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HAL Id: hal-00425371

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Submitted on 21 Oct 2009

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Mo(r/d)alité

Isabelle Butterlin

To cite this version:

Isabelle Butterlin. Mo(r/d)alité. Mo(r/d)alité, Sep 2009, Genève (Colloque de la Sopha), Suisse. �hal-00425371�

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Mo(r/d)ality

Isabelle Pariente-Butterlin

Colloque de la Sopha 02 Septembre 2009

J’étudierai l’usage de la supposition dans le cadre du raisonnement moral. Mais je limiterai cette saisie de la supposition : elle ne concernera pas les conditions de l’action ni l’état du monde auquel nous réagissons, c’est-à-dire qu’elle ne nous renverra pas à une connaissance probabiliste ou hypothétique des conditions du monde auquel nous réagissons.

Si l’ignorance dans laquelle nous sommes des situations auxquelles nous réagissons est saisie comme une difficulté pour l’acte volontaire, elle est cependant impossible à écarter dans l’ordre de l’agir humain. Cela rend difficile la détermination de l’acte volontaire (Aristote, EN, III, 5, 1113 b 18). Car si nous déterminons l’action volontaire comme une action en connaissance de cause, nous n’en trouverons quasiment pas dans l’agir humain. Il faudrait développer l’hypothèse d’une dimension modale immédiate de notre rapport à la situation : je pense en effet que nous tenons compte de ce que nous ne savons jamais tout de la situation à laquelle nous réagissons, et qu’en fait nous réagissons à un monde supposé immédiatement accessible à partir de notre monde, que j’appellerai ici W0. Je

reprendrai donc la question de l’accessibilité des mondes pour déplacer et modifier le thème de l’ignorance et pour interroger, dans une perspective modale, la question de l’acte volontaire.

Et pour ce faire, j’entends souligner la présence, au cœur d’un certain type de raisonnement moral, à savoir précisément le raisonnement de type universaliste, de l’articulation de la moralité à la modalité.

Je prendrai en compte les deux grandes conceptions divergentes des propriétés de la morale et de son mode de fonctionnement que sont l’universalisme et le particularisme. Une de leurs différences porte sur le type d’emprise que nous pensons pouvoir attribuer à la morale, emprise sur les actions que nous envisageons ou sur les maximes que nous adoptons. Mon idée est que l’universalisme moral a besoin, pour fonctionner, d’une

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dimension modale que ne requiert pas de la même manière, ni avec la même intensité, la version particulariste de la morale.

Les suppositions que nous produisons, par exemple la supposition, selon Clarke, qu’il existe une solution morale à la situation dans laquelle nous nous trouvons, quand bien même nous ne l’aurions pas perçue, ou la supposition de type universaliste que, si notre maxime est moralement bonne, elle sera capable d’entraîner un accord de tous les êtres rationnels, sont une figure récurrente du raisonnement moral. Il semblerait que le raisonnement moral ait besoin, pour fonctionner, de supposer résolue la question de son emprise sur le monde et que ce soit à cette condition qu’il puisse l’exercer.

Il faut dès lors tenter de dégager l’ontologie sur laquelle repose ce mode de raisonnement moral, dont on peut penser qu’il est la marque de l’universalisme moral, et plus généralement d’en dessiner des conséquences possibles pour la détermination des spécificités de la rationalité pratique telle qu’elle se déploie dans une conception universaliste.

Raisonnement pratique et délibération

Nous pouvons interroger les liens entre délibération et raisonnement pratique, non pas du point de vue motivationnel, mais du point de vue de l’exactitude de la conceptualisation ainsi proposée, par exemple sous la forme kantienne du pseudo syllogisme de l’universalisation, ou sous la forme aristotélicienne du syllogisme pratique. On peut alors se demander si le raisonnement moral implique un autre type de raisonnement que celui à la base des décisions neutres moralement. Ou encore si le paradigme des décisions en général peut fonctionner pour les questions spécifiquement éthiques. Ces questions amènent donc à préciser la spécificité de l’éthique.

