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La protection juridique des jeux vidéo : approche comparatiste franco-canadienne

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Academic year: 2021

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La protection juridique des jeux vidéo: approche

comparatiste franco-canadienne

Mémoire

Emie Morantin

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

(2)

R

ÉSUMÉ

L

e jeu vidéo intrigue. Œuvre nouvelle, cette industrie culturelle occupe une place grandissante. Si le statut d’œuvre n’est désormais plus contesté, ce dernier conserve une identité trouble au sein du droit d’auteur français et canadien.

La nature complexe de cette œuvre conduit à retracer l’évolution prétorienne concernant sa qualification juridique.

Le jeu vidéo interroge. Son caractère protéiforme conduit à des difficultés dans la détermination du titulaire des droits d’auteur. D’autant que son caractère évolutif engendre de nouveaux modèles de création. En effet, transcendant les questionnements autour d’une titularité traditionnelle des détenteurs des droits d’auteur sur cette œuvre, les créations des joueurs conduisent à s’interroger sur cette titularité en pleine mutation au regard du droit d’auteur.

(3)

T

ABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ --- II TABLE DES MATIÈRES --- III REMERCIEMENTS --- V

INTRODUCTION --- 1

I. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DU JEU VIDÉO --- 16

A. LE JEU VIDÉO EN TANT QU’ŒUVRE COMPLEXE --- 16

1. La qualification juridique opérée par le droit français --- 16

1.1 Le rejet de la qualification d’œuvre logicielle --- 16

1.2 Le rejet de la qualification d’œuvre audiovisuelle --- 19

1.3 Le rejet de la qualification de base de données --- 22

1.4 Le jeu vidéo, œuvre multimédia à la qualification distributive : le caractère polymorphe du jeu vidéo --- 24

2. La qualification juridique opérée par le droit canadien --- 27

2.1. Le jeu vidéo comme programme informatique --- 27

2.2 Le jeu vidéo comme œuvre cinématographique --- 30

2.3 Le jeu vidéo comme compilation --- 33

B. LE JEU VIDÉO EN TANT QU’ŒUVRE À PART ENTIÈRE --- 35

1. Les attributs généraux d’une œuvre --- 35

1.1. La vision française de l’œuvre --- 35

1.1.1. L’originalité du jeu vidéo --- 35

1.1.2. Les critères d’indifférence --- 38

1.1.3. La mise en œuvre de la protection --- 39

2.1. La vision canadienne de l’œuvre --- 43

2. Les attributs spécifiques au jeu vidéo --- 47

II. LA TITULARITÉ DES DROITS D’AUTEUR DU JEU VIDÉO --- 52

A. LA TITULARITÉ DES CRÉATEURS DU JEU VIDÉO --- 52

1. Un régime favorisant l’approche sécuritaire envers les investisseurs --- 52

1.1. L’œuvre collective selon le droit français --- 52

1.2. L’œuvre créée en collaboration (work of joint authorship) selon le droit canadien --- 58

2. Un régime priorisant l’approche personnaliste envers l’auteur --- 60

2.1. L’œuvre de collaboration selon le droit français --- 60

2.2. Le recueil (collective work) selon le droit canadien --- 66

B. LA TITULARITÉ DU JOUEUR-CRÉATEUR --- 68

1. L’appréhension de la création du joueur --- 68

1.1. Le joueur-créateur selon le droit français --- 68

1.1.1. La création du joueur comme œuvre composite --- 68

1.1.2. La création du joueur comme œuvre transformatrice --- 74

1.2. Le joueur-créateur selon le droit canadien --- 78

1.2.1. La création du joueur comme œuvre dérivée --- 78

1.2.2. La création du joueur comme contenu non-commercial généré par l’utilisateur --- 80

2. L’exploitation de l’œuvre --- 82

(4)

2.2. L’exploitation de la création de l’auteur du jeu --- 84 CONCLUSION --- 90 BIBLIOGRAPHIE--- 93

(5)

R

EMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout particulièrement mes directrices de

mémoire, Madame Julie Groffe et Madame Sophie Verville de par

l’aide qu’elles m’ont apportée dans le choix de mon sujet de mémoire,

par l’écoute, le soutien, la bienveillance et les conseils donnés durant

la rédaction de cette étude.

Je tenais également à exprimer ma reconnaissance auprès du

professeur Alexandra Bensamoun pour m’avoir fait partager cette

expérience enrichissante qu’est le Master Propriété intellectuelle

fondamentale et technologies numériques.

Je remercie enfin ma famille et mes proches pour le soutien

offert durant mon parcours académique.

(6)

INTRODUCTION

P

arvenue à une première maturité industrielle, créative et institutionnelle, l’industrie du jeu vidéo peut encore disposer d’un environnement industriel, culturel et juridique plus structurant, nécessaire dans la concurrence mondiale1.

Ces mots empruntés à Pierre Chantepie mettent en exergue l’importance d’apporter une structure complète à cette nouvelle forme d’art interactif que constitue le jeu vidéo. Ce dernier regroupe plusieurs éléments tels que des effets audiovisuels qui apparaissent aux yeux du joueur et d’autre part un logiciel qui va gérer l’interactivité existante entre l’écran et les actions que le joueur va opérer sur le jeu. C’est cette réunion entre des éléments graphiques et audiovisuels au logiciel qui offre au joueur la possibilité d’interagir avec le jeu vidéo2.

Cette interactivité est de facto liée à la forme de variabilité qu’offre l’implication du joueur dans le jeu vidéo. C’est en effet une des rares œuvres de l’esprit qui permet de se placer non pas en tant que spectateur mais intervenant.

Située entre l’expression créative et technologie avancée, l’industrie créative du jeu vidéo est à part entière. Le jeu vidéo désigne une forme d’expérience vidéoludique qui peut s’exercer sur plusieurs supports et dont l’objectif est de divertir le joueur. Parmi les supports, il existe l’ordinateur, la console et depuis quelques années, le téléphone portable et la tablette.

1 Pierre Chantepie, « La création dans l’industrie du jeu vidéo » [2009] Cult Études n°1, p. 1. 2 Benjamin Cardella, Le droit des jeux vidéo, de la virtualité à la réalité juridique, Thèse de

(7)

Issue d’un métissage entre les jeux de hasard et les jeux de rôle, la création du premier jeu vidéo est indécise quant à sa source3. Certains considèrent qu’il est né en 1952 avec « Oxo », un jeu de morpion de Monsieur Alexandre Douglas. D’autres considèrent qu’il est issu de « Tennis for two » inventé par Willy Higinbotham en 1958. Enfin, les derniers associent sa création avec Steve Russel et son jeu « Space War » en 19624. Le jeu vidéo a connu sa première commercialisation avec le jeu « Pong » en 1972 par Nolan Bushnell5. Survivant à son premier krach en 1983, le secteur culturel s’en trouvé modifié et connaît un regain avec l’avènement d’internet et la révolution numérique. Certains considèrent même ce secteur comme étant l’industrie culturelle du XXIe siècle6. Il reste certain que les jeux vidéo ont connu une forte évolution depuis leur création et leur exploitation.

Élaborés par de jeunes informaticiens ou de simples passionnés, les premiers jeux étaient assez rudimentaires dans leur fonctionnement, simples dans leur déroulement et pauvres dans leur graphisme.

Avec l’évolution des technologies employées ainsi qu’un vif intérêt du public, les jeux vidéo sont devenus de plus en plus complexes, interactifs et réalistes7.

Face à ces améliorations des jeux vidéo, cette œuvre s’en trouve de plus en plus perfectionnée, pourvue d’une accessibilité plus large.

Loin d’être un simple phénomène sociétal, les gouvernements ont pris conscience de l’importance dont pouvait revêtir cet objet. Un rapport du Sénat offre une classification des différentes catégories de jeux vidéo8. Cette large palette va dans le sens d’une accessibilité au consommateur et ce pour plusieurs raisons.

