• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | La nature de la physique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | La nature de la physique"

Copied!
12
0
0

Texte intégral

(1)

LA NATURE DE LA PHYSIQUE

Entre épistémologie, représentations et approches didactiques

Gianni GIARDINO

Centre d’Histoire Culturelle des Société Contemporaines Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Mots-clefs : physique – mécanique quantique – épistémologie – représentation – enseignement

Résumé : Les difficultés conceptuelles et philosophiques liées à la mécanique quantique ont

conduit à un degré extrême de mathématisation. L’objet microscopique a perdu tout lien avec les représentations traditionnelles et classiques de la nature. Dans un souci forcené de dire le vrai l’enseignement manque de supports sensibles. Aidés de l’histoire des sciences, de l’heuristique des découvertes et d’éléments de recontextualisation, la nature classique des représentations qui fait défaut au sein de ces approches pédagogiques, est une articulation pourtant indispensable.

Abstract : The conceptual and philosophical difficulties related to quantum mechanic led to a high

level of mathematization. The microscopic object has lost his llinks with classical and traditional representations of nature. In a huge desire to tell the truth, teachers suffer of the absence of sensitive materials. Helped by history of sciences, heuristic of discoveries and elements of recontextualization, the classical nature of representations that is missing in this educational approaches is an articulation yet indispensable.

(2)

INTRODUCTION

La physique est au cœur même des lois de la nature. Parmi celles-ci, la mécanique quantique reste délicate d’accès compte tenu des difficultés qui subsistent dans les représentations qui lui sont liées. Si, comme pour toute démarche pédagogique, les représentations se situent au cœur des dispositifs d’enseignement, la mécanique quantique souffre de ne pouvoir être facilement représentée et représentable. Il existe pourtant un rapport réflexif entre cette matière qui sous-tend des lois de la nature, et les représentations accessibles et classiques d’une nature macroscopique qu’il nous est aisé d’apprécier. Par ailleurs l’épistémologie, l’histoire des savoirs et les représentations qui leur sont liées structurent la démarche scientifique et donc l’accessible et le sensible. De son côté, l’outil mathématique bien sûr structure et certifie sa validité. Mais cet outil ne permet pas d’accéder aux représentations sensibles et limitent en même temps l’envergure de la démarche en projetant la nature de l’objet quantique hors de toute interprétation. Donc en l’espèce pour cette discipline, il s’agit d’une nature que l’on ne peut interpréter autrement que par le symbole et l’usage sémantique propre à la mathématisation tandis que l’homme par nature est lié aux représentations, chacun d’ailleurs ayant souvent sa propre représentation et sa propre construction intellectuelle.

Si la mathématisation ne dénature pas l’objet quantique, elle en limite l’accès au travers d’un arsenal de formulations peu évocatrices et qui souvent ne font pas sens chez l’apprenant. Les seuls éléments sensibles et objets de représentations prennent souvent leur source auprès de l’histoire des sciences et de l’histoire des savoirs, de l’heuristique des découvertes et la lecture philosophique et épistémologique qui y sont liées. Par leur construction intellectuelle, ces approches donnent assez facilement sens à la nature des choses qui souvent échappe en la matière. Mais parvient-on à construire en quantique un savoir sensible quand on sait que toute représentation, intimement liée à notre nature propre, à notre imaginaire et notamment à une lecture traditionnellement classique des lois de la nature, dénature la nature quantique des phénomènes ? Cependant, est-il convenable de ne rien tenter dans ce domaine sous prétexte que la réalité est autre, est autre part, voire inaccessible ? Pour quelques cas et en évitant justement une approche mathématisée à souhait, soulignons comment, sur quelques cas, il devient possible d’unifier représentations classiques et concepts quantiques dans l’espace des représentations. On peut ainsi accéder à une manière d’unir nature de l’objet microscopique et nature macroscopique de la représentation pour parvenir à un ancrage plus aisé des savoirs et des connaissances dans les domaines contemporains de l’infiniment petit.

