LES THÈMES CONTROVERSÉS
DANS L’ENSEIGNEMENT DE BIOLOGIE
Maria Helena DA SILVA CARNEIRO Université de Brasília
MOTSCLÉS : DIDACTIQUE DES SCIENCES PROGRAMME SCOLAIRE BIOÉTHIQUE
RÉSUMÉ : Ce travail a voulu savoir si les thèmes controversés de Biologie font partie ou non des sujets discutés durant les cours, analyser les actions pédagogiques employées par les professeurs et identifier les obstacles qu’ils affrontent en essayant de développer ces thèmes en classes. Ainsi, dans un premier moment, nous avons interviewé 18 professeurs de Lycées de Brasília.
ABSTRACT : The main objective of the following study is to research the usage of controversial themes in contemporary biology in High scool education. 18 teachers of the public educational system of Brasília were interviewed. The data shows that the majority of the teachers do not discuss the refered themes considering them to be too polemic, arousing discussions of religion and values.
1. INTRODUCTION
Une des critiques adressées aux écoles est leurdéphasage par rapport à l’évolution de la société. Les sujets scientifiques abordés actuellement par l’enseignement secondaire au Brésil, et, en particulier dans le domaine de la Biologie, traitent pratiquement tous les thèmes afin de répondre aux exigences de l’université. Il s’agit d’un programme ample, exagérément détaillé, qui induit les élèves à mémoriser des concepts. Même les programmes dits modernes comme le Programa de Avaliação Seriado (PAS, programme d’accès à l’université) sont toujours caractérisés par l’étendue de leur contenu. Ces programmes scolaires, tant sur le plan du contenu que sur celui des méthodes, semblent incapables de bien préparer les jeunes au monde dans lequel ils auront à vivre et pourtant, il est rare de ne pas retrouver dans le monde de la presse des discussions autour de sujets scientifiques, en général très polémiques, tels que les transplantations, les greffes et le clonage. Ce dernier, par exemple, est devenu, depuis 1997, un des thèmes scientifiques les plus discutés par les médias. C’est un des sujets qui normalement n’échappe pas aux discussions durant les cours de Biologie. L’absence de sujets relatifs à la science contemporaine au sein des programmes officiels de Brasília nous amène à penser que l’image qui domine est celle d’une science objective dépourvue de valeurs.
2. CONTEXTE DE L’ÉTUDE
C'est dans cette perspective que se présente notre Projet d’Extension, dont le principal objectif est de servir d’appui à l’activité pédagogique des professeurs de Biologie. Avant d’initier les activités du projet, nous avons réalisé une étude afin de répondre aux questions suivantes : Comment les professeurs réagissent-ils face à cette nouvelle proposition pour l’enseignement secondaire (un enseignement axé sur le développement des compétences et qui souligne la relation entre la science, la technologie et la société) ? Les thèmes contemporains relatifs à la Biologie sont-ils abordés pendant les cours ? Quels sont les thèmes les plus travaillés ? Dans quel contexte sont-ils débattus avec les élèves ? Quelles sont les activités utilisées ? Les professeurs se servent-ils du matériel du programme ? Lequel ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les professeurs ?
Il s’agit d’une étude qualitative. Pour cela, nous avons réalisé des interviews semi-structurées, avec 18 des 20 professeurs de Biologie qui participent au projet (ils font partie du système d’enseignement secondaire de Brasília).
