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..,.i~ËxrERIENCE
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DE
LACREATION LITTERAIRE
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DANS
LA
P.OESIE DE ROLAND,GlGUERE" MEMOI RE SOUMI S A
LA
FACULTE DES ETUDESET
RECHERCHES GRADUEJt:SPOUR
REMPLIR.PART1ELLl-.:f.1ENT
LÉs EXIGENCESEN VUE DE L 'ODTIWTION DU DEGRE DE
LA MAlTRISE
ES
-ARTS , . PAR JUDITH L. GAUTHIER..
DEPARTEMENT DE LANGUE ETLI'TERATURE FRANCAISES
,UNI VERSITE ~GILL
AVRIL
1915
, ' , , MOlfl'WL" Ct\NADA \ " . , ,,: .:~ ... : .. ',
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1
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LA CREATION LITTERAIRE CHEZ· ROLAND GIGU!RE
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) i i ABSTRAC'l'L'exrérience de la crration littérairp chat Roland Giguère ~e prpsente sous la forme d'un voynr.e, le poète, étant ce voyageur à la recherche de la Poésie et de l'absolu q~'ellc incarne. rur('t~, V(:rit(:, \ln\t~ ~t
hatynonie prirnordial~s. Cc voyapJ' nor tuY'ne ('~t doucIE',
'.
spatialement orienté par les axes vertical et hOritorital et par les cWux faecEl du miroir. Ay~nt pour but la
,conquête de l'espace littéraire, le voyajY,c est re.cherche du centre du miroir, du parfait équilibre entre les deux
lues, ce 'point d"oriF,inE' de ln Farol" J"10(~t lqUD E't. dl'
l'univers. demeure du poème. Se purifiant par l~ combat,
le poète rencontre l'Oeuvre, lui fait l'amour, et se dissimule dans le po~me-enfant, promesse d'~n nouvel
espace purifié. Par le po~mef le monde est transformé et
.
purlfi~ en vertu d'uh ~rocesaus alchimique qui fait aURsi le salut du po~te. Î ,
.
,
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.
ABSTRACT
1
The expe ri enc e of 1 i terary crea tion in Roland
Giguère's poetry presents itself in the form of a voynp,e, the poet belng this traveller in search of Poqtry and of the absolute it embodiesl purity, truth, primordial unit y
and harmony. This no'cturnal voyage i5 dO,uble .. spatially
oriented by the vertical and horizontal B~PS and by the
, f'
'1"
two .sides of the mirror. Its aim beinr, the conqucst of
.,.
li terary spac e, the voyage i s the researc h 0 f the c entre of
, t)1e mi rralr, of the perfec t equ ili bd um between the two
J"~
, '
axes, thts point of orlgin of the poetic Word and of the
..
universe, dwelling-place of the poem. Purifying himself
by combat, the poet meeta Foetry, ma~es lovp to her, and
becomes dissimulated ln the poem-child, ~romiFe of a new
pur~fi ed apac e •. By the poent, the world i s transformed
, r
"
~nd pu.riried by virtu"e or an alchemical proc'css, which
brings a1so the salvation of the poet.
,
-1 \ iv
...
... REldl',J~CI EI'IEr;'T'~ (.' ,.Tc d0sire rcmcrcie>r mon direclc>ur cie thèG€', Yvon Hivard, à qui .ie doit; b~aucoup. ~Jrai bien Hppr~cié sa
..
lar.q;esse d'efiprit et le respect
qc
l'expression individuelle qu'il m'accor'dait. 11 encourap;e.pit m8 créRtivité person-,..
nelle tout en imposant la discipline qui me mRnquait
par-fois. Toujours disponible" il ~talt un corr0ctcur
infati-1
gable.. Je lu) .sals p;ré de l li intérêt personnel qu t il portai t
à mes recherches. non seulement dun-mt la phase de rpdaction
de la th~se, mais aussi pdur toute ]a p0riode pendant
t!
laquelle j'ai étud1ci avec lui.
Je suis très reconnaissante aussi à mon mari Claude
1
d'avoir toujours prêté une oreille attentive
.
.,
à mes idées ou mes HinRPiLattonsH• Son soutien moral
~tait
indispen-sable à '1' ~laborat).on·· de ma thèse.
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~( Le thème du voyage poétique
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La Puretr, motif du vOyRr:e •
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Le Voyap.e de la nuit in téri eure • • •
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Le voya~e et l' uni vers poétiques de Gi~uère 1f
exp~rience double ~ , I l une •
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Chapitrel-i
I. L'AMORCE DU DEPAR~,.
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a) l'archite ture spatiale du miroir
• • 24
" b) l'orient.tion ho ri zontal e et
verticale • • • • • • , • • • • • • )0
Il. LE 'COMBAT PoETIQUE • • • • • • • • •
•
• • • 39 1. Révolte et Combat t • •·
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• • • •;0
2. Défaite et Attente • f • ••
• • • •·
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, , • ~ ___ ,1 . vi 111. L'OEUVRE • • • • • •ntre l'Immobile et l'E et Messinnismf'! • •
J.
du T'o (. t. (! 1 Feu '.
• • • • • • • • 1 V. THEME DE L'AMOU , • • ••
1. La Femrne-o • •..
1 • • •.'
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•
• • • 2. Sens~ali té 1 et E~u, • • • • • • • •10
75
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Le R~p,ard4.
rial sdanc e.
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LE /olONDE TRANSF 1.La
FeJ~e
2.J.
CONCLUSION•
• BI BLIOGR"HI E INDEX DE REFEREr~ 1. t ••
• • • • • • • RI, E • • •·
ptrice • • • l'Homme·
• • la Poésiel
• • • • • ••
• • • • • • • • • • • D' A RI';S AUTEURS•
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INTRODUCTION
f
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Le thème du voyage ~éti9ue
L'expérience de la création littéraire dans la
poé~ie
de Roland Giguère se présente sous la forme d'un voyages
le poète est un voyageur à la recherche de la Poésie, et
,
les événements du voyage sont les phases de S~ r~rh~rrh~
~oétique. Ainsi chez Giguère, l~ démarche créatr~e
pourrait se diviser en cinq aspects principauxl la conquête de l'espace, la révolte et le combat, la rencontre nocturne, l'amour; et la recréation du monde actuel. Chacune de ces
expériences est elle-même un voyage, la d~rni~re ~tant
plut~t le point où s'ach~ve et recOmmence le voyap,e. A
chacun de ces voyages. de ces aspects de la création
littéraire, nous consacrerons une rRrti~ dr notre trnvail,
leq~el se répartira donc ainsis L'Amorce du départ, Le
Combat poétique, Rencontre avec l'Oeuvre, Th~me de l'amour
et l'acte 'créateur, et Lé Monde transformr.
~ans cette poésie, tout est voyage, tout est
mouve-ment.
Le
d~paysement
est~~lon
Giguère la conditionessen-tielle à la riallsation de la v~cation·ro~tique,. car "le
dépaysement est nécessaire à un renouvellement de force".1
. l
, Roland G\gu~re" L'Age de la faFole. y;èmes
1~49-t3~o (~ontréal. Editions
de
l'Hexagone, 1965~ p.14 .
sormais désigné comme Age) r~
t 1 , " . t*'"
fi
• 2
J
S'adressant à tous 1 es arti stes du mo nde, i l 1 es exhorte
à voyager 1
P ' d J d' ,1
. oetes e tous eis pays, C'pnysez-vou".