Si tant est que la délibération précède donc l’action, ce qui est l’articulation la plus générale sous laquelle, depuis Aristote, nous pensons les liens entre décision et action, mais que nous aurions sans doute aussi des raisons de remettre en doute. Raisonnons-nous en vue ou afin de prendre des décisions ? Une telle affirmation ne me paraît en effet pas aller de soi. Tout comme il ne va pas de soi que la délibération, dans le sens qu’on voudra bien lui donner, précède l’action. Or dans le schéma qui a présidé à l’étude la rationalité pratique depuis Aristote, la rupture entre délibération et action est un outil suffisamment puissant pour nous permettre de conserver dans le raisonnement pratique les formes que nous connaissons à la rationalité théorique.

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J’ai voulu rappeler ainsi les difficultés qu’il y a à échapper à un cadre conceptuel dans lequel la décision, éventuellement sous la forme d’une délibération rationnelle, précède l’action dont on pense l’articulation à cette première étape sous le concept de motivation. Ainsi Aubenque rappelle-t-il que « La proairèsis est alors le moment de la décision, le vote succédant à la délibération, et qui n’est plus seulement la manifestation de l’intelligence délibérante, mais de la volonté désirante, laquelle intervient pour mettre en branle la délibération, mais aussi pour y mettre fin. » (Aubenque, La Prudence chez Aristote., 121). Ce cadre conceptuel est toujours celui dans lequel les problèmes de philosophie de l’action se posent et, de manière très générale, et j’ai tendance à penser qu’il empêche un certain nombre de problèmes de voir le jour.

Si donc nous interrogeons une des limites de cette représentation de la philosophie pratique, nous constatons qu’elle amène à concevoir les actions comme susceptibles de recevoir des descriptions qui précédent leur effectuation dans le monde. Les précédant, elles sont capables de décrire ce que serait l’action si elle était parfaitement aboutie, dans un monde dans lequel la temporalité parfaitement respectée de la distinction entre délibération et effectuation permettrait de ne pas avoir besoin de compléter la délibération d’aspects proprement pratiques, et dans lequel l’effectuation de l’action la mettrait en coïncidence exacte avec ce que nous avons envisagé de faire. De ce point de vue, il me semble que nous avons là une raison de plus d’adosser le raisonnement moral à des contre-factuels, et donc à un horizon modal.

Or ces descriptions sont ce sur quoi nous raisonnons lorsque nous disons raisonner sur les maximes de nos actions, ou tentons de raisonner sur elles. Il n’est donc pas faux de dire que la perspective morale nous demande d’adopter des raisonnements qui utilisent les contrefactuels. Par exemple,

« Actions are typically preceded by a deliberative process. This process consists in identifying one course of action among available alternatives as the most prefered means of achieving some goal. », Enç, How we Act. Causes, Reasons and Intentions, Oxford : Clarendon Press,

2003, p. 179

Enç décrit en détail l’algorithme dans le chapitre 5 du même ouvrage. Au fond, un tel modèle tourne autour de l’idée que, dans la décision qui précède une action, un agent identifie plusieurs alternatives et en choisit une. Un tel modèle est soumis à la force d’attraction d’une

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représentation en termes de modalités, et de mondes possibles. Mais dans une telle conception du raisonnement moral, les usages que nous faisons des termes renvoient uniquement à leur possible actualisation.

L’autre aspect de ce recoupement entre raisonnement moral et décision qui me paraît devoir être souligné est la présence qu’il implique, au cœur de notre conduite d’agent, d’un rapport essentiel au langage dont je ne pense pas qu’il puisse être neutre (tout comme, ainsi que Kit Fine l’a montré, il n’est pas neutre dans la dimension ontologique,

Mind, 2003). Mais qu’il n’est pas le lieu de développer ici.

