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Le rêve : Freud et Aristote

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Academic year: 2021

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FRANÇOIS SIROIS

U¿

LE RÊVE : FREUD ET ARISTOTE

Thèse présentée

à la Faculté des Études Supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

Septembre 2000

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Cet essai examine, dans une première partie, l’argument de Freud sur le rêve, sur sa méthode d’interprétation et sur la construction du rêve. Une seconde partie élabore certaines questions philosophiques liées à l’argument freudien. D’abord, des questions générales sur la nature de l’objet onirique, sur la question de l’inconscient et sur celle de la finalité du rêve ; puis ensuite, est amorcée une comparaison des positions respectives de Freud et d’Aristote sur le rêve. L’objectif est de chercher, d’une part, le fondement de l’appui réclamé par Freud dans la définition que donne Aristote du rêve, et, d’autre part, d’élaborer ce qui peut en être de la vérité du rêve, vérité examinée par le biais d’une analogie avec la tragédie.

François Sirois Thomas De Koninck

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Le but de cet essai est de contribuer à poser de nouveaux jalons dans le débat actuel sur la psychanalyse, surtout à propos de la nature de son objet propre, et de la méthode de démonstration utilisée par la psychanalyse. Ce travail tire sa pertinence d’une polarisation grandissante autour de la lecture de Freud, phénomène qui signe la nécessité d’élaborer des éléments fondamentaux de la question.

La méthode d’examen de cette question passe par le choix du rêve comme élément paradigmatique du fait psychique étudié par la psychanalyse. Une investigation détaillée de l’approche freudienne du rêve servira de socle initial pour soulever ensuite certaines interrogations philosophiques sur la nature de l’objet onirique, sur sa causalité et sa finalité. Questions qui seront soulevées par le biais d’une grille aristotélicienne d’investigation ; elles vont nous amener à une comparaison des positions respectives d’Aristote et de Freud sur le rêve. Cette comparaison tire sa pertinence non seulement du fait que l’un et l’autre traitent du sujet, mais surtout parce que, d’une part, Freud se réclame de la définition qu’Aristote donne du rêve, et, d’autre part, de par une analogie de méthode entre Freud et Aristote dans la façon d’administrer la preuve dans ce registre de connaissance.

Les résultats de cette recherche posent le rêve comme un objet de nature éthique, soumis au principe de démonstration de ce champ, essentiellement l’approche diaporématique et celle de la preuve suffisante, donc de nature dialectique. Certaines convergences entre les positions de ces deux

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puisqu’Aristote aborde le rêve par une psychologie de la perception et Freud par l’élaboration interne des représentations. Deux sont importantes : Aristote n’assigne pas de finalité au rêve, ni de place à la question du désir.

Les conclusions dégagées peuvent être ainsi résumées : - la démonstration développée par Freud correspond à la nature de l’objet. Cette démonstration est dialectique et rhétorique et procède d’une « logique des signes » ; - malgré les divergences, Freud et Aristote s’appuient l’un et l’autre sur le caractère démonique du rêve, défini comme ce qui résiste de prime abord à l’entendement ; - la vérité du rêve, dans son acte comme fonction psychique pour le sujet rêvant, est élaborée à partir d’une analogie avec la vérité que la tragédie exerce sur le spectateur.

François Sirois Thomas De Koninck

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Pages

Avant-Propos Introduction

Polarisation de la lecture de Freud...2

Ambiguïté des rapports entre philosophie et psychanalyse...6

Le choix du rêve...9

La comparaison avec Aristote... 11

L’aporie centrale... 12

Analytique L’argument de Freud sur le rêve...16

A. Présentation du texte princeps sur le rêve... 18

B. La méthode d’interprétation... 28

1. Les présupposés... 28

2. La démarcation de la voie d’approche... 35

3. L’exemple du rêve de l’injection faite à Irma...44

4. La démonstration faite dans les Leçons...55

5. Les objections faites à la méthode... 65

i. l’arbitraire... 65

ii. le déterminisme concerne le rêveur...68

iii. l’incertitude du souvenir... 68

iv. la méthode s’applique toujours imparfaitement...69

V. polysémie du libellé du rêve...70

vi. l’artificiel de !’interprétation... 71

vii. les associations ont pour but de plaire...71

vii¡. l’objection de Ellis... 72

ix. l’objection de Grünbaum...73

6. Le statut des associations... 74

7. Le statut de la démonstration... 83

C. La nature du rêve... 90

1. La réalisation de désir... 90

2. Le rêve comme réaction de désir... 93

3. La nature du désir... 96

4. La nature du rêve... 98

5. Deux difficultés : rêves pénibles et traumatiques... 99

D. Le travail du rêve... 105

1. Le fondement : la déformation...105

2. La construction du rêve... 111

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ii. la figuration... 120

iii. la composition... 127

iv. la transposition... 130

E. La question du symbolisme... 133

F. L’infantile dans le rêve... 145

G. Appuis et emprunts... ... 153

Conclusion... 161

Problématique Questions philosophiques soulevées par la position de Freud... 165

A. La conception grecque du rêve...169

B. Problèmes philosophiques posés parle rêve... 175

1. L’intelligibilité du rêve : son statut comme objet... 176

2. Continuité et discontinuité de l’expérience onirique... 186

3. L’unité et la diversité du rêve... ...196

4. Le rêve et le rêveur... ... 207

i. le renforcement... 213

ii. le conflit... 215

iii. la notion d’inconscient... 216

a. l’objection de Politzer... 219

ß. l’inconscient, gradation de là conscience... 224

y. l’objection de MacIntyre...228

δ. l’inconscient relève du pathologique... 230

ε. l’inconscient est l’organique... ...230

ζ. l’objection de Raikovic et de Sartre... 232

η. l’objection du rêve infantile...237

5. La finalité du rêve... 239

C. Freud et Aristote sur le rêve... 250

1. L’approche générale de l’objet onirique... 251

i. l’aporie de l’objet...251

ii. la définition du rêve...256

iii. le démonique du rêve...260

iv. la finalité du rêve...263

2. Observations particulières d’Aristote sur le rêve... 268

i. le modèle biologique...269

ii. le modèle hallucinatoire...271

iii. le modèle dualiste ou spiritualiste... 275

iv. le modèle psychique...279

3. Divergences et convergences...281

i. la question de !’imagination...282

ii. points de comparaison...287

a. la rémanence de la sensation...287

β. le lien éveil ־ sommeil... 288

y. le caractère hallucinatoire du rêve...288

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η. le désir dans le rêve...297

iii. impasse ou dégagement... 307

D. La vérité du rêve... 310

1. Le rêve comme représentation dramatique..314

2. Le rêve comme représentation de désir... 329

Conclusion... 339

Épilogue... 347

Annexe : quelques rêves... 350

Le rêve de l’injection faite à Irma Élise L. au théâtre

La table d’hôte Rêve du marché

On est prié de fermer les yeux

352

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Avant-Propos

La démarche ici proposée est surtout celle d’un psychanalyste cherchant le socle philosophique de sa méthode, et moins celle du philosophe interrogeant la psychanalyse. C’est une interrogation sur les assises plus qu’une critique philosophique de la psychanalyse.

Certaines références de fond encadrent le mouvement de ce travail. La dette est parfois explicite, quelquefois plus diffuse. On aura reconnu l’influence de Ricoeur dans la façon de poser le plan et dans le mode de lecture ; une manière de pénétrer le texte avec bienveillance pour saisir ce qu’est la pensée de Freud plutôt que ce qu’elle devrait être. Le Blond nous a aussi guidé dans son approche de la pensée d’Aristote, surtout la saisie de l’écart entre la logique qui conduit la pensée et la méthode qui applique la pensée aux choses. Assoun nous a servi de balise dans certains domaines liés au rapport de Freud à la philosophie. Enfin, l’essai récent de Castel sur

L’Interprétation du rêve, paru peu avant la mise en chantier de ce travail

nous a été d’un apport important.

