Hazdai ELMOZNINO
DE MARIE DORVAL A EVA OU,
LE HYTHE DE LA FEM1.jE CHEZ VIGNY
ABSTRACT
Department of French Language and Literature
M.A.
Dans le présent mémoire, nous nous sommes proposé d'étudier le mythe de la femme chez .Alfred de Vigny.
Dans une premi~re partie, nous avons anaJ.ysé les divers fac-teurs qui, drune façon ou d'une autre, ont joué un r8J..e dans l'é-laboration de ce mythe.
Dans la deuri~ partie, la plUS longue, nous nous sommes attaché 1 préciser les mnltiples aspects que prend ce mythe.
L'étude détaillée de lloeuvre, du Journal. et de la Correspondance, nous a permis de constater que deux figures s;ymboliques, Dalila et Eva, rassemblent les diverses conceptions de la femme, sous-jacentes dans 1 r oeuvre entic1re.
-Hazdai EIMOZNINO: DE MARIE DORVAL A EVA OU, LE MITHE DE LA FEMME CHEZ VIGNY
DE MARIE DORVAL A EVA OU, LE MYTHE DE LA FEMME CHEZ VIGNY
by
Hazdai ELHOZNINO
A thesis submitted to
the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University"
in partial fultilment of the requirements for the degree of
Master of Arts
DepartIœnt of French Language
and Literature
@)
Hazdai Elmoznino 1970TABLE DES °MATIERES INTRODUCTION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 3 PREM:ŒRE PARTIE: DEOXIEME PARTIE: CHAPITRE l -Les influences ••••••••••••••••••••••••
La femme, incarnation de l'enfer
morbido-sexuel de l'enfant ••••••••••••
CHAPITRE II - La femme, vérité idéale du
10
30
paradis
deStello...
46
CHAPITRE III- La femme, création raisonnée duDocteur Noir...
88 CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• ll2INTRODUCTION
fiL' opération qui consiste A créer des JII1thes est, non seulEment
une des plus hautes de l'esprit,
mais celle qui satisfait
A
uœ-des exi.gences les plus
impérieu-ses de 1& nature hmnaine, YO~
nant l'exigence religieuse.·
1. Thiba1ldet, Histoire de la Litt6rature Française,
2. Bertrand de la Salle, A. de Vigny, Paris, A. Fqard, 19.39, p.
S4.
-4-IB XIIe sjJcle, qui coincide avec 1llle période de l 'his-toire
cru.
la religion est ébranlée et 01118 stabilité poli-tique est un r€ve inconnu, conn.att une floraison de mythes, qu'explique en partie le caracttlre d'instabilité del'épo-que. C'est en vain, pourtant, qu'on essayerait d'expliquer le mythe de la femme chez V~, par les seules incidences politiques ou religieuses du sjAcle.
n
est encore moins possible de l'expliquer par les modales que le poète imite,ou par les détails de son existence car, dans le cas d'AJ.rred de Vigny, plus que dans celui de tout autre poète, c'est avec la plus grande prudence qU'il taut aborder l'étude de sa vie.
-s-Pour comprendre lm auteur affirme Alfred de Vigny,
an
ne faut pas chercher trop minutieusement dans ses oeuvres, llhistoire détaillée des souffrances de son coeur,i n; la chronique des accidents et des rencontres de sa vie~ mais seulement les milles r€ves de son imagination. n3Nous suivrons ce conseil, et chercherons l. dégager de lloeuvre enti~re, 7 canpris le .Tournal et la Correspondance, les diverses conceptions de la femme, reflet des J:fves qui
hantent 11imagination du pœte.
n
importe peu en effet, que Vigny ait emprunté les traits drEloa ! Delphine Gay ou ! quelque autre blonde beauté.n
est encore moins important, de savoir quelle femme réelle se cache derri~re 11Eva de la Maison du Berger, qui est cette Augusta ! qui est dédié le pœme~ et si derri~re Dalila, n 1apparat't pas la figure énigmatique de Marie Dorval.Par contre, combien i l est bien plus important de com-prendre de quels besoins obscurs ~ de quell'!s angoisses
in-conscientes, de quelles tendances contraintes, proc~de le my-the de la femme. Ap~s quoi, étant en mesure de voir dans
3. A. de Vigny, Lettre aux Députés, O.C., La Pléiade, Paris,
N.R.F.,
1948~Tome l,
p.860
-6-l'oeuvre ~ autre chose qU'une explosion d'imprécations anti-.féministes, qui puisent leur virulence dans le ressentiment personnel, nous pourrons comprendre et apprécier l sa juste valeur, un pœte si souvent mal cœpris.
Dans la premiare partie de ce mémoire ~ nous soul~verons ale masque froid du monden4 qu'.Al.fred de V~ a dtt prendre
1 seize ans et, pénétrant dans la zoœ la plus irrationnelle de l'esprit, nous essayerons d'y reconnattre l'empreinte, que les diverses infiuences y ont laissée.
Toute personnalité est la résultante de .factelll"s inté-rieurs et prédisposants comme l'hérédité, la constitution phy-siologique, le moi psychologique; et de facteurs extérieurs comme le milieu familial et social, l'éducation, les événements heureux ou malheureux de la vie. Ces derniers agissant sur les dispositions naturelles, peuvent donner l l a personnalité une direction dif'férente; mais, en contraignant les tendances na.-tives, elles les repoussent vers des régions secretes de l'es-prit, d'aa elles surgiront l nouveau sous une forme déguisée.
4.
A. de Vigny, Journal d'un pœte,a.c.,
La Pléiade, Paris,7
-Parmi les influences extérieures, celle de la œre de V~ mérite toute notre attention. COIIllœ nous le verrons plus loin, Madame de Vigny marque l'esprit de son fils, d'une empreinte indélébile. Sa personnalité forte et austère, ses idées morales et religieuses, ses principes éducatifs, sont en partie responsables de la forme descriminatoire que
prend la pensée de Vigny, cIas qulil s'agit d'imaginer la femme.
De moindre importance, l'influence du ~re n'est pas pour autant négligeable. C'est par son ~re que Vigny subit l'influence du. passé; c'est 1 lui qu lil doit son culte de la noblesse et de l'honneur.
Nous passerons rapidement sur les autres facteurs ccmme l'éducation sco1.aire, les lectures personnelles, l'influence de l'armée; non pas tant que no-üS les jugeons négligeables que parce que leur incidence dans le cas qui nous intéresse, c'est 1 dire celui du m;ythe de la femme, est moins directe
que celle de la lÈre.
L'eJq>érience Marie Dorval, au contraire, retiendra parti-cul1clrement notre attention. Elle représente en effet pour Vigny", l'essai de concrétisation de sa r8verie. L'échec par lequel
-8-se solde cette liaison amoureu-8-se, -8-sera le "déclic" qui r8llÈ-nera en surface, 'Wle m;yôogynie naturelle, inconsciemment ex-primée dans toute 1 r oeuvre.
Dans une seconde partie, nous nous attacherons 1 définir
la triple composante de l.s.. personnalité de V~: l'enfant, Stello, le Docteur Noir, et nous préciserons quelles zones de
l'imagination, sont dévolues 1 chacune de ces canposantes. Nous prcn.."V9rons ensuite 1 l'aide de citations relevées dans les Pœmes, les Romans, le Théttire, le Journal et la Corres-pondance, que tout au long de l r oeuvre, se dégage un certain nanbre de conceptions de la femme, et que nous grouperons se-lon le domaine de l'imagination d
'cm
elles proc~dent.Deux pœmes antithétiques, la Col~re de Samson et la
Mai-son du Berger, rassemblent les divers caractêres des deux prin-r.:ipales incarnations du lI\V'the: DaJ.ila et Eva.
Le lI\V'the de la femme chez Vigny, appardtra donc 1 la fin de cette étude, CODllœ un s.)'mbole 1 double composante, complexe de conceptions diverses, parce que procédant de trois domaines de l'univers jmaginaire d '.Al:rred de Vigny.
PREMIERE PARTIE
LES INFLUENCES
ODe moi-m§me. Je tus si opprimé das l'enfance que mes sentiJœnts et mes idées effarouchés se sant retirés pour toujours dans le fond du coeur et du cerveau et dans la moelle de
l'Ime dans les retr~tes les plUS profondes du coeur".
5.