Raisonnement moral et supposition de l’accord

Adoptons, malgré les réticences conceptuelles que je viens d’énoncer, le cadre coneptuel dans lequel, en général, nous installons l’action d’une délibération qui la précéderait pour éventuellement aboutir à une décision suivie d’une action. Dans un tel cadre, il devient intéressant de comparer le fonctionnement de la raison théorique avec celui de la raison pratique. Ainsi, dans la formulation kantienne de la morale, une des conséquences de la détermination rationnelle des maximes morales est qu’elles peuvent alors, si elles ne comportent pas d’erreur, être validées par un accord supposé de tous les êtres rationnels, si tant est qu’ils se déterminent uniquement rationnellement, et elle entraîne en outre cette affirmation selon laquelle « je dois donc je peux ». Supposons donc qu’il y a un mode rationnel de détermination de nos maximes d’action.

Je prendrai au sérieux, dans cette argumentation, la question de l’accord pratique que nous pouvons escompter de la part des autres sujets. C’est un des aspects fondamentaux de l’universalisme kantien, à partir duquel il est entièrement possible de reconstruire sa position éthique. Cet aspect indique la possibilité, dans le domaine de la pratique, d’une univocité de la réponse, reconnue comme réponse adéquate à la situation. Les conséquences d’une telle supposition sur la représentation que nous avons de la morale se déploient en effet à de multiples niveaux : si la raison pratique nous mène à une décision par la voie d’un raisonnement, pouvons-nous supposer le même accord à propos dans la décision que dans la conclusion d’un raisonnement ?

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Se dessine une onde de choc dans la série des conditions qui doivent être réunies pour que cet accord des êtres rationnnels soit possible, ou plutôt pour que nous soyons en droit de le supposer. Je me place non pas au niveau moral, dans l’examen de ce qu’il faut que nous fassions pour pouvoir le supposer, mais au niveau méta-éthique : je cherche à souligner les exigences que nous devons avoir vis-à-vis de notre maxime morale pour que nous puissions supposer un accord à son propos, et ces exigences s’enchâssant les unes dans les autres, je tenterai d’en montrer le caractère récursif. Ces conditions se répartissent selon deux types : les unes concernent les propriétés de la maxime elle-même, tandis que les autres déterminent les modes d’obtention de la maxime tels qu’elle pourra avoir ces propriétés.

Les propriétés de la maxime qui permettent aux êtres rationnels de s’accorder à son propos sont, je n’y reviens pas, l’élimination de toute détermination sensible de notre décision, pour ne garder que le critère rationnel de décision. Je ne développerai pas davantage ce point bien connu, qui demanderait cependant que nous précisions le rôle de la sensibilité et sa place dans la formulation kantienne de la morale. Les conditions méta-normatives retiendront en revanche mon attention. De ce point de vue, je souligne que la distinction entre le sensible et le rationnel est selon moi une distinction qui se joue au niveau normatif (on peut par exemple se demander si une norme respecte nos inclinations sensibles ou au contraire les contredit). En revanche, la distinction entre le formel et le matériel interviendrait au niveau méta-normatif puisqu’elle est un critère sous lequel on peut évaluer les maximes.

Je propose de souligner, avant d’en examiner les conséquences, une propriété de cet accord dans la formulation kantienne. Nous pouvons, dans cette analyse, la concevoir de manière intuitive, rejoignant en cela ce qui est sans doute une dimension intuitive de la position universaliste (dont je pense qu’elle est la première étape dans la constitution d’une situation comme morale, cf Dokic 2009) : il demeure supposé et jamais réalisé, du moins pas dans ce monde. Or la possibilité de sa supposition suffit à entraîner directement des conséquences sur notre pratique et la détermine.