Le texte de Freud suivi ne peut se passer de la référence centrale que représente la traduction anglaise de Strachey, celle de la Standard Edition. Les deux textes majeurs qui nous intéressent, L’Interprétation des rêves et les Leçons d’introduction à la psychanalyse n’ont pas encore paru dans l’édition des Oeuvres Complètes en français. Nous avons donc suivi les anciennes traductions de Meyerson-Berger pour L’interprétation et celle de Jankélévitch, parue chez Payot, pour L’Introduction à la Psychanalyse. L’appui sur le texte allemand de Freud fut posé à partir de l’édition Fischer Taschenbuch. Le texte d’Aristote suivi est celui de la collection Budé pour les Parva Naturalia, et celui récent, paru en cours de rédaction de ce travail, de Morel chez Garnier-Flammarion ; accessoirement, les textes de Lulofs et

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de Gallop ont été consultés. Pour le reste de l’œuvre d’Aristote, les principales références consultées sont les traductions de Tricot, celles de la collection Budé et celles de la Loeb Classical Library.

D’abondantes notes en bas de page assaisonnent le texte. Elles ont quatre fonctions particulières. La première est d’assurer des références précises faciles à consulter ; lorsqu’il est possible de le faire sans alourdir la lecture des codes concis insérés dans le texte les remplacent, notamment pour les références à L’Interprétation des rêves et aux Leçons d’introduction de Freud. La seconde est d’identifier certains problèmes de traduction entre l’original et les versions française et anglaise ; tout au moins de faire saisir la lettre du texte dans ses tournures ou ambiguïtés. La troisième fonction est de fournir un arrière-plan d’information au niveau des faits, spécialement certains détails au sujet de Freud, intéressant sa biographie, certains rêves particuliers ou des informations croisées dans son œuvre. La quatrième fonction est d’expliciter l’arrière-plan conceptuel de certaines notions utilisées, leur sens précis chez Freud ou Aristote. Outre ces utilités, il nous semble que les notes en bas de page remplissent une fonction générale plus importante, celle de favoriser la mouvance de la pensée par l’amorce d’un changement de point de vue ou d’une distinction pouvant instaurer chez le lecteur une discussion sotto voce avec lui-même pour rencontrer la définition que donne Platon de la pensée, un dialogue de l’âme avec elle-même.

Je remercie Thomas De Koninck pour son soutien judicieux qui a permis de transporter le projet initial jusqu'à l’élaboration de la démarche elle-même, et aussi guidé l’entreprise dans toute la signalisation administrative requise. Je sais gré aux membres du jury qui ont accepté d’être les lecteurs attentifs de cet essai et d’en fournir à diverses étapes des commentaires qui m’ont servi de balises.

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LE RÊVE : FREUD ET ARISTOTE

Le titre intrigue d’emblée. Comment comparer Freud et Aristote sur la question du rêve ? On aurait attendu peut-être Freud et Platon, ou encore Freud et Schopenhauer1 sur la filiation de certaines idées. Peu explorée jusqu’ici, cette mise en rapport de la démarche freudienne sur le rêve avec la pensée aristotélicienne espère poser des jalons neufs dans le débat actuel sur la psychanalyse, notamment à propose des implications liant la nature de l’objet propre de la psychanalyse, sa voie d’étude et la méthode de démonstration utilisée par la psychanalyse au sujet du rêve.

INTRODUCTION

Cette partie délimitera la nature de la question et la voie de la recherche proposée. Le problème sera posé à partir de la polarisation actuelle de la lecture de Freud. Le rêve comme élément paradigmatique de la méthode psychanalytique sera amené comme terrain privilégié de cette problématique avant l’examen de quelques notions essentielles à la démarche.

Plus que jamais, la question de la psychanalyse reste problématique pour la philosophie, parce qu’elle interroge l’outil même du philosophe, l’exercice de la pensée, dans son rapport à l’affectivité, dans sa possible subversion

1 Voir notamment Pierre Raikovic, Le Sommeil dogmatique de Freud, chapitre II, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1994.

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et dans son hégémonie . C’est sous le couvert de la méthode scientifique qu’on s’y prête maintenant le plus et d’où partent plusieurs polémiques pour camper la psychanalyse dans une historicité dépassée. Nous présenterons une approche a rovescio, à partir d’une pensée antérieure à celle de Freud, et tenter ainsi de jeter un nouveau regard, à contre-jour et à contrechamp, par le biais de la pensée d’Aristote, sur la nature de l’objet psychanalytique.

Une telle démarche n’est pas sans risque. Comment entrecroiser de façon fructueuse deux pensées si différentes et si éloignées dans le temps ? Comment éviter la mise en place de filiations d’idées forcées ou anachroniques ? Comment éviter les quêtes d’anticipations que les contextes différents ne pourraient justifier ou encore les soucis de corroborations ? Notre intérêt principal sera double : souligner et délimiter le type d’appui que Freud se targue de chercher chez Aristote à propos du rêve, d’une part, et montrer que la pensée d’Aristote permet d’examiner la nature de l’objet onirique d’une façon qui intéresse la psychanalyse, d’autre part.

Polarisation de la lecture de Freud

Lire Freud aujourd’hui devient facilement un exercice idéologique à la merci de plusieurs courants de pensée, et une chausse-trape pour !’exonération des préjugés courants de chacun. Le présent exercice ne saurait y échapper. Disons d’emblée qu’il est favorable à la position freudienne. Ce qui frappe le plus, c’est de voir que le champ polémique semble s’élargir pour envahir à la fois celui des sciences humaines et de la philosophie, et ce, non pas pour établir la contre-partie de la position psychanalytique, mais pour engager à l’intérieur même de ces champs, en littérature et en philosophie des courants adverses. On voit ainsi tantôt des littéraires

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s’opposer2, tantôt des philosophes3 en des cercles grandissants de fervents et de détracteurs. Les premiers sont souvent accusés de sectarisme et d’hermétisme ; les seconds attaquent tambour battant la pensée freudienne au nom de la science par le moyen du logicisme ; selon qu’on lit Freud, Freude ou Fraud. Y a-t-il lieu de s’étonner que cent ans après la parution de L’Interprétation des rêves le livre ne soit ni oublié, ni jeté aux orties mais fasse toujours l’objet de discussions dont l’issue n’est ni claire ni univoque? Cari Metzentin4, qui publia en 1899 la première recension de l’ouvrage, présente ainsi la question : « Dr Sigmund Freud of

Vienna daims that he had discovered a psychological technique which enables him to interpret dreams and that the application of his method turns every dream into a logical psychic structure which can be fitted into the mental activities of our waking state »5. La question reste d’actualité et

débattue.

Nous chercherons de cette controverse à en tracer seulement un rapide contour pour situer les enjeux. Dès 1928, Georges Politzer publie sa

Critique des fondements de la psychologie6 où il examine particulièrement

les chapitres 1,2 et 7 de la Traumdeutung. Il note que la méthode de Freud « remplace l’introspection par le récit »7, ce qui, note-t-il plus loin, de la façon dont le problème du rêve est posé, « implique une définition du fait

2 Comme le livre de Richard Webster, Why Freud was wrong, Basic Books, New York, 1995, qui présente la portée de l’œuvre freudien comme un messianisme, et celui édité par Laura Markus,

Sigmund Freud’s The interpretation of Dreams. New Interdisciplinary Essays, Manchester University

Press, 1999, plutôt favorable.

3 Comme le livre de Patricia Kitcher, Freud’s Dream. A Complete Interdisciplinary Science of the

Mind, Bradford Book, MIT Press, 1995, plutôt critique, et celui de Jonathan Lear, Open minded : Working out the Logic of the Soul, Harvard University Press, Cambridge, 1998, qui critique les

approches trop rationalisantes de la psychanalyse.

4 Cari Metzentin, traduction anglaise : Scientific Interpretation of Dreams, p. 92-99 dans Freud

Without Hindsight, Norman Kiell, International Universities Press, Madison, Connecticutt, 1988.

Parution originale dans Dir Gegenwart : Wochenschrift für Literatur, Kunst und öffentkicher Leben, 1899, 56 (20) :386-389.

