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Le processus de création de l’Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments : généalogie, génèse et
adoption d’une proposition de loi
Christophe Clergeau
To cite this version:
Christophe Clergeau. Le processus de création de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Ali-ments : généalogie, génèse et adoption d’une proposition de loi. [Rapport Technique] Inconnu. 2001, 223 p. �hal-02308977�
l
iLE
PROCESSUS
DE CRÉATION
DE
L'AGENCE FRANCAISE
DE SECURITE
SANITAIRE
DES
ALIMENTS
Généalogieo
genèse
et
adoption d'une proposition
de
loi
DOCUllilEllTATOt'l ÉCO}lOr/llE RURALE RËl{t'lES
r
illl[lllllllll
lllll
[llulll
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE
T:
RÉCTT
D'UN
PROCESSUS,LES
SUITES
DE
LA
CRISE
DE LA
(
VACHE FOLLE
)
ET LE DESTIN D'UNE PROPOSITION
DE
LOI...
1.
Alimentation
et santé, organisation del'Etat
et politiques publiques avantle
20 Marsr996
2.
Le projet d'agence de sécurité sanitaire des aliments, de la crise de la < vachefolle
> à la proposition deloi
Huriet.3. La
proposition
de
loi
Huriet
entre délibération interministérielle
et
examenParlementaire
(Mai
1997-
Juin 1998).CHAPITRE
2
:
DE
LA
SECURITE SANITAIRE
AUX
SECURITES SANITAIRES
?ENJEUX
THEORIQUES
DE
L'EXPORTATION
D'UN
MODELE
D'ACTION
PU8LrQUE...
1.
Le
rôle
des
crisespolitiques
et
des coalitions d'acteurs
dansle
changement despolitiques publiques. .
2.
Développement et exportation d'un modèle d'actionpublique...
CHAPITRE
3 : DE
L'EMERGENCE
DE
LA
SECURITE SANITAIRE AU PRINCIPE
DE
LA
CREATION
DE L'AFSSA:
LE
SUCCES
INACHEVE D'UN
PROJET ET
D'UN
GROUPE
D'ACTEURS...
1.
Le
développement despolitiques
publiquesde
sécurité sanitaire:
la
réussite d'unestratégie et
I'affirmation d'un
modèle d'action2.
De la sécurité sanitaire à la sécurité sanitaire des aliments..CHAPITRE
4:
LES STRATEGIES DE REINSCRIPTION DE L'AFSSA DANS
LE
CHAMP
DESPOLITIQUES
PUBLIQUES DE
L'ALIMENTATION
1.
La transformation des termes du débat et des critères de sélection dessolutions... ...
2.
Les dynamiques àl'æuvre
dans le processus de création deI'AFSSA
CHAPITRE
5:
LA
PLACE
TENUE PAR
LE
SÉN,q.TDANS
LE
PROCESSUS DE
CNÉATTON DE
L'AFSSA.
1.
Les fonctions remplies parl'institution
sénatoriale...2.
Le
Sénat comme arènepolitique
et prolongement des coalitions...4 10 11 22 35 52 53 59 86 93 68 68 76 85 104 105 111
CHAPITRE
6
:AU-DELA
DE
L'HISTOIRE D'UNE
PROPOSITION DE
LOI,
ANALYSER LE
PROCESSUSDE
CREATION
DE I'AFSSA DANS
LE CONTEXTE
DES POLTTTQUES
COMMUNAUTAIRES
DE
SECURTTÉlnS
ALIMENTS...
1.
Les politiques
publiques
de
sécurité des aliments entre création
de I'AFSSA
etcontexte communautaire. ..
2.
Analyser les politiques communautaires de sécurité des aliments......
CHAPITRE
T :QUAND
RISQUES
COLLECTIFS ET
CRISESPOLITIQUES
TRANSFORMENT L'ACTION PUBLIQUE. ORIENTATIONS
DE
RECHERCHE
POUR UNE
HISTOIRE
DESPOLITIQUES
PUBLIQUES DE
SECURITE
DESALIMENTS
EN FRANCE
ET
DANS
L'UNION
EUROPEENNE
DE
1979A 2001...
1.
Le développement des politiques publiques de sécurité des aliments(1979-1996)...
2.
Crise de la < vachefolle
>, crise politique et sécurité des aliments(1996-1999)...
3.
Les enjeux du gouvernement des risques alimentaires (1999-2001)...125 126 133 139 139 149 156
CONCLUSrON...
..
173BTBLIOGRAPHIE..
179TABLE
DESMATIERES...
I74
SIGLES
ET ABREVIATIONS
178LISTE
DES PERSONNESRENCONTREES....
185INTRODUCTION
Le
20
Mars
1996,
StephenDorell, ministre
britannique
de
la
santé, annoncedevant
lachambre des communes que 10 personnes sont atteintes d'une nouvelle forme de
la
maladiede Creutzfeld-Jakob
et
que8
sont déjà mortes, indiquantainsi
la
possible transmission deI'ESB
à I'homme. La crise de la < vachefolle
> est devenue une crise de santé publique.Le
18Juin
1998, en France, I'Assemblée Nationale adopte définitivementla proposition
deloi
relative
< au renforcement dela
veille
sanitaire et du contrôle dela
sécurité sanitaire desproduits
destinésà
l'homme>.
Dansle
cadre de cetexte
est crééel'Agence
Française deSécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).
Un peu plus de deux ans après l'éclatement de la crise de la < vache
folle
>, la France se dotedonc
d'une
agence indépendantedont
la
principale mission
est
d'organiser l'évaluation
scientifique des risques sanitaires liés à
l'alimentation.
Il
s'agit làd'un
changement indéniablequi
intervient
dans lespolitiques
publiquesde l'alimentation. Les principes
de
la
sécuritésanitaire,
hier limités
aux enjeux touchant les produits de santé, s'appliquent désormais dansle
domaine
de
I'alimentation.
La
loi
sanctionneune
orientation nouvelle
pour
l'action
publique
mais
égalementla
création
d'une
nouvelle
structureadministrative
de
nature
àmodifier les modes de régulation et les relations entre les acteurs.
Le
18Juin
1998, si le texte est définitivement adopté, puis promulguéle
l"
Juillet, I'AFSSA
n'existe
pas encore. Quelques articlespubliés
aujournal officiel
ne
suffisent pasà
rendreeffective
la
création
de I'agence.
Il
faudra eneffet
attendrela
parution
d'un
décretdu
26Mars
1999,la
nomination du président du conseil d'administration et du directeur général le 31Mars
1999, puis enfinl'installation
du conseil d'administration par les ministres de tutellele 22 Juin 1999, pour qu'elle se concrétise.
Pourtant
I'AFSSA
est déjàlà
dès
1998.La
nouvelle
loi
ne
trace pas seulementun
cadrejuridique.