C'est sans doute exprimec aussi l'inqui6ludc sp~tiale
du Québécois qui provient d'une crise d'identité générale,
de cette québécitude ~ont parle Axel r,'taup;ey dans Poésie
t . ' t ' Q'b 2
e soc le eau i u e ec. Ayant tout l'espace d'un immense
pays ~evant lui, mais ne le poss~nt pas, redoutan~ même
~... '"
.
d'être le martre de ce pays de froldure et de nelg~,
l'écrivain québ~ois exprime souvent le' désir de se
"
dépayser, comme l'auteur des Lettres à l'Evadé.
IOn habite ici, on
r~ve
d'êtreal1l~urs
••• 3..
"Etre ailleurs" implique un ddp~acement perp~t~el, car l'on
n'est jamais là où l'on veut être. Ainsi est-on toujours
poussé en avant par l'obsesssion Qe l'horizon à conquérir
• dans une sorte de fuite voltairienne. Le voyage comme
itinéraire hérorquc s'apparente à l'épopée, telle l' Anabase
de Saint-John Perse. Du reste. on peut considérer l'oeuvre
de Gigu~re comme l'épopée de la création poé~ique. ou, 8i
1 Roland Gigu?!re, "La Poésie ést une Lampe d '.Obsi~
di-ent'le" , Liberté, vol. 14, nos. 1-2 (79-80) H10ntréa1,
19'72 ) t p •
J
j . , ,L>" 2'Axel ,.1augey, Poésie et sociétp nu Qu~bcc', Avre
Préface de Jean Cassou (Québec 1 l'rctiucu de PVriTverol t'é
Laval, 1972), p.
95.
J Roland 'CHgul!re. La Main !lu reu~ poèmes 1
2
4&-19,68(Montréal. Editions de l'Hexagone, 196
J,
p.)5.
oC ésormaisdésigné comme .~ln) ,
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l'on veut, comme "le po~me du po.me".
Dans L'Espace littérnirc,Mr\uriC'(' Plrmrhot dit du
dépaysement du poète qu'il est l'expétiencc n~cessairc
précédant toute écriture littéraire. Ce besoin de
dépay-sement que ressent le poète correspond à l'exigence de
l'oeuvre.1 Le poète est déposséd~ du monde, voire, de
lui-même, s~ vocation poétique étant unE' "condamnation au
nomadi'me, à l'errance. à ] 'ltindrance"~2 C~t ~tre exil~
est bien "L',aveugle dépossédé et
ali~né"
,3 le somnambulequi voyage dans la nuit de L'exp~rience roétiquê, avançant
à tâtons.- S'égarer, selon Blanchot, c'<,st se ,détourner de
la parole (de l'Oeuvre) pour en devenir l'écho (le poème).
Si le poète ve~t trouver la poésie et ainsi se trcuver
lui-même, il doit se perdre, s'é&,arer.' Cc devoir d('
-. s'égarer lui e~t une seconde nature, comme en témoigne le
po~te qui se perd "En Paye Perdu",
à
m'ég~r~r ~insi?4
du mobde, c'est aussi l'homme f
1 Naurice 1anchot, L'Espac, littéraire, Idées
(Paris~
Gal imard, 1955). Voir chapitreIt, "L'Espace et l'exigence
de l'Oeuvre" (pp. -98) qui raconte ln h~ntise du
dépay-eS ent chez Kafka. '
d'Obsidienne", La Barre du
dE' Gie:uèrp", no~.
11-12-p. 26.
Staff rd, "Le Péri pl e de""' 1 i oeil et de la main",
spécial:, '''Connaissance de Giguère".
décembre-mal
1968),
p.79.
14).•.
.
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l, l; Pt '~ )j'~ ~ "II , " ') " ,,
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1
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moderne en général. La stugnation et l~aliénation qui
"~~gnent dans le monde que décrit la poésie de Roland
•
Giguère s'incarnent'dans l'image des ruines qui hantent lepoète (rITain, p. 18). L'âme poétique ainsi obsédée par les
'""
ruines du monde ~ctuel se replie sur elle-même, avec la
no~talgie de l'enfance et du paradis perdus. Face à un monde qui l'êcoeurc, sa ~nostalgic des hauteurs .. l est la
"
nostalgie de la pureté originelle du monde avant la chute. , Il veut surtout"
[se]
rapprocher des sai sons" ,2se
rappro-cher de l'étàt primordial de l'homme. Ainsi Giguère fait-il l'éloge du monde et de l'homme primitifs dans sa poésiel les Peaux Rouges dans "Le'Gri': (~, p.'75), l'Hof\\me de Néanderthal, le troglodyte et la terre "à, l' état sauvage,
à l'air merveilleusement libre" 'dans "Dolm€'n"J. Cette
p~riode de vie primitive sur la terre, c'est "l'âge des voyants"}.). où tous les hommes ~taient des poètes-mages, ' • .-l\ossédant des p~)Uvoi rs magiques suscepU bl~s de translormet..'1 le monde autour d'eux. Giguère rêve de récupérer les
poüvoirs 'alchimiques des premiers poètes; ce rêve, on le
sait, hantait la poésie surréaliste.
l '
Claude Bertrand, "Lecture de Yeux Fixes", La Barre
du Jour, numéro spciclall "Connaissance de Giguère", nos.
11-l~-lJ (Montréal. décembre-mai 1968), p.,92. '
2 Giguère, Age, p. 70. J Gigu~re,
-
Main, p.83.
4
Albert Béguin, L'Ame t'romantique et le rêve (Paris ,>
José ,Corti, 1960), p. 79. .
1
, t , ,
,-
, 51
Giguère parle souvent dans' ses po~mes d'air' et d'eau puré, symboles de Bes aspirations d'homme et de po~te l
la recherche de ln pureté dans un monde' soul ll~. L' l mar,o'
de l ' eau pro~ise (Age, p. )0) rappelle la Terre Promise 'de
la Bi ble, nouveau paradis sur la terre où l'âme devait "trouver le repos et la perfection après une longue errance
.
dans le d~sert. Gigu~re est Ae ceux "qui parlent encore
<"
\?
1
d'eau claire et potable, c(oreau pure nlors qu'ils ont lespieds da'ns le marais de malheur ... l En dépi t du monde
autour de lui qui se ~ésintègre. tombe ~ ruines, il tiep.t\
"à demeurer mepcure pur et simple", 2 E:'lément concentré,
, ,
réduit à l'essentiel. Son désir de pureté ("désir drangé
lisme", d'apr~s Gilbert Durand»)'l'amène à quête
.
de l'absolu, de la v,rit~ hpmaine,et poéti,quc. il tlproj,eté hors du cercle fata~" dans un perpé voyage à la recherche d' "une olef de voOte qui
') IJ .
rait de l'édifice,aa moment opportun", ~cttc clef nux
est-pouvoirs du po~te~m~ge pr{mitif. L'expérience poétique
comme voyage vers les hauteurs de l'absolu don't le po~te a li\, nostalgie est celle de Miror, 'le do'uble de Gigu~re 1
'Miror entreprit d'escalader la montagne ••• Etrange
o~Bes8ion,que de vouloir toujours aller plus
5haut •••
,Miror'~';;lui. youlait simplement de l'air pur.
/ w.'
J t,
1 ~
Oigu~re.
M!]n.
p. 56. 2 Giguère. Age, p.72.
J
Gil bert Dur..and, Les Struc tures anthropolop,;i'guesd~
l,'iyginaire (l:'arisl Bor~as,
1969).
p. 144. . ,~
GiiU-7:r , Age, p. 144. 5Gigu~re,
!!!!!,
p. 1,8.\ ~ J
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6.