.A. de Vigny'" Joumal. d'un pœte" O.C. la Pléiade" Paris"Quand Victor-Alfred de Vigny ndt en 1797, sa Ère, ma-riée depuis sept ans ! un vétéran de la guerre de Sept ans, plus tgé qu'elle d'une vingtaine d'années, a déjl mis au
mon-de trois autres fils; mais tous trois sont morts au bout de quelques semaines ou de quelques mois.
en
comprend alors les inquiétudes de cette œre qui, neffrqée de voir 1e quatrlAme l peine au monde,faible, sUencieux et soulevant avec langueur ses paupi~res voilées, crut Y' voir l'ambre d'une mort
plus prOD1p""ve encore que celle des autres. n6
L'enlevant lIaux ruines fatales 01l elle laissait déjl qua-tre parts de son coeur, ft7 elle quitta Locœs et vint s'instal-ler
a
Paris. !A, entant unique et solitaire, le petit Alfred grandit chétif, précoce et riveur, apparemment plus fille què garçon, entre deux parents dont le carac~re non moins quel lige intervertissait les r8J..es.
6. A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard, li.R.F., 1958,
p.44
-11-Séparé des enfants de son tge par la tendresse nséwre et jalousen8 de ses parents, l'enfant s faperçoit de jour en jour que le plre avait laissé
1
sa femme toute lfinitiative danslié-ducation de leur fils, qufil nlfavait donné et livré pour toute chose de lféducation ! (sa) belle et courageuse œre.1I9
"Lorsque tu vins au monde, écrivait Madame de Vigny ! son fils en 1815, ton ~re te confia totalement ! mes soins et s lengagea ! ne jamais contrarier mon plan dféducation. alO
Quel était donc ce plan dléducation?
En vrai spartiate résolue ! sauver des morts rçides de ses trois premiers fils, le dernier rejeton de deux familles nobles,
la œre de Vigny décida de œttre en pratique les principes éducatifs de l'Emile de Jean-Jacques Rousseau.
Pour aguerrir ce corps tr€le et menacé, elle tint ! ce que
llenfant sorte pa!' tws les tel!lpS et, assise sur le perron de
l'appartement, elle surveillait le jeune Alfred
tlUi,
nu jusqullla ceinture, la t€te ccuverte seulement de ses longs cheveux blonds et v§tu en tout temps d lune lég~re veste rouge, courait
nau devant des vents du Nord en riant de voir le givre fondre
sur sa poitrine.UU
8. A. de Vigny, Mémoires et Inédits, PariS, Gallimard N.R.F.,
1958, p.53 9. Ibid.,
p.45
10. ic)'b;;rt Eude, Alfred de Vigny int:iJDe, Paris, Edité par le Comité A. de Vigny, 1912, p.29
ll. A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard, N.ReFe;
-12-Cette séWre IINiobén ne se contenta pas toutefois de
tortifier le corps de l'entant.
nme
s'empara pour la rem-plir ! son gré, de cette t€te blonde (qui) lui était confiée toute ent~re.!t12 Montrant elle m&ne des dispositions pour les Arts en général et pour la peinture en particulier, elle inculqua ! son tils le gottt; des belles lettres et ouvrit son coeur aux joies de la création artistique.n
taut nous arr8ter lm instant 1 la personnalité deMadame de Vigny, si nous voulons €tire en mesure d'éval~ la part qui lui revient dans la fixation de certains aspects de
la conception de la temme chez Vigny, l'Objet de ce mémoire. !tElle avait disent ceux qui l'on connue une
intel-ligence des plus élevée, unie 1 une rare fermeté de caracWre,lI13
Esprit terme, Madame de Vigny, était certainement une temme 1 principes, d'une sévérité et d'une raison froide, ncOJmœ celle d ''lm magistrat. n14 De cette sévérité, Vigny" a
12.
14.
A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Ga11imard N.R.F.,
1958, p.52.
Louis Ratisbonne, Préface du Journal d'un pœte, Paris,
Calman IlNy, 1882, p.3
A. de Vigny, Journal. d'un ~œte, O.C., La Pléiade, Paris, N.R.F., 1948, Tame II, p.9 3
-13-d€ souffrir plus d'une fois; et dans ses Mémoires, il ne ca-che pas qu'il Ifcraignait (sa) ~re,lflS alors que son pare ne
lui faisait pas peur. Dans ces m&!es Mémoires, i l raconte comment un jour, ess~t de cacher 1 son
pare,
un vers qu'ilau bruit de ce jeu et (lui) fit ses yeux noirs. n16 Médusé par son "grave regard,"17 le délicat enfant ravala ses lllar-mes,n et se replia sur lui-m&2e camœ une iisensitive.1I18
Se doutait-elle qu'l vouloir tout "sans répllque,n19 elle marquait d'une empreinte ineffaçable le jeune esprit, et Y" fixait la tendance inconsciente 1 associer le souvenir
de eette tyranique autorité, lla morbide crainte de ce qu'-il Y avait de virile en elle?
"Elle avait pour moi la sévérité d'un ~re,1I20 avoue le pœte dans son Journal. Ailleurs i l écrit: "La voix mile
était la sienne;n21 et il n'est pas exclu, que l'aversion pour la femme mile, dont nous parlerons plus loin dans ce mémoire,
15.
16. 17. 18. 19. 20. 21.A. de Vigny, MémoireS et Inédits, Paris, Gallimard, R.R.F.,
1958, p.55 Ibid., p.55
ïbIëi.,
p.55Ibid.,
p.69'Ibid.,
p.45A. de Vigny, Journal dtun~te, O.C., La Pléiade, Paris,
N.R.F., 1948, Tome
n,
P.J.2A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard, R.R.F.,
-14-n lait pas so-14-n origine" dans la tyranie de
"L'esprit mile et laborieux" la vigueur étrange de
son caractare et de son corps (qui) lui donnait quelque chose !ie plUS qU'il n'y a dans son corps.n22 Toujours est-il qo.e, une fois T'obéissance" la crainte et ~ révsrêüca des iilte:r-dits ilnposées par une énergie toute vi~ rUe, l'imagination inspirée par la rancune, aJll'a vite fait de traduire dans le langage poétique, une haine ref'oulée dans
les régions les plus secretes de 1 'Ime.
Sév~re" la œre du pœte avait également la froide rai-son d'un magistrat. Les conseUs qulelle donne! rai-son fUs"
rév~lent moins un esprit janséniste, comme le croit Léon Séché" qu'un esprit rationaliste"
ncherchant en toute chose ! détourner" étouffer sous la raison tout charme, tout prestige et tout enchantement
cm
elle se sentait trop vulnérab~ 1123 Dans les probl&les pratiques" ce rationalisme conduit ! une attitude de puritaine" pr6nant une morale toute faite d'interdictions et de restrictions. C'est que la santé morale de l'adolescent" autant que sa santé physique, préoccupe la œre22. A. .. de Vigny" Mémoires et Inédits, Paris" Ga11imard" N.R.F.,
1958, p.49
-15-qu:L souhaiterait voir son fils capable de dominer ses
impul-sians, et écraser sous la raison rigoureuse, ses penchants les plus instinctifs:
"Que dans toutes tes actionB
4
la raison soit la mattresse et gouverne, "2lit-on dans ce "recueil de conseils" qU'une œre inqujAte et trop prudente, remet au jeune officier, qu'est alors Alfred de Vigny.
TI. faut avoir parcouru cette vingtaine de pages de con-seils, pour se rendre compte avec quelle vigueur singul,jAre,
Madame de Vigny tente de prévenir son fils, contre tout ce que
la vie comporte de tentations.
Toutefois, cette prudence excessive, ne risquait-elle pas d'entraver le développement normal. et naturel du jeune esprit?
A trop vouloir réduire la passion, ! trop vouloir l'étouffer sous "la volonté qu:L est ou doit €tire la plUS forte, n2, ne
ris-quait-on pas de reléguer dans l'inconscient des besoins sains et samne toute naturels? En effet, comme le remarque Bertrand de la Salle, cette prudence excessive, va tendre! susciter
2,.
Robert Eude, A. de Vigny intime" Paris, édité par le comi-té A. de Vigny, 1912;P;4j
16
-ala tenue pouss~ jusqu'au déguisement" jusqu'au masque" et
en-fin jusqu
'1
'tille subtile déformation: le gom; des amours clan-destins" voire hypocntes. a26Quelle grtce" V~ pourrait-il désormais attendre de
1'a-an
est clair qu'en se livrant l tous ses penchantsou naturels ou factices" en suivant ce que les li-bertins appellent la nature" celui qui a le
gom.
du vin s'abandonnera sans scrupule et usera sa vie dansl'exc~s le plus vil et le plus méprisable, celui qui
aimera les tenn:œs s'énervera dans leur commerce; 1 tan
age
la croissance doit en soutfrir" surtout avecta délicatesse on reste faible" débile" incapable de toutes les opérations de l'esprit •••• D 27
Ne dirait-on pas aujourdlh~ llllle œre qui agite un te1 épouvantail: méfiez-vous de créer des compleJœs d'inhibition?
