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Le langage graphique des émotions : identification d'émotions exprimées par le dessin

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¢3¿7, J)

ISABELLE GALLANT

LE LANGAGE GRAPHIQUE DES ÉMOTIONS : IDENTIFICATION D’ÉMOTIONS EXPRIMÉES PAR LE DESSIN

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de !’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître en psychologie (M.Ps.)

École de Psychologie

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL

AVRIL 2001

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Le langage graphique des émotions iii Résumé

Ce mémoire vise Γexploration d’une méthode peu étudiée de l’expression des émotions : le dessin. À partir d’un exercice élaboré par Edwards (1986), des dessins représentants des émotions par des formes et des lignes non-figuratives et tracés au crayon de plomb ont été recueillis. Cent-cinquante dessins représentant cinq émotions - la joie, la dépression, la colère, la solitude et la sérénité - ont ensuite été présentés à cinq juges, étudiantes et étudiants aux études graduées en psychologie à l’université Laval, qui en ont fait la classification. L’analyse des données obtenues par les classifications des juges montre que l’émotion est identifiée correctement et de façon significative pour l’ensemble des dessins et pour chacune des catégories d’émotions séparément. Ces résultats supportent l’hypothèse que les gens sont capables de communiquer intuitivement par le dessin à partir d’un langage interne commun.

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IV Le langage graphique des émotions

Avant-propos

Ce mémoire n’aurait pas été possible sans la contribution de plusieurs personnes. Tout d’abord, je remercie le professeur Pierre-Charles Morin d’avoir appuyé mon désir d’explorer le domaine des arts et de la psychologie. Sans son ouverture et son expérience, le projet n’aurait pas vu le jour. Je dois également à Monsieur Morin le matériel dont traite ce mémoire les dessins d’émotions. Je remercie aussi chaleureusement le professeur Jean-Bernard Pocreau d’avoir accepté de superviser les dernières étapes de ce mémoire. Sans sa générosité et sa compréhension, le projet n’aurait pas abouti. Merci à Madame Lizotte pour son aide “à distance”. Merci aux étudiants du SAS pour m’avoir mise sur la bonne piste statistique. Je remercie aussi les examinateurs de mon mémoire pour avoir été réceptifs à mon sujet...moins traditionnel. À mes parents (maman et papa), à toute ma famille (Sylvie, Jean-Pierre, mes deux mémères...tout le monde !) et à mes amies et amis, je dois une confiance et un encouragement soutenu tout au long de mon cheminement (merci de vos prières et pensées !). Merci à Tina de m’avoir hébergée à Sainte-Foy ! Je remercie aussi John pour son soutien, sa confiance en moi et pour la source d’inspiration qu’il est pour moi.

Ce mémoire a été pour moi une étape de croissance personnelle importante. Je remercie la Vie de m’avoir donné cet apprentissage et, de façon continue et progressive, de me dévoiler...de me faire me découvrir. L’expression créative joue un rôle essentiel dans ma vie et je veux continuer de lui faire de plus en plus de place.

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Le langage graphique des émotions y

Table des matières

Résumé ... iii

Avant-propos ... iv

Table des matières... v

Tableaux et figures...vi

Introduction ...1

Chapitre I - Recension des écrits ... 3

Émotions - aspect théorique...3

Théories actuelles ... 4

Émotions de base... 5

Universalité des émotions ...7

Études sur les émotions ... 8

Questionnaires ... 8

Indices physiologiques... 9

Expression faciale des émotions...10

Expression vocale des émotions...11

Couleur et émotion... 13

Expression des émotions par l’art ...14

Intérêt de l’étude de l’expression des émotions par l’art... 23

Chapitre II - L’expérimentation...26

Présente étude... 26

Choix d’une méthode... . . .26

Choix de la population... 27

Choix des émotions ...27

Hypothèses... 28

Méthodologie... 29

Participants... 29

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Le langage graphique des émotions yi

Procédure... 30

Chapitre III - Résultats... 31

Hypothèse principale ... 31

Représentativité des dessins... 32

Distribution des erreurs ...34

Chapitre IV - Discussion... 36

Hypothèse principale ... 36

Émotions de base vs émotions secondaires... 37

Commentaires des juges... 38

Représentativité des dessins... 40

Émotions parentes ... 51

Faiblesses de l’étude ... 55

Facteurs influant sur la représentativité des émotions dans les dessins .. 55

Interférence dans !’interprétation des dessins... 57

Choix forcés - méthode de choix ?... 58

Choix des dessins inclus dans !’expérimentation... 59

Conclusion générale...61

Références bibliographiques... 64

Annexe A - Directives utilisées pour obtenir les dessins ... 71

Annexe B - Directives données aux juges pour faire la classification ... 74

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Tableaux et figures

Le langage graphique des émotions vii

Tableau 1 - Listes d’émotions de base selon divers auteurs... 5

Tableau 2 - Distribution de la classification des dessins par les juges... 31

Tableau 3 - Valeurs des tests de chi carre pour chacune des catégories d’émotion et pour l’ensemble des dessins... 32

Tableau 4 - Distribution des dessins ayant un coefficient d’accord supérieur à .50 .... 33

Tableau 5 - Distribution des erreurs de classification pour chacune des catégories d’émotion... 35

Tableau 6 - Signification des erreurs de classification...35

Figure 1 - Dessins représentatifs de l’émotion joie... 42

Figure 2 - Dessins représentatifs de l’émotion dépression... 44

Figure 3 - Dessins représentatifs de l’émotion colère... 46

Figure 4 - Dessins représentatifs de l’émotion solitude ... 48

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1 Le langage graphique des émotions Le langage graphique des émotions :

Identification d’émotions exprimées par le dessin

Introduction

Ce mémoire vise l’exploration de l’une des méthodes les moins étudiées de l’expression des émotions : le dessin. L’expression graphique d’émotions est probablement une des

premières formes de communication entre les êtres humains, avant l’invention du langage proprement dit. Il est facile d’imaginer les discours échangés par nos ancêtres : des sons et des gestes accompagnés de tracés dans le sable, un peu comme le font encore les enfants (et des adultes) d’ethnie et de langue différente quand ils se retrouvent ensemble dans un terrain de jeu ou dans une situation où ils doivent communiquer autrement que par la parole. Le monde plus industrialisé d’aujourd’hui semble avoir délaissé ces formes plus primitives ou spontanées de communication au profit d’un langage verbal plus strictement défini. Ce langage est utile, mais possède ses limites. Comparativement, le langage artistique, quelle que soit la forme qu’il prenne (i. e. dessin, danse, musique, etc.), est illimité. C’est-à-dire qu’il est propre à chacune et à chacun qui s’en sert pour communiquer ou exprimer puisque l’expérience personnelle d’un individu, qui transparaît dans son oeuvre, est unique. Pour exprimer quelque chose en mots, les façons de le faire se limitent au vocabulaire de la langue en question. Aussi vaste qu’il soit, il n’est pas illimité. Par exemple, pour communiquer son bonheur à quelqu’un, il y a plusieurs mots qui existent, mais pas un nombre astronomique. Bien sûr, c’est ici qu’entrent les adjectifs, les styles et les métaphores colorées pour rendre le message plus clair. En fait, c’est un peu ça le dessin (et la danse et la chanson et la sculpture et la poésie etc.) : une métaphore qui rend plus vivantes et plus personnelles les expressions de chacune et chacun.

Le deuxième aspect de ce mémoire est celui des émotions. Les divers moyens de communication qui viennent d’être mentionnés peuvent servir à exprimer plusieurs choses dont des idées, des questions, des concepts, mais aussi, à un niveau plus essentiel, des émotions. Les émotions sont une partie intégrale de la vie, ayant une influence sur nos décisions, nos relations et nos créations quotidiennes. Les émotions sont également un aspect important de la personne exploré en thérapie, justement à cause de leur influence indéniable sur la santé

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2 Le langage graphique des émotions

mentale. La façon de gérer ses émotions, de les vivre et de les exprimer influence directement le bien-être mental et, de plus en plus de gens le reconnaissent, le bien-être physique (Siegel,

1986).

Il sera donc question, dans les pages qui suivre, de ces deux sujets, le dessin et les émotion, et de la relation qui existe entre eux.

