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La politique économique allemande, retour du mercantilisme à l’époque de la mondialisation ?

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Biographie de l’auteur, principales publications et thèmes de recherche : Biographie :

Pierre Baudry est agrégé d’allemand et ATER à l’Université de Dijon. En 2020, il a reçu 5 propositions de postes comme ATER. Il a fait ses études à l’Université de Heidelberg (Allemagne) en lettres, histoire et science politique. Il rédige une thèse sur la politique économique de l’Allemagne sous Angela Merkel pendant la crise de l’euro (directeur de thèse, Philippe Portier) à l’EPHE/PSL. La soutenance est prévue pour janvier 2021. P. Baudry a participé à de nombreuses conférences internationales (ECPR, ISA, diverses conférences en France, Italie et en Allemagne).

Thèmes de recherches :

- Démocratie-chrétienne allemande sous Angela Merkel et l’évolution des clivages politiques en Allemagne

- Politique économique et monétaire de l’Allemagne depuis l’an 2000. - Politique internationale et européenne de l’Allemagne (2000-2017)

Principales publications :

- A paraître en 2021 : direction d’un numéro spécial sur Les acteurs religieux sur la scène

internationale (titre provisoire), Etudes internationales, revue de l’Université de Laval

(Québec). Il s’agit d’un choix d’articles suite à la conférence de 2018 sur les acteurs religieux dans les relations internationales (EPHE, Science Po Paris, EHESS) et dont j’étais le principal organisateur.

- A paraître en 2021 : « Migration and Religion in Germany » (titre provisoire). Chapitre en anglais pour le Handbook on Migration and Religion, manuel encyclopédique de référence en langue anglaise chez l’éditeur Bloomsbury. Lien vers les Handbooks de Bloomsbury : https://www.bloomsbury.com/uk/series/bloomsbury-handbooks/

- A paraître en 2020 : « Quand des leaders populistes utilisent les organisations

internationales à leur avantage : le cas de Donald Trump et des dirigeants d’Alternative für Deutschland », Politique américaine. Politique américaine est revue de rang A

(AERES) à comité de lecture. Lien vers cet article dans la base de données HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02400763

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- A paraître en 2020 : « Quand gauche et droite votent les mêmes lois : Angela Merkel et les

réformes Hartz de Gerhard Schröder », Revue d’Allemagne et des pays de langue

allemande, Strasbourg. Article accepté, épreuves relues. Lien vers cet article sur la base de données HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02400546

- 2020 : Essai bibliographique : « Les apports de l’économie politique et de la sociologie

du travail aux études sur les migrations », Critique internationale, revue du

CERI/Sciences Po, essai de 26.000 signes/10 pages. URL de cet essai en ligne : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2020-1-page-211.htm

- 2018 : « La CDU/CSU sous Merkel, des partis en phase de modernisation ? Les

conservateurs allemands, la politique familiale et des enjeux de genre », Revue

d’Allemagne et des pays de langue allemande, Strasbourg. Article publié dans un dossier dirigé par Michel Fabréguet, professeur à l’IEP de Strasbourg. Le dossier porte sur « Les élections législatives de 2017 » en Allemagne et en Autriche. DOI 10.4000/allemagne.647 . Lien vers cet article : https://journals.openedition.org/allemagne/647

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La politique économique allemande, retour du

mercantilisme à l’époque de la mondialisation ?

Résumé :

L’Allemagne mène-t-elle une politique économique mercantiliste ? Et dans quelle mesure une telle stratégie est-elle possible à l’heure de la mondialisation ? Notre hypothèse est que la politique économique allemande repose en réalité sur une nouvelle forme de mercantilisme que nous proposons d’appeler néo-mercantilisme, qui repose sur des instruments nouveaux différents de ceux du mercantilisme traditionnel. La stratégie allemande consiste non pas à dresser des barrières douanières ou à dévaluer sa monnaie, mais à faire baisser les salaires réels et à baisser les charges sociales pour réduire le coût du travail et à investir dans la recherche pour maintenir son avance technologique. Le néo-mercantilisme ne rejette pas le libre-échange : il s’y adapte pour maintenir la position économique allemande.

Abstract:

Does Germany follow a mercantilist policy? And to what extent is such a strategy possible in the age of globalization? My hypothesis that German economic policy is in fact based on a new form of mercantilism that I propose to call neo-mercantilism, which is based on new instruments different from those of traditional mercantilism. The German strategy is not about introducing customs barriers or devaluating its currency. It is about lowering real wages and diminishing payroll taxes to reduce labor cost and about investing in research to maintain its technological lead. Neo-mercantilism does not reject free trade: it adapts itself to maintain Germany’s economic leading position.

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Introduction

La science politique a appris à se réapproprier les questions d’économie politique et en particulier d’économie politique internationale (EPI). S’appuyant sur les travaux de l’école de la régulation, sur des les keynésiennes ou post-keynésiennes, la science politique et la science économique ont contribué à repenser la question du capitalisme, de l’euro et des inégalités. Des publications collectives1, des travaux collectifs menés au travers de l’Association française de science politique2, des thèses de doctorat ont contribué à redonner vigueur à l’EPI3. Une des raisons de regain d’intérêt tient à la crise économique de 2008 et aux bouleversements qu’a connus alors le capitalisme international. Des notions et des politiques autrefois oubliées – interventionnisme, relance, dépense publique, keynésianisme – ont retrouvé une légitimité dans le discours politique face à l’écroulement du système financier international.

Dans ce contexte, la politique économique allemande durant la crise de l’euro a en particulier attiré l’attention des observateurs et a suscité de nombreux débats. La politique « ordolibérale » de Berlin pendant la crise de la monnaie unique, sa défense d’une politique de rigueur budgétaire alors que les excédents commerciaux sont très importants, a suscité des discussions nombreuses. Ceci a amené la presse économique4, des économistes de renom – Paul Krugman5 et Joseph Stiglitz6 notamment – et le FMI à considérer que l’Allemagne menait une politique d’austérité dangereuse pour elle et ses partenaires et qui pouvait être qualifiée de mercantiliste7. Mais la politique économique allemande est-elle vraiment mercantiliste ? La notion de mercantilisme n’est-elle pas dépassée dans le contexte de l’ouverture des marchés et de la libéralisation internationale ? Comment concevoir une

1 Colin Hay et Andy Smith (dir.), Dictionnaire d’économie politique: capitalisme, institutions, pouvoir, Paris, SciencesPo les presses, 2018, 468 p.

2 Voir notamment la création du groupe de travail au sein de l’Association française de science politique “régulations, marchés, capitalisme”.

3 Clément Fontan, Une institution politique à l'épreuve de la crise : la Banque Centrale Européenne dans

l'Union Economique et Monétaire, Thèse de doctorat soutenue à l’Université de Grenoble, 2012. Raphael Fèvre, L’ordolibéralisme (1932-1950): une économie politique du pouvoir. Economies et finances. Université

Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Christophe Farquet, La défense du paradis fiscal suisse avant la Seconde

Guerre mondiale: une histoire internationale: analyse de la politique helvétique dans les négociations sur la double imposition et l’évasion fiscale durant l’entre-deux-guerres, Neuchâtel, Éditions Alphil-Presses

universitaires suisses, 2016, 541 p.

4 Gilbert Kreijger, « Germany First: The Return of Mercantilism », Handelsblatt, 6/2/2017. 5 Paul Krugman, « The Harm Germany Does », Paul Krugman Blog, 01/11/2013.

6 Joseph Stiglitz, “Is Mercantilism doomed to fail, China, Germany and Japan and the exhaustion of debtor countries”, Conférence prononcée à l’institute for New Economic Thinking's (INET) Paradigm Lost Conference in Berlin 13/4/2012.

7 Fond Monétaire international, Germany; Article IV Consultation – Press Release; Staff Report and Statement

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politique guidée par une stratégie économique non-coopérative dans un contexte d’ouverture des frontières et de libéralisation des marchés ? Comment résoudre l’apparent paradoxe qu’un pays puisse mener une politique « d’égoïsme économique » alors que les impératifs économiques depuis les années 1980 incitent à une ouverture économique grandissante ?