Pourtant" cette femme aime son fils d'un incœparable amonr et l'entoure d'une tendresse Dinconsc1emment vol:uptœu-se. n28 MaiS
11
encore" l'e:c3s conduit l des sent:iments néga-tifs. Assez paradaxsJ.ement" l'entant associe dans son jeune cer-veau" le sent:iment d'exclusivité, l la tyranique et jalouse tendresse26. 27. 28.
Bertrand de la Salle" A. de V:içlv Parls" A. Fayard" 1939" p.27
Robert Eude" A. de Viger int:ime, édité par le canité A. de
Vigny', 1912"
p.43
Armand Praviel" Le Raman douJ.oureux d rA. de Vigny, Paris"
.17
-de sa œre. De cet amour envahissant, qui crée chez lui llan-goisse de perdre une tendresse l laquelle on lia trop habitué" 11 ne retient que llidée .qu lil est irremplaçable.
Plus tard, quand Vigny exigera de 11 amante, 11 amour
in-comparable de la œre, il ne fera que traduire un ~cret de son imagination, qui remonte l cette époque.
Par ailleurs, l'excessive affection dont Madame de Vigny entoure son fil:5" trouve ml terrain d lexpansion favorable dans la sensibilité native de Vigny, entretient chez lui une
ém0-tivité maladive, dont i l souffrira toute sa vie et qui ne llsr-me pas en tout cas, contre les rudesses de la vie.
n
était né" raconte-t-U dans son Journal.,doué dlune sen-sibilité féminjne, sensible au moindre signe dlindifférence, surtout s'U venait de sa œre:IIJUSqu
'1
quinze ans je pleurais, je versais des neuves de larmes par amitié, par sympathie pour une froideur de ma œre, un chagrin d'un ami. n29En résumé, ce qui caractérise surtout l'éducation que Ma-dalœ de Vigny se propose de donner 1 son fils, c'est la trop
29. A. de Vigny, Journal d'un pœte, Q.C. La Pléiade, Paris, N.R.F.,
1948, p.986.
-18-grande disproportion entre les exigences du juge et l'affec-tion de la Ère.
n'un
c8té#une
tendance despotique Ile for-œr en tOllt l l'idéal, de l'autre, une trop grande tendressequi le rendait vulnérable aux duretés de la vie.
Paradoxalement, mais d '-une façon complémentaire, les deux
aspects de cette éducation nlui :interdissaient le contact avec le réel et le préparaient i la solitude d'un éternel abandonné. n30
Moins souvent reconnue, la part qci revient au ~re dans
la formation de la personnalité de Vigny, n'est pas moins im-portante. A trop œttre l'accent sur l'influence de la lÈre# on en est venu l minimiser celle du ~re. Certes, tres vite, Léon Pierre de Vigny avait laissé l sa femme, toute initiati-ve dans l'éducation de leur fils; cependant, ce vieillard qui
ne montra jamais
1
l'enfant qu'une nmaternelle tendresse,n3l l'intéressait aux récits de ses exploits guerriers et, dansacette école historique, n32 i l cultivait chez son fils le culte
de la noblesse et de l'honneur; exaspérant ainsi chez lui, le sen-timent d'abandon qu'U retenait de la tendresse maternelle.
30.
31.
32.
François Germain, L'~tion d'A. de V~ Paris, José Corti,
1961,
p. 1.A. de Vi.gny# Journal. d'un pœte, O.C., La Pléiade,
Paris, N.R.F.,
1948,
Tame II, p.1260A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard, N.R.F.
19
-En offrant llfimagination de lrenfant le récit draven-tures plus ou moins véridiques, i l développait involontaire-ment une tendance
1
la m;ythomanie, qui trouvait un terrain facile chez le r€veur Alfred.Par ailleurs, la vue quotidienne de ce vieillard per-clus, noué par les rhumatismes, replié sur lui-~, le
re-gard tourné vers une époque révOlue, n'était pas sans déter-miner chez le jeune enfant,une nmisanthropiea qui n1était pas de son tge.
nJremportais donc pour toujours le souvenir des temps que je ni avais pas vus et l'expérience chagrine de la vieillesse entrait dans mon esprit d lenfant, le
remplissait de défiance et d'une misanthropie précoce. n33
Une étude des innuences qui ont marqué lréducation d'Al-fred de Vigny, serait incompl~te flans quelques mots sur sa tante Sophie de Baraudin, acette seconde œre qui 11 avait élevé de loin. n34
Cette fenme,au nsage doux et mélancolique, au regard plein de finesse et d 1 esprit, s 1 intéresse anxieusement au dernier
33. A. de Vigny, Journal d'un pœte, O.C. La. Pléiade, Paris N'IR.F., 1948, Tome II, p. 1261.
34.
A. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard N.R.F.20
-espoir de sa race décilllée et" de loin" galvanise l'imagination du jeune enfant. De son cSté, Alfred de Vigny voit dans la chanoinesse chaste et pure" "la sentinelle silencieuse"35 qui, sacrifiant sa vie sentimentale" veille sur les derniers vestiges du patrimoine familial. C'est sans doute" par le canal des
let-.
tres qU'elle lui écrit réguli~rement" que les idées jansénistes de la recluse, la conception de la femme instrument de la
fatalité: ail'lSi que la notion de faute charnelle" ont pu pénetrer l'esprit du futur pœte-ph1losophe pour le marquer d'une teinte ineffaçable qui réappardtra dans l'oeuvre.
1817-1819; Alfred de Vigny, lieutenant dans le premier ré-giment ds gandarmes de la maison du Roi depuis deux ans, fait aussi ses débuts dans la vie de salons. Suivant les conseils de sa œre" i l rréquente les meilleures femmes du monde, qu'il
ren-contre dans le salon de Madame Ancelot" de la Comtesse d'Agoult" de Madame Sophie Gay" la zœre de Delphine" "la muse de la pa-trie." Le jeune officier croit reconnattre en cette blonde beauté, l'idéal de la femme pure et angélique" la soeur des anges qu'il
35. A. de Vigny" lémoires et Inédits" Paris" Gallimard, N.R.F.
-
21-incarnera dans Eloa. Malbeureuseœnt, les éclats de rire de la jeune beauté, les interventions théttrales de sa tapa-geuse Ère, refroidissent l'ardeur naissante du pœte qu:t, préférant le sUence et la réserve, se replia dans sa
coquil-le de solitaire.
Un départ pour BOrdeaux, puis pour Pau, mit fin A cette charmante idylle.
C'est A Oloran, qu'U rencontre sa future épouse, ~
B1mdbury. Tous les jours, U la voit se promener en compagnie de son ~re et de sa soeur Alicia.
n
tombe amoureux de la blonde anglaise de vingt cinq ans, et fait demander sa main, la mène année, par son ami Alexandre Duplaa. Le 3 février1825, Vigny épouse ~ A PaUo
Tous les critiques, sont d'accord pOlU" placer ce mariage, sous le signe de l'échec. Bertrand de la Salle, eatiE "qu'U faut le ranger parmi les distractions qui font la perte des
grands hommes.a36
36. Bertrand de la Salle, A. de Vignr, Paris, A. Fayard, 1939,
22
-EmUe LauvriAre, le consicùlre comme ale plus grand malheur apras l'infélicité de sa naissance;a37 quant 1 Léon S~ché,
i l croit que ~ B1mdbury, traversa la vie d'Altred de Vigny al peu ~s comme le Rh8ne traverse le Lac de Gen3ve,
sans s'Y' mm.er pour ainsi dire; et U ajoute:
lIElJ.e lui inspira beaucoup de sympathie et d'affection jamais d'amour et, quoiqu'U lui ait servi pendant
trente ans de garde malade, de secrétaire perpétuel et d
'mterprete
e
U ne P~-y1nt jamais à l iassimi1er campJJtement. n3Ce sont ll, l notre humble avis, des jugements sévares,
qui minimi sent trop l'innuence, quoique négative, de cette
épouse protestant.e. C'est l cet "irréparable désastre a39
qu'-i l faut rattacher semble-t-U, l'anathœ que le pœte jette sur l'institution sociale du mariage.
