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Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ?

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Submitted on 29 May 2013

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Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ?

Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg

To cite this version:

Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg. Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ?. Revue d’Economie Politique, Dalloz, 2012, 122 (6), pp.1029-1041. �halshs-00827794�

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Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ?

Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg

La proportion de personnes employées dans les administrations publiques varie considérablement d’un pays à l’autre. La Figure 1 illustre cette diversité. En 2008, dernière année ayant fait l’objet de comparaisons internationales par l’Ocde, l’emploi dans les administrations et les entreprises publiques ne représente qu’environ 8% de la population active au Japon, mais il est de l’ordre de 35% en Norvège et de 33% au Danemark. La France suit immédiatement ces deux pays de l’Europe du nord avec un taux d’emploi public avoisinant les 25%1.

Figure 1 : L’emploi dans les administrations et les entreprises publiques en pourcentage de la main-d’œuvre (2000-2008)2

Dans la plupart des pays de l’Ocde, l’emploi public a eu tendance à croître du début des années 60 au milieu des années 90. Il s’est ensuite à peu près stabilisé. Les niveaux très divers de

1 Ces chiffres regroupent les ministères, départements et agences, hôpitaux publics sans but lucratif, écoles publiques,

organismes de la sécurité sociale, etc. Sont également incluses les unités des différents échelons de l'administration, comme les régions, les provinces ou les municipalités. Les « entreprises publiques » sont des unités possédées ou contrôlées par l’Etat et qui produisent des biens ou services marchands. Il s’agit par exemple des services du courrier et des transports. Pour plus de précision, voir L’Emploi public : un état des lieux, OCDE, 2008, et Pilichowski, E. et Turkisch, E. « L’emploi dans les administrations publiques sous l’angle des coûts de production des biens et des services dans le domaine public », Document de travail de l’OCDE sur la gouvernance publique, n° 8, OCDE, Paris, 2008.

2 Source : OCDE, Government at a glance 2011,

http://www.oecd-ilibrary.org/sites/gov_glance-2011- en/05/01/index.html;jsessionid=5r1fskq4g44oj.epsilon?contentType=&itemId=/content/chapter/gov_glance- 2011-27-en&containerItemId=/content/serial/22214399&accessItemIds=/content/book/gov_glance-2011-en&mimeType=text/html

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l’emploi public selon les pays s’expliquent par l’histoire propre à chacun et par des conceptions sociales et politiques différentes de la « régulation » des économies de marché. L’ampleur de l’emploi public est ainsi le reflet d’une histoire et d’un « choix de société ».

Un autre aspect de la question concerne l’impact proprement économique de l’emploi public et, de manière encore plus restrictive, l’impact de l’emploi public sur l’emploi privé, c’est-à-dire en définitive sur l’emploi total. C’est ce dernier point que nous examinons dans ce qui suit. En premier lieu, nous analysons l’impact d’une variation du volume de l’emploi public sur l’emploi privé et le chômage. Nous adoptons ensuite une perspective plus microéconomique, en étudiant les conséquences de la création d’emplois aidés dans le secteur public sur le devenir professionnel des personnes qui en bénéficient.

1) Comment l’emploi public influence l’emploi privé et le chômage

Dans un grand nombre de pays, on constate une croissance parallèle de l’emploi public et du chômage. Le cas de la France entre le milieu des années 1960 et les années 2000, illustré par la Figure 2, est emblématique3.

Figure 2 : Taux d’emploi public (axe de droite) et chômage en France entre 1960 et 2000

La forte corrélation positive entre le taux de chômage et la taille de l'emploi public pourrait traduire les réactions des gouvernements : lorsque le chômage augmente, les gouvernements pallient les faibles créations d’emplois privés par la création d’emplois publics. L'emploi public serait ainsi un instrument de lutte contre le chômage. Mais il est également possible que la création d'emplois publics, en augmentant la pression fiscale, en fournissant des

3

Les données issues de l’OCDE s’arrêtent en 2000 car elles n’ont pas été actualisées depuis cette date. France 0 2 4 6 8 10 12 14 1960:01 1965:01 1970:01 1975:01 1980:01 1985:01 1990:01 1995:01 2000:01 % 10 11 12 13 14 15 16 Chômage Emploi public

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biens et des services substituables à ceux du secteur privé et en accentuant la pression à la hausse des salaires, soit susceptible d'évincer la création d'emplois privés. Vue sous cet angle, la relation entre emploi public et chômage qui apparaît sur la Figure 2 pourrait signifier que la hausse de l'emploi public est une des causes de l'accroissement du chômage.