5 Metzentin, op. cit., p. 93.

6 Georges Politzer, Éditions Rieder, Paris, 1928. Cinquième édition, Presses Universitaires de France, 1994

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psychologique qui déplace l’intérêt des entités spirituelles à la vie dramatique de l’individu »8; Politzer critique par la suite ce qu’il appelle l’approche mécaniste de Freud et la notion d’inconscient qui correspond à une abstraction plutôt qu’aux faits : « l’inconscient ne représente dans la psychanalyse que la mesure de !’abstraction qui survit à l’intérieur de la psychologie concrète »9. Wittgenstein, dont Rush Reeves a publié d’après des échanges entre 1942 et 1946 les Conversations sur Freud10, reste sceptique mais partagé sur l’approche freudienne du rêve ; il admet que des rêves soient la satisfaction de désirs11, mais peut-être n’est-ce qu’un jeu où le rêveur collectionne des histoires12, jeu qu’il ne s’agit que de tirer dans le sens qui plaît au patient. Inspiré par Wittgenstein, MacIntyre13 publie en 1958 un essai influent, L’Inconscient. Il y critique la réification de la notion d’inconscient, prêt à accepter la notion de l’inconscient descriptif, sceptique face à la notion de l’inconscient dynamique. Popper14 en 1962 cherche à infirmer la construction freudienne comme une théorie qui ne peut être falsifiée, donc non scientifique. En 1965 paraît l’essai de Paul Ricoeur, De L’interprétation ; lecture serrée du texte d’abord, puis dialectique et interprétative ensuite, où est posée comme spécifique « le caractère hybride de la psychanalyse, à savoir que son accès à l’énergétique se fait par la seule voie de !’interprétation »15. Il critique les tentatives d’opérationnaliser les termes de la psychanalyse comme un expédient de « reformulation » qui dénature le travail de pensée au sujet de

8 G. Politzer, op. eit, p. 110. 9 G. Politzer, op. eit, p. 156.

10 Ludwig Wittgenstein, Leçons et Conversations, Folio essais, Gallimard1992 ; première édition, Basil Blackwell, 1966, Lectures and Conversations.

11 L. Wittgenstein, op. cit, p. 97. 12 L. Wittgenstein, op. cit, p. 101.

13 Alasdair C. MacIntyre, L’inconscient Analyse d’un concept, Presses Universitaires de France, Paris, 1984 ; édition originale anglaise, Routledge & Kegan Paul, Londres, 1958.

14 K. R. Popper, Conjectures and Refutations, Basic Books, New York, 1962. Thèse discuté par Grünbaum dans Les Fondements de la Psychanalyse(1984), chapitre 11, Presses Universitaires de France, Paris, 1996.

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la signification propre à la psychanalyse. Jürgen Habermas16 dans

Connaissance et Intérêt en 1968 tire davantage la psychanalyse du côté de

la phénoménologie, comme une auto-réflexion. Pourtant, en posant que « le sens se dévoile au cours d’un drame »17, Habermas souligne les conditions de cette épiphanie, fort différentes de la réflexion et de la recherche historique. Adolph Grünbaum va attaquer violemment en 1984 les positions de Popper, Ricoeur et Habermas. Il pose que la psychanalyse est vérifiable empiriquement et que les confirmations cliniques ne sont pas probantes. Il examine en détails18 divers aspects de la méthode clinique de Freud dont il déplore la faiblesse des preuves ; l’effet thérapeutique de la cure est imputé à la suggestion. Plus récemment, Patricia Kitcher19 a posé que Freud emprunta ses concepts fondamentaux d’autres disciplines qui, ayant elles changé dans leurs fondements, ne peuvent servir d’assise à la psychanalyse ; en conséquence, la science du rêve de Freud ne peut tenir devant les développements de la neurophysiologie. Ce regard à vol d’oiseau de difficiles questions et controverses demanderait de minutieuses analyses pour départager ces positions divergentes ; il n’est posé ici que comme toile de fond pour situer notre démarche, pour poser la question préalable à notre recherche : quel est le fondement de cette controverse ?

Ce fondement est difficile à expliciter, surtout en l’absence d’une clarification détaillée. Disons d’abord que l’aspect polémique s’appuie sur des positions affectives et doxologiques tranchées où le soubassement idéologique ne peut être plus marqué de part et d’autre. L’adhésion se fonde sur des éléments de croyance difficiles à modifier par l’exercice du

16 Jürgen Habermas, Connaissance et Intérêt, ch. 10,11,12, Collection Tel , Gallimard, 1976. Première édition, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1968, Erkenntnis und Interesse.

17 J. Habermas, op. eit, p. 291.

18 Principalement dans deux livres, Validation in the Clinical Theory of Psychoanalysis, International universities Press, Madison, Connecticut, 1993 et Les Fondements de la Psychanalyse, traduction française de 1996, Presses Universitaires de France, Paris de l'édition originale de The Foundations

of Psychoanalysis, University of California Press, 1984.

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raisonnement autour des enjeux de la scientificité, et de ce qui tourne autour de la nature de la preuve.

Notre hypothèse sera double. La première tient cette controverse comme une réaction contre un reste indélogeable du démonique dans la personne humaine, comme un accroc insoutenable à l’idéal logique. La seconde tient que cette controverse laisse béante la question de la nature de l’objet propre de la psychanalyse. Poser que la psychanalyse ne se rapporte pas à la connaissance scientifique pourrait impliquer qu’elle n’a pas d’objet ; ou encore, si l’objet de la psychanalyse ne peut être abordé scientifiquement cet objet est inconnaissable. Le fondement de cette controverse résiderait ainsi dans le problème de la nature de l’objet propre de la psychanalyse. Un second palier de difficulté surgit alors du fait de l’ambiguïté des rapports entre la psychanalyse et la philosophie ; ce qui vient poser la question de la possibilité de résoudre de façon philosophique l’examen de la nature de cet objet, c’est-à-dire autrement que par le recours à une expérience spécifique.

Ambiguité des rapports entre philosophie et psychanalyse

Assoun20 a tracé de cette question une topographie générale que nous ne résumerons pas mais à laquelle nous emprunterons pour souligner certains points pertinents à notre démarche. L’important rapport ambivalent21 de Freud à la philosophie, fait d’un recours constant et d’un rejet, n’est pas sans poser difficultés pour établir un terrain d’échange plutôt qu’un terrain d’opposition, et ce, afin de voir si la philosophie a quelque chose à apporter à la psychanalyse pour la connaissance de son objet. Si cet objet implique une expérience particulière qui ne relève pas de l’expérience commune

20 Paul-Laurent Assoun, Freud, la philosophie et les philosophes, Quadrige, Presses Universitaires de France, 1995, première édition, 1976.

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mais plutôt d’un ordre technique ou pathologique une éventuelle contribution d’un examen philosophique sera orientée de façon autre que si l’objet de la psychanalyse relève d’une expérience universelle et commune. De son côté, la réflexion philosophique n’abordera cet objet que dans sa généralité et sous le rapport de la raison ; ce qui ne permet qu’un abord sélectif.

Ce terrain d’échange entre la psychanalyse et la philosophie peut être posé de façon générale avec Assoun22 comme le rapport du logos et du pathos, selon divers degrés d’opposition et de composition à l’intérieur de la personne humaine. Selon Freud, la philosophie représente un idéal spéculatif épuré des influences du pathos ; elle surestimerait toutefois la valeur de connaissance des opérations logiques puisque la pensée resterait irrémédiablement infiltrée par le pathos. La philosophie s’intéresse à la mécanique du raisonnement correct, la psychanalyse à la dynamique même du penser, soit !’utilisation du penser dans le contexte élargi de l’affectivité de la personne. Freud s’intéresse aux conditions de la connaissance ; il est à cet égard d’orientation socratique.

Ce terrain d’échange peut facilement devenir un lieu d’opposition. Freud résume ainsi la difficulté :

« De la position intermédiaire de la psychanalyse entre la médecine et la philosophie, il ne résulte donc pour elle que des désavantages. Le médecin la tient pour un système spéculatif et ne veut pas croire que, comme toute autre science de la nature, elle repose sur une élaboration patiente et laborieuse des faits du monde de la perception ; le philosophe, qui la mesure à l’aune de ses propres formations systématiques édifiées avec art, trouve qu’elle part de présuppositions impossibles et lui reproche que ses concepts les plus élevés - à peine en cours de développement - manquent de clarté et de précision »23.