Par ailleurs, on serait en œ8Ure de se demander, quelle aurait été la vie de Vigny, s
'u
avait été marié l une femmemoins effacée, plus portée l se défendre contre une infidélité, dont elle était la premre l souffrir.
37. 38. 39.
&!ile Lauvriare, A. de Viplu sa viel sa reverie. Paris, B. Grasset, 1945, Tome l, p.307
Léon Séché, A. de V~ Paris, Mercure de France, 1913,
Tome II, p.56
Emile Lauvriare,
A.
de Vigny~ sa viel sa r€verie, Pa-~s:23
-Quoiqu'il en soit, fatigué de jouer de l'archet sur une pierre, A.l.fred de Vigny se jeta dans les bras· de Marie Dorval.
n
faut rappeler ici le conseil de Madame de Vigny qui,avec une intuition troublante, lui avait écrit ~s 1815: nJe ne te dirai rien de cette es~ce de femmes
~:llf:si just6men.t mépL·..i.sées pour leur état que
pour leurs moeurs: je veux parler des camé-diennes; elles sont aussi dangereues qIl9 les
filles publiques pour la santé et plus encore par leur cupidité sans borneso J'espElre qIl9 tu
ne les verras jamais qu'au boa.t de la lunette de spectacle et, que jamais tu ne leur parleras. n40 Comment pouvait-il accorder quelque crédit ! l'avertis-sement de sa prudente
œre,
alors qU'au bout de sa 1unette, i l voyait:"Une actrice si vraie, si passionnée, si nouvelle qU'elle change un drame de théttre en action vivante, qu'elle ne laisse respirer le specta-teur mais l'effraie de ses craintes, le fait sou.:rfrir de ses d~urs et lui brise l'4me
de ses cris ••••• a
n
ne résista pas ! l'attraction, que le prestigieux ta-lent de l'actrice, e:œrça sur son coeur de nov:Lce dramaturge.40.
Robert Eude, A. de;Vigny intime, Paris , édité par le Co-mité A. de Vigny, 19l2~p.471&1.
A. Dumas, cité par E. Lauvri~re, dans A. de VigIgz Sa vie,-24-Dcrest la tragédieu
42
crie-t-il dans son enthousiasme débor-dant pour Marie Dorval,"Cette charmante figure toute ptle, toute faible, tout amour et bonté, trappée au coeur et ne se plaignant jamais."42
Quand i l s rapproche pour la voir de plus pres, i l ne res-te pas insensible ! une certaine séduction toute fénd nine, faite d rune franche et intense spontanéité.
DCandeur, désespoir attachant, gaité~ énivrante, folie drenfant, pleurs d!~nrants,.43
n
la regarde se préparer avant drentrer en scane et s rextasie sur son c8té enfant. Le soir, rentré chez lui U note dans son tÎournal:42.
43.
44.
"Une actrice vrdment inspirée et charmante ! voir l sa toilette avant d rentrer en scane. Elle parle avec exagération ravissante de
tout; elle se monte la t€te sur de petites choses, crie, gémit, rit, soupire, se fâche, caresse en une minute; elle se dit malade,
souffrante, en co~re et el1e nrest rien de tout cela •••• "
A. de Vigny, Lettre parisienne de lrAvenir, 1831
A. de Vigny, Journal d'un ~œteJ O.C. la Pléiade, Paris
N.R.F., 1948, Tome II,
p.2
5.
Ibid. J p.966.e.
-25-Avait-il pensé trouver en elle ncamoe tme sorte de dou-ble qu11'é1éverait vers 1es étollesn
45
ou nle résumé de 1'i!lquiétude féminine arrivée! sa plus haute puissance2ah6 Avait-il cru voir en elle nun admirable instrument de con-naissance de soin47
on décOll'Vrl.r au fond de cette natm-eorageuse l.ftre toujours ~eur, mélancolique et tendre dont son coeur avait si grand besoin?
Toujours est-U que, en platonique amant Vigny s'avança vers Marie Dorval, prodigue d' enthousiastes encouragements et de chastes aélévations."
n
l'appelait sa beauté, elle le nommait sa bonté.MalheureuseJœnt Madame Dorval avait aussi un corps et, "si imparfait, si lassé, si usé qulU
:ret
déj!, ce corpsde-vint vite indispensable au sien. n48 Alors, commença la lutte entre l'tme et le corps, lutte entre le pœte hanté par son idéal et l'amant excité par ses sens.
45.
46.
47.
48.
.Armand Praviel, Le Roman douloureux d'A. de Vign;y~ Paris les éditions de France, 1934, p.î44.
G. Sand, cité dans Emile Lauvriare, ouvrage déj! cité,
p.346
Bertram. de la Salle, A. de Vigny, Paris, A. F~, 1939,
p.164.
Armand Praviel, Le Roman douloureux d'A. de Vigny, Paris Les éditions de France, 1934, p.
ru.
-
26-"L'tme de Stello un jour se sépara de son corps et se . plaçant debout en face de lui toute blanche et toute grave, elle lui parla ainsi sévarement: C'est vous qui m'avez forcée d'€tre faible quand j'étais si forte.... Quittez cette femme et me laissez penser ••• " Lorsque vint le jour, le corps se leva avec elle pour repartir et lui dit: aOll allons-nous?" Et Us all~rent rejoindre la belle mattresse.n
h9
Cependant, Marie Dorval ne vivait que pour son
art;
de son cSté, le pœte s'irritait que le dialogue ne ftt; -pas place ! l'étreinte. Les fréquents déplacements de l'actrice, laJalousie des deux amants, les accusations mutuelles, n1étaient pas faits non plus pour colmater les bri'ches 1 qu'une différence
de carac~res, élargissait chaque jour. Tour ! tour, Stello et
la "belle mdtressen s'injurient et se jettent dans les bras l'un de llautre. Marie accuse Vigny' d'€tre l'amant de Julia Battlegang qui effectivement devient sa mattresse le 3 avrU
1838. A son tour, Alfred de Vigny accuse l'actrice de le tromper avec Jules Sandeau. Le 17 septembre 1838 c'est la rupture dé-finitive, Vigny note dans son Journal:
49. A. de Vigny, Journal d1un pœte, O.C., La Pléiade, Paris, N.R.F., 1948, Tome II, p.979
27
-IlNadmne Dorval vient chez moi et n'est pas reçue.
n50
Trois jours plus tard, il. part pour le Ma:1ne-Giraud.Troa.ve-t-il lA la consolation l son coeur blessé'? Par-vient-il au milieu des souvenirs de tam; 11 e l oublier Marie
Dorval? Toujours est-il que, le de1lX octobre, i l écrit
â
Augusta HoJ.Jœs illl8 lettre qui, selon P. Via11aneix llpeut
mar-quer le début d'une tendre liaison.
s=Sl
A compter de ce jour, Vigny, qui a.i:mait et rechercha:it la campagrde féminine, semble troa.ver une compensation, dans la correspondance galante qu'il entretient avec de jeunes et jo-lies femmes. A ses cousines Marie du Plessis et Marie Clérem-bault, l Louise Ancelot sa tUleule, l Delphine Bernard la
soeur de Panl ine Frank, l Clotilde Buzoni la tille de son ami, l de jeunes anglaises vaguement parentes de ~, Henriette Corkran et Madame Austin, i l adresse des lettres tour
1
tour spirituelles et tendres.Ec. 1846, dans l'atelier du sculpteur Pradier, Vigny ren-contra une jeune femme, Louise Colet qui, quelques années plus tard, le prétérant 1 Flaubert, deviendra sa mattresse et le
50.
Ci.té par P. Viallaneb: dans A. de ViQlu O.C., Paris, aux éditi.ons du Seuil, 1965, p.ll51.
A. de Vigny, Oeuvres camplAtes, Paris, aux éditions du Seuil,1965,
P.ï5
28
-restera jusqu len
1857.
Cette tendre liaison, prendra fin com-me elle avait comcom-mencé, c lest ~ dire sans passion ni tumulte.Un peu plus dlun an apres la rupture avec Louise Colet,
i l écrit la premi~re lettre 1 Augusta Bouvard, fille natu-relle du Baron Poupert de Wilde qui sera son ftdernier amour. n Dans cette jeune polyglote de vingt deux ans qui donne des leçons ~ de riches étrang~res,nVi~, dit Paul Via11aneix,
recOIlIlatt une femme digne de lui, llEva de ses r€ves.
u52
Augusta restera sa mattresse, la confidente de ses récr:i:minations contre le vautour intérieur et contre llen-fer de la pensée , jusqu Il sa mort qui voudra bien le dé-livrer le17
Septembre1863.
