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L'argent et la foi : réflexions sur les trésors de temple

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Academic year: 2021

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^ p arco u rir les tém oignages des histo- / \ rien s rom ains, d e la R épublique à la

JL

J L fin de l'A ntiquité, on est frappé de la fréquence avec laquelle rev ien n en t les m en­ tions de pillage de tem ples, m ais aussi de la diversité des situations dans lequelles se p ro ­ d u isen t ces violences : il s 'a g it au ssi bien d 'opérations menées à l'occasion d 'u n e guerre extérieure (les généraux rom ains en Grèce et en Asie M ineure) que des conséquences de troubles civils, ou de confiscations opérées de sang froid p ar le pouvoir politique1.

1 N o u s a v o n s déjà fo r m u lé u n c er ta in n o m b re d'observations sur le sujet traité id dans Les trésors de temple dans

le monde romain : un expression particulière de la piété, dan s Eccle­ siastical silver plate in sixth-century Byzantium , ed. S. Boyd, M.

M undell M ango, W ashington, 1992, p. 111-121. Le thèm e a fait l'objet d'u n e co m m u n ica tio n d'E. K ü n zl a u c o llo q u e sur la vaisselle d'argent à la fin de l'A ntiqu ité qui s'est tenu à Londres, au British M useum , en mars 1995, don t les actes seront publiés dans Antiquité Tardive, 5, 1997. La bibliographie est abondante, m ais disp ersée : cf. déjà D arem berg-Saglio, s.v. bona templorum, p. 729-730; o n trouvera d 'u tiles in d ication s d an s l'étu d e d”A. H en w ood Griffiths, Temple Treasures. A Stu dy Based on the Works

of Cicero and the Fasti of Ovid, P hilad elph ie, 1943, qui rassem ble

pour l'essen tiel les textes relatifs aux tem p les de Rom e, d'Italie du Sud et de Sicile, m ais com prend le term e de « trésors » dans un sens très général. En revanche P. D ebord, Aspects sociaux et

économiques de la vie religieuse dans l'Anatolie gréco-romaine, Leyde

(EPRO 88), 1982, a m is en œ u vre u n e considérable docum enta­ tion, dans laqu elle n ou s avons abondam m ent pu isé. Egalem ent R. Delm aire, Largesses sacrées et res privata. L'aerarium impérial

et son administration du IVe au VIe siècle, Paris, 1989, p. 641-645,

auquel je d o is d e nom b reuses références qu 'il m 'a gén éreu se­ m ent com m uniquées..

O n p ou rrait en m ultiplier les exemples : le sac d'A m bracie p a r M. Fulvius Nobilior en 189 av. J.-C. se tra d u it ainsi p ar le pillage du tem ple d'H ercule M usarum 2 ; de la mêm e m a­ nière, Suétone ra p p o rte les exactions commi­ ses p a r César d ans les tem ples de Gaule où étaient accumulés des biens précieux3. C 'est la m êm e conduite q ue l'o n rep ro ch era ensuite aux « m auvais » em p ereu rs : D idius Julianus q u i d e v a n t l'a v a n c e d e S ep tim e Sévère s'a ssu re la possession des biens des édifices publics et des tem ples p o u r les distribuer à ses soldats4 et Caracalla qui, après la m ort de Gé- ta, au rait autorisé ses tro u pes à aller chercher leur argent dans les tem ples et les trésors5 se­ ro n t accusés de la sorte, m ais il reste précisé­ m ent à faire la p a rt des reproches rhétoriques - le m épris du droit et des dieux qui caractérise nécessairem ent les pires des souverains- et de la réalité ; le d ro it d e la g u e rre ju stifiait d'ailleurs sans sacrilège une telle conduite et la d istin g u a it d u d é lit de d ro it com m un que co n stitu ait un e a p p ro p ria tio n à des fins p er­ sonnelles : Verrès s'em p aran t des œ uvres qu'il

2 Liv. 38, 43 ; 43, 7. P lu s généralem ent M. Pape, Griechis-

che Kunstwerke aus Kriegsbeute und ihre ôffentliche Aufstellung in Rom, Ham bourg, 1975 ; G. W aurick, Kunstraub der Romer : Unter- suchungen zu seinen Anfangen anhand der lnschriften, dan s JbZMusMainz 22,1975, p. 3&40.

3 Suétone, Div. lui. 54. 4H érodien 2 ,1 1 , 7. 5 H érodien 4 ,4 , 7.

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convoitait d ans les tem ples de Sicile6, César faisant disparaître à son profit 3 000 livres d 'o r d u C apitoie et les rem p laçan t p ar le m êm e po id s en bronze do ré p o u r que le d éto u rn e­ m ent reste inaperçu7 n 'o n t aucune au tre justi­ fication q u 'u n e p a ssio n m an iaq u e p o u r les œ uvres d 'a r t p o u r l'u n ou la cu p id ité p o u r l'au tre ; m ais il est très éclairan t d'observer que les textes juridiques p ren n en t bien soin de distinguer, en cas de vol p a r exem ple, ce qui d an s le tem ple a p p a rtie n t au dieu et ce qui n 'était q u 'u n dépôt de particulier, qui n 'a alors aucun caractère sacré8 : c 'e st donc que la n o ­ tion de bien ap p arten an t au dieu avait quelque force, et devait aggraver le crime. Le parallèle entre les conduites d'O ctave et d'A ntoine est su r ce p o in t très éclairan t : si le p rem ier en effet tire gloire d a n s ses Res Gestae9 d 'av o ir ren d u aux tem ples d'A sie M ineure ce d o n t le second les avait dépouillés, ce q u 'il reproche à son rival ce n 'e s t p as ta n t le principe de son action que d 'av o ir agi privatim, p o u r son pro ­ p re profit, et no n p as p o u r celui de l'É tat ro ­ m ain. Celui-ci en effet n e se fait p as faute d 'av o ir recours aux richesses accumulées dans les tem ples lorsque les besoins d 'arg en t se font tro p pressants. A insi N éron, d ans un e situ a­ tio n financière d é se sp éré e , « enleva-t-il les offrandes d 'u n g ran d nom b re de tem ples et

6 Verrès n'a laissé aucun e oeuvre d'art en Sicile, ne in fa-

nis quidem : Cic., Verr. IV, 1 ; cf. égalem en t IV, 28-29 (candélabre

offert par A ntiochus au C apitale) ; IV, 43, à propos d es tem ples d e Syracuse d é p o u illés par Verrès : les m agistrats qui d oiven t rendre d es com ptes à la fin d e leur g estion et présenter les objets reçus en d ép ôt dem and en t à ne pas être inquiétés pour ceux qui m anquent, p u isqu e c'est le gouverneur indélicat qui les a volés.

''Suétone, Div. Iul., 54.

8 D ig. XLVIII, 13, 6: « res privatorum si in aedem sacram

depositae subreptae fuerint fu r ti actionem, non sacrilegii esse ».

9 Res Gestae 24.

fit-il fondre les statues d 'o r et d 'arg en t10 ». Du coup a-t-on facilem ent p rêté à l'ép o q u e m o­ derne à certains souverains de m auvaise re­ nom m ée des pillages m assifs de sanctuaires qui ne s'av èren t pas toujours vérifiés : on p en­ sera p a r exem ple au saccage des tem ples de Jupiter D olichenus d o n t l'a ttrib u tio n à Maxi- m in le Thrace a suscité de vives controverses entre archéologues et historiens11. Mais il n 'y a là à vrai d ire aucune originalité : le p h én o ­ m ène était général dans l'A ntiquité ; M. Vick­ ers en a récem m ent rassem blé les principales attestations12, et une rem arque de Pausanias à p ro p o s d e l'enlè-vem ent p a r A u g u ste de la statue d 'A th én a d u tem ple de Tégée p o u r p u ­ n ir les h a b ita n ts d 'a v o ir em brassé le p a rti d'A ntoine est sans am biguïté su r ce p o in t13 : le Périégète rappelle en effet que le prince ne fait que suivre en cela « u n e tra d itio n ancienne observée p a r les Grecs com m e p ar les Barba­ res ».

Si le sentim ent religieux n'em p êch ait fi­ n alem en t ni pillages ni saisies, à p lu s forte raison s'explique-t-on les confiscations m assi­ ves opérées d an s les biens des tem ples p ar C onstantin vers 331, d o n t le caractère systé­ m atique a frappé les contem porains au point

10 Suétone, Nero 32.

11 E. Toth, The D estructions of the sanctuaries of Juppiter

Dolichenus, dansA cta Arch. Acad. Scient. Hungaricae, 25, 1973, p.