22 Assoun, op. c/Y., p. 9.

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Cette difficulté tient à la question de l’inconscient. D’une part, la notion d’inconscient « supprime l’ancienne opposition de la vie consciente et de la vie du rêve »24, d’autre part, «pour bien comprendre la vie psychique, il est indispensable de cesser de surestimer la conscience »25. Freud ne parle pas ici de la pensée mais de vie psychique ; la distinction est importante. L’inconscient est alors posé dans une comparaison analogique comme quelque chose dont l’expérience est extérieure à la personne, comme le monde extérieur : « Sa nature intime nous est aussi inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur lui d’une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde extérieur »26. La conscience est posée comme organe de perception pour le monde intérieur. La notion même devient une source de malentendu puisque la philosophie considère les choses du point de vue de la raison ; si « l’inconscient » n’est pas raisonnable, il est plus facilement posé comme artefact, fiction ou abstraction parce que la notion d’inconscient menace l’illusion narcissique de la toute-puissance de la pensée. Pour Freud, l’inconscient est quelque chose du réel de la vie psychique, non pas quelque chose en soi ; ce quelque chose ne peut être atteint par la seule réflexion. Pourtant Freud partage avec la philosophie la même ambition d’intelligibilité du réel, à « jumeler l’ordre du désir et l’ordre des choses »27. C’est pourquoi, selon Assoun, le freudisme est un événement du Logos. Logos de la vérité oubliée, de celle qui manque, de celle qui reste énigmatiquement cachée, de ce qui fait entrave à l’accès à la vérité. En cela le rêve est un lieu de croisement dans ce terrain d’échange entre la philosophie et la psychanalyse, puisque le projet de Freud est de rendre le rêve intelligible. La psychanalyse replace le rêve dans le registre du logos.

24 S. Freud, L’Interprétation des rêves, p. 520. 25 S. Freud, L’Interprétation des rêves, p. 520. 26 S. Freud, L’Interprétation des rêves, p. 520. 27 Assoun, op. cit., p. 379.

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Le rêve préoccupe les hommes depuis toujours ; il reste toujours d’actualité pour les contemporains comme pour les Anciens parce que son caractère énigmatique vient sans cesse témoigner d’une vie psychique vécue comme étrangère et intime à la fois. Le rêve ne se passe que dans l’esprit ; il n’est pas observable. Il est vécu comme du dehors et raconté par un récit du dedans ; trompeur dans son illusion perceptuelle, vrai dans son effet. Le rêve est une expérience universelle et intérieure, à la limite du normal et du pathologique. Il pose au mieux le rapport du logos et du pathos dans une expérience commune. Il est, selon Freud, la porte d’entrée pour la connaissance de l’inconscient.

Au delà de ces caractères généraux, deux aspects du rêve sont pertinents dans notre démarche. Le premier concerne le type d’expérience qu’il connote ; le second sa valeur paradigmatique pour la compréhension du symptôme par la méthode psychanalytique. Ce qui est d’expérience commune comme condition de la connaissance et de l’exercice de la pensée permet d’établir le terrain pour la réflexion philosophique. Ce qui relève d’une expérience spécifique en terme de mesure, d’observation et d’instrumentation ressort de la science expérimentale. Le rêve est d’expérience commune, comme expérience ; il est d’expérience spécifique selon qu’on le soumet à la méthode analytique. Il bénéficie d’une position intermédiaire qui permet ce terrain d’échange avec la philosophie parce qu’il concerne les représentations et la pensée, qu’il n’est pas un objet extérieur à mesurer. Le rêve n’est pas un objet d’observation, mais il n’est pas non plus pour la psychanalyse un objet de « réflexion » ; il doit être examiné au crible d’une méthode et non par l’introspection phénoménologique. Ricoeur28 a bien montré ce point puisqu’il n’y a pas que

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des relations de sens à sens mais « une énergie qui se transforme en signification »29, c’est à dire un pouvoir signifiant qui s’inscrit en deçà du langage, « car seule !’explication économique assure la séparation des systèmes »3° : le refus du refoulement n’est pas un phénomène de langage. En ce sens l’introspection phénoménologique ne peut dépasser le préconscient ou l’inconscient descriptif. Cette expérience « intermédiaire », entre l’expérience commune du rêver et l’expérience spécifique de la méthode psychanalytique de l’analyse du rêve, que représente le récit du rêve est ce qui permet un espace pour aborder philosophiquement la nature même de l’objet onirique, d’insérer le rêve entre la logique et la méthode31.

La valeur paradigmatique du rêve a toujours été soutenue par Freud. Premier terme d’une série qui passe par le lapsus, l’oubli, l’acte manqué pour atteindre le symptôme, le rêve établit la question du « fait psychique » dont le correspondant pathologique est le symtôme. Il tend du reste à effacer la frontière entre le normal et le pathologique selon qu’il est plus ou moins réussi, du rêve le plus banal au plus angoissant ; paradigme de l’événement psychique plus que paradigme de la cure analytique elle- même qu’on retrouvera mieux dans le transfert. Cette symétrie entre rêve et symptôme a toujours été maintenue par Freud32. La similitude du rêve et

29 P. Ricoeur, op. cit., p. 415. 30 P. Ricoeur, op. cit., p. 423.

31 On retrouve ici presque le titre d’un ouvrage déjà ancien auquel nous devons beaucoup dans cette démarche, Logique et Méthode chez Aristote de J. M. Le Blond, Vrin, Paris, 3eme édition, 1973 ; première édition, 1939.

2 Elle a été prise à partie par certains opposants aux théories de Freud, notamment par Helene Sophrin Porte, The Analogy of Symptoms and Dreams : Is Freud’s Dream Theory an Impostor ? dans Mind, Psychoanalysis and Science, chapitre 15, édité par P. Clark et Crispin Wright, Basil Blackwell, Oxford, 1988, (compte-rendu de la conférence de St-Andrews, Écosse, 1985); !’argumentation repose sur une connaissance inadéquate du texte freudien : « nor did Freud reveal in

what way, exactly, a dream is like a neurotic symptom » qui méconnaît principalement le chapitre 23

des Leçons d’introduction, et le rôle de l’angoisse dans le compromis du rêve et du symptôme. Aussi A. Grünbaum, Two major difficulties for Freud’s Theory of Dreams, Validation in the Clinical Theory

of Psychoanalysis, chapitre 10, International Universities Press, Madison , Connecticut, 1993, qui

pose que le rêve devrait diminuer après une cure, comme le symptôme; ce qui fait état d'une méconnaissance des différences entre rêve et symptôme.

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du symptôme tient au genre, un compromis psychique33 pour éviter l’angoisse : la différence tient à l’exigence de réalité que doit rencontrer le symptôme et non le rêve34. Le rêve doit cette valeur paradigmatique à son universalité, à sa « normalité », qui laisse intacte l’énigmatique de son expérience.

La comparaison avec Aristote

Elle s’impose évidemment parce que Freud et Aristote se sont tous deux penchés sur la question du rêve. Les deux penseurs ont une position différente que nous expliciterons. Aristote est surtout un psychologue du rêve, comme Artémidore en fut un herméneute ; Freud tentera de joindre l’un et l’autre dans une méthode d’interprétation qui s’appuie sur une théorie « psychologique » du rêve. C’est aussi parce que, sur ce sujet précis, Freud s’appuie explicitement sur Aristote. Nous chercherons le fondement de cette position pour un auteur qui n’a pas toujours habitude d’expliciter ses dettes.

Au delà du thème même du rêve, il semble y avoir une analogie entre la méthode de Freud et celle d’Aristote dans les sciences de la nature, spécialement les disciplines biologiques. Les méthodes d’Aristote sont

33 Réexplicité pour le rêve dans les Nouvelles Conférences (1ére conf.) et pour le symptôme dans les

Leçons d’introduction (ch. 23) et Inhibition, Symptôme et Angoisse (ch. 2,3,9).

34 L’objection de circularité entre théorie du rêve et théorie sexuelle tient à une méconnaissance de deux aspects : le premier concerne l’influence pré-analytique des travaux de Freud avec Breuer à propos de la méthode cathartique de réduction du symptôme par associations de pensée ; la méthode a été transposée par Freud à l’analyse du rêve ; la méthode des associations est différente de la structure du symptôme et de celle du rêve. Le deuxième ne tient pas compte de l’influence inverse du rêve sur la théorie sexuelle dans un deuxième temps, psychanalytique, du parcours freudien.

