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Les images interstitielles ou la mort de l’interlude

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Academic year: 2021

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Des images-fragments, des éclats sonores et colorés, des logos et des ombres humaines, ces formes familières relevaient encore il y a une dizaine d’années plutôt du vidéo art (et de la musique concrète). Aujourd’hui ce sont des génériques de télévision ou ces innombrables “images interstitielles” ( ce que les anglo-saxons de MTV appellent la liquid TV) qui habillent les chaînes. C’est sûr les “nouvelles images” ont pris de la bouteille.

J’analyserai ici certains aspects de l’évolution du langage audiovisuel dans le générique de télévision. Assez tôt, en prenant ses distances avec le cinéma c’est-à-dire en devenant tout simplement elle même, la télévision a sécrété, progressivement ses propres objets et en fin de compte ses modes propres de visualité. Ainsi, le générique des émissions de l’(O)RTF dans les années soixante n’est bien souvent qu’un pâle reflet de son homologue cinématographique. Aujourd’hui en revanche, en les comparant, la tentation est grande de les opposer tant dans leur fonction que dans leur nature.

L’éternel retour du générique

Le générique de télévision assure trois fonctions, celle du prélude qui constitue au cinéma “l’entrée dans la fiction”, ici, la simple entrée en matière, celle de nomination de l’émission (le titre) et la fonction de signature d’un collectif de professionnels, bien que ces marques identitaires n’apparaissent que dans les génériques de clôture(et à quelle vitesse !).1 En outre, il est porteur d’une identité plus globale, explicite ou non,

celle de la chaîne (il suffit pour s’en convaincre de mettre en regard les génériques de TF1 et ceux de la SEPT), mais en fait tout comme au cinéma d’ailleurs où, à coté du nom du réalisateur peuvent apparaître ceux du producteur ou du distributeur.

Par contre, il se démarque de ce dernier par un effet de ritualisation et de mémorisation qui peut difficilement se réaliser au cinéma puisque la consommation du film est, de toute évidence, un acte isolé et en principe unique. À la télévision, il est

1 Un emplacement et une lisibilité qui sont révélateurs du statut et de la reconnaissance des professionnels à la

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voué à se transformer rapidement en un repère, une balise dans un flux : le langage ne s’y trompe pas qui parle de l’indicatif d’une émission. Cet “éternel retour du générique” participe en fait de cette captation du destinataire, avec toutes ses stratégies de séduction et de racolage, qui est avant tout une des finalités du média. Et cette fonction supplémentaire va déteindre inévitablement sur sa forme.

Des images sans hors champ

En effet la singularité du générique de télévision concerne plutôt la nature de ses images. Et c’est là sans doute que l’écart est le plus apparent entre cinéma et télévision, pour être plus précis entre genre fictionnel et genre “télévisuel”. Car le téléfilm et le documentaire de télévision nous présentent encore bien souvent des génériques de cinéma alors que ceux des autres productions “télévisuelles” sont essentiellement aujourd’hui construits à partir de ce que l’on appelle, faute de mieux, les “nouvelles images”. En partie parce que de toute évidence l’image numérique a, pour l’instant, certainement plus d’affinités avec l’image électronique qu’avec la pellicule cinématographique. Mais surtout parce que la liberté d’invention y est plus grande et les compositions ou les “mises en page” infinies. Ces représentations “irréelles” tournent le dos à la fonction traditionnellement analogique de l’image, et les constructions sémiotiques qui s’y jouent sont complexes. Elles ouvrent et repoussent sans cesse les limites de la représentation filmique et inventent d’autres types de narration visuelle. En devenant un décor quotidien elles exigent une nouvelle esthétique de la visualité dont nous sommes loin de mesurer tous les enjeux signifiants.: des “simulations sans référent” comme les appelle Gianfranco BETTETINI1 ou des “images [qui] n’ont plus d’extériorité (hors champ) […] elles ont

plutôt un endroit et un envers…” comme le fait remarquer Gilles DELEUZE.2 Trois principes référentiels

Leur analyse est balbutiante. Françoise HOLTZ-BONNEAU 3 dans un rapport de

recherches effectué à la demande de l’INA propose une typologie de ces formes visuelles en posant au cœur de toutes leurs relations possibles trois principes référentiels.

- les mutations qui tiennent de l’alchimie, toutes les transformations de matériau, de couleur, de lumière, de textes, les transformations de formes. (La métaluminance, métatexture etc…)

1 BETTETINI Gianfranco La simulazione visiva. inganno, finzione, poesia computer graphics. Bompiani.

MILAN 1991

2 DELEUZE Gilles L’image-temps. Les éditions de minuit 1985 p 346

3 HOLTZ-BONNEAU Françoise « Génériques et habillages de télévision à la rencontre de l’infographie ». INA

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- les compositions, successions de relations combinatoires qui aboutissent à un terme, ou à l’opposé des décompositions qui vont vers l’entropie. La mise en ordre ou la destruction d’un univers.

- enfin les déambulations, les déplacements linéaires dans l’espace ou des parcours dans le temps.

Elle met en évidence que cette irruption de potentialités technologiques dans l’univers de l’image, malgré les dérives et les effets de modes qu’elle porte, construit des messages signifiants. Et si l’on postule une justification visuelle de ces films, il devient possible de déchiffrer leur ancrage dans du sens : chacun de ces messages propose au téléspectateur une sorte de parcours sensoriel.

Trois ordres de l’image

En croisant ces propositions et celles avancées par J.M VERNIER1 sur une

esthétique de l’image télévisuelle certaines hypothèses portant sur ces objets peuvent se vérifier. Selon lui, l’image de télévision s’est affirmée (historiquement) à partir de trois modes de regard que sous-tendent trois contrats de visibilité, bâtis sur des “croyances” et des modalités d’exposition du voir.

