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La monnaie et la mémoire des jeux, les jeux et les messages des monnaies : deux supports complémentaires de discours de César à Auguste.

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La monnaie et la mémoire des jeux, les jeux et les

messages des monnaies : deux supports complémentaires

de discours de César à Auguste.

Matthieu Soler

To cite this version:

Matthieu Soler. La monnaie et la mémoire des jeux, les jeux et les messages des monnaies : deux supports complémentaires de discours de César à Auguste.. Panel ”Coins of the Roman Revolution, 49 BC-AD 14: Evidence without Hindsight” at the 9th Celtic Conference in Classics, Jun 2016, Dublin, Irlande. �hal-01692648�

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« La monnaie et la mémoire des jeux, les jeux et les messages des monnaies : deux supports complémentaires de discours de César à Auguste. »

Matthieu Soler, PLH-ERASME, TRACES-RHAdAMANTE, Université Toulouse II

Introduction :

Les jeux romains sont un support pour manifester la puissance des grandes gentes depuis leurs origines dans des contextes rituels : fêtes religieuses, triomphes, funérailles ; mais aussi un formidable outil de communication entre groupes sociaux et individus autant qu’un important moment de représenter l’état social, politique et culturel de Rome. Leur instrumentalisation, les occasions pour lesquelles ils sont donnés, leur place dans les discours des magistrats ou de leurs familles et la forme qu’ils prennent sont bouleversés dans le courant du Ier s. a.C., notamment par l’accentuation de leur nombre qui dépasse souvent de beaucoup les soixante-quinze jours des principaux jeux officiels à périodicité annuelle1. La première monnaie romaine figurant des jeux est celle de Cn. Domitius en 128 B.C à Rome2. Le revers figure un venator combattant un lion sous une Victoire. Le lexique iconographique des monnaies s’enrichit donc de cette nouvelle image un demi-siècle après les premières

venationes de 186 B.C3, plus d’un siècle après les premières expositions de bêtes exotiques en 252 B.C.4, mais tout de même 28 ans avant les premiers combats de plusieurs lions de l’édilité curule de Mucius Scaevola5. Quatre autres frappes diffusent ce type d’iconographie à Rome avant 49 B.C. Un denier de T. Deidius de 113-111 B.C représente peut-être des gladiateurs au combat6. Deux deniers, dont il sera question plus loin, mettent en avant la figure du Desultor7. Un denier de L. Plaetorius de 74 B.C.8 figure un athlète vainqueur, vraisemblablement un boxeur associé à Junon Moneta peut-être édité pour payer des jeux athlétiques, mais surtout lié au cognommen familial du monétaire : Cestianus9, porté par un monétaire de la même famille édile curule en 69 et batant monnaie associant le siège curule avec la tête de Cybèle,

1

Hökelskamp, 2006, p. 325-326. Sur les changements opérés entre Sylla et César, voir la synthèse de F. Bernstein, Ludi publici, Untersuchungen zur Entstehung und Entwicklung der öffentlichen Spiele im

republikanischen Rom, Stuttagart, F. Steiner, 1998, p. 313-349.

2 RRC 261-1, à ce sujet voir Zehnacker, 1973, p. 583-586 qui concentre son étude sur la représentation des ludi

aux seules années 84-49 B.C.

3 Tite-Live, XXXIX, 22, 2. 4 Tite-Live, LXI, 19. 5 Pline, N.H., VIII, 16. 6

BMCRR Italy, 530 ; RRC 294-1, 22 droits, 27 revers, Crawford pense à des jeux promis pour l’édilité curule. Ce serait la plus ancienne image de gladiateurs à Rome.

7 RRC 340-1, 864 droits, 1080 revers, et RRC 346-1, 102 droits, 113 revers. La série RRC 297 de T. Quinctus en

112-111 B.C. pourrait appartenir à cette série, mais elle est fort mal connue malgré ses 87 droits et 109 revers.

8

BMCRR Rome, 3312 ; RRC 396-1b, 1 droit, 2 revers.

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peut-être en lien avec les jeux Mégalésiens présidés par ces magistrats10. Aucune ne représente des ludi scaenici ou circenses pourtant alors majoritaires dans les jeux publics romains.

La lecture de l’iconographie soulève un certain nombre d’écueils méthodologiques. Malheureusement, les textes anciens ne nous relatent que peu de spectacles aux derniers siècles de la République, notamment en raison de la lacune livienne, et ne mentionnent pas ceux des monétaires ou de leurs familles. De ce fait, il est impossible de préciser à quoi fait allusion l’image : des jeux donnés par le monétaire, promis par lui, donnés par un ancêtre, donnés par un autre évergète, mais suffisamment célèbres pour s’y référer, image topique ? L’intertextualité entre la légende et l’image est tout aussi complexe à percevoir, sauf dans les rares cas où la légende est explicite comme dans l’exemple du monnayage de M. Nonius Sufenas11, questeur urbain en 63-62 B.C. avec Saturne au droit et au revers Victoire couronnant Rome assise dotée d’une légende rappelant qu’un ancêtre a donné les jeux de la victoire de Sylla en premier, donc en 81/80 B.C. : Sex. Noni[us] pr[aetor] l[udos] V[ictoriae]

p[rimus] f[ecit]12.

