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Viol ( Histoire du)

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To cite this version:

Fabrice Virgili. Viol ( Histoire du). Michela Marzano. Dictionnaire de la violence, PUF, pp.1423-1429, 2011, 978-2-13-057734-8. �hal-00923024�

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VIOL (Histoire du)

Depuis la loi n°80-1041 du 23 décembre 1980, l’article 332 du code pénal précise que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, ou surprise est un viol. » En 1994, le nouveau Code pénal, reprenait cette qualification en y ajoutant « la menace » (Article 222-23). Ainsi, à la fin du XXe siècle, la législation française définissait le viol par la pénétration de tous les orifices naturels et le non-consentement. A contrario, aucune condition portant sur le sexe des protagonistes, auteur comme victime, et la nature de la relation, conjugale, adultérine, vénale, n’était retenue. Un peu plus de deux siècles auparavant l’on pouvait lire à l’entrée « viol » de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « le crime que commet celui qui use de force et de violence sur la personne d’une fille, femme ou veuve, pour la connoître charnellement, malgré la résistance forte et persévérante que celle-ci fait pour s’en défendre. » La victime était alors forcément de sexe féminin, la violence indispensable contrairement à la pénétration qui n’était pas précisée.

Ce qu’est l’acte dit viol varie selon les époques et plusieurs écueils font obstacle à sa meilleure compréhension à travers le temps : d’abord, celui d’une vision mythique, expression brutale et atemporelle de la possession des femmes ; ensuite, celui d’une vision trop dépendante de l’évolution juridique. Les textes normatifs ne sauraient suffire à comprendre ce qu’est le viol dans une société donnée. Avant d’inquiéter juges et législateurs, le viol est commis au sein d’un groupe dont il fragilise le lien. Ainsi au cœur des relations sociales et de genre, la réaction ou son absence à cette irruption de violence est celle du groupe avant d’être celle de la loi et des autorités. Enfin, une vision linéaire d’une histoire qui passerait d’un état d’invisibilité et d’indulgence vers celui, actuel, de dénonciation et de condamnation, résultat d’une marche régulière vers l’égalité des sexes fausse la perspective, oubliant les effets d’événements comme les guerres et les décalages possibles dans le rapport de chaque société au corps et à la violence.

Deux difficultés entrent dans la définition du viol. D’une part la frontière floue entre les gestes de l’amour réciproque et ceux d’une violence imposée pour la satisfaction du seul violeur. De l’autre les changements dans le temps de perception des rapports sexuels, de la domination et du consentement.

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Plaisir du violeur et non-consentement de la victime

Le plaisir est doublement au cœur de la définition du viol, parce qu’il est nécessaire à l’érection du violeur, parce que sa suspicion chez la femme violée concourt à légitimer l’assouvissement du désir masculin au prix de la violence et de la soumission. L’érection est la conséquence physiologique d’un désir culturellement construit comme l’est aux yeux du violeur la possibilité de son assouvissement. Le rapport social de sexe, d’âge, de classe, mais aussi de domination coloniale, ou militaire lors d’une occupation, peut augmenter ou réduire le seuil de faisabilité du passage à l’acte. Que la transgression soit forte et individuelle, ou limitée et collective, la nécessité du désir ne saurait être prise en compte sans analyser les facteurs qui autorisent sa satisfaction. En d’autres termes, la manière dont la société française perçoit aujourd’hui le viol d’une enfant n’a pas grand-chose à voir avec la façon dont elle a pu considérer ceux commis par des soldats français en Algérie pendant la guerre d’indépendance. Entre un viol pédophile, de nos jours pratiquement au sommet de l’échelle du crime, et des « viols de guerre » les plus souvent pensés comme un à côté inhérent à l’état de guerre, l’écart du ressenti est immense : insupportable dans le premier cas, plus simplement regrettable dans l’autre.