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_ La nostalgie du temps, c'est aussi la nostalgie de /: - l'oi'ïgine, car l'origine que recherche le"'-poète est ce
paradis 'MF4u
J
des primitifs, étnt "pur", orir;inel des
- ,
choses quJ le poète espère retrouver en remontant vers les
saure es. irnordiale est donc aussi
désir de voir l'origine où r'side l'Etre, qui est pou~ le
poète synonyme de l'Oeuvre. ette recherche~ le condul t
~
sur tous les chemins, vers tous les horizons imaginablee sur les plans horizontal et vertical du temps et de
l'espace, car le lieu d'orieine est ce lieu du parfait
équilibre entre l'es deux aXes. Verticall i~ontali té
forment un Tout perpendiculaire
~age
de la croixdont le centre serai t le "'point suprême", le Graal déS
poètes surr~alistes,
Le centre de la croix ,est donc le point où se
concilient et se résolvent toutes les oppôsitions ••• [c'est] le lieu de l'équilibr.e parfait.
'Ce centre' parf,it, lieu de repos et d'harmonie. nous
rappelle cette opération de "centrage psychologique" qu'est
le Mandala 1 figuration d,.. Sol, symbole spi ri tue! et cos- . 1
'mique. En effet, les'\sPiratlons du poète Gont r.piritul'llC'ot
s'approcher de l'Etre,
~ l'Oe~rë,
c'est s'approcher de lapartie divine de Bon 4me, puisque les deux (Oeuvre et âme)
sont liées à l'origine.
La pureté de l'origine s'exprime par l'imagerie de
1 Michel Carrouges, André
m7-lJi!.ale~., du surréal1,me .~Ifte~B~~~;;""'::~~~=":'::':':'::-:":;'-::4';':';'=';;;'p.
JI.
,f •
" ~ A I~ ,.'"
J"
la transparenc e, laquelle est synonyme de v~ ri té "po~tique ..
• Un "retour aux transparences premières .. l lui donnera la vision claire! de l'Homme dfl N~anderthnr, nort(' d(' vision
mystique accordée aux poètes-voyar,eurrJ qui, "pënétrps du
sens du courant,- remontent à la s~rface de transparence."Z
.'
Cette transparence de la pureté èt de la vérité réside dans _ la lumière mystique concentrée bu centre du cosmos.
L, substance pure qui permet cette vision, "la pleine transparence de la vé,l1ité" ,3 c'est le cristnl.
Partout dans la poésie de Giguère on trouve des images du u cri stal, sprtout dans le po/ème Ado rable femme de's neiges qui
est le chant de l'Oeuvre. La pierre cristalline a pour le
poèt~ les deux qualités qui la rendent parfaite. dureté
(matière concentrée à l,' essentiel) et transparence. Le >
poète est donc celui q,ui "amasse des diamants en prévision de la Gr.ande fluit".4 ,/Le diamant, le verre, l'éclat, la boule de cristal, l'/étoile, et la nûige (ou le flocon de neige) sont toutes des images corollaires du cri stal
ex-primant pureté, vérité et voyance.
'Les ima~es de pureté sont aussi li~es
a
ln femmp • ...La femme incarne l'Oeuvre et tout ce qUe le po~te cherche aupr~~ de l'Oeuvre l I ' a bsol u, la ,vé ri té, la voyanc e. l' harmoni e priJ!lordiale. Etant l'Oeuvre, la femme en est
1 / Gigu~re, Age, p. 41.
J
Gigu~~et ~ain,
p. 11. ,.
2 Ibid, p., 144. J lbld, p. ~?l
l,
~ ' j ')\\()
8
aussi l'inspiration. "Femme compl~fe femme immense",l elle
'embrasse toute l~expérience poétique. l'luse, elle incite
le poète à voya~el' vers cl] (', pu i s nll t' l' necOnlJ'or,lH\ Nl
route, et finalement va à sa rencontre pour se m~ler à
lui dans l'acte de l'amour, et lui permettre ainsi de
créer le poème, Elle ne le quitte jamais parce qu'elle ,
est partie intégrante de sa psyché. Elle est cette ~artie
féminine de l'âme que Jung appelle anima. sorte d'int~r
média~re entre le conscient et l'inconscient qui permet
l'acte créateur.
Le Voyage de la nult intérieure
Poète d'inspiration surréaliste, Roland Giguère se
fera ~ explorateur du monde nocturne..
si"
on rapproc he le "thème du voyage chez Giguèrc du rêve surréaliste, il va de
soi qu& ce voyage poëtique est un voyage intérieur. Ce
. .
.qu'il observe et expérimente en cours de route se produit
à l'intérieur de lui-même, derrière la paupi~re de ses'
"Yeux Fixes" Il
Je suis debout
accoudé à la dernière barrière de l'être
l'oell rivé aux petites explosions
qui secouent'les galeries
Je me souviens avoir déposé dèS mines un peu partout
à l'intérieur
·pour voir le sang
2mêlé à des corps étrnnr,ers
. histoire de voir.
Le' voyage intériorisé par le regard, tel est le sujet même
'.
o
o
9
de l'article "Le P~riple de l'oeil et de la main" de Jan
Stafford dans le numéro spécial que La Barre du Jour a
consacré à Rolnnd Gieu~re.l Le .rni t QU~ pour Gip:\I~r('
l' expéri,enc e de la création l i t térai re est une aventure dans
l'inconscient explique le caract~re souvent onirique de
sa-poésie.
Or pour les po~teB surréalistes, il s'agit de faire
exister, par le rêve, un monde proprement poétique. De
fait, l'idéal dépend du rêve, c'est pnr le rêve que le
poète atteint à l'absolu et au paradis perdu.
Le rAve ••• fut l'état primitIf de l'homm~ à l'â~e
d'or où il était encore le V('rbe de )n naturc,
et cette pensée inconsciente des temps mythi2ques
était révélation totale de la nature divine.
Dans le r~ve, au seih de l'inconscient, l'homme se retrouve
en communion avec l'unité ct la vérité du cosmos. cc qui
lui permet de créer, d'écrire la poésie.
••• le rêve nous permet de plonger aux sourcêS mêmes
de ln vic physiolo~ique, de cofncid('r nv('c lA force
produc tric e, une et tou jours ln même. qui donne'
naissance aux forces de la nature aUGsi bien Qu'aux
images psychiques. 'Grâce au r~ve, nous pouvons
découvrir la plus profonde de nos analogies, de toutes
nos concordances rythmiques avec la natur~ J nO\ls
pouvons nous,. aperc evoi r que l' ne te C 1'(:3 tf'ur de soo .
moi, est le même acte qui crée les êtres vivants.) L'acte créateur par le rêve est donc un acte impersonnel, puisque le rAve lui-même est cet état cosmique et
imper-1 Jan Stafford, "Le Périple", pp.
7J~J.
2 Béguin, L'Ame romantigue et le rêve, p, 85.
~
Ibid, p. 8l. l., ".
,
l ,(\
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.'
10/'
sonnel dans lequel le poèt~ ~e dépersonnalise, devient
,
secondaire à l'état inconscient qu'il provoque, Ainsi .
Bachelard, dans La Poétique de là rêverie, pe~t-il
,
prétendre quet
Le rêve de la nuit est un rêve sans rêveur. 1,
L'expéri~nce poétique surréaliste a donc lieu dans
cc monde noctUrtH' ct fnntnr;tiqul' d0 }' ill('()n'~c,'<"nt, 1.0
poète. en sc l i vrnnt au rêve noc turne, sC"' donne "1 c pOtlVO i r
d'être a bscnt'~ pouvo i r sans 1 equel "la vi c ic i serai t
intenable:'.
