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Vie quotidienne et persécution des protestants dans la plaine de la Bièvre et ses environs (17e-18e siècles)

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Academic year: 2021

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Émilien ROBERT

Vie quotidienne et persécution des protestants dans la plaine de

la Bièvre et ses environs (XVIIe – XVIIIe siècles)

Mémoire de Master 2 « Sciences humaines et sociales » Mention : Sciences humaines

Spécialité : Histoire

Parcours : Histoire des relations et échanges culturels internationaux de l'Antiquité à nos jours Sous la direction de M. Gilles BERTRAND

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Émilien ROBERT

Vie quotidienne et persécution des protestants dans la plaine de

la Bièvre et ses environs (XVIIe – XVIIIe siècles)

Mémoire de Master 2 « Sciences humaines et sociales » Mention : Sciences humaines

Spécialité : Histoire

Parcours : Histoire des relations et échanges culturels internationaux de l'Antiquité à nos jours Sous la direction de M. Gilles BERTRAND

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Déclaration sur l’honneur de non-plagiat

Je soussigné(e) Émilien ROBERT déclare sur l’honneur :

- être pleinement conscient(e) que le plagiat de documents ou d’une partie d’un document publiés sur toutes formes de support, y compris l’Internet, constitue une violation des droits d’auteur et un délit de contrefaçon, sanctionné, d’une part, par l’article L335-2 du Code de la Propriété intellectuelle et, d’autre part, par l’université ;

- que ce mémoire est inédit et de ma composition, hormis les éléments utilisés pour illustrer mon propos (courtes citations, photographies, illustrations, etc.) pour lesquels je m’engage à citer la source ;

- que mon texte ne viole aucun droit d’auteur, ni celui d’aucune personne et qu’il ne contient aucun propos diffamatoire ;

- que les analyses et les conclusions de ce mémoire n'engagent pas la responsabilité de mon université de soutenance ;

Fait à : Ornacieux Le : 31 mai 2016 Signature :

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« Dieu a donc oublié tout ce que j'ai fait pour lui ? »

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Remerciements

Je voudrais en tout premier lieu remercier M. Gilles Bertrand qui a accepté de s'occuper de mon second mémoire de master après celui de l'année passée. Ses conseils m'ont été d'une aide précieuse toute au long de l'année, mais aussi durant tout mon parcours universitaire. Je souhaite aussi remercier les autres professeurs qui nous ont fait cours cette année et qui m'ont permis d'affiner et de mûrir ma réflexion autour de ce mémoire.

Ma sympathie va également au personnel des archives départementales de l'Isère qui a toujours été prompt pour m'aider lorsque je recherchais mes sources. Je remercie également Mme Pierrette Faure qui s'occupe de la bibliothèque du Musée du protestantisme Dauphinois de Poët-Laval (26) pour son accueil et sa disponibilité, ce qui a rendu cette visite agréable malgré le fait qu'aucun des documents de ce musée ne m'ait été utile pour ce mémoire.

Enfin je dédie ce mémoire à ma famille et à mes meilleurs amis qui m'ont soutenu durant toute l'année, mais également durant toutes mes études, et qui ont participé à la réalisation de ce mémoire en me confiant des ouvrages d'histoire locale, en relisant mon texte et en écoutant mes plaintes. J'en profite aussi pour remercie Aurélien DELSAUX, professeur de Français et écrivain aux multiples talents, qui a très aimablement accepté de m'aider à corriger les coquilles qui se sont glissées dans mon texte.

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Sommaire

Introduction...10

Partie I :...20

Une relative paix sous le régime de l'édit de Nantes (1598-1680)...20

Chapitre 1 - L’application de l’édit de Nantes : entre revendications et inefficacité : l’exemple de La Côte-Saint-André (1610-1635)...21

L'organisation arbitraire de l'édit de Nantes...21

Les rébellions huguenotes des années 1620 et leur impact sur la Côte...22

L’impossible ambition de l’édit de Nantes...24

Chapitre 2 - La question de la conversion religieuse au XVIIe, l'exemple de Suzanne Simond...27

Le problème de la conversion au XVIIe siècle...27

Une histoire de famille avant tout...29

L'instinct de préservation d'une famille...30

Chapitre 3 - Les manifestations de la politique anti-protestante de Louis XIV dans la plaine de la Bièvre en 1662...34

Les faussaires huguenots de Roybon ...34

Psaumes et prières publiques à La Côte-Saint-André ...37

Partie II :...41

L'action du royaume de France contre les huguenots (1680-1745)...41

Chapitre 4 - La mise à mort des consistoires locaux à partir de 1680...42

L'arrêt du 7 mars 1682 concernant les protestants de la Côte-Saint-André...43

La coalition des trois ordres contre la R.P.R...45

La riposte des réformés côtois...46

Chapitre 5 - La gestion des biens des protestants fugitifs après 1685 ...49

La gestion en régie biens des consistoires de Saint-Marcellin, Beaurepaire et Roybon. 50 Le bailliage par l'Etat aux particuliers des biens confisqués ...53

Une gestion arbitraire des baux ...55

Chapitre 6 - Les mesures prises contre les protestants et nouveaux convertis entre 1685 et 1745 ...58

La guerre aux portes du Dauphiné...58

Les impôts et leur impact sur les nouveaux-convertis...60

Les nouveaux-convertis premiers financiers des armées...61

Partie III :...65

Seuls contre tous : Les huguenots face à leur Histoire (1680-1746)...65

Chapitre 7 - Les derniers soubresauts huguenots (1683-1688)...66

Le projet national de mai 1683...66

Une mobilisation limitée et éparse ...68

La chasse aux potentiels exilés ...70

Chapitre 8 - Sur les traces de l’exode des huguenots Bièvrois ...73

L’exil protestant vers la Suisse et le Saint-Empire...75

La taille de la population huguenote de la plaine de la Bièvre à l'heure de l'exil...76

Le périple des familles vers la Suisse et l'Empire...79

Chapitre 9 - La bibliothèque du Désert ...84

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La plaine de la Bièvre, un théâtre du désert protestant ?...86

La bibliothèque du ministre du Désert ...88

La menace des huguenots ...91

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Introduction

La plaine de la Bièvre est le nom porté par les territoires qui s'étendent entre le passage de Rives et les abords de la vallée du Rhône. Cette plaine est née après la disparition des derniers glaciers de l'ère préhistorique, il y a environ 19.000 ans1. Ces glaciers ont creusé une vallée qui s'étire environ sur une douzaine de kilomètres de largeur, entre le plateau de Chambaran et les coteaux de la Côte-Saint-André. Cette plaine longue de quelques trente kilomètres regroupe en son sein plusieurs villes et villages de petite et moyenne taille, dont les plus importants sont la Côte-Saint-André, Saint-Etienne de Saint-Geoirs, Roybon et Beaurepaire. La plaine de la Bièvre doit son nom, selon les auteurs locaux, aux loutres ou aux castors qui vivaient auparavant paisiblement dans les étendues d'eau de la plaine. En effet le mot « loutre » puiserait ses origines du vieil italien bevero qui aurait donné bièvre en vieux français2.

Le titre de ce mémoire, Vie quotidienne et persécution des protestants dans la plaine

de la Bièvre et ses environs (XVIIe et XVIIIe siècles), démontre une volonté de se focaliser sur

la population protestante de la plaine de la Bièvre et ce sur une période relativement longue, mais néanmoins nécessaire, pour étudier et comprendre l'évolution de la condition protestante dans cette aire géographique. La mention des environs de cette plaine se justifie par l'ajout à cette zone de Saint-Marcellin et sa périphérie, puisque des connexions existaient entre les huguenots de la plaine de la Bièvre et ceux plus proches de la vallée de l'Isère.

Cette étude ciblée sur les huguenots de la plaine de la Bièvre est la première à ce jour, et répond à un vide historiographique concernant cette zone, et mais aussi pour le Nord-Isère dans son ensemble. Il y a bien entendu des ouvrages d'historiens amateurs, d'érudits passionnés par la question locale, mais aucun d'entre eux n'a jamais tenté une étude entièrement consacrée au culte réformé. De plus une grande majorité des ouvrages traitant du protestantisme s'intéressent aux espaces géographiques où ce mouvement a donné sa pleine puissance, comme l'actuel département de la Drôme, un des lieux où la ferveur pour la Réforme fut la plus forte du royaume de France. Les huguenots du Nord-Isère dans leur ensemble n'ont été que peu étudiés.