109-116 ; M. Sp eid el, The Religion o f Juppiter Dolichenus in the

Roman Arm y, Leyde, 1978, p. 72. Contra, R. N o ll, Das Inventor des Dolichenusheiligtums von M auer an der Url (Noricum), V ienne,

1980, p. 116.

12 D. M. L ew is, Temples inventories in Ancient Greece, dans M. Vickers, Pots and Pans. Proceedings o f the colloquium on Pre­

cious Metal and Ceramics, O xford, 1986, p. 71-81. M. Vickers, D.

Gill, A rtful Crafts. Ancient Greek Silverware and Pottery, Oxford, 1994, p. 55-62.

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qu'ils leur on t attrib ué un e am p leur difficile­ m ent vérifiable, et peut-être excessive. Ce sont elles en effet qui, p o u r Libanios, ont en partie financé la co n stru ctio n d e C o n stan tin o p le14. Q uant à YAnonymus de rebus bellicis, très h os­ tile à l'em p ereu r, il va ju sq u 'à y voir une des causes de la ru in e de l'économ ie d u m onde rom ain : l'afflu x b ru ta l d e richesses qui en aurait résulté, bo u lev ersan t le systèm e m oné­ taire, au rait entraîné le dévelo p p em en t de la frappe de l'o r15. Plus ta rd encore, les textes fournissent d 'au tres inform ations su r ces con­ fiscations : on v o it ainsi à G aza, en 402, les prêtres d u Marneion se b arricader dans le tem ­ ple et cacher dans l'e n d ro it le p lu s secret d u sanctuaire les « objets sacrés », que les soldats pillent ailleurs16.

Les tém oignages archéologiques, si d is­ persés soient-ils, confirm ent les textes, ou to u t au m oins les éclairent. Sans nous attarder sur les exem ples très explicites, m ais antérieurs à l'époque rom aine, de pièces d'orfèvrerie m ani­ festem ent pillées d ans des sanctuaires, retrou­ vées en particulier d an s des tom bes17, on peu t citer ici q u elq u es cas significatifs : le p lu s spectaculaire est à coup sû r celui de la tro u ­

14 Libanios, Or. XXX, 6 ,3 7 ; LXII, 8 ; Julien, Or. VU, 228b. 15 Anon. de rebus bellicis H, 1. Sur les confiscations, cf. en­ core Eusèbe, Vita Const, in , 55-58 ; id., Laud. Const. 8. Sozom ène,

Histoire ecclésiastique, éd. F estugière, Paris, 1983 (Sources chré­

tiennes 306), II, 5, 2 : les prêtres « livraient ce q u 'il y avait chez eux de plu s précieux... et ils le tiraient eu x-m êm es du fond des sanctuaires et d es retraites cachées dan s les tem p les » ; ibid. H, 5, 3 : les statues son t fond ues, ou, pou r les plu s belles d'entre elles, en v o y é es à C on stantin ople. O n rappellera l'éph ém ère restitu­ tion aux tem p les opérée par Julien, à laquelle m it fin Jovien en 364.

16 Marc le diacre, Vie de Porphyre, 65 (éd. H. Grégoire, M. A. Kugener, Paris, 1930).

17 Vickers-Gill, loc. cit. n. 12.

vaille d'H agenbach, p rès d e Spire18; il s'agit d 'u n riche ensem ble d e vaisselle m étallique re tro u v é p ar u ne d rag u e d ans u n des bras m orts du Vieux Rhin. L'allure d u matériel, qui contient en particulier des élém ents de Hack- silber ne laisse aucun doute su r la nature de cet ensem ble : il s'a g it d u fruit des pillages per­ pétrés en Gaule p ar une b an d e barbare, perdu p o u r u ne raison inconnue au m om ent du p as­ sage d u fleuve ; elle est en cela analogue à la

trouvaille faite dans des circonstances analo­ gues et d ans la m êm e rég io n à N eu p o tz19.

D ans to u t le m atériel recueilli on retiendra d 'a b o rd un p la t en arg en t fragm entaire qui p o rte une inscription soigneusem ent niellée qui ne laisse pas d 'éq u iv o q u e su r sa nature ; elle souligne en effet q u 'il a été offert ex vissu Minervae20, à la suite d 'u n rêve ou d 'u n e vi­

sion. C 'e st bien u n ex-voto, déposé dans un tem ple, au m êm e titre q u 'u n lot de feuilles en a rg e n t so ig n eu sem en t em p aq u etées p a r les p illa rd s qui a p p a rtie n t au ssi au trésor. Les in scrip tio n s vo tiv es que p o rte n t p lu sieu rs d 'e n tre elles, l'an aly se de leu r texte et plus p articulièrem ent des nom s qui y figurent ont m o n tré qu'elles p rov en aien t d 'u n sanctuaire de M ars situé dans le sud -o u est de la Gaule, au p ied des Pyrénées21.

L'ensem ble de ces objets, q u 'il s'agisse d u p la t ou des feuilles votives, est de valeur limitée, à juger d 'ap rès le seul critère du poids

18 H . Bernhard, H.-J. Engels, R. Engels, R. Petrovszky,

Der romische Schatzfund von Hagenbach, M ayence, 1990.

19 E. K ünzl, Die Alamannenbeute aus dem Rhein bei Neu­

potz. Plünderungsgut aus dem romischen Gallien, M ayence, 1993.

20 Hagenbach, op. cit., p. 28-30, fig. 16 : Maria Corisilla ex

vissu sol(vit) lib(ens) llaetus merito]. 71 Hagenbach, op. cit., p. 8-19.

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de m étal, et sans d o u te b eau co u p de petits san ctu aires ne po sséd aien t-ils effectivem ent q u 'u n tré s o r m o d este. M ais la tro u v a ille d 'H ag en b ach illu stre de façon spectaculaire les convoitises qu'exerçaient les richesses plus ou m oins im portantes entassées dans les tem ­ ples. D 'a u tre s exem ples o n t été conservés, certains to u t à fait assurés, d 'a u tre s p lu s in­ certains. Le trésor de M auer an d er Url, en A utriche, est particulièrem ent intéressant dans la m esure où il rassem ble objets de culte (des statuettes, des étendards votifs) et d u matériel d 'u sa g e co u ra n t (outils, grils, chaînes), des pièces en fer et d 'au tres en m étal plus précieux (du bronze), de la vaisselle et de la sculpture22. Il d o n n e a in s i u n e b o n n e id é e d e l'accum u latio n so u v en t hétéroclite qui cons­ titu ait p o u r u n sanctuaire u n e partie de son capital, évidem m ent d 'a u ta n t plus im portante que la fréq u en tatio n était grande. La décou­ verte récente de W eissenburg, en Bavière, doit être d e m êm e n atu re, p lu s riche cep en d an t dans la m esu re où elle co m p ren d aussi des objets en argent23 ; on y retrouve de la statuaire en bronze, qui réu n it les effigies de divinités très diverses, Jupiter, Junon, A pollon, Vénus, Hercule, M ercure, des feuilles votives en métal précieux de forme très élaborée, de la vaisselle de bronze, partiellem ent dédiée à Epona p ar des inscriptions et p a r des im ages (sur un bas­ sin la déesse est associée à D ionysos24), mais aussi, com m e à M auer an d er Url, des objets en fer p u rem en t utilitaires.

22 R. N o ll, Das Inventar des Dolichenusheiligtums von

Mauer an der Url (Noricum), Vienne, 1980.

23 H.J. Kellner, G. Z ahlhaas, D er Romische Tempelschatz

von Weissenburg i. Bay., M ayence, 1993. 24 Ibid., n°44, p. 87-91, fig. 11.

Les deux trésors de B erthouville (Eure) et de N otre-D am e d'A llençon (Maine-et-Loire) sont un peu différents p a r leur co n ten u 25 ; l'u n et l'au tre sont en effet constitués de vaisselle d 'arg en t ; s 'y ajo u te n t à B erthouville deu x grandes statuettes en argent et, à N otre-D am e d'A llençon, la p artie antérieure, c'est-à-dire la face, de deux têtes en m étal précieux. Décou­ v e rt en 1830 d an s l'enceinte d u fanum de Ca- netonum , dans l'o u e st de la G aule, consacré à M ercure, le trésor d e B erthouville a livré, ou­ tre les deux effigies d u d ieu en ro n d e bosse, u ne cinquantaine d e vases d o n t une partie à décor figuré, qui se répartissent en deux grou­ pes bien distincts. U n prem ier ensem ble réunit en effet de la vaisselle de table, p o u r l'essentiel des vases à boire q ue l'o n rattachera directe­ m e n t à la p ro d u c tio n d u Ier s. ; la p lu p a rt d 'e n tre eux o n t été offerts p a r u n certain Q. D om itius T utus, u n italien probablem ent. La seconde série rassem ble des objets différents des prem iers p a r leu r form e com m e p ar leur décor ; to u s s o r tis v r a is e m b la b le m e n t d'ateliers de G aule, ils sont p lus tardifs (on les attrib u era au IIe s., v oire au d é b u t d u IIIe) ; p lu sieu rs coupes, qu i p o ssè d e n t u n emblema rep résen tan t M ercure accom pagné, d ans un cas, de sa p a rè d re M aia, o n t sans dou te été exécutées d ire c te m e n t com m e ex-voto. De nom breuses in scrip tio n s p e rm e tte n t de con­ naître de m anière relativem ent précise les d o ­ nateurs : des citoyens rom ains, m ais aussi des p érég rin s, et u n a ffra n c h i26. L 'onom astique

25 E. Babelon, Le trésor de Berthouville, Paris, 1916 ; F. Ba­ ratte, Le trésor d'argenterie gallo-romaine de Notre-Dame d'Allençon

(Maine-et-Loire), Paris, 1981.