Elle
estle produit d'un
processusqui
lui
donne sasignification.
Les controversesintellectuelles, les luttes politiques
qui
l'ont
précédée, les étapes de l'examen parlementaire etles débats
qui
lesont
accompagnées, forgentun
cadre d'interprétation et de réception de cechangement.
Avant
d'être
un
établissementpublic en
activité,
I'AFSSA
est
un
ensembled'éléments
juridiques,
de rapports depouvoir,
de cadrescognitifs
et normatifs,qui
s'ancrentAvant d'être un
essai de mise en oeuvred'une
solution, unepolitique
publique est en effetune tentative d'interpréter le réel, de
lui
donner un sens dans un environnement donné, et dedéfinir
un modèled'action
publique(Muller,
2000). Cette approchejustifie
le choix
defixer
comme
butoir
dela
recherchel'adoption définitive
de la proposition deloil
et de se donnercomme objectif d'étudier le processus qui conduit à cette adoption.
L'étude du
processus deproduction
deI'AFSSA
correspondà
la fois la
mise àjour
d'unegénéalogie et d'une genèse. Une démarche généalogique
doit
amener àidentifier
lesfiliations
et le poids du
passé.Histoires
administratives, cultures professionnelles, conceptionsde
lasanté et de l,alimentation, espaces nationaux, communautaires et internationaux de régulation,
forment autant d'éléments
qui
contraignent le processus mais également le nourrissent etfont
I'objet d'un
recyclage permanent.On
opposeraà
cette
généalogieune
genèsedéfinie
comme l'ensemble des activités
quis,organisent autour du projet de création d'une agence de
l'alimentation.
On trouveici
la luttepour
la définition
des problèmes etla
spécification des principes et des modalités del'action
publique,
ainsi
que l'ensemble
des transformationsqui
s'opèrent
au
fil
des étapesde
lacréation de
I'AFSSA. La
genèse est également le domaine des relations entre les acteurs, desgroupes
qui
se constituent, des confrontations qui s'organisent, des alliancesqui
se forgent etdes
ajustementsqui
s'élaborent.
Cette double
scènede
la
genèseest
en
perpétuelle transformationet
c'est
seulementen
suivant pasà
pas cesactivités,
et
en les
reliant
auxéléments généalogiques
qui
en sont une des principales manières premières, quel'on
peut enfaire apparaître le sens.
Le processus de création de
I'AFSSA
présente des spécificités très fortes.Il
porte d,abord I'empreinte de la crise politique.La
crise dela
< vachefolle
>s'inscrit
dans une histoire récente très fournie des crises de santé publique en Francequi
ont profondémentmarqué
la
population etla vie
politiqu"'.
Lu
crise constitue un élément de nature àmodifier
profondément les stratégies des acteurs
(Dobry,
1992).Ce processus
s'inscrit
également dans une dimension purementpolitique tout
àfait
originalepuisqu'un texte d'origine
sénatoriale traverseune
alternanceet
finit
par être
adopté
àl,unanimité
par les deux assemblées de majorités opposées.On
setrouve
donc faceà
deuxexamens interministériels successifs qui se déroulent à quelques mois
d'intervalle,
et dans uneconfiguration
apparentede rôle
éminent
du
Sénat dansle
cadred'institutions de
la
5è"
I Ensuite prennent place les activités < constitutives > (Urfalino, 2000) qui, dans la mise en æuvre, voient des acteurs en partie différents s'attacher à traduire le cadre cognitif et normatif en organisation administrative et en procédqres ; cn qrri ne veut pas dire que d'autres transformations elles aussi porteuses de sens ne peuvent avoir
lieu au cours de cette séquence.
2
En ce sens la crise de la < vache folle > et ses conséquences s'inscrivent pleinement à la fois dans la genèse et dans la généalogie de I'AFSSA
République qui consacrent la prééminence de
I'exécutif
sur lelégislatif
et au sein dulégislatif
de l'Assemblée Nationale sur le Sénat (Mastias, 1987).
Ce processus est ensuite caractérisé par
la
simultanéité dela
quasitotalité
des activitésqui
peuvent intervenir dans
la
production des politiques publiques. Crisepolitique,
constructiondes
problèmes, élaboration
de
propositions,
mobilisation des
experts
et
des
décideurspolitiques, débat
public,
examen interministériel ou parlementaire, se développent de manièretotalement enchevêtrée et interagissent en permanence.
La
questionqui
est alors posée est desavoir comment de ce désordre apparent peut émerger un ordre pour I'action publique.
Enfin
autour de
la
créationde
I'AFSSA
s'organisela
rencontreet l'imbrication de
deux espaces del'action
publique, la santé et I'alimentation, qui conespondent à deux histoires et àdeux
visions
dela
place del'aliment
dansla
société.La
questionqui
se pose estalors
desavoir comment
I'AFSSA
s'inscrit
par rapport à ces deux dimensions, etsi
son processus decréation se traduit ou non par des transformations ou des hybridation de ces deux espaces.
Chacune
de
ces questionsdoit
être abordéeà I'aide d'outils
méthodologiqueset
de choix
théoriques spécifiques qui seront détaillés dans le chapitre 2. Mais le dernier point évoqués
ci-dessus pose
un
problème
particulier
qu'il
est
nécessaired'examiner
ici.
Caractériser les(
espaces > del'action
publique est en effet un préalable à toute problématisation etimplique
une conception de
l'individu
et de I'espace social.On bute
ici
sur unedifficulté
à caractériser l'espacequi
s'organise autour de I'alimentation.Comme
on
le
verra
au
fil
de
cette
étude,
de
nombreux
acteurs récusentle fait
queI'alimentation
soit
un
objet de politique publique unitaire.
Certains
opposentl'aliment
<produit
> etl'aliment
< nutriment >. D'autres considèrent quela
question deI'alimentation
ne
dispose
d'aucune
autonomie
et
n'est qu'un
segment
des politiques publiques
del'agriculture
ou une déclinaison des politiques de régulation des marchés.Les concepts proposés par différentes approches de I'analyse des politiques publiques ne nous
permettent pas de surmonter cette
difficulté.
Le premier critère proposé par P. Sabatier pour
définir
un sous système de politiquepublique
:les
participants
doivent
se
considérer
comme formant
une
communauté relativementautonome fondée
sur
le
partaged'un
domaine d'expertise (Sabatier, 1993, 1998),n'est
pasvérifié.
Une large partie des acteurs impliqués récuse en 1996-1997lalégitimité
des médecins à intervenir dansl'expertise
dela
sécurité des aliments et souhaite leslimiter
àla
dimensionnutritionnelle.