Un deuxième élément suggéré par le désir du violeur est celui de la réciprocité projetée. La satisfaction de son propre plaisir ne passe-t-elle pas par l’illusion de celui de l’autre ? Le viol en s’en prenant à autrui est une démonstration de force, de pouvoir, de puissance sexuelle, d’une manière de penser la virilité. Non seulement par effet de miroir, sa jouissance personnelle est projetée sur l’autre, mais sa prétendue capacité à satisfaire une victime, érigée alors en partenaire, vient réassurer une masculinité inquiète. Davantage que le plaisir du violeur, c’est la suspicion de celui de la victime qui organise bien souvent la façon dont est reçu, pensé et jugé le viol.

Alors qu’aujourd’hui la loi définit clairement le crime et que l’accueil des victimes a été repensé aussi bien en terme d’information que de formations des personnels de police ou de gendarmerie1, toutes les enquêtes continuent à souligner la difficulté de la plainte et la distorsion entre viols commis et viols poursuivis.

Qu’est-ce qui empêche les victimes de déposer plainte ? D’abord des circonstances propres au déroulement des faits. Dans biens des cas les protagonistes se connaissaient. Porter

1 Voir la plaquette Agir après un viol ou une autre agression sexuelle, Paris, Parimage, 2006 disponible dans les

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plainte contre un collègue, un camarade de classe, un voisin, un père, un mari c’est bouleverser l’ordre social, communautaire, familial ou conjugal.

Cependant la difficulté de la plainte concerne également les viols commis par des personnes inconnues. Pourquoi dans ce cas ne pas porter plainte comme victime ? Parce que socialement, la honte et la culpabilité rejaillissent sur la victime. Le viol n’est pas seulement défini par l’acte lui même mais par les conditions subjectives de son déroulement. L’appréciation de la contrainte nécessaire à l’établissement du viol permet de nombreuses interprétations.

Si le droit français est désormais clair sur le fait que le non-consentement n’a pas besoin d’une manifestation de résistance pour être établi (importance de la différence entre l’absence d’un acte positif de consentement et l’expression non nécessaire d’un acte négatif de résistance)2 cela n’a pas toujours été le cas et l’absence de résistance continue à suggérer le consentement.

Nonobstant la loi, le principal système de défense des violeurs est de rejeter l’initiative sur la victime. Le port d’une minijupe, un sourire, une réponse à une question, la simple présence dans un lieu isolé ou à une heure tardive sont autant d’éléments mis en avant pour justifier le passage à l’acte. Double dédouanement du violeur qui ne fait alors selon lui que répondre à la sollicitation dont il a été l’objet, puis satisfaire sa « partenaire-victime » malgré son refus.

Mais le retournement de l’accusation n’est pas le seul fait du violeur. La suspicion envers l’attitude consentante des victimes se repère à différentes époques dans les discours, juridiques, médicaux et plus généralement par le sens commun.

Jusqu’au début du XXe siècle la conviction qu’un homme seul ne pouvait violer une femme contre sa volonté était fortement établie : « un homme seul ne peut violer une femme qui fait des mouvements énergiques du bassin pour le repousser. Par conséquent, si l’acte a pu être commis, c’est que la femme ne s’est pas défendue »3.

Ainsi, mesurer la résistance féminine importait souvent davantage qu’établir les gestes du violeur. Le questionnement se portait davantage sur la victime que sur l’agresseur. Une approche d’autant plus inquisitrice que le savoir sexologique à propos des femmes était lors aussi lacunaire que masculin. Au XIXe, ce qui est décrit comme jeu de la résistance féminine est considéré comme une des manifestations les plus évidente de la séduction. Comment alors

2Marcela Iacub, Le crime était presque sexuel, Paris, EPEL, 2002. p.35 3

Brouardel, Les attentats aux moeurs, 1909, p.96, cité par Laurent Ferron, « Déconstruction des discours des manuels de médecine légale sur les femmes violées », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 84 | 2001.

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distinguer « le consentement du refus, quand le premier s’exprime à travers le mime du second ?4 » C’est à une quête du corps meurtris que policier et médecins vont se livrer : « chez toutes celles qui sont capables de lutte et de résistance on rencontre, dans les cas de viol, des meurtrissures aux seins, aux cuisses, aux fesses, aux poignets, au visage. Il peut même y avoir des blessures plus graves… » écrit le criminologue Alexandre Lacassagne en 18785.

