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INTRODUCTION

Présences chinoises : des marchandises, des entreprises, des hommes… Fatiha Talahite*

La Chine, dont la part dans les échanges extérieurs de l’Algérie était insignifiante il y a à peine une douzaine années, devient en 2013 son premier fournisseur, avec 6,82 milliards de dollars d’importations, détrônant ainsi la France (6,25 milliards de dollars) qui occupait cette place depuis plusieurs années. L’Union européenne conserve le rang de premier partenaire commercial du pays, tant pour les importations que pour les exportations1.

Comment lire cet évènement, annoncé par les médias algériens avec une certaine excitation et largement commenté sur le thème de la compétition entre l’ancienne puissance coloniale et le nouveau géant de l’économie mondiale ? Faut-il y voir l’indice que la France, dont la position hégémonique dans les importations de l’Algérie s’était renforcée depuis l’ouverture du commerce extérieur au début des années 1990, est désormais supplantée par la puissance asiatique ? Quelle relation y a-t-il entre cette percée dans les importations et les autres signes de la présence grandissante de la Chine en Algérie ? Et tout d’abord, qu’en est-il réellement de cette présence, quelle est la part du fantasme et de la réalité dans la représentation que l’on s’en fait ? En effet, depuis que celle-ci est devenue visible, de nombreux observateurs, notamment en France, s’inquiètent de la stratégie de la Chine en Algérie2.

C’est pour faire le point de nos connaissances sur la présence chinoise dans ce pays que nous avons organisé le 15 février 2013 un atelier à visée exploratoire dont la modeste ambition était d’interroger les clichés qui circulaient à ce propos, en commençant par recenser les chercheurs travaillant sur ce sujet, les thématiques, les données, les sources d’information. Le pari était risqué car il existait très peu de recherches sur la question3 et la plupart en étaient encore à leur début. Aussi avons-nous dû investir d’emblée plusieurs disciplines ‘économie, sociologie, science politique, anthropologie) et solliciter, à côté de chercheurs chevronnés, d’autres encore débutants, tout en étendant le champ vers le Maghreb et l’Afrique. Cet ouvrage est le résultat de cette rencontre, dont le succès dépassa largement nos attentes, au vu de l’intérêt suscité par le sujet et la qualité des communications ainsi que des interventions du public.

Un résultat inattendu fut l’éclairage inhabituel que cette thématique jetait sur l’Algérie, sous l’angle des relations Sud-Sud et des dimensions maghrébine et africaine, mettant pour une

*

Chercheure au CNRS, Cresppa, UMR 7217 CNRS/Universités Paris 8 et Paris 10.

1

Statistiques du commerce extérieur pour l’année 2013 disponibles sur le site du ministère algérien du Commerce extérieur, www.mincommerce.gov.dz/fichiers13/statcomext2013fr.pdf.

2

Voir infra la contribution de Claude Zanardi sur les relations militaires sino algériennes.

3

L’essentiel est le fait d’institutions de recherche occidentales. Il n’y a pas à notre connaissance de travaux comparables sur ce thème en Chine. De jeunes chercheurs algériens, en Algérie et à l’étranger, travaillent depuis peu sur le sujet.

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fois à l’arrière-plan ses voisins du Nord. Les projecteurs orientés vers des lieux et des activités peu explorés révélaient l’économie sous des aspects inédits, et la mise en relation d’objets n’ayant a priori pas de rapport entre eux — tels le projet de grande mosquée d’Alger, l’autoroute Est-Ouest, la téléphonie mobile, le marché automobile, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les réseaux du commerce informel, les migrations — se mettait à faire sens. Cette perspective introduisait un vent de fraîcheur, porteur d’un renouvellement des questionnements, au-delà des sempiternels constats d’échec sur un pays rentier peinant à s’industrialiser, se diversifier, créer des emplois. La présence chinoise en Algérie conjugue trois phénomènes qui, pour être liés, n’en sont pas moins distincts, avec leurs logiques et leurs temporalités propres : les relations politiques et diplomatiques entre les deux États, les échanges économiques et commerciaux, les relations humaines.

1. LES RELATIONS POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES

Ces relations sont anciennes et s’inscrivent dans la durée. Elles se fondent sur l’appartenance, revendiquée par les deux pays, au monde en développement4, même si les différences entre eux sont immenses (taille, puissance, caractéristiques économiques et politiques, position géographique, culture, langues...). Cette appartenance renvoie d’abord à un positionnement par rapport à l’hégémonie occidentale5. Au-delà du discours et de l’idéologie, ces relations sont marquées de part et d’autre par le pragmatisme, ce qui permet à chacun de profiter des opportunités que lui offre l’autre dans le champ des rapports de force internationaux. Même si elle a été par moments désactivée, cette relation a survécu à la reconfiguration géopolitique mondiale depuis la chute du mur de Berlin, ainsi qu’aux profonds bouleversements internes à chacun des deux pays. Mais dans les années 2000, avec le développement rapide des échanges entre les deux pays, l’économie, a pris le pas sur la diplomatie et tend à l’infléchir dans le sens d’une diplomatie économique.

Plusieurs auteurs ont essayé de scruter la stratégie de la Chine en Algérie6. Alice Ekman7 diagnostique une absence de stratégie coordonnée à l’échelle régionale. Selon elle, le principal obstacle réside dans des divergences de fond entre les institutions faisant la

4

Contrairement à la Russie par exemple, qui s’identifie comme européenne et occidentale et, comme l’ensemble des pays de l’ancien Comecon, ne se définit pas comme pays en développement.

5

À un journaliste qui l’interrogeait sur le fait que la Chine venait de détrôner le Japon comme seconde puissance économique mondiale, l’ambassadeur de Chine en Algérie répondit : « il ne faut pas se soucier seulement du PIB, il y a le revenu par tête d’habitant. En Chine, il est de 3 800 dollars et donc on est vraiment loin. En Algérie, il est de 5 000 dollars. C’est pour cette raison qu’on doit faire beaucoup d’efforts ; plus de 150 millions de Chinois vivent au-dessous du seuil de pauvreté et il y a encore des régions très arriérées. La Chine reste toujours un pays en voie de développement » (Salim Koudil, « L’ambassadeur de Chine en Algérie, son excellence Liu Yuhe, à Liberté », Liberté, 21 août 2010, www.liberte- algerie.com/actualite/il-faut-deux-peages-aux-frontieres-avec-la-tunisie-et-le-maroc-l-ambassadeur-de-chine-en-algerie-son-excellence-liu-yuhe-a-liberte-141182).

6

Voir François Lafargue, « La Chine et l’Algérie, entre amitié et realpolitik », Monde chinois, n° 10, 2007, p. 45-55.

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politique étrangère chinoise8. On peut cependant se demander si la Chine ne laisse pas à dessein sa politique arabe dans le flou, plutôt que de prêter le flanc en affichant une stratégie arrêtée dans une région du monde aussi instable et mouvante, où elle est perçue comme une intruse par les occidentaux.