3 Ian Murchison-Morand, Grand Theft Auto IV : l’ultime destin-jeu de Justin et Martin :

recherche-création autour de la problématique de l’écriture dramatique en lien avec le langage vidéoludique, Mémoire, Université Laval, 2010, p.6.

4 Sébastien Genvo, Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo, Paris,

L’Harmattan, 2003, p. 9.

5 http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/jeux_vid%C3%A9o/101575.

6 Pierre-Jean Benghozi et Philippe Chantepie, Jeux vidéo : l’industrie culturelle du XXIe siècle ?,

1e éd., 14e éd., coll. Hors collection, Presses de Sciences Po, 2017. 7 Cardella, supra note 2, p. 25.

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D’une part, les multiples types de jeux vidéo sur le marché, les genres de jeu disponibles, qu’ils soient sur plateforme physique ou en ligne, ainsi que les différentes plateformes répertoriées font qu’il existe de plus en plus d’adeptes aux jeux vidéo.

Alors qu’il y a quelques années à peine, les jeux (joués sur consoles) étaient vendus principalement dans des commerces de détail et que les ventes de consoles et d’ordinateurs comptent encore pour une part considérable des revenus de cette industrie, c’est aujourd’hui le secteur des jeux mobiles (joués sur des dispositifs mobiles) qui connaît la croissance la plus rapide dans ce domaine. La distribution numérique est en pleine expansion, grâce à une baisse des coûts et des barrières à l’entrée9.

D’autre part, certains jeux vidéo ont désormais un prix plus accessible, notamment lorsqu’il est en ligne ou sur smartphone. Il existe en effet des jeux gratuits basés sur un modèle économique croissant, le freemium. Ce sont des jeux vidéo gratuits qui sont pourvus d’une option payante. Il existe ici un lien intrinsèque entre l’amélioration de cette technologie, qui a conduit à des améliorations graphiques et la multiplication des plateformes, et l’avènement d’internet, des équipements portatifs, tels que les smartphones et tablettes, qui ont modifié le comportement du consommateur10.

Enfin, le jeu vidéo est de plus en plus accessible car les joueurs peuvent adopter un rôle de véritable intervenant. De plus en plus spécialisés, les joueurs peuvent être en capacité de créer des œuvres de chez eux. En effet, depuis la commercialisation de « Xeros Star » en 1981, l’interface graphique est désormais beaucoup plus aisée à prendre en main et ne nécessite plus d’importantes connaissances en programmation11. De sorte que l’industrie du jeu vidéo est considérée comme étant celle qui connaît la progression la plus rapide. Elle « constitue un important moteur de croissance

9 David Greenspan, Gregory Boyd et Jas Purewal, « Jeux vidéo et propriété intellectuelle : une

perspective mondiale », OMPI magazine no2 [avril 2014], en ligne : OMPI magazine

<http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2014/02/article_0002.html>.

10 Antoine Casanova, « Droit d’auteur et jeu vidéo, Paysage économique et juridique du jeu

vidéo en France et à l’étranger », La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie, INPI, n°2.5.

(9)

économique, car elle crée des millions d’emplois qui contribuent à répondre à des besoins criants de recettes fiscales et offre d’excellents débouchés pour les créateurs et ingénieurs de talent des quatre coins du globe. »12.

Face à un tel engouement, il y a lieu de remarquer ce contraste « entre la

maturité économique du jeu vidéo, la croissance de ses marchés mondiaux et la méconnaissance dont il souffre au plan culturel »13.

Il a en effet fallu attendre une intervention prétorienne pour que le jeu vidéo soit considéré en France comme étant une œuvre de l’esprit. Au lendemain de l’adoption de la Loi du 3 juillet 1985 qui porte sur les droits d'auteur et les droits des

artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, la Cour de Cassation a statué sur le caractère

protégeable des jeux vidéo14. Certains auteurs considèrent que loin d’apporter un caractère définitif au régime juridique des jeux vidéo, la Cour de Cassation se prononce simplement sur l’absence de raison de principe quant au refus de protection du jeu vidéo en tant qu’œuvre15. La Cour d’appel considérait en effet qu’il s’agissait d’un simple «

assemblage technologique qui requiert, parfois, d'habiles électromécaniciens mais qu'il n'y a pas lieu de « sacraliser » au point de le hisser au rang des œuvres de l'esprit prévues par la loi de 1957 ».

Considérons sur ce point qu’il semble surprenant de parler d’un caractère sacré car ceci non seulement sous-tend qu’il existe un mérite à l’œuvre mais également que certains genres méritent plus que d’autres d’être protégés alors même qu’il existe une indifférence liée au mérite et au genre16. La Cour de Cassation rappelle à cette occasion que dès lors qu’un logiciel est considéré comme étant original, c’est une œuvre de l’esprit qui doit être considérée comme pouvant bénéficier de la protection prévue par la Loi sur le droit d’auteur17.

12 David Greenspan, Gregory Boyd et Jas Purewal, supra note 9. 13 Chantepie, supra note 1.

14 Cass. Ass. Plén., 7 mars 1986, Babolat c/ Pachot : D 1986, p 411, note Edelman.

15 Philippe Gaudrat, « Brèves observations sur le régime de l’œuvre multimédia » [2000] RTD

Com. p. 99.

16 Article L. 112-1, Code de la propriété intellectuelle.

(10)

Rappelons en effet que l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce un certain nombre d’éléments qui ne doivent pas être pris en compte pour apprécier la protection offerte par le droit d’auteur18. Ainsi, peu importe le genre, la forme d’expression, le mérite ou même la destination de l’œuvre en question, pourvu que cette dernière soit originale. L’énoncé des critères indifférents prend par ailleurs tout son sens face à une création numérique comme le jeu vidéo, notamment à propos de l’indifférence du mérite. En effet, lorsque le magistrat se trouve face à une œuvre complexe comme le jeu vidéo, ce dernier peut être dans l’incapacité de pouvoir saisir de prime abord l’ensemble de l’œuvre. Le jeu vidéo ne peut ainsi être résumé à son rendu visuel car ce serait méconnaître son incomplétude en l’absence de logiciel19.

Si la qualification d’œuvre de l’esprit constitue une première étape amorcée par la jurisprudence, encore faut-il que le régime juridique soit pourvu d’une sécurité juridique.

Or, si le jeu vidéo a tendance à être considéré comme étant une œuvre complexe, ce dernier est pourvu d’un régime à hauteur de cette qualification. Véritable « serpent de

mer », le statut juridique des jeux vidéo continue à questionner alors même que le sujet

n’est en aucune façon nouveau20.

En effet, la France a connu de réelles difficultés à reconnaître la qualité d’œuvre au jeu vidéo. En l’absence de prise de position par le législateur, la jurisprudence a dû s’inspirer de l’arsenal juridique existant. C’est in fine par un raisonnement a contrario qu’il y a lieu de considérer le jeu vidéo peut être considéré comme étant une œuvre en l’esprit dès lors que ce dernier est original. De sorte que même si ce dernier est absent de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle qui énonce une liste des œuvres de l’esprit, cette liste n’est pas dite exhaustive.

Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :

18 Article L. 112-1, Code de la propriété intellectuelle : « Les dispositions du présent code

protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. ».

19 Alexandra Bensamoun et Julie Groffe, « Création numérique » [2013] RDC n°8. 20 Christophe Caron, « Le serpent de mer des jeux vidéo » [2011] CCE n°10.

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1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ; 2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres œuvres de même nature ;

3° Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;

4° Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;

5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ;

6° Les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;

7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;

8° Les oeuvres graphiques et typographiques ;

9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ;

10° Les oeuvres des arts appliqués ;

11° Les illustrations, les cartes géographiques ;

12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ;

13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;

14° Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l'habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d'ameublement.

C’est pourquoi la jurisprudence française a admis que le jeu vidéo pouvait être considéré comme une œuvre de l’esprit21.

Si un accord s’est fait quant à la reconnaissance du jeu vidéo en tant qu’œuvre par voie prétorienne, la question du cadre juridique de telles créations n’était pas encore prononcée. En effet, restait encore à déterminer à quel type d’œuvre appartenait le jeu vidéo et quelle était la structure de son processus créatif.