(3)

SITUATIONS …

La mécanique quantique et l’objet quantique sont au cœur des choses. Non contente d’y trouver une dimension naturelle parce que directement liée à la nature intrinsèque du monde et des lois qui la sous-tendent, la mécanique quantique est aujourd’hui devenue naturelle puisque au centre de la plupart des dispositifs techniques et technologiques que nous utilisons. Depuis la création du transistor (1962), la progression de son intégration au sein des dispositifs électroniques a suivi une ascension telle que si l’automobile avait affiché les mêmes progressions nous aurions aujourd’hui « des véhicules qui consommeraient 0,1 l par 100 km pour une vitesse de pointe de 50 000 km/h » [1]. On peut raisonnablement penser que ce dont nous allons parler plus bas, la constante de Planck h, représente à elle seule plus du tiers du PIB des Etats-Unis. Donc à la fois familière, cette discipline à l’accessibilité délicate et aux concepts troubles reste souvent inaccessible parce que délicate à la représentation. Toute représentation l’altère. Une bien étrange nature. D’ailleurs plusieurs niveaux de nature prennent place. Sans vraiment s’opposer, ils ne se complètent pas non plus. L’objet quantique, dans sa complexité intrinsèque, est-il par nature pure imagination ou réalité objective ? Puisque difficile et délicate de représentation, puisque toute représentation est une réduction qui en limite la nature même, la nature de l’objet quantique et par voie de conséquence la nature des choses liées à cette physique, est-elle réellement et naturellement accessible et compréhensible par l’homme ? Parallèlement, se pose la question de la connotation à donner et de la nature des enseignements qui lui sont liés. Doivent-ils être développés exclusivement autour de l’arsenal mathématique qui ne fait accéder à aucune nature autre que celle d’un outil certes efficace mais qui explique ce qui va se passer sans accéder à comment cela s’est passé ? Comment accéder aux représentations lorsque les modèles dépeignent une réalité – une nature des choses – somme toute inaccessible ? On devine aussi aisément l’anxiété des enseignants qui se trouvent questionnés sur la représentation, sur le pendant de l’événement quantique, sur la signification physique du calcul en cours, mieux, sur la contradiction qui se dégage d’un calcul initié, par exemple, sous l’hypothèse corpusculaire et qui aboutit à un comportement strictement ondulatoire. A ce problème complexe où se mêlent fondamentaux, représentations, appropriations et projections réductionnistes, nous pourrions répondre une fois de plus par les mots de Richard Feynman qui avouait que « Personne ne comprend [la nature de] la mécanique quantique »i. Pour reprendre aussi dans son élan existentialiste la phrase de Niels Bohr, plus que de trouver comment est faite la nature, il soutient que « la physique est seulement concernée par ce que l’on peut dire sur la nature ». Peut-être avons-nous là suffisamment de déclinaisons contradictoires pour nous autoriser à des représentations qui, même si elles ne sont pas fidèles, font, à minima, sens auprès des apprenants.

(4)

… ET PANORAMAS

Si la mécanique quantique fait appel à une approche « non représentable » de la nature et de ses lois, ne nous refusons pas à ne pas y tenter quelques approches. Dans l’appropriation des savoirs et telles que le préconisent les approches didactiques audacieuses, là où « l’explication ne suffit pas » (Giordan, 2008), mieux, là où elle manque, il convient alors de « faire avec pour aller contre » comme le suggère ce même auteur au travers du modèle allostérique des apprentissages qu’il propose, là où prime le réseau des informations. La représentation est souvent le réseau. La nature n’en reste pas moins irreprésentable mais l’approche pédagogique qui en est faite autorise l’ancrage par la représentation, quand bien même n’est elle qu’une approximation ou au mieux une réduction de la réalité. Etayé de représentations classiques et donc perceptibles, l’outil mathématique peut prendre cette fois son essor pour permettre d’accéder aux principes fondamentaux de cette physique. Ainsi, la représentation ne doit pas être exclusivement considérée comme une réduction mais permet bien au contraire, nous le savons, comme une contextualisation dans le cadre d’un savoir en construction. Dès lors, dire le pas très juste pour parvenir à approcher une réalité mal définissable peut être considéré dans la démarche comme plus utile que de ne rien dire du tout pour n’avoir pas à dire le faux ou l’à peu près. En tous état de cause, cela reste toujours mieux chez l’apprenant que de faire ou d’avoir à faire sans comprendre. De ce point de vue là encore, l’histoire des sciences et l’heuristique des découvertes soulignent bien l’importance de la représentation. La dimension historique permet de travailler sur les concepts eux-mêmes, de les placer à nouveau dans le cadre scientifique et culturel de son époque et autorise, justement, de jouer de l’arsenal des représentations d’alors et pour autoriser que prennent place au cœur des enseignements celles d’aujourd’hui. Il convient donc de faire d’une science froide une science chaude et donc, d’une science souvent ésotérique une science plus humaine et plus attachée à la construction des idées et en la soumettant à nos représentations actuelles.

