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L' interférence syntaxique de l'allemand sur le français mosellan

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(2)

MÉMOIRE DE MAÎTRISE

L'interférence syntaxjque de l'allemand sur le francajs mosellan

par

Patrick André MATHER

A 17resis submilted to the Faculty of Graduare Studiesand

Research in partial .fulfilment of the requirements of the degree of Masters ofAns.

Département de linguistique

Université McGiII. Montréal

(c) Patrick André Mather Août 1994

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L'AUTEUR A ACCORDE UNE LICENCE IRREVOCABLE ET NON EXCLUSIVE PERMETTANT A LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE DU CANADA DE

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POURMETTRI~ DE~ EXEMPLAIRES DE

CETTE THESE A LA DISPOSITION DES PERSONNE INTERESSEES.

L'AUTEUR CONSERVE LA PROPRIETE DU DROIT D'AUTEUR QUI PROTEGE SA THESE. NI LA THESE NI DES

EXTRAITS SUBSTANTIELS DE CELLE-CI NE DOIVENT ETRE IMPRIMES OU AUTREMENT REPRODUITS SANS SON AUTORISATION.

ISBN 0-315-99915-2

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RÉSUMÉ

Ce mémoire traite de l'interférence syntaxique de l'allemand sur le français mosellan. La situation géographique de ce département français, situé le long de la frontière allemande, laisse supposer que les Illilgues française et allemande sont en contact dans cette région du fait de leur proximité géographique et de l'histoire du département. Ce mémoire comporte deux granuE volets: tout d'abord, par une étude contrastive de certaines structures syntaxiques du français et de l'allemand, nous formulons des hypothèses au sujet d'une éventuelle interférence de l'allemand sur le français parlé dans le département de la Moselle. Ensuite, dans le cadre d'une enquête sur place, nous mettonsà l'épreuve nos hypothèses en interrogeant deux groupes de locuteurs, jeunes et âgés, pour obtenir des données qui laissent soupçonner une influence de l'allemand sur le français. Des constructions analogues sont alors soumises aux mêmes locuteurs pour recueillir leurs jugements de grammaticalité. Notre analyse nous a permis d'une part d'établir une distinction typologique importante entre les constructions employées par les locuteurs âgés et celles relevées auprès des jeunes. D'autre part, nous avons constaté une hiérarchie dans le degré d'acceptabilité des constructions proposées à ces mêmes locuteurs, hiérarchie que nous tentons d'expliquer.

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ABSTRAeJ

The subjecc of my Thesis is che synraccic inreiference QfGennan in che French (if

che Moselle region. The geographicallocacion of chis Deparrmenr. sicuared dose co che Gennan border. leads me co believe char French and Gennan are in conracc in chis region given cheir geographic proximiry and che hiscory of che area. MyThesis is divided inro ewo main sections. Firsr. chrough a decailed ana/ysis of relevanc syncaccic scruccures in French and Gennan. 1puc fonh several hypocheses conceming che syncaccic inreiference of German in che French spoken in che Moselle Deparrmenr. Then. 1 cesred chese hypocheses chrough excensive jietdworkbyinrerviewing ewo dijferent groups ofspeakers. young andotd. andby ana/yzing chose data produced which indicaced some degree of German inreiference in French. 1 chen submirted chese data co the same speakers to obtain their grammaricaliry judgmenrs. Myana/ysisMsled me to establish an imponant ryp%gica/ distinction beeween the sentences producedbythe younger speakers and those producedbythe etder/y. andto uncover a hierarchy in the acceptabiliry ofthe sentences submirted to these speakers. which 1discussandartemptto explain.

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Remerciements

ÀMmes Nicole Domingue et Lisa D. Travis. de l'Université McGill,

à M, Pierre Cadiot. de l'Université de Paris-V/II et à Mmes Flauder et Nicklaus, de Sarreguemines.

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TABLE DES MATIÈRES 1. INTRODUCTION

2. TYF.JLOGIE DE L'INTERFÉRENCE LINGUISTIQUE: EMPRUNTS ET EFFETS DE SUBSTRAT

2. 1. Les emprunts

2.2. Les effets de suhstrat 2.3. Résumé des di~tinctions

2.4. Prohlèmes théoriques sur le changement linguistique

3.iNTRODUCTION D'UNE SITUATION DE CONTACT FRANÇAIS-ALLEMAND: LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

3. 1. La frontière linguistique : fluctuations historiques et délimitation actuelle des langues

3.2. Evolution de la situation sociolinguistique au cours des 30 dernières années.

3.3. Interférences relevées dans les études antérieures.

4. THÉORIE SYNTAXIQUE: L'ORDRE SYNTAXIQUE DU FRANÇAIS ET DE L'ALLEMAND DANS LE CADRE DU MODELE GÉNÉRATIF

4.1. L'ordre des mots dans la phrase. Théorie des !X)sitions : ordre linéaire et ordre ramifié.

4.1.1 Structure canonique de la phrase en français : positions du sujet, de la flexion, du verbe et de ses compléments.

4.1.2 Problème: ordre libre des constituants en français contemporain. 4.1.3 Ordre SYh\aXique de l'al1emand : structure superficielle et ordre

sous-jacent

4. 1.4 Topicalisation et dislocation-gauche en français et en al1emand 4.1.5 Transfert de l'ordre syntaxique d'une langue à l'autre

4.2. Propriétés des prépositions en français et en al1emand

4.3. Hypothèses relatives à l'interférellce syntaxique de l'allemand sur le français mosel1an.

5. ENQUÊTE SUR LE TERRAIN - Présentation de Sarreguemines 5.1. Méthodologie

5.1.1 Recherche des données 5.1.2 Tesl~

5.2. Résultats

5.2.1 TEST 1 : Résultats du test de production et analyse 5.2.1.1. Classification des phrases relevées

5.2.1.2. Effets de l'âge des locuteurs sur la production 5.2.2 TEST 2 : Résultats du test d'attitude et analyse

5.2.3 Décalages eotre productions et attitudes 6. CONCLUSION

ANNEXES

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.Fasebobbe hiltnix im Sack Ais e bissel Schnuhbcuwack.

Wer wlis noch wie dlls damais war ln Saargueminn on de Sarre?·

Anonyme

Patois sarregueminois

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1. INTRODUCTION

Ce mémoire traite de l'interterence syntaxique de l'allemand sur le français dans la Moselle. La situation géographique de ce département français, situé le long de la frontière allemande, laisse supposer que les langues française et allemande sont en contact dans cette région du fait de leur proximité géographique et de l'histoire du département. Des études antérieures (Cadiot 1980, Rousseau Payen 1979) ont en effet montré que l'allemand dialectal, parlé dans la région depuis plusieurs siècles, a fortement influencé le français tel qu'on le parle dans la Moselle, particulièrement sur les plans ph(lnologique et syntaxique.

L'étude de l'évolution d'une langue ne se résume pas à la constatation des changements. Il faut Il tout le moins tenter \le les expliquer, même si l'explication fournie ne fait pas l'unanimité parmi les chercheurs. En fait, c'est là le principal problème de la linguistique diachronique: est-il possible de rendre compte de l'évolution d'une langue en ne s'appuyant que sur sa structure interne? Sinon, quel rôle les facteurs externes jouent-ilsdans le changement linguistique?

La question n'est pas triviale. Encore faudrait-il savoir ce que l'on entend par facteurs -externes- et -internes-. De façon schématique, les facteurs internes désignent la structure phonologique, morphologique, syntaxique et lexicale d'une langue dOMée,

Il un moment donné de son histoire, indépendamment du contexte social ou historique. Tombent sous l'aPPellation -facteurs externes- tout le reste, Il savoir les considérations d'ordre sociolinguistique comme le prestige social, la diffusion géographique, mais aussi les situations de contact où une langue en influence une autre. Les facteurs externes sont responsables des effets d'interférence et des emprunts, dont nous parlerons ultérieurement.

Nous ne chercheronspasIltrancher la question et encore moins à nous lancerdans

un long débat théorique. Non pas que le problème soit sans intérêt ; simplement, il ne s'agitpas ici d'un article théorique, mais d'une étude empirique.