Cette absence de lisibilité ouvre la voie à la spéculation. Ainsi l’hypothèse a été avancée9 que la Chine lorgnait le gaz algérien10, anticipant la création d’une OPEP du gaz, qui aurait associé notamment l’Algérie, la Russie, le Qatar, le Venezuela et l’Iran et aurait obligé l’Algérie à exporter vers l’Asie, afin de réduire sa dépendance à l’égard de l’Europe. Outre qu’elle attribuait à ce pays, qui n’est qu’un petit acteur sur ce marché, une volonté et une capacité stratégique qu’il n’a plus, cette hypothèse a été rendue caduque dès lors que le projet d’OPEP du gaz, si toutefois il avait sérieusement été envisagé, a été battu en brèche par l’exploitation des gaz de schiste, le développement du marché spot ainsi que l’entrée de certains de ces pays dans l’OMC. Un autre motif de spéculation sur les desseins chinois en Algérie est l’idée que le Maghreb pourrait servir de tremplin pour accéder au marché de l’Union européenne11. Pour l’heure, c’est plutôt sur le port grec du Pirée que la Chine a misé comme porte d’entrée pour ses bateaux. De même, c’est en Biélorussie qu’elle a entrepris la construction d’une ville-atelier12 dans laquelle elle investit cinq milliards de dollars. Pouvant accueillir 155 000 habitants, elle devrait être en partie livrée en 2020 et achevée en 2030. Reliée à l’aéroport de Minsk par un train à grande vitesse, elle sera fournie en énergie par une centrale nucléaire livrée par la Russie en 2018. Le but est de créer un immense parc industriel proche de l’Union européenne, constituant une sorte de centre opérationnel (hub) entre l'Europe et l'Asie (les exportations chinoises ne seront plus qu’à 275 kilomètres de la Pologne et de la Lituanie). Les entreprises, chinoises ou autres, qui s’y installeront et investiront au minimum cinq millions de dollars seront exonérées d’impôts et de taxes foncières. Dans ces deux exemples, la Grèce et la Biélorussie étaient demandeuses, la première du fait de l’étau financier qui l’enserre, la seconde de son isolement13. Enfin, bien évidemment, le domaine militaire alimente aussi la spéculation, à propos d’une « éventuelle collaboration [entre les deux pays] en matière d’armement nucléaire qui daterait des années 1980 et se poursuivrait aujourd’hui »14.

8

Le ministère chinois des Affaires étrangères (MFA) défendrait une position de « grande puissance » tandis que le ministère du Commerce (MOFCOM) serait plus conciliant, moins offensif car plus attentif aux enjeux économiques, quitte à ce que la Chine apparaisse comme une « puissance émergente » aux yeux de l’opinion nationale et internationale.

9

Voir François Lafargue, « Nouveaux acteurs économiques en Méditerranée. La Chine en Afrique du Nord »,

IEMed, 2008, www.iemed.org/anuari/2008/farticles/f68.pdf. 10

Voir infra la contribution de Karima Fachqoul et Thierry Pairault sur la « diplomatie pétrolière » de la Chine en Algérie : « on est loin de la captation fantasmée du secteur algérien des hydrocarbures par des groupes chinois ».

11

François Lafargue, « Nouveaux acteurs économiques… », op. cit., p. 1.

12

Aliaksandr Kudrytski, « China Builds EU Beachhead With $5 Billion City in Belarus », Bloomberg News, 26 mai 2013, www.bloomberg.com/news/2013-05-26/china-builds-eu-beachhead-with-5-billion-city-in-belarus.html.

13

La Chine avait tenté un projet analogue en Bulgarie, qui a échoué en 2010, ibid.

14

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[4]

Si l’on devait identifier une stratégie chinoise lisible, en Afrique, comme au Maghreb, en Grèce ou en Biélorussie, elle apparaîtrait peut-être en négatif, dans le fait d’investir les pays ou secteurs délaissés par les Occidentaux15, à cause de leur faible rentabilité, de l’insécurité, du mauvais climat des affaires, de conflits géopolitiques. La crise financière, en tarissant les flux d’investissement direct venus du Nord, a accentué cette tendance, tandis que la présence chinoise constituait un facteur de résilience.

Quant à la stratégie de l’Algérie vis-à-vis de la Chine, elle est encore moins perceptible16, du fait surtout de la situation d’incertitude et de blocage politique dans laquelle se trouve le pays. Aussi est-il difficile d’aller au-delà du constat, fait par plusieurs observateurs, que, comme d’autres pays arabes, l’Algérie tient à garder une attitude « équilibrée » vis-à-vis de la Chine17.

2. LES RELATIONS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES

Négligeables avant les années 1990, les échanges économiques entre les deux pays ont connu un développement rapide pour, d’une part, l’importation de produits manufacturés chinois en Algérie, d’autre part, la participation d’entreprises chinoises à des projets dans de nombreux secteurs d’activité économique en Algérie. Ces relations s’inscrivent dans la dynamique générale de l’expansion économique chinoise en Afrique18 et en épouse les principales caractéristiques. La Chine pénètre les marchés africains, non par la politique de la canonnière qui fut celle des puissances coloniales, mais par sa capacité à répondre aux besoins pressants de ces pays et sa contribution à la croissance de leur PIB. En contrepartie, au Maghreb comme en Afrique, elle est attirée par un marché régional de quelque 150 millions de consommateurs19 et est à la recherche de fournisseurs en matières premières, énergétiques et minières20.

15

Voir Laure Beaulieu, « En Afrique, les groupes chinois profitent du retrait des Occidentaux » Le Monde, 19 juillet 2012.

16

Ainsi, nous interrogeant sur le rôle d’Huawei dans la stratégie industrielle de l’Algérie, nous nous sommes heurtés à la faible lisibilité de cette dernière. Voir infra la contribution de Rachid Mira et Fatiha Talahite sur Huawei, le géant chinois des télécoms en Algérie.

17

« L’Algérie comme la Libye estiment que les relations avec la Chine ne doivent pas les mener à une relation exclusive. D’autant que la Chine n’est pas en mesure de leur apporter la haute technologie militaire et nucléaire dont ils ont besoin. Les pays du Maghreb préfèrent dans ce domaine se tourner vers les États-Unis, la Russie ou la France » (François Lafargue, « Nouveaux acteurs économiques… », op. cit., p. 4). « L’Algérie joue un subtil jeu d’équilibre entre Washington, Paris, Moscou et Pékin. L’Algérie voit dans les États-Unis, la puissance susceptible d’assurer la stabilité et la sécurité du pays à long terme, dans la France, un partenaire commercial et culturel traditionnel, dans la Russie un fournisseur d’armes et un investisseur dans le secteur des hydrocarbures et enfin dans la Chine, un soutien diplomatique et commercial. Abdelaziz Bouteflika considère la Chine, comme un allié susceptible d’accélérer la modernisation de son pays sans lui imposer de contraintes particulières » (François Lafargue, « La Chine en Afrique : une réalité à nuancer »,

Dounia, n° 3, 2010, p. 53, www.dounia-risri.net/IMG/pdf/Dounia3_pp_44-54.pdf). 18

Voir infra la contribution de Liu Hongwu ainsi que celle de Théophile Dzaka, Francis Kern et Chiara Gonella.