Pour aborder ces questions, nous proposons l’hypothèse que l’Allemagne poursuit bien une politique mercantiliste, mais il s’agit d’un mercantilisme d’un type nouveau que nous proposons d’appeler néo-mercantilisme. La politique économique allemande consiste bien à accumuler des capitaux en privilégiant les exportations sur les importations. Ses finalités sont donc comparables à celle du mercantilisme traditionnel qui visait à accumuler des capitaux par une politique d’exportation offensive. Mais la politique allemande repose néanmoins sur des instruments nouveaux éloignés du mercantilisme traditionnel : création de barrières douanières, dévaluation compétitive de sa devise nationale, subventions aux entreprises nationales. Parmi les instruments spécifiques du néo-mercantilisme, nous entendons mettre en avant des aspects de la politique économique allemande négligés par la recherche : augmentation des dépenses de recherche et développement, soutien aux pôles de compétitivité régionaux, transformation du système de financement du système social, effort pour améliorer le niveau de formation des jeunes Allemands. Ces politiques consistent à repenser la manière dont l’Etat allemand agit sur l’économie, mais sans se limiter à une politique d’ « austérité ».

Nous entendons contribuer ainsi aux débats sur la politique économique allemande présentée tantôt dans le discours politique allemand comme un modèle à suivre pour les autres pays européens, tantôt comme un repoussoir en raison de l’augmentation des inégalités outre-Rhin. Nous espérons en particulier montrer la diversité des politiques publiques menées en Allemagne depuis les années 2000 et qui ne se réduisent nullement à une simple logique d’austérité. Nous voulons en particulier mettre en avant la transformation du système fiscal allemand qui tend à l’éloigner du modèle bismarckien traditionnel et qui vise à répondre au vieillissement de la population allemande.

Dans un premier temps, nous revenons sur la littérature concernant le mercantilisme allemand et la singularité du capitalisme allemand. Nous exposons ensuite notre propre concept de néo-mercantilisme et notre méthodologie. Dans un deuxième temps nous revenons les finalités de la politique économique allemande qui consistent à accumuler des capitaux par de fortes exportations tout en réduisant les dépenses publiques. Enfin nous montrons que l’Allemagne recourt pour cela à deux types de politique publique : une baisse du coût du travail et des investissements très importants dans la recherche et dans l’innovation.

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1 Partie I : Proposition pour repenser le mercantilisme

dans le contexte de la mondialisation

1.1 Une recherche dominée par les approches keynésiennes et

comparatistes

L’hypothèse centrale du présent article est que l’Allemagne mène depuis les années 2000 une politique néo-mercantiliste. Une telle politique vise à soutenir les exportations et à accumuler des devises tout comme le mercantilisme traditionnel, mais en recourant à des instruments de politique publique innovant. Le néo-mercantilisme consiste en effet à intégrer les contraintes de la mondialisation en mettant en place des politiques publiques horizontales. Afin d’examiner la validité de cette hypothèse, nous voulons revenir sur la littérature économique et d’économie politique relative à la politique commerciale allemande (1.1.), exposer notre modèle théorique (1.2.) et enfin nos sources et notre méthodologie (1.3.).

La littérature sur la politique économique et sur le capitalisme allemand est dominée par les travaux d’inspiration keynésienne et par le paradigme des variétés du capitalisme. Stop

En ce qui concerne le concept de mercantilisme, il s’avère central dans l’émergence de la pensée économique moderne malgré le discrédit qui a été jeté sur lui depuis les années 1980. Dès les premiers travaux des penseurs libéraux, la défense du libre-échange, de l’ouverture des marchés et de la spécialisation productive des pays a été placée au cœur de l’attention de la science économique8. Adam Smith (1723-1790) joue ici un rôle central. Dans un passage célèbre de La Richesse des Nations il critique le « système mercantile »9. Il se réfère en particulier à la politique coloniale menée par les Anglais sur le continent américain visant à protéger les marchands proches du pouvoir au travers de mesures protectionnistes. Il critique la vision qui sous-tend cette politique qui consiste à vouloir drainer l’or étranger, à éviter la sortie de son propre or et à thésauriser des capitaux de cette manière. Cependant, un contre-discours protectionniste et interventionniste a vu le jour dès le premier tiers du XIXème siècle au sein des nations qui se sentaient menacées par la puissance économique britannique. Aux Etats-Unis, Alexander Hamilton (1757-1804), et en Allemagne, Friedrich

8 Le travail classique sur le mercantilisme est Eli Heckscher, Mercantilism. New York: Garland Pub, 1983. Pour une approche critique du concept de mercantilisme voir Jérôme Blanc et Ludovic Desmedt, “In search of a ‘crude fancy of childhood’: deconstructing mercantilism”. Cambridge Journal of Economics, 38(3), 585-604, 2014 ; Donald Coleman, Revisions in mercantilism. New York: Barnes & Noble, 1969 ; Lars Magnusson, (ed.), Mercantilist economics. Boston: Kluwer Academic Publishers, 1993 ; Lars Magnusson, The political

economy of mercantilism. London : New York: Routledge Taylor & Francis Group, 2015.

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List (1789-1856) ont joué un rôle central10. Un des apports de leurs travaux tient à ce qu’ils ont conçu une politique protectionniste et d’intervention de la part de l’Etat pour mettre en place des infrastructures publiques nécessaires à la modernisation économique11.

Or, avec la vague de libéralisation mise en place à partir des années 1980/1990 par la création de l’OMC et le soutien au libre-échange ont apparemment contribué à jeter le discrédit sur ces politiques protectionnistes et d’intervention publique. Mais la crise de 2008 et le retour des politiques interventionnistes ont contribué à jeter le discrédit à leur tour sur le capitalisme mondial et sur la finance internationale. L’Etat a retrouvé sa légitimité et les politiques monétaires sont devenues plus flexibles après presque 30 ans de rigueur budgétaire. C’est dans ce contexte que le thème du mercantilisme a fait son retour en ce qui concerne l’Allemagne. L’Allemagne de Merkel a été en effet l’objet des critiques de la part d’économistes qui considèrent que ce pays n’a pas assumé ses responsabilités pendant la crise financière et économique12. Berlin n’aurait pas suffisamment contribué à la consommation mondiale en dépit de son rôle d’hégémon régional13. Au lieu de soutenir le marché européen qui ne constitue plus un débouché rentable pour elle, l’Allemagne aurait préféré mener une politique de rigueur budgétaire et de maintien de ses excédents commerciaux tout en imposant une politique d’austérité à la Grèce14. Ces théories sont défendues notamment par Matthias Matthijs qui avance ainsi :

« Selon Eurostat, alors que l'excédent commercial de l'Allemagne avec le reste de l'UE s'élevait à 46,4 milliards d'euros en 2000, il avait atteint 126,5 milliards d'euros en 2007. Si on observe l'évolution des excédents commerciaux bilatéraux de l'Allemagne avec les pays méditerranéens, entre 2000 et 2007, il s'est maintenu chaque année. Le déficit avec la Grèce est passé de 3 milliards d'euros à 5,5 milliards d'euros, l'Espagne a presque triplé de 11 milliards d'euros à 27,2 milliards d'euros, l'Italie a doublé de 9,6 milliards à 19,6 milliards d'euros et le Portugal a quadruplé de 1 milliard à 4,2

10 Les études sur les politiques protectionnistes et de rattrapage industriel ont connu un regain avec les travaux de Chang : Ha-Joon Chang, Kicking away the ladder: development strategy in historical perspective. London: Anthem, 2002 ; Ha-Joon Chang, Bad Samaritans: The Myth of Free Trade and the Secret History of

Capitalism, Bloomsbury, 2008 ; Ha-Joon Chang, 23 things they don’t tell you about capitalism. New York:

Bloomsbury Press, 2012. Pour une étude des politiques industrielles de rattrapage voir pour le cas français : Elie Cohen, Le colbertisme « high tech » : économie des Telecom et du Grand projet, Paris, Hachette, 1992, 404 p. Pour une vision renouvellée des politiques industrielles voir Dani Rodrik, Industrial Policy for the Twenty-First

Century, SSRN Scholarly Paper No ID 617544, 2004 ; Danid Rodrik, Mercantilism Reconsidered, Project Syndicate, 10/7/2009, URL : http://www.project-syndicate.org/commentary/mercantilism-reconsidered , consulté le 29 juin 2020.