Ainsi la définition de l’accord est efficace dans ce monde, y entraîne des conséquences, alors même qu’il ne sera pas réalisé, sinon dans le monde déontiquement parfait. Or ce monde déontiquement parfait, que Kant appelle également Règne de Fins, ne serait accessible qu’à la fin d’un progrès infini (qui demande les postulats de la raison pure pratique). Son accessibilité demeure tout de même problématique à partir de notre monde, puisqu’elle demande l’immortalité de l’âme, l’existence de la liberté et celle de Dieu, et elle

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ne peut qu’être supposée, pour des raisons motivationnelles : si nous ne la supposons pas, nous n’avons plus rien à espérer dans notre conduite morale.

On pourrait interpréter le fait que la loi morale ne soit pas valable seulement pour les actions des hommes mais pour tous les êtres qui disposent de la raison comme induisant une question à propos du monde dans lequel nous pensons les maximes morales. Il semblerait que nous disposions là d’un indice pour penser que ce n’est pas dans le monde actuel que nous nous plaçons, ou plus précisément, que ce n’est pas seulement en fonction de lui que nous réfléchissons les maximes morales. La valeur d’une morale ne se détermine pas en fonction de ce qu’elle manifeste dans un monde donné (ce qui nous explique que Kant se soucie au fond assez peu de la réalisation d’actions morales dans notre monde). Par là même se trouve ébranlée une fausse assurance sur le caractère univoque et intangible du cadre de nos actions morales.

Ceci ouvre une dimension modale de la décision morale, au centre même de la position universaliste, que ce passage illustre parfaitement :

« Quand la maxime d’après laquelle j’ai l’intention de rendre témoignage est examinée par la raison pratique, je cherche toujours ce qu’elle serait, si elle avait la valeur d’une loi universelle de la nature. Il est manifeste qu’alors, chacun serait contraint à la véracité. Il ne peut s’accorder avec l’universalité d’une loi morale, en effet, d’admettre des dépositions comme probantes et cependant comme intentionnellement fauses. De même la maxime que j’adopte relativement à la libre disposition de ma vie, se trouve immédiatement déterminée, du fait que je me demande comment elle devrait être afin qu’une nature, dont elle formerait la loi, puisse subsister. Il est manifeste que dans une nature de ce genre personne ne pourrait arbitrairement metre fin à sa vie, car une semblable disposition ne donnerait pas un ordre naturel permanent. » (Kant, CRPra., 1788, I, I, 1, 1, Vrin, p. 57).

Ces deux exemples suffisent pour faire apparaître le point central de mon exposé qui est que, dans la forme qui lui donne l’universalisme, le raisonnement moral a une dimension modale intrinsèque qui rend mieux raison de la nature de la morale. Cet aspect modal ne s’articule pas de manière classique essentiellement à la problématique du Règne des Fins – que l’on peut sans doute penser comme un monde déontiquement parfait. Il n’est pas essentiellement kantien mais essentiellement universaliste. Car il s’articule au cœur même du raisonnement que nous tenons lorsque nous voulons déterminer la valeur morale de notre action :

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« Nous avons, grâce à notre raison, conscience d’une loi à laquelle sont soumises toutes nos maximes, comme si un ordre naturel devait naître de notre volonté. »

(Kant, CRPra, p. 58)

et cette dimension modale transparaît également dans la deuxième formulation de l’impératif catégorique, qui enjoint d’agir comme si nous étions législateurs du Règne des Fins. Or nous ne sommes pas tels, mais nous devons adopter des maximes telles que, si nous l’étions, nous pourrions les adopter. Je n’insiste pas sur la dimension modale de ce mode de réflexion.

Sur quoi porte un raisonnement pratique?