HISTOIRE …

Historiquement et dans les faits, les difficultés les plus sérieuses et les contradictions les plus fortes sont apparues lorsqu’il s’est agi de chercher à représenter, à se représenter, ou même à partager des représentations lors des échanges intellectuels entre pairs de la mécanique quantique. Le terme paradoxe revient souvent dans les propos et les échanges. Werner Heisenberg soulignera même l’importance des expériences de pensée (Gedankexperiment, 1926) en ajoutant justement que

(5)

celles-ci les renforcent. Ainsi, si les paradoxes se multiplient et, pour parer à cela, les représentations se multiplient aussi. Sur ce point, Neils Bohr accepte les limites de notre perception de la nature et que les limites de la théorie classique soient atteintes [2]. Si on ajoute à cela les propos précédents de Feynmam et une épistémologie dans les domaines de cette science qui, aujourd’hui encore, est toujours loin derrière la physique, il semble de moins en moins sûr que la représentation puisse aliéner la compréhension, au contraire. Historiquement encore, Heisenberg a toujours considéré que de par l’ambigüité de nombreux concepts importants « […] le physicien est forcé de se rabattre sur le schéma mathématique et sur sa corrélation sans ambiguïté avec les faits expérimentaux » [3]. Françoise Balibar et Jean-Marc Lévy-Leblond soulignent d’ailleurs que de par la « […] nature intrinsèque de la physique quantique […] et le contexte dans lequel elle s’est développée […] la tentation est grande de s’abriter derrière la redoutable efficacité d’une machinerie mathématique bien rodée ». Ainsi, poursuivent-ils, « […] malgré la difficulté et l’obscurité de ses concepts, [elle] a pu connaître une large diffusion, en s’appuyant sur la clarté et la rigueur de son formalisme […] le débat épistémologique initial [ayant] été peu à peu occulté par un consensus résigné sur l’efficacité des méthodes » [4]. Ces mêmes auteurs soulignent cependant que « La transformation ne s’est cependant pas accompagnée d’une mutation parallèle des instruments didactiques qui prennent en compte la réalité actuelle de la physique quantique, telle qu’elle se fait et telle qu’elle se pense » soulignant la « relative uniformité des très nombreux ouvrages […] choix du matériau traité, de l’organisation, mais surtout quant au style, presque toujours lourdement formalisé […] ». Ils poursuivent en soulignant que « […] tout en reconnaissant le caractère novateur de ces ouvrages, les enseignants dans leur ensemble n’ont pas réellement construit leur cours dans cet esprit [d’accompagnement didactique] » [5].

… ET PRISES EN COMPTE HISTORIQUES

S’il est relativement aisé de donner la parole à l’histoire en vue de recontextualiser la manière dont s’est construit le savoir ce qui, de ce point de vue, est un succès récurrent auprès des apprenants, on peut s’intéresser à quelques situations qui méritent qu’on se prête au jeu des représentations.

Le corps noir

Le rayonnement émis par le corps noirii en est un bel exemple. On s’attardera tout d’abord sur l’approche entropique – de désordre – que Max Planck a historiquement entreprise dans son étude du corps noir. Influencé par les distributions des vitesses des gaz thermalisés, Planck cherchait à

(6)