11 Sur les stratégies industrielles de rattrapage : Élie Cohen, Le colbertisme « high tech » : économie des

Telecom et du Grand projet, ibidem.

12 Simon Bulmer et William E. Paterson, « Germany as the EU’s reluctant hegemon? Of economic strength and political constraints », Journal of European Public Policy, vol. 20, no 10, p. 1387-1405, 2013; Matthias Matthijs

Kathleen McNamara, “The Euro Crisis’ Theory Effect: Northern Saints, Southern Sinners, and the Demise of the Eurobond,” Journal of European Integration 37 no. 2: 229-245, 2015.

13 Charles P. Kindleberger, The world in depression, 1929-1939, Berkeley, University of California Press, 1986, 355 p.

14 Julian Germann, « Beyond ‘geo-economics’: Advanced unevenness and the anatomy of German austerity »,

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milliards d'euros (…). Le déficit bilatéral de la France avec l'Allemagne a régulièrement augmenté, passant de 12 milliards d'euros en 1999 à 37 milliards d'euros en 201215. »

Paul Krugman, un autre économiste critique de la politique allemande, relève pour sa part les deux facteurs caractéristiques de la politique économique de l’Allemagne : d’importants surplus commerciaux et un faible niveau de dépenses publiques16. Il considère que l’Allemagne a continué à accumuler des excédents commerciaux alors que l’Europe du Sud était en grande difficulté économique17. Le problème tiendrait à une obsession typiquement allemande à faire baisser la dette publique18. Stiglitz défend lui aussi l’idée que l’Allemagne mène une politique de restriction budgétaire trop rigide. Selon lui, l’Allemagne n’assume pas son rôle dans la zone euro et devrait davantage soutenir la monnaie unique pour éviter son implosion19.

Le second paradigme central pour comprendre les spécificités du capitalisme allemand contemporain relève de la théorie des variétés du capitalisme et des théories de Peter Katzenstein. Il a été développé par Wolfgang Streeck, Ann Kathleen Thelen20, Peter Hall et David W. Soskice21. Selon ces auteurs, il existerait fondamentalement deux types de capitalisme : un modèle anglo-saxon centré sur le marché concurrentiel, un système financier très développé, un fort niveau de dérégulation et un modèle de protection sociale faible. Le second paradigme représenté notamment par l’Allemagne et le Japon repose sur un fort niveau de coopération entre partenaires sociaux, un financement par des banques d’entreprises ou coopératives et par un niveau de régulation fort. L’Etat-providence de type bismarckien domine dans ce modèle avec des prestations sociales relativement fortes. En ce qui concerne les travaux de Katzenstein22, son approche ne relève pas directement des théories des variétés du capitalisme. Mais il propose une analyse de la différence fondamentale entre les grands et

15 Matthias Matthijs, Reading Kindleberger in Washington and Berlin: Ideas and Leadership in a Time of Crisis, APSA 2014 Annual Meeting Paper, p. 32 sqq.

16 Sur les positions de Paul Krugman voir : Paul R. Krugman, End this depression now!, Norton paperback edition., New York, W. W. Norton and Company, 2013, 259 p.

17 Paul Krugman, “Those depressing Germans”, New York Tirmes, 4/3/2013, URL :

https://www.nytimes.com/2013/11/04/opinion/krugman-those-depressing-germans.html , consulté le 28 juin 2020.

18 Paul Krugman, “The World has a Germany Problem”, New York Times, 19/08/2019,

https://www.nytimes.com/2019/08/19/opinion/trump-germany-europe.html , consulté le 28 juin 2020.

19 Joseph Stiglitz, “Is Mercantilism doomed to fail, China, Germany and Japan and the exhaustion of debtor countries”, Conférence prononcée à l’institute for New Economic Thinking's (INET) Paradigm Lost Conference in Berlin 13/4/2012.

20 Wolfgang Streeck et Kathleen Ann Thelen (dir.), Beyond continuity: institutional change in advanced political

economies, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2005, 290 p.

21 Peter A. Hall et David W. Soskice, Varieties of capitalism: the institutional foundations of comparative

advantage, Oxford [England] ; New York, Oxford University Press, 2001, 540 p.

22 Peter J. Katzenstein, Small states in world markets: industrial policy in Europe, Ithaca, N.Y, Cornell University Press, 1985, 268 p. ; Peter J. Katzenstein, Corporatism and change: Austria, Switzerland, and the

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les petits Etats dans l’économie mondiale qui intègre le rôle des institutions nationales. L’élément distinctif entre ces deux types d’Etat tient au fait que la taille du marché intérieur est trop modeste pour pouvoir absorber l’offre économique des entreprises des petits pays. Ils doivent chercher des débouchés à l’étranger et s’appuyer sur la demande extérieure pour trouver des débouchés dont leurs entreprises ont besoin23. Ceci explique pourquoi les petits pays sont partisans d’une politique de libre-échange. La deuxième caractéristique de ces petits pays tient à leur caractère corporatiste et à la coopération étroite entre la recherche fondamentale et l’innovation industrielle. La troisième caractéristique de ces pays tient à leur préférence pour des politiques publiques économiques indirectes et non-interventionnistes24.

A partir de cette revue de la littérature, on peut relever premièrement que la notion de mercantilisme s’avère peu opératoire en tant que telle. L’Allemagne ne vise pas à accumuler des stocks d’or. Elle ne recourt pas non plus aux instruments traditionnels du mercantilisme : elle ne fait pas appel par exemple à des politiques industrielles interventionnistes ou protectionnistes. Quant au fait que l’euro soit sous-évalué par rapport aux performances de l’économie outre-Rhin – fait souvent argué pour expliquer la compétitivité allemande – cela ne relève pas d’une politique publique volontaire de la part de l’Allemagne, mais d’une donnée macro-économique plus globale liée notamment à la modération salariale allemande25. Si on veut défendre l’idée d’une stratégie mercantiliste allemand, il faut être capable de comprendre comment un Etat peut mener une telle politique dans le contexte de la concurrence internationale et de l’ouverture des marchés mondiaux.

En ce qui concerne la théorie des variétés du capitalisme, sa limitation principale par rapport à notre approche tient en ce qu’elle consiste en une analyse comparée formes de capitalisme et non pas en une étude des politiques commerciales menées par les Etats. Cette théorie demeure centrée sur les spécificités socio-économiques structurelles du modèle rhénan et sur les modalités de coordination au sein du capitalisme japono-allemand et anglo-saxon. Elle relève de l’étude des institutions et de la dynamique entrepreneuriale surtout dans les travaux de Peter Hall et David W. Soskice. Son objet diffère du nôtre qui part d’un niveau d’étude agrégé – les institutions, l’Etat et la compétition mondiale – et de l’idée que le cadre institutionnel peut être modifié en fonction des intérêts économiques des Etats. Nous raisonnons ainsi au travers d’un cadre qui relève de l’analyse du « nationalisme » ou du « réalisme » économique et non d’une approche comparée des institutions du capitalisme.

23 Peter J. Katzenstein, Small states in world markets: industrial policy in Europe, ibidem, chapitre 1. 24 Peter J. Katzenstein, Small states in world markets: industrial policy in Europe, ibidem, p. 49.