Par ailleurs l’iconographie peut livrer des allusions indirectes aux jeux. Sans texte et sans étude concomitante de ses cinq émissions par exemple, impossible de bien comprendre le monnayage de M. Volteius de 78-76 B.C.13 qui, dans un temps d’incertitudes et de difficultés intérieures, tente de rassurer en mettant en scène les cinq jeux majeurs sur une série de deniers à travers la représentation de la divinité concernée et des mythes ou rites liés à elle14. Le monétaire fait ici oeuvre de salut public en rappelant les mythes mis en spectacle qui soudent la communauté autour de ses dieux et organisent les rapports sociaux. La monnaie est ici le prolongement des jeux qui rendent les mythes visibles. Il représente les Ludi romani à travers la figure de Jupiter, mais pas les jeux gymniques, les courses et processions ; les ludi plebei avec l’image d’Hercule avec le sanglier d’Erymanthe, mais pas les jeux du cirque et scénique qui vont avec ; les ludi ceriales, avec l’image de Bacchus, mais pas les dons de la nature au retour de la belle saison ; les ludi Megalenses, ici figurés par Attis et Cybèle, mais pas les jeux du cirque et scéniques qui vont avec pour commémorer l’evocatio de la Magna Mater ; les

ludi Apollinares, ici Apollon et le trépied, mais ni les courses ni les jeux scéniques. La

10 Tite-Live, XXXIV, 54.

11 BMCRR Rome 3820, RRC 421, 56 droits, 62 revers. Mattingly, 1956, 189-203. 12 Appien, BC, I, 464 : athlètes et tous les autres spectacles

13

RRC 385, 227 droits et 8 à 70 revers.

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légende précise de thesauro sur un type, impliquant que ces monnaies sont battues pour financer les jeux15.

Les pratiques de la fin de la République, connues dès l’époque de Scaevola et même avant, engagent à penser que l’édilité, puis la préture urbaine, sont le moment privilégié pour offrir ce type de cadeau au peuple. Les images des jeux peuvent être un rappel du passé familial ou personnel du monétaire, d’une commémoration officielle ou encore l’annonce d’une promesse électorale16

. La question du rapport entre figure et sens reste subtile : certaines représentations peuvent faire écho aux jeux, renvoyer à leur imaginaire, sans pour autant y faire une référence explicite. Imaginons un magistrat dont la famille a donné des courses de chars restées célèbres à l’époque et qui bat monnaie à l’effigie d’une divinité sur un char : l’allusion serait claire pour les contemporains et nous passerions totalement à côté sans un texte parlant de ces jeux et de leurs donateurs. Cela peut également être le cas des monnaies représentant des chasses qui peuvent renvoyer à une pratique aristocratique17. La même nuance doit être apportée vis-à-vis des images d’éléphant qu’on pourrait être tenté de rapprocher de célèbres expositions de bêtes faites dans le Cirque Maxime, mais qui sont aussi et surtout une façon pour les monétaires d’affirmer le pouvoir militaire et/ou gentilice tel Metellus Scipion en 47-46 B.C.18. Bien entendu, ces dernières peuvent avoir une résonnance dans les jeux si des mises en scène sont faites pour rappeler des victoires et exprimer ce pouvoir lors des spectacles. Jeux et monnaies reflètent alors le même imaginaire globalisant placé sous les yeux du peuple par le pouvoir.

En effet, mettre en résonnance l’image des monnaies avec ce que l’on peut reconstituer des jeux, c’est comparer deux supports très similaires. Ils transmettent des messages, véritable discours et échange politique, essentiellement visuels et renvoyant aux mythes de fondation ou à l’idéologie de la victoire et de la domination. Ils parlent avant tout aux citoyens romains et donc leur donnent l’occasion d’éprouver les traits culturels qu’ils ont en partage. Ils appellent tous deux à prendre conscience de l’intégration du cives à sa juste place dans la communauté. Ils glorifient Rome. À l’époque charnière des guerres civiles, la monnaie est plus que jamais le support d’un discours soutenant les prétentions d’une élite

15 Zehnacker, 1973, p. 584-585 rapproche cet exemple des monnaies de M. Plaetorius Cestianus de 68-66 B.C. et

il estime que la monnaie de A. Plautius illustrant la soumission de Bacchius, parce qu’elle porte une effigie de Cybèle, est une allusion au soin apporté à l’édile curule dans le don des Megalesia. En l’absence de toute connexion établie entre un personnage et des jeux, il faut néanmoins avancer avec prudence sur ces interprétations.

16 RRC, p. 729, suggère que les rares images de jeux sur les monnaies seraient l’expression d’une quasi

promesse électorale de magistrats en début de carrière en vue de l’élection à l’édilité.

17

Comme c’est le cas pour RRC 407-1 et 2.

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aristocratique. D’autant plus au début des années 40 B.C., alors que l’État tente de sortir d’un manque de liquidités et que César use de son pouvoir pour limiter la capacité de thésaurisation des sénateurs, pour des raisons essentiellement politiques19. Dans ce contexte de compétition exacerbée au sommet du pouvoir les jeux apparaissent sur ce support, venant renforcer les stratégies gentilices et individuelles. Les évergésies se développent donc sur les monnaies, image de l’âge d’or retrouvé que les citoyens peuvent vivre au quotidien grâce aux évergètes.