26 H. U. N uber, Zum Vergrabungszeitpunkt der Silberfunde

von Hildesheim und Berthouville, dan s Bull. Musées Royaux d ’art et d'Histoire, 46, 1974, p. 27-29. O n exam inera dan s la m êm e

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pers-m et en évidence l'o rig in e gauloise de certains d 'en tre eux : le tréso r de Berthouville est cer­ ta in e m e n t l 'u n d e c eu x q u i p e r m e t d 'ap p ro ch e r le p lu s précisém ent la co n stitu ­ tion d u « trésor » d 'u n p etit sanctuaire de la Gaule romaine.

Celui de N otre-D am e d'A llençon, cons­ titué lui aussi de vaisselle d 'arg en t, est moins riche d'enseignem ent : si nous som m es assu­ rés q u 'il faisait p artie d 'u n ensem ble dédié à M inerve, la personnalité des d o n ateu rs no u s échappe presque com plètem ent, puisque trois nom s seu lem en t so n t connus. T rouvé sans contexte, il n 'e s t pas aussi significatif. Le décor figuré est très lim ité ; l'u n des emblema cepen­ d a n t p o u rra it p ro v en ir de Syrie27. M ais un e com paraison avec Berthouville fait apparaître clairem ent u n certain nom bre de sim ilitudes : les objets de N otre-D am e d'A llençon dans leur sobriété po u rraien t bien avoir été destinés eux aussi dès l'origine à être proposés aux fidèles qui fréq u en taien t le sanctu aire et qui cher­ chaient à laisser une offrande à la divinité.

P lu sie u rs a u tre s tro u v ailles, p lu s ou m oins im p o rta n te s, p ro v ie n n e n t p e u t-ê tre d 'u n sanctuaire : les quelques pièces de v ais­ selle d é c o u v e rte s en 1824 à S o u s-P arsat (Creuse), connues seulem ent p a r des dessins, qui portaient toutes u ne dédicace à M ercure28, ou bien encore la p lu p a rt des trouvailles de

p ec tiv e les n o m s qui a p p a ra issen t sur les fe u illes v o tiv e s d'H agenbach : Hagenbach, op. cit. p. 14-18.

27 R. F leischer, G o tt oder H errscher ? Z w ei syrische

Denkmaler der Kleinkunst severischer Zeit, dans A A , 1983, p. 253-

263.

28 F. Baratte, Documents inédits à propos du trésor de Sous-

Parsat, dans BSNAF, 1991, p. 95-112.

feuilles votives en argent, comme celle de Vi­ chy, consacrée pro b ab lem en t à Jupiter Saba- zios29, d 'H ed d e m h e im p rès de Francfort30, ou bien encore de Tekija, en Serbie31, qu'accom pa­ g n a ien t p lu sie u rs pièces d 'arg en terie, sont au tan t d'exem ples d u rôle que la vaisselle de m étal a joué à l'ép o q u e rom aine dans la cons­ titution des trésors des temples. O n se gardera toutefois de considérer trop systém atiquem ent toute découverte d e feuilles en argent comme u n e p artie d u tréso r d 'u n sanctuaire ; une anecdote ra p p o rté e p a r A m m ien M arcellin32 d o n n e en effet m atière à réflexion su r ce po int : elle nous m ontre en effet le philosophe Asclépiadès em portant avec lui en voyage une p etite icône de C aelestis en arg en t (que Ton p e u t im aginer à la m anière des feuilles voti­ ves) ; arriv an t à A ntioche, sous le règne de Julien, il la dépose p o u r la n u it aux pieds de la statue d'A pollon dans le tem ple de D aphné et lui allum e des cierges, qui m ettront le feu au sanctuaire : on a là l'attestation d 'u n e dévotion personnelle qui s'exerçait p a r l'interm édiaire d'objets qui devaient être exactem ent les mê­ m es que ceux que les fidèles laissaient dans les temples.

Parmi les découvertes récentes, Tune des p lu s spectacu laires est celle in terv en u e à Douch, dans l'oasis de K hargeh en Egypte : un vase en terre cuite qui renferm ait un ensemble

29 Ch. R ossignol-A . Bertrand, Notices sur les découvertes

faites à Vichy, dans Bull. Soc. Emulation Allier, XVIII, 1888, p. 185-

217 et 228-230 ; J. Corrocher, Vichy antique, Clermont-Ferrand, 1981, p. 252-257.

30Rômer am Rhein, ca ta lo g u e d 'e x p o sitio n , C ologne,

1967, C 124.

31D. M ano Zissi, Les trouvailles de Tekija, Belgrade, 1957. 32 A m m ien M arcellin, X X II1 3 ,3

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de bijoux et d e p laqu ettes votives en or (plus de 1220 g) et quelques bijoux en argent (34 g), consacrés selon to u te vraisem blance à Sara- pis33.

À cette énum ération, qui est loin d 'être exhaustive, on ajoutera u n d ern ier exem ple que sa date tardive ren d particulièrem ent inté­ ressant : la trouvaille de Thetford en G rande- Bretagne34, qui com prend, outre de nom breux bijoux et divers petits ustensiles de table et de toilette, passoires, cure-dents, un ensem ble de cuillers d ont les cuillerons portent des dédica­ ces niellées au dieu F aunus, accom pagné à c h aq u e fois d 'u n q u alificatif indigène. La form e des cuillers, celles des grandes ligulae à col d e cygne n o ta m m e n t, ne laisse au cun d o u te sur la d atatio n d e la trouvaille à la fin d u IVe ou au d é b u t d u Ve siècle. Elle résulte p robablem ent de la réu n io n fortuite d'objets de provenances diverses, m ais les cuillers au m oins ont a p p arten u certainem ent à u n sanc­ tuaire de Faunus, peut-être en Gaule.

L 'é p ig ra p h ie enfin atteste, com m e les textes et l'archéologie, l'im po rtan ce des of­ frandes métalliques. Ainsi le fidèle, redoublant en qu elq u e so rte son d o n , tient-il parfois à rap p eler p a r u ne inscription présentée à part, su r p ierre n o tam m en t, son geste d e p iété : d e u x d é d ica c es p ro v e n a n t d e T h u b u rb o M aius35 rap p ellen t l'u n e et l'au tre l'offrande à S aturne de d eu x feuilles d 'a rg e n t (c'est de cette m an ière qu e n o u s in terp réto n s palma

33 M. Reddé, Le trésor de Douch, dans CRAI, 1989, p. 427-445.

31C. Johns, T. Potter, The Thetford Treasure. Roman Jewel­

lery and Silver, Londres, 1983.

35 IL A f256 ;ILTun 709.

argentea) p lu tô t m odestes p u isq u 'e lle s sont d 'u n e valeur respective de 10 et de 25 deniers ; le don est encore plus mince à Stony Stratford, en G rande Bretagne, où le coût p o u r le dédi- cant a été de 6 deniers36 ; m ais il est significatif que l'o n tienne avec tan t d 'in sistan ce à men­ tionner des som m es m êm e aussi faibles. Plus im portant, m ais m odeste encore est le don fait à N oreia, d an s son san ctu aire d e C arinthie, p a r le d écu rio n Q. Fabius M o d estu s : u ne coupe en arg en t d 'u n poids de deux livres et u n quadrans, soit environ 737 g, et des emble- mata en or, c 'e st-à -d ire d es effigies de la déesse, peut-être sous la form e de feuilles vo­ tives, d 'u n po id s de deux onces, soit 55 g?7. Le legs que fait au Capitole de Théveste Corne­ lius Egrilianus, préfet de la 14e légion Gemina, tel que nous le livre une inscription gravée au d é b u t d u IIIe s. su r le pilô n e n o rd -o u est de l'arc de Caracalla, est en revanche beaucoup p lu s im p o rtan t38: 170 livres en arg en t sous la form e de p la ts et de qu elq u es au tres objets d o n t le détail est p e rd u , m ais aussi 14 livres d 'o r, soit trois phiales et deux skyphoi, c'est-à- dire en poids d e m étal précieux plus, p o u r la seule argenterie, que les trésors de M ildenhall ou de K aiseraugst. Il s'ag it là d'ex-voto, con­ çus to u t exprès p o u r m anifester la reconnais­ sance d u fidèle à l'ég a rd de la divinité ; mais ces objets p e u v en t avoir égalem ent u n usage

36 H . B. W alters, Catalogue o f the Silver Plate, Greek, Etrus­

can and Roman, in the British Museum, L ondres 1912 n°237. Deo lo vi et Vulcano. Cum vellin t me consecratum conservare promisi denarios sex pro voto sa(lutis) rest(itutae).