Pourtantla Direction
Générale dela
Santé intervient bien dans ce domaine etassure la tutelle
du
Conseil Supérieurd'Hygiène
Publique de France, principale ressource enmatière d'expertise.
Les
critères avancéspar
B.
Jobert et P.Muller
pour identifier
un
secteut:
l'existence d'un
leadership professionnel,
l'existence
d'un
leadership
dans
le
domaine
de
l'expertise administrative,la
mise en placed'une
superposition suffisante de ces deux secteursafin
dedévelopper
des
interférencespositives entre l'administration
et
le
milieu
(Jobert, Muller,
lg17),le
sont encore moins.La notion
de leadershipn'a
pas de sens puisque les politiques publiques deI'alimentation
sont éclatées entre deux blocsqui
mettent en scène des acteursprofessionnels spécifiques:
vétérinaire
et
agriculteurs
d'une
part;
répressiondes
fraudesindustries agroalimentaires et distribution d'autre part. Cette distinction est très schématique,
des
recouvrementsmultiples
et
des
interdépendancesexistent,
mais
il
n'y
nulle
partd'administration
intervenantsur
tout
le
champde
l'alimentation
ou
même
de
législationunifiée3 ; personne ne parle au nom de
I'alimentation (Muller,
2000).Au
momentoù
débutecette étude
la
problématique des politiques publiques del'alimentation
est marquée par unehétéro généité fondamentale.
On proposera une autre conceptualisation basée sur
la
sociologie deN.
Elias
(Elias,
1991 ;Heinrich, I9g7)
et construite autourd'une définition
des termes de configuration, champ depolitique publique et secteur de politique publique.
On
suivra
N.
Elias pour
considérerque
les individus sont
engagésdans
des
relationsd'interdépendance, dont
la
taille
etla
complexité peuvent être très variables enfonction
dessituations,
du
modèle du
jeu
(de
carte,de football) à celui de
la
sociétéprise
dans
sonensemble. Ces relations ne sont pas des relations d'interaction égalitaires. Elles sont marquées
par une
structure, des fonctionnalités institutionnelles
ou
économiquespar
exemple.
Lepouvoir
n'y
est pas considéré commeune
substanceobjet de
l'échangemais comme
unerelation, une dimension processuelle. Chaque
individu
est engagé dansun
grand nombre derelations d'interdépendance
qui
interfèrent entre elles.Il
garde l'empreinte des relations danslesquelles
il
a été engagé, c'est d'ailleurs comme cela qu'Eliasdéfinit l'habitus. Autour
d'unesituation
donnéeles
relations
d'interdépendancefont
système dansune configuration
quiorganise l'espace social pour les acteurs engagés.
On ne se trouve pas
ici
face à une conception fermée de I'espace social.Il
estdifficile
de faireapparaître
des
frontières,
des
séparationsnettes
entre
les
configurations.
Les
relationsd'interdépendance
bien
qu'inégalitaires restent
toujours
des relations d'échange
et
nond'imposition.
Le
fait
d'être
engagé
dans plusieurs relations
d'interdépendance
qui contraignent son autonomie restitue à I'acteur une capacité stratégique propre etmodifie
enpermanence son habitus. On
fait
ainsi la part au déterminisme et à la liberté.A
partir de cet appareil théorique, on appellera champa de politique publique, l'ensemble desconfigurations
qui
s'organisent autour des différentes désignations del'objet5
dela politique
publique
étudiée.Cette
approchepermet
à
la
fois de
rendre compte
de
la
diversité
desgéographies
des
champs
et
de
penser I'interpénétration
entre
des
champs
comme 3Elle est en effet éclatée entre trois codes : code rural, et code de la consommation et code de la santé publique
4
C'est d'ailleurs comme cela qu'ont été traduits en français les premiers écrits de N. Elias avant qu'il ne propose
lui-même le terme de configuration (Heinrich ,1997)'
5
eue I'on distinguera de la construction des problèmes de politique publique même si la frontière entre les deux
correspondant à la présence à leur intersection d'une configuration spécifique.
Un
des enjeuxde
la production
des politiques publiques devient alorsI'unification
du
champ autour d'unedésignation
partagée del'objet
de ces politiques. Cetteunification du
champ correspond àl'existence d'une configuration unique en son sein qui rassemble les acteurs dans des relations
d'interdépendance6. L'exportation de principes d'action issus
d'un
autre champ est facilitée sicette
unification
se
fait
autour
d'une
conceptionde
l'objet qui était celle
qui
servait
defondement
à
uneconfiguration
située originellementà l'intersection
des deux champs. Cesfrontières, ces positionnements, ces logiques
d'unification
ou de differenciation renvoient à lafois
à des ressources et à des activités.On
appellera secteur depolitique
publique,un
champqui
a mené àbien
sonunification
enorganisant ses frontières et son caractère autoréférent, et
qui
a objectivé les rapports sociaux(Dobry,
1992) ou substantialisé les rapports de pouvoir en son sein, notamment à travers desmécanismes d'institutionnalisation.
Ce
dernier
point est
essentiel
pour les
politiquespubliques,
cettemise
en
ordre
et en
règles permettant dans certainscas
de
retrouver
ladéfinition
de B. Jobert et P.Muller.
Au
terme de cette présentation, on perçoit comment un champ depolitique
publique peut êtretraversé
par
des stratégies de sectorisation. Celles-ci s'attachentà
unifier la
désignation deI'objet
mais aussi à produire une interprétation de cet objet, des principes d'action publique etun
mode
d'institutionnalisation,
qui
modifient au
profit
de
certains
acteursou
groupesd'acteurs les relations de pouvoir et la configuration interdépendance.
Dans le cadre de cette approche on proposera de définir un champ des politiques publiques de
I'alimentation
marqué par une forte influence des acteurs des politiques sectorielles agricoles ;et
un
champ des politiques publiques dela
santé publique et dela
sécurité sanitaire engagédans
une
dynamiquede
sectorisation autourdu
développement desinstitutions de
sécuritésanitaire (agence du médicament, etc.).
L'objet
de cetravail
devient alors de montrer comment les questions et les dynamiques liées àla
crise de
la
<vachefolle
> et
au processus de création deI'AFSSA
vont
transformer ceschamps de
politique
publique, enmodifier
les frontières, les configurations, les normes et lesprincipes d'action. On proposera à cette
fin
trois hypothèses principales.La
première est
celle de
l'existence
d'une
stratégie menéepar
un
groupe
d'acteurs, oucoalition, pour
appliquer àl'alimentation
les principes dela
sécurité sanitaire que ce groupeavait
élaborés etmis
en æuvre dansle
domaine des produits de santé;
cette stratégie étantmenée en s'appuyant sur
le
contexte de crisepolitique
pour déboucher surla
création d'uneagence de sécurité sanitaire des aliments.