Se prononcer sur la catégorie d’œuvre à laquelle appartient le jeu vidéo semble de prime abord difficile. En premier lieu, il est difficile de catégoriser cette œuvre au vu l’évolution dont elle a fait l’objet. Au début de leur création, les tribunaux accordaient une portée moindre à l’aspect visuel dont les jeux vidéo pouvaient revêtir

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car ces derniers étaient en majorité créés par des ingénieurs en informatique22. C’est ce qui explique par ailleurs que les tribunaux pouvaient conclure à l’absence d’originalité de l’œuvre de par le lien indissociable entre l’expression inhérente à la composante visuelle de l’œuvre et l’idée23. Or, de nos jours il n’est pas rare qu’un studio use comme base technique d’un middleware et qu’une partie mineure du code soit rédigée pour créer le jeu. C’est notamment le cas pour les jeux « Battlefield » et « Need for Speed :

the Run »24. L’originalité de ces jeux ne fait pour autant aucun doute au regard de leur aspect scénaristique, visuel et de leurs graphismes.

De même, la complexité du jeu vidéo vient également du fait que c’est l’une des rares œuvres d’art qui permet au joueur d’interagir avec l’œuvre. Cet élément a par ailleurs joué en la défaveur de la protection du jeu vidéo. En effet, non seulement il apparaissait difficilement concevable pour les tribunaux d’admettre qu’un utilisateur puisse directement interagir avec une œuvre d’art, mais de plus les logiciels qui permettent ainsi aux joueurs d’interagir n’étaient pas protégés au titre de droit d’auteur avant l’adoption de la Loi du 3 juillet 1985 qui porte sur les droits d'auteur et les droits

des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle25. En effet, certains tribunaux allaient jusqu’à dire qu’une œuvre devait être intangible pour pouvoir bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. Ces derniers considéraient que « la caractéristique

d'une œuvre artistique pénalement protégée est son intangibilité interdisant à l'interprète ou à l'utilisateur de la modifier ou d'intervenir dans l'ordre de ses divers éléments. »26.

22 Andy Ramos Gil de la Haza, « Jeux vidéo : programmes d’ordinateur ou œuvres de

création? », OMPI magazine no4 [août 2014], en ligne : OMPI magazine

<http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2014/04/article_0006.html>.

23 Atari Games Corp v Oman, 888 F 2D 878 (DC Cir 1989) : « It seems clear that defendants

based their game on plaintiff's copyrighted game; to put it bluntly, defendants took plaintiff's idea. However, the copyright laws do not prohibit this. Copyright protection is available only for expression of ideas, not for ideas themselves. Defendants used plaintiff's idea and those portions of plaintiff's expression that were inextricably linked to that idea. The remainder of defendants' expression is different from plaintiff's expression. Therefore, the Court finds that defendants' "Meteors" game is not substantially similar to and is not an infringing copy of plaintiff's "Asteroids" game. »

24 Andy Ramos Gil de la Haza, supra note 22. 25 Cardella, supra note 2, p. 32.

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Une telle énonciation est surprenante d’autant qu’il n’existe aucune législation prévoyant qu’une œuvre doit être intangible. Une œuvre ne peut pas être modifiée ou transformée au titre du droit moral que l’auteur dispose sur cette dernière, ce qui ne signifie pas qu’une œuvre interactive ne puisse pas bénéficier d’une protection. L’absence de régime applicable aux jeux vidéo a conduit les éditeurs à rechercher une protection au titre de l’œuvre audiovisuelle. Dès lors que le logiciel a bénéficié d’une protection au titre du droit d’auteur de par la Loi du 3 juillet 1985 qui porte sur les

droits d'auteur et les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, les éditeurs ont

voulu bénéficier de cette protection pour leurs jeux vidéo. La Cour de Cassation a par ailleurs répondu à leurs attentes en considérant que le jeu vidéo était protégeable en tant que logiciel si ce dernier fait preuve d’un effort personnalisé qui transcende l’application « d’une logique automatique et contraignante »27. Ceci est une manifestation de la difficulté pour l’ordre prétorien à appréhender cette œuvre de l’esprit dichotomique qu’est le jeu vidéo. L’ordre prétorien sur la qualification du jeu vidéo est de facto une jurisprudence boomerang, allant tantôt vers la qualification de logiciel, tantôt vers la qualification d’œuvre audiovisuelle.

La complexité de cette œuvre est enfin constituée par l’évolution des supports dont elle peut faire l’objet et l’accroissement des nouveaux intervenants lié à l’amélioration de cette œuvre. L’évolution continue de l’industrie du jeu vidéo conduit à s’interroger sur la nécessité d’apporter des réponses juridiques différentes à celles proposées il y a une trentaine d’années. En effet, de nouveaux modes d’exploitation, autres que la vente, apparaissent et influencent les droits de propriété intellectuelle. A titre non-exhaustif, on peut citer l’essor de Youtube avec les vidéos de test de jeu ou

gaming dans lesquelles des youtubeurs se filment durant leur partie de jeu et

communiquent certains extraits au public via cette plateforme. Certains sont énormément suivis, c’est le cas de Lucas Hauchard, appelé Squeezie, qui compte environ dix millions d’abonnés28.

en appel CA Paris, 13e ch. A, 20 février 1985. 27 Cass., ass. Plén., 7 mars 1986, supra note 14.

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De même, certains jeux vidéo connaissent des ligues pourvues de joueurs dits professionnels avec des championnats diffusés en direct sur Internet. C’est le cas de « Fnatic » qui est une organisation professionnelle de sport électronique qui couvrent différents jeux tels que « Counter-Strike : Global Offensive », « Dota 2 », « League of

Legends ».

Enfin, il existe des jeux vidéo spécialement créés par des fans et qui s’inspirent de jeux vidéo existants, c’est le cas de « Pokémon Uranium » qui est un fangame basé sur la série « Pokémon ».

Cette complexité ne laisse pas les acteurs de cet écosystème indifférents. D’autant que « l’industrie du jeu vidéo évolue en permanence, à la fois sur le plan

créatif (l’apparence des jeux), technologique (le matériel et les logiciels qui donnent vie aux jeux) et commercial (les modèles d’affaires utilisés pour distribuer les jeux aux consommateurs). Toutes ces innovations donnent naissance à de nouveaux enjeux. » 29. De tels questionnements ne sont pas anodins puisque la question porte sur la gestion distributive ou non des droits à l’égard des composants du jeu vidéo. Les enjeux économiques quant à la propriété de cette œuvre sont en effet importants, c’est tout l’enjeu de la qualification du jeu vidéo car cette qualification emporte le plus souvent la désignation du titulaire de ces droits. Cette qualification a dès lors un impact immédiat sur la procédure d’exploitation de l’attribut patrimonial. Or, le flou juridique et l’incertitude quant à la définition du titulaire des droits sont sources de difficultés. En effet, lors de sa création, de telles lacunes juridiques peuvent être constitutives de conflits entre les contributeurs. De même, lors de l’exploitation du jeu vidéo, des difficultés peuvent naître entre les joueurs et les administrateurs. En l’absence d’un cadre légal pleinement satisfaisant, la création ou l’exploitation du jeu sont soumis au cadre contractuel.

De sorte que « face à la disparité de conception des systèmes juridiques nationaux et à

des législations nationales lacunaires et impuissantes à suivre le rythme des évolutions récentes telles que la pratique des jeux en ligne, l’industrie a choisi la voie de

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l’autoréglementation. »30. Or, la contractualisation du droit d’auteur ne garantit pas l’équilibre entre les parties, notamment du point de vue de la rémunération de l’auteur et des revenus générés par la commercialisation de l’œuvre. On peut penser notamment aux petites et moyennes entreprises de jeux vidéo qui ne disposent pas de conseils spécialisés en la matière et qui ont pourtant tout intérêt à saisir les enjeux inhérents aux droits de la propriété intellectuelle sur les jeux vidéo aux fins de pallier d’éventuels problèmes juridiques sur la question. Sans omettre le cas, loin d’être isolé, où plusieurs personnes contribuent à la création du jeu sans contrat, de sorte qu’il devient difficile pour les tribunaux de rechercher l’intention commune ou de composer avec l’absence de preuve quant aux apports respectifs31.