Pour cette étude, la quasi-totalité des sources à notre disposition proviennent des fonds des Archives Départementales de l'Isère (ADI) qui nous fournissent quantité de documents relatifs à la période étudiée, malgré un espace géographique réduit et l'état parfois très

1 Julien Thibert, Eric Seveyrat, Le Nord-Isère en dates et en cartes, Lyon, EMCC, p.8. 2 Abbé Clerc-Jacquier, Histoire de la Côte-Saint-André, Paris, Res Universis, 1992, p.4.

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endommagé de certains documents qui ont malgré tout survécu aux ravages du temps jusqu'à nos jours. Ces archives se présentent sous plusieurs formats, que ce soient des procès-verbaux d'officier, des écrits conservés par des notaires, avocats ou juges, et également des registres d'imposition, les rôles, qui donnent de précieuses indications sur la population et les individus eux-mêmes. Internet nous sera également très utile puisqu'il existe en ligne un site qui met à disposition de chacun (et gratuitement) des fiches détaillées issues des registres tenus par les bureaux d'aide aux réfugiés de Suisse et d'Allemagne durant l'exode des huguenots français vers ces territoires3. Cet inventaire est à mettre au crédit de Michelle Magdelaine qui depuis les années 1980 a lancé ce projet de collecte et saisie de l'intégralité de ces registres afin de créer une incroyable base de données sur le refuge huguenot. L'utilité de cette base de données pour des questions généalogiques est évidente, mais ces fiches nous en apprendront énormément sur l'exil protestant de la plaine de la Bièvre, mais aussi sur la population en général dans cette zone.

Néanmoins avant de plonger avec passion dans cette étude, il nous faut faire un point historique sur la plaine de la Bièvre et le Dauphiné afin de mieux appréhender l'état dans lequel se trouvent les factions catholiques et protestantes quelques années après le passage de l'édit de Nantes et quand commence notre étude.

La plaine de la Bièvre fait partie du Dauphiné et par conséquent leur histoire est commune. Les premières mentions de cette zone se font avec les tribus gauloises ou celtes qui s'implantent dans la zone, notamment sous l'impulsion des Allobroges, tribu qui occupait les territoires entre le Viennois et la Savoie avant la conquête de la Gaule par les Romains au Ier siècle avant notre ère4. Par la suite certains bourgs prirent une certaine importance sous l'impulsion des Romains qui se servaient de ces villes pour faire étape sur la route entre Vienne et Cularo (ancien nom de Grenoble à l'époque)5. Lorsque l'Empire tomba au Ve siècle et que les territoires furent soumis aux peuples venant de l'Est de l'Europe, les Burgondes puis les Francs possédèrent les territoires où se trouve la plaine de la Bièvre. Par la suite la plaine fut intégrée aux possessions du Royaume de Bourgogne qui lui même fut intégré à l'héritage de Lothaire en 843 lors du traité de Verdun consécutif à la mort de Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Enfin à la mort de Louis II en 879 le gouverneur de Vienne, Bozon, s'empare de la province et proclame la renaissance du royaume de Bourgogne. Ce royaume deviendra

3 www.refuge-huguenot.fr. 4 Abbé Clerc-Jacquier, op.cit., p.9. 5 Ibid., p.9.

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vassal du Saint-Empire vers 10326. Le développement du Dauphiné et de la plaine de la Bièvre se fit alors sous le signe de l'opposition avec la Savoie. La ville de La Côte-Saint-André fut un temps une possession du duché de Savoie, avant que divers traités ne rattachent cette portion de la Bièvre au Dauphiné7.

De fait la question religieuse de ce mémoire est intimement liée à la condition du Dauphiné et de ses habitants. En tout premier lieu, le transport du Dauphiné au royaume de France fut le point de départ d'une histoire parfois compliquée entre les Dauphinois et le royaume de France. L'endettement des dauphins qui dirigeaient la principauté du Dauphiné au XIVe siècle était tel que lorsque Guigues VIII mourut en 1333 et que son frère Humbert II lui succéda, ce dernier prit conscience de l'état de son nouveau fief et entama une procédure qui visait la sauvegarde du Dauphiné tout en le soumettant à une entité supérieure et capable d'assurer la survie économique du territoire. Se tournant d'abord vers son oncle le roi de Naples, Humbert II essuya un refus qui le poussa à négocier avec le pape et son puissant voisin le roi de France8.

C'est finalement le roi de France qui remporta le Dauphiné en juillet 1349. Le passage du Dauphiné sous la domination du royaume de France entraîna une limitation progressive des avantages que possédaient les Dauphinois, principalement d'un point de vue fiscal. L'intégration du Dauphiné au système royal avec le parlement de Grenoble se fit sur les bases d'un projet déjà tenté par Humbert II lors de son règne, le Conseil delphinal9. L'objectif du dauphin était alors d'avoir une institution capable de faire le lien entre le pouvoir et les habitants. Ce Conseil avait existé jusqu'en 1344 avant d'être dissous10. La volonté d'Humbert II devait permettre une meilleure relation entre le gouverneur de la province et le peuple. Cette institution devait également être garante de l'indépendance du Dauphiné, indépendance négociée avec le roi de France. Le projet d'un parlement en Dauphiné s'étira sur plusieurs décennies alternant succès et échecs11. Le Conseil delphinal se manifesta sous plusieurs formes, plus ou moins efficaces, mais c'est à l'aube du XVe siècle que le Conseil devint réellement efficace, et porta également le coup de grâce à l'indépendance relative du Dauphiné vis-à-vis du royaume de France.

C'est la prise de pouvoir effective de Louis XI en tant que dauphin actif et présent sur

6 Nicolas Chorier, Histoire générale du Dauphiné, tome 1, Editions des 4 seigneurs, Grenoble, 1971, p.580. 7 Anne Lemonde, Le temps des libertés en Dauphiné, Grenoble, PUG, 2002, p.14.

8 Ibid., pp.126-127. 9 Ibid, pp.37-38. 10 Ibid., p.38.

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son domaine qui modifia une dernière fois le parlement avant qu'il obtienne sa forme finale. Le dauphin, après une querelle avec son père, fut accusé d'avoir comploté contre Anne Sorel, la favorite de Charles VII, il fut chassé de la cour et vint s'établir dans le Dauphiné12. De 1447 à 1456 Louis XI administra son fief à la manière d'un royaume, et il en résulta un accroissement de l'autonomie du Dauphiné. Mais tout cela s'arrêta lorsque Louis XI abandonna face aux armées envoyées par son père. Le Dauphin parti, son administration s'effondra et Charles VII instaura un parlement sur les modèles de ceux qui existaient déjà à Toulouse et Paris. L'installation de ce parlement marqua le point de départ de la dissolution des prérogatives du Dauphiné, une marche forcée vers la disparition de la principauté qui se poursuivit jusqu'au XVIIe siècle et même au-delà 13.

La fin de l'indépendance théorique du Dauphiné n'explique pas à elle seule pourquoi tant d'hommes et de femmes se sont tournés vers le protestantisme au XVIe siècle. Un autre courant de pensée spirituelle qui parcourut la fin de la période médiévale est souvent avancé comme l'un des possibles facteurs de l’engouement des Dauphinois pour la Réforme. Ce mouvement spirituel est le courant vaudois. Fondé par Valdès (ou Pierre Valdo selon les textes) ce courant de pensée est considéré par beaucoup comme précurseur de la Réforme. Il faut dire que de nombreux éléments vaudois se retrouvent dans les deux courants. Tout d'abord une traduction de la Bible en langue vulgaire, afin de permettre au plus grand nombre de lire et comprendre les textes saints. De plus il existait également chez les vaudois un rejet de certains sacrements de l’Église comme l'extrême-onction ou la confirmation, trait que l'on retrouve chez les protestants qui se séparent également de certains sacrements14. Les vaudois qui se répandirent dans le Dauphiné, et surtout les vallées des Alpes, à la fin du XIIe siècle, rencontrèrent des hommes et femmes déjà en opposition avec l’Église romaine, que ce soit à cause de la dépravation du clergé, un discours que l'on retrouve aussi chez les huguenots, mais qui avait aussi été influencé par les Cathares et les théories venues de prédicateurs suisses15. Le Dauphiné constituait donc déjà au XIIe siècle un terreau idéal pour l'implantation de la Réforme, et l'on retrouve la trace des vaudois jusqu'à Beaurepaire en 137416. Durant trois siècles les vaudois vont subir les foudres de l’Église, tour à tour assaillis par l'Inquisition et

12 Vital Chomel (dir.), Dauphiné, France, De la principauté indépendante à la province (XIIe – XVIIIe siècles), Grenoble, PUG, 1999, p.92.