6 L'accord
sur la désignations de I'objet, se traduit par une entre
-
reconnaissance, une prise de conscience par les acteurs de leur interdépendance et un engagement volontaire dans la relation. Ce point laisse entier celui deLa
deuxième hypothèse est que face à cette stratégie, les acteurstraditionnels du
champ del'alimentation
ont
su
développerles activités leur
permettantde produire,
à partir
de
leurculture,
de leur
histoire
et de
leurs
valeurs,une
conceptiondes politiques publiques
del'alimentation
qui
intègrel'objectif
de sécurité sanitaire et ainsi de se réapproprierla
notiond'agence de sécurité sanitaire des aliments et préserver leur leadership.
La
troisième est quele
rôle
du
Sénat nepeut
s'analyser simplement au regardde
son rôle constitutionnel dansla
production dela
loi
;
maisqu'il
ajoué un rôle actif,
d'unepart
dansI'inscription de
la
créationde
l'agence
sur
l'agenda
de
décision,
et
d'autre
part
dans la production de la nouvellepolitique
publique àla fois
en tant que cadre de gestion de la crisepolitique
ouverte par celle de la < vachefolle
>, et comme arène de confrontation des groupesconcurrents dans la production du sens.
On
a
choisi de
proposer dansun
premier
chapitreun récit du
processusde
création
deI'AFSSA afin
de décrire I'essentiel
des éléments factuelset
de
renseignerles
différentesquestions posées par ce processus. Ce choix présente le risque de la répétition dans la suite de
|a
démonstrationmais
la
miseen
correspondance de différentsniveaux
d'analyse présenteégalement des
vertus
heuristiques.Le
chapitre2
présenterales
approches théoriques quifondent
chacune destrois
hypothèsesdéfinies
ci-dessuset
permettrade
les
préciser. Leschapitres
3,
4
et 5
en présenterontla
discussion détaillée.Le
chapitre
6
reviendrasur
lesenseignements
à
tirer
de ce processuset
surla
pertinenced'une
analyselimitée
à
l'espacenational et restreinte à un intervalle temporel relativement court.
Le
chapitre 7 proposera despistes pour une réflexion élargie au niveau communautaire sur la possibilité d'une histoire des
CHAPITRE
1nÉcrr
D'uN
PRocESSUSo
LES SUITES DE
LA
CRISES
DE
LA
(
VACHE FOLLE
>
ET LE DESTIN D'UNE
PROPOSITION DE
LOI
Le
processusde
créationde
I'AFSSA
se dérouleà la fois
dansle
tempscourt du
travailparlementaire
et
dansle
tempsplus long
dela
formation
des cultures, des conceptset
desprojets qui en définissent le cadre. Le processus
législatif
est engagélre28Avril
1997avecle
dépôt
de
la
proposition
de
loi
Huriet, et
s'achèvepar
l'adoption
définitive du
texte
parl'Assemblée Nationale
le
18
Juin
1998.Mais
la
genèsede
ce
processusnous
ramène àl'émergence de la notion de sécurité sanitaire en 1992-93, aux crises de santé publique qui ont
marqué la France à
partir
de 1985, et àl'histoire
de la constitution du champadministratif
del,alimentation qui plante ses racines dans les débuts du 20è*'siècle.
La
compréhension des différents mécanismes àl'æuvre
dans l'élaboration du changement etla
prise de
décision rend nécessaire de distinguer ces temporalitéset
d'accorder une placeimportante à
l'exploration
de cette généalogie dans le temps long. Ce tempslong produit
desidées, des institutions, des acteurs et des groupes d'intérêts. Certains évènements, en altérant
cette configuration, marquent des tournants
qui
modifient
les perceptionset
les rapports deforce. L'éclatement de
la
crisede
la
< vachefolle
>7,le
20
Mars
1996,et
I'alternance quisurvient en
Franceen
Juin
1997,en
font
partie
et s'offrent
comme despoints
de
repèrepermettant
d'articuler
le récit.7
L'Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB), dite maladie de la < vache folle >, apparaît dès 1986 en
Grande-Bretagne mais ne devient aux yeux de I'opinion une question de santé publique que le 20 Mars 1996
quand le mini-stre britannique de la santé, Stephen Dorell, annonce devant la chambre des communes que 10
p"rronn"t sont atteintes
d\ne
nouvelle forme de la maladie de Creutzfeld-Jakob et que 8 sont déjà mortes,DE
L'É
POLITIOUES PUBLIOUES AVANT LE
MARS
19961.L.
Le
champ despolitiques
publiques deI'alimentation
action:
des véfraudes
Depuis le début du XXème siècle, l'organisation de I'Etatrepose sur deux
piliers
: les servicesvétérinaires et la répression des fraudes.
L'action
des vétérinaires s'est historiquement développée dans une perspective sanitaire. Plusd'un
siècle de lutte contre les puissances du monde rural a été nécessaire aux vétérinaires pourdevenir
<les
maîtres des bêtes>
(Hubscher, 1999). Compagnons deroute de
la
troisièmeRépublique qui leur a assuré reconnaissance et statut, acteurs de premier plan de la
révolution
pastorienne et du mouvement hygiéniste,
ils
ontvoulu
porter dans les campagnes les valeursdu progrès, et devenir, médecins et zootechniciens, les conseillers de I'agriculture.
Le
développementde
la police
sanitaireleur a
donné,à
côté de
leur activité
libérale, la
responsabilité de la lutte contre les épizooties et de
la
surveillance du commerce des animauxdans le cadre
d'un
servicepublic
organisé au niveau communal et départemental.Mais
il
afallu
attendre 1965 et le scandale des abattoirs de laVillette,
qui mettait en danger lafiabilité
des produits français dans le cadre émergent du marché commun,pow
que le contrôlevétérinaire
soit
< nationalisé )) avecla
créationd'un
<< serviced'État d'hygiène
alimentaire >au
sein
du
ministère
de
I'agriculture,
reposantsur
un
échelon
central
et
des
servicesdépartementaux (Hubscher, 1999 ; Gomez, 1997).
Le
service
de
la
répressiondes
fraudesa
égalementété
créé
au sein
du
ministère
del'agriculture
suite à laloi
éponyme de 1905, dans une perspective de respect des règles de la concuffence et pour accompagnerle
développement des échanges marchands.Il
s'agit
doncd'une
police du
marché baséesur
la
vérification
du
respect des réglementationset de
laloyauté des transactions. Ce service a toujours eu l'impression d'être négligé et marginalisé au
sein du ministère de
l'agriculture
:<
Le ministre considérait le service, disait-on, comme un bâtonqu'il
valaitmieux
avoir entre ses mains
plutôt
que de le laisser dans celles d'autrui, pour en dominerCes deux services et cultures
ont
vécu unevie
séparée au seindu
ministèrejusqu'en
1976,date de la création d'une direction de la qualité regroupant pour la première fois les différents
services concourant au contrôle de l'alimentations
Cette unité a été brisée en 1981.