Il est alors nécessaire de préciser le mode d’obtention de la maxime morale, tel que l’accord soit possible à son propos. En effet, une des versions de l’universalisme admet que, puisque nos décisions sont universellement valables, nous pouvons en conclure qu’elles doivent être validées par tous. Adopter une maxime morale telle que l’accord soit possible à son propos demande que nous nous projetions dans un monde possible dans lequel (1) il y aurait des êtres rationnels, (2) ces êtres se détermineraient tous à agir rationnellement. De (1) et (2) alors il s’ensuit nécessairement (3) qu’ils conviendraient tous que la maxime que nous avons adoptée est une bonne maxime, sinon la bonne maxime. Il y a donc là une détermination morale qui passe par un raisonnement sur les mondes possibles et qui pose la vexante énigme de l’unicité d’un monde possible idéal d’un point de vue éthique.

J’aurais pour ma part tendance à penser qu’il existe une différence entre le particulariste et l’universaliste quant à cet aspect modal. Le particulariste n’a pas besoin de ce rapport à un monde possible déontiquement parfait tel le Règne des Fins, c’est-à-dire un monde dans lequel les lois de nature seraient des maximes morales, ou pour le dire autrement, où les maximes morales seraient des lois d’une nature dont nous ferions partie. Certes, dès lors que nous posons la question de la morale, se pose la question d’un monde accessible qui soit un système de mondes dans lequel on peut définir le permis et l’obligatoire. Mais dans ce cas, c’est l’affirmation morale qui est une affirmation modale, et elle est commune à toutes les positions dès lors qu’elles sont des positions morales. On peut remarquer toutefois que la dimension modale est extrinsèque au particularisme, alors que je souhaite expliciter mon

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intuition d’un caractère intrinsèque de la modalité dans le cadre éthique, non seulement dans les qualités des jugements, nécessaires et possibles, mais dans l’ontologie même des lois de la nature et de la moralité. Or, dans la mesure où l’éthique traite des possibilia, cette articulation fondamentale me paraît rendre mieux compte de la nature de l’éthique et donc constituer un argument en faveur de l’universalisme, dans le débat qui l’oppose au particularisme (D. Lewis, On the Plurality of Worlds, 1986, Blackwell, p. 5).

Dans l’approche particulariste la dimension modale est adventice au raisonnement, alors qu’en revanche, dans le cas qui m’intéresse, la dimension modale est au cœur du raisonnement produit. Je ne pense pas que cette structure soit nécessaire au particularisme alors même que je vais tenter de montrer qu’elle l’est à l’universalisme. Car le particularisme, en cela qu’il compare des situations qui sont de fait, à partir desquelles s’élabore une solution morale, n’entretient pas ce rapport essentiel à la modalité, non plus qu’aux contrefactuels, que nous retrouverons également au cœur de la morale de type universaliste (Lewis, 1986, p. 20). Et en effet, Lewis précise que les similarités entre les cas, que le particularisme reconnaît, ne sont que le squelette de la théorie des contrefactuels (op.

cit., p. 20).

Nous pouvons donc à présent revenir sur le mode d’établissement de la maxime morale pour déterminer sa dimension modale. Cela demande que nous nous attachions à une des formulations que Kant donne de l’exigence morale :

« Voici la règle du jugement sous les lois de la raison pure pratique : demande-toi si l’action que tu projettes, au cas où elle devrait arriver d’après une loi de la nature dont tu ferais toi-même partie, tu pourrais encore la regarder comme possible pour ta volonté. », (Kant, CRPra., I, 1, 2, p. 82).

L’universalisme suppose la modalité dans le jugement moral, alors que les autres positions morales ne le supposent pas et peuvent en faire l’économie. J’insiste sur le point que cette structure modale est très forte, dans la mesure où elle est implique les lois de la nature : il ne s’agit pas d’une projection éthique d’une légalité naturelle, mais d’une nécessité aussi forte que celle des lois de la nature, même si le ressort de tout ceci est hypothétique. De sorte que je ne suis pas loin de penser que le raisonnement moral universaliste est fondamentalement différent des raisonnements que nous tenons dans les autres conceptions de la morale.