25 Sur la sous-évaluation de l’euro pour l’Allemagne voir par exemple

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Néanmoins, nous intégrons une partie des outils théoriques de ce modèle en examinant le rôle des institutions, mais en nous appuyant sur les travaux de Peter Katzenstein. Nous voulons ainsi comprendre ces dernières comme un ensemble d’instruments pour s’adapter aux contraintes de la mondialisation afin de maintenir un haut niveau d’exportation dans la mondialisation. Nous nous appuyons sur la notion d’innovation qui est centrale chez Hall et Soskice. Nous tenterons ainsi d’expliquer les dynamiques d’innovation et de croissance endogène à l’exemple de l’Allemagne26. Nous examinerons ainsi les mesures de soutient l’investissement afin de maintenir son avance sur les produits à forte valeur ajoutée. La recherche économique depuis les travaux de Michael Porter et sur la géographie économique27 a ainsi insisté sur l’importance des pôles de compétitivité régionaux. Un des apports de la recherche économique depuis les années 1990 consiste en effet à insister sur les phénomènes de regroupement régionaux et de concentration des pôles économiques. Ces apports venant de la géographie économique complètent ceux venant d’un autre sous-courant de la recherche économique, les théories de la croissance endogène développées notamment par Philippe Aghion28.

1.2 Notre modèle théorique : le concept de néo-mercantilisme

En raison des limites du concept de mercantilisme dans le contexte économique libéral, doit-on l’abandonner alors pour autant pour caractériser la politique économique de l’Allemagne ? Dans ce qui suit, nous proposons de maintenir le concept de mercantilisme, mais en le repensant à la lumière des travaux sur les variétés du capitalisme et surtout de ceux de Peter Katzenstein. Nous voulons en effet développer un modèle théorique qui décrive la politique économique allemande en s’intéressant au rôle des politiques publiques horizontales et aux stratégies d’adaptation des institutions nationales aux contraintes de la mondialisation.

Notre approche consiste à introduire le concept de néo-mercantilisme pour désigner

26 Peter A. Hall et David W. Soskice, Varieties of capitalism: the institutional foundations of comparative

advantage, ibidem, p. 36 sqq.

27 Michael Porter, Clusters and the new economics of competition, Harvard Business Review, 1998. Sur la géographie économique, voir Paul R. Krugman, Development, geography, and economic theory, Cambridge, Mass., MIT Press, 2002, 117 p. ; Paul Krugman, Geography and trade, Nachdr., Leuven, Leuven Univ. Press, 2002, 142 p.

28 Sur l’innovation économique, voir les travaux classiques de Joseph A. Schumpeter, Theorie der

wirtschaftlichen Entwicklung, Nachdruck der 1. Auflage von 1912., Berlin, Duncker & Humblot, 2006, 548 p. ;

Philippe Aghion, Peter Howitt, et Leonardo Bursztyn, The economics of growth, Cambridge, Mass, MIT Press, 2009, 495 p. ; Philippe Aghion, Peter Howitt, Maxine Brant-Collett, et Cecilia García-Peñalosa, Endogenous

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des politiques qui partagent les mêmes finalités que mercantilisme traditionnel, mais qui s’appuient sur des instruments et sur des politiques publiques repensés et adaptés à la mondialisation. Si le néo-mercantilisme existe véritablement, il doit avoir en commun avec le mercantilisme traditionnel de viser la plus grande accumulation possible de liquidités au travers d’une politique d’exportation soutenue, mais en recourant à des moyens compatibles avec la mondialisation. Nous avançons ainsi qu’il est possible pour un Etat de mener des stratégies qu’on peut qualifier de néo-mercantilistes même en contexte de mondialisation, d’ouverture des marchés internationaux et d’abandon des politiques interventionnistes traditionnelles. Le néo-mercantilisme se distingue du mercantilisme traditionnel car les instruments de politique publique qui sont à sa disposition diffèrent de celle du mercantilisme en raison des contraintes imposées par la mondialisation : ouverture des marchés, libéralisation de l’économie, libre circulation des capitaux et des biens.

Le néo-mercantilisme tout comme le mercantilisme vise ainsi à attirer des liquidités au travers des exportations et à accumuler une épargne de précaution. Le néo-mercantilisme est ainsi comparable au mercantilisme traditionnel par ses finalités qui consiste non pas à attirer l’or étranger tout en évitant la sortie de l’or national, mais à accumuler des liquidités grâce aux exportations. De plus, si on veut donner une définition crédible et précise du néo-mercantilisme, il faut considérer le fait que les motifs expliquant la thésaurisation de liquidités diffère nécessairement des anciennes logiques mercantilistes. Ces dernières visaient en effet l’accumulation de l’or qui était considéré comme la source principale de richesse. Dans le contexte contemporain, la thésaurisation peut correspondre à plusieurs logiques. Dans le cas de l’Allemagne, le but de cette accumulation de capitaux a pour but de répondre au vieillissement de la population allemande qui veut accumuler de l’épargne retraite30. Une telle pratique aboutit alors à un phénomène de sous-consommation afin d’augmenter la part de son épargne et aboutit aussi à une propension moindre à investir y compris au niveau de l’Etat31.

Au niveau des instruments de politique publique, les possibilités d’action du néo-protectionnisme diffèrent donc de ceux du mercantilisme. Le mercantilisme repose en effet

sur une politique directe et interventionniste dans un contexte de fermeture relative des

30 Matthias Schön et Nikolai Stähler, « When old meets young? Germany’s population ageing and the current account », Economic Modelling, juillet 2020, vol. 89, p. 315-336.

31 Maxime Fougère et Marcel Mérette, « Population ageing and economic growth in seven OECD countries »,

Economic Modelling, août 1999, vol. 16, no 3, p. 411-427 ; Vincenzo Atella et Lorenzo Carbonari, « Is

Gerontocracy Harmful for Growth? a Comparative Study of Seven European Countries », Journal of Applied

Economics, 1 mai 2017, vol. 20, no 1, p. 141-168 ; Philipp Jäger et Torsten Schmidt, « The political economy of

public investment when population is aging: A panel cointegration analysis », European Journal of Political

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marchés internationaux. En revanche, le néo-mercantilisme n’est pensable que comme un ensemble de politiques industrielles horizontales. Par politique industrielle horizontale, nous entendons par là des politiques publiques d’investissement dans les infrastructures, dans la recherche et la formation, le soutien à une politique d’innovation notamment en soutenant la création de pôles de compétitivité (clusters). Une telle politique consiste à mettre en place par des subventions ciblées, par le soutien à la coopération entre décideurs politiques locaux, recherche publique et entreprises innovantes. Une politique industrielle horizontale repose ainsi sur une logique d’investissement dans la recherche, de soutien au système scolaire et universitaire, de création d’incitations pour que le secteur privé investisse dans la recherche. Cette logique a pour but d’atteindre une compétitivité hors prix fondée sur la vente de biens et de services qui bien que plus coûteux que ceux de la concurrence internationale offre une qualité supérieure que les acheteurs sont prêts à acheter à un prix nominal plus élevé.

Un autre instrument disponible consiste en la baisse des coûts de production par des stratégies indirectes de réduction du coût du travail. Cette baisse peut être obtenue par la diminution ou la stabilisation des salaires réels même en contexte d’augmentation de la productivité afin d’obtenir des avantages en termes de compétitivité-prix. C’est le seul instrument disponible pour un pays qui veut faire baisser les prix de ses exportations, mais qui ne peut pas pratiquer une dévaluation volontaire, ce qui est caractéristique des pays engagés dans la mondialisation qui ont libéralisé leur politique monétaire. Une politique de déflation salariale est comparable à une politique de dévaluation compétitive, mais elle ne contrevient pas à la libéralisation des échanges monétaires. Un autre moyen consiste à sous-traiter ou à délocaliser la production vers des pays à faible coût afin de réduire les coûts. Une telle internationalisation amène alors à une baisse du coût de production des biens intermédiaires tandis que la conception du produit et sa finalisation demeurent entre les mains des entreprises des pays néo-mercantilistes. L’autre stratégie pour diminuer les coûts de production sans délocalisation ni baisse du salaire réel consiste à accepter une plus grande précarité et des salaires plus faibles pour une partie de la population qui fournira alors des prestations à un prix avantageux et servira de précariat facilement mobilisable32. Ainsi face aux contraintes du libre-échange et de la libéralisation, les stratégies mercantilistes pour continuer à gagner des parts de marché sont variées et s’appuient autant sur des politiques de baisse des coûts que sur le soutient à l’innovation. Le tableau (table 1) expose de manière synthétique entre les instruments propre au mercantilisme traditionnel et ceux du néo-mercantilisme.