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4

Notre étude comporte deux grands volets: tout d'ahord, par une analyse l:ontrastive de certaines strul:tures syntaxiques du français et de l'allemand. nous formulons des hypothèses au sujet d'une éventuelle interférence syntaxique de l'allemand sur le français parlé en Moselle, un département de la Lorraine situé le long de la frontière allemande. Ensuite, dans le cadre d'une enquête sur place, nous mettons à

l'épreuve nos hypothèses en interrogeant deux groupes de locuteurs, puis en analysant les données produites qui laissent soupçonner une influence de l'allemand sur le français. Des exemples analogues sont alors soumis aux mêmes locuteurs pour recueillir leurs jugements d'acceptahilité.

Les résultal~ sont présentés de la façon suivante : en premier lieu, nous discutons de façon générale du phénomène de l'interférence linguistique. Puis, nous présentons le département de la Moselle dans son contexte historique et sociolinguistique, en soulignant les principales conclusions des études antérieures sur la région. Ensuite, nous étudions les structures syntaxiques du français et de l'allemand et formulons nos hypothèses sur l'interférence. Enfin, le dernier chapitre présente les principaux résultats de notre enquête sur place, qui comporte un test de production et un test d'attitude, et analyse ces résultats à la lumière de nos hypothèses.

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2.0. TYPOLOGIE DE L'INTERFÉRENCE LINGUISTIQUE: EMPRUNTS ET EFFETS DE SUBSTRAT

Dans les études sur les contacts interlinguistiques, on distingue généralement deux types d'interférence : les emprunts et les effet~ de suhstrdt. Les empnmts constituent \'intégrdtion d'éléments étrangers dans la langue maternelle d'un groupe par les locuteurs de cette langue. L'intertërence du suhstrdt, en r~vanche, résulte de l'apprentissage imparfait d'une langue-cihle par un groupe de locuteurs en voie d'assimilation.

2.1 Les emprunts

Lorsque deux groupes de locuteurs vivent côteàcôte pendant une longue période, même si aucun groupe dans sa totalité n'adopte la langue de l'autre, il arrive qu'ils empruntent mutuellement desélément~ lexicaux ou structuraux. Ce type d' intertërence n'est pas nécessairement bidirectionnel: des considérations d'ordre sociologique entrent enjeu. Si l'une des langues en présence jouit d'un prestige socioéconomique supérieur, elle sera moins susceptible d'être influencée par une langue voisine. En etl"et, les locuteurs d'une langue dominante chercherontàéviter les tournures ou la prononciation des locuteurs d'un substrat (sans toujours y parvenir). En revanche, si les locuteurs de la langue moins prestigieuse, sans pour autant ahandonner leur propre langue, suhissent une pression sociale ou culturelledelapartde leurs voisins, ils auront tendanceàadopter certains traits de la langue du groupe qu'ils côtoient. Dans ce cas, on parle d'emprunts.

11s'agit généralement d'emprunts lexicaux. Ce n'est que lorsque la pression sociale ou démographique est considérable qu'on commenceàconstater une interférence synlaltique ou phonologique importante.

c •• •It is weil known thar lexical items are /reely borrowed /r(}m the

domilUlllllanguage in a contact situafion: but in most cases This leaves the structure ofthe bo"owing language unaffected» (Nad1wni, 1975, p.673)

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6

On peut à titre d'exemple citer le cas du Québec où, depuis plusieurs siècles, francophones et anglophones se côtoient sans pour autant renoncer à leurs langues respectives. On remarquera que si l'anglais québécois (ou canadien) n'a, du moins jusqu'à très récemment, adopté que peu de mot~ ou de structures du français québécois, celui-ci a en revanche emprunté de nomhreux motsàla langue de Shakespeare. S'il a suhi une telle intertërence lexicale, c'est justement parce que l'anglais jouissait d'un prestige social et économique considérahle. Les francophones, qui étaients beaucoup plus nomhreux àapprendre l'anglais que leurs compatriotes anglophon~s ne l'étaientàparler la langue de Molière, ont incorporéàleur vocabulaire des mots et des radicaux anglais, hien que la morphosyntaxe du québécois n'ait guère été modifiée. Les emprunts lexicaux d'une langue à une autre ne requièrent nullement qu'une majorité des locuteurs soient hilingues. En revanche, les structures syntaxiques d'une langue étrangère ne sont adoptées ou imitées par les locuteurs de la langue «emprunteuse- que lorsqu'une proportion importante de ceux-ci sont hilingues et sont depuis longtemps en contact avec la langue qui estàla source des emprunts, De telles situations sont attestées, notamment par Nadkami (1975, p. 681) qui démontre que des structures syntaxiques peuvent être empruntées dans une situation de bilinguisme à la fois extensif (généralisé à toute la communauté linguistique) et intensif(lorsque les deux langues en présence sont employées quotidiennement) :

«.,'We seem10have a clear demonslration lhaf slructural borrowingalail

levels oflanguage (...) can lake place irrespeetive oflhe factor of social prestige. bUl solely as a consequence of intensive and extensive bilinguaUsm wilh a cenain time deplh.»

Autrement dit, lorsque les locuteurs de la langue emprunteuse parlent tous couramment une deuxième langue depuis plusi~urs générations, il peut arriver qu'ils empruntent non seulementdeséléments lexicaux, mais aussideséléments structuraux de la langue-source.

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2.2 Les effets de substrat

Avant d'évoquer les manifestations proprement linguistiques de ce type d'interférence, il convient de définir ce que nous entendons par suhstntt.

On appelle suhstrat la langue d'un groupe de locuteurs en situation d'inlëriorité sociopolitique. Concrètement, il peut s'agir de la langue d'une population conquise, ou encore celle d'un grouped'immigrant~ qui, pour s'intégrer au pays d'accueil, ahandonne sa propre langue au profit de la langue majoritaire, Dans tous les cas, le suhstrat, à

l'image de ses locuteurs, ne jouit que d'un faible prestige social et ne survit en general qu'en famille, alors qu'il est supplanté au tntvail et dans la vie publique par la langue dominante, On voit donc qu'il s'agit avant tout d'une définition sociologique: il n'existe

pasde langue qui soit intrinsèquement un substntt. Son statut dépend d'abord et avant tout de celui de ses locuteurs.

Dans le cas d'une population conquise ou soumiseà un groupe plus puissant, elle renonce souvent àsa propre langue au profit de celle de l'envahisseur. Si les locuteurs ainsi assimilés sont peu nombreux par rapport au groupe dominant, alors leur langue ne laisse que peu de tntcesdansla langue-cible, Detoute façon, les -erreurs- des locuteurs du substntt sont d'autant moins imitées par le groupe majoritaire qu'elles sont stigmatisées : elles sont considérées comme des barbarismes employés par les basses couches de la société. Si au contr.tire les locuteurs assimilés sont nombreux par rapport au groupe dominant sociopolitiquement, alors il se peut fort bien que certaines de leurs -erreurs>, même si elles sontdansun premier temps stigmatisées, soient reproduites dans la langue dominante. C'est le cas notamment des langues romanes, issues du contact entre le latin et les substntts celtiques, slaves, ete,

Ce phénomène peut étonner. Pourquoi, en effet, les locuteurs d'une langue seraient-ils tentés d'imiter la prononciation ou les expressions d'un groupe en position d'infériorité sociopolitique'1 La réponse est simple: ils ne sont nullement tentés d'imiter ces erreurs, ils le font inconsciemment, A force d'entendre un -drôle d'accent> ou une

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8

.drôle de tournure-, à moiilS de se corriger systématiquement, on finit par l'adopter. Pour s'en convaincre, il suffit d't!couter attentivement la prononciation des blancs jamaïcains : elle ressemble étrangement à celle de leurs compatriotes créolophones.