Eléments d’analyse économique

En fait, l’emploi public influence le fonctionnement du marché du travail à travers plusieurs canaux4:

1) L'emploi public peut avoir une influence positive sur la productivité et la rentabilité des emplois privés. La sphère publique produit en effet des biens et des services susceptibles d’améliorer le fonctionnement de l’économie. On peut songer, par exemple, à la justice, à la police ou encore aux infrastructures publiques telles que les transports. Une meilleure couverture du réseau des transports public – qui nécessite plus de contrôleurs et de conducteurs – peut accélérer le développement des entreprises privées. Une plus grande sécurité – qui nécessite plus de fonctionnaires de police – peut favoriser l’ouverture de nouveaux commerces dans les zones sensibles. La création d'emplois publics, en exerçant une influence positive sur la productivité et la rentabilité des emplois privés peut favoriser leur création. Cependant, toute la production de la sphère publique ne favorise pas l’expansion de l’emploi privé. En effet, si le secteur public produit des biens substituables à ceux du secteur privé, comme ce peut être le cas dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou encore des transports, une expansion de l'emploi public diminue la rentabilité des emplois privés et freine donc leur création. Par exemple, si l’Etat décide d’accroître le nombre d’hôpitaux publics, le nombre d’établissements privés risque de diminuer, il y aura plus d’infirmières travaillant dans le secteur public et moins dans le secteur privé. Des emplois publics auront ainsi « évincé » des emplois privés. En principe, l'emploi public exerce un

effet d'éviction sur l'emploi privé d'autant plus important que les biens produits par le secteur public sont substituables à ceux du secteur privé.

2) En second lieu, en améliorant les perspectives d’embauche, la création d’emplois publics détourne certains travailleurs du secteur privé. Il peut en résulter une tendance à la hausse des salaires dans le secteur privé qui peut même se traduire par la disparition de certains emplois

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Le lecteur intéressé trouvera dans l’article de Yann Algan, Pierre Cahuc, et André Zylberberg, « Public Employment : does it increase unemployment ? », Economic Policy, Avril 2002, pp. 1-65, un modèle explicitant de façon beaucoup plus précise ces divers canaux ainsi qu'une bibliographie des contributions s'intéressant aux interactions entre l'emploi public et le fonctionnement du marché du travail.

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privés qui ne sont plus rentables5. Cet effet d'éviction croît avec les qualités et les avantages des

emplois publics proposés. Ainsi, les emplois publics plus attractifs (offrant des hauts salaires et des bonnes conditions de travail) évincent plus d'emplois. Par conséquent, la création d'emplois publics risque d'agir à la hausse sur le taux de chômage dès lors que les avantages qu’ils procurent sont importants. Cela ne signifie pas que de tels avantages sont nécessairement contre-productifs. En pratique, ils peuvent permettre d'attirer les travailleurs les plus efficaces dans ce secteur, et donc d'accroître l'efficacité globale de l'économie si la production de biens publics favorise la production de biens privés.

3) Le financement d'emplois publics supplémentaires impose une hausse ou un redéploiement de la dépense publique. Dans le premier cas, il suppose une hausse de la pression fiscale pouvant dégrader la rentabilité des entreprises privées. Dans le deuxième cas, il peut se manifester par une réduction de la dépense d’investissements ou d’infrastructures publics, ce qui peut aussi avoir un impact négatif sur la productivité du secteur privé et finalement sur l’emploi dans ce secteur.

En résumé, l’emploi public peut tout aussi bien accroître que diminuer le chômage. L'analyse précédente suggère cependant que les effets de l’emploi public sur le chômage et le niveau global de l’emploi dépendent principalement de deux éléments : 1) l’effet de la création d’emplois publics sur la productivité et les débouchés des entreprises privés, c’est-à-dire, pour l’essentiel, le degré de substituabilité entre la production publique et privée et 2) l’ampleur des avantages offerts aux salariés du secteur public. Une étude statistique menée sur 17 pays de l'OCDE sur la période 1960-2000 a permis de préciser l’importance de ces deux éléments6. Elle conclut que la création d’un emploi public détruit, en moyenne, 1,5 emploi privé. Ce qui peut s’énoncer de façon plus parlante de la façon suivante : à chaque fois que l’Etat décide de créer 10 emplois publics il en résulte directement ou indirectement une perte de 15 emplois privés. L’analyse statistique établit aussi que la création de 10 emplois publics ajoute, en moyenne, 3 chômeurs supplémentaires7. Comme, par définition, la population active correspond à l’addition

