vincent de Gaulejac.

Dans un monde fasciné par la réussite individuelle, la performance et l’excellence, les tensions sont vives entre les images idéales (ce qu’il faut devenir pour être « bien ») et la réalité de ce que l’on vit. (Gaulejac, 2015, p. 18)

* * *

Le jugement de valeur se déplace du registre du Surmoi […] au registre narcissique (la réalisation de soi passe par la réalisation d’un idéal toujours plus exigeant). On comprend mieux alors pourquoi se développe l’angoisse de ne pas être à la hauteur, de ne jamais en faire assez, la peur d’être pris en défaut, d’être insuffisant. La dépression est l’expression de ces pathologies du narcissisme qui envahissent le champ du travail, entraînant une quête inassouvie de reconnaissance et une dépendance croissante au jugement d’autrui. Non pas un jugement destiné à évaluer ce qui est fait, mais un jugement sur l’être et sa conformité à un comportement idéal (Gaulejac, 2011, p. 191).

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À l’instar de Gaulejac, Ehrenberg (2000, 2010) et Otero (2012) observent une évolution de la société vers le registre narcissique, délaissant les conflits liés au Surmoi. Ehrenberg et Otero notent que la dépression depuis le temps de Freud jusqu’à aujourd’hui s’est transformée de façon considérable pour devenir ce qu’ils appellent aujourd’hui la « dépression contemporaine ». Ehrenberg, sociologue utilisant une grille d’analyse inspirée de la psychanalyse, observe que dans la société d’autrefois, celle de la névrose, marquée par la loi et les interdits, la dualité permis/interdit, la dépression prenait racine dans un conflit dont on se sent coupable où l’instance psychique du Surmoi était particulièrement gonflée. C’était alors une « maladie de la loi », de transgression des interdits où se jouent des enjeux oedipiens.

Ehrenberg (2000, 2010a) soutient que la dépression contemporaine serait plutôt une réponse aux impératifs sociaux à être soi-même et à être performant, plongeant l’individu dans un idéal du Moi qui se fracasse aux murs de la réalité concrète. Ébranlé, l’individu tombe, il tombe en panne. Devant les idéaux de performance, d’initiative, de l’exceptionnel, l’individu est fatigué de « n’être que soi ». Ehrenberg note donc une évolution dans les mécanismes sous-jacents à la dépression : la culpabilité liée aux interdits ne semble plus être au centre de la problématique, mais plutôt le narcissisme. Logique où le sentiment d’infériorité domine, défaut dont on a honte, la dépression contemporaine est une « maladie de l’insuffisance ».

La dépression, dont l’estime de soi est la principale composante, est une pathologie de la grandeur : la vieille culpabilité bourgeoise et la lutte pour s’affranchir de la loi des pères (Œdipe) est remplacée par la peur de ne pas être à la hauteur de ses propres idéaux et l’impuissance qui en résulte (Narcisse). La dépression est la contrepartie de la démocratisation de l’exceptionnel, de cette quête de n’être que soi-même qui est le premier vecteur de redéfinition de l’individualité contemporaine (Ehrenberg, 2010a, p. 17). Kaufmann (2004) quant à lui note que l’estime de soi, tout comme la reconnaissance, régit l’ensemble des processus identitaires. Il souligne également, à l’instar de Cast & Burke (2002), que l’estime de soi propulse vers le changement, agissant comme un réservoir d’énergie émotionnelle : « L’estime de soi, réservoir d’énergie, est un “ lubrifiant social ” développant un “ effet-tampon ” qui permet d’assurer un minimum de continuité à l’action » (p. 118).

Comme le sens, l’estime de soi inciterait donc à se maintenir dans l’action ou à se remettre en marche après la chute…

2.1.1.3 Action : le cercle vicieux du mépris de soi et de l’exclusion sociale

En plus des insécurités identitaires, la dépression entraîne avec elle l’inhibition de l’action, la difficulté à initier et à maintenir l’action. Cet aspect est particulièrement handicapant dans une société qui fait appel à l’initiative et aux capacités d’action plus qu’à la docilité. (Ehrenberg, 2010, p.17)

Fatigué de n’être que soi, l’individu tombé en panne devant ces injonctions prégnantes de la société contemporaine se retrouve souvent en arrêt de travail, ou à tout le moins en déclin de productivité. Il peine

Figure

Figure 1:  Logique fissionnelle   de la dynamique identitaire
Figure 3: Modèle théorique de la double hélice de Kaufmann (2008)
Figure 4:  Dynamique entre l'analyse verticale et
Tableau 1:  Répercussions proximales de la dépression
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