13 Ibid., p.145.

14 Eugène Arnaud, Les Vaudois du Dauphiné (de Valdo à la Réforme), Editions Ampelos, 2008, p.39. 15 Ibid., p.60.

16 Pierrette Paravy, De la Chrétienté Romaine à la Réforme en Dauphiné, tome 2, Rome, Ecole Française de Rome, 1993, p.955.

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par les armées royales17. Cette persécution limita leur nombre et renferma la communauté sur elle-même au point que nombre d'entre eux ne subsistèrent que de l'autre côté des Alpes, dans le Piémont. Les vaudois firent un premier pas vers la Réforme en 1526 lorsqu'il envoyèrent deux de leurs sages en Suisse, d'où ils revinrent avec bon nombre de textes luthériens et des promesses quant à l'avenir de ce courant spirituel novateur18. C'est en 1532 qu'est actée la réunification entre vaudois et réformés lorsque des envoyés du Piémont assistèrent au synode de Champforans19.

Si les vaudois s'étaient retirés vers les montagnes au fil du temps, il n'en demeure pas moins que leurs idées se sont propagées jusque dans la plaine de la Bièvre, ouvrant la possibilité au protestantisme de s'y imposer également. Les premières mentions du protestantisme et de la plaine de la Bièvre remontent à l'année 1534 où un certain Thomas Berberin originaire de « la Coste en Dauphiné » fut mentionné durant l'Affaire des Placards de 1534 et fit partit des 73 ajournés du parlement de Paris le 25 janvier 153520. Le ministre de la Côte-Saint-André est également mentionné dans un article relatif à Calvin, comme étant en correspondance avec lui en 155921. Par ailleurs Patrick Cabanel indique dans son Histoire des

protestants de France que lors de la première vague de migration des protestants vers la

Suisse au milieu du XVIe siècle, La Côte-Saint-André fut l'un des principaux pourvoyeurs de ministres à Genève22. Tous ces éléments nous indiquent une certaine vigueur du courant protestant dans la plaine de la Bièvre, qui semble se hisser très près du niveau du Sud-Dauphiné, de Valence, Gap et Die qui étaient en ce temps les fers de lances de la réforme dauphinoise.

Afin d'illustrer l'importance de la Réforme dans la plaine de la Bièvre abordons dans cette introduction les Guerres de religion qui se sont abattues sur le royaume de France à partir de 1562. La violence des Guerres de religion a déchiré le royaume de France entre catholiques et protestants. Ce conflit, que l'on peut qualifier de guerre civile, va durablement affecter la mémoire collective des Français tant par la violence des combats que par la portée politique des conflits. L'affrontement entre les familles de Guise et de Condé, chacune représentant l'une des factions, déchira la noblesse française avec son lot d'alliances, de

17 Eugène Arnaud, Les Vaudois..., passim. 18 Ibid., p.209.

19 Ibid., p.234.

20 V.-L. Bourrilly, N. Weiss, « Jean du Bellay, les protestants et la Sorbonne (1529-1535) », Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1904, n° 53/3, pp.97-143.

21 Jacques Pannier, « Variété, notes géographiques à propos de Calvin », Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, 1928, n° 77/3, pp. 268-302.

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complots et de trahisons. Le Dauphiné bien entendu n'est pas épargné par le conflit, et la forte proportion de protestants qui peuplaient le sud de la province fut au centre des combats. La venue du grand Prieur de France, frère du duc de Guise, à Lyon en avril 1562 marque le début de la répression contre les protestants dans la province23.

Lorsqu'éclatent les premiers heurts en 1562, la date du 1er Mars est généralement retenue comme le début de la guerre civile. C'est en ce jour qu'eut lieu le massacre des protestants de Wassy par les troupes du duc de Guise24. Aussi les premières incursions de la guerre dans la plaine de la Bièvre se firent à Beaurepaire, qui était déjà en ce temps là marquée par la religion réformée. Après la défaite des troupes protestantes près de Roussillon, leur chef Montbrun se réfugia donc à Beaurepaire où il espérait sûrement recueillir le soutien des habitants ainsi que leur assistance. Mais il fut vite rejoint par les forces catholiques commandées par le duc de Nemours, et après quelques escarmouches les protestants fuirent du côté de La Côte-Saint-André où les soldats réformés demeurèrent quelques temps25. La nomination par le roi de Maugiron à la lieutenance générale du Dauphiné en mai 1562 donna lieu à quelques démonstrations militaires dans le Dauphiné. Après avoir soumis Grenoble, Maugiron eu l'ambition de parcourir sa province pour y asseoir son autorité ainsi que s'assurer l'obéissance de ses sujets26. En d'autre terme, Maurigon s'apprêtait à reconquérir le Dauphiné aux protestants.

La première étape de sa campagne, qui part de Grenoble le 16 juin 1562, fut la Côte-Saint-André. La ville qui avait résisté à Montbrun et donc fait allégeance aux protestants. Aussi Maugiron fut averti que les habitants de la Côte se préparaient à défendre la ville contre ses troupes. Il ordonna néanmoins que la ville lui ouvre ses portes et l'accueille avec les honneurs dus à son rang de gouverneur de la province. Ce à quoi les habitants de La Côte, en grand nombre favorables aux huguenots, répondirent en chassant les officiers catholiques de l'enceinte de la ville et accueillirent à bras ouverts les quelques 7000 soldats commandés par les capitaines Porte et Carrouges à la solde du baron des Adrets27. Ainsi lorsque les troupes de Maugiron se présentèrent devant les portes de la ville avec la ferme intention d'y pénétrer, avec ou sans l'accord des habitants, ces derniers ne cédèrent point et repoussèrent les forces catholiques qui prirent alors la direction de Romans où l'accueil fut similaire. Dès lors Maugiron fut contraint de se rendre à Saint-Marcellin où il put enfin entrer dans l'enceinte

23 Nicolas Chorier, Histoire générale du Dauphiné, tome 2, Editions des 4 seigneurs, Grenoble, 1971, p.543. 24 Patrick Cabanel, op.cit., p.80.

25 Abbé Clerc-Jacquier, op.cit., p. 26. 26 Nicolas Chorier, op.cit., pp.557-558. 27 Ibid., p.27

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d'une ville peu avant que les combats ne cessent, pour un temps seulement28.

Les mouvements militaires reprirent dans la plaine de la Bièvre en 1567. Le général de Gordes qui occupait la tête des armées dans le Dauphiné dirigea ses troupes sur Beaurepaire et Saint-Etienne de Saint-Geoirs pour contrer l'avancée des troupes protestantes dans la Valloire29. Il stationna avec ses troupes à Faramans dans la nuit du 11 décembre 1567. C'est à ce moment là qu'il fut informé de la volonté de l'Etat-major protestant de s'emparer de La Côte-Saint-André.

Cependant face à la taille imposante de l'armée protestante, de Gordes est obligé bien malgré lui de rappeler dans ses rangs les troupes qu'il avait laissées à La Côte afin de s'assurer un effectif conséquent pour assiéger La Tour-du-Pin. La ville de La Côte-Saint-André fut donc livrée à elle-même face à l'armée protestante approchant de ses remparts. Lors de son séjour à Lyon, de Gordes envoie le seigneur de Bressieux, qui répondait au nom de François de Meüillon de Grolée, seigneur notable de la plaine de la Bièvre, négocier l'apport de troupes catholiques avec le président de Birague mais échoue à faire grandir les rangs de l'armée du général de Gordes30. Pendant ces négociations, La Côte tomba aux mains des troupes protestantes menées par les officiers d'Acier et Cardé, ces derniers séjournant un temps dans la ville31. Durant leurs séjours les d'Acier et Cardé firent tout leur possible pour recruter de nouveaux partisans, mais également s'assurer le soutien des protestants de la Côte qui étaient nombreux en ce temps là. La Côte-Saint-André, un temps ville majeure du Dauphiné au temps de la gestion directe du Dauphiné par Louis XI, démontre à nouveau qu'elle est acquise à la cause protestante.