5

Ces possibilités sont analysées en détail dans les articles de Holmlund, B. et Linden, J., « Job Matching, Temporary Public Employment, and Equilibrium Unemployment », Journal of Public Economics, 51, 1993, pp. 329-343 ; et Holmlund, B., « Macroeconomic Implications of Cash Limits in the Public Sector », Economica, 64, 1997, pp. 49-62. Pour la France, voir Fougère, D. et Pouget, J., « Les déterminants économiques des entrées dans la fonction publique », Economie et Statistique, 2003, n° 369-370, pp. 15-48.

6 Yann Algan et. al., « Public Employment : does it increase unemployment ? », op.cit. Les 17 pays sont : la Belgique, le

Japon, l’Espagne, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, l’Autriche, la France, l’Irlande, l’Italie, les Etats-Unis, l’Australie, le Canada et les Pays-Bas.

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Ibid. Il s’agit d’une moyenne, l’analyse statistique établit en fait que la création de 10 emplois publics pourrait évincer la création d’emplois privés dans une fourchette comprise entre 8 et 23 ; et accroître le nombre de chômeurs dans une fourchette comprise entre 1 et 6.

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du nombre de chômeurs et des emplois publics et privés, il en résulte que la création de 10 emplois publics retire, en moyenne, 2 individus de la population active8.

L’importance des caractéristiques des emplois publics

Ces chiffres globaux dissimulent cependant une grande hétérogénéité des pays dans leur gestion de l’emploi public. Nous avons vu que l'effet d'éviction de l'emploi privé et l'effet sur le chômage des créations d'emplois publics devrait être d'autant plus fort que la production du secteur public est substituable à celle du secteur privé. Nous avons également vu que l'ampleur de ces deux effets devrait dépendre positivement de l’ampleur des avantages offerts par les emplois publics. Pour tester ces prédictions, la première tâche consiste à construire de bons indicateurs de la substituabilité entre production publique et privée, mais aussi des avantages dont bénéficient les salariés du secteur public.

Une bonne mesure de la substituabilité entre l'emploi public et l'emploi privé est donnée par le ratio de la dépense privée sur la dépense publique dans le secteur de la santé. On peut en effet raisonnablement considérer que ce secteur est un de ceux pour lesquels la production publique est la plus substituable à la production privée. Si l'on en croit l'analyse développée auparavant, plus ce ratio est faible, plus la part de la dépense publique dans des activités où existent des substituts privés est grande, et plus les effets d'éviction de l'emploi privé devraient être importants.

La mesure des avantages offerts par les emplois publics soulève aussi des problèmes délicats. La « prime salariale » qu'offre le secteur public par rapport au secteur privé est le premier indicateur qui vient à l'esprit. Cependant, dans certains pays cet indicateur n'est pas toujours bien connu. De plus, les écarts de salaires reflètent très imparfaitement l'étendue des avantages dans le secteur public. Ceux-ci dépendent aussi des conditions de travail, de l'état des relations hiérarchiques, de la nature des contrôles, etc. Pour pallier ces inconvénients, la mesure des avantages offerts par les emplois publics est appréhendée par l'Indice de Perception de la Corruption (Corruption Perception Index)9. Cet indicateur provient d'enquêtes comparatives effectuées à

travers de nombreux pays. Dans ces enquêtes, il est demandé à des employés du secteur public, à des cadres supérieurs, à des hommes d'affaires et à des experts académiques de répondre à différentes questions concernant la possibilité d'un détournement à des fins personnelles du

8

Ce chiffre est à prendre avec précaution car il est la moyenne de +1 et de -3, ce qui veut dire que la création de 10 emplois publics pourrait tout aussi bien ajouter 1 personne à la population active qu’en retirer 3.

