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Introduction

Guy ROCHER

La Charte de la langue française compte parmi les interventions politiques les plus importantes du 20e siècle au Québec. Les effets et les suites de cette législation se font sentir dans bien des directions. On peut en effet nettement distinguer entre le Québec d’avant 1977 et celui d’après.

Parmi ces effets, on l’oublie aujourd’hui, il y a la «paix linguistique» que connaît le Québec d’après 1977 en comparaison du Québec de l’avant 1977. La dizaine d’années qui a précédé l’avènement de la loi 101 a été marquée par une grande turbulence sociale, une succession de lois et de projets de loi linguistiques, des manifestations de rue et des affrontements, une profonde crise sociale qui divisait les Québécois, dont l’enjeu était alors l’anglicisation par l’école des enfants des familles immigrantes. Les gouvernements successifs de l’Union nationale de Jean-Jacques Bertrand de la fin des années 60 et du Parti libéral de Robert Bourassa des années 70 en subirent de durs contrecoups qui les ébranlèrent et contribuèrent à leur perte.

La mémoire historique collective étant ce qu’elle est, cette période de l’histoire du Québec apparaît déjà comme de l’histoire ancienne. Il y a lieu d’en rappeler brièvement les principaux événements.

Au début des années 60, au moment où la vague d’immigration vers le Québec s’amplifiait, des observateurs cherchèrent à attirer l’attention sur le fait que les immigrants arrivant au Québec s’intégraient à la minorité anglophone et inscrivaient très majoritairement leurs enfants à l’école anglaise. La Commission Parent fut la première instance publique devant qui le problème fut posé en 1962-1963. Elle en tint compte dans son Rapport, mais par des vœux pieux, rejetant toute forme de coercition en faveur de la persuasion. Ces quelques pages du Rapport passèrent inaperçues.

C’est dans une commission scolaire locale que la crise éclata. En novembre 1967, les dirigeants de la Commission scolaire de la ville de Saint-Léonard, sur l’île de Montréal, décidèrent de mettre fin à l’expérience de classes bilingues pour les immigrants, expérience qui, contrairement

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aux attentes, n’avait en rien favorisé la francisation des enfants des familles immigrantes. Les autorités de la Commission scolaire prirent donc la décision de leur imposer de fréquenter l’école française. Il s’ensuivit une vague d’affrontements entre les tenants de l’école bilingue et ceux de l’école française, des manifestations de rue, de la violence. La «crise de Saint-Léonard» faisait prendre conscience que le français ne jouissait d’aucune force d’attraction auprès des nouveaux venus au Québec. Il en résulta que, de locale qu’elle était d’abord, l’«affaire de Saint-Léonard» devint celle de tout le Québec. Répondant à des pressions nombreuses et divergentes, le gouvernement du parti de l’Union nationale dirigé alors par Jean-Jacques Bertrand dut agir. Il créa en 1968 une Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec (Commission Gendron) et présenta la première législation linguistique, le projet de loi 85, qui reconnaissait le libre choix de l’école, anglaise ou française, pour tout enfant, indépendamment de sa langue et de ses origines. L’opposition fut si forte que le gouvernement dût retirer son projet de loi.

Il crut cependant pouvoir revenir à la charge en 1969 avec le projet de loi 63, intitulé : Loi pour

promouvoir la langue française au Québec. Mais sous ce titre, c’était, comme on l’a dit, «un

chef-d’œuvre d’ambivalence», car en réalité ce nouveau projet de loi ne faisait que reprendre le projet de loi 85 et officialisait le statu quo en faveur du libre choix de l’école. Cette fois, le gouvernement Bertrand réussit à faire adopter sa loi en novembre 1969, mais dans un climat survolté de contestation et de crise sociale. Cela ne contribua pas peu à la chute du gouvernement de l’Union nationale à l’élection d’avril 1970.

Le gouvernement du Parti libéral dirigé par Robert Bourassa ne s’empressa pas de toucher à la législation linguistique. Mais finalement poussé par la colère croissante de l’opinion publique nationaliste et la montée du Parti québécois, il déposa en mai 1974 le projet de loi 22, intitulé Loi

sur la langue officielle. La loi 22, finalement adoptée, se démarquait notablement de la loi 63.