D’autant que les conflits en matière de droits d’auteurs peuvent appartenir à deux types, soit ils peuvent concerner les rapports internes qui portent sur la revendication de la qualité d’auteur par ceux qui interviennent dans la création, soit ils ont trait aux rapports externes qui concernent la protection de l’œuvre en tant que telle vis-à-vis des tiers. « Or, dans un cas comme dans l’autre, à défaut de règle claire, énoncée par le

législateur, la jurisprudence fournit une multitude de solutions contradictoires. »32. On imagine dès lors bien les difficultés au sein des rapports internes quant aux composantes qui doivent être protégées d’une part, et d’autre part concernant la dévolution des droits des différents contributeurs. De même, la dématérialisation du jeu vidéo et l’avènement d’internet est source également d’atteinte au sein des rapports externes des créateurs vis-à-vis des tiers qui peuvent plus aisément modifier l’œuvre et la communiquer à autrui via les plateformes.

Or, la France est pourvue d’un potentiel considérable pour se développer économiquement au vu des structures majeures dont elle dispose telles qu’Atari, Gameloft, Ubisoft et Universal. En 2017, le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs

30 Andy Ramos Gil de la Haza, supra note 22.

31 Seggie c Roofdog Games Inc., [2015] QCCS 6462 (CanLII). 32 Cardella, supra note 2, p.15.

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rapportait que le chiffre d’affaires du jeu vidéo s’élevait en France à 4,3 milliards d’euros, atteignant son plus haut niveau historique33.

L’Organisme mondiale pour la Propriété intellectuelle (OMPI) affirme qu’un « accord

international sur la protection juridique des jeux vidéo, de leurs créateurs et de leurs producteurs contribuera à maîtriser les abus découlant des lacunes des législations nationales et à favoriser la poursuite de la croissance mondiale de cette industrie dynamique et hautement créative. »34.

En effet, loin d’être un cas isolé, la France n’est pas le seul pays qui souffre de lacunes concernant la protection juridique des jeux vidéo. A l’instar de la situation française, le Canada ne définit pas clairement la catégorie d’œuvre à laquelle le jeu vidéo appartient. Il est en effet reconnu que le jeu vidéo peut être une compilation permettant ainsi à différents éléments le composant d’être protégés mais il peut aussi bénéficier d’une protection individuelle35.

De même, si l’identité du titulaire des droits d’auteur du jeu vidéo serait mieux défini, les interprétations ne sont pas dépourvues d’équivoque quant au mode d’élaboration. Tantôt assimilé au Collective work équivalent d’œuvres collectives, tantôt relevant des

Works of joint autorship équivalent d’œuvres de collaboration, le jeu vidéo demeure

ainsi et également de l’autre côté du continent dans une incertitude36.

Les auteurs soulèvent sur ce point l’absence de consensus dans l’interprétation de la

Loi sur le droit d’auteur et la carence prétorienne quant à la qualification du jeu vidéo

d’un point de vue du droit d’auteur37. En sus, même lorsque la question de savoir si l’œuvre appartient à l’une et l’autre des catégories est réglée, de nouvelles

33http://www.sell.fr/lindustrie

34 Andy Ramos Gil de la Haza, supra note 22.

35 Jean-François Journault et Jean-Sébastien Rodriquez-Paquette, « Ce que vous ne savez

pas sur Mario Bros. et les droits d’auteurs » [2014] Bulletin Robic 17:3.

36 Andy Ramos, The Legal status of video games : comparative analysis in national

approaches, WIPO, 2013.

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interrogations surviennent quant à l’évaluation des contributions, la recherche de l’intention et plus généralement la détermination de la paternité du jeu vidéo38.

Pour qu’une qualification juridique, permettant le rattachement à une catégorie, soit pertinente, celle-ci doit être univoque ou homogène, en ce sens qu’elle se définit de manière unique et rassemble des situations similaires. […] Dès lors que les décisions font apparaitre trop souvent des dissemblances, il ressort une hétérogénéité des occurrences au sein du type ; justifiant une nouvelle qualification39.

Le premier objectif de cette recherche porte ainsi sur la clarification de la qualification juridique des jeux vidéo. Force est de constater que la qualification distributive française ne permet pas d'offrir pour lors une sécurité juridique suffisante aux créateurs de jeux vidéo. L’absence de clarté actuelle emporte une pluralité de régimes, source d’incertitudes. L’approche comparatiste nord-américaine et française permet de mettre en exergue l’insuffisance dans la définition du jeu vidéo sur ce point.

Le second objectif porte quant à lui sur une détermination du titulaire des droits d’auteur du jeu vidéo au niveau français. Si le système canadien présente des défauts similaires quant à la difficulté à qualifier juridiquement le jeu vidéo, celui-ci définit suffisamment les titulaires des droits. L’absence de qualification juridique est amoindrie par une telle clarification qui permet en pratique de sécuriser les éditeurs et les studios de développement et ainsi limiter les risques de blocage dans l’exploitation de l’œuvre.

L’emploi d’une méthode d’analyse classique, à savoir la méthode en droit comparé, sera privilégié dans le cadre de cette rédaction. Une telle démarche permet somme toute une confrontation entre les deux systèmes juridiques, en l’espèce le système canadien et le système français, pour permettre un enrichissement de la

38 Michael Shortt et Olivier Provost-Cao, « Seggie c. Roofdog Games Inc. : Qui est l’auteur d’un

logiciel de jeu vidéo du point de vue du droit d’auteur? » [2016] Bulletin propriété intellectuelle, Fasken.

(18)

législation française. L'approche méthodologique sera dans un premier temps synthétique puis dans un second temps analytique.

En effet, l’usage d’une démarche synthétique quant à la qualification juridique des jeux vidéo offre une démonstration des ressemblances qui existent entre les ordres juridiques canadien et français. Le but étant d’opérer un constat quant au caractère lacunaire inhérent à la notion de jeu vidéo au sein des deux systèmes juridiques. La recherche portera donc sur les législations françaises et canadiennes portant sur le droit d’auteur et sur l’évolution jurisprudentielle des deux systèmes quant à la notion de jeu vidéo. Les doctrines françaises et canadiennes seront également utilisées pour étayer le flou juridique dans la qualification du jeu vidéo au sein des deux systèmes. Une telle démarche est en adéquation avec mon premier objectif de recherche qui porte sur la clarification de la qualification juridique des jeux. L’approche comparatiste nord-américaine et française fondée sur une démarche synthétique permet de mettre en exergue l’insuffisance dans la définition du jeu vidéo au sein des deux systèmes.

Dans une seconde perspective, l’emploi d’une démarche analytique concernant la détermination du titulaire des droits d’auteur du jeu vidéo permet quant à elle de décomposer les deux systèmes. Un pareil détail permet de mettre en exergue les solutions contrastées retenues dans chacun des systèmes. Le but étant de démontrer que le système juridique canadien offre une sécurité juridique plus importante que le système français. Pour ce faire, l’analyse portera sur les législations française et canadienne sur le droit d’auteur ainsi que l’évolution prétorienne. De même, les doctrines des deux systèmes serviront d’appui pour démontrer les réponses différentes apportées par le régime français et canadien. Des incursions auront lieu pour présenter le système états-unien dans ses réponses apportées à l’identification du titulaire des droits d’auteur du jeu vidéo afin de mettre en exergue l’aspect sécuritaire du régime « Work Made for Hire » pour les investisseurs. Une telle démarche est en adéquation avec mon second objectif de recherche qui porte quant à lui sur la détermination du titulaire des droits d’auteur du jeu vidéo au niveau français. L’approche comparatiste nord-américaine et française fondée sur une démarche analytique permet de mettre en exergue l’insuffisance du régime français sur ce point et la nécessité de créer un nouveau régime clarifié.