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3 Le langage graphique des émotions Chapitre I - Recension des écrits

Dans ce chapitre, nous allons explorer le vaste monde des émotions et l’intérêt que leur ont porté les chercheurs à travers l’histoire. Depuis leurs toutes premières définitions, des controverses entourant leur nature jusqu’aux diverses méthodes utilisées pour les étudier, les émotions soulèvent encore des questions, gardent encore des secrets à découvrir. Nous explorerons quelques-unes de ces questions, notamment celle des émotions de base et celle de l’universalité des émotions. Nous passerons ensuite en revue plusieurs méthodes qu’utilisent les chercheurs pour étudier et mieux comprendre les émotions en nous attardant plus longuement à l’étude des émotions par l’art, ses applications pratiques et son intérêt théorique.

Émotions - aspect théorique

Les émotions sont un sujet d’intérêt depuis très longtemps. Les premiers discours documentés à leur sujet sont ceux de Platon, d’Aristote et de Descartes (Strongman, 1996). Leurs conceptions des émotions ont contribué à celles d’aujourd’hui. Le premier à tenter de définir les émotions, Platon leur accorde une place très secondaire dans l’être humain. Elles sont, selon lui, primitives, se situant quelque part entre l’appétit et l’esprit et ne font que distraire l’humain de sa raison. Plus tard, Aristote dira que les émotions font partie à la fois de l’aspect cognitif et de l’aspect sensuel de la personne. Il commence aussi à voir un lien entre les émotions et les experiences humaines, celles du plaisir et de la douleur. Un peu plus tard encore, Descartes décrit les émotions comme un phénomène unique à l’être humain (selon lui aucun autre animal est émotif) qui prend place dans la pensée et dans l’esprit. Il reconnaît que les réponses physiologiques et comportementales ainsi que les processus mentaux comme la mémoire et la perception jouent un rôle dans l’expérience émotionnelle. Ces penseurs ont contribué à leur façon et de façon progressive aux théories actuelles sur les émotions. Cependant, le premier auteur à accorder autant d’importance à ce sujet et à avoir encore de l’influence aujourd’hui est Charles Darwin.

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4 Le langage graphique des émotions Dans son célèbre écrit “L’expression des émotions chez l’homme et les animaux” (1872/1965), Darwin explore plus que tout autre avant lui le monde des émotions. Selon lui, les émotions sont des réponses adaptatives qui ont servi à la survie des espèces dans le processus de la sélection naturelle au cours de l’évolution. Elles sont donc universelles et se retrouvent chez l’être humain et les autres animaux. Les expressions découlant des émotions, particulièrement les expressions faciales, n’ont aucune fonction communicative selon Darwin. Elles sont simplement les résidus de vieilles habitudes, des réactions automatiques qui n’ont plus d’utilité. Par exemple, l’expression de dégoût découlerait d’une partie de l’expression faciale accompagnant l’acte de cracher quelque chose de mauvais. L’être humain manifeste encore, par habitude, la même expression dans différentes situations associées au dégoût n’incluant pas toujours l’acte de cracher.

Même si sa conception de la signification de l’expression des émotions n’est

généralement plus acceptée aujourd’hui (notamment la fonction communicative des expressions faciales), Darwin a laisser derrière lui une école de pensée qui aborde l’étude des émotions selon son point de vue évolutif. Il a également légué une méthode pour étudier les émotions qui reste encore très utilisée : !’observation des expressions faciales. Il est à noter que les

différentes méthodes utilisées pour étudier les émotions seront décrites plus loin.

Théories actuelles

Il se dégage en psychologie plusieurs approches relatives à l’étude des émotions et autant de définitions. Comme le font remarquer Fehr et Russell (cités dans Shaver, Wu &

Schwartz, 1992), les gens savent nommer différentes émotions, mais ils trouvent plus difficile de donner une définition du concept lui-même. Jusqu’à date, il a été impossible d’arriver à un consensus sur une seule définition qui corresponde aux postulats de chacun. Toutefois, comme le suggère Cornélius (1996), les différentes définitions ne sont pas contradictoires, mais

correspondent plutôt aux diverses parties d’une plus grande et plus complète définition.

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5 Le langage graphique des émotions

le concept des émotions n’est pas le but de ce mémoire, il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de ces définitions variées. Il suffit de dire que les émotions, qu’elles soient innées ou acquises, biologiques ou culturelles, sont une partie importante de la vie quotidienne et méritent d’être étudiées et mieux comprises.

Emotions de base

L’existence même d’émotions plus fondamentales que d’autres est controversée (voir Ortony & Turner, 1990; Ekman, 1992; Izard, 1992; Panksepp, 1992; Turner & Ortony,

1992). Même parmi ceux qui croient qu’il existe un nombre restreints d’émotions de base, la liste des émotions à inclure varie selon l’approche à laquelle ils adhèrent. Par exemple, la liste des émotions fondamentales d’Izard (1991) contient 10 émotions, celle d’Ekman (cité dans Cornelius, 1996) en comporte 7, et celle d’Oatley et Johnson-Laird (cités dans Strongman,

1996) en dénombrent 5. Le tableau 1 présente un aperçu des différentes listes de ces auteurs.

Tableau 1

Listes d’émotions de base selon divers auteurs

Émotion Ekman Izard Oatley &

Johnson-Laird colère ✓ Z Z dégoût Z Z Z joie Z Z Z peur Z Z Z mépris Z Z surprise Z Z Z tristesse Z culpabilité Z honte Z intérêt-éveil Z détresse-anxiété Z

Malgré les différentes émotions inclues dans chacune des listes d’émotions

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6 Le langage graphique des émotions été surnommé, contient les six émotions que tous acceptent plus ou moins comme

fondamentales : la joie, la colère, la tristesse, la peur, le dégoût et la surprise (Cornelius, 1996). Il est généralement reconnu que ces émotions ont des expressions faciales fixes à travers les cultures et, donc, comportent une base biologique (Izard, 1991). Deux des émotions qui seront traitées dans cette étude font partie de cette liste : la joie et la colère. La dépression peut également être considérée comme une émotion de base selon la définition qu’elle reçoit - la dépression étant synonyme de tristesse (émotion de base) ou la dépression étant synonyme d’un désordre mental.

Comme il vient d’être mentionné dans le paragraphe précédent, les expressions faciales des émotions qui sont considérées primaires par la plupart des théoriciens de ce domaine sont constantes à travers les cultures. Cependant, la présence d’expressions faciales similaires sur le plan transculturel ou global implique-t-elle nécessairement que ces émotions soient

fondamentales, c’est-à-dire à la base de la vie émotionnelle dans chacune de ces cultures ? Comme le suggère Heelas (1996), certaines émotions semblent être plus présentes dans une culture et moins dans une autre. Les émotions qui ont plus de valeur dans une société sont qualifiées d’hypercognisées et celles qui sont moins valorisées sont les émotions hypocognisées Pour comprendre ces concepts, il suffit de comparer les émotions qui ont plus d’importance entre différentes sociétés. Par exemple, en Amérique du Nord (aux États-Unis et au Canada), deux émotions qui ont beaucoup de valeur sont l’amour et la culpabilité. Comparativement, la gentillesse et la douceur ont plus d’importance pour les Esquimaux Ukku (Briggs, cité dans Heelas), tandis que les Tahitiens reconnaissent d’avantage la peur et la honte dans leur culture (Levy, cité dans Heelas). Ces différences dans le répertoire émotionnel de chaque culture met en doute l’existence d’émotions fondamentales. Si les émotions de base peuvent être

influencées aussi facilement par les valeurs de la société, ne seraient-elles pas également créées par celles-ci ? C’est justement le point de vue de la théorie constructiviste-sociale. Les

théoriciens qui se rattachent à cette perspective suggèrent que les émotions sont des produits de la société qui servent à communiquer des états internes de façon culturellement comprise et acceptable (voir par exemple Averill, cité dans Cornelius, 1996). Puisqu’elles sont issues de

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7 Le langage graphique des émotions

croyances, de valeurs et de traditions, et qu’elles sont exprimées de façon à ce que les gens de la culture les comprennent, les émotions ne peuvent pas être fondamentales. Elles ne le seraient pas, du moins, dans le sens qui veut que les émotions primaires soient issues de bases

biologiques indépendantes de facteurs socio-culturels.