Elle faisait pour la première fois du français «la langue officielle du Québec»; elle invitait les entreprises à se franciser et mettait en place à cette fin des procédures et des mécanismes pour les y aider; elle mettait fin au libre choix de l’école en imposant à tout enfant dont l’anglais n’était pas la langue maternelle la réussite à un «test linguistique». Mais en même temps, la loi 22 était elle aussi très ambiguë : en réalité, elle rassurait les entreprises en ne leur imposant rien, elle s’employait à protéger l’anglais tout autant que le français et au fond engageait le Québec sur la

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voie du bilinguisme sous le couvert de la reconnaissance d’un statut privilégié du français. Elle n’eut l’heur de satisfaire ni les francophones, ni les anglophones; et elle fut dénoncée par les communautés culturelles qui virent dans l’exigence du test linguistique une discrimination contre laquelle elles s’insurgèrent vivement. Cela contribua encore une fois à la chute du gouvernement Bourassa lors de l’élection de novembre 1976, qui amena le Parti québécois au pouvoir.

Durant la campagne électorale de l’automne 1976, le chef du Parti québécois, René Lévesque, avait promis de mettre fin aux tests linguistiques, sans dire cependant comment il comptait les remplacer. C’est d’abord pour remplir cette promesse que, dès au pouvoir, le Conseil des ministres confia au ministre Camille Laurin le soin de revoir en ce sens la loi 22, dans le cadre d’une nouvelle politique linguistique. Mettant de côté la loi 22, le ministre Laurin déposa à l’Assemblée nationale en mars 1977 le projet de loi intitulé Charte de la langue française, depuis lors connu sous le nom de loi 101. La Charte fut adoptée le 26 août 1977.

Que la Charte de la langue française ait mis fin aux perturbations des années 60 et 70 s’explique par différents facteurs. Sans doute d’abord par l’expresse volonté politique du gouvernement Lévesque d’appliquer cette loi et par l’accord d’une forte partie de l’opinion publique québécoise qui appuyait le gouvernement et sa législation. Mais l’effet pacificateur de la Charte s’explique aussi, à mon avis, par le fait que cette législation s’inscrivait dans une politique linguistique globale, touchant toutes les dimensions de la problématique linguistique du Québec. À l’admission à l’école anglaise, la loi 101 apportait une solution qui parut plus équitable que celle des tests linguistiques. Elle était principalement fondée sur le principe de «droits acquis», reconnus aux membres de la communauté anglophone québécoise qui avaient fréquenté l’école anglaise. Mais du même coup, la Charte définissait une politique linguistique d’ensemble pour le français au travail, dans le commerce, l’étiquetage, l’affichage, la toponymie, l’administration publique, les tribunaux. Et cette nouvelle politique s’accompagnait d’une volonté politique si évidente et d’un tel appui populaire qu’elle mit fin aux manifestations de rues. C’est par ailleurs devant les tribunaux que des contestations furent portées, et continuent de l’être, avec des succès variables. Cette paix linguistique a permis que la Charte connaisse ses effets et modifie profondément le visage du Québec, notamment dans l’affichage, l’étiquetage, le français au travail, l’administration et surtout par l’avènement de la génération des «enfants de la loi 101», francisés et généralement intégrés à la culture francophone majoritaire. Bref, la Charte a fait

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reconnaître et —du moins pour une bonne part— accepter que le français est la langue officielle du Québec, non seulement dans un texte de loi, mais surtout dans les faits.

On peut donc en tirer la conclusion qu’une loi peut changer bien des choses. Mais il y faut des conditions. La volonté politique est essentielle, et que cette volonté s’exprime concrètement par des mesures administratives et financières et par la mise en place d’institutions et d’instances chargées d’appliquer la loi. Une loi est un texte sans vie et sans effet si l’État ne s’emploie pas à l’appliquer et ne manifeste pas son intention de l’appliquer.