I. Les monnaies de 46-42 B.-C. : images des jeux et reflets des conflits

L’année 46 B.C. est une année charnière dans les guerres qui émaillent la fin de la République, César, alors vainqueur de Thapsus, rentre à Rome et réalise ses triomphes. Le langage monétaire mobilisé cette année-là est de trois ordres : en Afrique, César tâche de clairement exprimer sa filiation directe avec Vénus et Énée20. Il avait probablement déjà commencé à faire apparaître la déesse face au trophée celtique dès 48 B.C.21. Cela a un impact sur les triumvirs monétaires de cette année qui, sans être avares de types, prennent essentiellement deux orientations : Mn. Cordius Rufus multiplie les types de deniers dédiés à Vénus et Eros22, dont une où Eros tient une palme et une couronne, tandis que T. Carisius tout en éditant des deniers très classiques à la figure de Moneta, Sibylle ou Rome, associe cette dernière à la corne d’abondance sur un globe et à la Victoire23

, et enfin C. Considius Paetus associe Apollon à la chaise curule, Rome et Vénus à des quadriges dirigés par Victoire et, sur des quinaires, Vénus à Victoire tenant un trophée, ou encore, sur un sesterce, un cupidon ailé à la cornucopia sur un globe24. Les discours sont complémentaires, ils idéalisent la victoire de César, annoncent et commémorent ses triomphes, rappellent son ascendance et y associent des images évoquant la stabilité, le retour à l’âge d’or sur le monde. Le message est renforcé par les deniers frappés par A. Hirtius et César, plus traditionnels, mettant en scène Vesta ou Cérés

19 Rosillo López, 2010, p. 211-215 à partir de Cicéron, Att., 7.18.4 pour la pénurie et de la lex Iulia de modo credendi possidenque intra Italiam.

20 RRC 458/1. 21 RRC 452.

22 BMCRR East 31 ; RRC 462 et 463. 390 droits, 433 revers. 23

BMCRR Rome 4060 ; RRC 464. 102 droits, 113 revers.

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et les attributs du grand pontife25 et le denier de César représentant Vénus et le trophée celtique26.

Si le message est autant martelé dans le monnayage de cette année, par des monétaires qui ont d’ailleurs bénéficié de la clémence de César semble-t-il27

, c’est qu’il doit annoncer et/ou transmettre partout ce que les Romains vont ou ont pu voir lors des triomphes de juin sur les Gaules, l’Égypte, le Pont et l’Afrique28

et surtout lors des célébrations de juillet. Ce n’est pas tant la célébration d’une victoire de situation que d’un état éternel de l’Empire. Un état qui est durable, parce que, et en particulier lors des munera et des autres ludi, se manifeste la piété du peuple envers les grands ancêtres et les dieux29. César, sous le prétexte de la promesse faite en 52 av. J.-C., donne un munus et un epulum pour la mort de Julie, décédée en 54 av. J.-C., lors de ses quatre triomphes en 46 av. J.-C. et en même temps que l’inauguration du temple de Vénus30

. Le combat de gladiateurs comme le banquet en hommage à Julie sont présentés comme un appendice des triomphes par Dion. Suétone occulte totalement le caractère funèbre du munus31. Les célébrations sont une fête à la gloire de la famille des Iulii et des victoires de César. Or, dans un texte lacunaire des Fastes d’Ostie, le lapicide mentionne la tenue d’un banquet et d’une naumachie - et en restituant la lacune :

venationes, circenses, athletae, munera et autres ludi - non pas lors des triomphes, ni lors de

jeux funèbres, mais bien à la suite de l’inauguration du temple de Vénus Génitrix32. La réception qu’ont les Ostienses de cet événement en transforme le sens. Ce qui devait être un simple appendice des célébrations en devient le cœur. Les jeux n’ont pas eu lieu sous le vague prétexte de funérailles depuis longtemps passées, mais bien pour l’évocation de la déesse à l’origine de la fondation de Rome et surtout à l’origine de la famille des Iulii. Ils manifestent un attachement à ce qui va devenir la famille impériale, et ils le font en rappelant les actes religieux réalisés par les pieux membres de cette gens, préludes aux largesses envers l’ensemble du peuple romain. Les discours soutenus par jeux et monnaies se répondent, s’enrichissent et se prolongent afin de mieux mobiliser les Romains autour de la figure du

25 BMCRR Rome 4050 ; RRC 466. 100 droits, 100 revers. BMCRR Africa 21 et 23 ; RRC 467. 123 droits, 137

revers.

26 BMCRR Spain 86 et 89 ; RRC 468. 165 droits, 188 revers. 27

Sur Considius : Hirtius, BA, 86, 3 et 93 et 89, 2.

28 RRC 480-20, 21 et 22. 29 Clavel-Lévêque, 1984, 101.

30 Sur la promesse du munus funèbre sur le butin de la guerre des Gaules : Suétone, Caes., XXVI, 3. Sur les jeux

funèbres donnés en l’honneur de Julie et de l’inauguration du temple de Vénus Génitrix en appendice des triomphes : Cassius Dion, XLIII, 22, 3 et 23, 3.

31 Suétone, Caes., XXXVIII et XXXIX. Voir Ville, 1981, p. 69. L’omission existe aussi, pour le munus, chez

Velleius Paterculus, II, 56 ; Pline, N. H., XIX, 6, 23 ; Appien, B. C., II, 102 alors que Cassius Dion, XLIII, 22, 3 et Plutarque, Caes., LV, 3 y font allusion. Aucun auteur ne relève le caractère funéraire de l’epulum.

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dictateur, de sa capacité de victoire et du soutien divin qui porte sa famille, en complément du discours plus consensuel des frappes césariennes33. La suite de célébrations de 46 B.C. est elle-même commémorée par la mise en place de deux jeux annuels : les ludi victoriae

caesaris et les ludi Veneris genetricis.