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différentes selon qu’il traite de l’activité spéculative de la pensée35 et de l’activité de connaissance des choses ; de la pensée qui se prend pour objet et de la pensée qui s’exerce sur les choses. Dans son approche des sciences de la nature et du vivant, Aristote adopte une méthode complexe, polymorphe, faite d’observation, de raisonnement dialectique, de balises conceptuelles, d’utilisation d’indices. Il existe alors un écart entre les prescriptions faites dans la logique de YOrganon et la méthode de l’approche philosophique du vivant. Cet écart s’esquisse sommairement ainsi. La logique en prenant la pensée pour objet s’éloigne des principes propres des choses, et ainsi de l’expérience ; elle requiert un niveau de généralité de la pensée que ne permet pas la considération détaillée des choses. La méthode d’examen des choses requiert de considérer la nature spécifique de l’objet ; elle s’attarde au commun plus qu’au général ; elle se soucie des propriétés plus que d’universalité ; elle prend comme prémisses les principes propres et considère l’ordonnance selon la finalité de fonction. Freud, on le verra, utilise aussi un ensemble de divers procédés pour ordonner ses observations, avancer ses exemples et indices, proposer ses concepts, établir ses inférences. Son raisonnement est éminemment dialectique là où certains demandent des démonstrations fermes.

L’aporie centrale

Si la comparaison des positions de Freud et d’Aristote sur la question du rêve « s’impose » parce qu’ils se sont tous deux penchés sur la question, elle n’en pose pas moins des difficultés à différents registres.

35 Plusieurs travaux ont été consacrés à l’ensemble complexe de cette question ; Biologie, Logique et

Métaphysique chez Aristote, Éditions du CNRS, colloque d’OIéron, 1987, Paris, 1990 ; Philosophical Issues in Aristotele’s Biology, édité par A. Gottheit et J. Lennox, Cambridge University Press, 1987 ; Aristotle on Nature and Living Things, édité par A. Gottheit, Mathesis Publications, Pittsburg, 1985 ; Aristote et les problèmes de méthode, édité par S. Mansion, colloque de Louvain, 1960, Éditions de

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La plus obvie de ces difficultés tient à ce que Freud consacre à cette question un développement énorme alors qu’Aristote ne l’aborde que de façon périphérique en deux petits opuscules. De surcroît, les modèles conceptuels de l’un et de l’autre sont fort éloignés. Aristote élabore sa position à partir d’une approche naturaliste, enchâssée dans un examen des facultés, qui place le rêve comme tributaire de la perception, le long d’une série de métaphores optiques qui le posent presque comme exogène à la psyché. Le rêve, pour Aristote, est un « résidu » de la sensation. De son côté, Freud s’efforce de dépasser ce même cadre naturaliste, où il a été longuement formé, en posant le parallélisme psycho - physiologique depuis son travail sur les aphasies36. Il cherche la clef du rêve dans le seul registre du fonctionnement mental, celui de la représentation. Enfin, la clef de voûte de la position freudienne, le rêve comme formation psychique de désir, est un élément absent de l’élaboration aristotélicienne sur le rêve.

La comparaison pourrait apparaître hors de propos si ce n’était de l’insistance répétée de Freud à se réclamer de la définition du rêve donnée par Aristote. On sait que Freud cite explicitement Aristote neuf fois37 dans son œuvre ; six de ces renvois concernent la définition du rêve, deux la

Poétique38, et un dernier, provenant de ΓHistoire des AnimauxVJ (539a21)

36 S. Freud, Contribution à la conception des aphasies (1891), traduction Claude van Reeth, Presses Universitaires de France, 1983, où Freud argumente contre la tendance localisatrice neuro - anatomique amorcée par les travaux de Broca et de Wernicke : « nous voulons séparer autant que possible le point de vue psychologique du point de vue anatomique », op. cit., p. 122. Voir aussi le sommaire, fait par Freud en 1897, de ses travaux scientifiques, OCIIi,194: « L’étude critique se retourne contre cette conception [ localisatrice] des troubles du langage et essaie de faire appel à des facteurs fonctionnels au lieu des facteurs topiques en vue d’une explication ».

37 D’après l’index analytique de la Standard Edition, SEXXIV, 198. Nous excluons ici l’allusion aux commentateurs d’Aristote faite dans le Léonard, la mention du zoôn politikon, et la désignation du

proton pseudos de LEsquisse que les commentateurs ont lié à un passage de I Organon.

8 Nous reviendrons en détail sur les citations par Freud de la définition aristotélicienne du rêve. Quant aux citations de la Poétique, elles apparaissent dans Psychopathie Characters on the Stage

(1905), SEVII,305, dans un article que Freud n’a jamais publié de son vivant, et dans Le mot d’esprit (1905), SEVIII,121.

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et citant une erreur d’Aristote39, est amené par Freud dans L’Avenir d’une

illusion40 pour poser une distinction entre la notion d’erreur qui concerne le

réel ou les faits et celle d’illusion qui concerne une formation psychique où entre en jeu le souhait. Or ce sont justement des notions importantes dans l’examen de la question du rêve.

Il nous faudra examiner pour résoudre cette question, d’une part, d’abord la nature du développement de l’argument freudien sur le rêve ainsi que le type d’appui recherché par cette revendication de la définition d’Aristote, et ensuite, d’autre part, revoir la conception aristotélicienne du rêve non seulement dans le contexte réduit des deux opuscules des Parva Naturalia, mais dans l’ensemble de ces traités et dans ceux qui pourraient concerner indirectement l’objet onirique quant à sa nature. En bref, chercher une voie de solution dans la jonction entre les six références à Aristote reprises par Freud à propos du rêve et les trois autres, apparemment éloignées de la question du rêve.

Outre l’esquise de ces moyens, situons à nouveau le sens de cette aporie. Elle concerne la vérité du rêve. Comment la vérité du rêve peut - elle être tributaire d’une production de !’imagination quand cette faculté est indifférente à la vérité ? L’enjeu consiste à préciser l’objet de cette vérité. Freud pose le rêve comme une réalisation de désir, Aristote comme le résidu illusoire - imaginatif - d’une perception. Pour Freud, l’objet de la vérité du rêve est intérieur à la personne ; pour Aristote, il est d’abord posé par rapport à la connaissance du monde extérieur ; le rêve corne fausse perception, comme illusion. Ce qui semble irréconciliable avec la démarche freudienne ; à moins qu’un examen, de proche en proche avec le lieu de

39 Aristote, HA539a21 : « Parmi les animaux, les uns naissent d’animaux en vertu de la parenté de leurs formes, les autres naissent d’eux - mêmes et non pas d’animaux de même genre, et parmi ceux - ci, les uns naissent de la terre et des plantes en putréfaction, comme c’est le cas de nombreux animaux à entailles », traduction Janine Bertier, Folio Gallimard, 1994, p. 254.

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convergence des deux positions, le rêve comme formation de !'imagination, nous amène à réexaminer la nature même de l’objet onirique et la nature de son acte.

Nous posons que c’est la nature de l’objet qui requiert un type particulier de démonstration. Nous allons d’abord, dans une première partie, l’examiner en détails dans la façon dont Freud développe son argument sur le rêve, par une lecture de deux textes majeurs, L’Interprétation des rêves et la section sur le rêve des Leçons d’introduction. Nous allons ensuite, dans une seconde partie, cerner certaines questions philosophiques posées par l’argument freudien ; et ce, par !’utilisation de la méthode aristotélicienne. Cette démarche nous entraînera à analyser la nature de l’objet onirique, puis à comparer les positions respectives d’Aristote et de Freud sur le rêve, et enfin à cerner ce qui peut faire la vérité du rêve et en quoi Freud y aurait contribué.

40 OCXVIII,171 : « L’opinion d’Aristote selon laquelle la vermine se développerait à partir de déchets...était une erreur ».

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ANALYTIQUE :

L’argument de Freud sur le rêve

La position de Freud dans son abord du rêve, dans sa méthode d’investigation, sera ici ce qui nous retiendra. Avant de l’examiner plus attentivement, il est intéressant de la présenter par contraste, comme une ombre chinoise, en opposition à celle d’un philosophe contemporain de Freud qui a abordé ces mêmes questions à peu près au même moment.