La
créationd'un
ministère dela
consommation a débouchésur
le
départ des fraudesdu
ministère de l'agriculture
pour
constituerla
Direction
de
laConsommation et de la Répression des Fraudes du nouveau département. Ardemment désirée
par les inspecteurs des fraudes
qui
souhaitaienty
trouver reconnaissance et indépendance deleur
activité
de contrôle, et accusaient les vétérinaires d'êtrejuges
et partie, cettepartition
aété vécue par les vétérinaires comme une amputation inique, rompant
l'unité
de conduite despolitiques de
l'alimentation
et affaiblissant une direction qui était leurjardin
privé.Depuis cette date,
la
répartition
des compétencesest
à peu
près
stable.Les
vétérinairesélaborent la législation portant sur les matières premières animales et assurent le contrôle dans
ce domaine.
La
répression des fraudes élabore les textesrelatifs aux
produits transformés,qu'elle
contrôle, ainsiqu'aux
produits végétaux et auxvins et
alcools.La
restaurationet
lapremière transformation des viandes (ateliers
de
découpe,...) constituent des
points
derecouvrement facteurs
de
conflitse.
Les
deux
administrationscontribuent
à
représenter laFrance dans les instances européennes et internationales.
A
partir de cette date charnière de 1981, l'éloignement entre les deux services a été croissant.En
1985,
après
la
disparition
du
ministère
de
la
consommation,
sa Direction
de
la Consommationet de
la
Répression des Fraudesa
été
fusionnéeavec
la
Direction de
la
Concurrence
et de
la
Consommationdu
ministère des financespour
former
la
Direction
Générale de la Concuffence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF)
(Pumain, 1997).
De
son coté,
la
Direction de
la
Qualité
a
été renforcéedes
servicesde la Direction
desIndustries Agricoles
et
Alimentaires
pour
former
en
1987
la
Direction
Générale
del'Alimentation
(DGAL)IO.
Le fait
que
la
DGAL
développe
une
approcheglobale
del'alimentation
mêlant
aspects sanitaires
et
soutien
aux
politiques
sectorielles
detransformation
des produits
agricoles
témoignait des
transformations
de
la
place
desvétérinaires dans le monde agricole et rural. En effet, le développement d'une agriculture plus
intensive
et
productiviste
avait
fait
progressivementévoluer
le
statut
des vétérinaires, dedétenteurs d'une science
qui
leur conférait une autorité absolue dans les campagnes, à un rôlede
prestatairede
service sanitaire
et
techniquedes exploitations
dont
on
attendait
unecontribution
directe
au
rendement économique.Le
développementdes
compétences des8 Service d'État d'hygiène alimentaire, service de la répression des fraudes, service de la protection des
végétaux. e
Ces conflits sont renforcés par le fait que dans de nombreux domaines I'initiative des textes réglementaires appartient à un ministère mais qu'ils doivent être cosignés par l'autre. Cette caractéristique se traduit par la
multiplication des procédures interministérielles.
agriculteurs,
leur
organisationcollective,
le
pouvoir de leurs
syndicats
engagésdans
la cogestiondu
secteuragricole
avecl'Etat
avaientlimité
l'autonomie
et
l'indépendance desvétérinaires parfois devenus salariés des groupements de producteurs (Hubscher,1999).
Cette situation pesait
égalementsur les
conditions d'exercice des missions des
servicesvétérinaires départementaux. De plus ceux-ci perdent leur autonomie administrative
en
1984pour être rattachés aux Directions Départementales de
l'Agriculture
et
dela
Forêt(DDAF),
c'est
àdire à
leursyeux
être placés sousla
pression des logiques économiques et entre lesmains de leurs adversaires historiques
:
les ingénieurs des corps techniquesdu
ministère del'agriculture. Enfin,
les lois de décentralisation ont pour conséquence le transfert aux conseilsgénéraux des laboratoires vétérinaires départementaux ce qui
affaiblit
d'autant les services de1'État.
Si
cette double
histoire
des
servicesvétérinaires
et
de
la
répressiondes fraudes,
et
lepositionnement problématique des vétérinaires
au
seindu
secteuragricole,
constituent desfacteurs de tension, les différents acteurs des politiques publiques de
I'alimentation
partagentune
approchecommune
de l'aliment
qui
s'illustre
dansune doctrine
internationalementreconnue
et
unifiée
autour des règlesdu
CodexAlimentarius
et
des accordsdu GATT
de 1994.Depuis sa création
en
1961,la
commissiondu
CodexAlimentarius,
commissionmixte
deI'OMS
et dela
FAO,
atravaillé
à la prise en compte dela
santédu
consommateur dans lesnormes
alimentaires.
Sestravaux sont
restés sans grands enjeuxjusqu'en
1994, lorsquel'accord GATT-SPStt,
couvrant les aspects sanitaires liés àl'alimentation,
afait
du Codex la référenceinternationale
sur
la
basede laquelle les conflits
commerciaux devaient
être tranchés.L'accord SPS prévoyait
notamment
que
les
États
devaient
élaborer
et
appliquer
leur législation surla
base d'une évaluation des risques menée conformément àla
méthodologiefixée par les organismes internationaux compétents, méthodologie que
le
Codex a formaliséeen
1995 en insistant surla
nécessitéd'une
stricte séparation entre évaluationet
gestion desrisques (Bureau, 1998 ; Soyeux, 1999)
Parallèlement,
la
méthode HACCPI2qui
vise à identifier et à contrôler
lespoints
critiquesdans
la
chaînede production
s'est progressivement imposée comme standard internationaldans les industries agroalimentaires
(IAA),
contribuant à faire évoluer la réglementation et lapratique
des administrationsd'une
obligation
de
moyensvers
une obligation de
résultat. (Bureau, 1998).L'ensemble
de
cet
acquis
doit
beaucoup
aux
administrations françaises
qui
présidentnotamment depuis sa création
la
commission des principes générauxdu
Codex.Il
résume Il Sanitary and Phytosanitary Measuresl'approche française et européenne du risque alimentaire : la
définition d'un
niveau de risqueacceptable, à
partir
d'une évaluation scientif,rque indépendante de la décision politique, et uneconception
de
la
chaîne alimentaire baséesur
la
responsabilitéde tous les
intervenants etI'autocontrôle.
Frères ennemis administratifs,
concurrentsdans
l'activité
de
contrôle,
les
services desministère de
I'agriculture
et de la consommation partagent donc une culture et une conceptioncommune de
l'alimentation
qui se double d'une longue habitude detravail
côte à côte au seindes instances nationales, européennes et internationales.