L’efficacité de la Charte de la langue française peut sans doute être évaluée de manière divergente. Les uns trouvent, non sans raison, que les tribunaux l’ont sérieusement amputée d’une partie de ses pouvoirs et en ont de ce fait limité gravement les effets. D’autres ont fait valoir que des silences de la Charte continuent à donner lieu à des échappatoires. Un bon nombre, au contraire, en sont venus à croire, considérant la paix linguistique acquise, que la Charte a produit à peu près tous les effets attendus et que la reconnaissance politique et sociale du français est définitivement acquise dans la société québécoise.

Cette dernière attitude est, me semble-t-il, trop largement répandue. Et c’est celle qui me paraît poser problème. On semble croire que la loi 101 a été faite pour régler un problème ponctuel, qu’elle était sans doute nécessaire en 1977 mais que ce n’est plus le cas au 21e siècle. On en conclut qu’elle a été si efficace qu’on pourrait s’en passer aujourd’hui, ou à tout le moins la laisser poursuivre son petit bonhomme de chemin sans y toucher.

Il est certain que le contexte de 2005 est, à plusieurs égards, bien différent de celui que l’on connaissait en 1977. La trentaine d’années écoulées a vu se modifier un bon nombre de choses. Mais ce nouveau contexte, plutôt que de nous rassurer sur l’avenir de la langue française au Québec, appelle l’élaboration d’une nouvelle politique linguistique adaptée aux défis et aux contraintes qui seront ceux du 21e siècle. Rappelons que lorsque le projet d’une Charte de la langue française fut rendu public en 1977, il s’accompagna d’un important document public, l’Énoncé de politique (alors appelé Livre blanc), dans lequel étaient exposés la nature des problèmes du français comme ils se posaient à ce moment-là, les raisons, les motifs justifiant le projet de loi ainsi que la «philosophie» sociale et politique qui le sous-tendait. La situation de la langue française au Québec au début du 21e siècle exige que s’ouvre un nouveau chantier de

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réflexion, non pas d’abord sur une loi, mais sur une nouvelle politique linguistique dont la loi sera l’expression juridique et politique.

La nouvelle politique linguistique doit être repensée dans des termes différents de celle de 1977. Elle doit être québécoise, nul doute, mais avec une large ouverture sur la problématique de la langue française sur la scène internationale et dans le nouvel espace de la mondialisation. Il faut maintenant en être conscient : l’avenir de la langue française ne se joue plus que sur le territoire québécois. Le sort du français dans l’avenir dépendra très largement du statut que ses locuteurs réussiront à lui faire ou à lui sauver au sein des rapports de force qui se jouent au plan international. Pour que le français s’épanouisse au Québec, il faudra maintenant et plus encore qu’aujourd’hui prendre l’initiative de sa présence mondiale. Le Québec porte donc une responsabilité essentielle dans la francophonie internationale; il lui faudra y assumer un leadership intellectuel et politique. Allons plus loin encore : d’importantes alliances devront se faire avec les représentants des autres grandes langues, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, en particulier, qui subissent sur le plan international la même pression à s’estomper devant l’anglais.

Telle est assurément l’une des grandes leçons qui se dégage du présent ouvrage.

* * *

Comment le lecteur peut-il aborder ce livre? Disons-le d’emblée, il s’agit d’un ouvrage savant, bien sûr, mais qui en même temps s’adresse à un large public. Il est savant, cet ensemble d’études, parce que chacun des auteurs est un spécialiste du sujet qu’on l’a invité à traiter et qu’il ou elle a voulu nous faire partager le fruit mûr de ses recherches, de ses études, de sa longue fréquentation de la matière. Il est par ailleurs accessible, cet ouvrage, parce que les auteurs se sont tous efforcés de présenter leur sujet en s’adressant non pas à des collègues spécialistes mais à tous ceux et celles qui se préoccupent du présent et de l’avenir de la langue française au Québec et dans le monde.

Le lecteur de cet ouvrage est donc invité à entrer en communication avec des auteurs qui, tous, se sont, chacun selon sa spécialité, employés à faire le point sur une dimension particulière de la situation en 2005 du français, en lui-même et dans ses rapports avec d’autres langues, au Québec

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et dans le monde. Cette sorte d’inventaire n’est cependant pas statique, loin de là : à peu près tous les auteurs abordent leur sujet en tenant compte d’une évolution en cours, depuis un temps plus ou moins long, des défis à relever et des perspectives d’avenir.