19

François Lafargue, « Nouveaux acteurs économiques… », loc.cit.

20

Voir infra la contribution de Karima Fachqoul et Thierry Pairault. De son côté, Jean-Pierre Cabestan rapporte que « d’après les analystes chinois, l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord (Algérie, Libye) constitue l’une des trois ‘régions stratégiques’ de diversification des achats d’hydrocarbures avec la Russie

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[5]

Les biens de consommation courante importés de Chine (thé, vêtements, articles de maison, petit électroménager, jouets..) permettent aux populations africaines, classes moyennes comprises, d’accéder à un mode de consommation auquel ils ne pourraient prétendre autrement. En Algérie, ils sont devenus indispensables à la vie quotidienne, même s’ils sont en compétition avec des produits turcs notamment. Ils ne font pas vraiment concurrence à une production locale, quasi-inexistante, car le capital privé est encore essentiellement marchand et fructifie surtout dans l’importation. Aussi le commerce avec la Chine est-il un facteur d’accumulation du capital21. D’un autre point de vue, dans l’hypothèse que ce capital s’investisse dans l’industrie manufacturière, les biens-salaires importés de Chine demeurent indispensables au maintien d’un coût du travail relativement bas. Pour Thierry Pairault22 au stade actuel, les relations commerciales entre l’Algérie et la Chine ne font pas concurrence à celles avec les partenaires traditionnels. En particulier, les pays européens et la Chine ne sont pas en concurrence directe dans leurs relations commerciales avec les pays du Maghreb, et selon l’indice de corrélation du commerce (CNUCED), ceux-ci auraient de meilleures opportunités que la Chine au Maghreb. Cependant, comme l’écrit Zhe Zhang23, la Chine pourrait vendre à l’Algérie des produits de meilleure qualité, si celle-ci voulait y mettre le prix qui resterait toutefois moins élevé qu’ailleurs.

La Chine profite du retrait de firmes occidentales d’Afrique, pour relancer des projets qu’elles ont abandonnés parce que peu rentables, comme les investissements pétroliers au Niger. Mais elle crée aussi de nouveaux marchés, en déployant une activité diversifiée et innovante, s’appuyant sur la compétitivité de ses entreprises et leur adaptabilité aux conditions locales ainsi que sur les financements qu’elle propose. Ses activités s’orientent vers la construction de logements et d’infrastructures (transport, hydraulique, tourisme, urbanisme), l’industrie manufacturière, mais aussi les TIC ou le secteur bancaire.

On insiste souvent sur le soutien apporté par le gouvernement chinois à ses grandes entreprises nationales dans leurs stratégies d’investissement à l’étranger. Pour Alice Eckman24, celui-ci n’est toutefois pas systématique et la coordination entre les décisions de l’État et les stratégies des entreprises est parfois surestimée. Notamment, leur stratégie d’investissement n’est pas dictée par l’État. Même dans le cas des grandes entreprises publiques exerçant dans des secteurs stratégiques, ce serait d’abord la direction de

et l’Asie centrale, d’une part, et l’Amérique Latine d’autre part », La politique internationale de la Chine, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2010, p. 380.

21

Pour Samia Hammou et Thierry Pairault (voir leur contribution infra), les activités commerciales des Chinois en Algérie, à l’instar des Syriens, Tunisiens, Égyptiens, Marocains et Turcs, exercent une concurrence sur le petit commerce de détail. Cependant, dans la mesure où elles contribuent à les intégrer à des réseaux commerciaux transnationaux émergents dynamiques, ces activités profitent aussi aux commerçants algériens.

22

Voir infra la contribution de Thierry Pairault sur les relations économiques entre la Chine et l’Algérie.

23

Voir infra la contribution de Zhe Zhang intitulée « Les relations économiques sino-africaines vues par une citoyenne chinoise ».

24

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[6]

l’entreprise qui définirait l’orientation de son développement international. Les pouvoirs publics seraient généralement contactés bien après que celle-ci ait pris ses décisions, afin d’obtenir un soutien financier et le feu vert final.

Comme le font classiquement les firmes multinationales lorsqu’elles pénètrent de nouveaux marchés, les entreprises publiques chinoises ne recherchent pas nécessairement le profit immédiat. Ainsi en est-il en Algérie pour Sinopec dans le pétrole25, pour le consortium CITIC-CRCC pour la construction de l’autoroute Est-Ouest26 ou pour Huawei dans les télécoms27. Quant à savoir si ces entreprises agissent ainsi dans l’intérêt stratégique de la Chine ou pour conquérir des marchés pour elles-mêmes, Alice Eckman reste dubitative, concluant que cela dépend probablement du secteur.

Dans les années 2000, l’Algérie a eu massivement recours aux entreprises chinoises dans le secteur du bâtiment et des travaux publics et dans celui des infrastructures pour mettre en œuvre deux plans de relance et d’appui à la croissance (2002-2004 et 2005-2009) financés grâce à l’envolée des prix du pétrole. L’objectif était de rattraper le retard pris pendant la décennie 1990, marquée par les programmes d’ajustement structurel (1994-1998) dans un contexte de faible prix du pétrole et par l’affectation prioritaire des ressources à la « lutte contre le terrorisme », selon la terminologie officielle. La législation sur les investissements étrangers ayant été libéralisée, sous la contrainte des programmes d’ajustement structurel, les entreprises chinoises se sont avérées très compétitives et emportèrent aisément nombre d’appels d’offre publics28. Ainsi, les entreprises chinoises ont pris un temps d’avance en se positionnant sur le marché algérien à un moment où le contexte sécuritaire et le climat des affaires faisaient fuir les investisseurs occidentaux.

En 2009, la règle limitant à 49% la participation étrangère dans les entreprises algériennes a été rétablie29. Les autorités entendaient attirer les investissements étrangers dans des industries à haute intensité capitalistique, grâce à une participation algérienne majoritaire, leur priorité étant le transfert de technologies avancées. Ainsi, le Premier ministre algérien déclarait, lors des négociations pour l’implantation d’une usine automobile Renault en Algérie : « même majoritaires, cela ne nous empêche pas de laisser l’investisseur étranger

25

Pour Karima Fachqoul et Thierry Pairault (voir leur contribution infra), la recherche immédiate du profit n’est pas la priorité de l’engagement des entreprises publiques chinoises dans le secteur algérien des hydrocarbures.