comprendre la tendance naturelle de l’émission énergétique du corps noir Fig. 1b. Articulation intéressante et sensible de la nature, comment imaginer avec facilité que tous les corps, quelques soient leurs constituants, prennent une couleur identique lorsqu’ils sont chauffés à une même température ? Une telle tendance naturelle doit répondre à comportement plus général. Quels accumulateurs d’énergies seraient susceptibles d’emmagasiner mais aussi de restituer de l’énergie dans un tel équilibre thermique si nous nous attachions à une représentation classique ? Tout comme le balancier, l’oscillateur harmonique Fig. 1c est un bon candidat. En assimilant le corps noir à une assemblée d’oscillateurs harmoniques et surtout, contrairement au caractère naturel et continu des systèmes physiques macroscopiques classiques, Planck se propose d’instaurer une comptabilité de répartitions discontinues et quantifiées de l’énergie des oscillateurs, ce qui autorise de ce point de vue une comptabilité et donc un dénombrement aisé des acteurs en jeu que sont les oscillateurs. Comme on le ferait de toutes combinaisons statistiques, le dénombrement combinatoire Fig. 1e de ‘quels oscillateurs sont susceptibles d’emmagasiner quelles énergies’ devient de fait possible et aisé. Il s’agit d’une simple numération. Par cette approche, Planck réussissait à confirmer les courbes expérimentales Fig. 1b tout en introduisant donc pour la première fois la notion même de quantification de l’énergie liée aux constituants microscopiques de la matièreiii.

(7)

Donnons un sens humain à l’entreprise. Comme Planck le souligne lui-même, « toute cette affaire peut se résumer en trois mots : un acte de désespoir, car je me suis éloigné de la nature en toute conscience […] ». Il souligne par là la révolution conceptuelle engagée par la quantification en quittant le paradigme d’une énergétique continue de la matière et des lois physiques. Il dira de la constante h - dont il tentera même de refuser qu’elle porta son nom – qu’elle est « encombrante et récalcitrante […] mais ouvre une ère nouvelle dans les sciences de la nature […] annonçant l’avènement de quelque chose d’entièrement inattendu et destiné à bouleverser les bases mêmes de la pensée physique » [6]. Une fois de plus, la nature se résume à une constante. Ses collègues considéreront ses vaines tentatives pour rejoindre une construction classique du monde comme une « tragédie ». Après Leibnitz et l’hypothèse – la théorie même, base de la physique newtonienne – du continu en physique classique, on parlera à partir de 1908 de « crise de la discontinuité » [7]. Nous ne nous étendrons pas plus sur les approches pédagogiques et les mises en scène qui contribuent à introduire cette délicate notion de discontinuité naturelle des objets microscopiques auprès des apprenants. Simplement soulignons qu’il convient avant tout de reconstruire l’histoire, la pensée, la démarche, l’heuristique même de cette découverte. Il importe ensuite de parvenir, par ce biais, à des représentations classiques qui, nous le voyons, peuvent être liées à une forme de validation pourtant antinaturelle chez l’apprenant de l’objet physique quantique et qui, bien sûr, devra faire sens. Pour conclure sur ce point, on notera encore que l’historie de la découverte éclaire sur son appropriation et que, dès lors, l’activité théorique en physique ne se réduit pas seulement et exclusivement à la manipulation formelle de symboles mathématiques.

Principe de complémentarité

Le principe de complémentarité est un autre domaine de cette science contemporaine qui dresse un univers particulier des lois de la nature. J’ai préféré l’intitulé principe de complémentarité à principe de dualité ou, plus fréquemment, dualité onde-corpuscule. En effet, nous noterons que le terme même de dualité est souvent perçu sous l’acception de duellité, de belligérance. La presque similitude des deux termes laisse souvent à penser aux étudiants qu’il faut y lire rivalité et non complémentarité intrinsèque lorsqu’on y traite, selon le domaine, l’approche ondulatoire ou l’approche corpusculaire de l’objet quantique. La nature de l’objet quantique est les deux. Il n’est pas tantôt l’un, tantôt l’autre. Il détient les deux représentations. On pourra rendre responsable la confusion linguistique chez les étudiants mais on pourra aussi souligner comment l’approche duale est mise à mal dans le cadre explicatif et pédagogique construit autour ainsi que dans la difficulté de représentation conceptuelle et incompatible que cette dualité naturelle entraine. Dès lors il est préférable d’évoquer le terme de complémentarité pour bien souligner la juxtaposition nécessaire -

(8)

et non la rivalité - des représentations liées à l’objet quantique selon l’usage que l’on en fait : ou corpusculaire, ou ondulatoire.

Fig. 2 Représentation imagée de l’aspect corpusculaire ou ondulatoire de l’objet quantique

Pour aborder cette complémentarité, il est utile de revenir aussi à l’histoire et de souligner que « le sens d’un concept physique n’est pas absolu […]. La définition d’un concept n’est donc jamais qu’opérationnelle, de sorte qu’on n’est pas libre d’utiliser sans restriction un concept défini par une expérience concrète pour rendre compte de n’importe quelle autre expérience » [8]. Il en est ainsi de la nature de l’objet quantique.

