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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'exposition de science : objet d'affrontement de logiques scientifiques et de logiques médiatiques

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Academic year: 2021

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L'EXPOSITION DE SCIENCE: OBJET D'AFFRONTEMENT

DE LOGIQUES SCIENTIFIQUES

ET DE LOGIQUES MÉDIATIQUES

Éric TRIQUET LU.F.M. Grenoble

MOTS-CLÉS: EXPOSITION DE SCIENCE - COMMUNICATION SCIENTIFIQUE-LOGIQUES DE PRODUCTION - STRATÉGIES D'AcrEURS

RÉSUMÉ : L'exposition de science se situe au point de rencontre de deux mondes, celui de la science, et celui des médias. Sa production mobilise en effet plusieurs acteurs d'horizons très différents qui sont de véritables relais de ces deux mondes. Ceux-ciyintroduisent, notamment, des contraintes spécifiques ; dans l'exposition étudiée ces contraintes s'additionnent, se superposent, voire s'effacent. Nous montrons, par une analyse détaillée de la genèse de cette exposition, qu'un tel entrecroisement conduit en définitiveà un véritable dysfonctionnement au plan communicationnel.

SUMMARY : A science exhibition is at a crossroads of two worlds : the world of science, the world of the media. Ils production requires many actors from a range of very different horizons who are reallink between these two worlds. They notably introduce very specifie constraints which, in the exhibition studied here, add up two each other get superposed or even crease each other. We show, through a detailed analysis of the genesis of this exhibition, that such an entertwining eventually leads to a real dysfunction of communication.

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1.INTRODUCTION

La fin des années quatre-vingt marque un temps fon dans le développement de la culture scientifique et technique. Les lieux de diffusion se multiplient, se diversifient et se professionnalisent. Structures emblématiques de celle évolution les centres culturels scientifiques, techniques et industriels (CCS.T.!.) sont alors manifestementà la recherche d'une identité. Se rapprocher un peu plus du milieu scientifique qui manifeste un intérêt croissant pour les activités de communication scientifique publique, ou bien opter pour une réelle insertion dans l'univers des médias en plein expansion?À l'époque celle alternative semble constituer, au moins pour certaines de ces structures, un profond dilemme. Car, sous-jacentà ce dilemme, se posent, comme nous aIlons le voir, des questions cruciales touchant à la fois aux choix des alliances à privilégier et aux choix des logiques de productionà développer.

L'analyse de la production de l'exposition "Cerveau, un continent nouveau" du CC.S.T.-Grenoble retenue pour étude a permis de mettre en évidence ces différentes tensions et contradictions qui traversent, depuis plus de dix ans, le domaine de la culture scientifique et technique. Notre étude s'est portée sur deux temps bien distincts, mais partiellement chevauchants, de cette production : l'élaboration du contenu scientifique exposable, et sa mise en forme. Chacune de ces deux phases a fait l'objet d'une étude particulière'.

2. L'ÉCRITURE DES TEXTES: DES ENJEUX SCIENTIFIQUES

La phase d'élaboration du contenu scientifique exposable a mobilisé conjointement de nombreux scientifiques, la plupart spécialistes des neurosciences. Celle étude s'est intéresséeàla nature et à la forme prise par l'investissement, dans cette opération, de plusieurs d'entre eux. Il s'en est dégagée que des enjeux de deux ordres avaient conditionné l'intervention des scientifiques:

- des enjeux de valorisation publique de leurs propres travaux de recherche, - des enjeux de crédibilité scientifique et de reconnaissance par les pairs.

C'est de ces second enjeux, et de leurs effets sur le contenu scientifique exposable, que nous allons ici nous préoccuper. Ils ont déterminé, du côté des scientifiques, la mise en oeuvre d'une stratégie de communication bien précise. Les concepteurs n'ont pu toujours s'y opposer dans la mesure où ils se trouvaient étroitement dépendants du milieu scientifique pour l'obtention de l'information et de la légitimité scientifique, et de moyens financiers.

De ce fait les chercheurs impliqués ont pu exercer un contrôle relativement important sur l'élaboration du contenu scientifique exposable de l'exposition. Il s'est manifesté d'abord sur la structure du scénario (Triquet, Clément, 1990), mais également, nous allons l'illustreràprésent, dans l'écriture

1 Les méthodes d'analyse utilisées renvoient toutesàune analyse de contenu. Celles qui ont serviàtraiter les interactions relèvent d'une analyse sociologique des stratégies d'acteurs. Celles mises en oeuvre sur les produits textuels de l'exposition renvoientàdes analyses de type lexical ou sémiologique.

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du discours. Une analyse fine de textes rédigés par les concepteurs en collaboration étroite avec les scientifiques a pennis en effet de mettre en évidence leur parenté avec des textes destinés à des spécialistes. Illustrons ceci par un exemple de texte2qui a fait l'objet d'une vive discussion entre l'un des concepteurs et le scientifique concerné.