26

Voir infra la contribution de Dzifa Kpetigo sur l’autoroute Est-Ouest dans laquelle il remarque que pour livrer ses tronçons d’autoroute dans les délais malgré les difficultés « la CITIC-CRCC aurait avancé sur fonds propres un montant de plus d’un milliard de dollars (..).Cet effort financier du prestataire de services est mis au compte de la coopération ‘Sud-Sud’ et de la volonté chinoise de contribuer au développement de l’Algérie ».

27

Voir infra la contribution de Rachid Mira et Fatiha Talahite qui montrent que pour Huawei, le marché algérien des administrations et entreprises publiques est plus stratégique que rentable économiquement.

28

« Les entreprises de BTP algériennes qui sont principalement des petites et moyennes entreprises ne peuvent pas concurrencer les entreprises étrangères et notamment les consortiums publics chinois », Farida Souiah, « L'Algérie made by China », Méditerranée, 2011, n° 116, p. 8.

29

Voir Mihoub Mezouaghi et Fatiha Talahite, « Les paradoxes de la souveraineté économique en Algérie »,

Confluence Méditerranée n°17, 2009 (4), p.9.

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[7]

gérer lui-même le projet, car nous avons besoin de son savoir-faire »30. Dans ce domaine, les décideurs algériens ne cachent pas leur préférence pour les firmes occidentales. Alors que pour la construction (BTP, infrastructures), ce serait la compétitivité par les coûts et les délais de réalisation qui primerait, favorisant les partenaires des pays émergents et surtout chinois, dans l’industrie à haute intensité capitalistique, ils entendraient attirer les entreprises des pays industrialisés, quitte à assumer la plus grosse part des financements. Lors d’une visite officielle en Algérie en 2012, la ministre française du commerce extérieur, s’adressant aux entrepreneurs français qui l’accompagnaient et reconnaissant que son pays avait perdu des parts de marché en Algérie, notamment dans l’agroalimentaire, déclarait à propos de la concurrence chinoise que les entreprises françaises devaient miser sur la qualité, même si les coûts devaient être plus élevés31. Encore faudrait-il que celles-ci choisissent l’Algérie pour s’implanter et s’accommodent de la règle des 49%/51% compte tenu des autres facteurs décisifs (coût et qualification du travail, environnement des entreprises, climat des affaires, situation sécuritaire). En effet, les investissements originaires des pays de l’OCDE — en dehors du secteur des hydrocarbures — étaient déjà très faibles dans les années 2000, ce qui précisément justifia le rétablissement de la règle des 49%/51% en considérant que l’ouverture aux investissements étrangers n’avait pas profité au pays. Cette nouvelle législation a-t-elle défavorisé les entreprises chinoises au profit des entreprises occidentales ? Ces dernières ont-elles répondu à l’appel, sachant qu’elles accédaient déjà largement au marché algérien par les importations ? Il faudrait pour cela que la menace de perdre ces marchés soit réelle. Parfois, l’annonce de projets avec des entreprises chinoises agit comme un signal adressée aux entreprises occidentales. Ainsi, en octobre 2011, le ministre de la Santé annonçait la mise à l’étude d’un mégaprojet en partenariat avec la Chine pour la production de matières premières devant permettre à l’Algérie de devenir à terme « une plaque tournante pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord » dans le médicament. Ultérieurement la presse n’a plus reparlé de ce projet. En revanche en décembre 2013, le leader pharmaceutique français Sanofi, qui réalise sur le marché algérien environ 25% de son chiffre d’affaires pour l’Afrique, s’engageait dans la construction d'une usine à Sidi Abdellah, destinée à devenir le plus grand site de Sanofi en Afrique32. De même, alors que plusieurs projets de construction automobile chinois avaient été annoncés, c’est finalement Renault qui construira, en 2012, en partenariat avec l’État algérien, la première usine automobile, destinée exclusivement au marché local. L’année

30

Mahmoud Chaal, « Le Premier ministre au sujet du projet de l’usine Renault : la règle 51/49% n’est pas un obstacle », L’echonews, 18 octobre 2012, www.leconews.com/fr/actualites/nationale/industries/la-regle-51-49-n-est-pas-un-obstacle-18-10-2012-160271_340.php

31

Yazid Taleb, « La France tente de résister à l’avancée du bulldozer chinois en Algérie », Maghreb Emergent, 1er octobre 2012.

32

Saïd Smati, « Vers la production de 50 médicaments génériques avec Saidal », Liberté, 18 décembre 2013, www.liberte-algerie.com/dossiers-economiques/vers-la-production-de-50-medicaments-generiques-avec-saidal-sanofi-212281.

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[8]

précédente, sur une hausse de plus de 29% des importations automobiles, la part des marques françaises avaient augmenté de moins de 5%33.

De leur côté, les entreprises chinoises ont rapidement ajusté leur stratégie34 en s’adaptant à la règle des 49%/51% et participant massivement à des co-entreprises (joint-ventures) avec des partenaires algériens publics35 et privés36. Mais l’entrée d’une expertise et de capitaux chinois en Algérie ne relève pas que de décisions des autorités. Ils arrivent aussi par le biais des firmes occidentales sans passer par les décideurs algériens et parfois carrément contre leur volonté, comme dans les cas de Terramin Australia et de Desertec.

Terramin est actionnaire majoritaire (65%) de la Western Mediterranean Zinc (WMZ) — une co-entreprise créée en 2006 pour explorer le gisement de zinc et de plomb d’Oued Amizour — avec, côté algérien, 32,5% du capital social détenu par l’Entreprise nationale des produits miniers non ferreux et des substances utiles (Enof) et 2,5% par l'Office de recherche géologique et minière (ORGM). Pour continuer à financer ses projets de développement minier en Algérie, Terramin a dû céder une part de son capital à un actionnaire chinois — la China Nonferrous Metal Industry's Foreign Engineering and Construction (NFC) qui est la filiale de la CNMC, un groupe public — une première fois en 2009 (12,3%) puis une seconde fois en 2011 (participation totale de 18,9%)37. Par ailleurs, elle a conclu en décembre 2013 un accord de coopération technique avec la NFC pour redémarrer le projet interrompu

33

La Depuis 2014, les concessionnaires automobiles présents en Algérie sont tenus à « installer une activité industrielle et/ou semi-industrielle ou toute autre activité ayant un lien direct avec le secteur de l’industrie automobile, dans un délai maximum de trois ans » sous peine de retrait de l’agrément, Loi de finances 2014, Journal officiel de la République algérienne n° 68, 31 décembre 2013.