Jakobson (1936, p. 241) avait déjà étudié ce type d'interférence sur le plan phonologique :

.L'action qu'une langue exerce sur la structure phonologique d'une autre langue ne suppose pas nécessairement la prépondérance politique, sociale ou culturelle de la nation parlant la première langue. S'il est vrai que l'idiome des dominés suhit l'influence de l'idiome des dominateurs, d'autre part ce dernier idiome, cherchant à s'étendre, s'adapte aux usages linguistiques des dominés. (...) C'est sur la faculté que possède la langue des dominés de passer ses principes de structure à la langue des dominateurs que se fonde à présent la théorie du substrat»,

Nous avons esquissé les critères sociologiques qui permettent de definir le substrat. Voyons maintenant l'influence linguistique que le substrat peut exercer sur la langue dominante : nous avons parlé d'accent, de prononciation, de structures, En quoi consistent exactement les effets de substrat? En general, il s'agit d'abord et avant tout d'une interférence phonologique et syntaxique:

.Unlike borrowing. interferenee through imperfeet leaming does not begin with vocabulary: it begins with soundsandsyntax.andsometimes includes morphology as weil before words from the shifting group 's original language appear in the target language>. (Thomason et Kaufman, p. 39)

Ce fait s'explique du moins en partiepardes facteurs sociaux. Lorsqu'un groupe de locuteurs acquiert une langue nouvelle, il en apprend en prenüer lieu de lexique puisque c'est la première composante de la langue-cible dont il aura besoin. Onsait par ailleurs que lorsqu'on acquiert une langue seconde, surtout à l'âge adulte, il est extrêmement difficile de perdre son accent maternel, même lorsqu'on maitrise la grammaire ou le vocabulaire de la langue-cible. Ainsi, puisque les effets de substrat résultent de l'apprentissage imparfait d'une langue par un groupe de locuteurs en voie

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d'assimilation, l'-imperfection. consiste souvent en une interférence phonologique (placement de l'accent tonique, réinterprétation de certains phonèmes en fonction de ceux de la langue matemelle, etc.), et aussi parfois en des structures étrangères, c'est-II-dire en une interférence syntaxique et sémantique. Nous donnerons des exemples d'interférence syntaxique dans les prochains chapitres.

2.3 Résumé des distinctions

Nous avons donc établi que les changements linguistiques résultant d'une situation de contact sont de deux types. Les emprunts constituent l'adoption par un groupe de locuteurs de traits (souvent lexicaux) étrangers Il leur langue. Dans le cas des effets de substrat, il s'agit de l'adoption d'une langue nouvelle par un groupe de locuteurs, qui a pour conséquence la modification des structures (phonologiques et syntaxiques) de la langue adoptée,

Il arrive parfois que les deux phénomènes (emprunts et effets de substrat) se produisent simultanément. Pour illustrer cette situation, Thomason et Kaufman (p. 40, d'après Rayfield, p. 85) commentent l'exemple des locuteurs du Yiddish aux Etats-Unis. Ceux-ci ont tous le Yiddish pour langue matemelle et l'anglais pour langue seconde. Etant donné que ces deux langues coexistent non seulement au sein de la communauté mais chez chaque individu, il n'est guère surprenant qu'elles s'influencent mutuellement. Le Yiddish a emprunté de nombreux mots Il l'anglais, mais sa phonologie est restée relativementintacte. L'anglais de ces locuteurs, en revanche, a été fortement influencé par le Yiddish sur les plans phonologique et morphosyntaxique, mais moins sur le plan lexical. Autrement dit, ces locuteurs parlent un Yiddish imprégné d'anglicismes lexicaux, et parlent l'anglais avec un fort accent Yiddish.

Soulignons de plus qu'il existe différents degrés d'interférence du substrat : si ceUe-ci estfaible, alors seules la phonologie et, Il un degré moindre, la syntaxe seront affectées. Si, en revanche, elle est considérable, alors il se peut que des morphèmes

(16)

10

tlexÎonm:ls du suhstrdt fassent leur apparition dans la langue-cihle. Plusieurs facteurs intluencent le degré d'interférence. En premier lieu, le facteur démographique: si les locuteurs du suhstrat sont peu nomhreux par rapport à ceux de la langue dominante, le suhtrat n'aura qu'un faihle effet sur celle-ci. Dans le cas contraire, l'interférence pourra être considérdhle. Il faut aussi tenir compte de la durée de l'assimilation. Si elle s'échelonne sur plusieurs générations, les locuteurs du substrat auront le temps d'apprendreàparler couramment la langue dominante et ne retiendront donc que peu de lrdits de leur langue d'origine. Si, en revanche, l'assimilation se fait en une seule génération, alors les locuteurs du substrat auront cessé de parler leur langue d'origine sans pour autant nécessairement maîtriser la langue-cible. S'ils sont nombreux, leurs -erreurs- se diffuseront et seront intégrées dans la grammaire de la langue dominante.

2.4 Problèmes théoriques sur le changement linguistique

Pour clore ce chapitre, il convient de formuler quelques remarques sur les problèmes que peut poser une argumentation en faveur d'une explication par effet de substrat,

Tout d'abord, de nombreux linguistes privilégient les théories qui s'appuient sur la structure interne de la langue pour expliquer les changements observés : en effet, comment démontrer sans l'ombre d'un doute qu'un changement imputé à l'influence d'une autre langue n'aurait pas pu survenir pour des raisons purement intrinsèques et indépendantes de la situation de contact?

Un deuxième problème est lié il l'insuffisance des données sur les langues en présence, Contrairement au cas des empruntsoùon a souvent affaireildeslangues qui ont coexisté pendant plusieurs siècles sans qu'aucune d'entre elles n'ait été absorbéepar

l'autre, et où on dispose de données suffisantes sur les langues en présence pour pouvoir formuler des hypothèses plausibles sur les traits empruntés, les effets de substrat sont souvent difficile il cerner. En effet, comme nous venons de l'évoquer, le substrat

(17)

Il

disparaît parfois en une seule generation. S'il s'agit de surcroît d'une langue qui n'avait pas de forme écrite, il est souvent difficile de reconstituer sa structure, et à fortiori de

reconnaître l'influence qu'elle a pu exercer sur la langue dominante. De plus, il faut aussi connaître la structure de la langue dominante avant qu'elle n'ait été moditiée par le substrat, et donc disposer de documents écrits antérieurs à l'interférence.

Enfm, lorsqu'on parle d'interférence ou d'emprunts, il est parfois difficile de savoir si les éléments étrangers sont seulement le fait d'interférences ponctuelles chez un locuteur particulier du fait de son bilinguisme, ou s'ils sont réellement intégrés à la langue emprunteuse, Dansle premier cas, on parle d'interférence au niveau de la parole, tandis que dans le deuxième cas il y aurait plutôt lieu de parler d'interférence au niveau de la langue, donc au niveau de la grammaire partagée par tous les locuteurs :

.ln

speech, it (inter/erenee) occurs

anew

in the uneranees ofthe bilingual speaker as a result ofhis knowledge ofthe other tongue, On languge.

wefindinter/erence phenomena whieh, having frequently oceurred in the speech ofbiUnguals. have beeome habitualizedandestablished. Their use is no longer dependanl on bilingualism»', (Weinreich, II)

1Peter Auer (in CadjotlDiumar

cds,

p,I84) va dans le même sens en se demandant, dans

le cadre d'une étude sur la langue d'enfants de travailleurs immigrés italiens en contact avec l'allemand, si les traces étrangères dans une langue donnée font «partie intégrante»du sy~me

monolingue du locuteur, Il propose des critères d'adaptation (phonologique ou autre) de

l'emprunt. Un emprunt adapté phonologiquement ferait partie intégrante de la grammaire interne du locuteur monolingue: c'est sansdoute le cas en France où certains emprunts lA l'allemandet

lA l'anglais sont utilisés tous les jours par des francophones monolingues. En revanche, les bilingues auraient moins tendance lAadapterla prononciation des mots étrangersetleur utilisation serait plus aléatoire, plus individuelle. On peut donc penser qu'une interférence «de parole-devient une interîérence «de langue- lorsqu'elle est employée par toute une population, et non seulement par les bilingues.

(18)

12

Dans ce chapitre, nous avons esquissé les différentes situations de contact qui peuvent survenir, et évoqué les difficultés théoriques et méthodologiques liées à une explication du changement lingub1ique par des facteurs externes (historiques et sociaux). Dans le chapitre qui suit, nous esquissuns une situation de contact entre deux langues, à

savoir l'allemand et le français. Dans ce cadre, nous nous intéressons plus particulièrement à l'interférence syntaxique du substrat germanique sur le français. Au chapitre 4, nous comparons les ~1ructures syntaxiques du français et de l'allemand et formulons des hypothèses sur d'éventuels effets de substrat. Au chapitre 5, nous mettons

à l'épreuve nos hypothèses en analysant les principaux résultat.~ d'une enquête sur le terrain .