32 Guy Standing, The precariat: the new dangerous class, Revised edition., London ; New York, Bloomsbury Academic, an imprint of Bloomsbury Publishing Plc, 2016, 230 p.

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Table 1 : Tableau synthétique sur le mercantilisme traditionnel et le néo-mercantilisme Mercantilisme traditionnel Néo-mercantilisme en contexte de

mondialisation Finalités

politiques

- Accumulation d’or - Accumulation de capitaux

Instruments de politique publique

- Politique industrielle verticale fondée sur l’intervention directe de l’Etat

- Protectionnisme

- Contrôle du taux de change - Interventionnisme étatique (planification, nationalisation, subventions aux entreprises publiques)

- Relocalisation de la production sur le territoire national

- Soutien à la croissance et à la demande intérieure

- Politique industrielle horizontale fondée sur la création d’un environnement propice à l’entreprenariat par des coopérations public/privé

- Politique de compétitivité prix au travers d’une baisse des coûts de production (baisse des salaires réels, sous-traitance/délocalisation dans des pays à faible coût, baisse des cotisations sociales)

- Politique de compétitivité hors prix (innovation, produits à forte valeur ajoutée)

Source : Recherches de l’auteur

Dans ce qui suit, nous voulons appliquer ces analyses à la politique économique allemande pour déterminer si cette dernière effectivement d’une logique néo-mercantiliste.

Méthodologie et sources :

Afin de déterminer l’exactitude du modèle néo-mercantiliste, nous devons d’abord déterminer si l’Allemagne vise bien sur le long terme à soutenir ses exportations et à accumuler des devises afin de faire face au vieillissement de sa population. Nous pouvons répondre à cette question de manière directe en examinant les discours politiques des dirigeants allemands et de manière indirecte par les politiques publiques qu’ils ont mises en place. Notre approche relève ainsi à la fois de l’étude des discours et de l’analyse des politiques publiques.

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Bundesministerium für Arbeit und Soziales

Nos sources sont relèvent de la macro-économie et de l’étude de l’impact financier des politiques étatiques : évolution du taux d’épargne, des excédents commerciaux. Nos données quantitatives proviennent de la Banque mondiale et des instituts statiques allemands (Statistisches Bundesamt). Quant aux sources qualitatives, elles proviennent des débats au Bundestag et des déclarations gouvernementales et de l’opposition. Nous nous appuyons aussi sur les programmes fondamentaux (Grundsatzprogramm) qui synthétisent environ une fois par décennie les positions des partis politiques par de longs exposés de plusieurs dizaines de pages chacun.

2 Partie II : Les finalités néo-mercantilistes de l’économie

allemande

2.1 Un discours politique qui défend le soutien aux exportations

L’hypothèse que nous voulons examiner dans le présent article est que l’Allemagne mènerait une politique de néo-mercantiliste. Une telle politique consiste au niveau des finalités à accroître les exportations afin d’accumuler des devises tout en utilisant des instruments de politique publique compatible avec les contraintes de la mondialisation. Pour tester cette hypothèse, nous voulons déterminer quels sont les motifs qui expliqueraient cette politique.

La motivation de cette politique tient au vieillissement de la population allemande qui mène une stratégie d’accumulation d’épargne privée en vue de la retraite. La politique de l’Etat allemand de baisse de l’endettement public et la stratégie des foyers allemands se combinent en faveur d’une dépression de la demande intérieure et de réduction des dépenses privées comme publiques. L’augmentation de l’épargne privée par les foyers allemands et la

baisse de l’endettement par l’Etat allemand correspondent à deux logiques complémentaires visant à accumuler des réserves privées et à réduire la dette publique dans le cadre d’une politique de thésaurisation. La logique de thésaurisation allemande s’avère ainsi multiforme

car elle concerne autant les foyers que l’Etat allemand33. Dans le cas des épargnants allemands, la thésaurisation aboutit à l’accumulation de liquidités investies partiellement dans des fonds de pension spécifiques. Dans le cas de l’Etat allemand, la logique néo-mercantiliste aboutit à une baisse des dépenses publiques et de la dette.

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L’évolution de la courbe démographique en Allemagne est « singulière34 ». Elle se caractérise en effet à la fois par un déclin du baby boom dès 1965 plus tôt que dans les autres pays européens. Ceci aboutit à une baisse du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants dans les années 1990/2000. Le nombre de naissance a connu une chute spectaculaire avec un recul des naissances de presque 200.000 entre 1991 et 2011 (respectivement 830.000 naissances et 662.000)35. Ceci a pour conséquence que l’Allemagne connaît un déficit démographique hors immigration continue depuis 1972. Ce déficit s’élève entre 15.000 en 1990 et 211.000 nouveaux-nés en 201336. Le taux de natalité allemand est compris entre 1,35 et 1,59 enfant par femme entre 1990 et 202037. A titre de comparaison, les pays développés connaissent une moyenne qui varie entre 1,57 et 1,68 enfant par femme sur la même période38.

Cette évolution démographique aboutit à une augmentation du taux d’épargne global de la part des foyers41. Les choix de politique publique mis en place au début des années 2000 ont encore accentué les stratégies de thésaurisation au travers d’une série de réformes du système de retraite. Les retraites allemandes sont passées ainsi depuis les années 2000 d’un modèle centré sur les pensions payées par l’Etat à un système fondé sur plusieurs piliers associant assurance-retraite publique, plan d’épargne privée et plan d’épargne d’entreprise. Entre 2004 et 2014, la part des foyers qui ne disposent pas de retraite complémentaire est passée de 73% à 39%42. Cette évolution tient à des choix politiques qui depuis le début des années 2000 incitent les foyers à diversifier leurs ressources financières en vue de la retraite. Les deux principales mesures dans ce contexte sont la Riester-Rente (pour les salariés) et la

34 INSEE, “Un viellissement plus marqué en Allemagne qu’en France ou au Royaume-Uni”, 22/6/2017, URL

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2867604 , consulté le 28 juin 2020.

35 Statistisches Bundesamt, Anzahl der Geburten in Deutschland von 1991 bis 2019. URL :

https://de.statista.com/statistik/daten/studie/235/umfrage/anzahl-der-geburten-seit-1993/ , consulté le 15 juin 2020.

36 Statistisches Bundesamt, Geburten und Sterbefälle (Insgesamt) Anzahl, URL : https://www.deutschlandinzahlen.de/no_cache/tab/deutschland/demografie/natuerliche-bevoelkerungsbewegungen/geburten-und-sterbefaelle-insgesamt?tx_diztables_pi1%5Bstart%5D=45 , consulté le 15 juin 2020.

37 ONU, Population. URL : https://population.un.org/wpp/DataQuery/ , consulté le 15 juin 2020.

38 Nous prenons la définition de pays développés au sens de l’ONU en incluant l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie/Nouvelle Zélande et le Japon. URL : https://population.un.org/wpp/DataQuery/ , consulté le 15 juin 2020.

41 Claudia Busl, Sabine Jokisch et Frauke Schleer, "Sparen und Investieren vor dem Hintergrund des demografischen Wandels," ZEW Wachstums- und Konjunkturanalysen, ZEW - Leibniz Centre for European Economic Research, 2012, vol. 15(3), p. 6 sq. ; Gabriel Felbermayr, Clemens Fuest et Timo Wollmershäuser, "The German Current Account Surplus: Where Does It Come From, Is It Harmful and Should Germany Do Something about It?", EconPol Policy Report 2, 2017.