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« L'Algérie vise à jeter une base industrielle solide pour l'après-pétrole. Une telle stratégie présente d'énormes opportunités aux sociétés qui veulent investir. Nos entreprises sont réputées par leur efficacité et la qualité de travail. Je pense qu'elles pourront accélérer et contribuer aux chantiers lancés par l'Algérie dans les domaines du logement, des infrastructures routières, de la construction des barrages, etc. Il reste à connaître les priorités, par domaines d'investissement et par secteurs d'activité, du gouvernement algérien. Plusieurs sociétés sont en train de prospecter les possibilités d'élargir leur coopération et investir davantage » (Tahar Fattani, « L'ambassadeur de Chine en Algérie, Liu Yuhe, à l'Expression », L'Expression, 2 octobre 2011, www.lexpressiondz.com/actualite/140097-l-afrique-du-nord-est-entree-dans-une-phase-de-grande-mutation.html?print).

35

La China State Construction and Engineering Corporation (CSCEC) qui participe à la réalisation des programmes de logements et d'équipements publics, a été invitée par le ministre algérien de l'Habitat et de l'urbanisme à engager des négociations avec la SG Injab en vue de la constitution de partenariats avec des entreprises publiques locales pour la réalisation des investissements projetés (« Noureddine Moussa pour l'emploi de la main-d'œuvre algérienne », Le Carrefour d’Algérie, 5 février 2011, p. 2, www.carrefourdalgerie.com/archive/pdf/2011/02/05-02-2011.pdf). De son côté le ministre des Travaux publics, se félicitant de la proposition de la CSCES de réaliser une cimenterie et une usine de bitumes « dans le cadre du nouveau Code des marchés publics », déclarait que « le gouvernement encourage les investissements chinois en Algérie », (« Algérie-Chine : L’Algérie encourage les investissements chinois », El

Moudjahid, 2 février 2011, www.elmoudjahid.com/fr/flash-actu/3248). 36

En novembre 2013, le groupe public chinois FAWAIC et le groupe privé algérien Arcofina annonçaient leur intention de construire une ligne d’assemblage de véhicules de marque FAW en Algérie (french.china.org.cn/txt/2013-11/10/content_30551927.htm).

37

Jessica Darnbrough, « China buys Terramin equity », Australian Mining, 1er avril 2009, www.miningaustralia.com.au/news/china-buys-terramin-equity; communique de la CNMC du 20 mai 2009, www.cnmc.com.cn/detailen.jsp?article_millseconds=1318946120647&column_no=0114; Communique de l’agence Reuters du 31 juillet 2011, http://www.reuters.com/article/2011/08/01/china-tzm-idUSL3E7J101120110801.

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[9]

depuis février 2011, en échange duquel la NFC devrait se voir attribuer des parts supplémentaires du capital de Terramin voire la racheter en totalité38.

Le deuxième exemple, Desertec, est celui d’un projet de construction d’un réseau de centrales solaires à concentration et de parcs éoliens à travers la Méditerranée pour exploiter le potentiel en énergies renouvelables du MENA. Estimé à 400 milliards d'euros, il vise la production de 100 GW d'électricité afin de pouvoir répondre à 15% à de la demande d'électricité de l'Europe à l’horizon 2050 grâce à la mise en place d'un réseau électrique à haute tension en courant continu de part et d'autre de l'Europe et de la région MENA. Le projet a rencontré des difficultés, qui lui ont fait prendre du retard et ont conduit au retrait de plusieurs partenaires — dont Bosch, Siemens et la fondation Desertec elle-même — du consortium DII créé pour la réalisation du projet par les industriels à l’origine de l’initiative. L’entrée fin 2013 du chinois SGCC dans le capital de DII devait permettre de relancer le projet et d’en accélérer la réalisation, grâce notamment à l’expertise du China Electric Power Research Institute (CEPRI filiale du groupe public State Grid) sur les technologies de production d'énergies renouvelables et de transport d’électricité39.

Cette tendance devrait s’accentuer à l’avenir, les grandes entreprises occidentales étant de plus en plus amenées à s’ouvrir aux capitaux et au marché chinois, comme récemment PSA, fleuron de l’industrie automobile française.

3. LES RELATIONS HUMAINES

Elles sont tout d’abord le fait de cette « mondialisation par le bas »40 qui accompagne et parfois précède les flux de marchandises et de capitaux en contournant les obstacles réglementaires, en passant au travers les douanes et contrôles aux frontières et en s’insinuant dans les interstices et les failles des structures économiques et administratives. En Algérie, tout au long des années 1980, bien avant la libéralisation du commerce extérieur, alors que l’offre locale de biens de consommation courante était insuffisante, de faible qualité et peu diversifiée, face à la hausse des revenus et l’émergence d’une classe moyenne, les « marchands à la valise » acheminaient des marchandises de contrebande, d’abord depuis la France, l’Espagne ou l’Italie, puis, avec la fermeture de la forteresse Europe et la montée en puissance de la production manufacturière en Asie, ces réseaux se sont

38

Voir le communiqué de Terramin du 19 décembre 2013

(www.terramin.com.au/lib/pdf/media/ASXreleases/%20_SET_MEmf1118.pdf). Le désaccord aurait officiellement porté sur des considérations techniques mais il semblerait que ce soit la participation même de la NFC qui ait été en cause (voir le communiqué de Terramin du 24 août 2011, www.asx.com.au/asxpdf/20110824/pdf/420lhmyrl6lqg2.pdf).

39

Karam Kara-Békir, « Les Chinois entrent dans le projet industriel Desertec », Maghreb Emergent, 12 décembre 2013, www.maghrebemergent.info/actualite/maghrebine/item/32708?tmpl=component&print =1.

40

Alain Tarrius, La mondialisation par le bas : Les nouveaux nomades de l'économie souterraine, Paris, Balland, 2002.

(10)

[10]

progressivement orientés vers l’Est. Ben Simpfendorfer41 décrit la vitalité de la nouvelle route de la soie, qui étend ses ramifications du Caire, Damas ou Riyad, aux villes-marchés de Chine. Il montre comment Chine et monde arabe, anciennes puissances autrefois liées par l'un des plus dynamique courant commercial de l’histoire, se rapprochent aujourd’hui avec la réactivation de ce « couloir islamique » qui ne dépend ni des gouvernements, ni des entreprises. Les marchands à la valise algériens tissent leurs réseaux au Moyen Orient, où ils rencontrent des négociants chinois ou leurs intermédiaires pakistanais, indiens ou yéménites, dans les entrepôts de Damas ou Dubaï, et, pour certains, vont chercher leur marchandises jusqu’en Chine où ils nouent des relations commerciales et humaines. Dans les années 1990, à la faveur de la libéralisation du commerce extérieur en Algérie, les valises se transforment en containers et les réseaux du commerce informel, brassant une masse croissante de capitaux, s’étendent, se structurent, et marquent le territoire. Ainsi Aïn Fakroune, une localité à vocation agricole à cinquante kilomètres de Constantine42, est devenue le plus grand centre du commerce d’habillement du pays, un nœud de réseaux vers lequel convergent détaillants et grossistes de plusieurs régions d’Algérie pour se fournir en marchandises importées essentiellement de Chine et débarquées au port de Skikda dans un incessant trafic de containers. Largement informelle, cette activité a des retombées économiques visibles sur la région.