L’effraction du corps, pour reprendre l’expression proposée par Françoise Héritier, se double de son investigation par de soupçonneux enquêteurs à la recherche des marques apparentes de violence sur l’ensemble du corps et sur le sexe. Présence ou non de l’hymen pour les jeunes filles, de traces de sang et de sperme, déchirures vaginales ou rectales, dès le XIXe le diagnostic médical va prendre une place centrale dans l’établissement du viol. Le médecin devient celui qui dit le mieux le viol aux yeux de la justice, son certificat devient la preuve la plus tangible de la violence : « Dans la mesure du possible, faites un EXAMEN MÉDICAL [en gras et majuscule dans le texte] avant de vous laver pour recueillir des éléments de preuves biologiques médicales » précisait encore en 2006 la plaquette distribuée par la préfecture de police et la mairie de Paris.

De la « connaissance charnelle » à la « pénétration sexuelle » l’on comprend bien que le viol a partie liée à la sexualité, mais son constat n’est pas seulement lié aux évolutions de la médecine légale. Le « coït illicite6 » condition jusqu’aux années 1970 du viol a laissé la place à une autre définition du rapport sexuel. Bien que l’on puisse s’étonner que la possibilité de la grossesse n’ait jamais caractérisé le viol — elle n’a jamais été une circonstance aggravante et contrairement à d’autres législations le viol n’a jamais été un motif d’exception à l’interdiction d’avorter — avec la pénétration au moyen d’objets l’usage du sexe du violeur n’est plus requis. Avec la fellation, celui de la victime ne l’est plus non plus. En 1980, la loi a abandonné le seul registre d’une sexualité conceptionnelle pour celle de l’effraction.

Quelle victime ?

Une effraction dans le corps de l’autre dont le sentiment de puissance de l’un est le corollaire de la honte de l’autre7. Mais les modalités de la mise en œuvre changent en particulier autour de ce qui définit la victime dans son univers. Pour qu’il y ait effraction, il

4 Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie 1850-1900, Paris, Louis Audibert, 2007, p.44. 5 Alexandre Laccassagne, Précis de médecine judiciaire, 1878, cité par Laurent Ferron, art.cit. p. 6 Émile et Maurice Garçon, Code pénal annoté, Paris, Sirey, 1952.

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faut au préalable reconnaître la victime comme un individu libre et indépendant. Aussi la manière dont sont considérées les femmes du point de vue de leur statut social (de qui sont-elles la propriété ?) interfère grandement sur l’acceptation du viol comme pratique sexuelle masculine.

L’univers esclavagiste de la traite négrière puis de la plantation en est un exemple des plus manifeste. Pour les « négresses », la servilité se décline non seulement du travail agricole au travail domestique, mais aussi au service sexuel. Le pouvoir du maître sur ses esclaves permet un exercice absolu de la domination masculine8. Il ne peut y avoir d’effraction puisqu’ici le corps de la femme appartient à son propriétaire. Mais l’absence d’effraction ne fut pas limitée à cette propriété mobilière du corps des femmes. Les femmes de « mauvaise vie », les enfants, et surtout les épouses, ont été également considérées comme appartenant aux hommes et étrangère à l’effraction.

Davantage encore que la moralité du coupable, celle de la victime est regardée de près. Aussi, une femme trop légère, ou pire faisant le commerce de son corps, si elle se trouve du point de vue de la loi victime d’un viol, ne le sera qu’exceptionnellement du point de vue du sens commun. Si, le célèbre pénaliste Émile Garçon rappelle en 1901 que « l’attentat à la pudeur est évidemment punissable, quelle que soit la moralité de la victime. Il importerait peu que ce fût une fille publique si son consentement a réellement fait défaut9 » faire commerce de son corps ou multiplier les amants apparaît pour beaucoup comme un renoncement de son corps au profit des hommes.