52.
A. de V~, Oeuvres cOmplètes, Paris, aux éditions du Seuil,1965,
p.la.
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE l
La femme,
On peut se demander, d'
oa
les hommes et non seu1ement les pœtes, peuvent bien tirer leur idéal féminin; ce que l'homme commun appelle prosa:iquement IIsont1Pe."
Faut-ll rattacheraux déceptions que nous réserve la vie, la ~érieuse force
qui nous pousse 1.1maginer une vérité idéale, que la réaJ.1té
s'est retusée
1
présenter? Faut-ll demander aux mpress10ns de l'enfance de dévoiler un tel secret?Dans son Journal., Vigny note 1 la date du 18 juillet 18b4:
liCe qui se fait et ce qui se dit par moi ou par les autres, m'a toujours été trop peu
important •••• Ce qui se r€ve est tout pour moi. II
'3
53.
A. de Vigny, Journal d'unpœta.
O.C., La Pléiade, N.R.F.,1948,
Tœœ II, p.1221-
31-Ce nlest qu'en pénétrant dans les zones les plus profon-des de l'1mcgination du pCM!te, que nous pourrons donc cerner la vérité idéale de Vigny, l'image mythique de la femme de
ses r€v'es.
Les critiques se sont pl11s 1 définir la dualité de V~
et ont inSisté sur sa personnalité divisée. Personnalité
di-visée et multiple, Vigny" en avait si bien conscience lui-DéJe, toujours attentif 1 s lana.l3Ser, qulil confronte sans cesse deux individUQ en lui: Eloa et Satan, de Thou et Cinq Mars" 'Stello et le Docteur Noir, ale coeur sawage et l'esprit
civi-iLsé ...
54
En réalité, il n lexiste pas deux personnages en lui,mais trois ou plu~8t;:
Il • • • • trois types de conduits, assez généreux pour
rendre compte de toute llactivité du pCM!te et qui
commande les tro~ avenues mattresses de son imagination •••• "
5
.
A chacune des zones psycho-émotives qui composent le monde
imaginaire de Vigny, correspond lm des aspects de sa triple personnalité: 1 llenfer, celui que nous appellerons llenfant
54.
55.
A. de Vigny, Mémoires et Inédits~ Paris, Ga111mard N'.R.F.,
1958, p.69 .
François Germain, l l p t i o n d'A. de V~ Paris, José Corti, 1961, p.
32
-qui n'a pas fini de grandir, au paradis imaginaire, le pœte Stello, 1 la ceinture protectrice,le Docteur Noir.
Vigny, qui le premier "aura 1 iaudace de faire découler
de l'enfance,a56 n'a pas été pris pour sujet d'1lIl.e abondante
littérature freudienne. C'est pourtant d3s l'enfance que s'é-labore dans la conscience -eourmentée de Vigny, la conception de la femme impure. le th3J11d de l'adult3re et la haine de la femme mtle, comme nous le verrons plUS loiJl, proc3dent égale-ment de l'enfer intérieur qui remonte l l a m&e époque.
C'est certainement aux tendances refoulées ~s l'enfance par l'éducation et les ma.ttres, qu 'il taut rattacher la concep-tion de la teme liée 1 la notion de taute: le mythe de la
tem-me :ilJlpure.
n
faut rappeler1
nouveau, avec quelle vigueur, la œre de Vigny avait essayé de mettre en garde son fils, contre les tentations sensuelles et contre les suites t!cheuses, qui tont.56.
Bertrand de la Salle, A. de ViglyJ Paris, A. Fayard, 1939 p. 20.-
33-qu-on en reste faible, débile, incapable de toutes les opé-rations de l'esprit, des exercices honn€tes ••• n
57
Par ailleurs, s'il en faut croire Pierre Flottes, Vigny navait horreur des hommes communs, de llanimal , du mtLe, de
la femme.nS8 Catta r-é,tJ.i!$psnce pour le corps lia profondément marqué; longtemps, i l imagine 11 amour des adultes comme llIle violence ignoble. Dans son Journal i l note,
nCet acte du lit et des draps, en vérité, on devrait le regarder comme aussi "indifférent
que le soulagement des entrailles et des reins. a.59
L'hO!!!!œ dans lIJ.a Coltlre de Samsonn est suivi partout par nles regrets du lits .. 60 quant ! la liaison avec Marie Dorval, elle
inspire au pœte nune honte secrate. n61 :&lf'in, en 1862, Vigny écrit! Augusta Bouvard, son adernier amourn:
57.
58.
59.
60.nPouvons-nous grand Dieu mépriser assez ce corps
imbécile qui nous enferme, cage fourreau ridicule de 1Itme.lI62
Robert Eude, A. de Vigny int:iJœ, Paris, édité par le co-mité A. de Vigny, 1912,
p.43.
Pierre Flottes, A. de Vigny, Paris, Perrin et Cie,
1925,
p.25A. de Vigny, Journal. dlUIldœte, O.C. La Pléiade, Paris,
N.R.F., 1948, Tome
n,
p. 02.A. de Vigny, La Col~re de Samson, vers 49,
o.c.
Paris, aux éditions du Seuil, 1965, p.9961" A. de Vigny, corre~ondance, Edité par F. Baldensperger, Paris, Conard, 1933, p.34
62. A. de Vigny, Lettres d'un dernier amour, éditées par V.L. Saulnier, Gen~ve, Droz, 1952, p. 51
-
34-De lA, 1 faire rejaillir sur la fexmœ l'impureté qui en-tache l' amour, i l n 'y a qu'un pas que l'enfant caché en lui a vite fait de franchir; et U existe donc un certain VigDy pour qui la femme reste lIl(entant malade et douze fois impur,n
Dun €Cre impur de corps et d'fme,n63 et dont l'amour est néces-sairement cœpable 0
IITriste amour du péChé, sanbre désir du. mal,1I
clallle le pœte dans .Eloa. Dans ce mime pœme, Satan sur le point d'€tre sauvé, est perdu dAs qU'Eloa devient femme et amou-reuse. Le thElme de la perdition de l'homme 1 cause de la femme, est encore nettement indiqué dans .le Déluge. Emmanuel le berger, pour qui un ange a intercédé pour qu'U soit épargné, doit se rendre seul sur le mont !rar:
·Va seul au Mont !rar, prends ses rocs pour autels,.64 mais c'est avec une femme qu'il s'est présenté et U ne sera pas sauvé:
64.
65.
nJ'ai monté sur l'!rar, mais avec une feDmle •• 6S
A. de Vigny, La Colt1re de Samson, vers 101-38, O.C., Paris,
aux éditions du
$ëuU,
1965, p.99A. de Vigny, Le Dél';~ I, vers 145, Ibid., p.51.
•
•
-
35-Le suicide des Amants de Montmorency, qui vient apœs Ddeux jours d 1 amour . et d lharmoniea66 pourrait bien refléter
la. volonté du juge intérieur, de sanctionner un amour
in-consciemment jugé coupable.
DOr, c létait pour mourir qu'ils étaient venus 1l.n66 C lest surtout dans la. ColAre de Samson que le mythe de
la femme impure, dont l'amour est synonyme de faute, trouve sa œilleure matérialisation. Dalila, devient le s;ymbole de nlr€t.re impur de corps et d'tme,n de "l'€t.re pétri de bouen
qui existe en toute femme,
n. • • • • • • • • • • • • • .la.
vipare
dorée 6 Qn1 se tratne, en sa fange et s 11' croit ignorée.' 7 Le suicide final de Samson, pourrait certes s'expliquerpar la trahison de Dalila, mais aussi par l'impureté de l'a-mour et par conséquent de la femœ.
D'autre part, U faut bien admettre un profond désir du
pœte d'associer l'idée de mort
a
celle d'amour, si lion veut s'expliquer pourquoi, alors que Dalila. dort nriante et bercée,D66. .A. de Vigny, Les Amants de Montmorency, II, vers I, III, vers l, O.C., Paris, aux éditions du Seuil, 1965, p.82
•
-36-Samson éprouve le besoin de lIDl1"mIl1"er "ce chant .f"uMbre et douloureux. 1168.
Certes,U faut faire la part du ressentiment personnel. !es déceptions sentimentales encore vivaces dans le coeur du pœte de la Col~re de Samson,expliquent en partie lranathmue contre Dalila et la gente féminine qu'elle s,mbolise. Toute-fois" U nous faut bien reconna.ttre que le mythe de la femne douze fois impure" re~ve de sources plUS instinctives
puis-que,
meme
dans uœ oeuvre apparemment optimiste comme la Mai-son du Berger, la notion de faute, entache l'image idyllique du bonheur 1 deux:"Viens y cacher l'amour et ta divine faute.a69
De son enfance, Vigny hérite donc la certitude que
l'a-mour est coupable; ce qui provoque chez lu:i une certaine
dis-sociation entre la tendance et la sensualité, et crée la nos-talgie de la pureté.