(19)

Si un tel comparatif permet de mettre en exergue les différences existantes entre ces deux Etats, un tel distinguo revient à s’interroger sur la pertinence du droit d’auteur français actuel à pouvoir protéger de manière efficiente le jeu vidéo. L’étude de la protection juridique des jeux vidéo par le biais d’une telle approche comparatiste apparaît essentielle d’un point de vue économique, sociétal et juridique. En effet, l’avantage donné aux studios de développement, éditeurs et plus généralement aux personnes morales au sein du système canadien tend à offrir à ces derniers une sécurité juridique. De facto, en l’absence de contrat, les auteurs salariés ne seront pas propriétaires de leurs œuvres. Un tel constat est en inadéquation avec le système du droit d’auteur français qui tend à favoriser l’auteur personne physique. L’objectif in fine de cette étude est d’effectuer un tel constat et de rechercher tant à protéger efficacement l’œuvre et qu’à opérer dans la même veine une distribution plus équitable des droits d’auteur sur le jeu vidéo. Il appartient de ce fait à ce nouveau régime d’assurer une conciliation entre une reconnaissance juste des créateurs mais également d’assurer une forme de pérennité aux investisseurs.

Aussi, l’hypothèse serait que le droit d’auteur français actuel ne permettrait pas, dans l’état actuel, de protéger de manière efficiente les créateurs des jeux vidéo.

Cette supposition trouve naissance par une méthode comparatiste qui met de prime abord en exergue l’absence de qualification juridique du jeu vidéo. Cette première hypothèse trouve source dans la législation française actuelle, d’une part, et dans la réponse apportée par l’ordre prétorien, d’autre part. Si la réponse dernièrement apportée par la jurisprudence quant à la rupture avec le caractère unitaire du jeu vidéo semble de prime abord intéressante car respectueuse de la complexité du jeu vidéo, la qualification distributive reste pourvue d’une imprévisibilité40. Il appartiendrait de ce fait au droit d’auteur français de continuer vers cette autonomisation du jeu vidéo par rapport aux autres catégories d’œuvres.

40 Cass., 1re civ., 25 juin 2009, FS P+B+R+I, Lefranc c/ Sté Sesam et a., 07-20.387, D. 2009.

1819, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 710, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2010. 319, chron. P. Gaudrat ; JCP 2009, n° 42, 328, note E. Treppoz ; RIDA juill. 2009. 305, note P. Sirinelli.

(20)

Enfin, l’approche comparatiste met en évidence une titularité des droits d’auteur sur le jeu vidéo organisée de manière fonctionnelle au sein du système canadien. L’emploi d’une telle approche permet de reconsidérer la définition du régime des titulaires des droits d’auteur dans le cadre de la création d’un jeu vidéo en France.

En effet, si la France et le Canada partagent le même flou quant à la qualification juridique du jeu vidéo (I), ce flou n’est pas synonyme d’insécurité juridique au Canada qui offre une stabilité au sein de ses règles de dévolution des droits d’auteur (II).

(21)

I.

L

A QUALIFICATION JURIDIQUE DU JEU VIDÉO

Pourvu d’une complexité inhérente à sa nature (A), le jeu vidéo n’en reste pas moins une œuvre en tant que telle (B).

A. L

E JEU VIDÉO EN TANT QU

ŒUVRE COMPLEXE

Le constat d’une difficulté à qualifier le jeu vidéo vaut tant pour la France (1) que pour le Canada (2).

1. L

A QUALIFICATION JURIDIQUE OPÉRÉE PAR LE DROIT FRANÇAIS

La recherche d’une qualification juridique s’est faite en plusieurs étapes, allant vers une qualification logicielle (1.1), puis audiovisuelle (1.2), de façon exceptionnelle en tant que base de données (1.3) pour enfin accepter sa nature complexe d’œuvre multimédia (1.4).

1.1 LE REJET DE LA QUALIFICATION D’ŒUVRE LOGICIELLE

La question s’est tout d’abord posée de savoir si le jeu vidéo pouvait être rattaché à une œuvre logicielle. En l’absence de définition légale, un arrêté du 22 décembre 1981 définit le logiciel comme étant « l'ensemble des programmes, procédés et règles, et

éventuellement de la documentation, relatif au fonctionnement d'un ensemble de traitement de données. »41.

Un premier défenseur d’une qualification logicielle et unitaire du jeu vidéo est Édouard Treppoz. Ce dernier considère d’une part que les arguments contre une qualification unitaire du jeu vidéo au profit du logiciel sont faibles et d’autre part que la qualification distributive semble difficile à s’appliquer en pratique notamment en cas de saisie-contrefaçon42.

41 Arrêté du 22 décembre 1981 relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique,

JONC, 17 janvier 1982, en ligne : JONC <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1982-06-0355-009>.

42 Edouard Treppoz, « La qualification logicielle d’un jeu vidéo : un modèle pour les œuvres

(22)

La saisie contrefaçon applicable au logiciel est nulle s'il n'a été procédé à aucune assignation ou citation dans les quinze jours suivant la saisie, alors que ce délai pour la saisie-contrefaçon de droit commun est de trente jours. La difficulté serait identique concernant la question de la copie privée. L'application distributive est irréalisable en raison d'un cumul positif du droit spécial et du droit commun43.

Aussi, il serait préférable selon lui de faire primer le logiciel sans lequel il ne pourrait y avoir de jeu vidéo44. Toutefois, il peut être reproché à cet argument d’omettre que l’aspect visuel revêt un aspect tout aussi important. En effet, sans ce dernier il ne pourrait y avoir de jeu vidéo puisque l’interactivité, qui est une des caractéristiques principales du jeu vidéo, est permise par l’écran qui offre au joueur un rendu visuel. C’est par cet écran que l’utilisateur a la possibilité de pouvoir interagir avec le jeu vidéo. On pourrait même en conclure que le logiciel interviendrait dans un second temps et n’est pas un élément accessoire comme affirmé par Monsieur Édouard Treppoz45. Le joueur ne pourra intervenir dans le jeu que s’il a une vision des actions qui s’offrent à lui dans un premier temps.

En ce sens, l’aspect visuel serait considéré comme la résultante d’une interaction entre d’une part les actions du joueur et d’autre part les instructions du programme46. Toutefois une telle affirmation revient à considérer qu’il existe une forme d’alternative infinie dans le fonctionnement du jeu vidéo entre d’une part l’aspect visuel et d’autre part l’action du joueur permise par le logiciel. Or, « C'est oublier que le résultat affiché

ne met pas en suspens le calculateur : il réaffiche indéfiniment dans une boucle une série de points essentiellement éphémère jusqu'à ce qu'une nouvelle action du joueur vienne rompre la boucle. Le joueur est la variable externe d'un calcul ininterrompu. »47.

43 Ibid.

44 Ibid.

45 Cass., crim., 21 juin 2000, 99-85.154, Midway, « Mortal Kombat » Pierre Tel c/ Sté Midway

Manufactoring Company & APP : CCE 2001, comm 85, note C. Caron ; LPA 2001, n°161, p. 3, obs. X. Daverat ; Gaz. Pal. 15-19 avril 2001, p. 41, note B. Deroquefeuil ; Expertises 2000, n°242, p. 352, obs. J Drack ; D 2001, somm. p. 2552, obs. P. Sirinelli ; LPA 2001, n°127, p. 15, note E. Treppoz ; JCP E 2001, p. 843, obs. M. Vivant, J-M. Brugiere et N. Mallet-Poujol.

46 Philippe Gaudrat, « La protection des logiciels par la propriété littéraire et artistique » [1986]

RIDA n°128, p. 181.