Les enfants ont aussi pu être regardés comme appartenant à leur père ou leur éducateur. La réponse sociale et juridique au viol des enfants est ambiguë. Dès le code pénal de 1810, l’âge de la victime est considéré comme une circonstance aggravante s’il est inférieur à 15 ans. À partir de 1832 est prise en compte la dépendance spécifique de l’enfant avec pour la première fois la notion d’attentat sans violence : « C’est son âge, et rien d’autre, qui fait d’un enfant ayant eu un contact sexuel avec un adulte une victime. » Néanmoins, des considérations médicales comme la disproportion entre les organes sexuels ou juridiques qui excluent la sodomie, font que « le viol sur enfant n’existe donc pas ou quasiment pas en tant que tel. » Jusqu’en 1980 les poursuites seront faites pour « attentat à la pudeur » et les

8 Stéphanie Mulot, "Le mythe du viol fondateur aux Antilles françaises", Ethnologie française, 2007, XXXVII

(3) : 517-524. Fritz Gracchus, Les lieux de la mère dans les sociétés afro-américaines, Paris, éditions caribéennes, 1980.

9 Émile Garçon, Code Pénal annoté, 1901, art. 331-333, n° 67. cité par Anne-Claude AMBROISE-RENDU,

Attentats à la pudeur sur enfants : le crime sans violence est-il un crime ? (1810-années 1930), Revue d’histoire

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jugements prononcés devant le tribunal correctionnel10. D’un côté des peines extrêmement sévères quand le viol sur un enfant est reconnu, de l’autre de très nombreuses agressions sexuelles, commises en famille comme ailleurs par un parent ou un éducateur bénéficiant au mieux d’une grande indulgence au pire d’une silencieuse protection.

C’est finalement aux épouses que la reconnaissance de la maîtrise de leur corps fut la plus longue. Car le viol n’était conçu qu’en cas de coït illicite, de facto impossible entre un mari et sa femme. Le divorce ayant été supprimé par le code Napoléon, un mari pouvait forcer sa femme à une relation sexuelle même dans le cas d’une séparation de corps. En 1884, la loi Naquet autorisant le divorce prévoyait la poursuite pour viol entre les époux séparés, mais c’est un siècle le plus tard que la jurisprudence incluait finalement le viol entre époux dans le périmètre de la loi. Le mariage ne saurait être désormais considéré comme la manifestation pérenne du consentement ; celui-ci doit être renouvelé à chaque fois11.

Les lieux et les temps du viol

Les agressions sexuelles se déroulent le plus souvent en l’absence de témoin. Cela ne s’explique pas uniquement par la crainte d’être vu ou dénoncé, mais par le risque d’une intervention extérieure. Le moment du viol place paradoxalement son auteur en état de vulnérabilité vis-à-vis d’un éventuel secours. En dehors des viols collectifs, la menace, l’isolement, la terreur sont indispensables au violeur pour commettre son forfait.

Aussi, les lieux ont une importance et doivent d’une manière ou d’une autre se trouver retiré de la vue du plus grand nombre. Il en est ainsi des lieux isolés : le pâturage où la bergère surveille son troupeau, le bord de route que parcourent d’innombrables femmes ne possédant d’abord ni cheval ni calèche, plus tard ni moto, ni voiture. La forêt bien sûr, où la menace du grand méchant loup, constitue sous toutes ses formes la même injonction faites aux femmes de ne pas s’éloigner de la surveillance communautaire, maternelle pour le petit chaperon rouge, mais surtout masculine pour toutes les autres. La pénombre forestière laissant place à l’obscurité des sous-sols, les parkings souterrains de nos villes ont constitué le nouveau lieu de tous les dangers. Avant que la musique douce, la vidéosurveillance et les couleurs pastel ou acidulées pacifient ces espaces renvoyant l’agression sexuelle à d’autres lieux souterrains : le métro, le RER ou les caves des « cités ».

10 Anne-Claude Ambroise-Rendu, Attentats à la pudeur sur enfants : le crime sans violence est-il un crime ?

(1810-années 1930), Revue d’histoire moderne et contemporaine 2009/4 (n° 56-4).