~
Le dépaysement intérieur par le rêve devient une façon de vivre et le moyen d' "atteindre l'équilibre et'1IP'
se posséder",) car, dit-il. "tu deviens'ce que tu r'vrn".4
P our 1 e po èt e surrea . l ' 18 t e, rever .. c · es t " CCI" 1 re,' ') e t Vlce-.
versa. C'est le rêve qui le s~uve du drscspoir face à
un, monde en ruines. Selon lrir.uèrc, le monde ('t ln vic Gont.
à refaire ("Un Jour à Refaire-" , Age, p. 2), et c'est par
le rêve qu'est l'expé,rience poétique qu' il êntend réaliser
cette métamorphose 1 "
et pour continuer à vivre
dans nos solitaires et silencieuses cellules nous commencions d'inventer un monde
avec 1 es formes et les cou!eurs 1
que nous lui avions rêvées
1
Gaston Bachelard, La Poéti~ue de la rêverJe, )e éd.
(Parisl Press~s Universitaires de rance.
1965),
p. 20.2 Giguère, 'Main, p. 42.
J fIlaugey, Foésie et soci,été au Québec. p.
16'f~
/
4 qiguère. Age, p. 68,
5"
En effet,
rêver.
vivre, écrirect voyager
sont unemarne expérience
pourle
poèt~ surrealiste. 6 Gigu~re, Age, p. 106.'1
a
o
-Ai nsi. passant "La Nui t""a:ux Fenêtres" de l'.i nconse i ent
(Main, p. 90), "ra tête El bandonnée à la nui t" ,1 le poète
se lance en un voynp:e intprif'ur, "It" prl'irlr df' ln "('cono(',--...
vue",
La nuit qui appelle et qui fascine le po~te est
cette nuit impure2 de Les Nuits Abat-Jour (Age, pp. 6)-74)
où résident l' i nsomni e (Age. p. 94), 1 e rêve et le c auc hemar.
Ces habitants de la nuit] 'empêchent, avec Ipurs activités
.
,
nocturnes, d'être "pure", d'être un lieu de parfait repos.
L'acte d'écrire, dit Blanchot, c'est se livrer â la
fasci-nation de i'absence de temps dans lé nuit.) Autrement dit,
c'est se l i vrer aux fore es df" l ' inconsc i ent et à l ' 0 bscur
de la poésie. En ceci le noir n'est pas absence, majs
plutôt présenc~1 il est fécond. Le noir (de même que
. ~
l'hermétisme poétique) est nêcessaire à la clarté puisqu~il
,
en est la matrice. L'obiilcurité de la poésie, cette "zone
d'ombre", rend d'autant plus claire, plus riche la v~ritd
du po~me 1
Cette lueur, je-la vois auréolée d'une zone d'ombre
comme le diamant sur le velours de nuit. La zone
d'ombre est nécessaire au po'ème comrne 1f> silence au
cri.
••• C'est un d~s grands secrets de la poésie que de
pouvoir maint~nir ces ra~cinants mystetes au grand
jour. ij.
1 '
2 Blanchot. p. 216. J 1 bid, po' 22.
4
Gigu~re, ~Une
Lamped'nbsidienn~",
p.1J.
"~_~ _ _ _ _ _ _ _ _ ~ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ----.J" •
.'<\'
,
..
o
>"
,
12
"Le Délire de la Dérive" (ttlain, pp.47-49), poème onirique par excellence, démontre combien Giguère s'est
adonné au mond e surréali st e de l' inc onsci en t. Sn poési e
est souvent une expérience vertigineuse comme en témoignent
les expressions suivantes 1 "le délire de la mont~e, l'autre
délire de la deSQente"ll "la tAte vire comme un carrousel",2
"les augures
tour~oient"t)
"courant hallucinantH•
4
Lemouve-ment de l'expérience dp1irantc du voynr,~ ress~Mble pnrfo\~
à celui du tourbillon.
Le poète-voyageur parcourt tous les chemins de
l'in-conscientl" le rêve, le oauchemnr. le ~ér~gl(>ment., le Mlire,
la fi~vre et la folie. Comme Rimbaud, ~oète du dér~gle
ment"il s'habitue à l'hallucinati6n, devient un "opéra
fabuleux .. 5 (" ••• j'ai l'habitude des mira~es et aussi
l'habitude d'y'croire comme un enfant")6 et, "finit par trouver
sacré le désordre d,e son esprit". 7 Giguère a lui aussi sa
saison en' enfer. Désirant atteindre l • ori~i ne de toute
H'
Parole poétique, i l provoque le même état volontaire de toue
les sens, état de chaos pe rpétuel.
l Giguère, Age, p,
97.
2 Ibid, p. 77 • .; '
J Glguère, Mai n, L.p• 1)1. 4 Ciguère, Age, p. 95~
S
Arthur Rimbaud, .. Une Sni son en Enfrr" t Ot'uvresComp1~tes. avec Chronologie et Préface par MicheL bdcaudin
(Parisi Granier-Flammarion, 1964), p. 1)4.
6 Glguère, ~.
p. J) •.
7
Rimbaud, "Une Saison en Enfer", p. 1)2...
t\
l{'~ ~, 1 i' " 11
.~~~_J
1
e
"'-,.
l J 1.
La dé'marche surréaliste consiste dans le choix d~Hn monde, celui de l'~rraison, de l'inconscient, d~'
Rêve. du D~sordre, ~u Noir et de la :Nuit d'ob sourd 1
un langage pythiaque que le poète prétend r~cueillir.
Le voyage et l'univers poétiques de Gic;uèrel une expérience double
La tête remplie de r~ves, de cauchemars,
d'halluci-nations flévrèusce, le poblo ~ourné ver'n l' l nt~ricur ~!lt, .. seul/mais peuplp comme une ville surpeuplée". 2 Dépos-sédé du monde, il est posDépos-sédé par ses délir~s. La nuit l'envahi t 1
La poésie, pour moi, n'est pas évasion mals bien plutôt in'vasion. Invas ion de l'uni vers extéri eur par le monde)du dedans. Pour agir, le poète doit être habi té.
Si le poète est "habi té", ct est donc qu'il Y a déjà
eu invasion de l'intérieur par l' e/téri euro Le mouve-ment de 1'expérience poétique chez Gigu~re est double, un
"brusque échange entre l'extérieur et l'Jntérieur" qui est
-,
4
p1ut~t "transvasion". Le dualisme du voyap.,e et de l'uni vers
'poétique de Gigubre provient: d'une conception de l' éspace dont les critères structuraux repo'sent sur le thème de
1 • horizontal et du vertical. et sur 1 -i mage du ml ro Ir. La
1 Marc Angenot, "L- Ecri ture au mat qùe 1 rituel ou
imposture?" dans Li ttêratures' (Montréal f urtubise Hr,iH,
1971), p. 211.
2 'Giguère. Age, p.
,,7.
3 Gigu~re, "Une Lampe à' Obsidienne", p. l
J2.
1.4' Chamberland. "Lampe d' Obsidi ennetl • p~
39.