(19)

3. INTRODUCTION D'UNE SITUATION DE CONTACT ALLEMAND: LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

U

FRANÇAIS-•

3.1. La frontière linguistique fluctuations historiques et délimitation actuelle des langues.

En Europe, on a souvent la naïveté de croire que les frontières politiques et linguistiques se confondent, et qu'une aire politiquecorre~llOnd toujours plus ou moins

àune unité linguistique et culturelle. Or cette généralisation est trompeuse: s'il est vrdi que les pays européens n'ont, pour la plupart, qu'une langue officielle, ils sont heaucoup moins homogènes linguistiquement qu'on ne sef"dit porté à le croire. Pour s'en convaincre, il suffit d'apprécier les différences dialectales importantes qui existent aujourd'hui encore en Allemagne et en Italie. Ou encore, de remarquer à quel point les revendications autonomistes des Basques et des Catalans en Espagne sont liées à leur identité linguistique et culturelle.

En réalité, les frontières politiques de l'Europe occidentale ne sont justement que cela : desairespolitiques qui se juxtaposent sans se confondre aux frontières linguistiques historiques. C'est notamment le cas de l'Alsace et de la Lorraine qui sont historiquement, du moins en partie, des régions germanophones. En fait, si l'on voulait établir un tracé de la frontière linguistique gerrnano-romane, elle passeraità l'ouest de l'Alsace et scinderait en deux l'actuel département de la Moselle, entre les villes de Metz (francophone) et Thionville (à l'origine germanophone). A cette frontière germano-romane il faut ajouter, du côté germanique, une démarcation séparant les parlers franciques de la Moselle des dialectes alémaniques de l'Alsace. En effet, le francique rhénan s'apparente au sarrois (parlé en Allemagne), au Luxembourgeois et, indirectement, au bas-francique parlé aux Pays-Bas. L'Alsacien, en revanche, ressemble plutôt aux dialectes alémaniques de Souabie (Allemagne) etde Suisse.

(20)

14 • SARREGUEMINES BITCHE. SIERCK • .: ;

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DIEUZE •••••• SAR'Il{:BOURG \'0,

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\.

Frontière

linguistique

(21)

15

Pour ce qui est de la frontière linguistique qui partage la Moselle en deux (Moselle francophone et Moselle germanophone ou .thioise-), elle s'est tixée vers le IX' siècle ct n'a que peu changé depuis, du moins jusqu'au XX, siècle. Elle corre~'pond à peu près

àla frontière politique entre 1870 et 1918. Metz, principale ville du département, est francophone depuis le XII' siècle malgré le hilinguisme de nomhre de ses hahitants.

Cette réalité a une conséquence importante pour le maintien de l'allemand dialectal dans la partie germanophone du département: il n'y a pas de centre urhain important où aurait pu se développer une forme écrite du francique. Il n'existe donc pas, en Frdnce, de variété normative de ce dialecte. Bien sûr, le francique est parlé à Sarrehruck, mais cette ville est en Allemagne, de l'autre côté de la frontière. En fait, la seule variété de francique qui soit reconnue est leLuxembourgeoi~, langue nationale du Grdnd Duché où elle constitue aussi la langue maternelle du plus grand nombre. Mais le frdncique parlé en Moselle - pour peu qu'il soit encore en usage - varie de village en village, de sorte que les habitants de Sarreguemines reconnaissent aussitôt l'accent de Forbach llU de Bitche, villes qui ne sont poUltant qu'à quelques kilomètres les unes des autres.

Nous avons parlé du .dialecte- francique de Moselle. Ce terme est peut-être abusif ici. En sociolingui~1ique, on distingue généralement le dialecte du patois (all. •Mundart.). Pour être appelée .dialecte», une variété linguistique doit connaître un minimum de standardisation, notamment une forme écrite ; c'est le cas du Luxembourgeois et de l'Alsacien, qui sont des langues régionales hien définies et reconnues comme telles, Le patois, en revanche, n'est pas homogène et son usage est limité à la communication orale et, de ce fait, n'est pas vraiment considéré comme une langue par ses locuteurs (Cadiot 1987, p, 756). C'est le cas en Moselle où lespatoisanl~

ne distinguentpastoujours nettement leur patoisdel'allemand, Pour simplifier toutefois, nous parlerons dorénavant d'allemand dialectal pour désigner la variété de francique parlée en Moselle.

(22)

16

3.2. Evolution de la situation sociolinguistique au cours des 30 dernières années

D'un point de vue sociolinguistique, la situation en Moselle germanophone correspond précisémentàla définition de roojless dialecl évoquée par Cadiot et Lepicq (1987), àsavoir un patois ou un dialecte dont les locuteurs n'apprennent pas la variante normative (écrite). Kloss (1977) donne une définition sociolinguistique deroojless dialeel

dans laquelle il cite l'exemple qui nous intéresse, àsavoir la Moselle germanophone.

•Die gleiehe moselfriinkisehe Mundan. die in einem Spraehprofil der Bundesrepublik unter die Dialekle einzureihen wlJre. wUrde in einem Spraehprofil Fronkreichs ais eine noch immer im Moseldepanement gebrauclue. wenn auch aussterbende "Volkssprache" eingestuft werden.'

(Kloss, 233).

En Allemagne en effet, le francique rhénan est considéré comme un dialecte du haut-allemand, c'est-à-dire comme une variante parlée de la langue officielle. Il existe donc un rapport génétique étroit entre la langue vernaculaire, soit le francique, et la langue officielle, c'est-à-dire le haut-allemand utilisé à l'école et par les médias et pour toutes fonctions officielles.

En Moselle par contre, le dialecte francique n'est pas chapeauté par le haut-allemand, mais par le français, langue non-germanique. Il existe des situations analogues un peu partout dans le monde; en somme, partoutoù une langue minoritaire n'a aucun statut officiel.

, .Un même patois francique mosellan, qui dans un profil linguistique de l'Allemagne sel'llit classifié comme dialecte, serait décrit dans un profilling"Jistique de la France comme un patois populaire en voie de disparition quoique toujours utilisé dans le département de la Moselle-.

(23)

17

L'extrait suivant du numéro 4 de Confluences, une revue puhliéeàSarreguemines ct s'intéressant au patrimoine de la région, illustre une situation dynamique, à savoir le recul des langues régionales au profit du français depuis plusieurs décennies :

.L'usage du dialecte se réduisant de plus en plus, il s'agit, non pas hien sûr de recréer une langue morte, mais de reconstituer à partir de la mémoire un langage en voie d'extinction (...). Si par ce moyen il n'est pas possihle de faire revivre une langue qui est vouée à la disparition comme la plupart des parlers régionaux, il est bon, peut-être, si faire se peut, de la sauver de l'oubli total, car elle e~1 un élément de notre patrimoine culturel.- (Gix, p. 49)

Ce recul n'est guère surprenant lorsqu'on connaît lespres.~ions centrdlisatrices et assimilatrices qui sont àl'oeuvre en France depuis plusieurs siècles, et surtout depuis le XIX'. En effet, l'exi~1encedes langues régionales a longtemps été perçue comme une menaceàl'unité nationale: il fallait donc franciser les populations non-francophones afin de favoriser une meilleure cohésion. Ainsi, la scolarisation en français, l'interdiction des langues régionales dans la fonction publique, le service militaire et les mass médias ont contribuéàune assimilation qui, il faut le dire, a fortement progressé, n'en déplaise aux défenseurs du breton et du provençal.

La situation linguistique en Moselle a été abordée dans au moins trois études au cours des vingt-cinq dernières années. Nous allons maintenant résumer les principales conclusions des ces études en ce qui a trait Il l'évolutionde l'équilibre linguistique de la Moselle.