Ces réseaux amènent aussi des commerçants chinois vers l’Algérie. Dès la fin des années 1990 et surtout dans les années 2000, l’Afrique suscite l’intérêt des commerçants traditionnels du Zhejiang et du Fujian dans le commerce d’import-export et de détail43. La première vague s’installe à Alger à la fin des années 1990. Certains, arrivés dans le cadre de contrats de main d’œuvre sur les chantiers des entreprises chinoises, sont restés en Algérie où ils ont ouvert un commerce, parfois à la suite du mariage avec une algérienne. Fin 2011, le nombre de ressortissants chinois sur le sol algérien serait de 40 à 45 000 (travailleurs sous contrat, chefs d’entreprise et leurs familles)44. De 2005 à 2011, l’Algérie a été le premier pays africain pour le nombre de travailleurs chinois, qui a atteint un pic de 49 631 en 2009, pour retomber à 36 562 en 2011, avec une baisse de de 8 646 entre 2010 et 2011, du fait notamment d’importants retours au pays après l’achèvement de chantiers45. Ainsi, dans les années 2000, des dizaines de milliers de travailleurs chinois débarquent en Algérie, dont quelques centaines s’installeront durablement dans le pays. Ce n’est que depuis 2004 que les étrangers sont tenus à un visa de travail pour pouvoir occuper un emploi en Algérie46.

41

Ben Simpfendorfer, La nouvelle route de la soie : Comment le monde arabe délaisse l'Occident pour la Chine, Paris, Éditions Autrement, 2011.

42

Saïd Belguidoum, « Le dynamisme des nouvelles places marchandes de l’Est algérien : reconfiguration urbaine et nouvelles donnes sociales », communication au colloque de Cérisy en 2011 « Entre le licite et l’illicite : migrations, travail, marchés ».

43

Voir infra la contribution de Carine Pina-Guerassimoff sur la diaspora chinoise en Afrique.

44

Voir infra la contribution de Samia Hammou et Thierry Pairault.

45

Voir infra la contribution de Carine Pina-Guerassimoff.

46

Par contre, l’obligation pour toute personne de nationalité étrangère d’être titulaire d’une carte de commerçant étranger pour pouvoir exercer une activité commerciale en Algérie a été supprimée en 2007.

(11)

[11]

2827 permis sont octroyés à des chinois en 2004, sur un total de 6969 et 19 000 sur 23 000 en 200747. Mais à la fin de la décennie 2000, les difficultés administratives se multiplient pour les chinois installés ou qui veulent s’installer dans le pays48. Selon le Ministre du travail, « il a été fait appel à cette main d’œuvre qualifiée pour les grands projets, notamment dans les travaux publics et l’hydraulique, avec des visas de travail ne dépassant pas trois mois et un permis de travail provisoire délivré par les services de l’emploi sachant que le travailleur étranger doit regagner son pays dès l’expiration de son visa de travail »49.

Ainsi, cette arrivée massive de travailleurs chinois en Algérie dans la première décennie des années 2000 pourrait n’avoir été qu’un épisode et non une lame de fond, comme certains ont pu le croire. Largement médiatisé en Algérie et à l’étranger au point parfois de nourrir la crainte d’une « invasion » chinoise, cet événement n’est remarquable qu’au regard de sa nouveauté50, dans un pays où il restait très peu d’étrangers, notamment occidentaux, suite à la longue période d’insécurité consécutive au coup d’État de janvier 1992. Mais il demeure marginal, rapporté aux cinquante millions que totalisent les communautés chinoises ou d’origine chinoise dans le monde51.

Dans les années 2000, face aux deux problèmes urgents du logement et du chômage, causes de troubles sociaux endémiques, le gouvernement adopta une démarche séparée : d’un côté, il eut recours aux entreprises étrangères pour accélérer la construction, de l’autre, il privilégia un traitement social du chômage par la mise en place de dispositifs d’attente de la croissance52. Il a été reproché aux entreprises chinoises d’avoir contribué à aggraver le chômage en important leur propre main-d’œuvre. Cependant, celles-ci ne pouvaient pas résoudre tout à la fois le problème du retard dans les secteurs clés du logement, de l’hydraulique, des infrastructures de transport… et celui du chômage. La lutte contre le chômage relève de décisions des autorités et n’est pas de la responsabilité des entreprises étrangères liées par un cahier des charges. Sans l’importation de leur propre main-d’œuvre, ces entreprises n’auraient pas pu s’engager sur des coûts si faibles et des délais si brefs. De surcroît, des dérogations à la législation du travail ont été accordées par les autorités

Sur les chinois inscrits au registre du commerce, voir infra l’étude de Thierry Pairault sur les entreprises chinoises en Algérie.

47

Rafik Bouklia-Hassane et Fatiha Talahite, « Labour Markets Perfomance and Migration Flows in Algeria »,

European Economy, n°60, Bruxelles, mai 2010, p. 129. 48

Voir Daikha Dridi, « Je m’appelle Yong et je suis Chinois à Alger », Maghreb Emergent, 7 juin 2011 (www.algeria-watch.org/fr/article/div/yong_a_alger.htm).

49

Rafik Bouklia-Hassane et Fatiha Talahite, ibid. p. 129.

50

Il n’y avait pas de chinois en Algérie avant les années 2000, hormis quelques experts, dont les missions d’assistance médicale, régulières depuis 1963, voir infra Dzaka-Kikouta et al.

51

On peut même dire que c’est plutôt la faible présence de communautés étrangères qui est surprenante. Cette situation, qui contraste avec celle qui prévalait dans l’Algérie précoloniale, trouve probablement une explication dans la politique coloniale de population, puis la relative fermeture durant la période socialiste. Mais ceci est en train de changer, avec la mondialisation et l’arrivée de migrants ou d’expatriés d’origines diverses (Afrique subsaharienne, Syrie..).

52

Rafik Bouklia-Hassane et Fatiha Talahite, « Marché du travail, régulation et croissance économique en Algérie », Revue Tiers Monde, 2008/2, n° 194, p. 413-437.

(12)

[12]

algériennes aux « entreprises étrangères dont les employés étrangers recrutés sur contrat ne cotisent pas à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNAS) et ne sont affiliés à aucune organisation syndicale »53.