Le message est sensiblement différent deux ans plus tard. En 44 B.C., P. Sepullius Macer34, quattuorvir monétaire, bat trois types monétaires avec un desultor accompagné d’une couronne sur les revers. Une première figure, au droit, César tête couverte, une deuxième le projet de temple de la Clémence de César, une troisième Marc Antoine voilé et barbu. Crawford place ces monnaies, mentionnant dans un cas le titre de Parens Patriae, après les ides de Mars35. Sepullius prend alors clairement position en faveur de Marc Antoine qui devient l’héritier de César. Le desultor fait allusion aux courses qui se déroulent, soit lors des jeux de 46 B.C., soit lors des ludi Apollinares36, ou encore lors des Parilia du 21 avril 44. Si l’on considère que la monnaie d’Antoine barbu est un appel à la vengeance contre les assassins, alors il faudrait pencher pour les Parilia37. Il est tout à fait possible que les frappes au nom de César soient plus anciennes et fassent allusion aux jeux donnés par César tandis qu’Antoine se réapproprierait l’iconographie après les Parilia. En effet, le type du desultor apparaît dès 88 B.C. sur des monnaies de C. Marcius Censorinus, fervent marianiste, dont la famille est sensée avoir instauré les premiers jeux apolliniens à Rome, portant au droit les figures de Numa et Ancus (Plut. Sylla, 5)38. Une frappe de grande importance de la même époque en 90-89 B.C. porte un cavalier portant un flambeau, une palme et un fouet avec Apollon au droit sur les monnayages des Calpurnii dont un ancêtre a régularisé les jeux d’Apollon en 211 av. J.-C.39

. Le monétaire de 44 B.C. essaye ainsi de capter pour son camp les héritages et peut-être les alliances d’anciennes familles et surtout d’éviter que cet héritage soit capté par les jeux apollinaires donnés par Brutus en vertu de sa préture urbaine.

D’autres prennent le parti d’Octave, notamment par la mise en scène de la sella aurea qui est montrée en public avec la corona aurea après sa mort40, symboles de victoire pour César, une victoire éternelle dont Octave est le dépositaire. Sur un denier de 42 B. C. battu

33 Suspène, 2012, p. 7-18. 34

BMCRR Rome 4177-4178 ; RRC 480 20 à 22. Ces frappes représentent environ 4% des 420 droits connus pour l’année 44.Voir Morawiecki, 1984, p. 50-53 qui penche pour l’interprétation entre autre de Alföldy, 1966, p. 145-149, sur le fait que Sepullius Macer a débuté ses frappes avant les ides de mars.

35 Suivit par Woytek, 2003, p. 424-425 et n. 510. 36

DAGR, III, p. 113 : renvoit à Cicéron, Pro Mur., 27 ou encore à Cassiodore, var., III, 51.

37 C’est l’avis de Crawford, RRC, p. 495 d’après Cassius Dion, XLV, 6, 4 et Cicéron, Att., XIV, 14 1 et 17, 3 et

19,3. Woytek, 2003, p. 424-425 est plus nuancé et liste toutes les hypothèses.

38 RRC 346-1, d’après Crawford, RRC, p. 78, 84 d’après Babelon, 1885-1886, p. 190. 39

RRC 340-1. 864 droits et 1080 revers. Tite-Live, XXVI, 23, 3.

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dans un atelier mobile, sur le droit Octave, Caesar IIIvir RPC, est représenté avec la barbe qu’il a promis de raser après la victoire sur les césaricides, et au revers la chaise curule décorée d’un aigle avec la couronne et la légende Caesar Dic per rappelle cet événement41

. Les républicains s’opposent à pareille mise en scène de la sella lors des ceriales et lors de jeux privés42.

L’année 44 B.C. est agitée, les frappes très nombreuses et près de la moitié des jeux dont l’importance politique est soulignée par les sources entre 49 et 29 B.C sont signalés cette année-là. Les jeux donnés par César et la commémoration de ses jeux funéraires et des jeux de la Victoria Caesaris à travers l’image de la comète sont des instruments pour en appeler au soulèvement et à la vengeance43. Octave donne les jeux de la Victoria Caesaris44. L’année suivante, ou en 4145, Clodius Vestalis bat aussi une monnaie faisant allusion à l’instauration des Floralia par son ancêtre lors de l’inauguration de l’aedes Florae en 238 B.C.46, ce qui manifeste les permanences des types gentilices, même si nous pouvons y voir une connotation politique par le caractère dit « plébéien » de la déesse par Ovide47. Les jeux ne sont donc pas nécessairement mis au premier plan des préoccupations discursives des monétaires. L’année suivante, alors que P. Clodius, L. Mussidius, T. Longus, L. Livineius Regulus et C. Vibius Varus, magistrats monétaires, sont des partisans des triumviri48, chacun bat trois monnaies au droit de chaque triumvir. Les autres droits représentent Mars nu casqué, Fortune et Victoire, des cornes d’abondance, des poignées de mains : thèmes de l’union des césariens et de la victoire à venir dans la guerre civile. Ils sont associés à des types dont le revers présente une allusion gentilice à la famille du triumvir présent au droit : dans le monnayage de Livineius, Marc Antoine avec Antéon, Octave avec Enée, M. Lepidus avec la vestale Aemilia. Ils battent aussi monnaie à l’effigie de César comme l’avait fait L. Flaminius Chilo début 43 en association avec une Vénus, peut-être une allusion à l’affichage de la statue de César à côté de

41 BMCRR Gaul 76 ; RRC 497 2. 30 droits, 33 revers. 42

Appien, BC, III, 28 ; Cicéron, Att., XIV, 14, 1 et XIV, 19, 3 et DC, 45, 6, 4-5. Voir aussi Cicéron, An., XVI, 5, 1 et XVI, 2, 3 ; Phil., I, 36 et X, 7-8 ; Plutarque, Brut., 21 ; Appien, BC, III, 23-24. Synthèse chez Scott, 1941, p. 257.