Néanmoins cette domination ne dure qu'un temps. En effet après la défaite surprise des troupes huguenotes à Saint-Marcellin, l'armée catholique se montra enfin conquérante et reprit les places de Crémieu, Quirieux, La Tour-du-Pin, Moras et Bressieux32. L'encerclement de la Côte prit forme et bientôt, les généraux protestants le savaient, l'assaut serait donné sur la ville. D'Acier décide alors de quitter les lieux et laisse la ville au commandement de Pipet, avec en tout et pour tout 300 mousquetaires pour défendre la place. Ceci n'affecta pas le moral de Pipet qui tenta plusieurs raids sur les villes et villages voisins afin de les joindre à sa cause. Il en profita également pour former sur place des habitants dans l'optique d'une défense de la

28 Abbé Clerc-Jacquier, op.cit., p.27. 29 Ibid., p.30.

30 Nicolas Chorier, op.cit, p.618. 31 Ibid., p.618.

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ville.33

Alors que d'Acier ralliait l'armée du Languedoc, de Gordes envoya une fois encore le seigneur de Bressieux en mission, cette fois-ci à la tête des troupes chargées d'apporter leur soutien au gouverneur de Saint-Héran, en position délicate face à l'avancée des protestants. Constatons ici le rôle important du seigneur de Bressieux dans cette armée catholique. Les soldats conduits par François de Meüillon de Grolée affrontèrent les troupes protestantes près de Ganat, dans une bataille qui fut remportée par les huguenots, fort d'un effectif de plus de 8000 hommes34. Cette victoire fut décisive pour les protestants qui se rendirent maîtres du Sud-Dauphiné où les places-fortes de Montélimar, Valence, Romans et bien d'autres se liguèrent sous la bannière protestante.

Cette défaite fut un véritable coup dur pour de Gordes et les catholiques qui se mirent alors en ordre de bataille pour reprendre la Côte-Saint-André aux protestants. Les conseillers du général l'en dissuadèrent, sa position relativement précaire dans la plaine de la Bièvre et la qualité des troupes dirigées par Pipet constituant deux obstacles à son entreprise. Aussi de Gordes usa de patience et il se rendit devant La Côte le 2 janvier 1568. De là il attendit des renforts qui vinrent du Forez comme de l'Italie. Le baron des Adrets, qui avait changé de camps se joingnit à de Gordes et s'installe avec ses 2000 soldats à Ornacieux, village voisin distant de cinq kilomètres35. De là il attendit l'assaut qui devait avoir lieu le 3 février.

Au second jour de l'assaut, le 4 février, le siège est mis sur la Côte36. Une brèche dans la porte de Vienne, située à l'Ouest de la ville offrit la possibilité aux catholiques de pénétrer l'enceinte fortifiée de la ville. C'est à l'occasion de cette attaque que le prieuré des moines de Saint-Ruf fut détruit par les soldats huguenots. Si de Gordes est blessé durant l'assaut de la ville, il n'est pas capturé et les défenseurs parvinrent à combler la brèche. C'est alors que débute un siège en règle, qui ne se termina que le 15 février au matin. En effet après avoir tenu leur position pendant près de dix jours, les protestants se rendirent à l'évidence que sans renforts ils ne pourraient conserver la ville plus longtemps. Dans la nuit du 14 au 15 février les huguenots quittent la ville en toute discrétion37. Au matin les forces catholiques menées par de Gordes entrent en vainqueurs dans La Côte. Pour punir la ville de son attachement au protestantisme, de Gordes ordonne la destruction du mur d'enceinte de La Côte38.

33 Ibid., p.618. 34 Ibid., p.620.

35 Jean Billat, La Côte-Saint-André des origines à nos jours, La Côte-Saint-André, Monique Carraz-Billat, 1997, p.36.

36 Nicolas Chorier, op.cit, p.618.

37 Abbé Clerc-Jacquier, op.cit., pp.32-33. 38 Ibid., p.33.

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La violence des conflits se tarit après cet épisode et le Dauphiné sera pas la suite beaucoup plus calme que le reste du royaume face à un conflit qui s'enlise de plus en plus. Il faudra l'assassinat d'Henri III par le moine Clément pour permettre l'arrivée sur le trône d'Henri de Navarre, un huguenot, et voir une évolution positive aux conflits. Si Henri IV obtint la couronne de France au prix d'une conversion au catholicisme, et d'une célèbre maxime « Paris vaut bien une messe », toujours est-il que l'accession au trône de France d'un ancien protestant fut une chance pour le royaume puisque le nouveau souverain parvint à faire adopter un édit, probablement le texte juridique historique le plus célèbre, l'édit de Nantes, le 30 avril 1598. Ce texte offrit de nombreux avantages aux protestants, comme les places de sûreté, et jeta les bases de ce qui allait être la société du XVIIe siècle.

C'est ainsi que la plaine de la Bièvre fut dotée de deux temples, un à Roybon et l'autre à Beaurepaire. A ces deux-là il faut ajouter le temple de Saint-Marcellin qui est proche de celui de Roybon. Si le temple de Beaurepaire appartenait d'abord au Grésivaudan, il passe en 1605 au colloque du Viennois afin d'être lié à celui de Roybon qui n'avait pas assez de fonds pour entretenir seule un pasteur. Le ministre allait et venait alors entre ces deux temples39.

Et c'est justement sur cette société que va porter notre étude. Car si l'objet de ce mémoire est la communauté protestante de la plaine de la Bièvre, cette communauté est indissociable de l'environnement dans lequel elle évolue. Le changement radical qui s'opère dans la société au XVIIe siècle grâce à l'édit de Nantes va être l'occasion d'un changement des mœurs et des comportements entre les individus. Car le but de cette étude n'est pas de faire un simple récit de ce qui s'est passé dans la plaine de la Bièvre durant l'époque moderne, mais bien de mener une étude approfondie sur ce que la liberté de culte a modifié, pour le meilleur et pour le pire, dans une société jusque là acquise au catholicisme. Par delà l'aspect social, il y a nécessairement un volet politique qui démontre l'évolution de la mentalité du pouvoir royal vis-à-vis de la Réforme, mais aussi comment la puissance royale arrive à se manifester depuis Paris, puis Versailles, jusqu'à atteindre les petits bourgs de campagnes du Dauphiné. L'objectif de cette étude sera donc double, à savoir comprendre comment l'instauration du régime de l'édit de Nantes a contribué à déchirer le tissu social rural avec l'arrivée de la liberté de culte, mais également de mesurer la présence de la puissance royale dans le milieu rural et son impact sur la population qui occupe cet espace.

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Nous verrons dans un premier temps comment s'est organisée la vie sous le régime de l'édit de Nantes, entre l'insatisfaction des huguenots de la Côte-Saint-André quant à l'application de ce texte et leur souci de préserver leur communauté face aux multiples conversions qui émaillent le XVIIe siècle et affaiblissent un parti déjà vulnérable. Nous verrons avec quel acharnement la famille Simond se hissera en défenseur de la cause protestante à la Côte-Saint-André quitte à commettre l'impensable. Viendra ensuite le temps de l'étude du renversement politique qui s'opère après la mort du cardinal Mazarin et le début du règne personnel de Louis XIV, symbolisé par une reprise des mesures anti-protestantes en 1662.

Ensuite nous étudierons les manifestations à l'échelle locale des décisions prises à Versailles par les agents royaux dans l'entreprise de destruction du protestantisme français qui a caractérisé la fin du XVIIe siècle. A travers diverses dispositions administratives et juridiques comme la révocations des privilèges donnés aux protestants dès 1682, mais aussi la création après 1685 d'une véritable entreprise de spoliation des huguenots fugitifs par le biais de la saisie de leurs biens et la mise en place d'impôts spécifiques aux nouveaux convertis.

Enfin, et ce sera notre dernière partie, nous étudierons la réaction des huguenots face à ces attaques et la réponse qu'ils opposent à la révocation de l'édit de Nantes. Tout d'abord par une réaction pacifique aux manœuvres visant à réduire leur présence, alors que celle-ci est déjà condamnée par le roi avant 1685. Nous observerons alors la seconde réaction huguenote, l'exode des protestants de la Bièvre, sa démographie, ses itinéraires et ses particularités et aussi ce que nous enseigne cette migration sur la démographie de la plaine de la Bièvre à cette époque. Nous verrons enfin comment durant le XVIIIe siècle la Réforme a subsisté dans la plaine de la Bièvre malgré l'interdit, et comment une collection de livres protestants nous apporte des éléments laissant penser à l'existence d'une église du Désert dans la plaine de la Bièvre.