37 CIL ID 4806 = D essau 4836. R. N o ll, OJh 1950, col. 142. 38 CIL VU! 1858. S. A ccam e, Il testamento di C. Comelio

Egriliano e Varco di Caracalla in Tebessa, dan s Epigraphica, IE, 1941,

p. 237-243 ; L. Bacchielli, II testamento di C. Comelio Egriliano ed il

coronamento delTarco di Caracalla a Tebessa, d an s VAfrica romana,

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pratiqu e et servir au culte : ainsi en A frique encore, à M ustis, C. Julius Placidus, flam ine perpétuel et duumvir, offre en 117 un e cruche et une patère en argent d 'u n poids de six livres ad ornamentum templum Plutonis39 c'est-à-dire p o u r l'é q u ip e r en m obilier sacré exactem ent comme le fera plus ta rd C onstantin p o u r ses fondations romaines.

Q uant aux textes p ro p rem en t dits, il suf­ fira d 'év o q u er la description lyrique que fait Lucien de Samosate d u sanctuaire d'A targatis à H iérapolis p o u r com p ren d re la richesse ac­ cum ulée dans certains g ran d s tem ples et la diversité des biens qui la constituent40.

M ais l'ensem ble de ces docum ents d e ­ m eu re to u tefo is in c o m p a ra b le m e n t m oins précis que ceux d o n t n o u s disposons p o u r le m onde grec, po u r certaines périodes au moins, p o u r lesquelles nous connaissons à la fois la m anière d o n t les trésors se so n t form és, le statut social des do n ateu rs et les m odes de la donation, la m anière d o n t l'ad m in istratio n en est réglée, le contenu exact et son évolution : une docum entation épigraphique considérable est conservée, qui p erm et de suivre, dans les m eilleurs des cas, année p ar année et su r une assez longue période, l'in v en taire des objets, leur m ode de rangem ent, la façon d o n t ils sont en treten u s. Les co m p tes d es tréso riers d u P arthén o n, ceux des san ctu aires d'A rtém is B ra u ro n ia , d 'A s c lé p io s à E p id a u re , de l'A m phiaraon d 'O ro p o s et p lu s encore ceux du sanctuaire d'A p o llo n à Délos, encore

insuf-39 A. Beschaouch, M ustitana 1, dans Karthago, 14,1968, p. 170-174.

40 Lucien, De Dea Syria, 10.

fisam m ent publiés il est vrai, ou bien encore ceux d e Sam os, d 'Im b ro s et d u sanctuaire d 'A p o llo n à D idym es p o u r citer quelques-uns des exem ples les p lus significatifs représentent u n e exceptionnelle docum entation, d 'u n e ri- chese inégalée p a r les inform ations de toute n atu re qu'ils fournissent41.

P o u r l'é p o q u e ro m ain e en revanche, n ous ne disposons pas d'élém ents aussi com­ plets, bien au contraire. Les inscriptions et les textes qui concernent expressém ent les trésors (et p as seulem ent des dons faits aux dieux) sont rares et dispersés42. C 'est pourquoi deux retiennent plus particulièrem ent l'attention, en d é p it de leur brièveté : l'in v en taire fragm en­ taire d u trésor d u tem ple de Jupiter Capitolin à C irta, et celui p ro v e n a n t des environs de N ém i, ap p arten an t probablem ent à un temple d'Isis. Le p rem ier est expressém ent désigné

41 D 'u n e m anière générale, D ebord, Aspects sociaux et

économiques, notam m ent p. 216-225. Pour A thènes : W.S. Fergu­

son , The Treasurers o f Athena, C am bridge, 193 2 ; J. Tréheux,

Etudes d'archéologie classique, III, Paris, 1965, p. 5-85; T. Linders, Studies in the Treasurer Records of A rtem is Brauronia found in Athens, Stockholm , 1972. O ropos ; IG VII, 303, 3498. D élos : Th.

H o m o lle, Comptes des Hiéropes du temple d'Apollon Délien, dans

BCH, 1882, p. 1-167 ; id.,Les archives de l'intendance sacrée à Délos (315-166 av. J.-C.), BEFAR 49, Paris, 1887 ; F. Durrbach, Inscrip­ tions de Délos, IÜ-IV, Paris, 1924-1926 ; J. C oupry, Inscriptions de D élos, II, Paris, 1972 ; Ph. Bruneau, Recherches sur les cultes de Délos à l’époque hellénistique et à l'époque impériale, BEFAR 217,

Paris, 1971. La thèse d e J. Tréheux, Etudes critiques sur les inven­

taires de l'Indépendance délienne, Paris, 1970, est malheureusem ent

restée in éd ite ; cf. récem m ent encore id., Les hiéropes déliens de

171 av. J.-C., d an s BCH, 109, p. 485-496. D idym es : A. Rehm, Didyma II. Die Inschriften, ed. H. Harder, Berlin, 1958, p. 249-279.

Sam os ; D. O hly, Die Gotter und ihre Basis, dans Ath. M itt., 68, 1953, p. 34-37 ; Im bros : J. Tréheux, L'inventaire des clérouques

d'Imbros (IG XII 8 ,5 1 ), dans BCH, 80,1956, p. 462-479.

42 O n citera par ex em p le deux inscriptions, Tune d'Ostie (CIL XIV 21), l'autre d e C adix (CIL II 3386), qui décrivent des don ation s d e bijoux faites à Isis.

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comme tel : synopsis'13. Il m entionne u ne statue de Jupiter en arg en t p o rta n t u n couronne de chêne en m êm e m étal, d o n t les feuilles et les g lan d s sont so ig n eu se m en t d én o m b rés ; le dieu tient dans la m ain droite u n globe et une Victoire qui porte elle-m êm e une palm e et une couronne d o n t les feuilles sont décom ptées ; d ans la m ain gauche il tien t u n sceptre. S'y ajoutent les élém ents d u décor d 'u n e fontaine (qui ap p arten ait semble-t-il au sanctuaire), les 40 lettres dorées d 'u n e incription et les 10 hede- rae servant à la ponctuation, six coupes (scyphi) d o rées, u n c a n th a re d o ré , six statu es en bronze, six au tres en m arbre, six robinets en bronze et six serviettes.

Q uant à l'in v en taire des biens d u sanc­ tuaire de Nemi44, il m entionne 17 statues, une tête d u Soleil, 4 imagines en argent, u n clipeus, deux autels et un e table en bronze, u n vase à libations et u n e p atère en argent, u n sistre en a rg e n t do ré (d 'o ù l'id e n tific atio n pro p o sée avec u n sanctuaire d 'Isis), u ne patère « avec des fru its» , de n o m b re u x bijoux ornés de gem m es, des grilles en b ro n ze avec d e petits herm ès, des vêtem ents.

Mais ces textes, si succints soient-ils, po­ sent u n certain nom bre de questions d 'o rd re concret qui débouchent en outre sur des inter­ rogations plus générales concernant les trésors des sanctuaires. O n a observé ainsi d epuis longtem ps q u 'u n e im age divine su r u n objet ne suffit pas à elle seule à lui conférer u n

ca-43 CIL V m 6981 /6 9 8 2 = D essau 4921a-b. L'inscription est partagée entre le m u sée d u L ouvre (Ma 2048) et le m u sée des antiquités à Alger.