"
1
o
/
1
14
bipolarité de cette structure spatiale ('n~e un dynamisme, . car les expériences du voyage se produisent altèrnativement
sur les deux axes qui délimi tent l' espac f' f. et sur chacun ,
des axes, entre les deux pôles opposés. L'fmaf,c du miroir, par ses deux faces, seconde 'le dualism~ horizontal-vertical. Le mi roir dans la poésie r,ir:uériennn r'C'prrr;C'utf' donc l Cl
vision, du poète et le po\te lui-même,
comme~
en tp.moigne le nom du doubl e du po~te ," Mi ra r. Le mi roi r ne donne pas seulement les deux versions opposées d'une imap.e ou d'uneo
expérience, i l travaille. à les rapprocher. Ainsi, par le miroir, i l y a dépassement des contraires. Le dualisme d'abord ressentl comme un conflit insoluble drbouchcrn sur une synthèse des forces antagonistes. D'*où la nécessi té ,de provoquer la multiplicité pour' atteindre à lfunit~. de
"cul ti ver" le chaos pour engendrer l ' ord re et l ' harmoni e, C'est toujours de cette symbolique noir-bl-anc <'lu'il s'agit. Ainsi donc l'équilibre recherch,ée se trouve au sein d'un déséquilibre essentiel •
. Selon ce paradoxe, le voyage nocturne de l'expérience poétique doi t être aussi voyage diurne, car ce que cherche le poète au fond de la nuit c'est la lumi ère di vine de l'inspiration et de la communion avec l'Etre. Il se 4éve--"loppe ainsi dans la poésie de Gigu~r.e ur:e vér11a'He
cHa1!-c-, *
tique diurne-noc~urne où blanc et noir, vie et mor~.
luml~re et ombre, absence et présence, se confrontent. La
nuit e~t impurel elle n'est pas tout
à
fait noira. mals elle!
1
\
\ \ \G
\ \ \ \ \ \ \•
\ \ \ ' \\
15
est plutôt marquée par la lvmière qui se cache au plus
/
profond d'elle.
~C'est
le jour qui fait la~Uit",l
doncla nuit lui appartient; la nuit est dissimu1~c dans le jour
(et vice-versa, bien sOr).
La dissimulation des contraires crée une grande
conti nui té dans l'oeuvre de G iru2>l'e. L('~ drux rtHcs
J
~ ~opposés du paradoxe diurne-noc turne sont 1 nSL'parnulcri ct
interdépendants, l'un~atant le prolon~ement de l'autre.
'\
Narcel Saint-Pierre, dans son article "Noir sur Blanc",
commente ainsi la réversibilité et l'interdépendance du
,
noir et du blanc de la symbolique giguériennel
,
Le blanc n' est ri en •••. est vide sans 1 e noi r marque ••• la conslstance et l'existence même noir dépe2dent de la lumière et le noir est
du blanc. .
qui le du
pouvoir
\
~La coexistence harmonietse, voire, 1tamal~nme des valeurs
\ opposées chez Giguère souligne la volonté du poète de
\rétablir l'unité et l'harmonie primordiales, S'il parle
plus souvent du "Pouvoir du Noir"
(~lain,
p. 115) que de\. /
c\elui du blanc. ct est que le premier est nécessairement
a~térieur au second. Sa poésie est un paoBar,e du noir au
\
blanc, mais comme la plupart des expériences du voyage
•
poétique ont lieu pendant l'étape nocturne, la lumière dt
la rencontre Bera brève et éphémère. C'ent le noir qui., est
. Jour,
Ir-IJ
~ fi
1 Blanchot, p. 221.
2 Marcel Saint-Pierre. "Noir sur' Blanc", La Bar-re du
num~ro sp~ciall "Connalasance de Gl~u~re". nos.
11-(Montréal, décembre-mai 1968), p. 108
-
..
•
o
f)
'"
- , 16 'fécond, couleur Qui'comprend~outes les couleurs, toutCG
les }1bssibilités.
Il
est présénècl "le noir sait tout,,1et seul:. "permet la rencontre noc turne Qui éc1 ai re le po~t·e.
~':f"
Voilà so~ pouvoirl sans la présence antérieure du noir, ,la
lumière ne pourrait exister.
La dialectique diurne-nocturne se résume ainsi.
Le jour se fa~t jour et se fait nuit tour à tour
nul t et jour.
Enfin, l'expérience nocturne suit un mouvement double de
flux et de ~eflux semblable à celul de l'eau, et c'est
-,
à ce rythme qu'obéi t la poésie de Gi~uère, mouvement
incea~ant. voyage infini.
J
...
'1 . 01lulre, Mal!!. p.' 121. ."i " , .\
o
"'''-''''''
.'" • • # • L'AMORCE DU DEPART..
1. Un Fays en Ruines" " ,.Parlant du dépaysement, Giguère di tt ... 11 B' agi t
bien d'être ailleurs ••. ~t le peintre est là qui trace la
route ... l Gi'guèl"e, pointPe et r,raphlate nussi, nouo "peInt"
, dans sa poésie le monde dont
s'éloi~ne
le poète et .lepaysage ~'il découvre en voyage •
• Le monde où vit le poète se prisente sous trois
1 •
aspects 1 un pays nordique, stérile, et violent de par
l'~gressivité de la nature. Par sa poésie, le poète
. .
désire
à
tout prix refaire ce paysage qui est '~dépayBé"<,
(Age. p. 111) et "perdu" (Age, p. 141). Avant de pouvoi r
recréer le mo~de, cependant, fI faut le rOGsrder. Cette
tentatlvè de maItriser l'espace s'exprime chez Giguère
par l'lnven,aire qu'il en fait. _
.
.. ~ .. J
Par
~~ vocabulaire ri~he en termes géographiques et• • J
f
géologiques, Giguère fait ressqrtir toutes les composantes
,
da ce pays nordique. la
forlt.
la roche, le minéral, laneige et
l'eau. C'est bien "cette terre excessivo" dont, 1 ' ;,
_ '~Roland Glgu~re dans "Le Visage Intérieur de la
Pelnture~.
Place
Publique,no.
2(aoGt 1951).
p. JO....
:
... .
'1 ... " >\ >, t o17
Cj
1
/o
18 ' u
parl e 'ives Préfontaine, 1 avec sa vi e dure (" terres amères", Age,
p,
154, "au niveau du métal", Age, p. 92), sa "faunemonstrueuse", (~, p, 146) et ses vastes espaces. Il décri t un pays hostile soumi s à de ~ongs hi vers par 1 es' images du
Grand Nord. banquises~ glaciers. 'igloos et cercle polaire
(Age, p, "'54). Cette terre e~t dC'he ('1) mtT";I'n\ ct(' tout!:'!';
sortes. cuivre, acier, amiante, mica, La for~t, ce lieu
vo' intime, est "nouvelle" (Age, p, 14) et "muette" (Age, p. 60)
-
..
.
.
tout comme le p6ète débutant .. Par la .. , statIon \
.
verticale-dei
l'1~mc, le poète s'identifie à l'arbre de la forêt, il
est~ de ces "gran~es f~r~t3 d~capi tées" (Age!, p, 42)
par la ci vi li sntion indi fférentc, Or d'après Durand,
l'arbre -qui' s'humanise est
a~s9i
l'arbre cosmique.2 cel '
serait le po~te en tête-à-tête avec le divin, recevant le
message du cosmos. Car le but de Giguère de "se rapprocher
.des saisons" et de l'état primordial de l'homme procède du (}4éSir
d'entr~r
en"com;uniol'l avec l'Etre nu cE'ntrp dui'f,osmo.. Le pohe -arbre par sa verH c ali t"é aspi î-e à l' a bsol u et doit pouv~ir sa mettre 'en contact avec le cosmos.
Il Y a 'donc une connotatioTL...Spirituel1e ait~ché,~.
p..M
à la description du
pays.