(23)

Le joueur vu comme une variabilité rappelle le caractère intrinsèque inhérent au jeu vidéo, à savoir l’interactivité de cette œuvre. Au sein de ces séquences animées, le logiciel « apparaît comme spécifique et primordial dans le produit complexe qu’est le

jeu vidéo » 48. Ce qui implique de façon implicite que, comme l’interactivité est la caractéristique la plus prenante permise par le logiciel, l’accessoire doit suivre le principal. Cette qualification logicielle unitaire applicable au jeu vidéo a reçu confirmation auprès de la Cour de Cassation qui considère que « La programmation

informatique d'un jeu électronique étant indissociable de la combinaison des sons et des images formant les différentes phases du jeu, l'appréciation de ces éléments permet de déterminer le caractère original du logiciel objet de contrefaçon. »49.

Il existe des intérêts à qualifier le jeu vidéo de logiciel. Tout d’abord, une première manifestation de cet intérêt est liée à la dévolution automatique des droits patrimoniaux de la création salariée prévue à l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle. De même, le droit moral se trouve limité uniquement au droit de paternité de son auteur. Puis, le logiciel connaît une particularité là encore qui concerne la dérogation expresse au principe de rémunération proportionnelle prévue à l’article L. 131-4, 5° du Code de la propriété intellectuelle. Ces intérêts se manifestent ainsi au bénéfice de la personne morale qui créée le logiciel et qui n’aura pas besoin d’encadrer contractuellement la dévolution ou la rémunération de ses salariés.

Toutefois outre l’inconvénient qui porte sur la perte par l’auteur du bénéficie de la rémunération pour copie privée, la qualification de logiciel, en dépit d’une jurisprudence favorable, n’emporte pas la conviction de la Cour d’appel de Paris50.

Une telle qualification apparaît bien réductrice, alors que s'il est exact que le jeu vidéo comprend un tel outil, il s'agit d'une œuvre de l'esprit complexe,

48 CA Caen, ch. corr., 19 déc. 1997 : JCP E 2000, p. 1374, obs. F. Sardain. 49 Cass. crim., 21 juin 2000 supra note 45.

50 CA Caen, 19 déc. 1997 : LPA 18 nov. 1999. 11 s. ; Cass., crim., 21 juin 2000, CCE sept.

2001. 17, note C. Caron ; Civ. 1re, 27 avr. 2004, Bull. civ. I, n° 117 ; D. 2004. AJ. 1528, obs. J. Daleau ; cette Revue 2004. 484, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. ind. 2004, n° 9, comm. 74, par P. Kamina ; CCE 2004. comm. 84, par C. Caron ; Légipresse avr. 2005, n° 220, p. 62, note Sardain.

(24)

élaborée au moyen de cet outil avec un scénario, des images, des sons, des compositions musicales, etc. ; que les dispositions de l'article L. 131-4, 5°, du CPI ne sont donc pas applicables, les jeux vidéo édités par la société Cryo étant des œuvres multimédia qui ne se réduisent pas au logiciel qui permet leur exécution51.

L’œuvre multimédia ne peut être réduite à un élément intangible tel que le logiciel. En effet, pour Philippe Gaudrat, la théorie de l’accessoire et du principal n’a pas de sens car toute œuvre connaît en son fond une complexité naturelle qui serait mise en exergue au sein du jeu vidéo52. Le medium constitué par la base de données et le logiciel, ne serait ainsi pas nouveau puisqu’il existe dans énormément d’œuvres.

En peinture, la forme n'est attachée à la toile que par le medium de l'huile et des pigments. La forme, objet du droit d'auteur, n'est pas le mélange de l'huile et des pigments, sans quoi la propriété de la forme reviendrait au propriétaire de l'huile et des pigments. Que ce medium puisse se compliquer d'une donnée technique, n'est pas non plus une nouveauté bouleversante. Le cinéma en donne un exemple53.

Le logiciel ne serait qu’un accessoire, un outil, face à l’élément audiovisuel qui offre un univers complexe au public54. In fine le logiciel n’interviendrait pas de façon indépendante mais seulement à des moments précis qui correspondent aux demandes du scénario55.

1.2 LE REJET DE LA QUALIFICATION D’ŒUVRE AUDIOVISUELLE

Puisque le jeu vidéo ne peut être considéré comme étant un logiciel en tant que tel et que l’élément audiovisuel revêt un aspect important, peut-on qualifier le jeu vidéo d’œuvre audiovisuelle ?

51 CA Paris, 3e ch., sect. B, 20 sept. 2007, Sté civile Sesam c. Sté Cryo.  : JurisData

n°2007-353089.

52 Gaudrat, supra note 15. 53 Ibid.

54 Gaudrat, supra note 46. 55 Cardella, supra note 2, p. 46.

(25)

La question est loin d’être anecdotique puisque dès les années 80 une telle qualification a été envisagée par la jurisprudence56. D’autant que la définition de l’œuvre cinématographique a connu un élargissement par l’adoption de la Loi du 3 juillet 1985

qui porte sur les droits d'auteur et les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle. L’article L. 112-2, 6° du Code de la propriété intellectuelle prévoit

désormais que les œuvres de l’esprit peuvent être des « œuvres cinématographiques et

autres œuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles. ». Peuvent ainsi être incorporées dans

cette définition les œuvres qui n’appartiennent pas au domaine cinématographique.

La doctrine n’est également pas en reste sur la ressemblance pouvant exister entre la création multimédia et l’œuvre audiovisuelle. L’obstacle que serait l’interactivité du jeu vidéo ne suffit pas à lui seul pour délaisser un rapprochement possible entre ces dernières.

La linéarité n'est pas de l'essence de l'œuvre audiovisuelle : l'aspect séquentiel impose un déroulement que seule la présence d'un scénario suffit à produire. L'interactivité qui correspond à l'immixtion de l'utilisateur dans le déroulement du produit n'est pas un obstacle. Au contraire, la créativité est d'autant plus importante que tous les scenarii ont dû être envisagés. En raison de l'évolution des techniques, l'opinion contraire aboutirait tôt ou tard à la disparition des œuvres audiovisuelles et de l'application du régime spécial réservé au contrat de production57.

Il est vrai que qualifier le jeu vidéo d’œuvre audiovisuelle revêt certains avantages. Tout d’abord, du point de vue de la présomption de titularité prévue à l’article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle qui tend à simplifier la détermination du titulaire des droits d’auteur sur le jeu vidéo.

Ont la qualité d'auteur d'une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre.

56TGI Paris, 8 déc. 1982 : Expertises n°48, 1983, p. 3.

(26)

Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :

1° L'auteur du scénario ; 2° L'auteur de l'adaptation ; 3° L'auteur du texte parlé ;

4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'œuvre ;

5° Le réalisateur.

Lorsque l'œuvre audiovisuelle est tirée d'une œuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'œuvre nouvelle.

En sus de cette présomption de cession, vient s’ajouter la cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'œuvre audiovisuelle prévue à l’article L. 132-24 du Code de la propriété intellectuelle. La prise en compte de cette présomption et cette cession des droits au profit du producteur participent à une forme de prévisibilité et ainsi à une sécurité juridique dans les contrats portant sur la création de jeux vidéo.

Tant le processus de création et l’exploitation des jeux vidéo peuvent s’apparenter à l’œuvre audiovisuelle. D’autant que l’emploi de l’expression « œuvre

audiovisuelle » par la Cour de Cassation participe à pareille assimilation58. Un tel régime unitaire permettrait d’empêcher la qualification du jeu vidéo en fonction du mode d’exploitation, d’une part, d’autre part, elle permettrait d’empêcher également les défauts inhérents à une variabilité des pratiques au sein des différentes professions, enfin ceci permet d’éviter que les commerçants choisissent le régime qui protégerait le mieux leurs intérêts59. Un tel déséquilibre des forces en présence jouerait à l’avantage des exploitants. Enfin, un avantage qui n’est pas des moindres est le droit de représentation dont bénéficie l’auteur de l’œuvre audiovisuelle et non celui d’une œuvre logicielle.