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Partie I :

Une relative paix sous le régime de l'édit de Nantes

(1598-1680)

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Chapitre 1 - L’application de l’édit de Nantes : entre revendications et

inefficacité : l’exemple de La Côte-Saint-André (1610-1635)

L’édit de Nantes promulgué par Henri IV le 30 avril 1598 introduit pour la première fois une relative liberté de culte dans le royaume de France. Relative car son application comporte un nombre important de restrictions concernant la pratique de la religion prétendument réformée. D’un point de vue purement juridique, la religion réformée est autorisée sur tout le royaume, les protestants étant libres de « vivre et demeurer par toutes les

villes et lieux » du royaume de France40. Il faut ajouter à cela les places de sûreté qui sont autant de lieux garantissant la sécurité des huguenots. Pour autant la pratique formelle du culte protestant reste très encadrée. En effet seules les villes dans lesquelles le culte a été célébré « publiquement par plusieurs et diverses fois an l’an 1596 et 159741 » sont autorisées à bâtir un temple et avoir un ministre résident. Les villes citées dans l’édit de tolérance de 1577 voient elles aussi leurs prérogatives renouvelées42. Enfin les nobles de confession protestante ont le droit eux aussi de pratiquer leur culte dans leurs domaines, dans ce qui sera par la suite couramment appelé les Églises de fief43. En plus de ces garanties relatives à la pratique du culte protestant, les huguenots peuvent également accéder à certaines charges au sein de chambres partagées entre catholiques et protestants, comme c'est la cas dans le Dauphiné avec la création d'une chambre mi-partite par l'édit de Nantes, afin de garantir une justice équitable pour tous44.

L'organisation arbitraire de l'édit de Nantes

Par-delà ces avantages qui représentent une progression non négligeable pour les protestants du royaume de France, leur liberté de culte demeure en effet théorique puisque de nombreux lieux se voient refuser la pratique complète de leur culte. C’est le cas de la Côte-Saint-André. La pratique du protestantisme y est autorisée comme dans tout le royaume, mais seulement d'une façon très encadrée. En effet les prêches sont autorisés en de rares occasions qui peuvent être l’occasion de rassemblements huguenots. Les prédications y sont interdites45.

Cependant des demandes sont faites au duc de Lesdiguières, éminent protestant (il se

40 Samuel Mours, Le protestantisme en France au dix-septième siècle, Paris, Libraire protestante, 1967, p.12. 41 Ibid, p.12.

42 André Stegmann, Edits des Guerres de religion, Paris, Librairie philosophique J. VRIN, 1979, pp.131-153. 43 Samuel Mours, op.cit. p.172.

44 Patrick Cabanel, op.cit., p.354. 45 Eugène Arnaud, Histoire..., p.222.

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convertit en 1622), maréchal de France, lieutenant-général du Dauphiné, pour interjeter en faveur des protestants de la ville46. Dans un document daté de 1610 (la dégradation du document rend impossible la lecture complète de la date, mais les documents suivants présentent plusieurs fois ce document comme une ordonnance datant du 28 janvier 1610) le duc indique que les huguenots peuvent « administrer le baptême aux petits enfants » mais que ceci devra être fait dans une maison particulière qui appartient aux protestants et qui sera le lieu de leurs cérémonies47. Les prédications et l'élévation d'un temple, revendiquées par les habitants restent donc interdites par le duc de Lesdiguières.

Un parchemin signé par Louis de Bourbon, comte de Soissons, gouverneur du Dauphiné de 1612 à 1642, appartenant à la prestigieuse famille des Condé, petit cousin du roi Louis XIII et donc prince de sang, vient par ailleurs rappeler aux consuls de la Côte leur devoir d’appliquer les édits et ordonnances du roi de France48. Il leur rappelle également la précédente lettre du duc de Lesdiguières, en leur demandant de faire preuve de justice et d’équité envers les membres des deux religions. Le gouverneur renvoie également au respect des ordonnances et décrets rendus par le Conseil privé du roi, et souligne l’importance pour les protestants de respecter également le cadre juridique de la pratique de leur religion, défini par les édits et ordonnances successifs. Le document comporte la date du 14 août 1635, ce qui confirme les difficultés rencontrées par le gouvernement à faire appliquer la législation religieuse en Dauphiné, la question du respect de l'édit demeurant latente et faisant l'objet de contestations venant des deux parties afin de voir les privilèges octroyés aux huguenots de la ville limités ou augmentés selon le point de vue de chacun.

Les rébellions huguenotes des années 1620 et leur impact sur la Côte

Le fait est que les différentes phases des révoltes huguenotes qui ont émaillé les années 1620, et qui ont conduit à une réduction certaine des privilèges accordés par l’édit de Nantes, n’ont fait que semer encore plus le trouble dans la population française. Les relations plus que tendues entre protestants et catholiques, illustrées notamment par l’affaire Suzanne Simond en 1623 rendent difficile ce statu quo religieux49.

46 Jean Boudon, Henri Rougier (dir.), Histoire du Dauphiné, Des pays et des hommes..., Lyon, Horvarth, 1992, p.293.

47 ADI 4E80/203 Lettre du duc de Lesdiguières aux habitants de la Côte-Saint-André. 48 Ibid.

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Au cours de l’année 1625, les huguenots de La Côte-Saint-André ont adressé une supplique au parlement du Dauphiné afin de voir leurs prérogatives améliorées50. En effet les termes définis par l’édit de Nantes et les ordonnances successives du gouverneur ou de la commission d’application de l’édit ne conviennent pas aux pratiquants de la R.P.R. qui demandent une fois encore l’examen de leurs prérogatives par une autorité compétente.

Cette revendication se place dans la continuité de la bataille juridique entre les huguenots et les différentes incarnations de l’État qui puisent leurs origines dans l'application arbitraire de l'édit de Nantes. La demande faite au duc de Lesdiguières avait permis la mise en place d'un système protestant autonome dans la ville, la communauté pouvant baptiser ses nouveaux-nés et faire les prières nécessaires à l'accompagnement de ce sacrement. Mais point de sermon ni de prédication n'avait été autorisé. De plus seules les personnes ne résidant pas dans la ville ne pouvait assister à ces rites ou en bénéficier, ceci revenant à exclure également les protestants des communes voisines comme Bressieux, Ornacieux ou Champier qui ne bénéficiaient d’aucune autorisation pour pratiquer librement le protestantisme. Par conséquent, pour assister à une cérémonie protestante les habitants de la Côte et de ses proches environs devaient se rendre à Beaurepaire ou à Roybon, ces deux dernières se trouvant à plusieurs dizaines de kilomètres ce qui nécessitait plusieurs heures de trajet, rendant ainsi presque impossible une assiduité soutenue aux sermons.

Dès lors les protestants tentent encore en 1625 d’obtenir la possibilité de célébrer leur culte dans les règles à La Côte-Saint-André. La réponse du parlement de Grenoble nous est parvenue et témoigne parfaitement de l’hostilité des autorités vis-à-vis du protestantisme. La lettre commence par une énumération des diverses dispositions juridiques en place quant à la pratique du protestantisme à la Côte-Saint-André. Il est fait rappel de l’arrêt du Conseil du roi du 10 décembre 1609, de l’ordonnance prise par le duc de Lesdiguières le 28 janvier 1610 mais également d’une ordonnance prise par les commissaires de l’application de l’édit de Nantes le 20 avril 161451. Nous voyons là que le dispositif juridique autour de la pratique du protestantisme est déjà bien fourni, car pas moins de trois textes différents se rapportent à cette question.

Toujours est-il que la tentative des huguenots côtois pour obtenir une révision de leur cas n’est pas forcément un acte très avisé, tout particulièrement si l’on surveille la chronologie

50 ADI 4E80/203 Lettre des huguenots de la Côte-Saint-André aux parlementaires de Grenoble. 51 Ibid.

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des conflits entre les chefs protestants et les rois de France. En effet l’année 1625 marque la reprise des révoltes huguenotes dans l’ouest de la France. Dès le mois de janvier les troupes protestantes de La Rochelle, craignant un siège des armées du roi de France, entament des manœuvres contre la flotte royale stationnée au Blavet, ce qui conduit à la bataille du Blavet, remportée par les protestants le 17 janvier. En représailles Louis XIII s’empare de l’île d’Oléron et met le siège sur La Rochelle qui se rendra en 1626, ce qui conduira à la signature du Traité de Paris en février 1626 qui reprenait les termes de celui de Montpellier signé le 9 octobre 1622 avec ces mêmes chefs huguenots52.