44 CIL XIV 2215 = D essau 4423.

ractère p ro p rem en t religieux. Si les coupes de Berthouville d o n t Yemblema rep résen te M er­ cure font partie des biens d u tem ple, on n 'au ra garde d'oublier q u 'u n e pièce p resq u e id en ti­ que se retro u v e d a n s le tréso r de C haourse (Aisne)45, qui constitue de to u te évidence un bel exem ple de service d e vaisselle de table. Q ue penser dans ces conditions des différents trésors dans lesquels a p p araît une coupe sur laquelle fig u re l'im a g e d u d ie u : ceux des G ranges (A ube) ou de Saint-Jouin-sur-M er (Seine M aritim e), deu x trouvailles aujourd'hui disparues46, et p lu s encore celui de Lyon- Vaise47, dans lequel on retrouve à la fois des bijoux, quelques pièces d 'arg en te rie sans ca­ ractère religieux, m ais aussi plusieurs statu et­ tes de divinités, Sol, Fortuna, la Victoire, no ­ tam m ent, et une coupe do nt le m édaillon cen­ tral représente, gravé, M ercure ? Les exemples ne m a n q u en t p as d e tréso rs de b ro n ze ou d 'a rg e n t d o n t la n a tu re est p o u r n ous am bi- güe48. Inversem ent d'ailleurs on observera que des pièces d e vaisselle de table p e u v en t fort bien a p p a rte n ir a u tréso r d 'u n tem p le ; la trouvaille d e B erthouville en ap p o rte un e il­

45 F. Baratte, K. S. Painter (éd.), Trésors d ’orfèvrerie gallo-

romains, Paris-Lyon, 1989, n °77, p. 130.

46 Les Granges : Bull, de la Commission des Antiquités de la

Côte d'Or, 4,1853-1854, p. LVII-LVIII. B eaum esnil : Abbé Cochet, La Seine Inférieure historique et archéologique, Paris, 1856, 2e éd ., p.

350. F. Baratte, La vaisselle d ’argent d'époque romaine en Normandie, dans L’art en Normandie. Actes du XXVIe congrès des sociétés histo­

riques et archéologiques de Normandie, II, Caen, 1992, p. 50.

47 J.P. L ascoux, F. Baratte, C. M etzger, G. A ubin, M.-Cl. Depassiot, Le trésor de Vaise. Lyon - Rhône, Lyon, 1994. La cou p e au Mercure e st rep rod u ite p. 12. Le trésor fera l'objet d 'u n e publication p lu s com plète par les m êm es auteurs.

48 Q ue faut-il p en ser, en particulier, d es nom b reuses patères qui com portent dan s le décor d e leur m anche un e repré­ sentation d e M ercure (ou d 'u n e autre d ivin ité) en bu ste o u en p ied ?

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lustration spectaculaire, tandis q u 'u n passage de l’Histoire Auguste rap p o rte que l'em pereur Tacite av ait d o n n é sa p ro p re argenterie aux tem ples p o u r les b a n q u e ts qui s 'y d é ro u ­ laient49 : la réalité d e l'an ecd o te im porte peu, son contenu est à lui seul révélateur.

M ais on doit égalem ent se dem ander si toute dédicace à u n d ieu désigne l'objet qui la porte, statue ou pièce de vaisselle, comme a p ­ p arten an t au trésor d 'u n sanctuaire. Certains cas sont sans éq uiv o qu e, com m e la base de s ta tu e tte en a rg e n t d é co u v e rte n a g u ère à D om pierre-sur-A uthie50 d ans u n fanum , d o n t la dédicace à Epona précise en outre qu'elle a été financée ex stipibus, p a r le p ro d u it des quêtes. O n p e u t p en ser q u 'ap p a rte n a it égale­ m ent à u n sanctuaire la coquille votive trouvée il y p e u à M en estreau (N ièvre), q u 'u n e in s­ cription consacre à u n d ieu jusqu'ici inconnu, G rinovantis51. D 'a u tre s cas so n t p lu s incer­ tains, com m e celui év oqué p a r l'inscriptio n que p o rte une base en p ierre de Volubilis, trouvée en rem ploi52 : la dédicace, faite ex tes- tamento sans doute à Saturne, est celle d 'u n e statue en argent ; la possession en revenait-elle nécessairem ent au sanctuaire d u dieu ? Sinon, à qui ? M ais que pen ser encore des offrandes déposées d an s certains contextes particuliers, celui des sanctuaires de source n o tam m en t :

49 SHA, Tacitus, 10, 5. Le texte so u lig n e q u e Tacite p o s­ sédait cette vaisselle privatus, à titre personnel : on rapprochera cette précision d u p assage d e s Res Gestae, 24, signalé plus haut.

50 Cet objet est en cours de publication. 51M. Bonneau, RAE, 4 4 ,1993, p. 221-224.

52 M. Le Glay, Saturne africain. Monuments, II, Paris, 1966, p. 335, n ° l.

dans celui de M inerva Sulis, à Bath33, ou dans celui de V icarello en Italie54, p a r exem ple, m onnaies et objets précieux sont jetés p ar les fidèles d an s les bassins, sans être toujours im m édiatem ent récupérés com m e le dém on­ tren t les découvertes effectuées, qui sont p ar­ fois spectaculaires : à V icarello, ce sont des vases en argent, m ais aussi en or qui étaient restés dans l'eau après l'aban d on des lieux. La dém arche des fidèles est in téressante, p u is­ qu'elle témoigne d 'u n e form e de renoncem ent à une reconnaissance tem porelle : le souvenir en to u t cas n 'en est p as explicitem ent m ani­ festé dev an t les autres fidèles. L 'attitude n'est donc pas sans rappeler celle de certains dona­ teurs de pavem ents de m osaïque dans les égli­ ses paléochrétiennes qui, tenant p ar hum ilité à conserver l'anonym at, précisent que Dieu seul connaît leur nom 55.

U n dernier cas do it enfin être évoqué : celui des biens virtuels de la divinité, donc de son sanctuaire, c'est-à-dire les offrandes qui lui sont faites sans m atérialisation de leur réa­ lité. Il p eu t s'agir, de m anière très courante, de dons prom is en échange d 'u n e faveur atten­ due : ainsi à B uthrinte une épigram m e votive m ontre le dédicant offrant à Zeus Kasios un petit ex-voto de navire en rem erciem ent d'u n e traversée heureuse ; s'il reçoit de surcroît la

53 B. Cunliffe, The excavation of the roman spring at Bath,

1979. A preliminary description, dans The Antiquaries Journal, 1980,

p. 187-205, en particulier p. 200-201.

54 G. M (archi), La stipe tributata alla divinità delle Acque

Apollinari scoperta al cominciare del 1852 ; A. M. Colini, La stipe delle acque salutari di Vicarello, dan s RendPontAccArch., 40, 1967-

1968, p. 35-56. A. Oliver, Silver fo r the Gods. 800 Years of Greek and

Roman Silver, Toledo, 1977, n°95, p. 143.

s G. P u gliese Carratelli, Cuius nomen Deus scit, dans Studi mediolatini e volgari, 1 ,1953, p. 193-196.

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fortune, il en donnera un autre, en oU6. Mais ce sont aussi parfois des objets que leur prop rié­ taire a p erd u s, ou q u 'il s'est fait voler, et qu'il donne à la divinité, à charge p o u r elle de les récupérer -et de p u n ir les coupables : les tabel- lae defixionis donnent plusieurs exemples de ce com portem ent, à Bath p ar exem ple57.

U ne p a rtie d es in certitu d es que n o u s avons évoquées tient au fait q u 'il n'existe pas de définition juridique com plète d u trésor qui p e rm e ttra it d 'e n reco n n aître précisém en t le contenu, les m odes d'acquisition et de conser­ vation, et q u 'il n 'e s t donc pas possible de sa­ voir si tous les biens d u sanctuaire rentraient d an s ce cadre58. O r ceux-ci sont extrêm em ent divers. Ce n 'e st pas le lieu de les exam iner en détail, d 'a u ta n t plus que beaucoup échappent sans do u te à la notion de trésor, si largem ent conçue soit-elle. M ais on soulignera que les biens fonciers rep résen ten t so u v en t une p a rt im p o rtan te, parfois la principale, d u capital d 'u n tem ple : ce sont en to u t cas leurs revenus et ceux des capitaux déposés en espèces qui p e rm e tte n t d e su b v en ir à l'e n tre tie n et aux dépenses de fonctionnem ent59 ; le p ro d u it des

56 J. et L. Robert, Bulletin épigraphique, Revue des Etudes

Grecques, 1944, p. 213, n°119a.

57 [D]eae Suli donaui [— arge]ntiolos sex quos perdlidi], A

nomin[i]bus infrascriptlis] deae exactura est : Année Epigraphique,

1982, n°658.

58 En ce sens G. Le Bras, Les fond ation s privées d u H aut Empire, dans Studi in honore di Salvatore Riccobono, El, Palerm e, 1936, p. 24 : « E nou s paraît d ou teu x q u e les R om ains soien t jam ais p arvenus à une n otion cohérente d e la condition juridi­ qu e d u tem p le et d e ses p o ssession s ». Gaius, Institutes, E (éd. J. Reinach) précise nénam oins : Divini iuris su nt veluti res sacrae et

religiosae.