— ce qu’il appelle “l’image profondeur” basée sur la présupposition de l’existence d’un réel à montrer.

— “l’image surface” dont le contrat de visibilité est un contrat de spectacle, “le monde n’est vu que comme déjà mis en scène”.

— “l’image fragment” dont le contrat est énergétique et pulsatif, “visant l’intensité, la pure sensation” dont la forme prototypique est le clip.

Des stratégies d’accroche

Ainsi à partir de l’analyse de la forme et de la substance de certains génériques peut s’éclairer la relation qu’ils établissent avec l’univers dont ils ne constituent que le prélude.

— à cet ordre de “l’image-profondeur” peuvent se rattacher ces défilements en incrustation, qui, en jouant sur la transparence, donnent à voir l’univers représenté, comme si tout affichage et toute marque identifiante étaient superflus : c’est le cas très souvent des émissions politiques et, parfois, de certains jeux.

— les effets de catalogue ou d’inventaire opérés par des procédés de juxtaposition, de feuilletage ou bien de déambulation, sont du coté de “l’image-surface”. On déroule ou on parcourt une encyclopédie d’univers déjà connus: ils introduisent les magazines ou les émissions de variétés.

1 Quaderni n° 4

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— “l’image-fragment” c’est celle du générique-indicatif. Tout le matériau audiovisuel est tourné vers la mise en place de marques identificatrices très fortes, le message devient un signal auto-référentiel ; c’est le cas des journaux télévisés1, des

indicatifs de publicité, de la météo etc…La plupart d’entre eux ont recours justement à l’image de synthèse et s’édifient sur des mouvements de composition ou de mutation, sur la mise en ordre ou bien la dissolution d’un univers.

Des images interstitielles

Mais l’autre particularité du générique de télévision c’est surtout qu’il n’est plus une unité audio-visuelle autonome. Il est partie prenante d’une signalisation beaucoup plus vaste disséminée dans l’espace / temps de la grille de programmation. La fonction d’indicatif que porte le générique est devenue une fonction omniprésente de l’image télévisuelle. Ces images récurrentes, pre-génériques, bandes-annonces, semainiers, logotypes remplissent non seulement les interstices que laissent les programmes mais pénètrent ces derniers. On est bien loin, désormais, du rituel interlude ou du plan fixe sur l’horloge de la “paléo-télévision”. Dans leur nouvel environnement télévisuel les chaînes ont besoin de multiplier les signes de reconnaissance. Ces “images interstitielles” comme les appelle Françoise HOLTZ-BONNEAU prolifèrent aujourd’hui et semblent constituer un générique unique et permanent qui répète sans cesse au téléspectateur “ je suis là, c’est moi, regardez- moi, restez avec moi”.

Trois enjeux

Cet espace résiduel que laissent les grilles de programmation de même que les génériques sont manifestement au carrefour d’enjeux de reconnaissance, d’enjeux commerciaux et socio-culturels majeurs.

- un enjeu identitaire : le formatage de ces images, ce que l’on appelle “l’habillage” de la chaîne impose non seulement des contraintes à la forme des génériques mais par l’intermédiaire de cette signalisation continue, il apporte une “couleur” et un rythme, comme un décor quotidien qui semble couler tel un liquide dans les interstices que laissent les programmes (ce qui fait souvent dire de la SEPT que c’est une chaîne lente). Et c’est en partie sur cet univers visuel et sonore fortement ritualisé que les professionnels visent à édifier “l’image” cohérente de la chaîne et postulent par cet effet de construction identitaire stable la fidélisation des publics.

- un enjeu économique., car cet espace-temps a aujourd’hui une valeur commerciale. Ces bandes-annonces, ces (pré)génériques, toutes ces images-fragments sont des espaces lucratifs sponsorisables (les images du pré-générique des JO

1 François EKCHAJZER propose dans un article paru en 1991 une comparaison entre la culture des chaînes et

les génériques de leurs journaux télévisés. « Informations télévisées, ces génériques qui en disent long ». Image vidéo n° 5

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n’étaient que le support visuel de l’interminable défilé des “partenaires officiels”) et l’espace de ces annonces visuelles est souvent plus rentable que celui de la diffusion de l’émission elle même.

- un enjeu socio-culturel spécifique lié au positionnement de la télévision comme média, l’apparition et l’inflation des pré-génériques pour le sport (ou des logos), des bandes-annonces et des génériques TV pour “la soirée cinéma”, et même sur CNN ce générique surréaliste spécialement conçu pour la guerre du Golfe atteste une volonté hégémonique du média qui tend à tout incorporer. Ces images sont bien, en fin de compte des velléités d’annexion qui constituent une sorte de pallier d’accès au réel événementiel. Et lorsque Paul VIRILIO écrit « qu’aujourd’hui l’image publique l’emporte sur l’espace public »1 c’est un générique sans fin qui défile devant nos yeux,

comme si le petit écran essayait de déposer sa marque sur tout ce qui échappe encore au spectacle télévisuel.

L’écran-miroir

Et l’on peut s’interroger en observant ces images paillettes, à la fois sur ce mécanisme permanent d’annexion médiatique du monde extérieur et sur ces tentatives sans fin de contact avec un destinataire idéal, en revenant sur l’interdiction qui fit tant de bruit à l’époque, celle du générique du JT d’Antenne deux. Ce 2 chromé dans lequel un “monde trop re-connu” se reflétait et qui n’était peut-être en fin de compte que l’aboutissement de tous ces rouages de captation, dont le fantasme final serait, comme dans certains romans de P.K. DICK, la réalisation de l’ubiquité absolue : un miroir dans lequel se reflète l’image de chaque téléspectateur.

Jean Claude SOULAGES

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