L'aliment
est à leurs yeux un produitvivant,
susceptible de semodifier
à chaque stade de saproduction, de sa transformation et de sa distribution.
La
gestion des risques sanitaires etl'orqanisation
del'évaluation
des risques:
unchantier ouvert
L'ambivalence des rapports entre agriculture et consommation se retrouve dans
l'actualité
desannées
qui
précèdent l'éclatementde
la
crise de
la
< vachefolle
>.
Pendantla
campagneprésidentielle
de
1995,J.
Chirac
se déclare partisand'un
grandministère de l'agriculture
regroupant la production agricole, le développement rural et l'alimentationl3. Lors de la mise
en place
du
gouvernement Juppé, P. Vasseur, nouveau ministre del'agriculture,
réclame la tutelle du service dela
répression des fraudes mais échoue de justesse, notatnment dufait
de1'opposition farouche des associations de consommateurs. Néanmoins,
l'alimentation
figuredans
l'intitulé
de son ministère(Huriet,
I997ara et entretien avec un ancien haut fonctionnairede
la DGCCRI). Malgré
cet
échec,le
ministère de I'agriculture s'appuie dès
1995sur
lanécessité de transcrire des directives communautaires dans le
droit
français pour élaborer unprojet de
loi
permettantd'élargir
les compétences des services vétérinaires versl'amont
de lafilière
(les exploitations) et versI'aval (la
distribution)rs . Ce projet vise également à donneraux services du ministère de larges compétences en matière de contrôle et de police sanitaire
des
produits
végétaux. L'ensemblede
cette
stratégie est tournéecontre
la DGCCM
qui verrait ainsi ses pouvoirs et son champ s'intervention considérablement amoindris.Cette
conflictualité
n'empêchepas
la
DGAL
et la
DGCCRF
de
mener
de
concert
uneréflexion sur I'organisation de l'expertise scientifique dans le domaine de l'alimentation.
t2
HazardAnalysis Critical Control Point 13
Le Monde, l0 Mai 1995
ra
cornpte-rendu de I'audition d'H. Gaymard, pp 322-335
15 Il
s'agit du projet de loi relatif à la qualité sanitaire des denrées destinées à I'alimentation humain ou animale
Historiquement, l'essentiel
de
la
fonction
d'expertise des risques sanitaires esttenu
par
leConseil
Supérieurd'Hygiène Publique de
Franceet par
sa
sectionde l'alimentation.
Lesmembres de cette section sont majoritairement des médecins et son secrétariat est assuré par
la Direction
Générale dela
Santé (DGS),qui
exerce latutelle du
CSHPF.Mais la
nature del'expertise
internedu
CSHPFet
des compétences dela
DGS
se révèlent insuffisantes pour produireles avis
scientifiquesdont ont
besoinla DGAL et la
DGCCRF
aussibien sur
lesscènes nationales qu'européennes
ou
intemationales.Au
fil
des années,l'identification
denouveaux enjeux et
la
volonté defaire
émerger des instances d'expertise et d'évaluation desrisques
plus
pointueset plus
performantesont
débouchésur
la
création
de
commissionsspécialisées,
notamment
dans
les
domaines
de
I'alimentation animale
(CIIAA),
del'alimentation particulière (CEDAP), des
technologies alimentaires,
des habitudes
deconsommation alimentaire
(OCA). Mais le
point
communde
I'ensemblede
ces structuresrestait leur absence d'autonomie, puisque les ministères en assuraient le secrétariat, le manque
de moyens de fonctionnement, et l'absence de reconnaissance de I'expertise qui en détournait
les meilleurs chercheurs
(ENA,
1998, entretiens avec des hauts fonctionnaires de laDGS,
de laDGAL
et de la DGCCRF).Les tentatives de revalorisation
de l'expertise
et
de renforcementde
la
recherche dans lesdomaines cruciaux pour la sécurité alimentaire n'aboutissaient pas. Même dans le domaine de
I'ESB, le
rapport
réalisépar
D.
Dormont
en
1992à la
demandedu
gouvernementet
qui concluait sur des demandes de moyenslimités
pour renforcerla
recherche sur lesprions
n'a
pas étésuivi
d'effets(Mattei,
1997)"Dès le début des années 90, les responsables de la qualité et de la réglementation de plusieurs
groupes industriels ont commencé à s'inquiéter de la
prolifération
des structures et à défendrel'idée d'une
simplification
à
travers
l'émergenced'un
structurenouvelle
qui
constitueraitdans le domaine de l'analyse des risques alimentaires une interface unique. Les scientifiques
se seraient progressivement
ralliés
à cette idée en prenant conscience dela
précaritéet
desdifficultés
de
fonctionnement
des
différentes commission
dans
lesquels
ils
siégeaient.(entretien, un ancien directeur d' administration centrale).
Dans
ce
contextede
dispersionet
de faiblesse des structures d'expertisel6,la
nécessité derenforcer
I'action
de
la
Franceface
à la
demande croissante provoquéepar
la
production législative européenneet
le
développementdu rôle
des instances internationales,conduit
àune première tentative
de
regroupementet
de
coordinationautour
du
CNERNAIT
institué comme tête de réseau française del'évaluation
des risques alimentaires. Cettevoie
montrenéanmoins rapidement ses limites.
16 On s'est ici limité à décrire le champ de I'expertise mais ce constat de dispersion vaut également pour la
recherche. Les ressources situées dans le champ du ministère de I'agriculture sont elle-mêmes éclatées entre le
CNEVA, I'INRA,I'IFREMER,Ie CEMAGREF,... (Huriet, 1997, ENA, 1998)
17
Centre National d'Étude et de Recherche sur la Nutrition et I'Alimentation, groupement scientifique associant
C'est
alors
quel'idée d'une
structurejuridiquement
autonome, chargéede I'animation
del'expertise
et
dotée des moyens corespondants, est apparue dansles réflexions
internes àl'administration
:<
L'émergence duprojet
d'agenceen
1996 correspondait au mûrissement d'uneidée ancienne.
Au
constat des limites du CSHPF avait succédéla
création autourde
la
DGCCRF de plusieurs commissions spécialisées, puisla
tentative de faire monter en puissancele
CNERNA.
L'impassesur
laquelle avaient débouché cespistes avait
amené
l'idée
d'agence.>
(entretien,
un
ancien
directeur d' administration centrale).Mais tous les acteurs insistent sur le désintérêt des responsables politiques pour cette question de l'expertise et l'isolement des fonctionnaires dans leur réflexion et leur travail quotidien.
Cet isolement est également ressenti dans
la
gestion des crises sanitaires. Pourtant, depuis lemilieu
des
années80, les
trois
directeurs généraux (santé,alimentation,
DGCCRF)
serencontrent
à
la
demande
des
ministres,
pour
réguler
les
conflits
et
développer
lescoopérations.