59 Le cas d e C apoue a été étu d ié en détail : M. W. Frede-riksen, Republican Capua : A social and economic study, dans PBSR, XIV, 1959, en particulier p. 91-92.

quêtes et les dons en m onnaies concourent aux m êm es besoins. M ais il est significatif d'obser­ v er que le su rp lu s p e u t être transform é en objets, plus faciles à conserver sans doute et en m êm e tem ps p lu s prestigieux. La base de la statu ette de D om pierre-sur-A uthie, payée de cette m anière, en est u n bel exem ple, m ais d 'a u tre s attestatio n s d e cette façon de faire existent, sur les objets (la patère de Germanis- sa d an s le tréso r d e B erth o u ville60) com m e dans les textes : à D idym es, au 2e s. av. J.-C., les som m es offertes et certaines recettes d u dieu servent ainsi à confectionner des objets61 ; à C hios égalem ent, où u n ag o nothète verse 10 000 drachm es à titre de summa honoraria d o n t les revenus serv iro n t d 'ab o rd à argenter u ne barrière de l'A sclépieion, p u is à confec­ tio n n er des o ffran d es d 'o r et d 'a rg e n t62. À C rotone, enfin, les revenus des troupeaux sa­ crés ont perm is de d o te r le tem ple d 'u n e co­ lonne en or63. À l'in v erse il est vrai, u n décret d e Lindos d até de 22 ap. J.-C. le m ontre, le fonds sacré d estin é à assu rer le fonctionne­ m e n t rég u lier d u cu lte (dans ce cas celui d 'A th én a et de Z eu s Polieus) est constitué entre autres d u p ro d u it de la vente d'objets de fer et de bronze donnés p a r les particuliers64.

C ertaines o ffran d e s n 'a v a ie n t q u 'u n e v aleu r dérisoire, et su rto u t ne représentaient

60 E. Babelon, Le trésor de Berthouville, Paris, 1916, n°25. 61 Debord, A spects sociaux et économiques, p. 219 (Rehm,

Didyma II, inv. 463,1.13-16).

a J. V an severen , Revue belge de Philologie et d'Histoire,

1937, p. 335, n°5 ; D ebord, A spects économiques et sociaux, p. 414, n. 190.

° Liv. XXIV, 3 : M agni igitur fru ctus ex eo pecore capti, co-

lumnaqueinde aurea solida facta et sacrata est.

a Chr. B linkenberg, Lindos. Fouilles de lacropole, 1902- 1914, II. Inscriptions, C openhague, 1941, n°419.

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rien en capital : les terres-cuites n otam m ent, exclues sans do u te d u trésor et destinées aux favissae. D 'autres à l'inverse, de grande valeur, restaient pou rtant difficilem ent m onnayables : les œ uvres d 'art, déposées en nom bre im p o r­ tant d ans les sanctuaires de Rome, à l'époque républicaine n otam m ent. A p rès la p rise de Volsinii p ar le consul M. Fulvius N obilior en 264 av. J.-C., une p artie des 2 000 statues de bronze rapportées à Rome avaient été placées dans l'espace sacré devant les deux tem ples de Fortuna et de M ater M atuta, d an s le secteur d u Forum Holitorium sous l'église de S. Om o- bono. Plusieurs fragm ents de deu x bases cir­ culaires en p ép érin p o rte n t encore une d é d i­ cace rap p elan t explicitem ent les circonstances de l'érection des statues -Volsinio capto65. C 'est aussi, parm i bien d 'au tres, M um m ius qui d é ­ pose dans le tem ple de Félicitas les statues des M uses prises à Thespies dans le fam eux sanc­ tuaire de l'H élicon66, ou bien C ésar offrant au tem ple de Vénus G enitrix su r le foru m cons­ truit à son initiative une collection de pierres gravées et deux tableaux de T im om aque, re­ présentant l'u n Ajax, l'au tre M édée67. Le p ro ­ cédé se répétera encore sous l'E m pire : d e la m êm e m anière que Pom pée av ait déposé au Capitole des coupes précieuses à la suite de l'u n de ses triom phes68, de m êm e Trajan offri­ ra-t-il en décem bre 113 au tem p le de Zeus Kasios à Séleucie de Piérie deux coupes cise­

® Roma medio repubblicana. A spetti culturali di Roma e del

Lazio nei secoli IV e III a. G , Rome, 1973, n°89, p. 103-104.

66 W aurick, Kunstraub, op. cit. n.2 ; M. A berson, Temples

votifs et butin de guerre dans la Rome républicaine, R om e, 1994

(Biblioteca H elvetica Romana XXVI). 67 Pline, N.H. XXXVTI11 ; ibid. V I 38. 68 Ibid. XXXVn 18.

lées et u n e corne d 'a u ro c h incrustée d'or69, b utin de sa cam pagne contre les Daces. Encore ces dernières offrandes sont-elles constituées p o u r l'essen tiel de vases en m étal précieux, c'est-à-dire facilem ent négociables. C 'est là en effet u ne des caractéristiques essentielles des trésors de tem ple : constitués d'objets en mé­ tal, or, arg en t ou bronze, ils représentent en fait une m asse m onétaire rapidem ent m obili­ sable, to u t en ayant u n caractère plus glorieux que de sim ples sacs de m onnaies. D 'où le soin m is à tran sfo rm er les espèces en vases et à fondre les objets détériorés p o u r en refaire de nouveaux70 : u n e in scrip tio n de L anuvium rappelle com m ent H ad rien fit consacrer une statue de Junon réalisée à p artir des dons en or et en argent endom m agés71. De la m êm e m a­ nière, on voit égalem ent à Antioche, au début de l'époque byzantine, les m oines transform er le legs qui a été fait à leu r com m unauté par un e certaine d am e Sosiana en vaisselle p ré­ cieuse72.

Cette richesse il est vrai, c'est une autre de ses caractéristiques, n 'a v a it q u 'u n caractère potentiel, p u isq u 'elle était norm alem ent inces­ sible : des précautions juridiques avaient sou­ v en t été prises p o u r renforcer la protection d'objets qui excitaient no n seulem ent la con­ voitise des pillards, m ais aussi celles d'adm

i-® Anthologie Palatine, VI, 332.

70 Debord, Aspects sociaux et économiques, p. 218.

71 CIL XIV 2088 = D essau 316 : statuam ex donis aureis et arg. vetustate corruptis fieri et consecrari iussit ex auri p. III (uncia una) et arg. p. CCVI.

71 Jean d'E p h èse, Vie des Saints orientaux, 55 (éd. E. W.

Brooks, John of Ephesus, Lives of Eastern Saints, Patr. orient. 17-19, 1923-1925). D e la m êm e m anière Porphyre de Gaza transforme la majeure partie d e so n héritage en v a ses sacrés : Marc le dia­ cre, Vie de Porphyre, 9 (cf. n. 16)

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n istra te u rs, p rê tre s o u fon ctio nn aires, p eu scrupuleux ou enclins à préférer des actions im m édiates, de construction p a r exemple, à la gestion d 'u n patrim oine. Plusieurs textes ont conservé le souvenir d es dispositions qui in­ terdisaient la vente des objets d u trésor73 : ainsi à Chios au IV e s. av. J.-C., m ais aussi en Pisidie à l'époque im périale74, sau f d ans des cas p arti­ culiers, lorsque l'arg en t récolté était destiné à l'e n tre tie n ou à l'o rn e m e n t d u sanctuaire : ainsi dans la Lex Aedis Furfensii5 ou bien en­ core à Lindos, en 22 ap. J.-C., où le p ro d u it de la vente de certains objets m ineurs, en fer ou en bronze, p erm et d 'a ssu re r le fonctionnem ent d u culte76. O bservons seulem ent ici que de tels com portem ents tro u v en t u n parallèle exact au d é b u t de l'ép o q u e b y zan tin e dans la protec­ tion p révue p o u r les trésors d'église : des rè­ gles sévères, rap p elées à p lu sie u rs reprises d a n s les textes ju rid iq u es77, n 'a u to rise n t en effet l'alién atio n de leu rs biens que dans u n seul cas, le rach at des captifs, signe que des te n ta tiv es a v aie n t lieu ré g u liè re m en t p o u r passer outre cette défense78. En ce qui concerne

73 Cass. D io XLIII, 47. G ains, Inst. IV, 140,159 ; Dig. XLIÜ

1, 2 § 1 ; XLDI, 6 ,1 ; XLIH 8 ,2 § 19. 74 LSCG 116 (= Sy//3 986).