Ce conflit, le second en moins de cinq ans, entre le pouvoir royal et les chefs protestants emmenés par le duc de Rohan, rend le contexte social difficile entre protestants et catholiques. Dès lors et même si le conflit s’est cette fois ci maintenu dans le nord-ouest du royaume, la population entière est informée que les protestants ont une fois de plus pris les armes contre le roi de France. Par conséquent la demande des huguenots côtois comporte à la fois des avantages et des inconvénients. Leur demande s’inscrit dans une logique de revendications huguenotes nationales quant au respect des dispositions de l’édit de Nantes, et également comme un rempart contre ce pouvoir royal de plus en plus hostile aux protestants, le cardinal de Richelieu ayant fait de l’éradication du pouvoir politique huguenot une de ses priorités (il y parviendra en 1629)53. Dans les faits la demande des protestants n’avait aucune chance d’aboutir à un résultat positif, qui plus est en cette période où les leaders protestants sont en conflit ouvert avec le roi de France. Les parlementaires du Dauphiné et les commissaires de l'édit n’ont aucune raison de s’attirer les foudres royales en prenant le parti des huguenots contre les dispositions prises par le Conseil du roi et les autres organes législateurs à commencer par eux-mêmes.

L’impossible ambition de l’édit de Nantes

La politique des rois de France sous l’édit de Nantes a toujours visé sur le long terme la disparition du protestantisme en France. Dans le préambule même de l’édit de Nantes, Henri IV affirme son souhait de voir un jour tous les habitants du royaume de France adorer Dieu : « en une même forme »54. Ceci expose de façon plutôt claire les intentions de celui qui

52 Lucien Bély, La France au XVIIe siècle, contrôle de l'Etat puissance de la société, PUF, Paris, 2009, p.165. 53 Ibid, p.196.

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s’est converti en 1593 au catholicisme pour pouvoir monter sur le trône de France. Alors que l’édit vient tout juste d’être promulgué, la nature même de ce texte tend à limiter l’action du protestantisme dans le royaume plus qu'à lui offrir un cadre dans lequel s'exprimer.

La bienveillance du roi Henri IV vis-à-vis de ses anciens coreligionnaires n'est pas feinte ; il se souvient des massacres de la Saint-Barthélemy en 1572 puisqu'il était lui-même à Paris en ce mois d’août pour se marier avec la sœur d’Henri III55. Néanmoins cette sympathie ne doit pas masquer les efforts qui sont faits pour réduire le pouvoir politique des huguenots et de leurs chefs. L’exemple de la ville de la Côte-Saint-André s’inscrit dans cette politique de limitation de l’influence protestante.

La ville fut durant les Guerres de religion une place acquise au protestantisme, en témoigne le siège de la ville par de Gordes en février 1567 qui entraîna la destruction des remparts de la cité. Ainsi à la fin du siècle l’édit de Nantes a été signé pour pacifier une France épuisée par un conflit qui avait fauché les vies de milliers d’individus, la ville de la Côte, jouissant d’une position de carrefour économique de la plaine de la Bièvre, entre Grenoble et Lyon, ville portant les cicatrices de son lien étroit avec la cause protestante, ne jouit d'aucune autorisation d’y pratiquer le protestantisme. Néanmoins l'exil des protestants en 1567 après le siège de la ville, et le nombre important de Côtois ayant rejoint Genève au XVIe siècle permettent d'expliquer en partie l'absence du culte stable dans cette ville.

Pourtant les protestants représentaient environ 6 à 7 % de la population (un peu plus d’un million de fidèles durant le XVIIe siècle) du royaume en ce temps-là56. Cependant de nombreux nobles de haute et moyenne naissance abandonnèrent la religion prétendument réformée pour suivre la religion royale dans une volonté de servitude fortement teintée d’ambition politico-sociale57. Ce nombre faible au premier regard était également réparti de façon très hétérogène avec le « croissant protestant » qui s’étend du Poitou jusqu’au Dauphiné et fait du sud de la France le noyau du protestantisme de France58. Néanmoins le XVIIe siècle est marqué par un recul du prosélytisme des huguenots, ces derniers se contentant de maintenir vivaces leurs communautés et des avantages octroyés par l’édit de Nantes, avantages limités certes, mais ô combien importants ! Le combat de la communauté de la Côte en est une bonne illustration. Néanmoins, les huguenots sont également menacés dès la mort d’Henri IV en 1610. L’assassinat du roi par Ravaillac le 14 mai 1610 est très

55 Patrick Cabanel, op.cit. p.256.

56 Jacques Le Goff, René Remond, op.cit, p.448. 57 Patrick Cabanel, op.cit, p.411.

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certainement l’un des tournants majeurs de l’histoire de la France protestante puisque la mort d’Henri IV porte sur le trône un Louis XIII encore mineur et entraîne donc la régence de la très catholique Marie de Médicis, et plus tard l’avènement du cardinal de Richelieu dont la politique contre les huguenots sera caractérisée par les épisodes du siège de La Rochelle en 1627 et la signature de la Paix d'Alès en 1629, qui met fin à l'existence des places de sûreté.59

En étouffant la flamme protestante côtoise, en les privant de sermons et de temple, le pouvoir royal, et surtout le parlement de Grenoble, espère petit à petit éradiquer la présence protestante dans cette ville. Et pourtant, les protestants eux-mêmes dans leur supplique au parlement donnent cet argument qui sera repris dans la lettre de réponse, à savoir :

L’exercice de ladite religion qui est promis auxdits suppliants dans ledit lieu de la Cote a été réglé et limité et suivant cela lesdits suppliants ont agi sans avoir excédé la teneur dudit arret et desdites ordonnances, ni donné sujet de plainte aux catholiques dudit lieu leurs concitoyens. Ainsi ils ont toujours été avec eux en bonne paix, union et concorde60.

Hélas la bonne foi protestante ne convaincra pas les parlementaires, ni les commissaires et leurs demandes resterons lettres mortes. Cependant le résultat de ces deux décennies de revendication ne doit pas pour autant mettre les protestants de la Côte-Saint-André en position de martyrs huguenots. Les dispositions de l’édit de Nantes, bien que limitées et inégales, ne sont pas exemptes de critiques, mais ont néanmoins permis au royaume de France de faire l’expérience de la liberté de culte. Cette liberté de culte permis aux Français calvinistes et catholiques de vivre dans un contexte de paix sociale, bien que celle-ci varie selon les provinces et populations du royaume. Les lignes rapportées par les protestants en 1625 à propos de l’union et la concorde entre les habitants des deux religions vont en ce sens. Et bien qu’il soit impossible de dire avec exactitude les proportions de la communauté protestante de la Côte, les dispositions prises par les arrêts, ordonnances et édits successifs ainsi que son statut d’Église dépendante de celle de Beaurepaire-Roybon, semblent démontrer que l’importance de cette communauté était mineure au regard du nombre d'habitants que la ville pouvait compter.

59 Lucien Bély, op.cit, p.196.

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Chapitre 2 - La question de la conversion religieuse au XVIIe, l'exemple de

Suzanne Simond

La France de l'époque moderne fait pour la première fois l'expérience de la pratique d’une autre religion que le catholicisme sur son territoire. Une telle chose n'est pas inédite en Europe puisque le Saint-Empire fait déjà l'expérience de la liberté de culte au sein des différentes entités territoriales qui le composent, depuis la Paix d'Augsbourg en 1555, et le royaume de France a connu des épisodes de coexistence au XVIIe siècle grâce aux édits de pacifications61. Cette nouveauté n’apaisa que de façon relative les tensions entre les catholiques et les protestants, et les atrocités des Guerres de religion étaient encore dans toutes les mémoires. La pratique du protestantisme était considérée comme légale par l’édit de 1598, mais la réalité des faits était très différente en fonction des provinces du royaume de France. La proportion de protestants variait selon les provinces, comme en témoigne l'implantation des places de sûreté. Ces dernières sont bien plus nombreuses dans l'ouest et le sud du royaume qu'au nord, le Dauphiné comptant un nombre important de protestants, davantage concentrés dans le sud de la province62. C’est aussi pour cela que l’édit de Nantes connu bien des difficultés à être adopté dans le Dauphiné, et encore plus à être appliqué dans les villes et villages de la province. Cette tension latente et parfois très vive entre réformés et catholiques dans une même ville se trouva vite exacerbée par une affaire qui secoua la commune de la Côte-Saint-André en 1624.