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Cette exigence, centrale dans le fonctionnement de la morale kantienne, est relue par T. Baldwin au regard du concept de modalité. Voir T. Baldwin, « Kantian modality », Proceedings of the Aristotelian Society, Supplementary volumes, vol. 76 (2002), pp. 1-24. S’appuyant sur la définition que donne Evans de la généralité, selon laquelle (G. Evans, The Varieties of Reference, Oxford : Clarendon Press, 1982, p. 100) les concepts permettent de valider ou d’invalider des hypothèses, quant bien même elles concerneraient des objets non actuels. Ainsi posséder le concept de F et le concept de G permet de penser un objet ayant les propriétés F et G, quand bien même le sujet qui conçoit cet objet le concevrait également comme non-actuel : le général est au moins orthogonal au modal. Nos concepts nous permettent de penser des objets auxquels nous ne sommes pas sûrs de pouvoir reconnaître l’existence.

Et précisément, dans la distinction que je cherche à faire entre les modes de raisonnement propres à l’universalisme et au particularisme, c’est ici que la ligne de crête se dessine et que les courants se répartissent. Car Dancy refuse cette connaissance générale obtenue par la combinatoire des concepts moraux :

« Where Kant taught us to think that only necessary universal truths can be known a priori, our basic moral facts are particular and contingent. And things are made worse by the fact we expect a priori knowledge to be gained by examination of the interrelation between concepts, or between meanings ; we expect it to be conceptual knowledge, or knowledge of analytic truths. But nobody could suppose that knowledge of a basic moral fact is gained purely by examining one’s concepts, nor by thinking about the meanings of words. In fact, there doesn’t seem to be a mthod of acquiring that sort of knowledge. » (Dancy, Ethics without Principles, Oxford University Press, 2004, p. 148-149).

Il semblerait précisément que ces suppositions puissent être faites par un universaliste. Il s’agit à présent de les mettre en valeur. Évidemment, si les raisonnements que tiennent un universaliste et un particulariste ne suivent pas les mêmes procédures, il reste à déterminer si l’éthique peut se déployer selon la même signification selon l’une et l’autre de ces conceptions de la morale.

Or précisément, cette connaissance de la valeur morale d’une action est a

priori et demande seulement que nous évaluions l’hypothèse de l’universalisation de notre

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procédure de validation des maximes morales. Cette validation, ou son contraire, à savoir l’invalidation, se fait au regard de ce que produit ma maxime en supposant qu’elle devienne

une loi de nature. Bien évidemment, lorsque je l’évalue, elle n’est pas une loi de nature, elle

n’est même pas encore une maxime de ma volonté.

Revenons aux termes proposés par Evans. Il faut donc, quand je cherche à repérer la valeur de ma maxime morale, lui attribuer une propriété F – que je propose d’identifier comme son contenu énonciatif à propos d’une action qui n’est pas encore réalisé – et une propriété G – qui est d’être une loi de nature. La propriété F, contenu phénoménal de l’action, varie en fonction des maximes que nous nous proposons (« je mens », « je respecte la parole donnée », « je rends la monnaie », « je respecte les fins qu’autrui pourrait se donner », « j’utilise autrui »), tandis que la propriété G, « être une loi de nature », leur est invariablement adjointe pour détecter leur valeur morale. b

À la maxime qui a la propriété F on adjoint la propriété G. Si on prend par exemple la maxime « je ne rends pas la monnaie »,

(1) je la projette dans un monde où elle a la propriété G

(2) je m’aperçois que devient une loi de la nature de profiter de tous ceux que l’on peut absuser.

(3) Je m’aperçois que comme je veux commercer, ce n’est pas respecter F que je veux. Car je ne peux pas vouloir en même temps (2) et (3) ; il y a donc une contradiction dans ma volonté.