75 CIL 12 756 (=D essau 4906), 1. 7-14 ; A berson, op. cit. p.

98.

76 Blinkenberg, Lindos, H, 1941, inscription n°419. 77 Cod. lust. 1 ,2 ,2 1 ; Nov. lust. V in.

58 On citera se u lem en t d e u x e x em p le s b ien con n u s : A thanase, évêq u e d e Pérée, près d e Sam osate, avait été accusé d'avoir détourné notam m ent les colon n es d'argent d e son église (C on cile d e C h alcéd oin e, actio 17 : M ansi 6. 465, 7. 325-327). C 'est égalem en t Ibas, accu sé par un sy n o d e réuni à E desse («Robber C ouncil ») d'avoir d é to u r n é à so n profit un e part im portante d e s fon d s obtenus par la fonte d e la v aisselle liturgi­ q u e en argent, propriété d e so n ég lise et d'autres, en v u e de p ayer la rançon d e q u elq ues m o in e s (J. Schwartz, Acta concilio-

rum oecumenicorum, H, 1, 3, p. 24 ; II, 3, 3, p. 29 ; version syriaque

é d itée par J. F lem m in g, Akten der ephesischen Synode vom Jahre

les tem ples, le seul fait de déplacer les objets en dehors du sanctuaire p e u t m êm e être inter­ dit ; m ais, il est vrai, le décret de Lindos déjà cité m ontre q u 'il est p rév u que l'autorisation puisse être achetée.

Les tem ples d étien n en t donc avec leur trésor u n patrim oine im portant, m ais en partie stérile p u isq u 'o n ne p e u t le vendre, au conte­ n u très divers : il s'ag it p o u r l'essentiel d'objets m étalliq u es, m ais aussi d 'a u tre s m atériaux p récieux, des ivoires p ar exem ple, de v ête­ m e n ts ou m êm e d e p ro d u its p é rissa b le s com m e des épices79. L'im m obilisation corres­ p o n d en outre à d 'au tres catégories de biens, p a r force eux aussi inaliénables : le m obilier et les décors architecturaux. Il y a là une analogie supplém entaire avec les sanctuaires chrétiens : l'inventaire des donations constantiniennes et de nom breux au tres docum ents n o u s rensei­ g n en t en effet s u r l'im p o rtan ce d u m obilier, sous des form es très diverses, m ais qui repré­ sen taien t en définitive parfois des p o id s im ­ p o rta n ts d 'a rg e n t, vo ire d 'o r : la m a tériel d 'é c la ira g e , can d élab res et lu stres, rev ête­ m ents d 'autel, chancels, ciboria80 ; m u rs et p la­ fonds eux-m êm es p o u v a ien t co m p o rter des placages m étalliques81. O r le p rocéd é n 'était

4 4 9 , dan s Abhandl. der konigl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Gottingen, Phil.-Hist. Kl., N.F., 15, 1, 1917, p. 59 ; A b bé Martin, Revue des sciences ecclésiastiques, 3e s., 9, 1874, p. 527 ; 10,1875, p.

50-51). E galem ent A ctes du synode du Chêne = Photius, Bibliothè­

que 59 (Sources chrétiennes 342), p. 102-103.

79 À D id ym es Séleu cos Ier offre n o n seu lem en t des objets

d'or et d'argent, m ais au ssi d e la m yrrhe, d e l'encens et d e la cannelle : Rehm, Didyma U, n°424.

80 Ch. Pietri, Roma Christiana, Rom e, 1976, p. 79-96. 81 M. M und ell M ango, The M onetary Value o f Silver Re­

vetments and Objects Belonging to the Churches, A.D. 300-700, dans Ecclesiastical Silver Plate, p. 123-136.

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pas no u veau p u isqu e des attestations en exis­ tent p o u r les m onum ents païens : le tem ple de Jupiter C apitolin à A ntioche possédait ainsi à la fois u n plafond et des parois revêtues d 'o r82.

Ce d étail p erm et sans d o u te de m ieux com prendre p o u rq u o i on p o u v ait accepter de telles m asses d 'o r ou d 'a rg e n t financièrem ent inemployées : la ric h e sse d u s a n c tu a ire , l'am p leu r d e son trésor, indices d 'u n e o p u ­ lence m atérielle, étaient aussi la m anifestation concrète de la puissance d u dieu qui y était vénéré, et d e l'éclat qui s'y attachait83. Le p res­ tige d u trésor, le soin avec lequel il est géré et m aintenu attiraient en proportion les fidèles et leurs offrandes84. O r c'était là u n p o in t essen­ tiel : on n 'o u b liera pas en effet le rôle écono­ m ique d u san ctu aire com m e lieu de d ép ô t bancaire d 'u n e p a rt (l'exem ple le p lus connu est évidem m ent le cas d u tem ple de Saturne à Rome, où est conservé le tréso r d e l'É tat ro­ main, mais certains autres tem ples avaient une fonction analo g u e au p rès des p articu liers)85, mais aussi com m e centre d'activités artisana­ les et com m erciales d 'a u tre p a rt86 : le cas to u ­ jo u rs cité, m ais très sig n ific a tif est celui d'E phèse et d e l'activité des orfèvres au to u r

82 Liv. XLI, 20 : « Magnificum templum non laqueatum auro

tantum sed parietibus totis lamina inauratum ».

53 Liv. XXIV, 3 : le tem p le d e Junon Ladnia à Crotone est renom m é divitiis etiam, non tantum sanctitate. Cf. n. 63.

81 À l'é p o q u e b y z a n tin e , l'a c cro issem en t d u trésor d'objets précieux d e l'ég lise d e Resafa lu i v a u t « un e pu issan ce et une renom m ée sans pareilles » : Procope, Bell. Goth. H, IX 14.

85 H érodien 1 , 14, 3, à propos d e l'incendie d u tem p le de la Paix à Rome, qui avait ruiné tou s ceu x qui, en raison d e la sécurité qu'il inspirait, y avaient d ép o sé leurs économ ies.

86 Sur la fonction financière et écon om iq u e des tem ples, outre les observations d e P. D ebord, Aspects sociaux et économi­

ques, o n pourra se reporter à G. B odei G iglioni, Pecunia fanatica. L'incidenza economica dei templi laziali, dan s Rivista di storia italia-na, 89,1977, p. 33-76.

d u tem ple d 'A rtém is, telle que perm et de la reconstituer, de m anière très vivante, le p as­ sage célèbre des Actes des Apôtres87. Le cas est évidem m ent privilégié, p u isq u 'il s'a g it d 'u n d e s sa n c tu a ire s les p lu s re n o m m é s de l'A n tiq u ité, qui attire des foules considéra­ bles ; mais on retiendra que le tem ple cristal­ lise au to u r de lui une intense anim ation, la présence d 'artisan s suffisam m ent nom breux et puissants p o u r susciter de véritables émeutes lorsque leurs privilèges sont m enacés ; s'ils ne so n t pas en ra p p o rt direct avec le trésor du san ctu aire et son ad m in istratio n , ils jouent néanm oins leu r rôle, p u isq u 'ils v en d en t aux p_ lerin s à la fois des so u ven irs de voyage, m ais aussi de quoi tém oigner à la déesse leur confiance88. C 'est p ro b ab lem en t avec u n tel en v iro n n em en t q u 'il fau t im aginer bien des tem ples, en p ro p o rtio n b ien sûr de leu r re­ nom m ée.

Source de prestige, le trésor peu t en ou­ tre constituer, parfois, p ar son contenu et par l'ancienneté des offrandes, réelle ou supposée, u n e justification aux p réten tio n s hégém oni­ ques d 'u n sanctuaire : ses prêtres prétendront parfois les faire rem onter à une antiquité m y­ thique ; ainsi à Lindos, la « C hronique » rédi­ gée en 99 av. J.-C. p ar Tim achidas et conservée p a r u ne inscription contient-elle u ne énum é­ r a tio n d es o ffra n d e s d é p o s é e s a u p rè s d 'A th é n a d ep u is les origines, d isp aru es en g ran d e partie dans un incendie au m ilieu du

87 Actes, 19,24-28.

æ On imaginera les petits tem p les en m étal précieux que p rop osaien t les orfèvres d'Ephèse aux fid èles d'après les petits éd ifices en plom b très spectaculaires retrouvés dans une épave à C om acchio : F. Berti (éd.) Fortuna Maris. La nave romana di Co-

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IVe s.89 Parm i celles-ci, 14 rem ontent aux épo­ ques légendaires, attribuées à Kadm os, à Hé- raklès, à M inos et à d 'au tres, notam m ent des p articip an ts à la guerre de Troie, auxquelles s'ajo u tent celles offertes p ar A lexandre ou par Philippe V de M acédoine : le trésor, p o u r un g ra n d sanctuaire, a en qu elq u e sorte valeur fondatrice.