42 Axel Börsch-Supan, Tabea Bucher-Koenen, Michela Coppola, et Bettina Lamla, « Savings in Times of demographic change : lessons from the German experience », Journal of Economic Surveys, septembre 2015, vol. 29, no 4, p. 807-829.

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Rürup-Rente (pour les indépendants). Elles ont été créées respectivement en 2002 et en 2005

et portent le nom de l’ancien ministre du travail et des affaires sociales du SPD, Walter Riester et de l’économiste Bert Rürup. Elles consistent en un contrat de plan d’épargne retraite destiné aux foyers allemand qu’ils peuvent contracter auprès d’un intermédiaire d’assurance ou d’un fonds de gestion d’actifs. D’un point de vue financier, ces plans d’épargne sont co-financés par l’Etat qui accorde une subvention et un abattement fiscal afin d’inciter les foyers à signer de tels contrats. La finalité de la part de l’Etat consiste à inciter les particuliers à abonder leur épargne privée pour se créer un capital-retraite. Les caisses de retraite sont censées de cette manière être déchargées d’une partie des futures pensions. Le succès de ce modèle est réel dans la mesure où le nombre de contrat pour des Riester-Rente atteint le chiffre de 16 millions en 201943. Néanmoins, ce système contribue à une détérioration du niveau global des pensions versées44 et à un creusement des inégalités dans la mesure où les foyers les plus aisés bénéficient de ressources et à terme d’une pension plus élevées45. Ainsi du fait du vieillissement de leur population dont il faudra payer les retraites et la grande dépendance sur un temps de plus en plus long, l’Allemagne mise sur une stratégie néo-mercantiliste pour pallier le manque de naissances.

2.2 Une politique d’exportation offensive…

La stratégie de thésaurisation par les foyers allemands ne permet pas néanmoins en tant que telle de parler d’une logique néo-mercantiliste allemande. L’autre facette de cette dernière sont les excédents commerciaux très significatifs que l’Allemagne enregistre depuis les années 2000. La difficulté ici consiste à trouver un critère précis qui permette de déterminer à partir de quel stade un pays connaît des excédents commerciaux atypiques. Certes, si on compare l’Allemagne à d’autres pays avec un niveau de développement comparable – par exemple ceux du G7 – on constate que la part des exportations par rapport au PIB est plus importante que dans d’autres économies développées. Néanmoins, on veut disposer d’un critère objectif pour caractériser l’Allemagne comme un pays néo-mercantiliste. En d’autres termes : est-ce l’Allemagne qui exporte plus que les autres pays développés ou est-ce ce que ce sont ces derniers qui exportent moins qu’elle ?

43 Bundesministerium für Arbeit und Soziales

https://www.bmas.de/DE/Themen/Rente/Zusaetzliche-Altersvorsorge/statistik-zusaetzliche-altersvorsorge.html

44 Axel H. Börsch-Supan, Tabea Bucher-Koenen, Irene Ferrari, Vesile Kutlu-Koc, et Johannes Rausch, « The Development of the Pension Gap and German Household’s Behavior », SSRN Electronic Journal, 2016.

45 Ansgar Belke, Christian Dreger, et Richard Ochmann, « Do wealthier households save more? The impact of the demographic factor », International Economics and Economic Policy, vol. 12, no 2, p. 163-173, 2015.

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Nous proposons de comparer les exportations allemandes à la fois à celle des grands pays développés, mais aussi à celles de pays eux aussi fortement industrialisés ou de pays exportateurs de matières premières. Nous voulons montrer que l’Allemagne enregistre des excédents commerciaux non pas uniquement en comparaison d’autres pays développés moins performants qu’elle en terme d’exportations, mais aussi parce que dans l’absolu l’évolution des exportations allemandes est atypique.

Or, les excédents commerciaux allemands sont atypiques pour un pays de cette taille. Tant au niveau des volumes que de la part des exportations par rapport au PIB allemand et du niveau d’exportation par tête, l’Allemagne est un des premiers exportateurs des pays du G7, de l’OCDE et elle dépasse même la Chine sur plusieurs indicateurs48. L’Allemagne ne se comporte au niveau des exportations non pas comme un grand pays avec un marché intérieur significatif qui est le plus important de l’Union européenne en taille et un des plus riches, mais comme un pays avec un marché intérieur si limité qu’il doit chercher des débouchés sur les marchés mondiaux.

Le tableau suivant permet de comprendre les performances de l’économie allemande au travers d’une comparaison des volumes de biens et de services exportés (table 2)49. L’Allemagne enregistre ainsi des niveaux d’exportations qui correspondent à 78% de ceux des Etats-Unis et à 70% de ceux de la Chine alors que la population allemande correspond respectivement à 25% de la population américaine et de 6% de la population chinoise. On constate aussi que l’économie allemande enregistre des volumes d’exportation supérieurs à ceux de pays comparables à l’Allemagne (France, Royaume-Uni, Japon), beaucoup plus peuplés que l’Allemagne (Inde) ou qui comptent parmi les premiers exportateurs de matières premières au monde (Russie, Arabie Saoudite). La part des exportations dans le PIB allemand est aussi supérieure à celle d’autres pays comparables (Royaume-Uni, France, Etats-Unis, Japon), mais aussi à celle de la Chine.

Table 2 : Comparaison des volumes d’exportations des biens et service en 2018 (en milliards de dollars, valeur constante de 2020)

Rang parmi les pays exportateurs

Nom du pays Exportations en

milliards de

dollars

Part des exportations dans le PIB

48 Nous pensons notamment au niveau d’exportation par tête.

49 Nous avons choisi trois types de pays en fonction de leur spécificité économique : pays développés, pays en voix de développement et pays exportateurs de matières premières.

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1 Chine 2.656 $ 19,51% 2 Etats-Unis 2.510 $ 12,21% 3 Allemagne 1.872 $ 47,41% 4 Japon 917 $ 18,44% 7 France 870 $ 31,33% 10 Royaume-Uni 856 $ 30% 12 Inde 536 $ 19,73% 13 Russie 509 $ 30,74% 16 Arabie Saoudite 313 $ 39,90%

Source : Banque mondiale50

Ainsi, la politique budgétaire de l’Etat et les excédents commerciaux allemands et le haut niveau d’épargne des foyers outre-Rhin témoignent d’une stratégie d’exportation très marquée afin de profiter de la demande internationale, mais aussi d’une dépression de la demande intérieure en Allemagne afin d’accumuler des réserves financières. Cette politique qui est conditionnée par des motifs démographiques repose néanmoins aussi sur une adaptation du marché du travail et de l’Etat allemand. Nous voulons explorer dans ce qui suit les instruments de politique publique qui ont permis d’atteindre ce haut niveau d’exportation.

2.3 … accompagnée par une politique de baisse des déficits

publics

Cette stratégie d’accumulation de l’épargne privée par les foyers allemands fait système aussi avec les politiques de baisse de la dette allemande afin d’anticiper le vieillissement de la population et les coûts grandissants du système de retraite.

Les stratégies d’accumulation de l’épargne privée en vue de la retraite s’accompagnent aussi de décisions politiques au niveau macro par l’Etat allemand. Berlin poursuit en effet une politique de type néo-mercantiliste sur le moyen et long terme depuis les années 1990 jusqu’au années 2010 qui consiste à bénéficier de la croissance mondiale et des débouchés internationaux. L’Allemagne a réussi ainsi à maintenir une santé économique insolente dans le contexte d’une zone euro dépressive. Malgré une récession importante au moment de la

50 Banque mondiale, URL :

https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.CD?locations=DE-CN-US-JP-CH-IN-BR-FR-RU-SA-GB et

https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.ZS?end=2018&locations=DE-US-IN-MX-IT-JP-NL-FR-CN-RU-HK-SA-GB-CA-KR-BE&start=2018&view=bar , consulté le 26 juin 2020.

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crise de 2008, elle a pu aussitôt redresser sa croissance. Plus encore : malgré une stagnation tendancielle du commerce international, son modèle fondé sur la croissance externe et la mondialisation n’est pas durablement touché même après 2008.