Henri Bergson fait une conférence sur le rêve41 le 26 mars 1901. Il cite et révise les mêmes auteurs que Freud ; il cherche lui aussi à se «placer d’emblée au cœur de la question» en présentant des exemples personnels. Il a déjà auparavant dans Matière et Mémoire, publié en 1896, critiqué «l’insuffisance des théories courantes de l’association»42 sur la fois qu’ultimement en remontant dans l’échelle des genres on en trouvera toujours un commun, que !’association ne règle pas la question de la sélection du souvenir sauf en lui supposant des attractions mystérieuses, et que cette théorie «atomise» la personnalité. Retenons une plus longue citation pour camper sa position. Bergson rend compte de !’association des idées comme si :

« chaque souvenir constitue un être indépendant et figé, dont on ne peut dire ni pourquoi il vise à s’en agréger d’autres, ni comment il les choisit, pour se les associer en vertu d’une contiguïté ou d’une ressemblance, entre mille souvenirs qui auraient des droits égaux. Il faut supposer que les idées s’entre-choquent au hasard, ou qu’il s’exerce entre elles des forces mystérieuses, et que l’on a contre soi le témoignage de la conscience, qui ne montre jamais des faits psychologiques flottant à l’état indépendant»43.

41 Le texte en est repris dans L’Énergie Spirituelle (1919), p. 878-897 dans Henri Bergson, Oeuvres, Édition du centenaire, Presses Universitaires de France, Paris, 1963.

42 H. Bergson, Oeuvres, op. cit., p. 302-306. 43 H. Bergson, Oeuvres, op. cit, p. 305.

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Sa conception du rêve le place du côté de la perception : «Ce n’en est pas moins avec de la sensation réelle que nous fabriquons du rêve»44. Plus loin, Bergson souligne que le rêve lui-même n’est qu’une résurrection du passé, mais un passé que nous ne pouvons reconnaître ; les souvenirs y sont à l’état de fantômes invisibles, s’agitant dans la nuit de l’inconscient en une immense danse macabre45.

On croit frôler la pensée de Freud ; cette insistance sur la mémoire, le souvenir inconscient qui se matérialise dans la sensation, «l’idée qui nous absorbait avait donc dû donner l’éveil, dans l’inconscient, à toutes les images de la même famille»46 ; le souvenir vient s’insérer dans l’impression. Pourtant, Bergson va rester replié sur le rêve comme jonction entre le souvenir et la sensation. Lorsqu’il cherche à «instituer une expérience décisive sur soi-même»47, il ne réusit qu’à mettre en acte la division du sujet avec lui-même, la scission entre le rêveur et le veilleur, qui annonce l’aboulie du rêveur. Comment pourrait-on vouloir quelque chose alors en rêve ? Le rêve n’a alors pour essence qu’un défaut d’ajustement entre la sensation et le souvenir48, défaut imputable à l’inertie du rêveur dans l’état de sommeil. Sa conception du rêve est liée à une psychologie des fonctions et non une psychologie du sujet. Et son accord avec Freud49 ne concerne qu’un détail factuel concernant les résidus diurnes. Il a prédit pourtant que «explorer l’inconscient, travailler le sous-sol de l’esprit avec des méthodes spécialement appropriées, telle sera la tâche principale de la psychologie dans le siècle qui s’ouvre»50.

44 H. Bergson, Oeuvres, op. cit., p. 884. 45 H. Bergson, Oeuvres, op. cit., p. 886. 46 H. Bergson, Oeuvres, op. cit, p. 889. 47 H. bergson, Oeuvres, op. cit., p. 891. 48 H. Bergson, Oeuvres, op. cit., p. 894.

49 H. Bergson, Oeuvres, op. cit, p. 896, dans une note ajoutée en 1919 lors de l’édition en volume. 50 H. Bergson, Oeuvres, op. cit., p. 897.

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Par contraste, la position de Freud aborde le rêve comme un objet psychique, non comme un phénomène ; une chose jetée devant ou à la face du rêveur et non comme une apparence à comprendre par rapport à la perception. Freud va chercher le sens du rêve et non pas sa description. Il va enfin y entrer par le biais d’une expérience personnelle qui ne relève pas du «comme si» ou de la mise en scène mais d’un concours particulier d’intérêts qu’il nous faut maintenant présenter.

A. Présentation du texte princeps sur le rêve

L’Interprétation des Rêves paraît le 4 novembre 1899 aux éditions Franz

Deuticke, de Leipzig et Vienne51. Le livre est pourtant daté de 1900 ; cette coquetterie d’éditeur pour annoncer le siècle nouveau deviendra symbole d’une influence marquante tout au long du XXè siècle. Pourtant, le livre se vendit peu, seulement trois cent cinquante et un exemplaires en six ans52. Fluit éditions53 seront publiées du vivant de Freud, dont la dernière en 1930. C’est le seul livre, avec les Trois Essais sur la théorie de la sexualité et la Psychopathologie de la vie quotidienne, que Freud a remanié et tenu à jour dans diverses éditions.

Les diverses préfaces de Freud pour ces éditions nous renseignent sur la place où il situe cette oeuvre et son objet, le rêve. Dès le premier paragraphe de la préface de la première édition, il pose ainsi la problématique : le rêve est le « premier terme » d’une série de formations

51 P. Gay, Freud, une vie, p. 7 ; d’après la lettre à Fliess du 5 novembre 1899. 52 P. Gay, Freud, une vie, p. 7.

53 Voir Standard Edition, 4, xi, (appelée SE) pour le détail des éditions allemandes : 1900, 1909, 1911, 1914, 1919, 1921, 1922, 1925, 1930. L’édition de 1914 introduit une nouvelle section sur le symbolisme des rêves au chapitre VI. La traduction anglaise (1953) de Strachey de la SE suit la huitième édition allemande. La traduction française de I. Meyerson réalisée en 1926 a été reprise par Denise Berger en 1967 pour suivre la huitième édition allemande, incorporer tous les additifs depuis 1925 et reproduire les différentes préfaces de Freud.

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psychiques, d’où sa valeur théorique de paradigme. La traduction anglaise serre de plus près le texte original en rendant le « erste Glied in der

Reihe » par « the first member of a class » pour souligner la connotation

anatomique du terme utilisé par Freud54. C’est le fondement analogique sur lequel Freud appuie la valeur paradigmatique du rêve qu’il énonce immédiatement à la suite dans ce même premier paragraphe. D’emblée est posée la question du rapport fondamental entre le rêve et la névrose sur lequel Freud va revenir aussi dans les préfaces des deuxième (1909) et troisième (1911) éditions. En 1909, le rêve est posé comme boussole dans l’élucidation des problèmes liés à la compréhension des névroses ; en 1911, il souligne qu’au delà de l’effet de levier pour !’intelligence des processus psychiques qu’il escomptait pour le rêve, une interaction s’est établie entre la compréhension des névroses et la connaissance du rêve d’une part, tout en notant un développement distinct pour chacun de ces champs, d’autre part. Il insiste sur la nécessité d’étudier plus en détail les rapports du rêve et des névroses55.

Une double articulation est ici soulignée. La valeur paradigmatique du rêve relève de la théorie, alors qu’il y a d’abord nécessité pratique de s’intéresser aux névroses, nécessité qui n’atteint pas le rêve. Toutefois,

54 Glied désigne d’abord la phalange du doigt, puis tout membre dont le « membre » sexuel et ultérieurement prend le sens de chaînon. Il connote l’idée d’unité de mesure dont l’origine fondée sur le repère anatomique des membres est bien sensible dans les mesures anglaises (le pouce, le pied). 55 L’Intérêt de Freud pour ce rapport entre rêve et névrose ressort plus nettement dans la correspondance avec Fliess. Dans la lettre du 15 mars 1898, il annonce un plan pour le livre sur le rêve dont le chapitre 6 sera : Rêves et Névroses. Le 19 février 1899, il énonce une distinction théorique entre rêve et symptôme : « It is enough for the dream to be the wish fulfillment of the

repressed thought, for dreams are kept at a distance from reality. But the symptom, set in the midst of life, must be something else besides : it must also be the wish fulfillment of the repressing thought. A symptom arises where the repressed and the repressing thought can come together in the fulfillment of a wish » (Masson, The Complete Letters, p. 345.). On sait aussi, par les lettres du 10 ,

25 et 30 janvier 1901, qu’il rédige le cas Dora comme une continuation du livre du rêve, et qu’il pensait l’intituler Le Rêve et l’Hystérie. Freud rappelera (Cinq Psychanalyses, p. 4) dans son avant- propos à Dora : « Cet ouvrage fut primitivement appelé Rêve et Hystérie, parce qu’il me semblait particulièrement propre à montrer de quelle manière !’interprétation des rêves s’entrelace à l’histoire du traitement, et comment, grâce à elle, peuvent se combler les amnésies et s’élu