Universalité des émotions

Les émotions ont suscité des recherches au niveau général, c’est-à-dire au niveau de leur nature (c’est quoi une émotion ?), mais elles ont également été le sujet d’études

transculturelles (par exemple, comment on vit la peur chez-toi ?). Les chercheurs s’intéressent à cette deuxième question pour différentes raisons. L’une d’elle est d’essayer de comprendre l’origine des émotions. Selon les théories sociales, elles sont issues de la culture, des méthodes traditionnelles d’exprimer la honte ou le désir par exemple, tandis que selon d’autres approches (i. e. les théories évolutionnistes), les émotions sont innées ou dérivent de processus biologiques fondamentaux. Si les émotions sont vécues de la même façon d’une culture à une autre, il est plausible qu’elles possèdent des bases biologiques. Si au contraire chaque société a sa propre façon de vivre et d’exprimer les émotions, les facteurs sociaux et culturels sembleraient plus importants que les facteurs biologiques.

Une autre raison d’étudier l’aspect transculturel des émotions est de faciliter la compréhension et la communication entre différentes sociétés. Savoir mieux interpréter les expressions de l’un et de l’autre mène inévitablement à de meilleures interactions, plus productives sur les plans personnel, professionnel et autres.

Deux positions existent au sujet de l’aspect transculturel des émotions, soit qu’elles sont les mêmes dans toutes les cultures, soit qu’elles varient entre les cultures. Selon plusieurs recherches menées dans de nombreux pays sur chacun des continents (voir Scherer, 1988 et Scherer, Wallbott & Summerfield, 1986, ainsi que Shaver, Wu & Schwartz, 1992), il existe une quantité d’indices qui suggèrent l’universalité des émotions. Tout d’abord Izard (1991) et Ekman (cité dans Shaver et al.) montrent à travers des études sur la reconnaissance et la

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8 Le langage graphique des émotions

production d’expressions faciales des émotions de base la présence de celles-ci à travers le monde. En effet, dans toutes les cultures étudiées, les gens sont capables d’identifier l’émotion faciale représentée sur des photos, ils identifient à peu près les mêmes caractéristiques

physiologiques et comportementales ainsi que les mêmes antécédents (événements précurseurs) pour la majorité des émotions. Malgré tout, même si les résultats suggèrent fortement

l’universalité des émotions, il existe des différences non négligeables et les chercheurs

reconnaissent que les facteurs sociaux et culturels influencent l’expression et l’expérience des émotions.

Etudes sur les émotions

Les sections précédentes ont donné un aperçu des différentes façons d’étudier les émotions. Ces divers points de vue reflètent le modèle théorique des chercheurs. Dans cette section, les méthodes les plus populaires d’étudier les émotions seront brièvement présentées.

Questionnaires

Selon certains chercheurs, le meilleur moyen de recueillir de !’information au sujet des émotions ressenties par une personne est de la lui demander. Les questionnaires sont faciles à utiliser et comptent sur l’authenticité des réponses des gens (voir surtout les travaux de Scherer et Wallbott, dans Scherer, 1988 ainsi que dans Scherer, Wallbott et Summerfield, 1986). Le contenu des questionnaires porte sur une variété d’aspects du vécu émotionnel. Par exemple, les chercheurs peuvent chercher à savoir à quelle fréquence une émotion particulière est vécue, quels événements en sont plus souvent précurseurs, quels changements physiologiques sont associés à différentes émotions, etc. La méthode questionnaire n’est pas sans critiques

toutefois, justement parce qu’elle dépend de qualités humaines. Entre autres, l’honnêteté dans les réponses, la capacité d’analyser des éléments émotifs complexes (i. e. le taux de battements cardiaques associé à une émotion) et l’habileté à se souvenir de matériel plus ou moins près dans le temps peuvent tous affecter les résultats. Néanmoins, les questionnaires se sont

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façon de vivre les émotions est importante et où il est imprudent de faire des inférences à partir d’informations obtenues dans une autre culture. Par exemple, en présentant des images de gens qui sourient à une telle population, il est sous-entendu que cette population expriment la joie de cette façon. Par contre, en se servant du questionnaire, il est possible de repérer

d’autres modes d’expression pour la même émotion qui sont peut-être particuliers à cette culture. Cette méthode permet donc d’obtenir de subtiles informations qui passeraient inaperçues avec une autre.

Le langage graphique des émotions 9

Indices physiologiques

Une méthode très objective pour étudier les émotions est la mesure des indices physiologiques. Il est facile d’observer, même sans instruments spécialisés, les différents changements que les émotions entraînent dans son propre corps. L’accélération du battement cardiaque, la moiteur des mains, les changements de température ou encore les tremblements sont des exemples d’indices physiologiques qui sont associés aux émotions et que tous sont capables de remarquer dans leur propre corps. Par exemple, la joie est accompagnée d’une fréquence cardiaque plus élevée comparativement au repos (fréquence cardiaque faible) qui est associé à d’autres émotions comme la sérénité. En plus de !’observation sans instruments, des méthodes beaucoup plus précises pour mesurer les réactions physiologiques, comme par exemple l’électromyographie (EMG) et l’électroencéphalographie (EEG), démontrent l’existence de patrons de réponses qui diffèrent d’une émotion à une autre (Izard, 1991). Un seul indice ne suffit pas à distinguer une émotion d’une autre, car celui-ci peut être commun à plus d’une émotion. Le taux élevé de battements du coeur, par exemple, est partagé par

plusieurs émotions (i. e. joie, colère, peur). Toutefois, en combinant les indices physiologiques, il est possible de dégager un portrait unique pour la plupart des émotions, particulièrement pour les émotions fondamentales (Izard, 1991). Effectivement, des chercheurs ont démontré que la température de la peau combinée avec la fréquence cardiaque suffit pour distinguer la joie de d’autres émotions (Ekman, Levenson & Friesen et Schwartz, Fair, Greenberg, Freedman & Klerman, cités dans Izard). D’autres auteurs ont eux aussi trouvé des patrons uniques à

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Le langage graphique des émotions \ Q chacune des émotions étudiées (voir par exemple Plutchik, 1991 et Wallbott & Scherer, 1988). La méthode des indices physiologiques a l’avantage d’être objective - elle mesure des

phénomènes quantifiables - par contre elle ne dévoile que l’aspect plus impersonnel de l’expérience émotive. Selon la plupart des chercheurs, les émotions sont plus que la simple somme des réactions physiologiques et dépendent plutôt de la perception et !’interprétation de celles-ci en étroite relation avec le milieu.

Expression faciale des émotions

Depuis Darwin (1965), l’étude des émotions par !’observation des expression faciales connaît une grande popularité. De nombreux chercheurs ont fait dé cette technique leur méthodologie de choix au cours des années, soit par elle-même ou en combinaison avec d’autres (voir par exemple Bloch, 1985; Blumberg & Izard, 1991 ; Burch & Pishkin, 1984; Ekman, Davidson & Friesen, 1990; Feleky, 1914; Gosselin, 1995; Hess, Kappas & Scherer, 1988). Les expressions faciales sont facilement accessibles, elles sont indépendantes du langage et servent dans la vie quotidienne de tous comme moyen de communication important. Elles font partie du langage non verbal que les gens utilisent pour interpréter les émotions que ressentent les autres et sont souvent plus authentiques que les mots eux-mêmes. Les émotions les plus fréquemment étudiées par expression faciale sont les émotions considérées

fondamentales par les chercheurs : la joie, la colère, la tristesse, la peur, le dégoût et la surprise. Généralement, les adultes comme les enfants arrivent à reconnaître ces expressions faciales représentant ces émotions avec plus d’exactitude que par la chance et ce dans plusieurs

cultures (voir par exemple, Gosselin, ainsi que Scherer, 1988). Cette méthode est intéressante parce qu’elle s’intéresse à un aspect familier des émotions avec lequel tous sont confrontés quotidiennement. Cependant, !’utilisation d’expressions faciales types suppose l’existence d’une seule et unique “bonne” expression pour chaque émotion et ne tient pas compte des variations individuelles et interculturelles qui peuvent exister.

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Le langage graphique des émotions ! \

Expression vocale des émotions

Comme le note Guidetti (1991), peu d’attention a été portée à l’étude de l’expression vocale des émotions. Quelques chercheurs seulement se sont penchés sur cette question comparativement à l’expression faciale (voir par exemple Goldbeck, Tolkmitt & Scherer,

1988; Scherer, 1986; Scherer, Banse, Walbott & Goldbeck, 1991). Scherer, Banse, et al.

notent que la raison principale de cette lacune est la difficulté à obtenir des extraits d’expression vocale de façon naturelle ou spontanée. Les chercheurs qui veulent étudier la reconnaissance des émotions par des indices vocaux se voient donc obligés d’utiliser des acteurs et, par conséquent, les résultats ne peuvent pas être généralisés à la population collective.