3. AU SUJET DES PROGRAMMES NATIONAUX BRÉSILIENS
Le Ministère de l’Éducation a proposé en 1998 les « Paramètres Curriculaires » pour orienter la définition des programmes scolaires de chaque État brésilien. Ainsi, pour définir la Base Commune des Programmes de l’enseignement secondaire, les paramètres des programmes nationaux (1998) soulignent les objectifs généraux du domaine des Sciences Naturelles :
- « Comprendre la relation entre l’évolution des Sciences Naturelles et la Technologie, puis associer les différentes technologies aux problèmes à résoudre. »
- « Comprendre l’impact des technologies associées aux Sciences Naturelles dans la vie de chacun, dans les processus de production, dans l’évolution du savoir et dans la société. »
Comme on peut le voir, ce document met en valeur l’enseignement orienté vers la compréhension de la relation entre les sciences naturelles, la technologie et la société. Il reconnaît aussi que l’éthique ne peut être séparée de la Biologie et souligne avant tout les aspects éthiques relatifs à l’environnement : "La connaissance de la biologie doit étayer le jugement de questions polémiques portant sur le développement, l’exploitation des ressources naturelles et l’utilisation de technologies qui impliquent une intense intervention humaine sur l’environnement, et dont l’évaluation doit tenir compte de la dynamique des écosystèmes, des organismes (…)". Finalement, les PPNs attirent notre attention sur les questions relatives à la Bioéthique : "L’évolution de la Génétique et de la Biologie Moléculaire, des technologies de manipulation de l’ADN et de clonage font ressortir des questions éthiques relatives à la production et l’application du savoir scientifique et technologique, ce qui appelle à une réflexion sur la relation entre science, technologie et société." (p. 32, v. 3) Le fait de consacrer un espace à la discussion de sujets scientifiques contemporains est un pas en avant. Malgré tout, nous ne pouvons pas oublier que les États établissent leurs programmes de façon autonome.
4. ANALYSE DES DONNÉES
4.1 La majorité des professeurs reconnaît que l’enseignement de la Biologie ne doit pas se limiter à l’étude de concepts isolés ; il est nécessaire d’insérer ceux-ci dans un contexte. Insérer dans un contexte, selon eux, signifie montrer la relation entre les connaissances biologiques et le quotidien des élèves, ce qui rejoint la définition du Ministère de l’Éducation. Cependant, les professeurs soulignent également que ce type d’approche est quasiment impossible à réaliser et critiquent l’extension du Progamme de Biologie.
-"C'est une belle idée (…) mais qui est impossible dans la pratique. Nous devons assurer un programme chargé avec seulement deux cours par semaine."
-"Je trouve cela très intéressant (…) l’élève est motivé car il (l’élève) découvre les relations qui existent entre la science et la société. Le problème c’est le temps."
-"Ce serait bien si nous avions le temps de travailler de cette façon (…)."
Il est important de souligner le fait que, bien que les professeurs reconnaissent l’importance de cette "nouvelle proposition" ainsi que le besoin de changer leurs méthodes d’enseignement, la grande majorité ne suit pas les nouvelles orientations méthodologiques établies par le Ministère d’Éducation et par le Secrétaire d’Éducation du District Fédéral. Seulement trois professeurs ont affirmé avoir suivi cette approche pour réaliser des projets parallèles à l’enseignement traditionnel. Parmi les dix-huit professeurs interrogés, cinq ont déclaré qu’ils ne connaissaient pas cette proposition. Ces derniers venaient d’obtenir leur diplôme, ce qui nous fait penser que les cours de formation initiale des professeurs n’abordent pas les politiques d’éducation du MEC.
Nous ne nous attendions pas à trouver de changements au sein de l’enseignement de la Biologie puisqu’il ne s’agit pas d’une simple modification de la méthodologie. Il s’agit, entre autres, de changer la conception qu’ont les professeurs de ce que représentent la science, l’enseignement et l’apprentissage. Par ailleurs, l’enseignement secondaire à Brasilia, et en particulier les enseignants, vivent aujourd’hui une situation pour le moins anormale : les orientations des organes officiels du District Fédéral ne sont pas cohérentes avec les exigences du « Vestibular » (examen rendant possible l’accès à l’université).
4.2 Les thèmes contemporains et leur dimension éthique
L’analyse des questionnaires nous montre des réponses variées parmi les enseignants :
1- L’intervention accidentelle - Trois professeurs affirment avoir débattu avec leurs élèves des aspects éthiques de sujets polémiques. Cependant, quand ils décrivent le contexte de ces débats, il s’avère que ces situations sont tout à fait accidentelles, suscitées le plus souvent par une demande de l’élève provoquée par une émission télévisée. Il ne s’agit donc pas d’une action préparée avec des objectifs bien définis.
2- Intervention structurée - Rares sont les professeurs ayant abordé ce genre de sujets avec les élèves, seulement trois. D’après la description du contexte dans lequel se déroulait le cours, nous pouvons déduire qu’il y a vraiment eu au préalable une intention, précédée, bien sûr, d’une planification. Pour préparer ces débats, ce petit groupe utilise des articles de journal, des films ou des récits d’élèves.