La relation étroite Ertltre la femœ et l'amour coupable que l'enfant a t8ti établie, est encore une constante des pœmes
68. A. de Vigny, La ColAre de Samson" Vers 31,
o.e.,
Paris, aux éditions du Ssuil,î96s,
p. 98.•
•
-
37-qui traitent du th3me de l'ad:al.t3re: Séphora, Néra, le mari
de Dolorida, Eloa m€me, savent qu'ils commettent une faute.
SI11 est d'ailleurs un thœ qui a hanté Vigny, clest
ce-lui de la femme adu1.t~reo C.elui-ci permet! l'enfant de tra-duire dans le langage des adultes ses angoisses d'abandonné; et U semble qu'! travers ce mythe, ce soient ses tourments de mal aimé que Vigny retrouve. Non qu'U faille soupçonner l-!adame de Vigny d'infidélité, mais l'enfant, a vite fait dlas-socier le sentiment dlabandon, ! cette mêre qui, d'une part doit consacrer une grande partie de son temps ! un mari
per-clus et, d'autre part ne répond pas toujours aux besoins
af-fectifs de son fils, limitée qu'elle est par des principes éducatifs rigoureux.
Le thame de l'adul t3re permet donc
1
Vigny de traduire un décret de l'imagiriation politique: la vérité idéale de l'a-bandon.La femme adult~re, c'est dfabord la mauvaise œre, c lest
38
-de 1845 dégage clairement l'essentiel de ce thœ: IlUn jeUDe garçon de treize ans, jalOllX de
l'amant de sa œre. i l sait qu'U est volé de quelque chose en tendresse. a70
Et quand le pœte demande
1
Eva de le protéger contre la nature,ne semble-t-ll pas reprendre le voeu secret de l'enfant? Ne tra-duit-U pas sa crainte de se sentir abandonné?
aNe me laisse jamais seul avec la nature.n71
Le mari trompé n'intéresse
gœre
Vigny; par contre, 11 lui-dépldt; que la œre partage son coeur entre son fils et son amant.
La vraie victime dans La Femme adult~re n'est par conséquent,
ni le mari trompé, ni l'amant surpris, mais l'enfant repoussé. llors que Séphora devrait craiIldre pour sa vie, elle arougit
de l'amour maternelll et llrepousse alors son enfant étonné.an
Si l'enfant abandonné n'apparatt pas tOlljours aup~s de
la femme, c'est qU'il finit souvent par s'identifier l elle. En d'autres termes, la femme, devient elle-m€me le symbole de
70. A. de Vigny, Journal d'un pœte,
o.e.,
La Pléiade, Paris,N.R.F., 1948, p.1230
71. A. de Vigny, La Maison du berger, In, vers 280,
o.e.,
Paris, aux éditions du Seuil, 1965, p.92- 39 -.
l'abandonné en général, et de l'enfant mal aimé en· particulier.
Dans la Femme adultêre, Séphora. cherche l s ténivrer de délices parce que:
Il. • • • • • • •
•
l'époux n'est plus dans la. cité.n73Quand le jour se lêve, elle reste "seulen pareille !nune jeune vict:ime que le séducteur abandonne, content du succês de son crllœ. rt73 Néra, surprise, implore la pitié d'un mari somnam-bule qui fuit et l'abandonne:
avois, c'est moi ton épouse en larmes devant toi ,
Mais
tu
fuis • • • • • • • • • • • • • • • • • a 7 ~ Dolorida est une épouse délaissée qui,a A peine chaque jour. • • • • • • • • • • • • • Voit un baiser distrait sur sa lAvre empressé Tomber seul, sans l'amour • • • • • • • • • • • 075 Si le thême de la femme abandonnée pe:nœt ! l'enfant, utilisant un procédé d'assimilation, de traduire dans le
lan-gage des adultes ses angoisses d'abandon, la femme enfant,
ap-paratt comme sa projection dans le monde des adultes, sa
73. A. de Vigny, La Femme adultêre, vers 7-45,
c.e.,
Paris,aux éditions du.Seuil,
1965,
p.5574. A. de Vigny, Le Somnambule, vers 8-9, Ibid., p.58 75. A. de Vigny, Dolorida, vers 46 ! 48, Ibid., p.6l
-40-promotion sur le plan de l'imagination.
Eloa., tout pres de céder ! Satan, tente de faibles cris étouttés sous les eaux~
ft Ainsi qu'un jeune entant ~ s'attachant aux roseaux. ft 76 Dans le D3luge, Sara et Emmanuel sont ndes enfantsn que l'ange devait venir sauver. Symétha est Dune vierge enfan-tine ft 77 et, Dolorida est encore plus jeune que son marl qui
n'a que vingt ans. Emma et Eginard sont nde beaux entants.1I7B
Enfin, dans Les Amants de Montmorency. la femme est encore une jeune et insouciante esclave,
nEnfant, elle jouait en marchantt\ toute belle Toute blonde, amoureuse fïare. n (9
Un premier projet de
la
Col~re de Samson présente Dalilacomme un enrant~
nUors elle s'endormit sur son sein comme un entant
•
• •
• ••
••
• • • ••
• ••
• • • • ••
•
Dors pertide entant.. • • .J'a:iJœ ton regard devi~re tout taux qu'il est et ton soarire voluptueux. DBO
76. A. de Vigny, Eloa, III, vers 201, O.C., Paris~ aux
édi-tions du Seuil,
1965,
p.48.77. A. de Vigny, ~tha vers 49~ Ibid., p.60. 7B. A. de Vigny~ la _ vers
55,
'IE!d.,
p.69.79. A. de Vigny, Les ts de Montmore-ncy;, vers 28, Ibid., p.82.
BO. Henri Guillemin, Vignz, haume d'ordre et pœte, Paris, Gal 1 imard, 6ieme êdition, 1955~ p.66.
-41-et, dans la version définitive du pœme, comme un enfant
qul-" •••• S lendort sans force et riante et bercéeB
Par la puissante main sous sa t€te placée.1I l
Eva enfin, est une jeune femme et la terre est un beau tapis
pour "ses beaux pieds d lenfant. aB2
Dans les romans également, la femme apparatt caœne llimage, dans laquelle 1 !enfant victime se mire et se reconn.a.tt;. Melle
de Coigny reste acomme une enfant délaisséea et le Docteur Noir parlant de Madame de Saint Aignan dit llqu 1i.1œ femme est toujours un enfant.IIB3 Laurette est "fratche et gaie comme une enfant,aB4 et son jeune mari qui nIa rien d lun ~re, llappelle pourtant son enfant.
"Bien.t8t mon enfant vous serez
a
seize ceJIts lieues de votre œre et de vos soeurs. aB4Une haine morbide de la femme ~e, marque la pensée de
Vigny l partir de lB32. Les réflexions qulil confie l son
Bl. A. de V~, La Col~re de Samson, vers 29-30, O.C., Paris, aux éditions du
Sêûiî,
1955,
p.9B.
82. A. de Vigny, La Maison du Berger, III, vers 274, Ibid., p.92. B3. A. de Vigny"
Stella,
O.C., La Pléiade, Paris, NeR.?,1948,
Tome l, p.670.
84.
A. de Vigny, Servitude et GrandeUl' Militaires, Ibid, Tome II,-42-Journal, les projets qU'il conçoit ! partir de cette époque, rendent compte de l'aversion qui couvait en lui bien avant cette date.
"Les Chrétiennes sont des demi-hOllJ[J]es, ,,86 avoue le pœ-te dans un projet de
1836.
La m8me année, un autre projet dé-gage l'essentiel du th&œ de la felDlœ virile, et la vengeance qu lil imagine contre celle qui Itpréf~re la femme: trahit la répugnance qU'elle lui inspire.npour se venger, llll homme fait aiJœr ! cette femme
une ilIlpudique qui la
trompe
et attend qu'elle ait vécu avec six hommes pour pouvoir le publier.lIts7.!pres
1838,
la faillite de sa liaison avec Marie Dorval, exasp!re encore plus cette horreur de la femme-mtle:ItLa femme qui se croit grandir en se faisant mâle ne fait que redevenir barbare et grossiE!re.n88
Dans son
Journal,
Vigny donne alors libre cours ! sa rancune:-"0 femme qui t'es faite homme J tu es perdue, tu te crois forte et c lest encore obéir que faire ce que tu fais~ Tu obéis! quelle
in-fluence pestiférée.no9
86. Henri Guillemin,
V:Ef
homme d'ordre et pœte, Paris, Gallimard,19.55,
p. •87.