Selon qu’on souhaite le localiser ou non, il apparaît - ici dans une approche imagée - respectivement corpusculaire Fig. 2a – goutte de lait – ou ondulatoire Fig. 2b – même goutte de lait ayant diffusé dans l’eau - et ce selon l’utilisation qui en sera faite.

Dès lors, que dire de sa nature même, de ce qu’il est, de ce que la nature lui fait dire, de la manière dont sa nature même se manifeste ? Nous pouvons dire que nous réservons à l’objet le sens qui lui est propre dans le cadre de travail qui est celui auquel on s’intéresse : libre d’évoluer, il est l’onde qui se propage et occupe l’espace dédié ; prétendre le figer dans un cliché : il est l’objet corpusculaire classique que nous connaissons bien. Dans la nature des choses, le passage du caractère ondulatoire au caractère corpusculaire s’opère lorsqu’on cherche à détecter, à localiser l’objet quantique. Dans ce contexte de détection, la nature de l’objet quantique n’est plus lui même, seul. Il faut convenir de l’objet quantique, certes, mais aussi de l’instrument de détection qui l’a révélé, matérialisé, et qui donc, cette fois, entre en jeu avec lui. Dès lors, on comprend pourquoi il verse du monde quantique au monde classique et corpusculaire où il se manifeste. Là encore, sa nature aura changé. De corpuscule, il est devenu système : la corpuscule et sa détection.

AUTRES REPRESENTATIONS SUR LA NATURE DES CHOSES

Nous pourrions continuer le tour d’horizon didactique des représentations du monde inattendu de cette mécanique. Nous pourrions étendre la liste des approches possibles et sensibles des lois ainsi que des déclinaisons de la nature quantique des choses, de la dimension quantique de la nature.

(9)

Nous ne pouvons livrer ici ce vaste détail et ses nécessaires représentations. Mais mentionnons quelques situations qui se prêtent à cela et au support classique des représentations susceptibles d’alimenter les descriptions. Ainsi, en introduisant les principaux résultats obtenus par Einstein sur l’énergie d’une particule, on pourrait montrer comment il devient possible de s’inspirer d’une écriture traditionnelle de l’énergie relativiste pour donner sens au principe de complémentarité onde/corpuscule – dont nous parlions plus haut – proposée par le jeune Louis de Broglie dans sa thèse de 1924. Nous pourrions aussi introduire le principe d’indiscernabilité ∆x ∆p = Cte, habituellement et là encore maladroitement dénommé principe d’incertitude. On soulignera là encore les confusions des terminologies et les divergences de représentations qui leur sont liées. L’histoire apporte l’éclaircissement voulu sur l’évolution des appellations. Par prolongement de la notion de complémentarité onde/particule décrite plus haut, il devient aussi possible de construire ce qui historiquement va devenir paquet d’onde et par là même accéder à la fois à une déclinaison localisée et particulaire de l’objet quantique tout en conservant la propension ondulatoire qui le concerne. De plus nous pourrions éclairer ce qui, dans cette continuité, deviendra la réduction du paquet d’onde ou, plus prosaïquement, comment la particule se révèle non plus comme multiplicité de configurations mais se stigmatise en un seul et unique état parmi ses potentialités, ses multiplicités et les différentes facettes qu’autorisent l’objet quantique. De même, l’onde quantique est gouvernée dans son évolution par l’équation de Schrödinger. Il serait utile de remonter à la construction de cette équation par l’étude de sa spatialité et de sa temporalité, telle que Schrödinger l’a entreprise et non pas l’introduire dans le programme pédagogique ex nihilo comme trop souvent, au hasard de ce qui aurait été une simple inspiration de son auteur. Nous pourrions terminer en évoquant comment est apparu un autre aspect de la mécanique quantique qui vise à traiter actions et états de l’objet quantique par le biais de matrices. Il serait par exemple évocateur pour l’apprenant de convoquer au tribunal de l’histoire l’écriture matricielle telle qu’introduite initialement par Heisenberg dans un souci de répertorisation, d’indexation et donc de tabulation des états quantiques. Tableaux de chiffres, les états quantiques sont devenus rapidement éléments de matrices et donc calculatoires par une écriture matricielle qui ne fait pas toujours sens chez l’apprenant, ne véhiculant que peu ou pas de représentation autre qu’une succession de symboles et de manipulations.