Cependant, l’Allemagne a voulu limiter le volume de ses dépenses publiques. Ce qu’il faut alors relever est la volonté de maintenir une politique économique fondée sur la rigueur budgétaire malgré la crise. Les plans de relance dans les grands pays développés – Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine, Japon et Allemagne – semblent avoir été oubliés dès 2009 par l’Allemagne. Celle-ci introduit en effet un « frein à l’endettement » (Schuldenbremse) c’est-à-dire une disposition inscrite dans la loi fondamentale allemande afin de limiter le niveau des dettes publiques. Cette décision marque à la fois un tournant et une forme de continuité. Un tournant par rapport aux réalités de l’économie mondiale encore gravement convalescente, mais aussi un signe de continuité car le gouvernement allemand considérait les plans de relance comme une parenthèse dans les politiques publiques qui devaient revenir à la situation « normale » d’une politique de rigueur budgétaire (Sparpolitik). La loi sur le frein à l’endettement montre ses effets dès 2013. Le graphique (graphique 2) ci-dessous indique l’évolution des déficits publics. Il montre que le retour à l’équilibre des comptes dès 2012 malgré un léger déficit de - 0,1% en 2013. Les excédents budgétaires sont compris entre 0,6 et 1,7 % du PIB entre 2014 et 2018. La loi sur le frein à l’endettement montre ses effets relativement rapidement car les dépenses publiques se stabilisent dès 2010 et baissent à partir de 2013. En 2018, la dette publique allemande correspond à 70% du pays et elle baisse depuis 2012.

Graphique 2 : Solde du budget allemand (en pourcentage du PIB, 1995-2018)52

52 BPB, Schuldenbremse. URL :

(20)

Source : Statistisches Bundesamt/BPB

Les chiffres relatifs aux comptes publics n’ont de sens néanmoins que du point de vue d’une comparaison internationale. Or, les dépenses publiques outre-Rhin baissent alors qu’elles augmentent dans plusieurs pays développés depuis les années 1990 : Etats-Unis, France et Royaume-Uni. Les dépenses publiques rapportées au PIB passent ainsi entre 1998 et 2016 de 45,92 % à 48,25 % en France, de 32,37 à 37,30 % du PIB au Royaume-Uni, de 18,67% à 22,73% du PIB aux Etats-Unis. En revanche, l’Allemagne connaît une baisse des dépenses publiques qui passe de 31,66% à 27,86% du PIB durant la même période53. Ces efforts budgétaires ont néanmoins un prix car ils aboutissent notamment à une baisse des investissements publics. Le FMI exhorte en effet l’Allemagne à augmenter ses investissements publics54, tandis que l’OCDE engage Berlin à investir davantage dans l’éducation, les infrastructures électriques et la formation professionnelle55 et dans les transports publics entre 1995 et 2011 qui est plus que dans la plupart des pays occidentaux56.

53 Banque mondiale. URL : https://ourworldindata.org/government-spending#all-charts-preview , consulté le 16 juin 2020.

54 FMI, Germany; 2018 Article IV Consultation – Press Release; Staff Report and Statement by the Executive

Director for Germany, IMF Staff Country Reports No 18/208, 2018.

55 OCDE, Germany: Keeping the Edge. Competitiveness for Inclusive Growth, Paris, 2014, p. 11 et 18. 56 OCDE, Germany: Keeping the Edge. Competitiveness for Inclusive Growth, p. 33.

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3 Partie III : Les instruments de politique publique du

néo-mercantilisme allemand

3.1 Les réformes de la fiscalité et du marché du travail au service

de la baisse du coût du travail…

Les politiques publiques économiques allemandes pour garantir la compétitivité des entreprises passent par deux leviers principaux : la baisse du coût du travail et le soutien à l’innovation. Cette combinaison vise à permettre à l’industrie allemande de bénéficier d’avantages économiques dans la compétition mondiale sans recourir aux politiques interventionnistes, protectionnistes et de dévaluation compétitive traditionnelles. Cette double stratégie de compétitivité prix et hors prix fonctionne comme des substituts aux politiques mercantilistes traditionnelles. Au lieu de pratiquer une dévaluation compétitive pour obtenir une baisse de ses coûts, l’Allemagne pratique la baisse des salaires réels. Et au lieu de mener une politique interventionniste classique, l’Etat investit dans l’innovation et dans les pôles de compétitivité. Nous voulons examiner dans ce qui suit les politiques publiques qui ont permis le redressement de l’Allemagne qui était encore considérée comme l’homme malade de l’Europe au début des années 200065.

Stop

(Christlich-demokratische Union, Christlich soziale Union) et le SPD social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschlands).

Ces politiques publiques répondent à un consensus politique transpartisan qui inclut aussi des partis de taille moindre (les Verts et les libéraux du FDP) autour de la même volonté de redresser l’économie allemande au travers d’une politique de l’offre et de l’intégration dans la mondialisation.

Le premier levier qui consiste à faire baisser le coût du travail repose sur un ensemble de politiques publiques mises en place pendant une période de temps relativement courte (entre l’an 2000 et 2010) par les deux principaux partis politiques allemands, la CDU/CSU, le SPD et les Verts allemands. Ces politiques publiques consistent en une combinaison de réformes du marché du travail, de l’Etat-providence et de la fiscalité qui rapproche le modèle économique rhénan de plus en plus du modèle anglo-saxon66.

65 Hans-Werner Sinn, Ist Deutschland noch zu retten?, München, Econ, 2003, 499 p.

66 Gabriel Colletis, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur l’économie

allemande, 1 juillet 2004, no 67, p. 7-14 ; Wolfgang Streeck, Re-forming capitalism: institutional change in the

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Les réformes Hartz sont le premier instrument de la politique de baisse du coût du travail. Ces réformes ont été votées par le gouvernement social-démocrate et écologiste de Gerhard Schröder avec l’appui des voix de la droite allemande. Ces lois introduisent une logique « d’activation » des chômeurs c’est-à-dire de mise en place d’incitations pour encourager les personnes sans emploi à accepter un travail plus rapidement même s’il est mal rémunéré ou ne correspond pas totalement à leurs compétences67. Cette politique passe par un meilleur accompagnement des chômeurs, mais aussi par la limitation des allocations chômage à une durée de 12 mois quelle que soit la période de cotisation antérieure. Ceci aboutit à un retour sur le marché du travail plus rapide, mais aussi à l’apparition d’un groupe de travailleurs précaires contraints d’accepter des emplois peu qualifiés et mal rémunérés. Ceci induit indirectement une baisse du coût car les demandeurs d’emploi sont contraints d’accepter des emplois même mal payés68.

Le second moyen qui a permis la baisse du coût du travail vient de la modération salariale mise en place dès le milieu des années 1990. Elle aboutit à une progression moins rapide des coûts unitaires c’est-à-dire le coût du travail rapporté à la productivité horaire. Si l’on prend comme base 100, les coûts unitaires en Allemagne passent ainsi de 100 à 120 entre 2000 et 2017. A titre de comparaison, la moyenne des coûts unitaires passe de 100 à 126 dans la zone euro. stop source En revanche, les coûts unitaires passent de 100 à 140 en Italie, de 100 à 128 en Grèce et en Espagne. L’Allemagne se redresse donc, mais au travers d’une politique salariale déflationniste. Même des pays avec de bonnes performances économiques au sein de la zone euro connaissent une progression plus importante des coûts unitaires que l’Allemagne (Pays-Bas, Autriche, Finlande). Berlin ne mène donc pas une politique de dévaluation traditionnelle, mais une politique de déflation interne par la baisse des salaires réels. Ce levier de la déflation par le salaire fournit un supplément de compétitivité par rapport à ses concurrents européens.