L'énumération de dét~il . géographique's etg,~olQgiques
souligne, aussi le~mporte~
t "
ment nord-~mérlca~n de R~,~and Giguère, car rour ~~te
,
'l Yves Préfo·ntalne. "L"a Poési,e et
'1'
homme-, quelques8 aspects" dans
Lt Poésie
et nous,. avec présentation deJean-Guy Pilont " Les oIx (Montr~al. L'Hexagon~, 1958') t p. 93.
2 Durand, structures anthropolosigues. p.395.'
,'-"'
, 1 , 1,.
" , ,~O
, ,
,
québécoi 6
••• l'arbre n'évoque pas une silhouettç, il est quête d'identitéa le fleuve n'est plus le coura d'eau, il est une duréel la neige est un comporte-mentI le pays est une conquête d'intégrité: •••
Ailleurs ce pays nordique est dur ct dépouillé jusqu'
à la stérlli
te.
Les imag~s de "désert", de .. prai ri e morte",d'flétan, morne" (Age, p. ))) et de "plaine ajourée" (Age,
p.
56)
nous révèlent une terre non cultivable et inhabitable., ,
C'est un pays o~ les ruines dominent (Main, p. 18), où l'on ne
trouve que la poussière de minérai (Age, p. 120) et les
.foss Ues (Age, p. 1)5). Le Feu Fou (~, p. )4), feu
<"stérile et "idiot" qui
br~Uc
tout "sans voir C't aans r.avolr",2a ici tout réduit en ~ulnes. Dans les "villes désuètes"
(Age, p.
54)
de ce monde stérile, l'individu étouffe sousla main tyrannique du bourreau dans une société bâtie par
des "faiseurs de ruines" (Main, p. 50).
~rande main 4ui p~se sur nous
grande main qui ~ous aplatit contre terre
grande main qui ~ous brise les ailesJ
of'
L'être québécois ainsi aliéné dans un pays, qui, comme
lui, est déposs~dé, "un pays sans faune ni fl~re où
hab'! te un pe'uple sans langue,,4 est du reste entouré d· une
, ,
nature violente qui, l chaque instant,
m~n8ce
del'en~a~ir.
" 1
, 1 Marcel COlin, Une APRroChC de la
~ésle
guébécaiSl!de notre temps (S~i~t ... Jean';dltlons
du Rcheileu,
l~?l'.pp,
33-36.
.
~., 2 Giguère.Age.
p.14.
' .. ) l,bl d, p.17.
. 4 l hl d. p. J 2...
; " , 1"'*
. , 1)
()
20
Son caractère chaotique s'expr~me par l'abondance d'images et de détail s desc ri pti fa,.. Dana un monde vi olent t la nature s'impose à l'homme, les Images souvent "pointues" en montrent bien l'agressivité, Le poète Sp sent menacé
par la "lune épineuse" (ill, e p. 135), par des "banquises
acért'!es" (~, p. 25), par "des lames di eau" (Main. p. 61),
m-ême par "1 "'alr. aigu" (~
p, ))}.
Il est intimidé par "la montagne de la vie1
avec scs pics neigeux ses ar~tes lanc inantes" ,1"1a faunJ monstrueuse" (Age, p. 146). "la rose carnl vore" (Age. /p. 146), et l ' oi seau qui est ~our àtour'oiseau de proie (Age~ p. 25), oiseau rapace (~:ain,
p. 61), et vautour (Main, p, BO),
. ! L'espace sclérosé, chaotique et aggressif provoque
,... r 1
. chez
le
poète le désir d'@tre ,ailleurs, Il ne supporte~
1
plus ce monde de contraintes et de violence, et s'évade.
Il se renferme en lui-même, consentant à un voyaA~ intérieur pour oublier le dehors. Le réseau de chemins intérieurs que partourt lc po~te est clos et labyrinthique. Malheureusement,
...
il Y a aussi au fond de lui-mAme chaos et stagnation. ils'enfonce dans la boue ,de l'inconscient, leq~el se traduit ( par des images d'eau stagnant, <lomme "hoire mélasse" et "marais de sang c~aguté" (Al;e, p. 96),
Le fait que le poète rencontre en lui-m~me ce qu'il
a fui, montre bien que ~ le monde intérieur reflète
l'exté-rieur. Par" le
miroir spatial, i lyOn
ouverture,et le
l Glguère,
W' 'p.
108.•
'1' 11
l
o
\
.
/ '
e
dehors envahit le monde intérieur. Le pays parcouru en •
JI.
voyage est int~rieur, d'o~ ln nature de l'nn~oiRsP du
poètel sa hantise des ruines est empirée par le fait que
ces ruines se,trouvent en lui,
{~'imagerie est toujours habitr5e. Les mondes qui nous
hantent sont ceux que nous imaginons. l
Ainsi, les ruines s'intériorisent. prenant la forme ;du corps humain atteint de maladie et de putréfaction.
"
C'est 'il a ruine à notre image" (Age, p, 119), La structure
corporelle de l' homme est aussi "cet arbre pourri" (Main,
. p. 127), structure que "tout souillp et tout ro~ille".2
Elle se desB~che et se r~trécit comme une peau de chaRrinl
"La pYramide Diminue". J L' homme est une ag~loméra tion ,de
rides, de plis et replis de l'âge, dt:' cicatrices (AGc', <p,
.,..t '
18), de peau morte (Age, p. 46). de virus. plaies béantes,
pus. poison, et mauvais sang (Age, p, 105). Les panaris
(Age. p. 17) ont rendu les corps deo homrnp;, comme de "blômes
échafal,1dages" , (Age, p. 100) o~ "Une seule poutre déjà
pourrie soutient l'ancienne demeure".4 L'homme se
méta-,
morphose donc en "statue de sel"(!gg, p, '13). image
giguérienne par excellence qui désigne l~ stérilité
"
physique et spiri~uelle de l'homme. de.l'hcmm~ québ~cois rn
particulier, qui selon Yves,Préfontaine, appartient
1 Gigu~re,
"Une Lampe ~~bsJdienne", p.
JJ.
2 Giguèré. Mai!Yt p. 122.
J
Giguère, Age, p. 128. 4 Ibid, p. 126.•
\ , \,
o
22
à "une race de" statues de sel";l à "ce pauple d'arrachis
\
2
et de sel". La civilisation, comme l'homm(', est malade,
Une nature agressive, d~bridée envahit aussi
l ' intimi té du poète 1 ",Le fr:o id commence d~ jà à nous
envahit, il s'attaque à topt et ron~r."J Aussi, "la mer
dressait de;ant lui son ridtu de dagues,,4 et "ses
espadrons". Il y a envahissement par "le r~z de marée,
6
la tornade, l'ouraean" et par "les ~~lu~ps et le~ ora~P8
d'énigmes".? Les habitants de ce monde noèturne chaotique intimident également le poèteJ
les a~imaux nés de la nuit montrent des dents
blanches, acérées, prêtes à mordre ••• ~
Face
à
toute cette violence chaotique, le poète commenceà "hurler comme un c hi en" t 9, c • est Mi ror qui hurl e avec le
petit animal égaré. Essayant de se rapproch~r de la nature,
Miror fait un premier effort pour apprivoiser une rivière.
C'est un échec totala la nature dévaste tout (~ain, p. 25).
\..
Cettè nature "dévastatrice est surtout présente dans les
Lettres
à
l'Evadé (Main, pp. ))-4)).1 Yves Préfontaine, p. 91. 2
1 bi d, p. 92.
J Giguère. Main.
-
~. )4, 4r
bi d, p. 1~.5 Gir,uère, Age, p. 1)8.
..
6 1 b.i d,r·
94.? Giguère.