Si au début elle ne fut pas contestée, à la longue la présence d’une nombreuse main-d’œuvre chinoise sur les chantiers est apparue comme un signe patent de l’incapacité des dirigeants à offrir un emploi aux Algériens au chômage — même si peu d’entre eux auraient accepté de travailler avec les salaires et les conditions de travail des entreprises chinoises. Face à ce mécontentement, le gouvernement algérien a imposé un seuil de 20% de travailleurs nationaux dans les chantiers chinois de construction54. Dans le même ordre d’idées, le plan quinquennal 2010-2014 prévoyait que la réalisation de l’autoroute des Hauts-Plateaux serait confiée à des entreprises algériennes55. Pour ce projet, dont le lancement a été repoussé à juin 2014, le gouvernement dit tabler sur l’expérience acquise par ces entreprises dans le cadre notamment de la sous-traitance par les firmes chinoises et japonaises ayant construit l’autoroute Est-Ouest. Cependant, alors qu’en 2006 le consortium chinois CITIC-CRCC chargé des tronçons Centre et Ouest de l’autoroute s’était engagé à construire à ses frais, pour un montant de dix millions de dollars, un Institut supérieur des Travaux publics destiné à former des cadres algériens pour la réalisation du plan 2010-2014, et que le consortium japonais COJAAL, chargé du tronçon Est de l’autoroute, devait construire pour un montant identique un Centre national de contrôle de la qualité, ces deux projets attendaient toujours en janvier 2010 l’approbation du gouvernement algérien pour le lancement des travaux. Chinois et Japonais annoncèrent finalement qu’ils renonçaient à ces projets, sans que les autorités algériennes ne contestent publiquement leur décision56. Les plus qualifiés de ces expatriés sont très normalement attirés par de meilleurs salaires et des perspectives d’ascension professionnelle au sein de leur entreprise. Toutefois, comparés à ceux des employés occidentaux, les salaires des travailleurs chinois en Algérie sont très bas, comme dans cette entreprise hydraulique où un technicien chinois gagne 850 dollars par mois, contre 2 500 pour un technicien français et environ 200 pour un ouvrier algérien57. De grandes différences dans les comportements hiérarchiques peuvent aussi être observées : « les cadres supérieurs [chinois] se mobilisent à chaque arrivée de marchandises et de fournitures et participent à leur déchargement », ce qui « est une façon pour eux de mettre en valeur le travail collectif et de soutenir l’ensemble des résidents de la base de vie » ; ces

53

Ibid. La presse s’est faite l’écho à plusieurs reprises de manifestations de travailleurs chinois protestant contre des retards de salaires, comme ceux d’une entreprise de construction à Tiaret qui barrèrent la route nationale menant à Alger ; ou ceux qui, en mars 2011, à la stupeur des Algérois, marchèrent sur l’ambassade de Chine boulevard des Martyrs, rouant de coups et jetant à terre un représentant de l’ambassade avant que des policiers n’interviennent pour le relever. En février 2013, des travailleurs de l’entreprise chinoise construisant le stade de Baraki à Alger arrêtèrent le travail, tentèrent marcher depuis leur base de vie jusqu’à l’ambassade de Chine mais furent empêchés par les forces anti-émeute de la Gendarmerie nationale…

54

Cet objectif semble rarement atteint (voir infra la contribution de Dzaka-Kikouta, Kern et Gonella).

55

Farida Souiah, op. cit., p. 143.

56

Oussama Nadjib, « Le consortium CITIC-CRCC s’estime victime d’une campagne malveillante », Le Quotidien

d’Oran, 15 novembre 2011, www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5160462. 57

(13)

[13]

cadres « conduisent eux-mêmes leurs véhicules, ils n’ont pas de chauffeurs permanents à leur service pour leurs déplacements à l’extérieur. […] un chef d’équipe n’hésite jamais à se salir les mains à côté des ouvriers »58. Souvent, ces cadres et employés « sont de jeunes urbains, venant de toute la Chine. Ils sont fiers de représenter la modernité chinoise. […] Ils voient leur aventure africaine comme temporaire. Ils pensent à un retour en Chine ou à une ré-émigration vers un autre pays. Ils sont là uniquement pour favoriser leur carrière. Ils se perçoivent davantage comme des expatriés au sens contemporain du terme que comme des migrants »59.

Au-delà de la transmission de connaissances et de savoir-faire, la formation est un véhicule des relations humaines. Les entreprises chinoises en Afrique, contrairement aux occidentales, mènent de multiples actions en ce sens, en créant notamment des centres de formation d’ingénieurs et techniciens dans des métiers et compétences dont elles ont besoin (en particulier dans le BTP et les télécommunications)60. Dans les années 1950 à 2004, près de 17 860 étudiants africains auraient été accueillis dans les universités chinoises avec une bourse du gouvernement chinois, et le nombre des étudiants africains en Chine s’élèverait en 2012 à 30 000 personnes dont une centaine d’Algériens. En Algérie également, de nombreuses initiatives ont été prises par les entreprises chinoises61. Au-delà de sa nécessité pour les échanges et la formation, l’apprentissage de la langue est aussi un signe d’intérêt réciproque. Les Algériens sont souvent impressionnés de voir les Chinois qui s’installent dans leur pays apprendre l’arabe, ce que ne font pas en général les occidentaux, qui préfèrent parler le français. Par ailleurs, il existe un réel engouement parmi les Algériens pour l’apprentissage du chinois, mais très peu de possibilités leur sont proposées62. L’Algérie, qui avait expérimenté l’enseignement du chinois dès les années 1980, accuse aujourd’hui un retard par rapport à l’Afrique, où 45 Instituts Confucius ont été créés depuis 2005 dans 28 pays différents y compris au Maghreb63.

Même si elle connaît un reflux après l’affluence des années 2000, la présence de migrants et d’expatriés chinois en Algérie n’est probablement pas un phénomène conjoncturel, mais

58

Ibid.

59

Voir infra la contribution de Carine Pina-Guerassimoff.

60

Voir infra la contribution de Dzaka-Kikouta, Kern et Gonella.

61

La CITIC-CRCC, dont nous avons vu que l’offre d’un centre de formation avait été entravée, aurait envoyé 240 étudiants en Chine pour une formation dans la gestion des grands travaux (Oussama Nadjib, op. cit.). ZTE a inauguré en janvier 2007 à Oran en partenariat avec l’École nationale des postes et télécommunications (ENPT) un centre de formation (www.algerietelecom.dz/siteweb.php?p=actualite_ detail&ref=137). De même Huawei a en projet un centre de formation aux TIC à Alger (voir infra la contribution de Rachid Mira et Fatiha Talahite).

62

Outre quelques initiatives privées, dans le public seul le Centre d'enseignement intensif des langues (CEIL) à Beni Messous, dépendant de l’université d’Alger, propose depuis 2011 une formation pour adultes.

63

Voir le site des Instituts Confucius à www.chinesecio.com/m/cio_wci. Deux instituts ont été créés au Maroc (à Rabat en 2009 et un autre à Casablanca en 2013). Un institut a été créé en Tunisie à Sfax en 2014. En Algérie, une demande d’agrément est bloquée car la dénomination de l’Institut poserait problème. « On nous a dit que Confucius faisait référence à notre religion », explique un professeur de chinois (Samir Azzoug, « Pour l'installation de l'Institut Confucius en Algérie », El Watan, 5 février 2014, www.elwatan.com/hebdo/etudiant/pour-l-installation-de-l-institut-confucius-en-algerie-05-02-2014-244714_264.php).