43 Sans revenir sur les débats sur le Sidus Iulium, et la datation des monnaies de Macer, notons tout de même à la

suite de N. Pandey que le sidus est un symbole déjà utilisé pour Vénus et d’autres divinités et a pu déjà du vivant de César souligner les honneurs supérieurs qui lui sont faits. Après sa mort, le souvenir du passage de la comète prend naturelleement le relais de cette iconographie. Pandey, 2013, p. 419.

44 Suétone, Caes., 88 ; Aug., 10 ; Appien, BC, III, 28 ; DC, 45, 6, 4. 45

RRC 512.

46 Ovide, Fast., V, 275-330. Sur le sens de l’apparition de ces jeux : Cels-Saint-Hilaire, 1977, p. 255.

47 Syd. 1134-1135, personnage inconnu, si ce n’est un homonyme proconsul de Crète et de Cyrène à une date

incertaine : CIL, XI, 3310a. Sur les monnaies de cette année là et leurs implications : Woytek, 2003, p. 432-466.

48

RRC 494. cf. Ferriès, 2007, p. 154-155 ; pour Livineius, il pourrait être à rattacher au L. Regulus qui accompagne César en Afrique en 46 selon Hirtius, BA, 89.

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celle de Vénus lors des jeux du cirque49. L. Livineius Regulus se permet également de battre un type personnel figurant la tête de son père qui aurait été préteur50 et en effet sur deux aurei et deux derniers le droit est réservé au même visage de L. Regulus praetor et le revers mentionne Regulus F. praef urb51 avec, au revers, une représentation de chasses, peut-être

offertes dans le cadre de sa préfecture urbaine à moins qu’il s’agisse d’une référence à des ancêtres52. Les monnaies au type personnel représentent la chaise curule avec six faisceaux, les distributions de blé et les jeux, on ne peut qu’y voir une allusion aux prérogatives du préfet urbain dont on sait qu’ils utilisent les insignes traditionnels : faisceaux, chaise curule et toge prétexte53. Cette série nous paraît bien trop cohérente pour rattacher le sens de ces images au père de Livineius et aux jeux des préteurs mentionnés plus tardivement par Dion au sujet de 7 A.C. et dont on ne connaît pas l’origine54

. Comme le disait Babelon, y aurait-il deux séries : une en tant que magistrat monétaire de 43-42 avec les thèmes triumviraux et une en tant que préfet urbain en 42-41. Alföldi55 suppose plutôt que Livineius était préteur urbain avec la charge exceptionnelle de préfet urbain à six faisceaux pendant l’absence de César de Rome, mais c’est là considérer que l’ensemble du message renvoie au passé du monétaire et non à son présent et que les jeux montrés sont les ceriales56, mais à ce que l’on sait il n’y a pas de chasses pendant les ceriales et les édiles plébéiens qui les donnent en ajoutant un munus en 42 sont réputés avoir commis un sacrilège57. En revanche, Brutus, peut-être pas le premier, a ajouté des chasses aux ludi Apollinares alors qu’il est préteur urbain et en 45, ce sont les préfets urbains qui payent les jeux apollinaires au nom de César58. Peut-être avons-nous là le signe d’un glissement progressif dans la forme des jeux où le préfet urbain commence déjà occasionnellement à reprendre certaines charges dévolues au préteur urbain comme ce sera le cas à partir de 28 B.C.59 tandis que les préteurs commencent à donner d’autres jeux dévolus à

49 BMCRR Rome 4201 ; RRC 485. 33 droits, 30 revers. On est d’ailleurs en droit de se demander si la série

485-2 associant Vénus à la victoire sur un bige ne serait pas une allusion à ces jeux.

50 BMCRR Rome 4271 ; RRC 494-30. 36 droits, 40 revers. Woytek, 2003, p. 462-463, nuance Babelon,

1885-1886, p. 142.

51 BMCRR Rome 4261 ; RRC 494-31. 30 droits, 33 revers.

52 RRC 494-31 : pour Crawford il s’agit d’une allusion aux ancêtres, à moins que la préfecture ait eu lieu en 45

B.C.

53

Cassius Dion, XLIII, 48, 2. Voir Alföldy, 1974, p. 9-11. Indépendemment du débat sur la date de ces monnaies, voir in fine T. J. Cadoux dans son commentaire de Vitucci G., « Ricerche sulla Praedectura Urbi in età imperiale (sec. I-III) », Rome, 1956, dans JRS, XLIX, 1959, p. 152-160, cf. p. 153.

54 Dion Cassius, LV, 31, 4. Voir Ville, 1981, p. 119-120. 55

Alföldy, 1974, p. 1-3.

56 cf. Suétone, Iul, 41, 1 sur le fait que César confie au préfet les charges des aediles ceriales chargés des jeux et

des distributions de blé et qu’Alföldy rapproche de ce problème.