Dans un ouvrage collectif comme celui-ci, qui s’ouvre sur plusieurs horizons, même si c’est toujours autour du même thème-pivot, chaque lecteur peut y voyager selon ses intérêts, mais également selon sa curiosité. L’état et l’évolution du français y sont abordés selon quatre grands chantiers d’exploration et d’évaluation.

Le statut du français dans le 21e siècle, tel qu’il s’annonce, sera intimement lié à la place qu’il se fera dans le nouveau monde créé par la révolution technologique de l’information. Il est donc impérieux de comprendre à fond et de manière réaliste les enjeux et défis de cette mutation, les conséquences qu’elle entraîne et risque d’entraîner pour les langues autres que l’anglais et les actions à entreprendre. Ce premier chantier est ouvert par trois chapitres en particulier —et d’autres aussi— qui jettent une lumière, parfois rassurante et à certains égards alarmante, sur le contexte nouveau et ce qu’il présage pour l’avenir presque immédiat. Comme l’écrit Réjean Roy, l’auteur d’un de ces deux articles : « Il ne fait aucun doute que le Québec vit actuellement un moment charnière de son histoire linguistique. En effet, la baisse de productivité —et donc de richesse collective— qui résulterait de l’incapacité des francophones à passer avec succès de l’ère industrielle à l’ère informationnelle aurait des répercussions négatives sur le prestige du français». L’avertissement est sévère, on ne peut faire la source oreille, car de toutes les « choses qui ont changé », il en est qui sont favorables à la diversité linguistique et d’autres qui sont susceptibles de la mettre en péril. Il est urgent d’agir car, constate Réjean Roy, « les stratégies de délocalisation [des services linguistiques] sont surtout utilisés dans l’espace anglophone ». Ce qui l’amène à conclure que « l’heure n’est plus seulement aux stratégies défensives d’aménagement linguistique. Les États comme le Québec doivent désormais passer à l’offensive pour assurer que leur langue demeure un outil de production de valeur ajoutée ». L’avenir de l’économie québécoise —et des pays francophones— est étroitement associé à celui de leur langue et de leur culture.

Au cœur de ces « stratégies offensives » se trouve la reconnaissance effective et pratique de la diversité linguistique et culturelle. C’est le thème que développe en profondeur le chapitre de

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Christine Fréchette. Le constat qu’elle fait au départ appelle toute notre attention : celui du déséquilibre entre la solide protection internationale des droits commerciaux et le silence concernant les droits culturels et linguistiques. Une action immédiate et vigoureuse s’impose : « Il nous faut donc, écrit-elle, agir rapidement pour déployer à l’échelle internationale un corpus de droits qui permette de rééquilibrer les forces entre les intérêts commerciaux et les intérêts non commerciaux. Il nous fait hisser à l’échelle internationale les droits culturels et linguistiques ». Il ne semble pas, hélas! qu’on puisse à cette fin compter sur l’UNESCO comme on aurait pu l’espérer : pour des raisons diverses, cette grande instance internationale « réussit le tour de force (dans l’avant-projet de convention) de traiter de l’importance de protéger la diversité des expressions culturelles, sans même faire référence à la langue ». En réponse à cette situation, Christine Fréchette propose que le Québec s’engage activement dans le « développement d’alliances stratégiques avec des États ayant à cœur la préservation et la promotion de la diversité linguistique », et en tout premier lieu avec les pays des Amériques de langue espagnole et portugaise, susceptible d’« en constituer l’axe prioritaire d’intervention ».

À cette fin, soumet Christine Fréchette, le Québec détient un atout de taille pour s’engager dans cette voie, mais qui est occulté ou négligé : « Le Québec et la région montréalaise particulièrement sont les endroits en Amérique du Nord où le bilinguisme et le trilinguisme sont les plus développés ». C’est là un avantage économique pour les Québécois et Québécoises, dans l’économie de la mondialisation, qui doit aussi devenir un avantage politique pour la promotion de la diversité linguistique. C’est en ce sens que Christine Fréchette conclut que « l’enrichissement que génère la maîtrise de plusieurs langues » devait être un des « arguments justifiant l’insertion du plurilinguisme comme nouvel objectif de la politique linguistique québécoise ».