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cela n’implique pas que Freud n’avait pu formuler aucune hypothèse théorique concernant la structure des névroses avant de progresser dans l’élucidation du rêve. On verra sur quels aspects il a pu compléter sa compréhension théorique des névroses par !’intelligence du rêve, et comment, par la suite, il a été amené à séparer, dans sa conduite pratique de la cure, !’utilisation du rêve et le maniement de la névrose. La valeur paradigmatique du rêve relève de plus de sa position de « premier membre » dans la série des formations psychiques. Ce premier membre doit être entendu d’abord comme référence à la polarité normalité- anormalité; le rêve est « l’anomalie » la plus normale de la vie psychique. Il s’entend aussi comme le terme le plus près de l’expérience commune, donc universelle, par opposition à la connaissance particulière nécessaire à !’intelligence des phénomènes psychopathologiques et des formations symptomatiques de la névrose. Freud cherchera donc à comprendre la névrose comme formation psychique anormale à partir d’une formation considérée comme universelle et normale. Il campe ainsi le rêve comme unité de mesure de la vie psychique, comme le pouce et le pied des premiers géomètres. Freud signifie clairement dans la préface de la seconde édition que le rêve lui a servi de sécurité (Sicherheit) épistémologique par rapport à ses oscillations (Schwanken) théoriques durant ses recherches sur la névrose. Le rêve arrive à mi-parcours dans cette quête.

À ce mi-parcours56, Anzieu a cerné les acquis de Freud et ce qui reste à venir. Délimités selon le cadre de référence systématisé ultérieurement par Freud dans sa « métapsychologie 57», ces acquis se résument comme suit. Freud, grâce à son travail clinique avec Breuer entre 1889 et 1895, est en

56 II faut situer ce mi-parcours en 1895, au moment où Freud commence à travailler plus attentivement sur ses rêves. Voir l’énigmatique et elliptique lettre à Fliess du 6 août 1895. Nous expliciterons ce point plus loin.

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possession57 58 du point de vue dynamique, celui des tendances opposées et des conflits inhérents aux processus psychiques dont les Études sur

l’Hystérie de 1895 traceront les grandes lignes. Ses propres recherches sur

l’angoisse, durant lesquelles incidemment il évoque sa « névrose cardiaque », montrent qu’il est en possession du point de vue économique59, celui des forces, des excitations, des tensions qui s’exercent dans le déploiement des processus psychiques. Il emploie le terme de

libido comme représentant d’une force et d’une énergie. Mais il raisonne

encore beaucoup comme un « physicaliste » dans son approche des problèmes psychiques ; le concept reste imprécis, chevauchant les plans physique et mental. Il lui reste, selon la présentation de Anzieu60 : « à découvrir le point de vue topique, pour lequel il n’aura nul précurseur, et qu’il va tirer principalement, ce sera une de nos thèses, de la matière même de ses rêves ».

Freud s’intéresse depuis longtemps au rêve. Jones cite61 des lettres non publiées de Freud à sa fiancée, datées du 30 juin 1882 et du 19 juillet 1883, où Freud fait état du calepin où il note ses rêves et de l’abondance de ses rêves. Freud cherchera à pousser plus avant la question en vérifiant sur lui-même certains aspects de son intérêt pour le rêve. Dans une longue note attenant au cas de Frau Emmy von N... dans les Études sur l’hystérie de 1895, il explique :

« Pendant le quart d’heure qui suivait mon réveil, je me souvenais de tous mes rêves de la nuit et me donnais la peine de les noter et de tenter de les expliquer. Je réussis à ramener ces rêves à deux facteurs : 1) À la nécessité d’élaborer les représentations sur lesquelles je n’avais fait que jeter un coup d’œil pendant la journée

57 Freud utilise le terme dans la lettre à Fliess du 13 février 1896. Et encore dans la lettre du 2 avril 1896 où l’analogie entre métapsychologie et métaphysique est posé implicitement dans révocation de son désir comme jeune homme d’une connaissance philosophique.

58 Possession partielle dira Anzieu, L’auto-analyse de Freud, tome 1, p. 175.

59 Voir entre autres les manuscrits D et E annexés à la lettre à Fliess du 21 mai 1894. Il introduit le terme libido dans le manuscrit E.

60 D. Anzieu, L’auto-analyse, tome 1, p. 176.

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et qui n’avaient pas été liquidées ; 2) À la compulsion à relier ensemble des choses présentes à un moment donné dans un certain état de la conscience. Il fallait attribuer à l’action souveraine de ce dernier facteur les contradictions et l’absurdité des rêves »62.

Le calepin des rêves de Freud n’a pas survécu à l’autodafé63 de 1885, mais on sait par certaines de ses oeuvres pré - psychanalytiques que le livre sur les rêves germe depuis longtemps. La Contribution à la conception sur les

aphasies (1891) met en place un point de vue qui, tout en restant

neurologique, va poser le parallélisme des phénomènes physiologiques et psychologiques, poser l’importance de la question de la représentation, en distinguant notamment la représentation de mot, liée au centre acoustique et « close », de la représentation d’objet - qui deviendra la représentation de chose dans la métapsychologie -, liée au centre visuel et « ouverte ». Freud va aussi y argumenter longuement en faveur de l’aspect fonctionnel, associatif et compensatoire du fonctionnement psychique, et ce sur la foi de constats purement neurologiques64. Freud va y soutenir l’importance du lien entre les traces mnésiques et le travail de « l’appareil de langage ». L’élaboration préliminaire de 1891 va se poursuivre plus loin dans

L’Esquisse d’une psychologie scientifique de 1895. Il y est cette fois

question du rêve de façon explicite. La clôture de la perception et de la motricité dans cet état permet à Freud d’élaborer sur le rôles des « neurones ψ », les voies de frayage rétentrices des perceptions (les « neurones φ »), et de lier encore le phénomène du rêve et celui de la

mémoire. Sa compréhension du mécanisme onirique et sa théorie

62 J. Breuer, Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, p. 53.

63 S. Freud, Correspondance 1873 - 1939, Gallimard, 1979, p. 152 : « J’ai détruit toutes mes notes de ces quatorze dernières années, ainsi que les lettres, les extraits scientifiques et les manuscrits de mes travaux », lettre à Martha Bernays, 28 avril 1885.

64 Pour un examen plus détaillé de ces questions qui ne peuvent qu'être évoquées ici, et, entre autres, sur l’influence des conceptions de Hughlings Jackson sur la pensée de Freud, voir Ludwig Binswanger, Freud et la constitution de la pensée clinique (1936), édition originale Freud und die Verfassung der Klinischen Psychiatrie, Schweiz. Archiv f. Neur. U. Psych., 1936, 37, dans Discours,

parcours et Freud, Gallimard, 1970, p. 173 - 200, collection Connaissance de l’inconscient, traduction

Roger Lewinter. Voir aussi le long développement de Jacques Massif, Freud - l’inconscient (Éditions

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principale du rêve sont déjà en place65, mais l’expérience concrète de l’auto - analyse de ses rêves lui manque encore pour l’élaborer de la façon détaillée dont il va le faire dans L’Interprétation des rêves.

Bien que l’écriture proprement dite du livre s’étende pour l’essentiel entre février 1898 et septembre 189966, la formation et la gestation de la

Traumdeutung se développent dans un temps antérieur, principalement

entre le 25 juillet 1895 et l’automne 1897. Le premier pôle correspond à la première analyse systématique d’un de ses rêves, l’injection faite à Irma, qui deviendra le rêve princeps de la Traumdeutung ; le second pôle correspond à la découverte du complexe d’Oedipe et au rôle fondamental du fantasme dans le déploiement des processus psychiques, à ce que Freud appellera la répudiation de sa neurotica67. C’est à dire, essentiellement, sa conviction antérieure que la névrose était surtout une

réaction à un événement externe de nature traumatique, abus, etc., et non

pas comme il le soutiendra désormais une construction particulière à une sollicitation interne de nature pulsionnelle. Entre ces deux pôles, deux événements majeurs dans la vie de Freud : la mort de son père et l’entreprise de son auto-analyse.