57 Cassius Dion, XLVII, 40, 6. 58

Plutarque Brut., 2, 3. Voir Willems, 1883, p. 271

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leur charge en particulier un munus annuel60. L’année suivante d’ailleurs de splendides jeux apollinaires sont donnés par un personnage inconnu où des chevaliers combattent des bêtes61. L’année d’après c’est Agrippa en tant que préteur urbain qui donne des jeux apollinaires montrant que ces changements ne sont pas linéaires62. On voit en tous les cas ici que ce ne sont pas les scaenici traditionnels des jeux apollinaires qui intéressent tant les monétaires que les littérateurs et sans doute les évergètes eux-mêmes, mais bien les nouveautés qu’on y insuffle. Ces nouveautés ont pour but de mettre en valeur l’évergète et de faire taire ou d’oublier les réactions défavorables qui ont pu s’y faire entendre. La mémoire des événements oublie aussi volontairement les manifestations favorables, par exemple à Sextus Pompée et se construit donc un discours légitimant63. L’introduction des venationes, qui parallèlement ont tendance à s’intégrer au munus, dans les fêtes apolliniennes, se fait en même temps que l’association étroite entre les dirigeants de Rome et le dieu archer. Le sénat, dans ce même mouvement, décrète l’anniversaire de César le même jour que ces ludi en 44 a.C.64

De cette façon, les jeux sont associés progressivement à la politique religieuse des imperatores et des

principes. La relation intime entre le dieu et les spectacles est affichée avec ostentation lors

des grandes fêtes de 28 a.C. commémorant Actium où sont donnés des circenses, un agôn gymnique et un munus65. Si les textes anciens ne le précisent pas, on peut raisonnablement supposer que le culte d’Apollon a dû être omniprésent lors de ces commémorations d’une victoire qu’il avait lui-même assurée à Auguste du haut du promontoire66. C’est alors le dieu à

la lyre et non le dieu archer. Il a garanti la victoire contre des Romains, c’est donc un dieu qui restaure et garantit la paix intérieure67. Les spectacula deviennent, sous sa férule, le ciment de la construction du consensus. D’autant qu’ils sont suivis des jeux séculaires de 17 A.C. annonçant le retour de l’âge d’or après les guerres civiles, eux-mêmes agrémentés d’une chasse68. La venatio est ainsi partie intégrante de l’évocation de la pax augusta, condition du retour de l’âge d’or et de la pax deorum.

II. Les monnaies de 18-16 B.C. : images des jeux séculaires et politique dynastique

60 Cassius Dion, LV, 31, 4. 61

Cassius Dion, XLVIII, 33, 4. Sur les doutes émis sur la datation donnée par Dion cf. Ville, 1981, p. 108.

62 Cassius Dion, XLVIII, 20, 3. 63 Cassius Dion, XLVIII, 31, 5-6.

64 Cassius Dion, XLVII, avant de le décaler d’un jour en 42 a.C., ce qui ne l’exclut pas de la période des jeux,

mais le distingue du jour dédié au dieu. Ville, 1981, p. 117.

65 Cassius Dion, LIII, 2, 1 et Res Gestae, 22.1.

66 Voir la propagande monétaire du prince : RIC, I, 171a, 180, 192a, 257. Diane l’assiste dans la campagne de

Sicile : RIC, I, 196et 204.

67

Sur l’évolution lente qui conduit le culte à cette forme : Gagé, 1955, p. 255 et p. 414 sur le triomphe.

(11)

Nous retrouvons ensuite les jeux sur les monnaies des années 17-16 B.C. avec les jeux séculaires et le denier de Sanquinius représentant le divin César ou un génie69 avec le sidus

Iulium70, étoile que l’on retrouve au revers sur le bouclier du personnage – un salien, un ludio ou plus probablement un praeco71 - ce qui associe étroitement la célébration cyclique du temps à la famille des Iulii et qui manifeste, qui annonce, par le caducée, le retour de l’aurea

aetas rendu possible grâce à un nouveau chef égal de Romulus, présagé par les augures. Le

document commémore les jeux connus par les protocoles épigraphiques, les monnaies et un texte de Zosime72. De ce fait, cas exceptionnel, nous pouvons confronter les choix iconographiques au déroulé des jeux mentionnés dans les autres sources et également d’essayer de voir la rupture qui existe entre le point de vue de l’émetteur et celui des multiples récepteurs de l’image qui n’avaient pas forcément vus les jeux et qui n’avaient pas nécessairement accès aux sources les résumant73. Les monnaies de 17 sont représentées par cinq types, aurei et deniers, et quatre thèmes mobilisés. Un monnayage de la Colonia Patricia en Espagne sur laquelle un praeco étend la main sur un autel marqué Ludi Saecul., et pour les monnayages romains qui nous intéressent : des droits représentant le divin César jeune accompagné du sidus et, sur les revers, un aureus, également décliné en denier, avec un salien ou praeco avec la légende August. Divi f. lud. sae.74 ; un aureus avec une distribution des

suffimenta et la légende ludi. s.75 ; et le denier au cippe avec la légende imp. caes. aug. lud.

saec. et XV s. f.76. Les monnaies mettent l’événement au premier plan, le prince est au second plan. Les jeux y sont symbolisés par le personnage difficile d’interprétation et l’image est fortement condensée et ne décrit absolument pas la fête et son déroulement, mais laisse une place essentielle à des symboles explicités par l’épigraphe. L’élément central de cette célébration aux époques flaviennes et sévérienne est le sacrifice77, ici c’est la simple évocation des jeux, sans descriptions ni détails, si ce n’est la mise en avant de la liberalitas du prince. Celui-ci met aussi en avant sa pietas et sa volonté de restituer les rites anciens tout en remémorant indirectement sa place de président du collège des quindecemvirs. Les aurei

69 selon Gurval : Pandey, 2013, p. 434. Possibilité d’une autre comète en 17 peu probable mais discuté cf. ,72.