L’usage du français, de l’anglais et d’autres langues dans les milieux de travail a une longue histoire au Québec. En 1977, le projet de rétablir et promouvoir le français au travail fut un objectif prioritaire du législateur en promulguant la Charte de la langue française. Cet objectif inspira en particulier l’obligation faite aux entreprises d’élaborer et appliquer des «programmes de francisation» et d’instaurer des «comités de francisation». C’est assurément, par ailleurs, ce chapitre de la Charte, qui a été et demeure le plus difficile à appliquer. Des progrès notables ont été réalisés, mais il reste toujours beaucoup de chemin à faire pour promouvoir, appuyer,

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consolider les comités de francisation et pour réaliser les programmes de francisation. Aujourd’hui, la politique linguistique concernant la langue au travail doit relever un double défi : il faut maintenir avec fermeté le cap sur l’objectif de la francisation de tous les milieux de travail, en même temps qu’il faut de manière urgente répondre aux nouvelles exigences linguistiques apparues dans le contexte de la technologisation et de la mondialisation du monde du travail.

Le chapitre écrit par Arnaud Sales s’attaque tout particulièrement à cette nouvelle dimension, en insistant notamment sur les conséquences de «l’économie du savoir», liée à l’internationalisation des entreprises et aux divers changements technologiques qui l’accompagnent. Une nouvelle poussée de l’anglais, du bilinguisme et du trilinguisme s’observe en conséquence dans diverses industries, bon nombre de commerces et institutions de recherche. Ce qui amène Arnaud Sales à rappeler avec force que «l’on fait face ici à un changement majeur qui doit susciter la réflexion et probablement des changements de politique linguistique tenant compte des exigences d’un monde social extraordinairement étendu par les moyens de communication et de transport, l’intégration à grande échelle des activités économiques, scientifiques et culturelles». Il importera, pour que cette politique linguistique de l’avenir soit efficace, de savoir distinguer, comme Arnaud Sales entreprend de le faire, les différents types d’entreprises industrielles et commerciales, selon leur degré et leur mode d’insertion dans ces nouveaux phénomènes.

La présence désormais insistante et à bien des égards contraignante de la scène internationale se retrouve également dans les deux chapitres du deuxième chantier d’études, portant celui-là sur le droit. Depuis la Deuxième guerre mondiale, les États ont accepté, observe Alain Prujiner, « de restreindre la plénitude de leurs pouvoirs par des engagements réciproques en droit international public ». Ces engagements réciproques ont pris la forme de traités ou conventions variés et complexes pouvant avoir, à divers titres et par diverses voies, un « impact sur les politiques linguistiques ». Alain Prujiner passe successivement en revue les deux grandes catégories de conventions internationales et leurs effets réels et potentiels sur les politiques linguistiques : celle des droits fondamentaux et celle des droits économiques. Cette dernière catégorie met en lumière que le « difficile équilibre à établir entre la liberté de circulation des marchandises et des services d’une part et la protection de la diversité culturelle et linguistique d’autre part n’est pas encore atteint ». On retrouve ici le déséquilibre déjà évoqué entre les intérêts économiques dominants et les intérêts non économiques. Et Alain Prujiner de constater à son tour que « l’avant-projet de

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l’UNESCO est bien décevant en ce qui concerne la diversité linguistique ». Le nouveau contexte du droit international public, analysé par Alain Prujiner, l’amène à conclure que « l’ère de la toute puissance étatique sur la politique linguistique est révolue. Les États devront s’habituer à devoir justifier toutes les mesures adoptées, ou même l’absence de certaines mesures, devant des juridictions internationales variées ». La scène judiciaire sur laquelle continuera à se jouer l’avenir de la politique linguistique du Québec connaîtra donc une extension peut-être sans cesse croissante. Il faudra, dans une logique juridique peut-être renouvelée, à nouveau démontrer devant de nouvelles instances, comme on a dû faire devant les tribunaux canadiens, « la légitimité de l’objectif poursuivi et la proportionnalité des moyens utilisés pour les atteindre ».