9 Pour la construction de cet indice, voir Lambsdorff, J., “Bakground Paper to the 2000 Corruption Perception

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pouvoir que confère l'occupation d'un emploi public. Il peut s'agir par exemple de pots-de-vin, de « renvois d'ascenseur », de détournements de fonds publics, etc. Plus cet indicateur est élevé, plus la transparence dans l'administration est importante. Il mesure donc indirectement l’étendu du contrôle qu’exerce la collectivité sur les employés du secteur public.

Le classement des pays de notre échantillon selon les niveaux de rentes et les degrés de substitution entre production publique et privée est présenté dans le Tableau 1 ci-dessous. Il est important de souligner que ce classement n’est pas substantiellement différent de celui obtenu avec des mesures qui peuvent sembler plus naturelles comme l'écart salarial entre le secteur public et le secteur privé pour la rente du secteur public, et la part des dépenses, militaires, d'administration générale, de police et de justice dans le budget public pour le degré de substitution10.

Avantages élevés Avantages faibles

Substituabilité élevée Belgique, Japon, Espagne Danemark, Finlande, Allemagne Norvège, Suède, R.-U.

Substituabilité faible Autriche, France, Irlande, Italie, E.-U.

Australie, Canada, Pays-Bas

Tableau 1 : Partition des pays selon le niveau des avantages offerts par les emplois publics et le degré de substituabilité entre les emplois publics et privés.

La prise en compte des caractéristiques de l’emploi public permet de montrer que la création d'emplois publics accroît le taux de chômage dans le groupe de pays où les avantages offerts par les emplois publics sont importants11. En revanche, la création d'emplois publics a un

impact non significatif sur le taux de chômage dans le groupe où ces avantages sont faibles. Ces effets sur le chômage trouvent leurs origines dans l'éviction de certains emplois privés à la suite de la création d'emplois publics. L'effet d'éviction des emplois privés est significatif et de grande ampleur uniquement dans les pays où les avantages offerts par les emplois publics sont importants.

On trouve aussi que c'est uniquement dans le groupe de pays où la production publique est fortement substituable à la production privée que l'emploi public accroît significativement le chômage. Dans le groupe où la substituabilité est faible, l'impact de l'emploi public sur le chômage n'est pas significatif. L'effet d'éviction des emplois privés par la création d'emplois

10 Voir Yann Algan et. al., « Public Employment : does it increase unemployment ? », op.cit.

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publics n'est significativement différent de zéro que dans le groupe des pays où la production du secteur public est fortement substituable à celle du secteur privé.

En fin de compte, il apparaît que ce sont plus les caractéristiques des emplois publics que leur nombre qui influencent le chômage.

2) A quoi servent les contrats aidés dans le secteur public ?

Les mesures gouvernementales portant sur l’emploi public ne se limitent pas aux embauches de personnels dans les administrations publiques. Il faut aussi tenir compte des politiques dites des « contrats aidés » qui consistent à créer des emplois d’une durée limitée accessibles à des destinataires ciblés comme, par exemple, les jeunes ou les chômeurs de longue durée. Certains de ces contrats sont destinés au secteur marchand (les entreprises privées) et d’autres sont destinés au secteur non marchand (administrations publiques et associations principalement).

Ces contrats aidés ont pour objectif de servir de tremplin vers l’emploi « régulier » -- c’est-à-dire des emplois du secteur privé qui ne sont pas subventionnés ou des emplois pérennes dans les administrations publiques. La plupart de ces dispositifs se caractérisent par une durée de vie assez brève, chaque gouvernement introduisant de nouveaux contrats aidés qui, en dehors du nom, se distinguent généralement peu de leurs prédécesseurs mais qui laisse penser que le nouveau pouvoir a la volonté de changer radicalement le cours des choses. En France, pas loin d’une centaine de dispositifs se sont succédés depuis la fin des années 1970. A l’heure actuelle, la plupart des dispositifs ont été regroupés sous le vocable de Contrat Unique d’Insertion (CUI) qui se décline sous deux formes : le CUI-CAE (Contrat d’ Accompagnement dans l’Emploi) pour le secteur non marchand et le CUI-CIE (Contrat Initiative Emploi) à destination du secteur marchand. En 2010, 520 000 conventions de contrats aidés ont été signées en France métropolitaine : 376000 CUI-CAE et 113 000 CUI-CIE12.

L’évaluation des effets de ces mesures que nous allons exposer maintenant ne permet pas de comprendre que l’on persévère aussi massivement dans la mise en place de contrats aidés dans le secteur non marchand.