Image devient une annonce cosmique d’un nouvel âge.

70 Scott, 1941, p. 264-265.

71 Sur l’identité de ce personnage voir la synthèse de Scheid, 1998, p. 22-23. Plus récemment Grunow

Sobocinski, 2006, p. 588 penche pour un ludio.

72 cf. Pighi, 1965, p. 33-72. 73 Scheid, 1998, p. 14. 74 RIC I, 339-340 ; BMC I, 69. 75 RIC I, 350 ; BMC I, 85 ; Cohen, 466. 76 RIC I, 354-355 ; BMC I, 89 ; Cohen 461. 77 Scheid, 1998, p. 27.

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devaient surtout s’adresser aux élites romaines qui avaient assisté aux jeux et la commémoration se fait très discrète, alors que le denier, sans doute circulant plus largement, est totémique, figurant simplement le cippe. D’ailleurs, les images de suffimenta ou de cippes sont stéréotypées et symbolisent en elles-mêmes pietas et liberalitas, le texte vient ici annoncer le caractère exceptionnel de ces images plutôt ordinaires et prévenir des largesses qui vont avoir lieu lors des jeux ou qui y ont eu lieu et insiste sur la situation de communication entre le prince et le peuple avec les suffimenta78.

Avec l’image de César et l’annonce d’un nouvel âge du à un prince libéral et pieux, les monnaies manifestent la fonction des jeux séculaires, au moment où s’impose petit à petit l’idée dynastique79

qui se renforce peu à peu et s’affirme de manière éclatante quand Caius est présenté lors des jeux Troyens, puis acclamé avec Auguste lors des jeux en 13 av., ou encore au théâtre avec Caius et Lucius en 6 av.80. Pour reprendre la pensée de C. Courrier dans son travail sur la culture de la plèbe, la communication du prince directe et massive trouve un terrain privilégié dans les contextes ludiques révélant à cette époque « les prémices d’une mutation fondamentale : l’intériorisation de la possibilité pour la plèbe de s’adresser directement et régulièrement au prince81. » Les lieux de spectacle deviennent un espace d’acclamations, parfois spontanées, comme les jeux théâtraux de 2 av où les spectateurs interprètent les mots d’un acteur comme une louange à Auguste et applaudissent pour manifester leur accord82. Le peuple acclame quand le prince accède à ses demandes83. Il s’agit donc d’une rencontre institutionnalisée entre le prince et le peuple dans un calendrier organisé autour des évènements dynastiques et une marque d’un consensus accordé par la plèbe au régime84. En 2 av. c’est de fait lors d’une entrée au spectacle que la plèbe couronne Auguste « Père de la Patrie » manifestant le rôle légitimateur de la plèbe, qui se mérite de la part de l’empereur. Cela revient à établir une tension entre une plèbe privilégiée par la présence du prince qui se considère légitime à déposer des demandes, face à un prince partagé entre « l’idée d’accéder à ces exigences pour assurer sa légitimité, mais se méfiant des débordements que ce type de « tolérance » pouvait engendrer85. » D’ailleurs cela fonctionne, car très peu de troubles apparaissent dans les contextes ludiques ce qui manifeste la « mise en ordre » de l’espace ludique par le pouvoir.

78 Scheid, 1998, p. 30.

79 Courrier p. 646. Voir aussi le point de vue de Hurlet, 1997, p. 66-67 et 415-421. 80

Suétone, Aug., LVI.

81 Courrier, 2014, p. 648. 82 Suétone, Aug., LIII.

83 Voir le cas du lion d’Androclès, Sen., Ben., II, 19, 1. Analyse par Ville, 1981, p. 115-116. 84

Idée reprise de Benoist, 1999, p. 246 et 271.

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Synthèse : Jeux et monnaies : des messages qui se répondent

Entre la fin du IIe s. et la période qui nous intéresse, les jeux sont devenus un référent idéologique majeur qui fait irruption dans le discours monétaire. Les jeux, qui investissent massivement l’espace vécu quotidien, ont les mêmes objectifs que les monnaies : « reproduire l’ordre romain » en offrant à la vue de tous les valeurs et traits constitutifs signifiant la communauté civique86. Ce n’est pas une allusion aux vulgaires divertissements de la foule décriés par l’historiographie sénatoriale, mais au contraire à la pietas, au respect des traditions religieuses, à l’identité même de la communauté dans son rapport avec le monde divin. Les messages sont donc relativement consensuels et semblent particulièrement efficaces dans des périodes où certains cherchent l’apaisement ou affichent un discours dans ce sens, pour essayer de restaurer la pax deorum. De la même manière, ils représentent uniquement les jeux donnés par des magistrats en charge et des jeux d’État ou donnés par les plus hautes autorités. De plus, ils éliminent les jeux théâtraux, sans doute jugés trop licencieux, et se concentrent sur des formes renouvelées afin de souligner la valeur de l’évergète. Les monnaies opèrent ainsi une sélection très similaire à celle des sources littéraires : tous les jeux n’ont pas le même poids dans l’histoire politique de Rome et nombreux sont ceux qui ne sont pas restés dans les mémoires. Cela ne veut pas dire qu’ils ne portaient pas des messages similaires et surtout, cela ne veut pas dire que les jeux étaient moins tenus en période de crise, au contraire, leurs formes se diversifiaient, par exemple avec le changement de rôle des préteurs ou l’adjonction de munera aux ceriales par les édiles plébéiens en 42 B.C. De plus, de nombreux personnages ne font pas écho à leurs jeux sur les monnaies : Brutus par exemple ne fait pas battre monnaie pour les jeux apollinaires donnés in abstentia à Rome avant les proscriptions alors que, selon Cicéron87, ils ont un grand retentissement. Les monétaires de 43 à 41 reviennent prudemment à des types gentilices aussi peu polémiques que possible88 et Livineius peut mettre en scène, à côté de son soutien aux triumviri, sa gloire familiale et la sienne propre, dépositaire des faisceaux et de la chaise curule tout autant que des devoirs y afférent : approvisionnement et jeux.