Dans son étude d'un village germanophone de Moselle, Hilbesheim, Rousseau Payen dresse un tableau historiquedela situation linguistiquedela région, dont voici les principaux éléments. Entre 1863 et 1866, dans les 76 communes germanophones, moins de IS p. 100 des personnes ont une certaine connaissance du français. A cette époque, en particulier dans les campagnes, il y a une forte résistance Il la francisation. Entre 1870 et 1914, la Moselle fait partie du Reich et l'allemand est imposé partout, sauf dans les

(24)

18

communes ti)rtement francophones où il est toutefois enseigné comme deuxième langue. A l'issue de la Première guerre mondiale, la Moselle redevient française et le français est imposé à l'école primaire ; l'allemand y est néanmoins enseigné quatre heures par semaine. Entre 1940 et 1945, sous l'occupation allemande, on assiste à une germanisation forcée de l'administration, de la toponymie, des noms de personnes, et les mosellans francophones sont expulsés. Depuis 1946, le français est ànouveau imposé et l'allemand n'a plus droit de cité dans l'enseignement.

En dépit de l'occupation allemande pendant la Seconde guerre mondiale, l'usage du français a fortement progressé en Moselle au cours du XX· siècle: de 15 p. 100 en 1863, le pourcentage des habitants parlant le français est passéà65 p. 100 en 1931 età

90 p. 100 en 1962.

En 1968, la situation à Hilbesheim est la suivante: l'allemand dialectal est autorisé en maternelle et en -classe enfantine-, mais interdit à l'école primaire: certains enfants sont punis s'ils parlent patois pendant la récréation. Les enfants du village vont tous au secondaire, en classe de sixième, ce qui favorise le français car le collège et le lycée sont à Sarrebourg. Ensuite, le service militaire vient renforcer la prédominance du français puisque des jeunes de différentes régions se côtoient. C'est pourquoi les hommes ont d'avantage l'occasion d'apprendre et de pratiquer le français que les femmes.

Rousseau Payen ne croitpas, toutefois, que le français risqueàterme de déloger l'allemand dialectal. Elle estime au contraire que le maintien du dialecte en famille a permis a celui-ci de résister aussi bienà la germanisation (1870-1914, 1940-1945) qu'à la francisation (entre les deux Guerres et depuis 1945),

-1\ semble que pour l'instant on se ttouve devant l'extension d'une situation de bilinguisme qui n'était pas générale et non devant le remplacement d'une languepar une autre.- (Rousseau Payen, p. 121)

(25)

19

Dans une t:tude sociolinguistique puhlit:e en 1977 (Sprachwechsc1 in Qsl-Lothrinllenl. Walter Hoffmeister est heaucoup plus pessimiste. Il distrihue des questionnaires hilingues détaillésàdes écoliers et lycéens en Moselle germanophone atin de connaître leurs hahitudes linguistiques. Les questions portent sur la langue utilisée en famille, avec les camarades. les chaînes de télévision préférées, les journaux et magazines lus, etc. Il en arrive à la conclusion qu'on assiste actuellement, dans cette région. 11 un recul massif de l'allemand chez les jeunes sous l'effet du contexte social. politique et géographique. Il estime par ailleurs que ce recul pourrait entraîner à terme le remplacement de l'allemand dialectal par le fmnçais, langue officielle. En somme, la frontière linguistique historique pourrait hientôt coincider avec la frontière politique actuelle.

Pourtant, le recul de l'allemand dialectal est peut-être moins rapide que ne le pense Hoffmeister. En effet, ce dernier a commis une erreur importante : son intérêt étant d'ordre strictement sociologique, il ne s'est aucunement préoccupé des différences entre l'allemand normatif et le dialecte francique. En effet, dans les questionnaires, il

n'est question que de français et d'allemand. Or il est vraisemhlahle que certains des lycéens interviewés, bien qu'ils ne parlent pas l'allemand dans sa variété normative (et ont par conséquent répondu -non. aux questions sur l'emploi de cette langue), parlent ou du moins comprennent sa forme dialectale.

Latroisième enquête a été menée par Pierre Cadiot 11 la fin des années 1970, dans la région de Forbach-sarreguemines. Bien qu'il évoque la situationhi~10riqueet sociale de la région, l'auteur s'intéresse principalement aux effets d'interférence entre français et allemand dialectal. Son hypothèse de travail, amplement confirmée par les faits observés, est celle de l'existence d'un triangle glossique allemand-français-dialecte. De

plus, étant donné qu'il s'agit d'un dialecte peu. homogène, les trois langues en présence ne sontpastoujours clairement différenciées les unes des autresparles locuteurs. Dans la vie quotidienne, ceux-ci passent allègrement d'une langue 11 l'autre avec une grande

(26)

20

fluidité, de sorte qu'il existe une sorte de continuum glossique entre l'allemand dialectal ctlc français. P. Cadiot note de nombreux cas d'interférence, d'emprunts, d'alternance et de mélange des langues (code-swilching et code-mixing). A titre d'exemple, citons trois phrases relevées par l'auteur lors d'une conversation:

[ch hale Zigaretten im Déhit de Tabac. Er ist gut considéré dans son travai/.

Reprends du café. ist er gut?(Cadiot 1989, p. 575)

Evidemment, il e~1 parfois difficile de distinguercode-switching, interférence et Mischsprache : tous ces termes décrivent des situations de contact étroit entre deux langues, dont les effets sont visibles tant sur le plan lexical que sur les plans phonologique et syntaxique. Dans Cadiot (1980) on trouve une classification des différentes variétés intermédiaires depuis le français à peu près standard jusqu'à l'allemand dialectal en passant par le français .patoisé» et le patois .francisé». De toute façon, étant donné qu'il s'agit d'un continuum glossique, ces distinctions s'avèrent purement arbitraires et ne visent qu'à schématiser une situation extrêmement fluide, complexe et instable étant donné le recul du patois. cadiot admet d'ailleurs que la situation a vrclisemblablement évolué très rapidement au cours des vingt dernièresannée~,

qui ont connu un fort recul du patois etdes particularismes régionaux du français (Cadiot, 1992).

(27)

3.3. Interférences relevées dans les études antérieures 21

Lasituation sociolinguistique que nous venons d'esquisser donne lieu àdes effets de substrat de l'allemand dialectal sur le français, notammentàcenains cas d'interférence syntaxique.

Dans son étude sur le village de Hilbesheim, Rousseau Payen fait remarquer que

_dansl'ensemble, (...) il Ya plutôt influence du dialecte surle françaisdans le domaine de la prononciation- (p.109), ce qui appuie la généralisation de Thomason & Kaufman sur la nature des effets de substrat. Nous avons aussi noté une forte interférence phonologiquedans notre propre enquête, qu'on peut résumer comme suit:

a) les voyelles nasales du français sont souvent dénasalisées; on entendra par exemple Ishol pour «Jean-, IbOOol pour -bonbon-, ou encore llcusâl pour «cousin-;

b) les consonnes, initiales en particulier, sont parfois dévoisées : -Jean- devient Isb'JI, -garage- se prononce

1bra:Y.

c) à l'initiale, leIvlest parfois prononcéIw/, sansdoutepar hypercorrection : on entendra donc lwualal pour -voilà-.

d) enfin, et c'estsansdoute l'élément le plus frappant, l'accentuation des syllabes

et la prosodie de la phrase portent une fOl1C empreinte dialectale, qu'on décrit parfois commeune intonation chantante'.

À Hilbesheim, Rousseau Payen relève aussi quelques

cas

d'interférence syntaxique :

1)J~fNUK

aussi foin

«Je

peux

le faire

aussi-2)J~ IItlaI~

aussi lIOir

«Je veux le voir aussi-3)J~ ~'smoiIii «Je

me

lIIdS

là-4)

n.

aurasmoipas .Tu De m'auras

paso

S) Tujais leoulltn .Tu

(28)

22

Les constructionsci ;lc:ssus se distinguent du français normatif essentiellement par la position de l'infinitif, qui en allemand est toujours en fin de groupe verb..1alors qu'en frdnçais il suit l'auxiliaire, et la position du pronom, qui est également calquée sur l'allemand : l'usage de pronoms c\itiques ("me/le" au lieu de "moi/toi") intégrés phonologiquement au verbe conjugué est courant en français mais rare, voire inexistant en allemand où on utilise toujours la forme forte du pronom (mich, ihn) qui reste dans sa position canonique, c'est-à-dire immédiatement après l'a~'xiliaire s'il s'agit d'un complément d'objet :

1') [ch kann auch macMII. (verbe à la fin)

2') [ch willibn auch ="'hen. (position du pronom)

3') [ch senemichhier. ( " )

Chez Cadio'l, 01. trouve les exemples suivants :

6) Parti ilétait.