Malgré les limites que semble imposer l’étude de l’expression vocale, les résultats de recherches à ce niveau indiquent que cette modalité d’expression est valide dans l’étude des émotions et qu’elle ajoute des éléments importants à la compréhension de l’expression non verbale des émotions. Entre autres, les études montrent que des juges sont capables

d’identifier les émotions exprimées par les acteurs plus souvent que par la chance pour au moins quatre émotions, soit la joie, la peur, la tristesse et la colère, et ce malgré les syllabes à “non-sens” utilisées par les acteurs (Guidetti, 1991). L’utilisation de ces syllabes inventées est nécessaire pour différencier le contenu du langage des. qualités de la voix. Autrement, il serait impossible de savoir si les gens utilisent ces indices verbaux (les mots contenus dans le

message) plutôt que les qualités vocales (par exemple l’intonation ou la fréquence) pour décerner l’émotion. Une étude menée par Guidetti utilise ces syllabes pour comparer la reconnaissance des émotions entre deux cultures. Ses résultats montrent que les gens sont capables d’identifier l’émotion produite par des acteurs en se basant uniquement sur des indices vocaux indépendants du langage ou de la forme qu’ils prennent. Des sujets adultes allemands et français arrivent à décoder la tristesse, la colère, la peur et la joie. Dans une recherche

parallèle, Guidetti explore le développement de la reconnaissance des émotions par la voix chez des enfants de 7 à 15 ans. Elle note une évolution constante qui progresse des plus jeunes aux plus âgés.

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Le langage graphique des émotions \ 2

Dans une autre étude, Morin et Pocreau (1985) utilisent un chant de langue étrangère pour démontrer la communication d’émotion par la voix. Des étudiantes et des étudiants de psychologie arrivent à déceler ou à décrire, avec une justesse parfois étonnante, le contenu émotionnel d’une partie du Doppelgänger de Schubert. Malgré !’interprétation du chant en Allemand, langue étrangère pour les participants, ceux-ci réussirent à y percevoir l’émotion, et même les différents moments émotifs du poème. Morin et Pocreau parlent d’empathie et d’intuition pour décrire cette capacité de reconnaître l’émotion de cette façon. C’est de ce genre de reconnaissance dont il s’agira dans la présente étude.

Outre la reconnaissance d’émotions à partir des qualités de la voix, une autre utilisation des données tirées des études de l’expression vocale est d’en faire l’analyse spectrale

(Goldbeck, Tolkmitt & Scherer, 1988). Les changements physiologiques associés à différentes émotions influencent les indices vocaux tels que la respiration, l’intonation et l’articulation, indices auxquels les gens sont sensibles et qu’ils utilisent pour interpréter le message transmis ou comme faisant partie de celui-ci. L’addition de ces indices vocaux produits des spectres

individuels pour les émotions qui peuvent ainsi être identifiées.

Les chercheurs soulèvent la difficulté d’obtenir des exemplaires authentiques de l’expression vocale pour en faire l’étude, mais il reste que, avec l’expression faciale et corporelle, les indices vocaux sont parmi ceux avec lesquels les gens ont le plus de contacts quotidiens. Izard (1991) fait aussi remarquer que la présence de changements dans la qualité de la voix est un bon indicateur d’émotions fondamentales. Si en plus d’afficher différentes expressions faciales, les émotions ont des expressions vocales différentes, les chances sont plus grandes qu’elles soient des émotions de base. Il semble donc que cette méthode mérite d’être à nouveau appliquée.

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Le langage graphique des émotions % 3

Couleur et émotion

Comme l’expression vocale des émotions, la relation entre les couleurs et les émotions a été plus ou moins ignorée par la plupart des chercheurs. Quelques études offrent cependant d’intéressants résultats. Kreitler et Kreitler (1972) notent la relation entre les couleurs et l’état mental de la personne où, par exemple, le rouge est souvent associé avec l’agressivité. Ces auteurs relèvent aussi l’influence de la perception culturelle sur la signification des couleurs, accordant une signification particulière à certaines couleurs à cause d’événements historiques, par exemple. Le jaune possède ainsi une connotation négative pour les Juifs à cause de l’étoile de David qu’ils étaient forcés de porter dans les années sombres de la Deuxième Guerre

Mondiale. Le noir a aussi une signification particulière dans la culture occidentale où il est associé à la mort et au deuil. Finalement, Kreitler et Kreitler ajoutent que les couleurs peuvent avoir des significations différentes d’un individu à un autre selon les associations personnelles qui en découlent. Ce lien entre les couleurs et les expériences passées peut évoquer des personnes, des endroits, des situations ou même des objets significatifs dans le vécu de la personne qui ont été associés à une couleur ou à une autre.

Quelques études plus récentes appuient également le lien entre les couleurs et les

émotions. Dans son étude, Hemphill (1996) examine les réponses émotionnelles d’étudiantes et d’étudiants universitaires face à différentes couleurs. Comme dans des études précédentes avec des enfants (Boyatzis & Varghese, cités dans Hemphill), les participants à l’étude de Hemphill tendent à associer les couleurs vives à des émotions positives et les couleurs foncées à des émotions négatives. Par contre, cette association semble diminuer avec l’âge. Les résultats de Terwogt et Hoeksma (1995) vont dans le même sens. Leur étude examine la préférence des couleurs et !’association de celles-ci avec des émotions chez trois groupes d’âge, des enfants de 7 ans, des enfants de 11 ans et des adultes. À partir des résultats, il est possible d’identifier une progression dans la préférence et dans les associations que font les gens entre les couleurs et les émotions. Aussi, !’association couleur—émotion est beaucoup moins reliée à la préférence chez les adultes que chez les enfants. Ces derniers associent leurs couleurs

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Le langage graphique des émotions !4 préférées aux émotions plus positives comme la joie et les couleurs qu’ils aiment moins aux émotions négatives comme la colère et la peur. Chez les adultes, la préférence a moins d’importance dans les associations couleurs—émotions. L’association est encore forte, mais elle dépend d’autres facteurs qu’il reste encore à identifier.

Malgré la reconnaissance de l’importance de la couleur dans l’expression des émotions, le lien entre les deux reste flou pour le moment. La signification émotionnelle de la couleur semble être plus dépendante de facteurs tels la culture et l’âge qu’elle ne l’est pour les expressions faciales, vocales et physiologiques.

Expression des émotions par l’art

Selon la psychologie de la Gestalt, l’expression artistique est la manifestation externe d’un état interne ou émotionnel. Il existerait donc un lien direct entre la structure d’un dessin, par exemple, et ce qui se passe à l’intérieur de la personne : son état émotionnel et même sa psychopathologie (Cohen, Hammer & Singer, 1988). Les paroles d’Itten (1983, p. 150) transmettent bien cette idée : “Si, pendant que l’on crée une forme, la main sait suivre

l’impulsion de l’âme, cette forme devient porteuse d’un contenu spirituel”. Il ajoute que “si ce contenu peut être perçu par qui regarde la forme, celui-là sera marqué de l’empreinte de

l’oeuvre.” Kreitler et Kreitler (1972) caractérisent cette “communication” avec une oeuvre d’empathie ressentie par l’observateur devant quelque chose qui lui rappelle des expériences similaires dans son vécu ou encore comme sa tendance à imiter le mouvement (i. e. les émotions) d’autrui. Déjà en 1940, Georges Orwell (cité dans Edwards, 1986), avait exprimé la théorie que le dessin rend la pensée (l’état interne de la personne) visible et lui donne une existence physique qui peut être “lue” et comprise par un observateur extérieur. Cette

représentation picturale de la pensée ou de l’état interne de la personne a l’avantage de n’être pas soumise à la contrainte du temps (Edwards). Un dessin peut donc représenter une émotion telle qu’elle est affectée à la fois par le passé, le présent et le futur. Par exemple, un dessin de

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Le langage graphique des émotions ! 5

la colère reflète non seulement l’émotion immédiate, mais la colère découlant du vécu de la personne, des blessures de son passé, etc. Cette histoire est racontée dans l’oeuvre.