(14)

[14]

s’inscrit au contraire dans une tendance de fond en Afrique qui devrait s’étendre et se transformer au rythme de l’approfondissement des relations économiques et commerciales avec la Chine. On assiste à la construction d’un l’espace migratoire sino-africain qui se structure et tend à s’institutionnaliser avec l’édiction de législations visant à encadrer et à contrôler l’immigration et les activités menées par les migrants, en Afrique comme en Chine64. Dans l’autre sens, des Africains, dont des Algériens, vont tenter leur chance en Chine65.

4. UNE RELATION SINGULIÈRE

La présence chinoise en Algérie est loin d’avoir révélé toutes ses facettes. Beaucoup de questions restent à élucider. Il apparaît que, comparées aux autres relations sino-africaines, les relations sino-algériennes présentent certaines singularités. Ainsi, l’Algérie ne cherche pas à obtenir d’accord global incluant prêts, aide et services en échange d’un accès à des ressources stratégiques pour les entreprises chinoises. Dans le domaine militaire, elle ne demande pas des armes bon marché et bas de gamme, comme les autres pays en développement qui absorbent l’excédent d’armes chinoises ainsi que les équipements militaires dont l’armée chinoise se défait. Au contraire, elle vise en priorité un matériel de haute technologie car elle veut faire de son armée l’une des plus modernes d’Afrique. L’Algérie n’a pas de besoins pressants de financement et est plus intéressés par l’assistance technique et le transfert de technologie en vue de favoriser son développement et la diversification de son économie. Ainsi, cherche-t-elle en priorité à financer elle-même ses projets. Souvent en Afrique, les faibles capacités techniques et financières ainsi que le manque de main-d’œuvre qualifiée des entreprises locales font que les entreprises chinoises de construction favorisent des modes de pénétration des marchés qui ne permettent pas le transfert de connaissances et de savoir-faire. Néanmoins, au Maghreb et notamment en Algérie »les entreprises chinoises du BTP sembleraient plus disposées à conclure de tels partenariats »66. Dans ce pays, les groupes chinois de construction dominent le secteur du BTP et du logement (80% des contrats), ce qui en fait l’un des marchés les plus importants dans ce secteur pour la Chine. Enfin, dans le domaine énergétique, les contrats conclus par des entreprises chinoises demeurent limités, les principaux clients de l’Algérie pour le gaz notamment restant les européens.

Il ressort également de l’étude des relations sino-algériennes que deux mouvements aux rythmes contrastés se conjuguent : d’une part, celui des échanges commerciaux, qui démarre lentement dans les années 1960, pour connaître une croissance progressive qui s’accélère dans les années 1980-2000 ; de l’autre, des entreprises chinoises avec leur main-d’œuvre, arrivent de manière soudaine et massive dans les années 2000. Les effets sur

64

Voir infra la contribution de Carine Pina-Guerassimoff.

65

Saïd Belguidoum et Olivier Pliez, « Construire une route de la soie entre l'Algérie et la Chine », Diasporas, n° 20, 2012, p. 115-130.

66

Voir infra la contribution de Théophile Dzaka-Kikouta, Francis Kern et Chiara Gonella sur l’aide chinoise et les transferts de technologie.

(15)

[15]

l’économie et la société algérienne de ces deux phénomènes sont très différents. Autant le premier a pu être métabolisé et se fondre dans le paysage, accompagnant la formation d’un capital marchand niché dans les réseaux d’importation, autant le second, bien qu’ayant incontestablement permis de réaliser un bond par rapport au retard accusé dans les années 1990, a produit une onde de choc dont on n’a pas encore mesuré tous les effets. En particulier, si certaines réactions populaires d’hostilité à la présence chinoise, pourtant marginales, ont été très médiatisées67, celles des puissants réseaux d’affaires occidentaux — à commencer par les français — et de leurs relais locaux, demeurent opaques. La signature par les pays de l’OCDE de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (en juillet 2000 pour la France68) bouleversait les habitudes en matière de commissions sur les marchés publics. Aussi ces réseaux ont-ils pu tenter de discréditer les entreprises chinoises et ce d’autant plus facilement que celles-ci semblent n’avoir pas toujours été très discrètes dans leur manière de procéder69.

Il semblerait aujourd’hui que les décideurs algériens balancent entre deux stratégies. D’une part, ils tendraient à confiner la présence chinoise à des domaines ne concurrençant pas leurs partenaires traditionnels, en limitant les importations à des produits bon marché et bas de gamme destinés essentiellement à la consommation populaire et en cantonnant les entreprises au secteur de la construction — ce qui ne les empêche pas d’agiter la concurrence chinoise pour augmenter leur pouvoir de négociation auprès de leurs partenaires occidentaux. D’autre part, ils seraient tentés par la perspective de s’appuyer sur les performances chinoises pour donner une impulsion à la croissance, en ouvrant le marché à des produits et des coopérations dans des domaines technologiquement plus sophistiqués70 , voire en s’engageant plus avant dans des projets communs71. L’économie chinoise évoluant rapidement et offrant plus de produits à forte valeur ajoutée à des prix concurrentiels, le gouvernement algérien peut espérer développer ainsi des industries capitalistiques utilisant des technologies avancées.

67

Les « rixes entre commerçants algériens et chinois [qui] ont éclaté durant l’été 2009 dans une banlieue d’Alger» (infra, Samia Hammou et Thierry Pairault) ont vite été interprétées comme une réaction d’hostilité de jeunes au chômage envers les travailleurs chinois (infra, Carine Pina-Guerassimoff ).

68

Ratifiée en juillet 2000 par la France où, jusqu’à cette date, ces commissions étaient légales et même encouragées, puisque déduites de l’impôt des entreprises qui les payaient.

69

Voir infra les contributions de Dzifa Kpetigo et de Rachid Mira et Fatiha Talahite.

70

« L’Algérie veut plus d’investissements chinois dans l’industrie, la défense et les technologies », Maghreb

Emergent, 22 décembre 2013.

www.maghrebemergent.com/component/k2/item/33038-l-algerie-veut-plus-d-investissements-chinois-dans-l-industrie-la-defense-et-les-technologies.html.

71

« Après des années d'investissement directs dans les pays africains, il est temps pour la Chine de se joindre à ses partenaires du continent pour explorer d'autres marchés», déclarait le président du Conseil de la Nation au Forum asiatique de Boao, en Chine, où il représentait le chef de l'Etat algérien, suggérant d'aller vers une nouvelle formule de coopération entre les entreprises des deux pays afin d’investir ensemble dans d'autres pays africains ou arabes, «Afrique et pays arabes : L'Algérie propose à la Chine des investissements communs », Le Quotidien d'Oran, 9 avril 2013.

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