Ils
ont notamment en charge la gestion des crises : même si le nombre de mortsliés à la consommation de produits alimentaires décroît régulièrement
il
continue à représenterplusieurs centaines de cas annuels (Apfelbaumls, 1998; .
Mais
dans leurs actions de gestiondes crises les administrations rencontrent une relative indifférence chez les politiques et dans
les médias (entretiens avec des hauts fonctionnaires de la DGCCRF et de la
DGAL).
Si les administrations ont le sentiment de traiter en vase clos les questions liées à la gestion et
l'évaluation
des risques alimentaires, elles doivent au contraire prendre en compte la pressiontrès
forte
exercée sur elles parle
gouvernement Juppé au nom de la réforme del'État.
Dansl'optique
très volontaristequi
est la leur, le ministère et le commissariat à la réforme del'État
fixent un
objectif de principe de
réductiondu
nombre
d'administrations centrales (Bezes,2000). Cette orientation provoque une onde de choc dans les ministères. C'est notamment le
cas dans
le
champde
I'alimentation
pour
lequel
certains avancent, dansle
cadre d'uneréflexion
sur les missions sanitaires del'État,
l'hypothèsed'un
regroupement de la DGS, de laDGAL
et de tout ou partie de la DGCCRF. C'est dans ce contexte que la DGCCRF aurait dès1995 transmis
au
Commissariatà la
Réformede
l'Etat
un projet de
création
d'agence àlaquelle serait confiée
la
coordination de
la
production de I'expertise scientifique
sur
lesrisques alimentaires
le
secrétariat général des comités spécialisés existants,et
une missiond'évaluation
de
la
qualité
des
contrôles. (entretien,un
ancien directeur
d'administrationcentrale).
Malgré
I'absencede
consensus surun projet de réforme
précis,le
champadministratif
del'alimentation
est donc
traverséen
1994-1996par
des
débats,des
interrogations,et
des't
Pour 1995 le chiffre cité est de737 morts sur la base d'une définition très extensive puisque sont inclus tous les cas d'hépatite A, de MCJ,... Ce tableau cite en regard les 8875 morts liées à la consommation d'alcool (p98)initiatives
extérieures
qui
mettent
en
mouvement
les
idées
et
suscitent
des prises
deconscience, même si seuls quelques hauts fonctionnaires sont directement concernés.
Le secteu
Ces mouvements, ces débats sont-ils de nature à remettre en cause
le
leadershipdu
secteuragricole sur
I'alimentation
?On doit effet parler de leadership du secteur agricole. Le poids économique de
l'agriculture
et desIAA,
la puissance dela
FNSEA et celle de I'administration del'agriculture
appuyée sur ses corps techniqueset
ses services déconcentrés,lui
confèrentun poids
prépondérant. Eneffet,
face à cette présence sectorielle forte,le
ministère dela
santé reste trèsfaible
dans ledomaine
alimentaire
et
la
DGCCM
souffre
de ne
pas
tenir
une place centrale
sein
duministère de
l'économie
et des finances et delimiter
son champd'intervention
àcelui
de laréglementation et des contrôles. Le secteur agricole est particulièrement renforcé
en
1995 parle soutien de J. Chirac devenu Président de la République et sur lequel P. Vasseur sait pouvoir
compter.
Cette conjoncture favorable
ne
peut néanmoins masquerles
facteursde
déstabilisation duleadership agricole. La réforme de la PAC de 1992 a remis en cause les principes sur lesquels
était fondé
le
modèle
de
développementagricole.
Le
coût
de
la
PAC,
ainsi que
sesconséquences
en
matière
d'aménagementdu territoire et
d'environnementsont
désormaissoulignés et dénoncés
(Hervieu,
1994). Les rapports de la population avec l'espacerural
et lesattentes
vis
àvis
du
monde agricole évoluent (Hervieu,Viard,
1996).Enfin, La
populationactive agricole continue
à
décroître rapidement etle
poidspolitique
des agriculteurs dans lemonde rural s'atténue (Hervi eu, 1997).
Cet affaiblissement se double de phénomènes de différenciation internes au secteur agricole.
Le
centrede gravité
deI'agriculture et
deI'alimentation
se déplace progressivement de laproduction des matières premières vers les industries agroalimentaires et
la distribution.
Lesintérêts des agriculteurs
et
ceux
de
leurs
partenaires économiquessont
de plus en
plus divergents.P. Vasseur a conscience de ces éléments quand
il
arrive au ministère deI'agriculture
en 1995.Il
s'emploie
à
relégitimer
le
secteuragricole autour
de
l'alimentation.
Affirmation de
lapolitique de qualité
des produits,
modernisation économiqueet
libéralisation
du
secteur,renforcement de
l'emprise
administrativedu
ministère sur les contrôles alimentairesvont
àN'ayant pu
organiser le retour du service de la répression des fraudes au sein du ministère,il
cherche
à
en récupérer les missions. Menacé surle
terrainde
la
réformede
l'Etat
par unefusion entre
les DDAF et
les
DDEle,
il
développe dansle
domaine alimentairece qu'il
présentera comme <
l'esprit
de conquête >qui
I'anime.Il
offre
ainsi à son administration undiscours de
mobilisation.
Cette stratégieva
être battue en brèchepar
la
crise dela
< vachefolle
>.l.2.Le
retour
dela
santépublique
et
l'émergence dela
sécurité
sanitaire:
dix
années de crises et de bouleversements au
ministère
dela
santécr$es de Ia
Le
ministère
de
la
santé est historiquementun
ministère
faible. Malgré
la
puissance du mouvement hygiéniste,la législation
sanitaire a été longueà
se mettre en placeà
la
fin
duXIXème
siècle.Il
afallu
l'épidémie de grippe espagnolede
1918 pour déciderla
création en1920
d'un
ministère
de l'hygiène, de
I'assistanceet
de
la
prévoyancesociale,
dont
lescontours et les rattachements varieront en permanence
(Morelle,1996).
Ce ministère, construit
autourde la notion
de police
sanitaire, restera administrativementfaible
alorsqu'à
partir
de 1945le
système de soin connaîtraun
développement très rapide. Les trente glorieuses sont en effet marquées par la montée dupouvoir
médical et la croyancedans la toute puissance de la technique et du progrès des soins.
L'Etat,
faible,n'intervient
quepour garantir
le
contrôle du secteur par les professionnels. Ceux-ci détiennentla
maîtrise del'initiative
et développentun
système polymorphe mêlantinitiative
privée,hôpital public
etstructures associatives de collecte de fonds ou de gestion de certains domaines comme dans
les domaines de la transfusion sanguine ou des greffes
(Morelle, 1996;
Girard, 1998).Ce système montre ses
limites
au tournant des années 80:
le
retour des épidémies remet encause la toute puissance de la médecine, les scandales de sécurité sanitaire débouchent sur la
contestation globale du système,
la
prise de conscience des enjeux que constituentla
qualitédes soins et les questions de bioéthique rouvrent le débat sur
l'intervention
del'État
dans lechamp de la santé (Girard, 1998).