Dans son essai philosophique “Art and Emotion”, Matravers (1998) explore la relation entre l’expression artistique et les émotions. Elle affirme que les émotions sont présentes dans les oeuvres d’art à la fois pour l’artiste et pour l’observateur. Une interaction entre plusieurs propriétés de base (par exemple, la fluidité, !’interaction des lignes entre elles, le volume, les répétitions, le style, etc.) plutôt qu’une seule caractéristique comme la couleur ou les formes arrive à transmettre l’émotion dans l’oeuvre qu’elle soit visuelle, musicale, théâtrale ou écrite. Kreitler et Kreitler (1972), dans leur écrit sur la relation entre les émotions et les arts, relèvent en plus le rôle de !’environnement ou du contexte dans !’interprétation d’oeuvres artistiques. Une oeuvre encadrée d’autres dans une galerie d’art crée chez l’observateur une réaction différente que la même oeuvre dans un salon privé.

Parmi tous les moyens d’expression des émotions, l’art dans son sens le plus large (poésie, musique, art visuel ou théâtral, etc.) est, il semble, le seul où les émotions deviennent séparées de l’individu, où elles sont projetées à l’extérieur pour devenir un produit, une création imprégnée du vécu de la personne. Jusqu’ici cependant, les études portant sur les émotions ont largement ignoré l’expression artistique, tout comme d’autres moyens d’expression non

immédiatement ou directement accessibles. Les méthodes privilégiées comptent, comme il a été présenté plus haut, les questionnaires, les observations du comportement et de l’expression faciale, la mesure des réactions physiologiques. Ces méthodes sont fréquemment utilisées parce qu’elles mesurent des éléments plus présents dans la vie quotidienne ou plus facilement quantifiables. Il reste quand même que l’expression artistique est une manifestation légitime et valide des émotions et ouvre une porte sur un de leurs aspects les plus intimes et les plus durables.

Le dessin (et l’art en général) permet aussi d’exprimer des émotions ou des idées trop complexes ou encore trop imprécises pour être dites en simples mots. Déposées sur papier, les

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Le langage graphique des émotions % 5

émotions peuvent commencer à être comprises et reconnues. Le fait d’identifier et de nommer une émotion peut avoir des bénéfices pour le client en lui permettant de commencer à

reconnaître son malaise. En même temps cependant, nommer quelque chose, lui mettre une étiquette, c’est réduire cette chose à de simples caractéristiques et risquer de perdre toute sa complexité et son individualité (Williams et al., 1996). La colère de l’un n’est pas celle d’un autre ; chacun vit une émotion à sa façon et ces différences apparaissent sur papier. Le dessin accompagne en quelque sorte l’étiquette, personnalisant l’émotion : « Voici à quoi ressemble ma colère. »

Présentement, des chercheurs tentent de démontrer que !’utilisation de l’art est efficace dans le processus diagnostique des patients. Même si on se sert de l’art pour diagnostiquer la psychopathologie de patients depuis plus d’une centaine d’années (Cohen et al., 1988), les tests (pour la plupart développés par des psychologues) n’ont pas encore !’acceptation de tous ni de validité solide établie.

Les tests projectifs contiennent probablement les formes “d’art” en tant que méthode diagnostique les plus acceptées en psychologie à l’heure actuelle, bien que plusieurs aient encore des doutes sur leur validité. Les principaux tests projectifs sont ceux d’interprétation de dessins, par exemple le Rorchach et le Test d’Aperception Thématique (TAT) où la personne doit attribuer une signification à des formes abstraites ou figuratives (Anzieu & Chabert, 1992). Le diagnostic repose sur !’interprétation des réponses de la personne. Dans les tests où les clients doivent eux-mêmes dessiner, soit librement (i. e. le gribouillis, voir Gorman, 1966 pour la description de cette méthode projective) ou avec des consignes plus restrictives (i. e. famille, test du village, dessin de l’arbre, de l’intérieur du corps, de la personne, etc.), les oeuvres sont interprétées de la même façon selon une série de caractéristiques précises. Par exemple, !’utilisation de formes ou de couleurs particulières correspond à tel ou tel désordre.

Malheureusement, l’analyse des tests projectifs ne laisse aucune place à l’intuition et, donc, chaque sujet est placé dans une catégorie ou une autre, celle de laquelle ses réponses se rapprochent le plus. Cette pratique impose un peu le même genre de limites à l’expression '

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Le langage graphique des émotions ! 7

graphique qu’à l’expression verbale en essayant de créer un dictionnaire de dessins-mots précisément définis. Les tests projectifs plus libres (i. e. gribouillis, peinture aux doigts) sont ceux qui reçoivent le plus de critiques pour leur manque de structure et d’éléments quantifiables (Anzieu & Chabert ; Semeonoff, 1976).

En attendant de meilleurs tests ou malgré les tests qui existent, l’expérience du

thérapeute, son éducation, ainsi que son intuition restent les ressources les plus importantes en art-thérapie comme dans les autres formes que peut prendre la psychothérapie. L’intuition demeure peut-être l’outil le plus utilisé en art-thérapie, particulièrement dans le travail

d’interprétation (Cohen et al., 1988). Cependant, convaincre d’autres cliniciens de la justesse d’un diagnostic fondé sur l’intuition peut s’avérer une tâche difficile. Il reste important pour certaines personnes de définir un vocabulaire de classification commun pour faciliter la

communication entre professionnels et chercheurs et pour solidifier les fondations sur lesquelles s’appuie le diagnostic par l’art.

Le Diagnostic Drawing Series (DDS) (Cohen et al., 1988) et le Person Picking an

Apple From a Tree (PPAT) (Gantt, 1996 dans Williams et al.) sont des exemples de tests qui

tentent de rendre le diagnostic par l’art plus objectif ou au moins d’appuyer l’intuition par des éléments quantifiables. Ces tests servent à identifier des caractéristiques similaires dans les dessins d’un groupe diagnostique particulier. Par exemple, Cohen et ses collègues ont effectué une étude à partir du DDS pour comparer les dessins de patients d’un hôpital psychiatrique et ceux de gens non hospitalisés. Ils ont trouvé quelques traits particuliers aux dessins de chaque groupe de patients qui permettent de les différencier des autres (i. e. schizophrénie - manque d’intégration; dépression - placement inhabituel du dessin sur la page). Cependant, ces résultats demeurent préliminaires et manquent encore de précision.

Dans la même voie, d’autres chercheurs ont mené des études portant spécifiquement sur les caractéristiques des dessins de patients atteint de dépression. Les dessins de patients dépressifs observés par Wadeson (cité dans Williams et al., 1996) démontrent notamment une

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Le langage graphique des émotions \ g absence de couleur, une utilisation restreinte de l’espace, moins de complétude et d’effort. Gantt (Williams et al., 1996) trouve que les dessins sont restreints dans l’espace et qu’ils sont pauvres en couleurs et en détails. L’étude de Cohen et al. (1988) indique que les dessins de patients atteints de dépression sont caractérisés par un placement inhabituel sur la page. Finalement, Buchalter-Katz (1985) observe dans les dessins de ses patients des couleurs vives et des scènes complètes, mais superficielles qui servent d’écran de fumée à la dépression. Ces études semblent empreintes de contradictions, mais elles permettent peut-être simplement de voir la dépression sous différents aspects (Williams et al.). Aussi, ces résultats sont

encourageants parce qu’ils contribuent à l’idée que les dessins contiennent un langage qui peut être compris par une tierce personne (i. e. le thérapeute). Le fait que les chercheurs arrivent à des conclusions plus ou moins semblables suggère néanmoins que leur méthode n’est pas tout à fait juste ou que leur regard est trop restreint. En effet, chercher à nommer les caractéristiques qui représentent une pathologie ou une émotion dans un dessin est une activité réductrice. En séparant les éléments d’un dessin, l’ensemble ou la Gestalt de l’oeuvre est perdue et cette impression globale est peut-être la meilleure communicatrice dans les oeuvres d’une personne. Séparer les éléments d’une oeuvre d’art peut ressembler à la séparation des ingrédients d’un gâteau : goûter à chacun un par un ne prédit rien du produit final.