Pourtant, bien que présentant des avantages indéniables, la jurisprudence a opté pour le rejet de la qualification de l’œuvre audiovisuelle fondée sur l’interactivité des jeux vidéo. Une telle interactivité rentrerait en opposition avec la linéarité dont revêt

58 Cass., ass. plén., 7 mars 1986, supra note 17. 59 Latreille, supra note 57.

(27)

l’œuvre audiovisuelle. Si un tel rejet a été énoncé par les arrêts d’appel, c’est la Cour de Cassation qui a confirmé les raisons inhérentes60. Cette dernière a en effet considéré que « qu'ayant constaté l'absence d'un défilement linéaire des séquences, l'intervention

toujours possible de l'utilisateur pour en modifier l'ordre, et la succession non de séquences animées d'images mais de séquences fixes pouvant contenir des images animées, […] lesdites créations ne pouvaient s'assimiler à des productions audiovisuelles. »61.

Même si l’exigence de linéarité n’est en aucune façon énoncée par les textes, la doctrine s’accorde à considérer la séquence comme appartenant aux « formes

d’expression dans lesquelles l’information est fixée sur un support, impliquant un déroulement linéaire d’images et de sons. »62. De ce fait, la simple intervention du joueur dans le déroulement du flux empêche ainsi la qualification d’œuvre audiovisuelle. En effet, ce dernier vient modifier l’ordre et ne peut ainsi être considéré comme étant passif contrairement au spectateur de l’œuvre audiovisuelle63.

Il y aurait donc des différences importantes dans la division traditionnelle du travail de création entre les fonctions de réalisation pour l’œuvre audiovisuelle et d’écriture pour le logiciel. Dès lors, le régime de l’œuvre audiovisuelle ne peut se voir appliqué, puisqu’en attribuant à chaque contributeur ayant réalisé un apport personnalisé la qualité d’auteur, l’utilisateur serait considéré comme auteur. Face à un tel argument, le régime de l’œuvre logicielle apparaît alors le plus adéquat64.

1.3 LE REJET DE LA QUALIFICATION DE BASE DE DONNÉES

60 CA Paris, 4e ch. B, 28 avril 2000, n° 1999/02618, Sté Havas Interactive c/ Mme Casaril,

Légipresse 2000, n°173, p. 107, note A. Latreille ; D 2001, Somm. p. 2553, obs. P. Sirinelli.

61 Cass. 1re civ., 28 janv. 2003 : D 2003 1688, note F. Sardain ; CCE avril 2003, comm. n°35,

obs. C.Caron ; JCP E 2003, 588, note C. Caron ; Propriétés Intellectuelles avril 2003, n°7, p. 159, obs. P. Sirinelli ; RIDA avril 2003, p. 279, obs. A. Kerever.

62 Cardella, supra note 2, p. 38.

63 Christine Hugon, « Œuvres multimédias : le critère de l’interactivité consacré par la Cour de

cassation » [2003] CCE n°21.

(28)

Une doctrine minoritaire considère que la qualification de base de données tend à pouvoir s’employer pour le jeu vidéo65. Sur ce point, Madame Mallet-Poujol considère que le rapprochement entre le jeu vidéo et la base de données sera d’autant plus manifeste par le biais des améliorations et les perfectionnements que connaît cette œuvre66. Toutefois, employer une telle distinction entre générations de jeu vidéo conduirait à complexifier d’autant plus la qualification juridique du jeu vidéo.

Une définition de la base de données est donnée à l’article L. 112-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres

éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. ».

Un rapprochement quant à l’œuvre multimédia peut être fait puisque cette dernière est considérée comme étant une « œuvre incorporant sur un même support un ou plusieurs

des éléments suivants : textes, sons, images fixes, images animées, programmes informatiques, dont la structure et l’accès sont régis par un logiciel permettant l’interactivité »67. Doit être incorporée à cette définition de l’œuvre multimédia la numérisation desdits éléments68.

Toutefois, la qualification de base de données n’est pas retenue par la majorité de la doctrine et ce pour plusieurs raisons.

Cette qualification est à exclure si le problème posé concerne un logiciel puisque la directive base de données exclut expressément de son champ d'application les logiciels. De plus, cette qualification ne résout pas toutes les difficultés dans la mesure où la qualification de base de données est une qualification, certes partielle, mais globalisante : c'est l'ensemble des données qui est qualifié et non pas le contenu particulier de telle ou telle composante. Celui qui

65 Alain Weber, « Les œuvres multimédias relèvent-elles du régime des bases de données ? »

(1995) Légicom n°8.

66 Nathalie Mallet-Poujol, La création multimédia et le droit, 2e éd., LexisNexis Litec, 2003,

n°441.

67 Livre blanc du groupe audiovisuel et multimédia de l’Edition, Syndicat National de l’Edition,

p. 11.

(29)

se demande par exemple si le scénariste des images est l'auteur, la qualification de base de données ne permet pas de résoudre la difficulté […] 69.

1.4 LE JEU VIDÉO, ŒUVRE MULTIMÉDIA À LA QUALIFICATION DISTRIBUTIVE : LE CARACTÈRE POLYMORPHE DU JEU VIDÉO

Il n’existe aucune définition légale donnée à l’œuvre multimédia. Ce terme n’est aussi utilisé qu’une seule fois au sein du Code de la propriété intellectuelle pour ainsi parler des « espaces culturels multimédia » à l’article L. 122-5, 7°. Au-delà de l’absence de définition, l’œuvre multimédia n’est pourvue d’aucun régime propre. Aussi, puisque aucun effet n’est assimilé à une définition d’œuvre multimédia, la notion d’œuvre multimédia n’existerait pas juridiquement.

En se fondant sur les deux définitions proposées premièrement par le professeur Sirinelli et maître Gilles Vercken et une seconde définition de la SESAM, le Conseil supérieur de la Propriété littéraire et artistique (CSPLA) en a déduit cinq critères cumulatifs.

L'œuvre multimédia réunit des éléments de genres différents […] l'œuvre multimédia est indifférente à la notion de support et de mode de communication […] l'œuvre multimédia suppose une interactivité avec celui qui en use […] l'œuvre multimédia est un tout ayant une identité propre, différente de celle des éléments qui la composent et de la simple somme de ces éléments […] la structure et l'accès à l'œuvre multimédia sont régis par un logiciel70.

En accord avec une doctrine majoritaire, la Cour de Cassation en a déduit que la qualification qui correspondait au mieux au jeu vidéo était distributive71. Le rejet de la qualification unitaire au profit de la qualification distributive constitue une rupture avec l’arrêt optant pour cette première solution72. En effet, les critiques de la doctrine

69 Théo Hassler, « Qualification du multimédia : plaidoyer pour une méthode de qualification »

[2000] CCE n° 11.

70 Le régime juridique des œuvres multimédia : Droits des auteurs et sécurité juridique des

investisseurs, CSPLA, 2005.

71 Cass., 1re civ., 25 juin 2009, supra note 40. 72 Cass., crim., 21 juin 2000, supra note 45.

(30)

trouvaient sources dans l’absence de prise en compte de la dimension complexe dont est pourvu le jeu vidéo73.

Un tel constat vaut tant pour la qualification unitaire logicielle que pour la qualification unitaire audiovisuelle. En effet, même si l’arrêt porte sur la qualification unitaire du logiciel, la Cour de Cassation semble donner une portée plus grande à ce rejet en excluant la règle de l’accessoire qui suit le principal74. L’arrêt souligne la complexité du jeu vidéo et la coexistence des créations entre elles au sein du jeu vidéo, d’autant qu’il est destiné à une large diffusion (P+B+R+I)75. Ce rejet porte tant sur le résultat de cette méthode que son emploi. Peu important l’importance dont revêt la composante logicielle dans le jeu vidéo. Or pareil constat va à l’encontre de certains auteurs qui considéraient cette part prenante du logiciel pour justifier cette qualification unitaire76.