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La particularité de ces lieux extérieurs est qu’ils dessinent une cartographie de la circulation des femmes. Moins qu’un interdit cela traduit un degré de moralité et donc de vulnérabilité vis-à-vis du violeur. En allant laver son linge sur les bords de Loire au début du XIXe siècle, la Nantaise perdait « manifestement une partie de sa dignité et du respect qu’on lui doit12 » tout comme la Jeanneton de la chanson qui en allant couper des joncs se retrouve « allongée sur le gazon » et « le jupon soulevé »13.

Mais à l’image de Lucrèce violée chez elle par Sexus Tarquin, le propre cousin de son mari14, le domicile a été le lieu de nombreux viols bien avant la reconnaissance du viol conjugal. Soit par la violation du domicile conjugal, qui sans être suffisante pour caractériser le viol selon l’Encyclopédie : « Il faut que la violence soit employée contre la personne même, et non pas seulement contre les obstacles intermédiaires, tels qu’une porte que l’on auroit brisée pour arriver jus qu’à elle » n’en était pas moins repérée ainsi comme une modalité des plus courante. Soit parce que l’auteur, sans être le mari, séjournait sous le même toit, membre de la famille, ami hébergé, patron. De l’inceste au droit de cuissage, le domicile est le lieu de tous les dangers. En temps de guerre également, le soldat qu’il soit de passage ou stationnant sur place, d’une armée ennemie ou alliée, profite de l’impunité qui lui semble acquise par l’anonymat d’un uniforme et la force de son arme pour s’introduire dans une maison et violer la ou les femmes qui y demeurent. Qu’il s’agisse de viols opportunistes pratiqués par des soldats échappant au contrôle de leur hiérarchie et le plus souvent isolés, ou de viols de terreur pratiqués dans des proportions bien plus grandes et dont la finalité dépasse la satisfaction sexuelle du soldat pour affirmer la puissance du groupe, le contrôle du territoire passe justement aussi par celui des espaces privés. Pillage, incendie volontaire, exécutions et viols affirment ce pouvoir absolu sur une société et sur ses femmes.

Identifier la victime, condamner le viol

Considérer le viol comme un crime n’est pas nouveau. À l’époque médiévale15 comme à l’époque moderne16, des violeurs ont été jugés puis condamnés à de fortes amendes, à

12 Jean-Clément Martin, « Violences sexuelles, étude des archives, pratiques de l'histoire », Annales. Histoire,

Sciences Sociales, 51e année, N. 3, 1996. p. 651.

13 Jeanneton prend sa faucille, Aristide Bruant, 1880.

14 Tite-Live, Histoire romaine livre 1 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, livre quatrième.

15 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris,

Publications de la Sorbonne, 1991 ; Georges Vigarello, Histoire du viol XVIe – XXe, Paris, Seuil, 1998, p.813-822.

16 Stéphanie Gaudillat Cautela, « Questions de mot. Le « viol » au XVIe siècle, un crime contre les femmes ? »,

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l’emprisonnement et parfois exécutés pour de tels actes. La sévérité de la peine encourue n’en était pas moindre qu’aujourd’hui. Les changements procèdent davantage de l’appréciation du préjudice que du crime lui-même.

Qui est la victime ? La femme, brutalisée, pénétrée de force, humiliée et traumatisée comme on le considère désormais ? Ou le père, le mari, le clan, le pays tout entier, que le violeur a dépossédé d’une femme, à qui il a fait la démonstration de l’incapacité des hommes à la défendre17 ? Une jeune fille vierge violée qui ne peut plus être mariée constitue un préjudice pour les siens, le mariage avec le violeur devenant une des meilleures réparations possible, annulant tout autre peine18. Une épouse, enceinte d’un viol qui mettant au monde l’enfant introduit la bâtardise au sein de la fratrie. L’on comprend mieux dans ces circonstances l’injonction au silence, car ne rien dire c’est enfermer le crime dans le corps de sa victime, c’est empêcher qu’il atteigne le groupe et en particulier ses hommes. Après avoir été quasiment abandonnée par les juridictions pénales depuis Napoléon, c’est autour de la notion de crime contre les femmes que la question fut abordée dans les années 1970 aboutissant à la loi de 1980.