En tenant compte de l’importance de la Gestalt dans la représentation expressive des gens, d’autres chercheurs ont choisi d’étudier la contribution de l’expression par l’art dans le processus diagnostique d’une façon différente. Ils se sont penchés sur !’interprétation de dessins non pas en isolant chaque élément, mais en regardant l’ensemble. Dans une série d’études, Levy et Ulman (1992) ont comparer la performance de différents groupes dejuges (art-thérapeutes, professionnels de la santé et autres) à une tâche qui leur demandait de

différencier intuitivement les dessins de patients et de non-patients. À un taux significativement plus élevé que le hasard, les juges réussirent à différencier les dessins de patients de ceux de non-patients. Après avoir examiné les erreurs des juges, les auteurs de cette recherche firent la suggestion aux prochains chercheurs de se pencher sur l’étude de la forme plutôt que sur le contenu des dessins. Dans les dessins abstraits comme dans les dessins figuratifs, les gens

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utilisent des traits, des lignes qui parlent d’émotions souvent mieux que les figures elles-mêmes. Betensky (1973, p. 315) parle de “lignes ayant une vie qui leur est propre” et qui “peuvent être très émotives” en elles-mêmes. Si c’est vrai, le message du dessin passe par la ligne que la personne dessine ce qu’elle veuille : un arbre, un personnage ou même une figure abstraite. La façon dont le dessin est fait et la qualité de ce tracé sont indépendantes du sujet du dessin

lui-Le langage graphique des émotions % 9

même.

Suite à la suggestion de Levy et Ulman (1992), Gantt (dans Williams et al., 1996) entreprit une étude qui proposait justement cela : étudier la forme, c’est-à-dire la manière d’exécuter des dessins plutôt que leur contenu figuratif ou symbolique. Elle demanda à des patients d’un hôpital psychiatrique et à des non patients de faire le dessin d’une personne cueillant une pomme dans un arbre (.Person Picking an Apple from a Tree ou PP AT). De cette façon, le contenu du dessin restait fixe et seule la forme pouvait varier. Encore une fois, des juges (art-thérapeutes, travailleurs sociaux et psychothérapeutes) classifièrent les dessins, mais au lieu de les juger seulement en fonction de deux catégories (patient/non patient), ils devaient choisir parmi six catégories dont cinq catégories de désordres mentaux (dépression majeure, schizophrénie, désordre bipolaire, désordre mental organique, retard mental) et une catégorie de non-patient. Encore une fois, l’ensemble des juges réussirent à classifier les dessins dans la bonne catégorie plus souvent qu’ils auraient pu le faire avec la chance.

Certaines catégories étaient presque mutuellement exclusive (aucun dessin de non patient ne fut confondu avec le groupe désordre mental organique et vice-versa) tandis que les juges eurent plus de difficulté à différencier les dessins de d’autres groupes. Ces résultats viennent renforcer ceux de Levy et Ulman selon lesquels l’intuition permet aux gens de différencier des dessins de groupes de patients psychiatriques de ceux de non patients et ce en se basant uniquement sur des variations dans la forme d’un même dessin.

Les deux études précédentes, celle de Levy et Ulman (1992) et celle de Gantt

(Williams et al., 1996) montrent également que l’expérience des juges et leur profession n’ont aucun effet significatif sur leur performance. Contrairement à ce qui était attendu, les

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art-Le langage graphique des émotions 20 thérapeutes ne réussirent pas mieux à la tâche que les autres juges qui étaient peu ou pas familiers avec des patients psychiatriques ou avec des dessins de patients. Ceci suggère à son tour que l’habileté à reconnaître la signification d’un dessin est naturelle ou intuitive chez la plupart des gens et, selon certains chercheurs, cette habileté serait présente à partir d’un très jeune âge (voir par exemple Winston, Kenyon, Stewardson & Lepine, 1995).

Les études qui viennent d’être présentées explorent la relation entre le dessin et la psychopathologie. De la même façon, des chercheurs se sont intéressés à l’expression d’un autre aspect de la personne humaine par le dessin, soit les émotions. Les études sur ce sujet sont plus rares et, donc, celles qui suivent s’échelonnent sur plusieurs années. Il s’avère nécessaire de présenter ces études, même si elles datent déjà, afin de composer un portrait aussi complet que possible du sujet de ce mémoire.

En 1921, Lundholm soulève une question en ce qui à trait aux qualités émotives que les critiques de l’époque associent aux oeuvres d’art. Il s’intéresse à savoir si les émotions

attribuées aux oeuvres sont réellement le produit des lignes elles-mêmes ou plutôt si elles ne seraient pas suggérées par le sujet de l’oeuvre et, encore, si les mêmes émotions sont ressenties par différents observateurs. C’est une question intéressante à laquelle il tente de répondre avec une simple expérimentation. Il demande à des sujets de représenter différentes émotions par le tracé d’une seule ligne. Ses résultats suggèrent que chaque émotion est représentée par un ensemble de qualités de la ligne. Par exemple, la tristesse est représentée par une grande courbe descendante. La colère (Lundholm utilise l’adjectif “furieux”) est représentée par la plupart des sujets par une ligne à petits angles, horizontale ou ascendante. En examinant les diverses réponses aux émotions, Lundholm suggère l’existence de liens entre les qualités des lignes et l’expression motrice des émotions. Par exemple, les émotions associées à une baisse d’énergie tendent à être représentées par une ligne descendante et vice versa pour les émotions associées à une hausse d’énergie.

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Le langage graphique des émotions 21 Intéressés par les résultats obtenus par Lundholm (1921), Poffenberger et Barrows (1924) poursuivent les réflexions en s’attardant aux émotions produites par !’observation de lignes de diverses qualités. Ils regroupent une série de 18 lignes illustrant, à des degrés

différents, les attributs courbe—angle, la taille (petit, moyen, grand) et la direction (horizontale, ascendante, descendante), ainsi qu’une série de 47 adjectifs divisés en 13 classes

représentatives. Puis, ils demandent à leurs sujets d’associer chacune des lignes à une des 13 classes d’adjectifs-émotions. Comme les résultats de Lundholm dans la représentation

d’émotions (adjectifs) par la ligne, ceux de Poffenberger et Barrows dans !’interprétation de la ligne montrent une association entre les émotions et les caractéristiques de la ligne. Cependant, en faisant une comparaison entre leurs résultats et ceux de Lundholm, Poffenberger et Barrows remarquent un manque d’accord entre les deux groupes de sujets sur certaines émotions. Les adjectifs tranquille, triste, paresseux, joyeux et joueur sont typiquement associés aux mêmes qualités dans les deux études alors que d’autres adjectifs (mort, furieux et sérieux) diffèrent d’une étude à l’autre. Ajoutant une qualité dans leur analyse de la ligne, le rythme (vitesse du tracé), Poffenberger et Barrows relèvent également un effet plus marqué pour certaines

émotions plus que pour d’autres, comme pour les autres caractéristiques d’ailleurs. Par

exemple, les adjectifs triste et tranquille sont très fortement liés à un rythme lent tandis que des adjectifs comme sérieux et puissant sont associés à des rythmes variés.

Quelques trois décennies de recherches plus tard, une étude de Scheerer et Lyons est publiée (1957). Elle ressemble à celle de Lundholm (1921) en ce qu’elle repose sur la

représentation de divers mots par le tracé d’une ligne, par contre leur liste de mots contient non seulement des adjectifs-émotions, mais également des mots à caractère neutre. Scheerer et Lyons introduisent également de nouveaux éléments qualificatifs dans leur analyse. En plus de la forme (courbe, angle, droite), et de la direction (horizontale, ascendante, descendante), ils ajoutent la complexité du design (simple ou complexe), le patron (régulier, irrégulier, rythmique- répétitif), la pression (légère, moyenne, forte) et la fermeture (fermé ou non fermé). Après avoir tracé une ligne représentant chacun des mots, les sujets de l’étude devaient également leur attribuer eux-mêmes les propriétés appropriées d’après celles choisies par les

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Le langage graphique des émotions 22 expérimentateurs. Scheerer et Lyons pensaient que, de cette façon, les résultats montreraient ce que les sujets voulaient réellement dessiner. La direction de la ligne est un exemple de caractéristique qu’il est difficile dejuger sans !’observation directe de son tracé. (Cette

dernière précaution s’avéra insignifiante cependant puisque la comparaison de la classification des sujets avec celles dejuges indépendants ne démontra pas de différence manifeste.)