12 Pour plus de précisions, voir « Les contrats d’aide à l’emploi en 2010 », Dares Analyses, n° 85, novembre 2011.

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Les enseignements du modèle suédois…

Les évaluations des politiques publiques sont courantes aux Etats-Unis et deviennent de plus en plus nombreuses en Europe. Elles ont été appliquées de façon systématique à l’étude des effets des politiques de l’emploi menées en Suède depuis 1990. Ce pays a une vieille tradition dans le domaine des aides à l’emploi, mais leur véritable développement commence avec la fin de la seconde guerre mondiale. A cette époque, l’objectif des politiques de l’emploi était de former les travailleurs afin qu’ils puissent migrer des secteurs en déclin vers les secteurs en expansion. Ce n’est que progressivement qu’elles furent considérées comme un instrument de lutte contre le chômage. Leur remise en cause date du début des années 1990 où elles semblèrent impuissantes à enrayer la montée du chômage malgré un usage massif. A leur apogée, en 1994, les dépenses pour les politiques « actives » du marché du travail s’élevaient à 3% du PIB. Une évaluation de l’utilité de ces dépenses devint nécessaire. Dès le milieu des années 1990, plusieurs dizaines d’études se sont appuyées sur un fichier du suivi de tous les chômeurs depuis 1991 pour estimer l’efficacité des politiques d’aides à l’emploi. Le travail de Barbara Sianesi résume bien la tendance générale13.

Barbara Sianesi s’intéresse à l’efficacité des six principaux programmes existant en 1994. Pour cela, elle a constitué un échantillon de 30 800 individus, entrés pour la première fois au chômage en 1994, dont elle a reconstitué le parcours professionnel pendant cinq ans, jusqu’en novembre 1999. Elle compare ensuite le parcours moyen d’une personne ayant bénéficié d’un programme en 1994 avec le parcours moyen qu’aurait eu cette personne si elle n’avait pas participé à ce programme. Comme en France, certains de ces programmes sont tournés vers le secteur privé et d’autres vers le secteur public ou associatif. L’aide à l’emploi privé peut prendre la forme de subventions à l’embauche et de stage de formation en entreprise et/ou dans des organismes spécialisés. Dans le secteur public, il existe des dispositifs de créations d’emplois non permanents et des dispositifs de remplacement temporaire d’un employé (le bénéficiaire remplace le titulaire d’un poste existant).

Barbara Sianesi trouve que, comparées à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » sont sensiblement plus faibles d’environ 4 à 5 points de pourcentage, tout au long des cinq années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public et pour celles ayant bénéficié d’une formation en dehors d’une entreprise. Ce résultat peut sembler étonnant, puisqu’il signifie que bénéficier d’un emploi temporaire dans le secteur public ou suivre une formation en dehors de l’entreprise diminue, en moyenne, les chances de retour vers

13 Barbara Sianesi, « Differential effects of active labour market programs for the unemployed », Labour Economics, 15,

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l’emploi régulier. La raison est vraisemblablement que ces programmes n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et qu’ils envoient, en conséquence, un mauvais signal aux employeurs potentiels.

Les programmes de formation en entreprise et de remplacement temporaire d’un employé dans le secteur public s’en sortent mieux : ils offrent à peu près les mêmes chances de retour vers l’emploi que le chômage simple ! En revanche, les subventions à l’emploi dans le secteur privé donnent des résultats spectaculaires. Comparé au chômage simple, ce dispositif augmente de 35 points de pourcentage les chances de retrouver un emploi pratiquement dès la sortie du dispositif et de 20 à 25 points de pourcentage tout au long des cinq ans de suivi de l’échantillon.

Dans l’ensemble, les subventions à l’emploi privé dominent nettement toutes les autres mesures (entre 20 et 35 points de pourcentage de plus pour accéder à un emploi régulier). Elles sont suivies par les remplacements temporaires qui s’avèrent préférables à tous les autres programmes, hormis les subventions à l’emploi privé. La raison est que le bénéficiaire occupe un poste qui existe de manière permanente, il se trouve donc d’emblée dans une « vraie » situation de travail qui accroît ses capacités et sa qualification aux yeux des futurs employeurs. En termes d’efficacité des mesures, le classement est donc le suivant :