De son côté, dans une importante section du chapitre qu’il a rédigé, José Woehrling analyse et discute « les règles du droit international des droits de la personne que la politique linguistique du Québec doit respecter ». Il s’agit plus particulièrement en l’occurrence du Pacte international

relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Canada et le Québec. José Woehrling rappelle

qu’en 1993, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies avait conclu qu’en vertu de ce Pacte, « les dispositions de la loi 101 sur l’affichage et les raisons sociales violaient la liberté d’expression ». Il en résulta alors une certaine crise au Québec, de nouveaux affrontements jusqu’à ce que le gouvernement s’en sorte en promulguant la règle de la présence prédominante du français dans tout affichage bilingue.

Pour l’avenir assez prochain, José Woehrling ne peut s’empêcher de constater la tendance vers « une interprétation délibérément extensive des normes internationales », ce qui pourrait contribuer à rendre encore plus vulnérable la Charte de la langue française à l’égard du Pacte

international.

Dans une autre section de son chapitre, José Woerhling fait le point sur la série des décisions judiciaires qui ont affecté à la Charte de la langue française, toujours en en réduisant la portée et les effets. Le lecteur trouvera dans ces pages une information complète et particulièrement nuancée sur la saga judiciaire de la Charte depuis son adoption jusqu’à ce jour. Cette analyse juridique est complétée par les réflexions du juriste sur les trois justifications possibles de l’intervention de l’État québécois en matière linguistique : les nécessités de la cohésion sociale et

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nationale, le respect de droits collectifs et de droits individuels, la défense des langues vulnérables et menacées.

La politique linguistique québécoise a porté avant tout, et porte encore sur la protection et la promotion de la langue française. Elle suppose par ailleurs, et peut impliquer, la constante préoccupation pour la qualité de la langue écrite et parlée. En effet, c’est sur la fierté de sa langue que repose la motivation la plus fondamentale de l’élaboration et de l’application d’une politique et d’une législation linguistiques. Comment compter sur cette nécessaire fierté pour justifier les exigences diverses d’une politique linguistique, si l’on a généralement chez les locuteurs de notre langue le sentiment de parler une langue abâtardie, ou que l’on sait perçue telle par d’autres? Comment espérer que de nouveaux arrivants adopteront une langue dont ne prennent pas soin ceux qui la parlent, la négligent et en donnent une toute autre image que celle de la fierté?

Il n’est donc pas étonnant que le thème de la qualité du français parlé et écrit au Québec ait souvent fait l’objet de bien nombreux commentaires —et depuis longtemps. Il n’y a pas non plus à s’étonner que l’application de la Charte de la langue française ait été accompagnée d’un important travail de la part des organismes créés par cette loi, pour appuyer de diverses manières tous les efforts destinés à améliorer le français parlé et écrit, dans les milieux de travail, dans l’enseignement, dans les médias écrits et électroniques.

C’est l’un des objectifs de cet ouvrage de faire le point sur la qualité du français québécois, sur l’évolution de la norme selon laquelle il est jugé et évalué, sur la connaissance qu’en ont ceux et celles qui l’enseignent, ceux et celles qui l’écrivent dans les journaux, la parlent dans les médias électroniques et la publicité. Dans le chapitre récapitulatif que Chantal Bouchard consacre précisément à ce thème, elle rappelle que les responsables de cet ouvrage ont « réuni une dizaine de spécialistes venus de divers domaines […] et leur [ont] demandé de se pencher sur la question de l’état de la langue au Québec en ces premières années du 3e millénaire ». Cela nous vaut un riche groupe de sept chapitres, incluant celui de Chantal Bouchard, qui, abordant ce thème sous différents angles, forment l’important troisième chantier de cet ouvrage. Marie-Eva de Villers nous fait part de sa recherche sur « la norme réelle et actuelle du français au Québec » d’après l’usage qu’en font en 2003 les journalistes des quotidiens Le Devoir, La Presse, Le Soleil, comparé au français écrit par les journalistes français du Monde. L’évolution de la norme

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définissant la qualité du français québécois est par ailleurs rappelée par Chantal Bouchard. Sur ce thème, on n’échappe pas « au questionnement de la qualité de l’enseignement du français dans les écoles québécoises. Monique Lebrun y consacre deux chapitres : l’un qui retrace l’histoire des réformes successives des programmes de français du primaire et du secondaire de 1969 à nos jours, et du collégial depuis 1967; le second fait le point des recherches actuelles sur la qualité de la langue française chez les enseignants, chez les étudiants des cégeps et des universités et chez les futurs enseignants. Ce dernier thème est également abordé dans le chapitre de Luc Ostiguy.