Lorsdestimuli sonores nouveaux délivrés dans un environnement sonore homogène habituel la réponse du cerveau est caractérisée par une activité électrique plus marquée en rouge dans les aires frontales droites. Ce serait

le rtiflet de cette réaction d'orientation.

Nous remarquons immédiatement toute l'attention portée à la précision sémantique: l'expression "stimulus sonore" est utilisée, par exemple, à la place de celle de "bruit inhabituel" proposait à l'origine par le concepteur. Il n'est pas fait allusion également à l'''existence d'un siège de l'attention", comme le souhaitait ce dernier, mais seulement à "une activité plus marquée dans les aires frontales droites". Par ailleurs le mode d'énonciation est celui emprunté par les scientifiques pour communiquer entre eux: le doute et la prudence d'usage sont exprimés ici par l'emploi du conditionnel. Notons enfin que l'énoncé renvoie aux conditions expérimentales dans lesquellesle chercheur a travaillé ("stimulus sonore délivré dans un environnement sonore homogène"), et non au vécu, donc à l'expérience quotidienne du visiteur avec le processus mental dontilest ici question, comme le demandait là encore le concepteur.

Ce type de textes, relativement fréquent dans l'exposition, témoigne d'un véritable déplacement des enjeux de production: l'enjeu prioritaire n'est plus la satisfaction du grand public - le public des non spécialistes - , mais celle des collègues et pairs des spécialistes impliqués (Triquet, Davallon, 1992).Nous voyons là une conséquence directe d'une certaine évolution des activités de diffusion des sciences qui entraîne les scientifiques à prendre part, collectivement et dans l'espace publique, à la communication de la "science en action". On comprend alors que l'on tende à s'orienter, comme c'est le cas ici, vers une fonne de continuité des pratiques de socio-diffusion des sciences.

Mais examinons à présent ce qu'il en est lors de la seconde phase de production.

3. LA PHASE DE MISE EN FORME SOUMISE AUX LOGIQUES MÉDIATIQUES

Nous entrons ici dans la seconde phase de la production de l'exposition dans laquelle le contenu scientifique exposable est "mis en panneaux", spatialisé et intégré àune certaine mise en scène. Interviennent cette fois, aux côtés des concepteurs, un nouveau groupe d'acteurs, celui des designers, composé de deux graphistes et un architecte.

2Nous avons choisi délibérément un texte court correspondant à la légende d'une image de cartographie de potentiels évoqués menant en évidence le phénomène de "réaction d'orientation".

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Examinons d'abord, comme précédemment, quel intérêt présente le recours à cette seconde catégorie de professionnels également extérieurs au C.C.S.T.-Grenoble.ilfaut ici avoir à l'esprit que l'entrée dans la sphère des médias de la culture scientifique impose à cetyped'organisation de se placer sur le terrain même de leurs concurrents, représentés en particulier par les industries de la culture et de la communication. Orles designers se présententa priori comme des collaborateurs de choix pour intégrer «les contraintes mass-médiatiques d'efficacité communicationnelle» dont parle Bernard Schiele (1985) ; introduire par exemple du spectaculaire, du ludique, et de l'esthétique dans la communication exige en effet les compétences de véritables spécialistes de la mise en forme que sont précisément les designers.

Mais, notre analyse des choix de production arrêtés par ces acteurs a fait apparaître qu'à l'opposé des scientifiques, ceux-ci pensaient beaucoup plus selon une logique visuelle que selon une logique discursive. Ils ont opté pour une forme de mise en exposition qui renvoie àune muséologie d'environnement - terme emprunté à Jean Davallon (1992) - dans laquelle la primauté est donnée à l'organisation de l'espace et à la mise en scène.

Pour mieux appréhender la logique développée intéressons nous de plus près aux propositions des designers. Leur parti pris était de développer un jeu de miroir fond-forme indirect: l'espace de l'exposition devait représenter un labyrinthe destiné lui même à évoquer, de façon métaphorique, l'organe cerveau3.Plusieurs dispositifs d'organisation spatiale et différents éléments scéniques ont été retenus pour produire le labyrinthe spatial. Mais, et cela a son importance, les designers ont également cherchéàdévelopper un effet "labyrinthe" par le biais de la mise en panneau du contenu textes/images.

On note par exemple une suppression de certains niveaux de titres (les titres des panneaux, ou ceux des sous-thèmes, selon les cas) que l'on peut mettre en relation avec une volonté de générer une sorte de brouillage des repères analogue à celui que l'on rencontre dans un labyrinthe. Le travail réalisé sur le module consacré à la Chimie va encore plus loin. Là, le contenu textes/images est réparti sur plusieurs panneaux recto-verso, non numérotés, et suspendus dans tout l'espace du module. Il est proposé implicitement au visiteur de retrouver le fil du discours en se confrontant physiquement aux différents supports informatifs. L'idée des designers était ici de faire travailler le cerveau du visiteur, de le mettre à l'épreuve, comme dans un labyrinthe.

On s'aperçoit donc qu'à l'issue de cette seconde phase le texte du savoir est contraint par le traitement de l'espace. Par ailleurs, le sens est désormais amené à se développer non plus dans les limites d'un panneau, ou d'une série de panneaux, mais dans celles de l'exposition tout entière, favorisant ainsi plutôt l'exploration du visiteur qu'une réelle prise d'information.