7) Tufais avec.

8) Pour tout le monde s'asseoir.

9) Quandon a 35ans travailléà la mine.

10) J'ai rien du tout fait. (Cadiot, 1980, pp.331 et 332)

A l'exception de l'exemple 8), c'est essentiellement l'ordre des mots qui est affecté ici. Nous tenteronsdans la partie 4 d'expliquer ces exemples par une analyse comparative des structures syntaxiques du français et de l'allemand.

(29)

23 Comme nous l'avons souligné en 3.2. Cadiot étudie le continuum glossique entre l'allemand dialectal et le français dans la région de Forbach-Sarreguemines. 11 distingue essentiellement cinq variétés: 1) le patois -pur-. 2) le patois sahirisé. 3) laMiscllspmehe.

4) le français patoisé et 5) le français vernacularisé. Étant donné que nous nous intéressons à l'interférence du patois sur le français, et non l'inverse, les exemples précités font partie des variantes 4) et 5). Selon Cadiot, la variante 5) -regroupe des productions catégoriellement non-spécifiques à la germanophonie et à la région, et appartenant sans amhiguïté à une compétence passive (d'auditeur) du fnlOçais, seuls leur statut stylistique et leur fréquence relative sont une fonction de la germanophonie- (Cadiot 1980, p. 331).

Au chapitre 5, dans laquelle nous discutons les résultats de notre propre enquête sur l'interférence syntaxique de l'allemand sur le français, nous reviendrons plus longuement sur la distinction que fait Cadiot entre, d'une part, les types d'interférence dont seule la fréquence est imputable à l'allemand, et d'autre part les cas où l'existence même de la construction ne peut s'expliquer que par la présence d'un substrat allemand. Cette distinction s'avèrera cruciale dans l'analyse des données recueillies et commentées au chapitre 5. Lechapitre qui suit porte sur les structures syntaxiques du français et de l'allemand.

(30)

24

4. THÉORIE SYNTAXIQUE: L'ORDRE SYNTAXIQUE DU FRANÇAIS ET DE L'ALLEMAND DANS LE CADRE DU MODELE GÉNÉRATIF

Pour décrire l'interférence syntaxique d'une langue sur une autre, il faut tout d'ahord choisir un modèle descriptif adéquat. A nos fins, un modèle sera considéré adéquat si a) il rend compte de tous les phénomènes syntaxiques pertinents dans les langues 4ui nous intéressent, en particulier la position des constituants dans la phrase et les variations à cet égard (différents ordres syntaxiques) et h) s'il permet d'exposer de façon cohérente les différences ~)'ntaxiques entre les langues que nous étudions, c'est-à-dire s'il réussit à rendre compte de ces différences en les ramenant à quelques paramètres. Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur quatre de ces paramètres, à savoir : a) la position du verbeà l'intérieur du groupe verbal;

h) l'antéposjtion des compléments, en allemand en particulier;

c) la position desar~ments et des adjoints, inversée en allemand par rapport au français;

d) les ptOJlriétés des prépositioos eo francais et en allemand.

Lechoix de ces paramètres a été inspiré par les exemples d'interférence syntaxique relevés par Cadiot (1980)'.

Nous tenterons de voir comment on peut, Il l'aide de ces paramètres, prévoir et expliquer les interférences observées.

(31)

25

4.1. L'ordre des mots dans la phrase. Théorie des positions: ordre linéaire et ordre ramifié.

Dans la linguistique structuraliste, sur le plan de l'ordre des mot~, on oppose les languesàordrelil:!œ(par exemple, le latin) et les languesàordrefiJIl:, comme le français et l'anglais'. Lorsqu'on parle de l'ordre des mots dans la phrase, il s'agit d'un système de places où la place d'un constituant est détinie de façon linéaire. le système des places retlète la forme phonique de la phrase : un constituant B occupera la place entre les constituants A et C s'il suit A et précède C de façon linéaire dans la chaîne parlée.

-une langue à ordre fixe est une langue où le système des places observables est peu diversifié; une langue àordre libre est une langue où le système des places observables est beaucoup plus diversifié. (Milner, p.38)

Ainsi, la syntaxe structuraliste est essentiellement une conception linéaire de l'organisation des constituants dans la phrase.

Dans le modèle génératif-transformationnel, on ne raisonne plus en terme de place. En fait, les places ne jouent aucun rôle fondamentaldanscette nouvelle approche : on raisonne dorénavant en terme de position. La position d'un constituant n'est pas définie en fonction d'un ordre linéaire, mais en fonction d'un ordre ramifié : un

constituant occupe une position hiérarchique dans un arbre syntaxique et il entretient des rapports géométriques avec les autres constituants.

Il existe biensOrune correspondance entre les places observables (ordre linéaire) et les sites définis (ordre ramifié) : dans les langues àordre fixe, on peut penser que le système des placesestsuperposableàcelui des positions. Dans une langueàordre libre, en revanche, il existe une correspondanceone-manyentre les positions syntaxiques et les places observées. A titre d'exemple, on considère, en syntaxe générative, que la

(32)

26

position unique du sujet de la phrase est définie par le noeud N" immédiatement dominé par le noeud 1".' 1) C" X"'/ ""'"

c'

C/ "-,"

N"/ """'"

}ean , /

~V"

1

 a acheté un livre

Cette position est fixe. La place linéaire du sujet, en revanche, peut changer sans que sa position soit modifiée. Il suffit d'insérer un complémenteur sous le noeud C :

2) C"

X"/"

"C'

C,/'" " , "

1 / " - .

(je crois) que N" "

J~n ~/

'd"

a acheté un livre

Dans 1), le sujet est en première place et dans 2) il est en deuxième place, mais sa position reste la même.

6 Chaque groupe est défini comme la projection maximale de sa tête. La tête est tantôt un

nom, un verbe, un adjectif, une flexion (qui selon les cas se réalisera comme un auxiliaire ou un verbe modal) ou un complémenteur (souvent une conjonctiondesubordination). Legroupe X" est pardéfinition une position polycatégorielle puisque la catégorie de la tête X n'est pas définie. Cette position accueille souvent les groupes interrogatifs.

C : complémenteur , : flexion verbale V : verbe

N : nom A : adjectif ou adverbe P : préposition

C" : groupe «complémenteuflo '" : groupe «flexionnel.. V" : groupe verbal

(33)

27 Notons qu'il existe une inégalité parmi les systèmes de places : le système privilégié est celui qui se superpose à celui des positions. Autrement dit, l'ordre -naturel- des constituant~ en français reflète l'ordre hiérarchique des positions défini par l'arbre syntaxique. Les places observées sont donc naturellement reliahles à des positions.

Pour illustrer cette correspondance entre ordre naturel et ordre ramifié, Milner (p. 381) cite l'exemple du Bourlleois Gentilhomme dans lequel Monsieur Jourdain choisit spontanément l'ordre naturel de la phrase :

«Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour-.

11 existe bien sûr d'autres permutations possibles, où le sujet (vos beaux yeux) occupe tantôt la première, tantôt la troisième place sans pour autant changer de position (qui reste invariablement (N" ,1")):

«Vos beaux yeux, Belle Marquise, me font mourir d'amour.-«D'amour, Belle Marquise, vos beaux yeux me font

mourir.-Les positions entretiennent entre elles des propriétés relationnelles, c'est-à-dire des relations géométriques d'inclusion et de domination directes entre positions.

Une position qui attribue une propriété positionnelle (sujet, complément d'objet) est dite position canonique. Certaines positions n'attribuent pas de propriétés positionnelles : c'est le cas du noeud (X",C"I où X" sera tantôt un complément d'objet, tantôt un adjoint (ou «complément circonstanciel.), tantôt un groupe interrogatif. De

plus, lorsqu'un constituant occupe une position canonique, on dira qu'il occupe sa position coïncidente, c'est-à-dire la position qui permet de définir sa fonction syntaxique.

Àtitre d'exemple,dansla phrase ,.(Jean a •.(acheté N.(un Iivrelll, (un Iivrel occupe sa position coïncidente qui permet de l'identifier comme complément d'objet, c'est-à-dire

(34)

28

IN" ,V"l. legroupe nominal immédiatement dominé par le noeud V". En revanche, si on lui suhstitue un pronom, ce dernier précède l'auxiliaire et n'occupe donc plus sa position canonique: .Jean l'a acheté-.