M!.li!.
-p. 99. 8 Ibid, p. 19.9 Ibid. *
-•
o
"
2)
• •• un uage'a soudainement fait interruption
dans m chambre, a tout couvert, tout voilé et
s'est is à pleuvoir •. J'ai dO chercher refuge
ailleu s. Ici il pleut aussi bien à l'intérieur
qu'à l'extérieur •.• on risque a~nsi d'avoir chez
soit à domicile, de terribles ouragans, deR
tornad s qui désorganisent votre vie priv~e parfois
pour p usieurs'mofs ••• Uni petite distraction et
vous r~squez la t~m~~te.
1
Le poète ainsi cn 'nM:·pnr le monde Ilxl.{;deur l'!.1l
forcé d ',Y faire face. Il se résoud alors à voyafJ:cr dans
ce pays intérièur règne le chaos et l'ar,ressivité. avec
la détermination e le conquérir, Cette conquête de l'espace (conquête de l'espace extérieur par la conquête de l'espace intérieur), il la voit comme la seule solution à son angoisse. Ainsi part-il dans un nouveau voyage, cette
fois-ci en quête des "lieux exemplaires" (Age, p. 12)).
l'espace pur du centre parfait o~, dit-il. "jr drvrn\
faire mon feu».2 Ce feu-ci sera un feu créateur. purifi-cateur, qui transformera le monde par un processus
alchimique. L'aspiration de GiRu~re connistc donc cn une
volonté de tout métamorphoser, de tout r~duire à l'essentiel.
le monde, son art poétique, et lui-même. rarmi les images
géologiques, c'est la pierre qui traduit cette aspiration.
matière dure, pure et essentielle. Giguère parle 8~ssi de
la "pierre philosophale" (Aee, p. 9.5) de l'alchimie, pierre
susceptible de transformer de la matière brut~ en or. Le
désir d'un monde transformé e,t d'Un espacE' conquis est à
1 • origine du voyage poétique. noc turne. '
1 Giguàre.
!!!nt
p.)7.
o
24
2, A la Conquête de l'Espace
Face au monde en ruines, le poète entreprend un
voyage en quê~e des 'lieux exemplaires, de l'origine. où
il dol t trouver la pureté ct ln pC'rf('c ti 011. , DI~r:ts(:nn l I t '
monde imparfait, il arrivera à un espace idéal où
exis-tent l'ordre, l'harmonie des contraires, l'ar,encement de
l'horizontal et du vertical. cé centre ~~rfa\t du miroir
Qui est au fond du poète lui-même. Il devra se conquérir
pour conquérir l'espace du monde. a) l'arçhitecture spatiale du miroir
Le voyage poétique étant un voyage intérieur. le miroir chez,Giguère est la voie par laquelle ln descente en soi est possible. L'unité et l'ordre primordiales que
~herche le poète devront surgir de la multiplicité
d'images et du chaos de son monde intérieur. Ce miroir
qui multiplie les choses, c'est le poète lui-même, comme
e~~~.aigne l~ nom Miror, double de Giguère dans La Main au feu.
.
t'
.
.J
Le poète-voyageur traverse le miroir, tout comme Alice, pour trouver un mo-nde intérieur nocturne où 'toutes les imar,es du monde .xtérleur diurne sont inversées.
Voici que j'entre en noir domaine. l
Le poète lui-même est ce "double horizon qui servai,t de ralla
l Giguère,
E!1u.
p. 115. • ~l
\
\
<:j ~ "!1
o
•
à ses voyages imaginaires~ 1 Pour traversrr le miroir' qu'
est son propre corps, le poète doit avoir Ip.r, yeux fermps
(~lain, p. 9), tournés vers l'intérieur, vision proprement
nocturne, comme celle du chat. Pour voir dans la nuit,
"Il faudra avoir des yeux de chat dans les poches .•• "2
L'exp~rience de la vision intérieure est péniblel "face
au feu
i n t
~ rie ur" ,J 1 e po è t e ale s I l yeu x fi xe 5" ( Age. p. '35),ye impitoyablement "sans défense" (Ace, p. 6A). Il est
le des ~vénements nocturnes, donc le
voyage poé tique est une I l hi sto ire de voi r" (Age, p. 87) 1
A l'ouverture des rideaux, seul témoin, r<'G 3rd Rr
fr~idement
,
le spectacle d'un passé incendié ••• ~Le po~te-miroir qui observe est "LE MINISTRE DES
AFFAIRES INTER1EURES,,5 et é~nlement le Ministre den Affnirrn
extérieures. Car ~~ror, double de Giguè're, est une "porte
battante" (Main, p. 15), il a la vision double. Le poète
a donc une personnalité double aussi, comme dans ses images, il a au fond de lui-même un conflit fondamental qUi le
tiraille en des directions Opposées. Mal~ré l'angoisse née
de ce conflit, le . .
-
~ po~te est néanmoins fasciné par le chaosqui en découle. En se lançant dans la Grande Crevasse,
Miror satisfait sa curiosité de voir en ded~ns de lui-même.
de se connaître. Il est voyeur aussi, aimant surveiller l~n
1 Giguère,
..
Ma;n, p. 26. 2 :;iguère, ~. p. lOO.
J Gi~uère. Main, p. 9). l,
Gir;uc-rc, Age. p; 14).
26
autres et assister à leurs "luttes intestines" (!l'Iain, p. 24): .•• cette habitude qu'il îvait de regarder dans
la tête de son voisin ...
L'état impersonnel ("état d'ombre", hlain, p. 15) du
mirorr et son rôle de témoin objectif deviennent pour Gi~u~re
synon~me de la condi tian du poète. Dépersonnalisé ainsi,
le poète se rend disponible .. voire sensible, à toute
réflexion. Il se fai t "sismop;raphe des tr-emblements d' être,,2
reflétant la multiplicité~u monde actuel et, par-delà,
l'Unité primordiale. Le poète comme miroir est donc l'image même de l'Un divin, imap;e "imparfaite"
qu
préfiguration de i'Etre et de ~a Pocisie qu'il cherchel L'esprit de l'homme, créature séparée, est lp plus pur miroir de l'univers et de l'Ame univer-selle. hieux encore, cett,e Ame ne peut atteindre
à la conscience et se connaître ell~-même que dans son image, qui est l'âme humaine .•. J
Grâce au miroir, le système clos qu'est le corps du poète s'ouvre et reflète l'immensité du cosmos. C'ect
justement à force de se limiter à son intérieur, de p'en-foncer dans son Moi, que le poète dépasse l'espace de la structùre corporelle et trouve l'espace infini. Car
"L' immensi té est en nous .•• elle est le mouvement de l' homme immobile",4 du rIveur. Par le
r~ve,
par le voyage nocturne,l Giguère, .hlain, p. 21. 2 Giguère, Age, p. 135.
J Beguin, L'Ame romantique et le r~ve, p. 72.
4
Gaston Bachelard, La Poétique de l'esEace,4
e éd.1
o
le po~te g'int~riorise, s'exile, et rencontre le cosmos. Far la réflexion simultanée de l'intérieur et de l'extérieur, du personnel et de l'impersonnel, le miroir établit le dualisme et la vision de l'univers poétique
l
giguérien, univers "où tout est multiplié par deux". L'imap,e de l'écho (Ac;e,.p. In) incnrrw !l\lr:~i ( ' t ' clll"lli~m(l
fondamental chez Gigu~re. Le miroir est à IR ba5e de l'antinomie imaginaire de sa poésiel il y a toujours
combat ent~e deux termes antagonistes qui donne à l'imar,e - son dynamisme. "1 La juxtaposi tian des contraires fera
pro-gressivement place à l'amalgame. En fait, pour Gi~uère
le miroir incarne l'unité poétique, il rapproche lCj
con-traires, faisant de l'antithèse une analo~ie. Deux termes
opposés deviennent ainsi une même ima~e dans le miroir. 1
Ce dépassement des cont.raires relance la vision jusqu'à
"f'
..
une nouvelle perception de la réalité, appelée Burréalité.