L’originalité de cet ouvrage est d’accorder une place importante à l’influence des divers médias de communications. On a vu que Marie-Eva de Villers a analysé la langue des journalistes de certains quotidiens. Dans la même veine analytique, Guy Bertrand se pose une série de questions, et y répond, concernant la langue parlée —et aussi écrite— à la radio et à la télévision. « Les gens font la langue, écrit-il, et les médias la transmettent. La responsabilité des radiodiffuseurs demeure néanmoins considérable. Les médias ont le pouvoir de propager une langue de bonne ou de mauvaise qualité à l’échelle de tout un pays ». Ce thème est également repris dans le chapitre de Luc Ostiguy. C’est aussi la même préoccupation qui inspire le chapitre que Catherine Melillo consacre au français utilisé dans la publicité apparaissant dans les différents médias, ainsi que dans l’affichage et l’espace commercial, ce dernier champ faisant précisément l’objet d’un chapitre de la loi 101 qui a connu divers avatars. Enfin, le thème de la révolution technologique revient avec force dans le chapitre qu’Aline Francoeur consacre aux exigences nouvelles dans la formation et la pratique des professions langagières. « Un peu plus de dix ans auront suffi, rappelle-t-elle, pour révolutionner l’environnement de travail du rédacteur, du réviseur, du traducteur et du terminologue, [qui] ont vu leur profession se transformer sous les effets de l’informatique et de la société de transformation ». Dans ce nouveau contexte, qui connaît « une effervescence à la fois grisante et affolante […] la maîtrise du français [est] une exigence fondamentale parfois difficile à satisfaire ».

Il ressort finalement de ces sept chapitres l’image d’une langue française québécoise qui connaît une rapide évolution marquée d’innovation et d’adaptation, dont le bilan est dans l’ensemble assez positif, avec d’importantes zones de correction qui demeurent toujours à venir, tant dans la langue écrite que parlée, à tous les niveaux de l’enseignement ainsi que dans les médias et dans la publicité. Au moins deux leçons s’en dégagent. Les analyses nuancées des auteurs et auteures

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de ces chapitres devraient nous enseigner à éviter à l’avenir les jugements péremptoires et à l’emporte-pièce qui ont trop souvent tenu lieu de tribunal, notamment à l’endroit des enseignants. La deuxième leçon découle de la première : la qualité de la langue est une responsabilité collective et individuelle. Chaque locuteur doit la porter pour lui-même, tout autant que chaque enseignant, chaque traducteur, chaque animateur de radio et de télévision, chaque ministre de l’Éducation.

Le quatrième et dernier groupe de quatre chapitres de cet ouvrage porte sur les locuteurs d’autres langues que le français, dans le Québec d’aujourd’hui. Le premier étudie une réalité mal connue du côté francophone : l’histoire récente de l’enseignement du français aux jeunes Anglo-Québécois. L’évolution politique et linguistique du Québec depuis les années 70 a amené des parents anglophones à reconnaître que leurs enfants avaient tout intérêt à devenir bilingues pour être « à l’aise dans une société et un marché du travail où le français est la langue commune ». Sous la poussée d’initiatives engagées d’abord par des parents, des programmes divers furent finalement mis en place. Comme le dit avec raison Patricia Lamarre, l’auteure du chapitre sur ce sujet : « La recherche de meilleures solutions pour l’enseignement du français (aux jeunes anglophones) est une histoire fascinante qui révèle à quel point l’école comme institution peut se transformer et se transformer rapidement… Dans le cas de l’école de langue anglaise québécoise, nous constatons que lorsqu’il y a suffisamment de pression des parents et qu’on estime que la survie de la communauté et de ses institutions est en jeu, l’école peut se transformer rapidement et radicalement ».