(10)

CONCLUSION

De nombreux exemples pédagogiques peuvent donc être présentés où l’objet quantique peut apparaître avec sens. Il faut cependant être parfaitement conscient que dans sa constitution, dans sa valeur intrinsèque, les représentations associées issues de la nature classique des choses et de la nature classique de notre quotidien ne correspondent pas à ce qu’est la nature même de l’objet quantique. C’est peut-être là d’ailleurs un des rares domaines où l’objet quantique cherche à se définir dans sa représentation de manière duale, c’est-à-dire à la fois quantiquement et classiquement. Il n’en demeure pas moins qu’il faille recourir à ces représentations et à ces projections réductionnistes de la nature des choses quand bien même la pédagogie devrait tenir compte de la vraie nature des choses. Mais que faire d’une nature insaisissable ? en interdire son accès ? Comme on l’a constaté, hormis l’approche historique des sciences et des savoirs, il n’est pas aisé de trouver la transversalité nécessaire à l’intégration des connaissances. Pire, il convient de pratiquer le sacrilège qui consiste à enseigner le faux pour vainement tenter de cerner le vrai, un dévoiement de la nature même de l’enseignement cette fois. Soulignons cependant que « Tout le monde s’accord aujourd’hui pour dire que l’enseignement doit se prémunir contre le dogmatisme auquel il est, par nature pour ainsi dire, enclin. Aussi toute pédagogie bien pensée doit-elle s’efforcer consciemment de mettre en lumière les difficultés conceptuelles de la théorie » [9]. On soulignera et insistera sur le terme consciemment. Par ailleurs et même si nous ne l’avons pas évoqué ici, nous enseignons par la physique quantique une matière éminemment d’actualité. A l’échelle de l’histoire des découvertes, issue de ce qui pourrait être une science froide, par l’approche représentationnelle et sensible qui peut en être construite autour, en réussissant à interpeller l’apprenant sur ce champ scientifique inattendu, il devient ainsi possible de recontextualiser cette matière et d’en faire une actualité chaude. Pour preuve, l’épistémologie et les questionnements en matière de philosophie des sciences ainsi que de représentation du monde que cette discipline soulève encore quotidiennement. Nous soulignerons aussi que « pour que ces débats puissent s’approfondir, une nouvelle approche de l’enseignement de la théorie quantique est nécessaire ». Comme le soulignent encore Balibar et Lévy-Leblond, une « introduction systématique et précoce des méthodes qualitatives et heuristiques de la physique, telles qu’elles sont utilisées quotidiennement au laboratoire, mais trop rarement divulguées en cours (analyse dimensionnelle, caractérisation à priori des ordres de grandeurs, raisonnements « avec les mains », etc.) » s’imposent. Je retiendrai cette fois avec les mains. Comment dès lors faire l’impasse sur l’approche classique de la représentation et de la nature des choses pour parvenir à cerner la nature quantique de l’objet physique avec les mains quand bien même serait-il quantique ? Même si on peut parler de « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences de la nature »

(11)

(Treiner, 2000) on pourra terminer en insistant sur l’approche souvent trop mathématisée. En allant plus loin, les auteurs précédents n’hésitent pas à dire que « Il s’agit en l’occurrence d’affirmer bien haut que l’activité théorique, en physique, ne se réduit pas à la manipulation formelle de symboles mathématiques et, par là même, d’enseigner la physique dans les termes mêmes utilisés par les praticiens […] un travail de recherche dans le domaine quantique ne se limite jamais à la résolution d’une équation de Schrödinger (et souvent ne l’inclut même pas). Le chercheur doit penser de façon quantique. » [10]. Prochaine étape donc après la représentation : penser la nature quantique, et donc peut-être à cette occasion … repenser la nature de la pensée.