A. de Vigny, Journal dlun pœte, O.C., La. Pléiade, Paris, N.R.F.,1948, Tome II,
p.105l.88.
A.. de Vigny, Mémoires et Inédits, Paris, Gallimard, N.R.F.,1958, p.373.
89. A. de Vigny, Journal dlllll poElte, O.C., La. Pléiade, Paris, N.R.F.,
1948, Tome II,
p.ll00.•
43
-Enfin en
1840,
les héroines de Corneille, qui luttent contre 1 'hcmme" comme toutes les femmes de la Fronde, font souhai-ter! Vigny' "un déluge qui fasse renouveler la race.a90Nous ne pouvons pas ne pas admettre, qu'! travers toutes les femmes m4les" transparatt la figure de George Sand" cette nfennne monstrueuse" qui lui dispute Marie Dorval. Toutefois
i l est fort probable que George Sand réveille, plut8t qu'elle n'éveille, le souvenir confus de la femme la plus virile
qu'-i l ait connue: sa œre. En d'autres termes, c'est ! l' éduca-tion et plus particlll.1Arement au martre sévare qui Y' préside, qu'il faut rattacher l'horreur de la femme-mtLe. Plus d'une fois l'enfant a dit souf'frir,malgré l'amour qu'elle lui portait" de la raison froide de magistrat de Madame de Vigny; et quand
i l cherche! imaginer négativeœnt la feJIDDS" la propension ! dominer de sa œre qu'inconsciemment il déforme" devient aver-sion et lui fournit sa mati~re premi~re.
90. A. de Vigny" Journal d'un pœte, O.C." La Pléiade" Paris, N.R.F.,
1948,
Tame II,p.ll3B.
•
•
-44-Pour résumer ce chapitre, disons que le ~he de la fem-me, qui procElde de la premiElre personnalité qui compose Vigny, avec son triple carac~re, impure, adultc1re et
mne,
appardt caume la création d'une conscience com.rainte. Image négative associée de bonne heure! ses angoisses d1enfant, elle peuple son enfer intérieur.A cette conception de la femme, Stello va substituer une création de sa rlverie poétique et qui rassemble les attributs de son paradis imaginaire •
•
CHAPITRE II
La remme~
•
Sous le titre Mémoire d'un riveur, Vigny' note dans son
Journal a la date du 21 ao6t 18,1,
aune
rfverie perpétuelle que llaction et laparole dérangent, voil! qu'elle a été ma vie
et qu'elle doit Itre jusqu'a man dernier jour.
C'est le r€ve qui est ma vie réelle et la vie
en est la distraction. n91
Imaginer pour Stello, c'est donc donner l liltre de que la réalité lui refuse. Sollicité par une insatisfaction, Vigny"
invente des compensations ou des revanches. C lest dire que
c lest une dialectique de la privation qui est le moteur de 11
i-magination.
91. A. de Vigny, Journal d'un pœte~ O.C., La Pl.éiade, Paris,
-
47-le paradis, comme le remarque François Germain,
Dapporte une satisfaction fictive
1
tous les désirs que le réel éconduit. Sa raison d'€tre nI est pas de reproduire ce qui nous entoure, mais de créer un monde aussi d1ttérent que pos-sible, qui s'oppose1
l'enfer comme la volupté s'oppose1
la répugnsnce.n92Au mythe de la femme impure et dont l'amour est coupable, le pœte substitue une image de la femme angélique, pure et chaste.
"Combien le coeur de la femme est plus proche
que le. n8tre, du coeur de l'ange ••• a93 lit-on dans Daphné.
Chez la femme, la pureté conduit tout naturelleœnt
a
lapudeur. 1)3s 1829, Vigny avait noté dans son Journal un projet de pœme, qu'il intitule: PI1deur, et qui montre l quel point son esprit est déjl hanté par ce thœ.
92.
93. 94.nPudeur - Un jour, elle changeait de chemisei - elle vit son chien la regarder et lui lécher les pieds: - la chemise qu'elle quittait était tombée trop vitej l'autre n'était pas mise en-core. - Toute nue, elle laissa tœiber celle qu'elle tenait,
trt,
effrayée, se jeta sur le lit évanouie. a 94François Germain, L'Imagination d'A. de V~ Paris, José Corti, 1961, p.225
A. de Vigny, Daphné, O.C., La Pléiade, Paris, N.R.F., 1948, Tome
n,
p.700•
•
-
48-Cependant ~ c'est dans l'oeuvre que Vigny e:xprime avant tout, sa quGte de l'innocente pureté et ~ quand i l cherche 1 incarner sa vérité idéale d'une femme pure, chaste et pudi-que, i l fixe sa r€verie sur la figure ~olique d'Eloa, soeur des anges, née d'une larme du Christ.
n ••••••••••••••• , et son front innocent
De ce trouble inconnu rougit en s'abaissant • • • • • • • • • • • • • • • • • • • ••
Trois fois, durant les mots de l'archange naissante
La rougeur colora la joue adolescente,
Et luttant par trois fois contre un regard impur.n9.5 La. m&De pudeur, anime le front de Susanne dans le Ba;n, et tandis qu'elle se déshabille,
n •••••••••••••••••• une rougeur errante
96
Ani1œ de son front la blancheur transparente. Il
Elle colore les l~vres de Symétha,
"Car lorsqu'un mot natteur abordait ton oreille ~
La pudeur souriait sur ta l~vre vermeille.1I97 et fait baisser les yeux
a
la jeune danseuse qui,9.5.
96.'
97. 98 •
". •• • •• énivrée aux transports de la f€te,
Same et foule en passant les bouquets de sa t€te Au bras qui la soutient se livre 'et palissant Tourne, les yeux baissés sur un sein trémissant.a98
A. de Vigny, Eloa soeur des ~es, l , vers 133-134, II, vers 218 1 220, O.C., PariS, aux ~tions du Beuil, 1965, p.42-46.
A. de Vigny, Le Bain, vers 27-28, Ibid., p • .57. A. de Vigny, Symêtha, vers 36, Ibid., p.60. A. de Vigny~ Le Bal, vers 9
a
12,Ibid., p.73.•
-49-Si seules les figures féminines des Pœmes Antiques et
Modernes àervUent ~ matérialiser le m;ythe de la femme chas-te et pure, on pourrait se demander, si VigDy ne sacrifie pas
a
11infiuence extérieure de l'époque. Certes, i l faut faire la part de la mode et,n ••••• l'angélisme bien pensant de la Restauration,
e~l'lique dans une large mesure, ~ Vigny ait imaginé de chastes séraphins •••• •
n
faut remarquer cependant, que cette ccm.ception de la femme ne se dément pas tout au long de l'oeuvre. Dans Stello, Madame de Saint Aignan rougit caume une baigneuse sur-prise, parce que sa robe est trop décolletée,"J'entendis un petit cris de femme et je vis que Madame de Saint Aignan était surprise et honteuse de l'€tre... Elle croisa ses deux bras sur sa poitrine comme une baigneuse surprise l'aurait pu faire. Tout rougit en elle depuis le front
jusqu r au bout des doigts •••• 100
et Kitty Bell appardt comme une femne belle et chaste. Par-lant dl elle" le Docteur Noir di+':
"J'avais une foule de cauparaisons agréables au service de cette belle et chaste personne. -101
99. François Germain, l'Imagination d' A. de Vigny, Paris, José Corti, 1961, p.393.
100. A. de Vigny, Stello, O.C., La Pl.éiade, N'.R.F. 1948, Tome l, p.661.
•
-
50-Dans Chatterton, elle est réservée, religieuse, timide: aPlus pure que les anges,· lui dit le Qaaker qui cJme:
nLa Vierge Ère ne jette pas sur son eîÔ2ant
un regard plus chaste que le tien ••• a
Laurette enfin, -étrang1erait.l03 qui vow:h-ait l'embrasser. Quant au dernier pœme consacré 1 l'éternel féminin, la Maison du Berger, i l reprend et cristalise le mythe de la femme pudique et chaste& Caume
Eloa,
Symétha., Susanne et Kitty Bell, Eva frémit de passions secretes et s 'Üldi gnedu regard insultant:
aSi ton corps frémissant de passions secretes S'indigne des regards, timide et palpitant;
Si ton beau front rougit de passer dans les s~
D'un impur inconnu qui te voit et t'entend •••
-Notons toutefois, qu'il y a plUS d'une équivoque dans
ce culte de la pudeur. Dans le Bal, la danseuse -tourne, les yeux baissés," mais sur Dun sein trémissantl Si Eva en 1844
se refugie loin du nprofane insuJ.tanta au milieu d'une
pudi-que solitude, son corps cependant frémit Rde passions secretes.1I
102. 103. 104.