M ais, p o u r être exploité à fo n d dans toutes ses possibilités, m atérielles et sym boli­ ques, le trésor réclam ait p o u r sa gestion une o rg an isatio n m inutieuse, d o n t la com plexité était en ra p p o rt avec son im portance : gestion financière to u t d 'ab o rd , avec trésoriers et in­ tendants chargés de la com ptabilité des objets ; les trésors des sanctuaires grecs en fournissent de no m b reu ses attestation s, à E phèse ou à Samos, p a r exem ple90; gestion m atérielle en­ suite : il fallait des gardiens évidem m ent, mais aussi des serviteurs chargés de l'entretien des lieux d 'u n e p a rt, de celui des objets d 'a u tre p a rt ; la fondation mise en place à Ephèse au d éb u t d u 2 e s. ap. J.-C. p ar C. Vibius Salutaris, d o n t le po id s des offrandes est vérifié p ar un com ptable, p rév o it une som m e annuelle po u r rétrib u er les aides assu ran t l'en tretien -o t a

K a O a p a ia r o v 7roioov- et po u r acheter la terre servant au nettoyage des vases -rov a y o p a a —

juov rrja a p y u p o p a r iK q a 91. Les offrandes les

89 Chr. Blinkenberg, La Chronique du temple Lindien, Co­ penh ague, 1912 ; A. Reinach, La chronique du temple lindien, dans

Revue épigraphique, 1913, p. 96-109.

90 À Ephèse, m ention d 'u n zygostatès : E phesos, II, 27,1. 200 ; à Sam os égalem en t, en 3 4 6/345, quelqu'un est chargé de la com ptabilité et de l'inventaire d es objets sacrés : M ichel 832.

91 Ch. Picard, Ephèse et Claros, Paris, 1922, p. 240-248 sur le personnel chargé d e l'entretien d e la garde-robe sacrée et des objets d e culte, et e n particulier p. 246-247. L 'em p loyé chargé de nettoyer les v a ses sacrés perçoit trente deniers par an. Ch.

Pi-p lu s détériorées é taien t Pi-p a r exem Pi-ple, nous l'a v o n s vu, rég u liè re m en t fo nd u es p o u r en faire d 'au tres, neuves. Si d a n s les tem ples les p lu s m odestes et les m oins courus u n hom m e à to u t faire p o u v ait sans d o u te assurer toutes les tâches, il fau t im aginer d an s les plus fré­ q u en tés une foule d 'em p lo y és g rav itan t au­ to u r d u trésor, de rangs très divers et qui as­ sum aient les fonctions les p lu s variées.

C ette a ccu m u latio n d e richesses et la com plexité d u systèm e d e gestio n d evaien t autoriser toutes les négligences et les m alhon­ nêtetés ; les exem ples en sont nom breux p o u r les trésors d 'ég lises a u d é b u t de la période byzantine, dep u is l'a p p re n ti orfèvre accusé, à to rt, d 'av o ir so u strait d u m étal précieux à la m atière prem ière q u 'o n lui av ait confié p o u r l'exécution d'une croix92 ju s q u 'à l'évêque Ibas d'E desse accusé p a r ses p a irs d 'av o ir confon­ d u les biens de son église et les siens93. O r il n 'y a aucune raison que les com portem ents aient été différents a u p arav a n t ; on com prend ainsi les précautions prises p a r certains do na­ te u rs p o u r re m éd ier aux défaillances év en ­ tuelles du systèm e ; l'é tu d e d e la fondation établie p ar C. Vibius Salutaris à Ephèse, déjà évoquée, est à cet ég ard instructive94 : en 104 ap. J.-C. il offre au san ctu aire d'A rtém is un ensem ble im p o rtan t d e statu ettes en or et en

card sou lign e qu e la fonction a u n e v a leu r religieuse non n ég li­ geable : purifier les objets est in d isp en sab le pour le bon accom ­ plissem en t du culte.

92 Jean M osch u s, Pratum spirituale, 200 (PG 87, 2843-

3116). Le com m anditaire est u n particulier, m ais l'an ecdote est révélatrice de la su sp icio n d e fraude q u i s'exerçait sur tout ce qui touchait aux objets d'orfèvrerie.

93 cf. n. 78.

91 Forschungen in Ephesos, II. D as Theater, 1912, p. 127, n°27. Picard, Ephèse et Claros, passim.

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argent, 31, rép arties en d e u x g ro u p es d is ­ tincts : neuf apeikonismata, c'est-à-dire des re­ pro d uctio n s des statues cultuelles d'A rtém is (l'une d 'en tre elles est en or, flanquée de deux biches en argent), et vingt-deux eikones re p ré ­ sentant le couple im périal, Trajan et M atidie, les principaux corps de l'em p ire et de la cité et les tribus d'E phèse ; ce d o n était accom pagné d 'u n e double som m e d 'arg en t, 20 000 deniers d 'u n e part, 1 500 de l'autre, versés en fonction d u nom bre des tribus, d o n t les revenus sont affectés au fonctionnem ent d u sanctuaire. Or six ans plus tard , en 110, le v ersem en t aux tribus est remplacé p ar vingt nouvelles statues d 'arg en t : le d o n ateu r p a ra ît s'être m éfié des difficultés posées p ar la gestio n d u capital qu'il avait donné : danger d e l'am enuisem ent au fil des tem ps de la valeur représentée p a r la som m e v ersée a n n u e lle m e n t (d an g er sans doute p eu perceptible p ar les contem porains), im possibilité d 'o b ten ir le re n d e m en t espéré, ou bien encore crainte de voir l'argent dépensé à d 'au tres fins. En to u t cas, offrir à la place des statues de m étal précieux est sans doute ap p a ­ ru à V ibius Salutaris com m e u n m oyen de rem ettre au tem ple u n cap ital éq u iv alen t à celui p ré v u à l'origine, m ais m oins exposé, puisqu'im m obilisé sous forme d'objets, facile à négocier s'il le fallait, et p lu s spectaculaire, c'est-à-dire en définitive m ieux à m êm e de perpétuer le souvenir d u donateur.

Ces ensem bles de b ien s précieux sont donc en constante évolution : ils s'enrichissent de dons nouveaux, mais se m odifient aussi au fil des tem ps, quel que soit le soin ap p o rté à leur conservation, p u isque les offrandes sont susceptibles de se détériorer, d 'être refondues, et sont parfois vendues. O n en tenait donc en

p erm an en ce u n e m in u tie u se com ptabilité, m ieux connue il est v rai p o u r certains sanc­ tuaires grecs que p o u r ceux d u m onde romain. M ais cette com ptabilité avait sans doute une au tre fonction : celle de p erm ettre à la p uis­ sance publique d e connaître dans le détail le capital disponible. Car c'est bien là l'am biguïté fondam entale et p arad o x ale des trésors des tem ples : ils m êlent inextricablem ent m otiva­ tions religieuses et politiques, foi réelle et con­ sidérations profanes, com m e le m ontre de la m anière la p lus claire u n e anecdote rapportée p ar Cicéron : A ntiochus, soucieux de se conci­ lier Rome, v o u lu t offrir u n candélabre p ré­ cieux au C apitole ; à Verrès qui b rûlait d u dé­ sir de se faire offrir cette pièce exceptionnelle, le roi rép o n d it q u 'il en était em pêché p ar res­ p ect religieux en v ers Ju p iter, religione lovis Capitolini. M ais on com plétera cette affirm a­ tion banale en soi p ar l'énoncé plus détaillé de la double m otivation d u souverain : il souhai­ tait en effet « donner solennellem ent et consa­ crer à Jupiter très bon et très gran d (ce candé­ labre), en ren d an t le dieu lui-m êm e tém oin de sa volonté et de son sentim ent religieux », tout en offrant u n objet d o n t il vo u lait q u'il soit « dans ce tem ple très illustre un signe de son alliance et d e son am itié avec le peu p le ro­ m ain ». Et le com m entaire qu'ajoute Cicéron est to u t aussi significatif : « Bien des rois, des cités libres, beau co u p de sim ples particuliers riches et p u issan ts ont assurém ent à coeur de doter le Capitole com m e la dignité d u temple et le nom de n o tre em pire le dem an den t »95. C ette form ule, à elle seule, rassem ble bien, no u s sem ble-t-il, les caractéristiques des tré­ sors de tem ples telles q u 'o n peu t les observer

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dans le m onde rom ain : m ais on les retrouve encore, à peine transposées lorsqu'on analyse, p o u r u ne p ério d e u n p e u p lu s tardive, mais aussi p o u r le m oyen âge, ceux des églises.

François BARATTE

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