1er) subventions à l’emploi dans le secteur privé

2ème ex aequo) chômage simple, remplacement temporaire et formation en entreprise

3ème ex aequo) emploi temporaire dans le secteur public et formation hors de l’entreprise

Barbara Sianesi constate aussi, qu’en termes de coût des mesures, l’ordre est à peu prés inversé. Le programme de formation hors de l’entreprise et la création d’emploi dans le secteur public sont les mesures qui reviennent le plus cher à l’Etat et ce sont aussi les moins efficaces. En revanche, les subventions à l’emploi qui, en Suède, prennent la forme d’un abattement d’environ 50% sur le coût du travail, sont les moins onéreuses et aussi les plus efficaces pour l’individu qui en bénéficie.

Le bilan exhaustif des études portant sur les politiques d’emploi menées en Suède établi par Lars Calmfors, Anders Forslund et Maria Henström14 rejoint totalement les conclusions de Barbara Sianesi. Elles peuvent se résumer en une phrase : les aides à l’emploi sont d’autant plus efficaces que l’emploi aidé est proche d’un emploi régulier.

14 Lars Calmfors, Anders Forslund et Maria Henström, « Does active labour market policy work ? Lessons from the

Swedish experiences », Swedish Economic Policy Review, n° 85, 2001, pp. 61-124. L’article de Michael Gerfin et Michael Lechner, « A microeconometric evaluation of the active labour market policy in Switzerland”, Economic Journal, 112 (482), 2002, pp. 854-893, confirme ces résultats aux politiques d’emploi appliquées en Suisse.

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…et ceux du modèle français

L’étude réalisée par Karl Even et Tristan Klein sur la France va dans le même sens que celle réalisée par Barbara Sianesi sur la Suède15. Elle s’appuie sur Le Panel des bénéficiaires de la

politique de l’emploi, qui est une enquête menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du Ministère du travail, dont les données couvrent la période 1997 à 2003. Karl Even et Tristan Klein ont comparé un groupe de bénéficiaires des principaux dispositifs de la politique d’emploi et un groupe témoin constitué de personnes éligibles à ces dispositifs, présentant les mêmes caractéristiques observables que le groupe des bénéficiaires en termes d’âge, de sexe, de niveau de formation et d’ancienneté au chômage, mais qui n’ont pas participé à ces programmes. Plus précisément l’étude porte sur trois programmes destinés à aider les demandeurs d’emploi connaissant des difficultés d’insertion et répondant aux mêmes critères d’éligibilité. Il s’agit du :

- Contrat Initiative Emploi (CIE) qui propose un emploi dans le secteur marchand pour lequel l’employeur perçoit une aide pendant toute la durée du contrat (généralement 2 ans).

- Contrat Emploi Solidarité (CES) qui est un CDD de 3 à 12 mois, reconductible jusqu’à un maximum de 24 mois. Ils prévoient d’employer une personne, sur la base du Smic, pendant 20 heures par semaine dans les établissements publics, les collectivités territoriales et les associations à but non lucratif. Ils s’adressent à des publics a priori en grande difficulté sur le marché du travail (chômeurs de longue durée, bénéficiaire du RMI, de l’Allocation de parent isolé, etc.). L’Etat prend en charge au moins 65% du coût du travail.

- Stage d’Insertion et de Formation à l’Emploi collectif (Sife collectif) qui est un stage de formation, en partie en entreprise, pouvant aller jusqu’à 700 heures.

Les résultats de la contribution de Karl Even et Tristan Klein sont éloquents. Les deux dispositifs d’aide à l’emploi dans le secteur privé, le Sife et le CIE, améliorent la situation des bénéficiaires. En particulier, le taux d’emploi régulier (c’est-à-dire non aidé) 3 ans après le passage dans un CIE excède de plus de 22 points de pourcentage le taux d’emploi régulier du groupe témoin. La raison de ce succès est la même que pour les dispositifs analogues existant en Suède. Le CIE est un programme qui place d’emblée des personnes, pourtant a priori éloignées du marché du travail, dans une « vraie » situation professionnelle. Pour le Sife, les différences de taux d’emploi régulier entre les bénéficiaires et les témoins dans le retour vers un emploi régulier sont

15

« Les contrats et stages aidés : un profit à moyen terme pour les participants ? Les exemples du CIE, du CES et du Sife », Economie et Statistique, n° 408-409, 2007, pp. 3-32.