Comme les résultats de Lundholm (1921) et ceux de Poffenberger et Barrows (1924), les résultats obtenus par Scheerer et Lyons s’avérèrent plus ou moins marquants selon le mot et selon la qualité de la ligne. Une question intéressante soulevée par ces derniers dans

!’interprétation de leurs résultats est celle de la signification des mots pour chacun des sujets. Au lieu de présumer que tous les mots ont la même signification pour tous, il serait sage de regarder les associations variées qui peuvent être faites par les gens à différents mots selon leurs expériences personnelles. Par exemple, le mot mélancolie peut posséder un sens particulier pour chacun et ces nuances seront exprimées dans la ligne.

Plus récemment, Betty Edwards (1986) s’intéressa elle aussi à l’expression d’émotions par le dessin. Au cours de ses années d’enseignement de l’art, elle demanda à ses étudiants de dessiner des émotions précises un utilisant un simple crayon de plomb et des morceaux de papier blanc. Les dessins devaient contenir uniquement des lignes et des formes de nature abstraites, c’est-à-dire qu’aucun élément figuratif comme un visage souriant ou un coeur ne devait être présent dans l’image. Contrairement aux études précédentes (celles de Lundholm,

1921; Poffenberger & Barrows, 1924; Scheerer & Lyons, 1957), celle d’Edwards ne limitait pas les dessins à une seule ligne par émotion, donnant ainsi plus de place à l’expression et, par le fait même, aux différences qu’il existerait entre les représentations graphiques des sujets. En examinant les résultats de cet exercice avec ses étudiants, Edwards remarqua qu’il y avait des similitudes dans l’expression d’une même émotion par différents individus. Par exemple, lorsqu’elle demandait à des élèves de dessiner la joie sans utiliser de figures ou de symboles culturels, les dessins rassemblés semblaient former une “famille”. La même chose se produisait pour d’autres émotions comme colère, tranquillité, amour, même si les dessins pouvaient

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Le langage graphique des émotions 23 ressemblaient. Intuitivement, Edwards décrivit ces ressemblances. Par exemple, les images de joie sont souvent formées de lignes légères, incurvées et ascendantes. Ces caractéristiques se

rapprochent de celles des lignes simples obtenues par les chercheurs précédents et pourtant, ce qui permet d’identifier l’émotion, ce n’est pas la présence d’un ensemble de caractéristiques précises car chaque dessin est unique. Aussi, comme les études de Gantt (Williams et al.,

1996) et de Levy et Ulman (1992), les résultats obtenus par Edwards indiquent que c’est la Gestalt plutôt que le contenu ou la forme qui transmet l’émotion à celui qui regarde le dessin. Intuitivement, on sait lire le dessin.

Winston et al. (1995) s’intéressèrent à cette habileté intuitive à reconnaître et aussi à représenter l’émotion dans un dessin chez les enfants. Dans une de leurs études, ils

présentèrent différents dessins illustrant trois émotions (la joie, la colère et la tristesse) à des enfants d’âge préscolaire. Douze de ces dessins représentaient l’émotion sous forme

thématique (i. e. par le changement du temps - neige et froid = colère versus beau et soleil = joie, et par le comportement d’oiseaux - par exemple, deux oiseaux se bagarrant pour

l’émotion colère) et dans les 12 autres dessins, l’émotion était exprimée de façon abstraite (i. e. qualité des lignes et des couleurs). Les images avaient été spécialement conçues pour être représentatives des conventions sociales populaires sur ce qui indique une émotion (i. e. en abstraction, la ligne montante = la joie; par thématique, la pluie = la tristesse). Les résultats de l’étude montrèrent que les enfants arrivaient à identifier correctement la joie, la colère et la tristesse dans presque tous les dessins qui leur étaient présentés (tous sauf les dessins abstraits de la tristesse), venant renforcer l’hypothèse que les émotions peuvent être communiquées par le dessin et que cette manière de communiquer est apprise au cours de l’enfance.

Intérêt de l’étude de l’expression des émotions par l’art

Maintenant que les propriétés communicatives du dessin ont été établies, quels en sont les applications ? Une des formes de thérapie qui en tire profit est l’art-thérapie. L’art- thérapie existe et évolue depuis bon nombre d’années. Issue de la psychanalyse (Robbins & Sibley, 1976), !’utilisation de modalités artistiques ou créatives dans le milieu thérapeutique se

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Le langage graphique des émotions 24 répand de plus en plus en psychologie. L’expression par l’art, quelque soit la forme qu’elle prenne, peut faciliter la communication pour beaucoup de gens. Le dessin, par exemple, peut aider un client à exprimer des expériences ou des émotions pour lesquelles il n’arrive pas à trouver les mots et à exprimer des aspects ou des patterns de son vécu dont il n’est peut-être pas conscient. L’art peut aussi rendre l’expression moins intimidante et plus plaisante en milieu clinique (Williams, 1996 dans Williams, Agell, Gantt & Goodman). L’expression par l’art peut être un appui autant pour les personnes qui ont de la difficulté à s’exprimer verbalement que pour les gens qui sont habiles à manier les mots pour cacher leurs vrais problèmes (Ulman,

1987; Malchiodi, 1998). L’étude des émotions par le biais artistique peut également permettre d’explorer les émotions qui n’ont pas d’expression faciale reconnue, comme l’amour par exemple (Fridja, cité dans Shaver et al. 1992). Limiter les recherches aux émotions plus “visibles” ou extériorisées engendre des lacunes importantes au niveau de la compréhension de la complexité et de la variété émotionnelle de l’être humain.

L’utilisation de l’art s’avère utile en thérapie auprès d’une grande variété de clients. Par exemple, les thérapeutes s’occupant de la réhabilitation de personnes ayant une dépendance à la drogue ou à l’alcool trouvent bénéfique !’utilisation de l’art (i.e. Foulke & Keller, 1976; Cox & Price, 1990). L’expression par l’art permet à ces personnes de découvrir une nouvelle forme d’expression non menaçante qui est en dehors de leur domaine de manipulation ordinaire, c’est-à-dire que l’art ne se prête pas aussi facilement à la rationalisation et à 1 ’ intellectualisation qu’elles utilisent souvent pour justifier leurs comportements et leur dépendance et pour contrer le processus thérapeutique. L’art facilite la spontanéité et

l’authenticité dans l’expression des sentiments et permet de les vivre de façon vicariante sans être “dépassé”. En même temps, !’utilisation de l’art donne le sentiment d’être en contrôle de ses émotions et donc moins vulnérable au contrôle des autres sur soi. Une autre situation qui démontre les avantages de !’utilisation de l’art en thérapie est celui de la prévention du suicide. L’expression par l’art s’ajoute à l’expression verbale des personnes dépressives. Ces

personnes ne parlent souvent pas directement de leurs pensées suicidaires et donc il peut être très utile de savoir en reconnaître les symboles dans les dessins (Wadeson, 1975). En plus,

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Le langage graphique des émotions 25 dans certains cas, le simple fait d’utiliser l’art avec ces personnes peut remplacer les actes d’agressivité envers soi en les exprimant dans le dessin et, en même temps, faciliter la compréhension de leurs désirs de se suicider. Quelques autres exemples des nombreuses situations où l’art est utilisé de façon bénéfique en thérapie sont : la dépression (i. e. Buchalter- Katz, 1985; Wadeson, 1975), la schizophrénie (i. e. Ulman, 1987; Wadeson, 1987), l’abus sexuel et les relations familiales (i. e. Wix, 1997).

Si l’expression par l’art peut se rendre si utile en thérapie à la fois comme méthode diagnostique et comme moyen thérapeutique, il semble étonnant que les chercheurs se soient si peu attardés à étudier les émotions sous cet aspect. Peut-être plus que les mots, les dessins arrivent à représenter et à communiquer les variations individuelles et même situationnelles d’une même émotion. Par exemple, la joie ressentie à l’obtention d’un diplôme n’est pas la même que celle éprouvée aux retrouvailles avec un être cher même si l’expression faciale, les réactions physiologiques et le même construit verbal représentatif de l’émotion “joie” restent identiques dans les deux situations. Ce mémoire se veut donc un complément nécessaire aux études déjà nombreuses sur le sujet des émotions en poursuivant l’exploration de celles-ci par le biais de l’art ou, plus spécifiquement, le dessin.