La
demande de la population se tourne vers la garantie quedoit
apporterl'État
de la sécurité du système de soin. On revient à lamotivation
première dela médecine d'Hippocrate : < primum non nocere >, d'abord ne pas nuire.
La
première réponse del'État
estle
retour
à une approche globale dela
santé, prenant encompte
l'ensemble
de
ses déterminants.La
nécessitéd'une
surveillance
de
la
santé desre
populations
en
collectantet
centralisant les données setraduit par
le projet
de
création du Réseau National de Santé Publique (RNSP)2O élaboré au début des années 90. La réflexion surla
sécurité des
pratiques thérapeutiques déboucheen
1989
sur
la
création
de
l'Agence Nationale de Développement del'Evaluation
Médicale.Mais
la
question dela
sécurité desproduits reste en chantier, bloquée par les résistances sectorielles
(Girard,
1998). Par ailleursles moyens administratifs et financiers de
la
DGS restent faibleset
le
ministère dela
santéréduit à un rôle accessoire de secrétariat
d'État
sans poids politique.En
1992,1'arrivée
deB.
Kouchnerà
la
têted'un
ministèrede
la
santéà part
entière, unepremière depuis longtemps,
modifie la
donne.Au-delà de
la
personnalitédu
ministre,
un hommepopulaire, doté
d'un
fort
impact
médiatique,et
politiquement important
dans uncontexte de
déclin
dela
gauche aupouvoir,
il
y
a un moment, un programme et une équipeKouchner. B. Kouchner hérite du travail mené par ses prédécesseurs et des projets sur le
point
d'aboutir
(création
du
RNSPpar
exemple).Mais
surtoutl'actualité du
volet
judiciaire
etpolitique de
I'affaire
du sang contaminé créé un contexte favorable àl'action.
B. Kouchner peut compter sur une équipe, en partie issue de cabinet du C.
Evin
avec à sa têteD.
Tabuteauet qui
partage aveclui
le projet
de
complètement réorganiserles
politiquespubliques de la santé autour des impératifs de la santé publique et de la sécurité sanitaire.
L'irruption
de la sécurité sanitaire et la création de I'agence du médicamentPour B. Kouchner et D. Tabuteau, la sécurité sanitaire consiste en :
<
la
reconnaissanced'un
droit
fondamental du malade,celui
du risque minimum,de
l'égalité
face au risque et de l'accès àl'information
> (Tabuteau,1997,pI6)'
Il
s'agit de
généraliserà
I'ensemble
du
systèmede
santé
les points
cardinaux
de
la déontologie médicale:
leprincipe
d'évaluation,I'obligation
de moyenspour
une évaluation correctedu
rapport
bénéfices/risques;
le
principe de
précaution, l'abstention
en
cas
depossible risque supérieur au bénéfice attendu ; le principe d'indépendance et
d'impartialité
del'expertise reposant sur la
distinction
entre évaluation scientifique et gestion économique;
le principe de transparence etd'information
des malades (Tabuteau, 1997).B. Kouchner cherche à aller
vite
etfort
dans la mise en æuvre de ces principes.Il
présente auconseil des ministres
du
4
Novembre
1992un projet
deloi
<relatif
au don,
à
I'utilisation
thérapeutique
du
sanghumain
et
à I'organisation
dela
transfusion sanguine>
qui
devient,après amendement par le Sénat, la
loi
no93-5 << relative à la sécurité en matière de transfirsion2o
sanguine et de médicament
>.
Cetteloi
donne naissance à I'Agence Française du Sang (AFS)et
à l'Agence
Françaisedu
Médicament(AFM). La
première agence marquela
reprise enmain
par
l'Etat d'un
secteur hier associatif et placé sousla
coupe des médecins.La
secondeapplique intégralement les principes de sécurité sanitaire : elle réalise
l'évaluation
du rapportbénéficesirisques,
délivre les
autorisationsde
mise sur
le
marché(AMM),
dispose d'une inspection propre,et
exerce au nom del'État
tous les pouvoirs depolice
sanitaire;
elle
estainsi
le
modèleadministratif de
la
sécurité sanitaireet de ce
queD.
Tabuteau appelle les< autorités de police sanitaire > (Tabuteau, 1998).
Signalant ce
tournant
conceptuel,Le
Monde
du
18 Décembre 1992titre
<le projet
sur la
transfusion sanguine : une
loi
de sécurité sanitaire >.Le développement des institutions de la sécurité sanitaire
Malgré
des résistances2l,la
mise en place
de
l'agence
du
médicamentpar
son
directeurgén&al,
D.
Tabuteau,est
une
réussite.Au
cours des
annéesqui
suivent,
les
processuslégislatifs
engagés permettentde
consolidercet
acquiset
d'assurerle
développement desinstitutions de sécurité sanitaire.
Quand S.
Veil
veut,
en
1994, remettreen
causele fait
quele
directeur
généralde
I'AFM
prenne les décisions au nom de
l'État
sans recours possible, le Sénats'y
oppose et impose sonpoint
de vue
en
commission
mixte
paritafue22.Lors
de
I'examen
du
même
texte,
unamendement de
C.
Huriet
spécifie les compétences de l'Établissement Français des Greffesafin d'en assurer le caractère substantiel23, organisant ainsi le retour de
l'État
dans un nouveausecteur sanitaire. Suite à l'examen de la
loi
de bioéthique deJuillet
1994,les mêmes sénateurssouhaitent engager
une réflexion
sur les produits de
thérapie génique
et
cellulaire
quidébouche sur la
loi
du 28Mai
1996.Au
cours de cette discussion, le constat de l'existence defailles
dansle dispositif
de sécurité sanitaire et d'absence de couverture de certains produitsles incite, avec
l'accord
du nouveau ministreH.
Gaymard, à lancer une missiond'information
parlementaire < sur les conditions de renforcement de
la
veille
sanitaire et du contrôle de lasécurité des produits thérapeutiques en France >>, mission présidée par C. Descours et dont le
rapporteur est C.
Huriet (Huriet,
1997a).Parallèlement à la démarche continue du Sénat, les réflexions menées à
I'AFM
et au ministèrela
santé convergent autour dela
nécessité de compléterle
dispositif
de sécurité sanitaire et1l
-'cï.
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Dans le cadre d'un projet de Loi sur la santé publique et la protection sociale, Le Monde des 28 Octobre,20 et
22 Décembre 1993