65 Naissance de la psychanalyse, p. 356 : « Les rêves sont des réalisations de désir ».

66 La correspondance avec Fliess fait voir que Freud soumet à son ami un plan du livre dans sa lettre du 15 mars 1898. Six chapitres sont annoncés : le premier est une revue de la littérature dont l'écriture est reportée à la fin ; le second traitera d'un spécimen de rêve à détailler ; le troisième du matériel du rêve, le quatrième des rêves typiques, le cinquième des processus psychiques dans le rêve et le dernier sera consacré aux rapport du rêve et de la névrose. En avril 1898, les chapitres sur le matériel du rêve et les rêves typiques sont avancés. En mai et juin 1898, Freud lutte avec la

rédaction du chapitre cinq annoncé qu’il trouve difficile et reporte. Au préalable (24 mai 1898), il

intercale un chapitre sur la formation du rêve avant le difficile chapitre cinq. En juin 1898, il évoque la rédaction du rêve spécimen. Fliess lui conseille de ne pas publier cet exemple. Suit une longue interruption dans la progression du travail entre le 20 juin et l’automne 1898. En décembre 1898, il commence à réviser la littérature. C’est pour lui un pensum qu’il conduit sur l’insistance de Fliess. Le début de 1899 est marqué par une inhibition à écrire. Le chapitre initial sur la revue de littérature sera complété en juin 1899. Ce qui deviendra le chapitre VII sur la psychologie des processus du rêve sera réécrit au complet en tout dernier en septembre 1899, peu avant la composition des épreuves qu’il fera réviser par Fliess.

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La Traumdeutung est tributaire de ces deux facteurs. Freud reconnut explicitement les deux dans sa préface de la deuxième édition en 1908 :

« Pour moi, ce livre a une autre signification, une signification subjective que je n’ai saisie qu’une fois l’ouvrage terminé. J’ai compris qu’il était un morceau de mon auto-analyse, ma réaction à la mort de mon père, l’événement le plus important, la perte la plus déchirante d’une vie d’homme. Ayant découvert qu’il en était ainsi, je ne me sentis plus capable d’effacer les traces de cette influence ».

Découverte a posteriori dont Anzieu a méticuleusement refait le parcours en démontrant par l’analyse détaillée de chaque rêve de Freud exposé dans L’interprétation des rêves le lien intime entre l’expérience personnelle de Freud et la composition du livre.

Le père de Freud décède le 23 octobre 1896e8. Freud réagit d’abord de manière froide et médicale, pour ensuite confesser à la fin de la lettre du 26 octobre qu’il est « really quite down because of it». Puis dans la lettre subséquente du 2 novembre, Freud commence à en révéler les effets plus profonds, et fait part d’un rêve fait la nuit suivant les funérailles, On est prié

de fermer les yeux. Freud insiste sur la double signification de la phrase,

celle du devoir dû au mort et de l’excuse motivée par le reproche, comme s’il avait manqué à son devoir ; il évoque la culpabilité du survivant. Le deuil dont fut saisi Freud fut d’abord tamponné par son immersion à l’automne 1896 dans la rédaction d’un ouvrage commandé antérieurement portant sur les paralysies cérébrales, rédaction pénible sur un sujet qui lui était devenu étranger et qui le retint jusqu’au début de 1897. Au printemps, il commence à rapporter des rêves à Fliess (Casa Secerno, le 28 avril 1898). Cette préoccupation s’intensifie68 69 dans les semaines suivantes et se conjugue

68 Voir la lettre à Fliess du 26 octobre 1896.

69 Lettre à Fliess du 16 mai 1897 : « I have felt impelled to start working on the dream », Masson, op.

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avec un intérêt accru pour le fantasme, ces fictions protectrices70. Ce lien est à nouveau énoncé dans la lettre du 7 juillet et la lettre du 14 août semble indiquer que l’auto-analyse est devenue systématique à l’été 1897, et en septembre-octobre elle occupe de façon privilégiée son champ d’intérêt71. C’est précisément à cette période qu’il avance de façon décisive dans la formulation du fonctionnement psychique.

Avant même la publication du livre, à l’été 1899, lorsqu’il sait que son travail en voie de parachèvement verra le jour, Freud exprime déjà à Fliess sa satisfaction : « No other work of mine has been so completely my own, my own dung heap, my seedling and a nova species mihi on top of it »72, et plus tard un peu vaniteusement : « The author of "the extremely important” book on dreams which unfortunately is not yet sufficiently appreciated by scientists” »73. Cette appréciation, Freud l’a soutenue de façon plus sobre dans les préfaces des rééditions de son livre ; livre fondamental à bien des égards, dira-t-il pour introduire la seconde édition, qui pourtant n’a pas eu le succès qu’il escomptait auprès du lecto rat visé. Pourtant, ce n’est pas par manque de recensions à la sortie du livre. Masson74 répertorie douze compte-rendus dans la presse, générale et spécialisée, entre 1899 et 1901. Freud a le sentiment de n’avoir pas convaincu ceux qu’il voulait atteindre

70 Voir la lettre à Fliess du 2 mai 1897, le manuscrit M du 25 mai 1897, et le manuscrit N du 31 mai 1897.

71 Voir les lettres du 3 octobre 1897 : « For the last four days my self-analysis, which I consider indispensable for the clarificaion of the whole problem, has continued in dreams and has presented me with the most valuable elucidations and clues » (Masson, op. cit, p.268), et du 15 octobre 1897 : « My self-analysis is in fact the most essential thing I have at present » (Masson, op.

cit., p.270).

72 Lettre à Fliess du 28 mai 1899, Masson, op. cit., p. 353. 73 Lettre à Fliess du 3 Juillet 1899, Masson, op. cit., p. 358.

74 Masson, The Complete Letters of Sigmund Freud to Wilhelm Fliess, p. 487-488. Pour le détail de ces compte-rendus, voir le livre de Norman Kiell, Freud without Hindsight, Review of his Works,

1893-1939, International Universities Press, Madison, Conn., 1988. Trente recensions de L'interprétation des rêves y sont reproduites. La première parut dès 1899 ; six autres parurent en

1900, puis cinq en 1901 et deux autres en 1902. Les dix premières parurent dans la presse générale ou des revues de sciences humaines; les deux dernières de 1901 parurent l'une dans le

Zeitschrift für Psychologie und Physiologie der Sinneorgane, l’autre dans le Zentralblatt für Nervenheilkunde.

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(psychiatres et philosophes, tel qu’il le souligne dans la préface de la seconde édition), et d’avoir suscité ailleurs un intérêt.

Par la suite, à la cinquième édition de 1919, il présentera son livre comme marqué d’un caractère historique. Ambiguïté de l’expression qui signe aux yeux de Freud75 une évolution de la signification de son ouvrage. Il voudrait, d’une part, mettre à jour le livre pour suivre les travaux et le développement de la théorie de !’interprétation du rêve (troisième édition), d’autre part, lui garder le caractère de témoignage originel (cinquième édition ) qu’il lui reconnaît. À partir de la sixième édition de 1921, Freud assignera un nouveau rôle à son livre76, celui d’éclairer non sur la nature du rêve comme initialement, mais d’éclairer la méconnaissance qui l’entoure. Freud a renoncé à garder son livre à jour ; désormais, il procédera d’une nouvelle façon pour cette seconde tâche puisque, dans !’introduction de la cinquième édition, il nous renvoie aux Leçons d’introduction de 1917- 18: « Ces Vorlesungen s’efforcent de présenter les choses d’une façon plus élémentaire et plus étroitement liée à la théorie des névroses. C’est une sorte d’abrégé de la Traumdeutung, bien qu’il soit, en certains points, plus détaillé ».

Dislocation donc du rôle dévolu par Freud à l’ouvrage originel sur le rêve. Il avait tenté dans les rééditions initiales de lui garder un triple but : témoignage personnel du périple de son auto-analyse et de son processus de découverte, fondement de la théorie des névroses, exposé des fondements et mise à jour de l’évolution de la théorie du rêve et de son

75 Voir à ce sujet le développement de Pierre-Henri Castel dans Introduction à L’Interprétation du rêve de Freud, p. 49-51.

76 Freud s’appuie, pourrait-on penser, sur une allitération qui lui indique la voie : La nouvelle édition (Ausgabe-Auflage) devient le lieu d’un nouveau rôle (Aufgabe).

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