Nous avons vu dans ce chapitre que plusieurs des réponses qui nous sont données sur la grande question des émotions ne sont que des débuts de clarté, des hypothèses. Les nombreuses méthodes utilisées pour étudier les émotions nous offrent toutefois des pistes intéressantes à poursuivre. Dans le domaine de l’expression par l’art, notamment le dessin, nous commençons à percevoir l’existence d’un langage qui nous permet d’exprimer et de comprendre des émotions. Les chercheurs suggèrent que le message se trouve dans la forme plutôt que dans le contenu ou le sujet du dessin lui-même. Dans le chapitre qui suit, nous allons poursuivre cette hypothèse par le biais de 1 ’expérimentation.

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Le langage graphique des émotions 26 Chapitre II - L’expérimentation

Ce chapitre présente les arguments qui ont servi dans le choix de la méthode, de la population et des émotions étudiées dans ce mémoire ainsi que les hypothèses sur les résultats de l’étude. La méthodologie est également présentée telle qu’elle s’est déroulée pendant l’expérimentation elle-même.

Présente étude

Comme les travaux décrits dans la section précédente, cette étude s’intéresse au rôle de l’intuition dans !’interprétation de dessins et, comme celles de Winston et al. (1995), de Scheerer er Lyons, (1957) et de Lundholm (1921), plus particulièrement à l’habileté des gens à reconnaître l’émotion dans un dessin. L’étude de Winston et ses collègues a établi que

l’émotion peut être reconnue quand elle est clairement représentée selon des normes sociales déjà identifiées, de même que les études de Lundholm, de Poffenberger et Barrows (1924) et de Scheerer et Lyons suggèrent que la ligne simple peut communiquer une émotion.

Cependant, il reste à déterminer si le même succès se rencontre en présentant à des juges des dessins illustrant toutes les variations individuelles qui existent dans l’expression émotionnelle. En laissant libre cours à la créativité des gens pour produire des dessins d’émotions, est-ce que des juges seraient capables d’identifier celles-ci correctement plus souvent que par la chance ? Edwards (1986) a intuitivement décrit des ressemblances ou des familles de dessins

d’émotions, mais avec une familiarité avec des centaines de dessins produit par son exercice et de nombreuses comparaisons. En étant présentés avec un seul dessin à la fois et sans contexte ou connaissance de l’exercice, des juges naïfs seront-ils en mesure de reconnaître les émotions communiquées dans les dessins d’étudiantes et d’étudiants anonymes ?

Choix d’une méthode

Les dessins utilisés dans cette étude ont été fait selon l’exercice élaboré par Edwards (1986) présenté plus haut (voir les directives complètes de cet exercice à l’annexe A). Cet ׳

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Le langage graphique des émotions 27 exercice a été choisi pour démontrer l’importance de l’intuition dans la reconnaissance des émotions, plus que la simple interprétation d’un ensemble restreints de caractéristiques d’une seule et unique ligne. Aussi, des dessins faits selon l’exercice d’Edwards avaient déjà été recueillis sur le campus de l’Université Laval, durant plusieurs années, par Pierre-Charles Morin, professeur à l’École de psychologie.

Choix de la population

Selon les recherches, l’intuition qui permet de reconnaître l’émotion exprimée dans un dessin semble être présente chez tous les gens à partir d’un très jeune âge et peu importe leur expérience professionnelle (Williams et al., 1996; Levy & Ulman, 1992; Winston et al., 1995). Toutefois, la population dejuges de cette étude a quand même été quelque peu délimitée et se compose donc d’étudiants gradués de 2e ou de 3e cycle en psychologie. A cause du nombre restreint dejuges et de la nature exploratrice de ce mémoire, il a semblé préférable de cibler la population. Ce n’est pas le but de cette recherche d’étudier les différences individuelles qui pourraient affecter le jugement (i. e. l’âge, le sexe, la culture, etc.). De cette façon, les quelques écarts qui pourraient être attribués à ces facteurs seront éloignés.

Choix des émotions

Cinq émotions seront étudiées dans le cadre de cette recherche, soit la joie, la

dépression, la colère, la sérénité et la solitude. Le choix des émotions a été fait selon plusieurs facteurs. D’abord, il était important d’inclure des émotions positives et négatives. Les

émotions choisies semblent bien couvrir ce continuum; la joie se situe du côté positif réactif (voir Scherer, 1988), suivie de la sérénité, une émotion positive passive, et de l’autre côté, la dépression est une émotion négative passive et la colère une émotion négative plutôt réactive. La solitude se situe quelque part entre les deux étant surtout de caractère négatif, mais

possédant des éléments positifs pour certaines personnes ou dans certaines situations. L’inclusion d’émotions considérées fondamentales ainsi que d’émotions plus complexes est

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Le langage graphique des émotions 28 également intéressante, permettant de constater des liens de parenté possible entre les deux. Par exemple, certaines de ces émotions semblent être plus opposées (i. e. dépression et joie; colère et sérénité) et d’autres plus rapprochées (i. e. dépression et solitude; colère et

dépression; sérénité et solitude; joie et sérénité). Il sera intéressant de voir la distribution des erreurs par rapport à ces émotions “parentes”. D’autres questions peuvent aussi être soulevées à partir des catégories d’émotions choisies. Par exemple, une catégorie sera-t-elle nettement plus facile à distinguer que les autres ? Certains dessins ressortiront-ils comme plus

représentatifs de leur catégorie selon les décisions des juges ? Des pistes de réponses à ces questions seront obtenues avec les résultats de 1 ’ expérimentation. Finalement, le choix des émotions à inclure dans l’étude a été fait selon la disponibilité du matériel. Au total, 16 émotions avaient été dessinées dans le cours “Art, créativité et psychothérapie” au cours des dernières années. Les émotions plus complexes (par exemple : amour, féminité, masculinité, paix) ont été éliminées à cause de la nature exploratrice de ce mémoire et à cause du nombre plus restreint de recherches à leur sujet. Les émotions qui semblaient ressortir par leur

expression graphique ont également été favorisées pour cette expérience, l’hypothèse étant que les émotions ayant certaines ressemblances entre elles seraient confondues plus souvent tandis que les émotions dont le caractère des dessins semblait très différent seraient sans doute plus facile à distinguer les unes des autres.

Hypothèses

1. Les juges seront capables d’identifier correctement l’émotion contenue dans les dessins avec une probabilité plus élevée que seul le hasard le permettrait :

a) pour l’ensemble des dessins;

b) pour chacune des catégories d’émotion.

2. Les émotions dites de base, la colère et la joie, auront un taux de reconnaissance plus élevé que les émotions secondaires (la dépression, la solitude et la sérénité).

3. Certains dessins dans chaque catégorie seront reconnus plus souvent, donc seront jugés plus représentatifs de l’émotion qu’ils illustrent.

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Le langage graphique des émotions 29

Méthodologie

Participants

Cinq étudiants gradués (4 femmes et 1 homme) du deuxième et du troisième cycle inscrits à l’École de Psychologie de l’Université Laval ont participé à cette étude. Elles et il se sont portés volontaires en répondant à une affiche ou en acceptant une invitation de

!’expérimentation. La seule condition était d’être aux études graduées et de n’avoir jamais suivi le cours “Art, créativité et psychothérapie” donné à l’Université Laval au cours des dernières années par le professeur Pierre-Charles Morin. Cette condition était nécessaire parce qu’une familiarité avec l’exercice de Betty Edwards (1986), lequel a servi a créer les dessins utilisés dans cette étude, aurait pu rendre la reconnaissance des émotions plus facile.

Matériel

Le matériel utilisé consiste en des dessins obtenus de façon anonyme et volontaire d’étudiantes et d’étudiants aux études graduées en psychologie inscrits au cours “Art, créativité et psychothérapie” donné par le professeur Pierre-Charles Morin. Le matériel date de cinq ans et plus et aucun indice ne permet d’identifier les auteurs. Les dessins ont été effectués selon un exercice élaboré par Edwards (1986) et représentent chacun une émotion particulière parmi les suivantes : joie, dépression, colère, solitude et sérénité. Au total, 150 dessins sont utilisés dont 30 dessins par émotion.

Les dessins ont été faits au crayon de plomb de catégorie HB sur du papier ordinaire blanc avec un format de 7 cm de largeur et 11 cm de hauteur. Toutes indications écrites du nom de l’émotion sur les dessins ont été effacées ou dissimulées sous un papier blanc opaque. Ces modifications ont été faites avec soin et de façon discrète afin de ne pas obstruer le dessin original. Finalement, chaque dessin a été numéroté, par ordre aléatoire, pour permettre aux juges de les classifier sur la feuille réponse (Annexe B).

Références

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