Cette rupture dans la qualification juridique du viol survenait au terme de deux décennies de revendications féministes autour de la question du corps. Les lois portant sur la contraception, l’autorité parentale, le divorce, l’avortement établissaient un nouveau cadre légal dans lequel les femmes pouvaient affirmer le contrôle de leur propre corps. Cependant, l’intégrité physique des femmes demeurait menacée par une criminalité sexuelle qui bénéficiait bien souvent d’une indulgence sociale et judiciaire. Tout en demeurant au second plan par rapport à celle pour l’avortement libre et gratuit, la condamnation du viol prit de plus en plus d’importance. La logique était alors éminemment politique et le viol défini comme la manifestation sexuelle de la domination masculine. Différents slogans virent le jour « Quand une femme dit non c’est non » ou « Le viol est un crime » jusqu’au plus radical : « cet homme est un homme, cet homme est un violeur ». En 1976, fut traduit en français l’ouvrage de Suzan Brownmiller, sorti l’année précédente aux États Unis sous le titre Against our Will. Dans sa préface Benoîte Groult soulignait en quoi « le viol n’est pas un crime sexuel mais un acte de violence et d’autorité [commis] par des hommes normaux.19 » Elle évoquait

17 Joanna Bourke, Rape: a history from 1860s to the present, London: Virago and Emeryville, CA: Shoemaker

and Hoard, 2007.

18 Didier Lett, « Connaître charnellement une femme contre sa volonté et avec violence ». Viols de femmes et

honneur des hommes dans les statuts communaux des Marches au XIVe siècle », in Julie Claustre, Olivier Mattéoni, Nicolas Offenstadt, Un Moyen âge aujourd’hui, PUF, 2010, p.455.

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également, comment les trois avocates20 de deux jeunes campeuses belges violées dans le sud de la France, venaient d’obtenir le renvoi en Cour d’assise de l’affaire.

Ce fut en effet ce procès, devant la Cour d’Assise d’Aix-en-Provence en 1978, qui permit de dénoncer la discrétion, voir la complaisance, avec laquelle les tribunaux jugeaient jusque-là les affaires de viols : correctionnalisation, huis clos prononcé à la demande des accusés, suspicion de consentement vis-à-vis des victimes. Comme le procès de Bobigny avait en 1972 favorisé la mobilisation pour la libéralisation de l’avortement, celui d’Aix fit bouger les lignes. Les plaignantes et leurs avocates mirent au premier plan la souffrance intime des deux victimes : le saccage, la destruction, leur identité de femme tuée. Mais elles durent aussi batailler tout au long de l’audience contre la suspicion du consentement, alors qu’elles s’étaient défendues avec un marteau.

Les viols en France au début du XXIe siècle

Depuis les modifications législatives des années 1980, le nombre de condamnations pour viol a été multiplié par quatre, atteignant 2151 pour l‘année 2008, soit plus de la moitié des crimes sanctionnés21

. Si cette augmentation conséquente du nombre de condamnation reflète une prise en compte nouvelle des violences sexuelles en général et des viols en particuliers, la nature même des statistiques judiciaires, ou policière reflètent très imparfaitement la réalité d’un phénomène. Si les condamnations ont été multipliées par quatre, personne ne suggère une augmentation du nombres de viols dans les mêmes proportions, mais bien en renforcement des poursuites et des affaires déférées en Cour d’assise. D’où l’importance des enquêtes lancées dans le prolongement des prises de position internationales des années 1990 : la 3e conférence ministérielle européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes à Rome en 1993, la conférence de Pékin en 1995, la première enquête internationale lancée par l’Organisation mondiale de la Santé en 1996. En 2000 était rendue publique l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF). Depuis, d’autres enquêtes furent menées22

et surtout une attention particulière est désormais partagée par de nombreuses administrations, comme celles de la justice, de la police et de la santé. Ces enquêtes menées sur plusieurs milliers de personnes confirment la disproportion entre les