3- L’absence de débat - Cette catégorie regroupe la majorité des enseignants interrogés. Afin de justifier leur position, ils présentent quelques arguments que nous ne pouvons ignorer :
- quant à la complexité du thème : ce groupe de professeurs met en évidence la complexité des sujets abordés, "… c’est quelque chose de très complexe et qui touche d’autres domaines que je ne domine pas (…) je n’aime pas créer des conflits en classe (…) les problèmes religieux apparaissent fréquemment…" Sans aucun doute, ce n’est pas une tâche facile que de discuter les aspects éthiques liés à la science contemporaine. Comme le souligne Levinson, 2001, « les nouvelles technologies sont chargées d’impondérables : l’évaluation des risques, tel est le cas du débat sur les cellules souches ; la complexité du processus scientifique (jusqu’où va la connaissance des professeurs sur le contrôle adéquat de l’expérimentation ; les différentes évaluations de la technologie en expansion) ; les changements tant dans la nature que dans les processus éthiques et légaux qui accompagnent le développement de la technologie ». D’autre part, nous ne pouvons pas tout ignorer. Les élèves parlent entre eux. Un débat au sein d’un groupe important, sous la coordination d’un professeur qui apporte quelques éclaircissements peut rendre plus facile la compréhension du sujet débattu. Ainsi l’élève n’est pas exposé exclusivement aux informations apportées par les médias.
- manque de connaissances - Les professeurs reconnaissent leur manque de connaissances dans certains domaines de la Biologie. " Je ne suis pas capable de débattre sur ce sujet avec les élèves (…) il y a des domaines de la Biologie actuelle que je ne peux plus suivre (…) de plus, il existe d’autres choses que les élèves doivent apprendre."
5. CONCLUSIONS
L’analyse des questionnaires révèle que l’idée d’une science aseptique, dépourvue de valeurs, pragmatique et sans aucun lien avec le domaine politique est prédominante chez les professeurs. Ce genre de perspective est assez cohérente avec la formation qu’ils reçoivent car à l’université les questions éthiques liées au développement de la Biologie et de la Technologie sont rarement discutées.
Quant aux difficultés éprouvées par les professeurs, nous observons une certaine crainte d’aborder les sujets polémiques de la Biologie contemporaine, soit parce que le thème est complexe, car il implique des débats sur les valeurs, soit parce que les enseignants ne les dominent pas, et en particulier pour les nouvelles technologies. Le deuxième aspect semble être le plus répandu parmi les professeurs. Cela s’est confirmé dans la deuxième partie du travail, quand nous demandions une liste des thèmes à discuter dans le cadre du Projet.
Ces constatations confirment une fois de plus la nécessité d’investir dans la formation continue des enseignants. Il ne suffit pas que l’université "FORME" des éducateurs pour le marché du travail. Il
devient nécessaire de concevoir des actions plus effectives qui favorisent une meilleure qualité de l’éducation scientifique.
Les élèves sont exposés à une gamme d’informations scientifiques parfois incomplètes et même incorrectes, qui influencent la construction des représentations du sujet en question. Ceci renforce une fois de plus la nécessité d’incorporer la Biologie contemporaine au programme de l’enseignement secondaire.
Tout cela nous attire l’attention sur le fait que l’éducation scientifique actuelle a besoin d’être revue. Avec l’avance des sciences et de la technologie il devient impossible, au niveau de l’enseignement secondaire, de travailler toutes les connaissances accumulées dans le domaine biologique. Il est donc nécessaire d’accorder une priorité à certains thèmes. Pour cela, nous devons établir des critères qui ne perdent pas de vue la culture scientifique contemporaine, l’apprentissage des concepts fondamentaux de la Biologie et qui rendent possible le développement des compétences nécessaires pour que l’élève puisse faire le triage des informations reçues et puiser de nouvelles informations à des sources plus crédibles/scientifiques. Enfin, l’enseignement doit aider l’élève à se positionner face aux problèmes éthiques qui se posent actuellement.
BIBLIOGRAPHIE
CLERGUE G., L’apprentissage de la complexité, Paris : Hermès, 1997. FOUREZ G., Alphabétisation scientifique et technique, Bruxelles, 1994.
GERMINET R., L’Apprentissage de l’incertain, Paris : Éditions Odile Jacob, 1997. HOUDEBINE L.-M., Transgenèse animale et clonage, Paris : Dunod, 2001.