En plus des lois Hartz, de la baisse des salaires réels, le dernier moyen pour obtenir une baisse du coût du travail est la politique fiscale. Les réformes de la fiscalité allemande ont pour but de faire baisser le niveau des cotisations sociales afin d’obtenir une baisse du coût total du travail. Le niveau des charges sociales entre 2005 et 2016 a ainsi baissé de manière continue. Les cotisations retraites (Rentenversicherung), les cotisations chômages

67 Jens Alber et Jan Paul Heisig, Do new labour activation policies work? A descriptive analysis of the German

Hartz reforms, Berlin, Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung (WZB), 2011.

68 Marco Gießelmann, « Arbeitsmarktpolitischer Wandel in Deutschland seit 1991 und das Working Poor-Problem: Einsteiger als Verlierer des Reformprozesses? / Labour Policy Change in Germany since 1991 and the “Working Poor” Problem: Entrants and Re-entrants as Losers of the Reform Process? », Zeitschrift für

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(Arbeitslosenversicherung) sont passées respectivement de 19,5% à 18,7% et de 6,5% à 3,0% du salaire brut. En revanche, les cotisations liées à la dépendance ont augmenté (augmentation de 1,8 % à 2,4%) tout comme les cotisations maladies (progression de 14,2% à 15,7%). Cette différence tient essentiellement au fait qu’en raison de sa démographie vieillissante, l’Allemagne doit trouver des financements pour assurer l’avenir des aides pour les personnes dépendantes et nécessitant des soins. Il y a ainsi une logique de transformation qualitative du système fiscal et non pas uniquement quantitative. Néanmoins, le niveau total des cotisations sociales est passé de 42% du salaire net à 39,8% du salaire brut. Afin de financer cette baisse des cotisations sociales, l’Allemagne a misé sur une politique fiscale qui rompt avec le système bismarckien fondé sur les cotisations sociales. Elle a mis en place une fiscalité consistant à taxer en fonction d’une assiette fiscale large, mais faible et uniforme. Ceci vaut tout d’abord pour la TVA dont le taux normal est passé de 10% à 14% sur une période de trente ans (1968-1998) puis de 14% à 19% sur une période de dix ans depuis la fin des années 1990 (1998-2007)69. Le second impôt qui permet la baisse des cotisations sociales est

l’Ökosteuer (« impôt écologique ») qui consiste en une taxe sur l’émission de carbone payée

par l’industrie, par les transporteurs et par les automobilistes. Cet impôt rapporte annuellement environ 17 milliards d’euros par an depuis sa création en 199970. Il s’agit ainsi de passer d’une taxation concentrée sur le travail à une taxation sur une assiette plus large, mais plus faible et qui doit faire baisser la pression fiscale sur le coût du travail.

Ainsi, les réformes fiscales mises en place depuis les années 2000 visant à abaisser le coût du travail et les transformations du marché du travail en Allemagne constituent un ensemble de politiques publiques qui ont pour but de redonner à l’économie sa compétitivité prix après la forte augmentation des salaires réels dans les années 1990.

3.2 … combinée à une politique de soutien à l’innovation

Ces politiques ne représentent cependant qu’une facette de la stratégie allemande. Elles permettent en effet une baisse des coûts. Nous voulons nous appuyer sur ces théories afin d’examiner comment l’Allemagne a su orienter sa production industrielle vers les produits à forte valeur ajoutée et vers l’innovation au travers du soutien à la création de pôles régionaux de compétitivité et de dépenses croissantes dans le domaine de la recherche.

69 Statista, URL :

https://de.statista.com/statistik/daten/studie/164066/umfrage/entwicklung-des-mehrwertsteuersatzes-in-deutschland-ab-1968/ , consulté le 28 juin 2020.

70

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La base de la politique d’innovation allemande tient aux modalités de gouvernance de l’Allemagne comme pays fédéral fortement décentralisé, aux nouvelles formes de gouvernance entre les acteurs publics et privés et aux efforts d’investissement dans la recherche et l’innovation. Ces trois caractéristiques distinguent explicitement les politiques industrielles horizontales des politiques interventionnistes traditionnelles. Alors que ces dernières reposent sur une gouvernance centralisée autour de l’Etat, sur la planification par l’Etat et par des interventions politico-économiques de la part des administrations publiques, les politiques industrielles horizontales misent sur une forme flexible d’intervention publique, sur une ouverture à l’international et sur la volonté d’engager les universités, les centres de recherche privés et les entreprises vers une logique de création de produits à forte valeur ajoutée73. Cet atout a semblé indispensable à l’Allemagne pour compléter une simple stratégie de coût engagée au travers des mesures de politiques publiques décrites plus haut. Mais cette logique schumpétérienne et décentralisée ne vise pas tant à une baisse quantitative des dépenses publiques comme le supposent les théories de Stiglitz décrite plus haut, mais en une

mutation qualitative du rôle de la puissance publique.

Le poste consacré outre-Rhin à la recherche et développement est en effet l’un des rares qui augmente plus rapidement que dans d’autres pays comparables. L’Allemagne consacrait en 1998 2,21% de son PIB à la recherche et développement contre 2,50% pour les Etats-Unis et 2,87% pour le Japon. En 2017, elle a dépassé les Etats-Unis en dépensant 3,02% de son PIB dans l’innovation. Elle talonne désormais le Japon, champion historique de l’investissement dans la recherche (graphique 3).

Graphique 3 : Part des dépenses en recherche et développement (% du PIB)74

73 Philippe Aghion, Alexandra Roulet, et Bénédicte Berner, Repenser l’État: pour une social-démocratie de

l’innovation, Paris, Seuil, 2011, 119 p.

74 Banque mondiale, URL :

https://data.worldbank.org/indicator/GB.XPD.RSDV.GD.ZS?end=2017&locations=DE-JP-US-FR-GB&start=1998

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Source : Banque mondiale

Chaque Land a de plus lancé au moins une voire plusieurs initiatives pour créer des pôles de compétitivité depuis les années 199075. Il s’agit de soutenir les technologies numériques, la biotechnologie, les médias. Le cas de la Bavière est particulièrement significatif ici car elle est passée d’une politique industrielle interventionniste après 1945 visant à sortir ce Land de son relatif retard économique à une stratégie de soutien à l’innovation. La politique de la Bavière a consisté en 1994 à mobiliser 4,15 milliards d’euros liés à des privatisations pour investir dans des infrastructures liées à l’innovation. La

Offensive Zukunft Bayern lancée en 1994 fut suivie de la High-Tech-Offensive (HTO) en 1999

puis par l’Allianz Bayern Innovativ en 2006. Le but n’était pas ici de soutenir les territoires les plus fragiles ou les secteurs traditionnels (agriculture), mais de mettre en place des pôles de compétitivité et de fidéliser les entreprises sur les territoires. En 2006, l’Etat de Bavière lance une nouvelle initiative dotée de 50 millions d’euros pour financer 19 nouveaux pôles de compétitivité jusqu’en 2015. Au niveau du bilan, la Bavière tient en Allemagne le record des Prix Nobel et elle tient le record des dépôts de brevets. Un fort réseau d’institutions de recherche publique (Universités, Instituts Max Planck, Instituts Fraunhofer, Offices allemand et européen des brevets) génèrent des réseaux et coopérations avec notamment les grandes entreprises allemandes BMW, Audi, MAN, Siemens et avec Airbus, Ariane et EADS qui ont des sites de production en Bavière.

Le soutien aux pôles de compétitivité et l’augmentation des dépenses dans le secteur de la recherche constituent ainsi l’autre facette de la stratégie néo-mercantiliste allemande qui

75 Rolf Sternberg et Timo Litzenberger, « Regional clusters in Germany--their geography and their relevance for entrepreneurial activities », European Planning Studies, septembre 2004, vol. 12, no 6, p. 767-791.

Figure

Table 1 : Tableau synthétique sur le mercantilisme traditionnel et le néo-mercantilisme  Mercantilisme traditionnel  Néo-mercantilisme  en  contexte  de
Table 2 : Comparaison des volumes d’exportations des biens et service en 2018 (en  milliards de dollars, valeur constante de 2020)

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