20 Il s’agissait d’Anne-Marie Krywin, de Marie-Thérèse Cuvelier et de Gisèle Halimi.

21 Ministère de la justice, Rapport, Les condamnations en 2008, Paris, Justice, 2009. 15 000 délits sexuels ont

également été sanctionnés

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condamnations, environ 2000, les plaintes, autour de 10 00023

, et les déclarations lors des enquêtes qui suggèrent un ordre de grandeur de 50 000. 0,3 % de l’échantillon de l’ENVEFF a déclaré avoir été victime d’un viol dans l’année écoulée, soit rapporté à la population des femmes âgées de 20 à 59 ans environ 48 000 victimes24. De ces viols il ressort que l’agresseur était seul dans 9 cas sur 10 et connu de la victime dans 7 à 8 cas sur 10. L’on perçoit ici le décalage entre la frayeur extrême que provoque le viol collectif que l’on pense au film

Orange mécanique de Stanley Kubrick ou à la panique morale autour du phénomène des

« tournantes » au début des années 200025

et la réalité statistique du phénomène.

L’on mesure désormais l’ampleur de la violence sexuelle, non que celle-ci ait augmenté, les données manquent pour quantifier son évolution dans le temps, mais la sensibilité de nos société envers elle s’est considérablement accrue. Les définitions du viol et de l’agression sexuelle ont englobé progressivement des actes qui n’était pas perçus comme tels auparavant. Cette sensibilité nouvelle s’est traduit récemment par une plus grande prise de parole des victimes. Certes, seules 17% des victimes d’un rapport forcé en parlent immédiatement ou dans les jours qui suivent. La honte sociale, l’humiliation demeurent, et rendent difficile le récit de cette souffrance. Cependant il apparaît que ce sont les générations les plus anciennes qui en parlent le moins. En ce qui concerne les femmes ayant subi des rapports forcés et des tentatives de rapports forcés, la proportion de celles qui en ont parlé est de 33% pour les 60-69 ans et de 71 % pour les 18-24 ans26

. Manifestement, la mobilisation féministe contre les violences faites aux femmes, les relais institutionnels, les campagnes internationales ou nationales, la plus grande exposition médiatique ont lentement fait bouger les choses.

Nous aurions pu étendre cet article à la terre entière, développer davantage les autres violences à caractère sexuel, montrer ce qu’il en est en temps de guerre quand les viols peuvent parfois devenir massifs, évoquer les viols de l’enfermement qu’il s’agisse de la prison, du camp ou de la salle de torture, parler aussi des viols d’hommes et de ceux commis par des personnes de même sexe. Enfin, rappeler ce qu’il en est des viols d’enfants, incestueux ou non. L’affaire Dutroux, le procès d’Outreau, le tourisme sexuel et les scandales

23 9993 plaintes pour viol en 2005

24 Maryse Jaspart, Elisabeth Brown, Stephanie Condon, Les violences envers les femmes en France. Une enquête

nationale, Ministère du travail, 2003.

25 Laurent Mucchielli, « Approche sociologique de la violence sexuelle. Le cas des viols collectifs », Stress et

Trauma, 2008, 8(4), p.243-252.

26 Nathalie Bajos, Michel Bozon et l’équipe CSF, « Les violences sexuelles en France : quand la parole se

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à répétition sur les pratiques pédophiles au sein de l’église catholique ont ponctué l’actualité de ce début du XXIe siècle.

Le sujet est immense. Le choix a été fait ici de demeurer dans le cadre français afin de percevoir à l’échelle d’un pays les changement à l’oeuvre. On le voit, le viol n’est en rien une violence « naturelle » résultat d’une irrépressible pulsion virile. Comme le meurtre, le vol, il menace le groupe dans lequel il est commis. Pourtant, sa condamnation est incertaine, posant à bien des occasion la question de sa possible acceptation. Violence sexuelle et sexuée il dit quelque chose de la relation entre les sexes, des rapports de domination et d’appartenance entre hommes et femmes. C’est en répondant à un quadruple questionnement — Comment une société dit le viol, qualifie le crime, reconnaît la victime et condamne le coupable — que se dessine à travers le temps une définition du viol.

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