On peut donc affirmer que le test kantien consiste dans l’adjonction de cette propriété G et seulement en cela, à une maxime arbitraire de la volonté. J’entends ici arbitraire au sens de Fine, 1985. Ainsi, de l’objet que l’on forme (maxime + propriété G), on ne peut pas dire s’il existe ni dans quel monde il existe (puisque ma volonté ne s’est pas encore décidée, puisque la maxime en question n’est qu’une maxime dont elle se demande si elle va l’adopter, puisque l’action qui y est décrite n’est ni décidée ni accomplie), mais, de lui, on peut dire s’il est contradictoire ou non-contradictoire. Il est certes possible de raisonner sur lui alors même qu’on n’en connaît pas toutes les propriétés. Car la description de l’action dans la maxime est une description à grain épais : elle élimine un certain nombre de propriétés, qui sont bien des propriétés de la situation et de l’action mais qui ne sont cependant pas considérées comme déterminantes, ni comme signifiantes pour l’action.

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Alors en effet, quelqu’un qui possède les concepts de F et de G, par exemple du mensonge et de G, l’universalisation selon une causalité naturelle, peut évaluer ce que ce serait qu’un mensonge devenu loi de nature. De sorte que les conséquences de F et G, F variant et G restant invariant, sont ce que nous évaluons dans le test kantien de moralité, et que nous détectons une contradiction soit entre F et G (devoir strict) soit dans le monde dans lequel les maximes ayant la propriété F auraient également la propriété G d’être des lois de nature (devoir large).

Le lien avec la question de la modalité se dessine donc: il s’agit pour Baldwin de raisonner sur les conséquences pour un objet (la maxime dont nous évaluons la portée morale) d’être à la fois F et G (universalisée). En effet, selon Baldwin,

« what is characteristic of the ability to understand what it would be for something to be both F and G. For the obvious account is that it involves an ability to reason concerning the implications, both positive and negative, of the hypothesis that something is both F and G, where the ability to identify these implications does not require knowledge of wether or not they actually obtain. » (Baldwin, 2002, p. 11).

Il faut donc souligner que, dans le cas du raisonnement moral, nous savons même que l’objet sur lequel nous raisonnons n’existe pas sur le mode du déjà-là actuel. Quand bien même l’objet qui a la propriété F deviendrait ma maxime, je sais qu’il n’a pas la propriété G et donc l’objet sur lequel je raisonne n’existe pas. Le monde dans lequel cet objet qui a la propriété F et qui peut exister dans un monde accessible à partir du nôtre, a également la propriété G n’est pas un monde accessible au terme d’un nombre fini de mondes dans une chaîne d’accessibilité puisqu’il s’agit du Règne des Fins qui ne pourra être atteint qu’après un progrès infini qui demande, pour être possible, l’articulations aux postulats de la raison pure pratique. Formellement ce monde est accessible, mais au terme d’un nombre infini de mondes, ce qui revient à dire que dans les faits il est inaccessible – il a le statut de l’idéal, qui vaut pour accessible pour un terme final, indéfiniment repoussé. C’est à ce moment que, dans la construction kantienne, interviennent les postulats de la raison pure pratique, qui nous assurent de la possibilité de l’accessibilité du Règne des Fins.

Évidemment, l’affirmation très forte qu’il y a dans cette analyse consiste à accorder aux concepts une dimension immédiatement modale (Baldwin, 2002, p. 12). La ligne

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de crête se dessine donc bien entre universalisme et particularisme : l’universalisme est modal en vertu de la connaissance par concepts qu’il reconnaît au centre de la morale, alors que le particularisme n’est pas une connaissance par concepts, et ne me paraît pas utiliser les modalités, sinon de manière extrinsèque.

En outre, le raisonnement pratique utilise quelque chose comme un objet arbitraire dans le test de l’universalisation. La mise en évidence de l’objet arbitraire permet de comprendre en quoi le raisonnement moral tel que Kant le conçoit relève de la déduction naturelle et se démarque donc de la forme syllogistique aristotélicienne. Sous cette forme, on peut considérer qu’il échappe quelque peu aux réticences que l’on peut avoir à exprimer la délibération sous la forme d’un raisonnement.

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