Ceci rejoin't tout à fai t la conception surrfal i f;te d<>
l'image.'
L'image prépar~ une métamorphose de la vie par l'union des contraires. Du rappro
2
hernent fortuit de deux termes jaillit la luml~re.Pour G~guère,. l'imaginaire est un slstème d'analogies. Les
versions opposées des images sont rapprochées jusqu'à
pouvoir être assimilées l'une à l ' Autre. Gi1l-<>rt rur3~'è
1 .
Giguère. Age, p. 9),·
2 André Breton, bianifestes du surréal i sme, Idées
a
....
28
appelle "point de rebroussement"l ce~oint au centre du
miroir où s'agencent les qualités opposées, Ce point de
continuité et d'unité, lieu de l'Un primitif que cherche le
poète-~oyageur, n'est accessible qu'à travers la dualité
des choses.
S'il Y a dualisme par le miroir, il y a aussi
multipllcit~1 le miroir offre des ponulbilit~o lnflnlou.
Le poète-miroir multiplie les images reflétées du monde,
et élargit ainsi son univers pocitique. Mais ne l'ou~li0ns
pas, l'immensité et l'infini sont dans le poète lui-même. Il est donc non seulement miroir et sismographe. i l est
aussi ~~ kaléidoscope où s'opèrent toutes'les combinaisons
possi bles de l' image. réfl,exion de son oeuvre à l'infini.
D'où l'équation "immensité-multiplication" sur laquelle repose la démarche de Giguère.
,
A la lumi~re du miroir gig~érien. tout
.e
~ultipliedans une "progression géométrique dans l'espace".l Dans ce "carrousel d'images" (Age, P" 97) qu'est sa poésie, il
y a prolifération de tout~s choses (rAves, yeux, regards,
visage~, mains, jours, avenirs, cel1ul~s, murs, ruines,
plIa. vo.lcans. aubes, couleurs) et surtout prolifération de mots par l'écho (Age. p. 9). Quant au style poét~que,
Giguère exploite be~coup la répétition, procédé cher aux
surréalistes. P.arfois il en 'résulte un certain ~sticiBme
l
Durand. Struc tures anthropologiques, p. 2:38 .. 2 Gigu~re.
!I!. p.
95.
, ,
de l'expérience poétique. La répétition du thème de la
multiplication e~t exploit~e ~ans "Pour Tant d~ Jour~"
(Age, p. 15) et "Tant Attendus" (Age, r. 14). Enfin, ~crire
la poési e, di t Giguère, c'est "Toujours addi tionner de'ux
et deux font quatre et multiplier à l'infini".l
Le poète est appelé à faire l'inventaire de ce monde
de quanti'té!'i, et à dresser le bilan de ce qu'il possède,
comme Miror, qui énumère ses possessions (~Iain, p. 16).
1
Tout s'additionnait, et, penchés sur nos calculs,
leB~vaiss~aux du coeur ouverts, nous attendions
le total. 1
)
Le calcul est ,,'!,n' autre thème alchimique que Giguère a
emprunté aux surréallstes. Jouant avec les chiffres,
comme avec les mots et les ~ma~es, 1 e roètf'-m~r,e cherchE' ln
combinaison juste en vue de~rouver la formule qui
,\
transformera le monde. c'es~~r l'énumération des choses
( ,
autour de lui que le poète ar e à saisir, à posséder·
le monde, tout comme Adam qui participe à la Gen~se en
nommant les choses. J Les images dans l'univers poétique de
Gigu~re sont tellement abondantes que, né~liger de les
inventorier, ce serait laisser régner le chaos. L'Age de
la Parole, nouvel âge mystique, conoi ste justement à di re
les choses, i y mettre de l'ord~el
1
Gigu~re.
Age. p. 90.J
La" Bl ble,Ge~~8e
2. 19.\
1
{
1
)0
of
L'â&e de la parole",;e situe pour moi dans ces
annees 1949~l900 au cours desquelles j'écrivais
pour nommer, appeler, exorciser, ou~rir, m~is
appeler surtout. J'appelais, Et à force ~:appeler,
ce que l'on appelle finit par arriver~
b) l'orientation horizontale et verticale
L'esp~ce chez Giguè.re est orienté par les..axes
horizontal et vertical, struature dualiste qui rép~te le
"
système du miroir. Le voya~e poétique, quête des lieux
exemplaires de l'Unit~, de l'équilibre -entre l'horizontal
p
et le vertical, dort donc se produire alternativème~t sur
ces deux axes.
Au plan horizontal, le voyage s'effectue surtout sur l'eau, Descendant le fleuve onirique de l'expérience
poétique, le poète éprouve "Le Délire de la Dérive",2 De
toute l'imagerie giguérienne ce sont Ips ima~es de l'~au
qui sont les plus fréquentes. eau Claire, eau douce, eau salée, eau glauque, eau promise, vagues nocturnes, vague anonyme, source de transparence, eau complice, eaux
. '
r
heureuses, le marais, la marée, ruisseaux, le"fleuve,
..
le,,<- •
torrent, l'étang. Le poète-bateau flotte impuissant, balot-té par les flots (les "mots-flots";, Age, p. 10?), tout comme
le
paqueboto~phelin
d'Apollinaire.) Mais ce destin, le2 Gi'gu~re, Mai n, pp, 46-49. "
f
J
,
l' 1. -'
!
JI
.~
poète l'a voulu, ayant formulé "le désir d'une croisière
't~l},ns ~orizon, aux quatre vents de l'absolu",l qui le
puri-...
Ij~era, lui donnera l'habitude de l'(>sspnt\el (Age •. }:', ll.l~). "c'est-à-dire,len poésie, un style ooncentré, dépouillé,
1 ascétique.
J'avance comme l'eau de la rivière vers ln chute
pour me réduire totalement en r,outûlcttcs, en vapeur:!, ou poursuivre ma c~urse, de plus en plus dénudé, de plus en pl~s fort.
Avec la'chute, le voyage ch3n~e d'nxPI c'pst d~Rorm~is
le'vertical qui l'oriente, d'abord par un mouvement vers le bas,
Je n'ai plus qu'à me laisser descendre •• ,je m'enlise parce que' je veux m'enliser.)
Il est bon de se rappeler que pour Rilke, la chute est une
exp~rienc~ intime exprimant "le d~sir de tomber vers le
centre par Une chute silencieuse, immobile et sans iin",4 L'axe vertical étant l'axe intime, le voya~e en quête de
l'absolu pourrai1; se traduire psycholop:iquemcnt. La descente au fond de soi est le devoir du poète, car la
~
connaissance de la poésie passe par la connai~sance de soi. La première 'tude de l'homme qui veut être po~te
est Ba propre connaissance, enti~re.5
A l'instar de Rimbaud. Glguère entreprend la descente aux
l
Giguère. Age,p. 144.
3 Ibid, p. 96.
2 l bl d, p. 89, 4 Blanchot, p. 209
5
Arthur Rimbaud. Lettre du ,VoYant.~. (Farisl Fressesdu(1;ivre de France, 1950). p. ,
24." .
'
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