Pour le présent et l’avenir, l’apprentissage du français par les immigrants allophones adoptant le Québec comme pays d’accueil est un défi de taille dans le contexte anglophone canadien et nord-américain. Deux chapitres de cet ouvrage y sont consacrés. Celui écrit par Michel Laurier nous présente le portrait des services de formation linguistique, à temps complet et à temps partiel, offerts aux immigrants adultes non francophones et l’efficacité relative de ces services et analyse les seuils de maîtrise du français, selon une échelle de niveaux de compétence à atteindre. De son côté, Michel Pagé fait un inventaire exhaustif des recherches menées à ce jour au Québec sur « la francisation des immigrants » dans le triple contexte de ce qu’il appelle « la vitalité ethnolinguistique du Québec francophone », celui du pluralisme culturel officiellement reconnu depuis 1990 comme « cadre normatif » et celui enfin des progrès du bilinguisme au sein de la

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majorité francophone. Les « défis » à relever pour l’avenir, selon Michel Pagé, sont nombreux : ils concernent l’action publique non seulement de la part de certains ministères mais aussi « tous les champs d’intervention de l’État »; ils se retrouvent aussi —et peut-être surtout— dans la vie privée car, comme le rappelle à juste titre Michel Pagé, « une grande part du succès de ce projet réside dans les “petits gestes” et les “petits événements” de la cohabitation des membres de la majorité francophone avec les nouveaux membres de la société ». Les analyses nuancées de ces deux chapitres sur la francisation des immigrants, laquelle doit en même temps être une acculturation, montrent à quel point c’est là un thème d’une grande importance pour l’avenir linguistique et culturel du Québec.

Les responsables de cet ouvrage ont enfin tenu à attirer notre attention sur la situation des langues autochtones encore parlées au Québec, sur les problèmes et les espoirs de survivance de ces langues. Le lecteur non initié prendra connaissance, dans le chapitre de Bernard Cleary et Louis-Jacques Dorais, de « la diversité du patrimoine linguistique autochtone du Québec » et des liens étroits entre la langue et l’identité culturelle des Amérindiens et des Inuit. « Parler une langue autochtone, insistent à souligner les deux auteurs, a surtout une fonction identitaire, quasi spirituelle, dont l’absence peut provoquer un vide difficile à combler ». La survie de ces langues, menacées par la pression conjuguée de la domination de l’anglais et du français, appelle des efforts multiples. C’est avec cet objectif en tête que Bernard Cleary et Louis-Jacques Dorais proposent que l’on ajoute « un volet autochtone de la politique linguistique du Québec » dont ils élaborent les grandes lignes et les actions nécessaires. Et une fois de plus, en ce cas comme dans les chapitres précédents, les auteurs nous rappellent que « au-delà des recommandations s’adressant au gouvernement, c’est toute la population du Québec qui devrait se sentir concernée par les défis posés aux langues autochtones… Les Québécois devraient être fiers des langues autochtones parlées sur leur territoire, ainsi que des mots […] et toponymes amérindiens et inuit propres à leur langage. Il s’agit là d’une richesse incontestable, qui contribue à la diversité culturelle du pays ».

* * *

On le constate finalement, cet ouvrage traverse de larges horizons sur la situation présente de la langue française au Québec, dans une pluralité de contextes : la mondialisation, la

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technologisation de l’information, le bilinguisme et le multilinguisme des locuteurs, les exigences de qualité de la langue française québécoise écrite et parlée, la reconnaissance et l’acceptation du français langue commune dans le contexte de la diversité culturelle désormais inhérente à l’identité des Québécois. Élaborer et mettre en application une politique linguistique n’était pas une chose simple en 1977, contrairement à l’image qu’on s’en donne parfois aujourd’hui. L’environnement modifié et changeant du français au Québec et dans le monde, qui est et sera celui du 21e siècle, ne simplifie évidemment pas les choses. Diverses considérations doivent être prises en compte, bien des intervenants sont impliqués, tout citoyen est concerné et doit être conscient de l’être. C’est en définitive peut-être ce qui se dégage avec le plus de force de l’inventaire et des perspectives d’avenir qu’ont accepté de nous présenter les auteurs et auteures des chapitres qui composent cet ouvrage.

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