NOTES

i. Cours professé à Caltech en 1963

ii. On convient de dénommer corps noir un objet macroscopique (matière, four, étoile même) considéré comme isolé et doté d’une température T Fig. 1a. A cette température, s’établit en son sein un équilibre en rayonnement et énergie. On observe la quantité d’énergie émise à chacune des longueurs d’onde sur l’ensemble du spectre des ondes électromagnétiques.

iii. Dans les faits et dans le détail du déroulé pédagogique, il importe de souligner que la démarche d’assemblée d’oscillateurs harmoniques s’est construite en plusieurs étapes. La première, d’acception électromagnétique (1897) présuppose un équilibre entre matière et rayonnement et aboutit à un équilibre énergétique entre résonateur d’énergie U à la fréquence ν. La seconde, thermodynamique cette fois, repose sur l’entropie mentionnée plus haut selon laquelle cette dernière relève du rapport U/ν. Enfin, la troisième étape repose sur le lien entre entropie thermodynamique et représentation statistique où, comme mentionné plus haut, Planck s’intéresse à la répartition de P éléments d’énergies indiscernables répartis entre N résonateurs discernables dotés, chacun, d’un multiple entier d’une énergie finie ε fondamentale . Cette étape lui permit la mise en relation entre fréquence et énergie dans le rapport U/ε. L’étape conceptuelle de la quantification ne surgira qu’en 1901 mais les deux précédentes écritures conduisent naturellement à une relation entre énergie e et fréquence n sous la forme traditionnelle que nous connaissons bien aujourd’hui : ε = h ν .

BIBLIOGRAPHIE

[1] BOUDENOT Jean-Claude, Gilles Cohen-Tannoudji, « Les nouveaux horizons des quanta » in Max Planck et les Quanta, éd. Ellipses, Paris, 2001, pp. 170

[2] HONNER John, « Quantum Theory and its interprétation » in The description of nature : Niels Bohr and the philosophy of quantum physics, éd. Oxford, University Press, New-York (2002), pp. 32

[3] HEISENBERG Werner, Physique et philosophie : la science moderne en révolution, éd. Albin Michel, Paris, 1961, pp. 179

(12)

[4] BALIBAR Françoise, Jean-Marc Lévy-Leblond, « Voulez-vous apprendre la quantique » in Le

monde quantique, éd. Points Sciences, Paris, 1984, pp.175

[5] BALIBAR Françoise, Jean-Marc Lévy-Leblond, « Voulez-vous apprendre la quantique » in Le monde quantique, éd. Points Sciences, Paris, 1984, pp.174

[6] HERMANN Armin, Max Planck, éditions du CNRS, 1977, pp. 33

[7] BOUDENOT Jean-Claude, Gilles Cohen-Tannoudji, « Le corps noir (1894-1900) » in Max Planck et les Quanta, éd. Ellipses, Paris, 2001, pp. 44

[8] KLEIN Etienne, Petit voyage au monde des quanta, éd. Flammarion, Paris, 2004, p. 42-43 [9] BALIBAR Françoise, Jean-Marc Lévy-Leblond, « Voulez-vous apprendre la quantique » in Le

monde quantique, éd. Points Sciences, Paris, 1984, pp.179-181

[10] BALIBAR Françoise, Jean-Marc Lévy-Leblond, « Voulez-vous apprendre la quantique » in Le monde quantique, éd. Points Sciences, Paris, 1984, pp. 176

Figure

Fig. 1 Rayonnement du corps noir et modélisation par Planck

Références

Documents relatifs

De plus les hormones contre-régulatrices sont 25 % moins efficaces chez les patients diabétiques, la glycémie peut donc atteindre des valeurs extrêmement basses avant que le

Dans la cricothyroïdotomie chirurgicale, après positionnement de la tête du patient en extension, la membrane cricothyroïdienne est identifiée, puis une courte incision

Si la mère mentionne l’existence d’un placenta praevia, ne surtout pas faire de toucher vaginal, équiper la patiente de 2 gros Veinflons et la transférer pour

Leur intégration au système LMD leur a permis la reconnaissance d’un niveau Master en 2014 mais, à ce jour, ils n’ont toujours pas reçu la valorisation indiciaire ou salariale de

Il est possible, chez un patient préalablement informé, de réaliser un bloc périphérique échoguidé sous anesthésie générale, profondément sédaté ou dont la zone de

Cardiopulmonary resuscitation with a novel chest compression device in a porcine model of cardiac arrest: improved hemodynamics

La Fédération SUD Santé Sociaux dépose un préavis de grève national de 24h pour le 5 juin 2014 concernant l’ensemble de la profession de Infirmiers Anesthesésistes