Le message porté par la monnaie subit naturellement les influences de son temps et donc le déroulement des jeux, leur retentissement, peut influer sur les choix iconographiques

86 Pérèz, 1986, p. 35. 87

Cicéron, Att., XVI, 2, 3.

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des monétaires qu’ils soient eux-mêmes sensibles à ce message, ou, et ce n’est pas exclusif, qu’ils le considèrent comme un tremplin pour leur carrière. Il y a des résonnances, des complémentarités, entre les deux discours, y compris dans leurs lacunes, qui mettent en image explications et justifications de l’ordre du monde et du renforcement de la place hiérarchique d’une famille ou d’un individu. Les représentations collectives, les images attendues par les destinataires et l’univers mental du commanditaire et du graveur s’enrichissent mutuellement. Certes cela se fait surtout au bénéfice d’une élite qui cumule : les mentions gentilices, les promesses de dons, les proclamations de fidélités (pietas/fidelitas/liberalitas) ; la symbolique sacrée (pietas) ; la symbolique du pouvoir (dignitas/honores/gravitas) ; la symbolique de la victoire (felicitas) ; l’expression des vertus personnelles complémentaires (clementia, virtus). Toutefois, le message est aussi collectif. Comme pour les monnaies exaltant la victoire sur le barbare, les jeux sont une démonstration d’une culture romaine supposée supérieure et invincible. Les deux types de discours véhiculent les mêmes messages, mettent en exergue les mêmes dieux, les mêmes vertus, rendent « vrais » parce que « vus » les mythes qui fondent l’ordre social romain et donc rappellent le rôle de ces représentations dans la cohésion de la cité89 et donc de manifester et conforter la légitimité de la domination de l’aristocratie sénatoriale tout en permettant à cette dernière de se confronter plus ou moins directement à la

vox populi. Message de et pour les élites, message aux cives, confrontation des deux, trois

opérations qui visent à donner l’image de la concordia, symbolisée dans les monnaies, manifestée dans les gradins où tous se réunissent autour de la figure de la Victoire et des vertus véhiculées par le vainqueur. La culture romaine est construite dans les jeux en négatif des barbares : l’ostentation des armes des vaincus dans les monnayages de la fin de la République répond aux armes des gladiateurs ethniques mis en scène dans l’arène. Quand les gladiateurs ethniques laissent la place aux gladiateurs techniques, les armaturae demeurent étranges, un condensé décontextualisé de tout ce qui fait le monde barbare en général, un « substitut sémantique du barbare90. » Le discours est métonymique : quelque détail en vient à signifier tout ce qui n’est pas romain, mais qui reste maîtrisé ou maîtrisable par Rome. Cela permet au lecteur/spectateur de ressentir profondément son rôle personnel et sa place dans le peuple-roi et dans une domination universelle.

Finalement il semble que, dans un premier temps, le discours populares et celui des

imperatores se concentrent sur des thèmes généraux : libertas pour les premiers, victoire

militaire pour les seconds, et que la mise en scène des jeux, en tant que tradition religieuse de

89

On retrouve cette idée par la suite, notamment dans le De Spectaculis de Martial, voir Pailler, 1990.

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Rome, soit plutôt mise en valeur par les élites sénatoriales afin de rappeler la concordia établie entre les ordres réunis autour des dieux, comme sur le monnayage de Volteius. L’appropriation progressive de la concordia par les partisans de César fait évoluer les choses qui changent radicalement avec les jeux funéraires et l’apothèose de César inaugurant l’appropriation du thème des ludi par la seule famille impériale qui construit un discours autour de jeux qui permettent, en temps de paix, d’exprimer les vertus du prince et de sa dynastie. Il est bien trop simpliste de conserver la vieille idée selon laquelle le don du pain et des jeux et son annonce sur les supports de discours n’a pour but que de signifier au peuple que s’il se tient tranquille il ne sera pas privé de ces loisirs. La réalité des messages est éminemment plus complexe et ce discours peut aussi bien s’adresser aux élites qui, comme Auguste, sont parfois très attachées à ses célébrations par goût, par croyance et par tradition. L’important est de montrer que les rites sont bien donnés, que les élites assument leur rôle et les devoirs y afférents et que, ce faisant, les institutions de Rome reposant sur la hiérarchie sociale, fonctionnent et que la pax deorum est respectée pour le plus grand bonheur de la République.

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