Soulignons pour finir que le choix des designers de développer une muséologie d'environnement n'est en rien anodin. En privilégiant le traitement de l'espace ils se ménagent, fort de leurs compétences en la matière et de la légitimité dont ils bénéficient, une marge de liberté bien plus

3ns'est agi ici pour les designers de s'appuyer sur une double similitude entre le labyrinthe et le cerveau: complexité de même nature au plan structural et parallèle entre l'extrème complexité de la circulation de l'infonnation dans le cerveau et la circulation sans logique apparente proposée dans un labyrinthe.

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imponante. C'est là un élément clé de leur stratégie de contrôle de la production (Triquet, 1993). Pour comprendre l'absence de véritable opposition du côté des concepteursilfaut se rappeler que les designers, tout comme les scientifiques, bénéficiaient du pouvoir de l'expert et qu'en outre, intervenant les derniers dans la production, ils ont pu utiliser à leur avantage le facteur temps. Ayant mis en avant quelques aspects de la confrontation des logiques scientifiques et médiatiques dans la production de l'exposition il est intéressant d'aborder en dernier lieu son fonctionnement communicationnel.

4. UN DYSFONCTIONNEMENT AU PLAN COMMUNICATIONNEL

Il impone de noter tout d'abord que deux registres de messages ont été utilisés: celui du texte, proposé par les concepteurs et les scientifiques, au dépan dominant et qui renvoie aux recherches sur le cerveau; celui des designers, amené à s'exprimer au travers du concept de labyrinthe et qui se réfère pour sa pan exclusivement au "cerveau-organe".

Le problème ici est qu'à aucun moment il n'y a articulation des deux registres de message.Oron sait que le message d'une exposition constitue l'élément central autour duquel s'organise la cohérence d'ensemble de l'exposition. Il apparaît dès lors que cette situation peut tout à fait fonctionner, du côté des visiteurs, comme un facteur de déstabilisation de la production de significations.

D'autre pan, nous avons montré qu'au cours de la production il a été mis en oeuvre, d'un côté, un découpage des contenus, et de l'autre, un principe de mise en forme, le second se superposant au premier et venant en panie le contrarier. L'accès au message devient ainsi très aléatoire etilest parfois difficile, nous l'avons vu, de suivre lefildu discours proposé. Il est révélé ici un second facteur susceptible d'induire un dysfonctionnement de l'exposition au plan communicationnel. Soulignons que ces différentes présomptions ont trouvé de nombreuses confirmations au travers des résultats d'une étude sur la réception de cette exposition par un public non spécialiste (Davallon et al., 1992).

5. CONCLUSION

Cet affrontement, lors de la genèse de l'exposition, de logiques, contraintes et enjeux introduits successivement ici par les scientifiques et les designers révèle bien, nous semble-t-il,lefait que la communication scientifique publique se situe à la frontière de deux mondes, celui de la science, et celui des médias. Nous proposons donc d'appréhender ce type d'activité non plus uniquement en terme de rupture (Roqueplo, 1974), ou de continuité des pratique de socio-diffusion des sciences (Jacobi, 1984), mais dans la perspective d'une dialectique continuité/rupture. Dans la mesure où il ne semble pas que l'une des deux orientations évoquées en introduction l'empone prochainement il est impératif de parvenir, à défaut d'une véritable intégration des contraintes et logiques de production, à une meilleure articulation de celles-ci. La solution passe, de toute évidence, par la sollicitation, lors de la genèse de l'exposition, d'un quatrième type d'acteur : le public, ou plutôt cenains de ses

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représentants. En plus de permettre une meilleure adéquation du contenu aux intérêts et capacités des visiteurs, la prise en compte effective de ces derniers devrait permettre aux concepteurs de disposer d'éléments objectifs et peninents pour contrer les stratégies de leurs panenaires. ils pourraient ainsi contrôler plus efficacement l'orientation de la genèse de l'exposition et agir comme de véritables chefs de projets déléguant cenaines tâches mais contrôlant l'ensemble. C'est à cette seule condition, nous semble-t-il, qu'ils parviendrontà éviter des dysfonctionnements du type de ceux repérés ici.

BIBLIOGRAPHIE

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DAVALLON J., GOTIESDIENER H., MARIA NI S., Rapport d'évaluation de l'exposition "Cerveau, un continent nouveau", CEREM/C.C.S.T.-Grenoble, 1992, 42p.

JACOBI D.,Recherches sociolinguistiques et interdiscursives sur la diffusion et la vulgarisation des connaissances scientifiques, Thèse d'État, Besançon, Université de Franche-comté, 1984, 817 p. ROQUEPLO P.,Lepartage du savoir, Paris: Seuil, 1974.

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TRIQUET É., Analyse de la genèse d'une exposition de science. Pour une approche de la transposition médiatique, Thèse de doctorat, Université Claude Bernard-Lyon 1, 1993,384 p.

Références

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