Des questionnements restent quant au rejet de cette méthode. En effet, si le jeu vidéo ne peut être réduit au jeu vidéo, ceci reviendrait à exclure toute qualification unitaire à une œuvre complexe77. La qualification distributive ne constitue pas une négation de la dimension logicielle dont revêt le jeu vidéo. Le régime du logiciel peut tout à fait s’appliquer au moteur du jeu. Il serait toutefois inadapté d’offrir au jeu vidéo une telle qualification unitaire et ce pour deux raisons.

D’une part, le jeu vidéo est effectivement une œuvre complexe, les éléments composants sont des œuvres de l’esprit. Pour exister, le jeu vidéo nécessite un scénario, des sons, des images, des musiques. Le jeu vidéo constitue une forme de juxtaposition de ces différentes œuvres. C’est ce caractère polymorphe qui justifie l’exclusion d’une qualification unitaire.

D’autre part, adhérer au principe que l’accessoire suit le principal serait inadapté car le logiciel ne constitue pas le principal dans le jeu vidéo mais participe à cet ensemble. Il

73 Carine Bernault, Agnès Lucas-Schloetter et André Lucas, Traité de la propriété littéraire et

artistique, 5e éd., Paris, Litec LexisNexis, 2017, p. 181.

74 Edouard Treppoz, « Les limites de la qualification distributive du jeu vidéo » [2009] JCP n°42. 75 Christophe Caron, « Qualification distributive pour le jeu vidéo, oeuvre complexe » [2009]

CCE n°9.

76 Linant de Bellefonds, supra note 47. 77 Treppoz, supra note 74.

(31)

pourrait même être considéré comme un simple outil exécutant les composants. Ce qui est confirmé par le fait que « la part des apports artistiques dans un jeu vidéo [est]

toujours supérieure à la part « informatique », que l'on prenne le critère du nombre de collaborateurs ou celui des dépenses monétaires. »78.

De même, certains considèrent que le jeu vidéo ne devrait pas être traité comme les autres composantes telles que les manifestations audiovisuelles qui sont considérées comme une œuvre79. Or, force est de constater que le logiciel est une œuvre80.

Néanmoins, si le logiciel est pourvu d’une dimension appartenant au droit d’auteur, il connaît un régime juridique moins protecteur par son droit spécial. Toutefois, l’application du régime juridique des logiciels semble inadaptée à protéger les autres composantes de par l’absence de droit de représentation et un droit moral largement amoindri.

Il était particulièrement contestable de retenir l'application d'un droit unique à des dimensions différentes qui, par nature, relèvent de règles différentes. Retenir une qualification unitaire, c'était nier la complexité du jeu vidéo. Ensuite, les diverses règles applicables en fonction de la dimension concernée emportent des effets de droit distincts ; ainsi, le droit d'auteur spécial logiciel prévoit des règles dérogatoires moins favorables à l'auteur81.

Les règles applicables aux œuvres multimédias sont ainsi variables, pouvant appartenir tant à celles appartenant au droit commun qu’aux régimes spéciaux. La qualification distributive emporte comme conséquence l’application des régimes des bases de données, des logiciels ou des œuvres audiovisuelles. « S'enchevêtrant parfois entre eux,

ces régimes spécifiques contribuent à créer, pour l'œuvre multimédia, un régime juridique « éclaté » et stratifié, le tout et les parties étant éventuellement soumis à des

78 Alain Le Diberder et Frédéric Le Diberder, La création de jeux vidéo en France : situation,

problèmes, perspectives, Ministère de la Culture et de la Communication, 2002.

79 Gaudrat, supra note 46. 80 Treppoz, supra note 74.

(32)

règles distinctes et parfois contradictoires82. ». Isoler les éléments du jeu vidéo devient

nécessaire afin d’opérer une distribution entre les différents régimes applicables. « Chaque élément est alors régi par le régime qui lui est applicable car les régimes

sont « distribués » en fonction du genre de l'élément concerné. »83.

Les critères proposés par le CSPLA permettraient ainsi de prévenir les conflits pouvant intervenir entre les qualifications. Si aucune définition n’est introduite, l’instauration de critères offrant une détermination du titulaire des droits du jeu vidéo permet de sécuriser l’ensemble. Toutefois en l’absence d’intervention législative, l’œuvre multimédia ne demeure pour lors qu’un modèle chimérique pour le jeu vidéo alors même que la jurisprudence le considère comme tel lorsqu’il est affirmé que « les

jeux vidéo [sont] des œuvres « multimédia » qui ne se réduisent pas au logiciel qui permet leur exécution »84.

2. L

A QUALIFICATION JURIDIQUE OPÉRÉE PAR LE DROIT CANADIEN

Des questionnements similaires ont eu cours aux fins d’identifier la nature du jeu vidéo au Canada. Le jeu vidéo est aussi considéré au Canada dans sa composante logicielle (2.1), mais également comme œuvre cinématographique (2.2) et enfin comme compilation (2.3).

2.1.LE JEU VIDÉO COMME PROGRAMME INFORMATIQUE

Il existe peu de définitions apportées par la législation canadienne du jeu vidéo. L’article 1er de la Loi sur le film et la vidéo offre une définition85.

« jeu vidéo » Objet ou appareil qui : (video game) a) contient des données ou des instructions enregistrées; b) reçoit des données ou des instructions des utilisateurs;

82 Vincent Varet, « Objet du droit d’auteur - Œuvres protégées. Œuvres multimédias (CPI, art.

L. 112-2) » [2013] J.C. PLA n°1165.

83 Caron, supra note 75.

84 CA Paris, 3e ch, sect. B, 20 sept. 2007, note supra 51. 85 Loi sur le film et la vidéo, LRN-B 2011, c 159.

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c) en traitant les données ou les instructions reçues, crée un jeu interactif que les utilisateurs peuvent jouer ou visionner ou dont ils peuvent faire l’expérience grâce à un ordinateur, à un système de jeu, à une console ou à un autre dispositif technique.

Au Canada, le jeu vidéo connaît une classification qui trouve source dans la Loi sur

le droit d’auteur. Il n’empêche que le jeu vidéo peut sous différents être protégé comme

programme informatique au vu de sa similarité avec le logiciel86. La jurisprudence canadienne a parfois tendance à qualifier le jeu vidéo comme étant un « logiciel de

divertissement constitué de millions de lignes de codes […] qui crée des effets audiovisuels au gré de l’utilisateur »87. Le jeu vidéo pourrait aussi être protégé en tant que programme d’ordinateur puisque ces derniers ont pour finalité « « [d’] être

utilisé[s] directement ou indirectement dans un ordinateur en vue d’un résultat particulier ». En vertu de cette qualification, c’est le code source des jeux vidéo qui serait protégé. De fait, il serait alors inclus dans la catégorie « œuvres littéraires » de la Loi. »88.

En effet, l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit la possibilité de protéger les programmes d’ordinateur comme œuvre littéraire. Dans la définition apportée à l’œuvre littéraire, « y sont assimilés les tableaux, les programmes d’ordinateur et les

compilations d’œuvres littéraires. ». Le jeu vidéo pourrait être aussi considéré comme

étant un logiciel qui serait pourvu d’une interface graphique89.

Il est possible de diviser les interfaces destinées aux jeux vidéo en deux grandes catégories : d’un côté, il y a les interfaces sensorielles qui permettent aux joueurs de percevoir l’environnement virtuel du jeu, fournissant aux joueurs l’information sur l’état du jeu et leurs actions. Cela comprend les dispositifs auditifs et d’affichage comme les haut-parleurs ou les écrans. D’un autre côté, nous avons les interfaces motrices permettant aux joueurs d’agir sur le jeu. Les contrôleurs multifonctionnels ou « manettes », les claviers, les contrôleurs multidirectionnels

86 Andy Ramos et al, The Legal status of video games : comparative analysis in national

approaches, WIPO, 2013, p. 23.

87 Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et

éditeurs de musique, [2012] 2 RCS 231, 2012 CSC34 (CanLII).

88 Journault et Rodriquez-Paquette, supra note 35.

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