3)

Cependant, pour l'identifier comme complément d'objet, on le relieàsa position canonique par l'intermédiaire d'une trace coindiciée

t..

En résumé, s'il existe souvent un grand nombre d'ordres linéaires observables, en particulier pour les langues à ordre variable, les types de structures positionnelles correspondantes sont peu nombreuses : elles permettent d'identifier les positions canoniques sous-jacentes à l'ordre linéaire.

4,1.1. Structure canonique de la pbrase en fnnçais : positions du sujet, de la flexion, du verbe et de

ses

compléments (arguments et adjoints)

Bien que le français présente une certaine diversitédansl'organisation linéaire des constituants de la phl'llSe, leur représentation arborescente impose de sérieuses restrictions sur le nombre de permutations possibles et met en évidence les positions canoniques du sujet, du verbe, des compléments, ete. Le schéma ci-dessous exprime la structure sous-jacente de la phrase française et en particulier les propriétés relationnelles des positions entre elles.

(35)

4) C" X,,/ ""--

c'

C /

~I"

N"./' ""'"

l' Jean 1 / ' "

~V"

1 / ' "--a X" V'

v,/ """

P"

/

/ ' b::,.,

/ V tJN" au magasin

acheté des fleurs

29

Laposition canonique du sujel est donc [N"

,'''1.

On distingue généralement deux types de compléments du verbe: les arguments, obligatoires, elles adjoints. Un verbe attribue un rôle thématique (ou «thêta-rôle») à son sujet et à ses compléments obligatoires, appelés «arguments» du verbe. En vertu du critère thématique (ou «thêta-critère»), la structure thématique du verbe doit être saturée, ce qui signifie que tous les arguments doivent être réalisésdansla syntaxe. Par exemple, un verbe transitif assigne deux rôles thématiques, l'un au sujet (souvent l'agent) et l'autre au complément d'objet (ou thème). Les arguments du verbe sont obligatoires et en nombre limité.

Le groupe verbal peut contenir, outre les arguments du verbe, un nombre théoriquement illimité d'adjoints. Ceux-ci sont toujours des soeurs d'un noeud intermédiaire V' (V-barre) et dominés parun autre noeud V'.

Dans l'exemple ci-dessus, le verbe acheter a un argument, N.[deS fleursl et un adjoint, p.[au magasin). Onaurait pu ajouter d'autres adjoints comme •.[hierl, p.[à Marie), ete.

(36)

30

En général, entre le noeud 1et V ne peuvent s'insérer en français que des groupes adverhiaux comme .souvent", .malheureusement", etc. En effet, on remarquera que les têtes du groupe flexionnel 1" et du groupe verhal V" sont toutes deux initiales, ce qui entraine deux conséquences importantes: a) le verbe et la flexion (ici, l'auxiliaire avoir) sontadjacent~ et h) les arguments et adjoints suivent le verbe.'

Les positions que nous venons de définir représentent les positions canoniques des constituants de la phrase en frclllçais. En réalité, les constituants se réalisent souvent dans des positions dérivées, notamment en tête de phrase. On considère alors que la position canonique existe toujours et contient un élément vide, t, qui est coindicié avec le constituant en position dérivée et forme avec elle une chine: les notions d'élément vide et de chaine sont essentielles en syntaxe puisqu'elles permettent de maintenir l'exi~1ence

de propriétés positionnelles, comme la fonction sujet ou objet, tout en rendant compte des variations dans l'organisation linéaire des constituants. Un exemple bien connu de position dérivée est celui des groupes interrogatifs : il s'agit de groupes nominaux et prépositionnels qui, en français et dans de nombreuses autres langues, occupent la position [X'

,col

en laissant une trace coindiciée en position canonique. En français \.'Ontemporain, le déplacement du groupe interrogatifest facultatif:

S) ,.(Tu as v.(acheté ces livres quand?

6) dQuand, lISj-,,(tu ~ v·(acheté ces livres t.?

Dan.~ S), le con.~tituant [quand) occupe sa position normale d'adjoint au sein du

b'1'OUpe verbal, tandis qu'en 6) il occupe la position (X",C"), une position dérivée.

'Ce qui n'est pas le cas dans les langues où le groupe verbal est tête-finale : on a alors la situation inverse puisque les compléments précèdent le verbe.

(37)

31

Comme nous l'avons déjà souligné. IX" ,C"I n'attrihue pas de propri<!t<!s positionnelles et peut donc accueillir différents types de constituants. Outre It:s groupes interrogatifs, elle peut accueillir des pronoms relatifs. mais ne peut pas. en français. accueillir les argument~ du verhe : dans la phrase 7), l'adjoint •.(au magasinl peut se retrouver en tête de phrase, mais non pas le complément d'ohjet.

7) Jean a acheté des fleurs au magasin. 8) Au magasin, Jean a acheté des fleurs. 9)

*

Des fleurs, Jean a acheté au magasin.

L'exemple qui suit est encore plus éloquent: le groupe prépositionnel

r.1

à l'école

1

est tantôt un argument (10), tantôt un adjoint (11), et on constate qu'il ne peut être antéposé que lorsqu'il est un adjoint:

10) Marie est allée à l'école 1

*

A l'école, Marie est allée ". 11) Marie travailleà l'école 1A l'école. Marie tnlvaille " .

(38)

32

4.1.2 Problème: ordre libre des constituants en français contemporain

En 4.1 et 4.2, nous avons pris pour acquis que le français est, contrairement au latin, une langueàordre syntaxique fixe où les fonctions gntmmaticales desconstituanl~

sont détinies par leur position hiérarchique dans la phrase. L'ordre canonique, naturel des constituants en français est donc :

Sujet

+

1(flexion)

+

verbe

+

~rguments

+

adjoinl~

Bien sllr, certains syntagmes, notamment les groupes interrogatifs, se retrouvent parfois dans une position autre que leur position canonique, mais on considère qu'ils restent liésàleur position de base par une trace coindiciée. Par ailleurs, la distance qui les sépare de leur position canonique est soumise aux axiomes du Liage et aux conditions de sous-jacence.

Si ces principes et par"c1mètres semblent rendre compte de façon satisfaisante de la plupart des phénomènes syntaxiques du français normatif, il suffit d'étudier quelques ordres syntaxiques du français parlé contemporain pour se convaincre de leurs limites. Prenons à titre d'exemple une phrase banale, en donnant tout d'abord l'ordre naturel, non-marqué des constituants :

12) Jean aime les pommes.

Comme le fait remarquer Anne Trévise (p.IS7), «Ims neutral canonical ordering is rarely

found

in everyday spoken Frenf,i, , .. 'indeed looksUkean example made upby a linguisO-, En effet, ilexiste plusieurs permutations possibles, notamment :

13) ..Jean ilaime les pommes-14) .11aime les pommes Jean-1S) ..Jean il les aime les pommes-t6) ..Jean tes pommes ilaime ça-17) .Les pommes Jeanilaime ça-,

(39)

33

En somme, en français parlé, on peut mettre en relief n'importe quel constituant syntaxique en l'antéposant en tête de phrase, avec souvent un pronom de reprise lorsqu'il s'agit du sujet ou d'un complément ohligatoire.

On peut imaginer des exemples encore plus étoffés où il semhle que les constituants soient alignés pêle-mêle en tête de phrase, suivi d'un verhe accompagné de pronoms c\itiques :

18) Moi, ma grand-mère, son auto, j'l'aime pas.

Un tel exemple ne serd bien sûr cité dans aucune grdmmaire, il n'en reste pas moins que ce genre de construction est très courant dans la langue parlée.

Les exemples 13) à 17) soulèvent une que~1ion fondamentale pour ('analyse syntaxique: est-il vrdiment judicieux de postuler l'existence d'un ordre canonique, non-marqué des con~1ituants en français? Autrement dit, ne poumit-on pas penser que le français ne constitue pas vrdiment une langue à ordre fixe, comme on l'a longtemps supposé? Car si l'on veut maintenir le système des positions canoniques pour les exemples 13)à 17), on risque de se retrouver avec une multitude de chaines et de lr'oIces co-indiciées, ce qui ne favorise guère la clarté de l'analyse syntaxique.