Le problème de la conversion au XVIIe siècle

Cette affaire classée aux archives départementales de l’Isère sous le nom d’Affaire Suzanne Simond, et sous la cote 4E80/200, illustre parfaitement les tensions qui règnent en province sous le régime de l’édit de Nantes, qui plus est située durant une période trouble des relations entre protestants et catholiques. En effet Louis XIII et les chefs protestants emmenés par Henri de Rohan se sont affrontés dans le Poitou, la Guyenne et la Mayenne notamment, en 162163. Les places de sûreté de Montauban et Montpellier sont assiégées par l’armée de Louis XIII et de nombreux hommes perdirent la vie dans les combats qui opposent les troupes du roi de France à celle des protestants. Les hostilités continuèrent jusqu’en 1622, date à laquelle la ville de Montpellier se rendit et contraignit Louis XIII et Rohan à une paix qui ne dura que

61 Patrick Cabanel, Histoire... , passim. 62 Ibid, p.360.

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trois années avant que les combats ne reprennent en 162564.

Aussi cette affaire qui a lieu en février 1624 s’inscrit effectivement dans un contexte où les relations entre réformés et catholiques sont encore plus troublées qu’à l’ordinaire. D’autant plus si l’on prend en compte les tensions qui sont encore vives entre les huguenots, les consuls de la ville et le parlement du Dauphiné quant à l’application de l’édit de Nantes et des ordonnances vis-à-vis du protestantisme à la Côte-Saint-André. Tous les éléments sont donc réunis pour que cette histoire ait une dimension plus politique et importante qu’à l’ordinaire.

Les sources relatives à cette affaire sont des documents rédigés par le procureur royal de la Côte (son titre apparaît en haut de la première page), un document signé par une figure d’autorité judiciaire dont le titre nous est caché par le délabrement du document. Enfin le dernier document semble avoir été écrit par un homme qui vraisemblablement était ministre mais n'exerçait pas à la Côte-Saint-André, puisque aucun temple n'y était toléré. Cependant il est très probable que cet homme vienne de Beaurepaire puisque la communauté de la Côte dépend de cette Église. Cela étant dit, l’état dans lequel se trouvent les documents (des photocopies de documents originaux eux-mêmes fortement abîmés par le temps) nous forcent à la prudence quant à tout postulat définitif.

Ce que nous enseigne dans un premier temps le document signé de la main du procureur royal, c’est que le 2 février 1624 Suzanne Simond est présentée à son office afin de lui signifier qu’elle souhaitait se convertir à la religion catholique. Ce document est vraisemblablement le procès-verbal final de l'affaire, puisque l'histoire y est résumée brièvement. Le texte mentionne que cette jeune femme, qui vit encore chez son père dans un logis situé au Lion d’or est pratiquante de la religion prétendument réformée tout comme son père Le document mentionne également un autre individu répondant au nom de Dorothé Villion. Cet homme est accusé selon le document d’avoir enfermé chez lui la jeune Suzanne Simond, et plus précisément dans son cabinet. La jeune femme fut libérée bien plus tard grâce à l’intervention d’un représentant de la R.P.R.65.

Le procureur indique également dans son rapport que cet événement a causé des perturbations à la tranquillité publique, ce qui n’est pas difficile à concevoir dans la mesure où

64 Ibid, p.518.

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une jeune femme souhaitant se convertir au catholicisme disparaît soudainement. Il n’est pas impossible que protestants et catholiques se soient accusés l’un et l’autre d’avoir causé la disparition de Suzanne Simond, les protestants accusant les catholiques de l’avoir soustrait à l’autorité familiale pour faciliter sa conversion, et les catholiques accusant les protestants d’avoir tout bonnement fait disparaître celle qui causait du tort à leur communauté. Les autres documents présents dans le dossier nous apportent d'autres éléments capables de faire un peu plus de lumière sur cette histoire et comprendre exactement comment tout cela s'est déroulé et qui sont les protagonistes et leurs motivations.

Une histoire de famille avant tout

Un document datant du 28 janvier 1624 fait état de la visite d’un certain monsieur Argoud chez le commissaire royal de la ville66. Il est précisé dans le texte que cet homme a un rapport selon toute vraisemblance professionnel avec Suzanne Simond. Il est fort possible que ce monsieur Argoud travaille avec Jean Simond, le père de Suzanne, et qu’elle même travaille avec son père au sein de l’entreprise familiale. Ainsi il est fait mention d’une enseigne du Lion d’or et ceci pourrait indiquer que l’établissement était une taverne ou une auberge, l’actuelle rue du même nom témoignant encore aujourd’hui de ce point de repère urbain.

Cet homme explique qu’il a entendu des plaintes de plusieurs personnes à propos de Suzanne Simond. Il est également fait mention d’un dénommé Moyse Charpillard, qui bien que son rôle ne soit pas précisé, relève d’une certaine importance puisqu’il est mentionné plusieurs fois à travers ce corpus d'archives. Néanmoins le document relate que c’est suite à un entretien avec ce Moyse Charpillard que le sieur Argoud s’est rendu chez le commissaire pour lui faire part de son témoignage. Argoud, toujours lui, enjoint le commissaire à se rendre chez Dorothé Villion afin de tirer cette affaire au clair67. Aurait-il été mis au courant que Suzanne Simond était séquestrée chez ce Dorothé Villion ? Il est possible qu’il ait en effet entendu quelques ragots et colportages en nombre suffisant pour se forger la conviction que la disparition de la jeune femme n’était pas le fruit du hasard, d’autant plus si son projet de conversion avait été rendu public par le biais de la rumeur. Qui plus est la disparition de la demoiselle n’aura pas passé inaperçu pour ceux qui ont l’habitude de la côtoyer quotidiennement comme ce monsieur Argoud.

66 Ibid. 67 Ibid.

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Un autre point de cette histoire attire l’attention à la lecture de ces documents, c’est la répétition des allusions à une relation amoureuse controversée. Serait-ce une liaison entre la jeune Suzanne Simond et un jeune homme catholique dont le nom n'est pas indiqué ? Dans ce cas-là, l’amour pourrait être une des causes, si ce n’est la principale cause, des velléités de conversion de Suzanne Simond. Comme l’explique Patrick Cabanel dans son ouvrage

Histoire des protestants en France en reprenant la citation d’Elisabeth Labrousse : « Se convertir, ce n’est pas changer de continent, c’est traverser la rue68. ». En effet dans une France désormais marquée par la cohabitation entre protestants et catholiques, la vie de tous les jours et les interactions sociales entre les deux religions sont multiples, que ce soit au sein des familles, voisinages ou corporations. La ville ne porte pas de frontière confessionnelle stricte où huguenots et catholiques se tiennent à l’écart des uns et des autres. Il n’est donc pas rare de voir des mariages mixtes être le fruit de cette « convivance69 ». Néanmoins la question de la conversion, surtout dans cette période troublée par les rivalités quotidiennes elles-mêmes exacerbées par la récente guerre entre les huguenots et le roi de France, est à même d’avoir provoquée des remous dans la société et conduit à des réactions similaires à l’enlèvement de Suzanne Simond.

L'instinct de préservation d'une famille

Cet ensemble de document nous apporte des éléments concrets dans chaque passage, et ainsi en recoupant les informations, il est possible de reconstituer peu à peu le court des événements, à la manière d’une enquête policière.

Ainsi un document rédigé par Maturin Nugoz, âgé de trente-sept ans qui se présente comme notaire royal, originaire du mandement de Pommier (à environ quinze kilomètres de La Côte-Saint-André), expose dans son rapport comment la famille de Suzanne Simond aurait pu elle-même organiser la disparition de la jeune femme, afin de faire passer cette disparition pour un voyage tout à fait banal70. Effectivement une ligne de ce rapport fait mention que Suzanne Joubert, la marraine de Suzanne Simond, avait annoncé son intention de rejoindre sa filleule. Or donc, comment serait-il possible que la marraine de Suzanne Simond, mariée selon le texte à un «Maître Simond», ne soit pas au courant de la disparition soudaine de sa filleule, surtout si sa disparition est arrivée soudainement comme il l’est relaté plus tôt dans la

68 Patrick Cabanel, op.cit., p.416.

69 Ibid, vocable inspiré de l'espagnol convivencia, p.416. 70 ADI 4E80/200 Rapport de Maturin Nugoz.

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déclaration du monsieur Argoud ? La logique serait que cette explication fournie par Suzanne Joubert soit une tentative de justifier l’absence de la jeune femme tout en récusant les rumeurs d’enlèvement qui pourraient vraisemblablement alimenter la rumeur dans les conversations de la ville.