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positives mais ne sont pas statistiquement significatives. En revanche, l’étude de Karl Even et Tristan Klein montre que le Contrat Emploi Solidarité (CES), qui est un programme d’emploi non permanent dans le secteur public ou associatif, diminue les chances de retour vers l’emploi régulier. Le taux d’emploi régulier 3 ans après le passage dans un CES est inférieur de plus de 14 points de pourcentage aux taux d’emploi régulier du groupe témoin. Le CES enferme ses bénéficiaires dans des trajectoires qui, au mieux, enchaînent d’autres emplois aidés sans grande perspective de retour vers un emploi régulier16.

Conclusion

L'emploi public a une influence importante sur les performances du marché du travail dans les principaux pays de l'OCDE :

- En moyenne, l'emploi public a eu un effet d'éviction de grande ampleur sur l'emploi privé dans les pays riches de l'OCDE, tout au moins au cours de la période 1960-2000.

- L'impact de la création d'emplois publics dépend crucialement du type d'emplois publics créés. Deux caractéristiques jouent un rôle prépondérant : le degré de substitution entre la production du secteur public et celle du secteur privé, et l’ampleur des avantages dont bénéficient les titulaires d’emplois publics. Ces résultats suggèrent que des réformes du secteur public agissant sur ces deux caractéristiques peuvent avoir un impact important sur les performances du marché du travail.

- Aucun élément empirique ne justifie l'idée selon laquelle l'emploi public diminue durablement le chômage. L’analyse statistique suggère même que l'emploi public accroît très significativement le chômage dans les pays où le secteur public produit des biens substituables à ceux du secteur privé et où les rentes dans le secteur public sont importantes.

Ce résultat ne signifie pas que le secteur public est trop important dans les pays où les effets d'éviction sur l'emploi privé sont les plus forts. A ce titre, il est intéressant de noter que l'Espagne et le Japon, où les effets d'éviction sont importants, ont un secteur public plutôt de faible ampleur. Plus que la taille du secteur public, c’est la nature des emplois publics qui a de

16 D’autres etudes arrivent à des conclusions similaires, voir Thomas Brodaty, Bruno Crépon et Denis Fougère,

« Using matching estimators to evaluate alternative youth employment programs: evidence from France, 1986-8 », in Econometric Evaluations of Labour Market Policies, M. Lechner and F. Pfeiffer (eds.), Heidelberg: Physica Verlag, 2001, pp. 85-124 et Denis Fougère, Francis Kramarz et Thierry Magnac, « Youth employment policies in France », European Economic Review, n° 44, 2000, pp. 928-942, qui présente un bilan des études évaluant les politiques d’emploi menées en France en faveur des jeunes. Voir aussi le bilan établi par Denis Fougère, « Faut-il encore évaluer les dispositifs d’emplois aidés ? », Economie et Statistique, n° 408-407, 2007, pp. 33-38.

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l’importance. Pour évalue les conséquences de l’emploi public il est aussi important de ne pas négliger les effets potentiellement positifs du secteur public sur l’emploi de certains groupes. Ainsi, la hausse du taux d’emploi des femmes en Suède a été attribuée en grande partie à la création d’emplois publics locaux17. Par ailleurs, on peut concevoir que l’emploi dans le secteur

public puisse palier, au moins temporairement, d’éventuelles discriminations subies par certaines minorités ethniques dans leur parcours professionnels.

Pour ce qui concerne les emplois aidés, les recherches menées dans de nombreux pays depuis deux décennies aboutissent à une conclusion simple : les contrats aidés dans le secteur marchand sont souvent un tremplin vers l’emploi stable, notamment pour les jeunes et les moins qualifiés. En revanche, les contrats aidés du secteur non marchand n’ont pas d’efficacité avérée en termes de retour vers un emploi stable.

17 Voir l’article de Sherwin Rosen, « Public Employment, Taxes and the Welfare State in Sweden », Journal of Economic

Figure

Figure 1 : L’emploi dans les administrations et les entreprises publiques en pourcentage de la main- main-d’œuvre (2000-2008) 2
Figure 2 : Taux d’emploi public (axe de droite) et chômage en France entre 1960 et 2000
Tableau 1 : Partition des pays selon le niveau des avantages offerts par les emplois publics et le degré de  substituabilité entre les emplois publics et privés

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