Toutefois, le problème de l'ordre relativement libre des constituants en français peut être résoludansle cadre du modèle générdtif-transformationnel sans nécessairement renoncerà l'hypothèse des positions canoniques. Pour les exemples 13)à 17), on parle de dislocations gauche et droite : autrement dit, on considère que dans chacune des permutations, les constituants sujet et objet sont hel et bien excentrésparrdpportà leur position canonique à l'intérieur de la phrase, mais restent co-indiciés avec les pronoms c1itiques qui sont, eux, en position -normale- ; cette coindiciation exprime essentiellement le caractère coréférentiel du groupe -disloqué- et du pronom en position canonique. Ainsi, dans l'exemple 13), on a un cas de dislocation-gauche du ~'Ujet IJean) ;en 14), le même constituantest disloquéà droite ; en 16), on a deux dislocations-gauche (sujet et complément d'objet), ete.

Dans les sections qui suivent, nous conserverons donc le modèle hiéf'drchique et rdmifié de la structure syntaxique du français.

(40)

34 4.1.3. Ordre syntaxique de l'allemand: structure superficielle et ordre sous-jacent Dans les phrases simples, l'allemand semhle avoir le même ordre syntaxique que

le français' :

19) Johannes kauft l'in Buch.

Jean achète un livre.

En revanche, dans les phrases complétives, le verne conjugué se retrouve en fin de phrase:

20) dafJ Johannes l'in Buch kauft.

que Jean un livre achète.

Actuellement, laplupart des grdmmairiens estiment que l'ordre sous-jacent de la phrase en allemand est celui de la phrase complétive, et que la position du verne dans les phrases simples est une position dérivée.

Mais ia question se complique lorsque le verne de la phrase est conjugué à un temps composé, par exemple au passé composé :

21) Johannes hal l'in Buch gekauft. «Jean a acheté un

livre-22) dafJ Johannes l'in Buch gekaujihal. -que Jean a acheté un

livre-Nous avons vu qu'en français, la tête du groupe verbal V· et celle du groupe flexionnel 1· sont toutes deux initiales. En allemand, on considère généralement que le verne et la flexion sont toutes deux en fin de phrase. Ainsi, on a pour22) la ~1ructure

syntaxique suivante :

, Les ordres étudiés sont en haut-allemand, l'ordre en allemand dialectal est identique.

23)

/ 1 X· C'

~I·

1 1... da8 N·

~

Johannes V· 1

--t.

1

N· V hat. . L'1 f

(41)

35

Comme en français, la position sujet est [N" ,1"1. celle du complément d'ohjet est [N",V"1. mais le complément précède le verhe au lieu de le suivre.

Evidemment, si l'on accepte l'analyse en 23), on est en droit de se demander comment un ohtient la structure de surface des phrases simples affirmatives et interrogatives.

Pour expliquer l'ordre manifeste des constituants en surface, qui retlète l'ordre linéaire audible, on considère que lesconstituant~occupent une position dérivée, et qu'ils sont coindiciés avec les traces occupant la position canonique sous-jacente.

Ainsi, poUl la phrase simple en 19), on aur.! :

24) C" --"l X"

c'

Li

~ Johanne~

C

1

r--...

hat. N· l'

r

~1

~

V'

1 1 ~ N" V t; ~ 1

ein Buch gekauft

Et, pour la phrase interrogative :

25)

X~'

l '...

1· tlat.

~I'

1

r--...

Joharines V· 1

--y'

1

N· V t; ein

B~

Jekauft?

(42)

36

Nutons 4u'en 24), c'est le sujet 4ui se retrouve sous IX" .C") : l'allemand permet 4ue d' autres cunstituanl~, y cumpris les arguments du verhe, occupent cette position dérivée. On aura par exemple:

26) Ein Buch hat Johannes gekauft.

où c'est cette fois le complément d'ohjet 4ui occupe IX" ,C"). Etant donné qu'une position ne peut contenir deux constituants àla fois, la ~1ructure syntaxique suivante est exclue:

27)

*

Ein Buch Johannes hat gekauft.

Enfin, notons que, tout comme en français, la position IX"

,col

peut être occupée par un groupe interrogatif :

28) Welches Buch ha!Johannes gekauft? Quel livre a Jean acheté?

En résumé: d'après cette analyse, les groupes verbal V" et flexionnel 1" sont tête-finale en allemand, à l'inverse du français. Ceci a notamment pour conséquence que les compléments précèdent généralement le verbe. L'ordre linéaire de la phrase complétive reflète le plus fidèlement la structure sous-jacente de la phrase, et donc les positions canoniques des constituants. L'ordre linéaire des phrases simples est un ordre dérivé dans lequel le verbe conjugué s'est -déplacé» en C, et où la position IX"

,col

est occupée par un autre constituant, soit un groupe nominal, un groupe prépositionnel, un groupe adverbial ou un groupe interrogatif. Ceci explique pourquoi dans les phrases simples, le verbe fléchi se retrouve toujours en seconde position.

(43)

37 4.1.4. Topicalisation et dislocation-gauche en français et en allemand

Avant de poursuivre, nous allons définir ce que nous entendons par topicalisation. En effet, nous avons dit que le français ne permet pas l'antéposition des complt!ments d'objet. Or, le complément d'objet se retrouve souvent en tête de phrase, comme l'illustre l'exemple suivant:

29) Des livres, Jean en a acheté au magasin. 30) Les fleurs, Jean les a données à sa mère.

Une première remarque s'impose: les -topicalisations» en 29) et 30) ne sont possibles qu'à condition que le complément soit repris par un pronom, -en» ou -les», En fait, dans la terminologie adoptée par l'école générativiste, les phnlses 29) et 30) constituent des cas de dislocation-gauche, et non des cas de topicalisation. Cette distinction peut sembler complètement arbitrdire, mais il existe des critères hien précis qui permettent dedi~1inguer ces deux cas d'antéposition.

Voici tout d'abord les propriétés fondamentales de la topicalisation :

a) le groupe topicalisé est toujours une catégorie maximale N", P", A". b) la topicalisation n'admet qu'un seul élément en tête de phrase.

c) le groupe topicalisé ne peut être co-indicié avec aucun autre élément de la phrdse, sauf avec la catégorie vide en position argumentale (cf. exemple 24).

d) hl relation entre le groupe topicalisé et la position vide, qui constitue une chaine, est soumise aux axiomes A, B et C du Liage, que nous n'aborderons pas ici,

(44)

38 Il existe au moins deux différences entre la topicalisation et la dislocation-gauche avec pronom c1itique : primo, la dislocation permet d'antéposer plus d'un élément, tandis que la topicalisation ne permet qu'un seul élément en première position.

31) Jean, des livres, il en a acheté deux.

32)

*

Quand; quels Iivresj Jean a-t-il achetés ~ 1;1

Secundo, la dislocation gauche admet la présence (obligatoire en français) d'un pronom coréférentiel. Pour la topicalisation, seule la position argumentale (canonique) videàl'intérieur du groupe verbal peut être coindicié avec l'élément antéposé. Lar'dison principale est la suivante: contrairementà la topicalisation, la dislocation-gauche n'est pas le résultat de l'application d'une règle de déplacement. La présence d'un clitique ser'dit incompatible avec le déplacement. C'est pourquoi pourlatopicalisation, l'absence d'un élément coréférentiel s'explique si l'on suppose une dérivation par mouvement. Par ailleurs, si la dislocation-gauche était un cas de déplacement avec une trace co-indiciée, el1e serait soumise aux principes de sous-jacence qui impose des restrictions importantes sur la di~1ance qui sépare l'élément déplacé de sa position argumentale. L'exemple suivant montre bien que l'antéposition d'un argument en français n'est aucunement soumis aux contraintes de sous-jacence :

33) Leslivres, il me semble bien qu'avant de les donneràsa mère, Jean les avait feuilletés.

En revanche, la topicalisation des groupes interrogatifs est soumise à des restrictions de sous-jacence :

34)

*

Quels Iivl'eSj est-ce qu'il te semble qu'avant de les donneràsa mère, Jean avait feuilletés ..1

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