Plus accablant encore, les lignes suivantes font une fois encore mention d’une liaison entre deux individus, liaison semble-t-il avouée par Suzanne Simond. Cet aveu aurait-il été fait par la jeune femme et aurait-il conduit ses parents à prendre des mesures ? Il n’est pas improbable que de façon officielle la famille ait expliqué la disparition de Suzanne Simond par un voyage, censé l'éloigner de sa relation avec cet individu, qui n’est par ailleurs jamais mentionné, alors que de façon officieuse elle était retenue chez Dorothé Villion. Cet homme est d’ailleurs mentionné dans les lignes suivantes, confirmant ainsi son implication dans cette histoire.

Le dernier document de ce corpus apporte un éclairage final à cette histoire, puisqu’il s’agit du témoignage rédigé par Pierre Rabiot qui est désigné comme ministre protestant et résidant à la Côte71. Par ailleurs ceci pose la question de l'application de l'édit de Nantes dans la ville, puisque sans temple, ils possèdent néanmoins un ministre. A moins que cet homme ne soit simplement que le chef de la communauté protestante de la ville, ce qui expliquerait son intervention dans cette affaire.

Les premières lignes de ce récit rappellent des éléments qui nous sont déjà connus, tel que l’absence de Suzanne Simond, qui est ici expliqué par la volonté de Suzanne de rendre visite à des proches, raison pour laquelle deux sous lui ont été donnés. La suite fait également mention des propos rapportés par Moyse Charpillard et comment ceux-ci ont déclenché l’enquête. Il est écrit que suite aux accusations de cet homme, le ministre s’est rendu chez Dorothé Villion accompagné de plusieurs témoins, dont les signatures sont visibles à la fin de ce témoignage, afin de tirer au clair cette histoire. C’est ainsi qu’en se rendant chez le sieur Villion, le pasteur accompagné de ses témoins demande à la femme de Dorothé Villion si Suzanne Simond se trouve en ces lieux, question par laquelle elle répond par la négative, expliquant : « qu’elle ne savoit pas ou elle estoit et qu’elle n’estoit pour rien en sa maison.»72 Un examen approfondit de la maison effectué par le groupe, en passant par les chambres ne donne rien. Cependant lors de l’inspection du cabinet, vraisemblablement une petite pièce réservée à la toilette, et qui était verrouillée jusqu’à ce que le ministre demande à la femme de

71 ADI 4E80/200 Texte de Pierre Rabiot. 72 Ibid.

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Dorothé Villion de la lui ouvrir, le groupe emmené par Pierre Rabiot découvre la cachette où était enfermée Suzanne Simond.

Le rapport du ministre se termine avec les signatures d’Argoud, Charpillard, Villion et d’autres. Aucune mention n’est faite des possibles suites de cette disparition et des poursuites qui ont été faites contre les familles Simond et Villion.

Pour autant cette affaire Suzanne Simond, au-delà de son déroulement et de ses protagonistes nous fournit une multitude d’enseignements sur la vie quotidienne d’une petite ville de province du XVIIe siècle et les interactions entre individus. Cette affaire nous donne également une bonne vision des rapports entre protestants et catholiques sous le régime de l’édit de Nantes. La tolérance du protestantisme introduit de nouveaux rapports dans la société, et notamment sur les questions relatives à la conversion et le passage d’un côté à l’autre. La conversion revêt une symbolique beaucoup plus forte dans cette période de relative paix, puisque l’opposition entre les deux parties est percevable au quotidien, dans les relations professionnelles ou de voisinages. Rappelons-nous toutefois que les protestants dans leur lettre adressée à la commission chargée de surveiller l'application de l’édit de Nantes déclaraient vivre en « bonne paix »73 avec les catholiques.

Par conséquent la réaction de la famille Simond à la possible relation que leur fille entretient avec un catholique et sa volonté de se convertir apparaît comme une réaction logique, motivée par la volonté d’affirmer leur différence et leurs droits, mais tout autant extrême quand on se réfère aux travaux de Patrick Cabanel portant sur la question de la conversion des femmes notamment. Des études sur les mariages mixtes à Layrac au XVIIe siècle font état d'un renversement des mariages mixtes à partir de 1620, les femmes protestantes se tournant d'avantage vers des hommes catholiques alors que dans la période précédente les femmes catholiques épousaient davantage les hommes protestants. Selon Patrick Cabanel, ceci pourrait être la manifestation d'un renversement du prestige et de la sécurité incarnée par la religion catholique74. A moins que ce ne soit qu'une manifestation de l’ambivalence de la religion chez les femmes en province, ces dernières ne faisant qu'un choix définitif lors de leur mariage, indifféremment de la religion de leurs parents75.

Avec l'apport de ces éléments, on voit que l'épisode de la conversion de Suzanne

73 ADI 4E80/203 Lettre des huguenots de la Côte-Saint-André aux parlementaires de Grenoble. 74 Patrick Cabanel, op.cit, p.417.

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Simond incarne et contredit à la fois ces affirmations. Certes Suzanne Simond semble s'être tournée vers un catholique afin de se marier, mais cela ne remettait pas en cause sa religion, puisqu'il est de coutume que les huguenotes, une fois mariées, retournent dans leurs consistoires et assurent ainsi la transmission du protestantisme à leurs enfants76. Cependant l'histoire de la famille Simond de la Côte-Saint-André, et l'apparition à de multiples occasions des membres de cette famille au cours du XVIIe siècle, nous conduisent à penser que cette famille occupait une importance de premier ordre au sein de la communauté de la Côte. Par conséquent le mariage d'une de leurs filles avec un catholique et sa conversion aurait terni l'image de cette famille et sa place dans la communauté. Dès lors la décision de faire disparaître cette enfant pour le moins gênante semble avoir été la seule réaction de cette famille face à la menace de sa position dans le microcosme côtois. La religion devient avec la cohabitation entre catholiques et protestants un marqueur social fort, qui reflète un statut dans la société, et permet ou non une certaine évolution sociale.

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Chapitre 3 - Les manifestations de la politique anti-protestante de Louis

XIV dans la plaine de la Bièvre en 1662

Les événements des années 1620 et les trois guerres successives qui ont mis aux prises les protestants et le roi de France Louis XIII influèrent grandement sur la suite de ce XVIIe siècle et plus particulièrement sur la condition protestante. Ces conflits donnèrent lieu à plusieurs affaiblissements du pouvoir politique des huguenots, qui bien que voyant l’édit de Nantes confirmé lors des traités paix de Montpellier (1622), Paris (1625) et Alès (1629), comprirent qu'ils étaient alors sans défense face à leurs adversaires.

La violence des combats de la dernière guerre de 1627-1629 s'est portée jusque dans Privas, laquelle après avoir capitulé subit la vindicte des troupes royales et voit ses défenseurs et habitants massacrés en mai 162977. Nul doute que les échos des horreurs de Privas sont parvenus jusque dans la plaine de la Bièvre, où ses habitants furent peut-être témoins quelques mois plus tôt du passage des troupes françaises se rendant en Savoie pour conquérir le Pas de Suse en mars 162878.

Toujours est-il qu'après ces années de troubles, s'ouvrit une ère de relative paix entre catholiques et protestants, une paix qui dura jusqu'aux années 1680 et l’accélération des manœuvres anti-protestantes de Louis XIV. Néanmoins le début du règne personnel de Louis XIV, après la mort du cardinal Mazarin le 9 mars 1661, marqua la mise en place de nouvelles mesures contre les huguenots du royaume de France.

Les faussaires huguenots de Roybon

De tous les événements qui nous sont rapportés dans les archives relatives à la justice roybonnaise de cette époque, entre les meurtres de paysans à coup de fusil et les vols de chemises, une seule concerne directement la population protestante de la ville79. Rappelons que Roybon est l'une des trois villes de notre étude qui possède le droit d'exercer la religion réformée dans son propre temple, avec Saint-Marcellin et Beaurepaire, cette dernière église avec laquelle elle est jumelée depuis 160580.

Or donc notre affaire se déroule en avril 1662, et plus précisément le 13 avril. En effet ce jour là le « capitaine (de la) chambre » de Roybon, un certain Jacques Moyran, voit

77 Samuel Mours, op.cit., p.24 78 Lucien Bély, op.cit., p.195.

79 ADI 1J409 Ensemble de procès-verbaux rédigés par les officiers de Roybon 80 Eugène Arnaud, Histoire..., p.221.

Figure

Graphique 1 : Répartition des huguenots de la plaine de la Bièvre selon la date de leur premier recensement en Suisse (1682-1705) 1682 1683 1684 1685 1686 1687 1688 1689 1690 1691 1692 1693 1694 1695 1696 1697 1698 1699 1700 1701 1702 1703 1704 17050204060
Illustration 1 : Une page d'un des livres retrouvés à Sillans

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