A. de Vigny, Chatterton,
o.e.,
La Pléiade, Paris, N.R.F., 1948, Tome l, p.812.A. de Vigny, Servitude .et Grandeur Militaires, Ibid, Tome II,
'. . p. 560 •.
A. de Vign7, La. Maison du Ber~r, l, vers 15,1.6,19,20,
o.e.,
Paris, aux éditions du tiil, 1965, p.89 ••
-
51-Le culte de la pudeur, comme le remarque François Germain, permet surtout,
IIde tourner par en haut les répugnances enfantines" d ':imaginer les tendresses apparemment innocentes
et de fr81er le corps sans le nommer directement •• 1I105 C'est en quelque sorte un moyen de se donner le change, un com-promis entre le désir et la réprobation.
Si la femme qui proœœ du paradis intérieur de Stello, est une figure angélique qal. satisfait son besoin nostalgi-que de pureté, elle semble rassembler aussi, les attributs du refuge imaginaire du pœte; et quand celui-ci écrit,
lIMon Bme tatmDentée se repose sur mes idées revetues de fomes m;ystiques" mais ces tormes
confusément dessinaient les contours d'une temme. a106 Stello, sans le savoir, cherche i incarner son r€ve d'un re-toge
ca
U puisse fuir la réalité et,aCette terre dont les ronces (lui) ont i chaque pas déchiré les pieds. al07
105. François Germain, l'Imagination d'A. de Vigny, Paris, José
Corti, 1961, p.395.
106. A. de Vigny, Journal d'un Ette, O.C., La Pléiade, Paris, N.~F., 1948, Tame II, p.9 ,
•
•
,2
-n
s'agit, en preIIi.er lieu, de préciser quels sont ces attributs. lJems prouverons ensuite que la femme les réunit.Ca:ltours vaporeux, contacts doux et caressants, bruits estClllpés et ~ odeurs agréables, tels sont les ca-racthes qui sont dévol:as au retage de Stello. Douceur lldes tapis ewbamnés. dans La Femme adul.~re, 108 aontact agréable
-c:hl vel.oars bleu des zdAges- dans Dolorida,109 épaisseur de àla robe anctœuse- de la
&me
romaine,110 jalonnent le mI-me itinéraire de 1 fi mag; nation: La quIte d lun paradis de douceur voluptueuse.Dans Dap1mé~ Abélard pénétra dans une retraite protégée par une porte pesante; ,
-des tapis épais prévenaient le bruit de ses cbaussures épé.rowées, des tapisseries lourdes
et doubles servaient de portes aux petites chambres. alll Dans ~ un jelme hœae inconnu s lappuie mollement "sur un lit de vapeur qui soas son bras fuyait, Il et Satan cherche
lOB. A. de Vigny', La Femœ adultare~ vers 3, O.C., Paris, au éditions du Settil.,
ï965, p.55
109. A. de VjgDy, Dolori.da~ vers 10, ~., p.61
110. A. de VignT, IB Bain d'une dame romaine,Ibid., p.60 lll. A. de VigDy", Daplmé§ O.C., La. Pléiade, N.R.F., PariS,
•
-53-l'ange-femme asur un lit moelleux des neiges du glacier. n112
Enfin, dans un pœme qui évoque les rendez-vous noctu..'"nes
que Marie Dorval donne! Vigny" le pœte compare la retraite de l'amante ! nun nid soyeux. am
Si l'on note aussi que ndes rideaux épais et longsa tapissent la chambre de Stellop4 que Ille lin -blanc" de
la tente de Samson aest bercé: mOllement"n1l5 on peut sai-sir tout un courant voluptueux" qui à S&. source dans le besoin obscur de chaudes caresses" douces et tendres.
A vrai dire, i l semble que pour Vigny, ce soit la fem-me" mod~le de tous les contacts caressants, qui symbolise s& vérité idéale de toute mollesse voluptueuse.
Eloa acontemple mollementaU6 son imortel amant, Susanne "7
a IIdes pas indolents,u... la Dryade dort alascive, une molle sueur sur son front épuisé. nU8
ll2.
m.
ll4.
U5. U6. ll7.U8.-A. de Vigny, Eloa,
n"
vers 64,m,
vers 64"o.e.,
Paris,aux éditions dIl seuil" 1965, p.44-47.
A. de Vigny, L'Heure
ca.
tu pleures, Ibid., p.133. A. de Vigny, Stello,o.e.,
La Pléiade" Paris, N.R.F., 1948" Tome I" p.683.A~ de Vigny, La ,o:>l~re de Samson, vers 7"
-s.e.,
Paris, aux éditions du seuil,1965,
p.9B. A. de Vigny, e~ l, vers 94, A •. de Vigny, ain,vers 4" A. de Vigny, La Dryade,vers 96,Ibid.,
p.47. Ibid., p.57. Ibid., p.59.-S4-La l1lDli3re descend "molle et voluptueuse a119 sur les plis de la robe de la dame rClJDajne, les bras de Dolorida offrent 1
sa té'tie lIun mol appui,II120 et llamante de Montmorency est amollement suspendue" au bras de son amant.l2l DalUa est asouple caume un doux léoparda122 et, dans liAlmeh, la jeune arabe est llmollement couchée. a12.3 Enf'in, bercée .caume un lit palpitant,a124 Eva, par tout sem corps, est une praœsse
de douceur.
aChJ qui verra deux fois ta grtce et ta tendresse, . .ADge doux et plaintif' qui parle en soupirant?
Qui nattra comme toi portarrl; une caresse Dans chaque éclair taubé de ton regard mourant
Dans les balancements mourants de ta tm;e penchée
Dans ta ta1 J J e dolente mollement couchée t!
Et dans ton pur sourire amoureux et souf'f'rant ?a12;1
La chevelure féminine, qui retient sou:vent llattention
de Vigny, est sans aucun doute un signe non avoué de sa sen-sualité; mais, qu'elle soit flottante camœ chez Héléna, éparse
119. 120. 121. 122. 12.3.
124.
12S.
A. de Vigny, le Bain d1une dame romsline,
o.e.,
Paris, auxéditions du Seuil,
ï965,.
p.6ô
A. de Vigny" Dolorida, vers 40, Ibid., p.6l
A. de Vigny, Les Amants de Montmorencz, vers S, ~ •. ' p.81
A. de Vigny, La Colare de Samson, vers 15, ~., p.98
A. de Vigny" LIAlmeh, O.C." La Pléiade, Paris, N.R.F.,
1948
Taœ
n"
p.725. .A. de Vigny', La MaisCll du berger, varlante citée par LeSauJn1er" Destinées,
PariS,
Droz"1941,
p.'71. de
;1gny,
La Maison du berger, O.C., Paris" aux éditions du Seuil,1965,
p.93-
55-comme chez Séphora ou Néra, dénouée et abandonnée 55-comme dans la Dryade, par son épaisseur soyeuse, elle ressemble aux ta-piS, aux étoffes qui cOL~nt le refuge et sugg~re la m8me
profondeur 1ég~re et ti~de.
Chez Kitty Bell, elle tœnbe lien longs re})entirs,II126 et les cheveux blonds de Mademoiselle de Coulanges, se ré-pandent sur la poitrine du Roi avec "un nuage léger de
pou-dre odoriférante. II127 Ceux de Dolorida tombent sur son épaule 1I1ongs et noirs," enfin Dalila, "répand ses cheveux dénoués
au pied de son amant .. 11128
Que Vigny associe le souvenir de sa œre caressant ses cheveux, au plus heureux moment de sa vie, réVEl1e par ailleurs,
la confusion qui s rétablit dans son esprit, entre la volupté des contacts soyeux, doux et caressants et la r€verie récon-fortante. A la date du 26 Mars 1838, i l note dans son Journal:,
126. 127. 128.
A. de Vigny, Stello, O.C., La Pléiade, Paris, N.R.F., 1948,
Tome l,
p.6éL
A. de Vigny, Stello
m
Ibid., p.584.A. de Vignt,