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L’énigme Nymfius

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01940923

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Submitted on 27 Feb 2020

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L’énigme Nymfius

Jean-Marie Pailler

To cite this version:

Jean-Marie Pailler. L’énigme Nymfius. Gallia - Fouilles et monuments archéologiques en France métropolitaine, Éditions du CNRS, 1986, 44 (1), pp.151-165. �10.3406/galia.1986.2856�. �hal-01940923�

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par Jean-Marie PAILLER

calcauit tristes sancla fides ienebras... inluleralque alto débita fama polo... hune tumuli titulum maesta Serena dicat.

TITULUS « Ci-gît

Nymfîus, membres saisis d'éternelle torpeur; Son âme pieuse goûte aux joies du ciel, son âme Voit les astres; la tombe enferme en paix son corps.

Fidèle, il a vaincu les sinistres ténèbres. Un renom mérité te portait vers les astres Et t'avait élevé jusqu'au faîte des cieux. Tu seras immortel : la multiple louange Fera vivre à jamais ta gloire chez les peuples. La province unanime en toi chérit son père,

Les vœux du peuple entier te souhaitaient la vie. Les jeux donnés jadis par ta munificence

Ont eu sur les gradins les vivats de la foule.

Par toi Mère Patrie convoqua l'Assemblée, Jugeant qu'elle parlait saintement par ta bouche. Le deuil du peuple abat les cités orphelines; Figés, les sénateurs siègent en foule anxieuse; Ainsi, tête coupée, les membres se raidissent; Ainsi troupeau sans chef s'afflige et s'alanguit. Faible secours d'un deuil immense, ton épouse, Serena l'affligée te dédie cette pierre,

Compagne de toujours d'un lit inséparable, Tout entière donnée à toi pendant huit lustres.

Douce fut près de toi la vie. Triste, elle attend La lumière éternelle et veut celle-ci brève. » Gallia, 44, 1986.

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A cet essai de traduction1 de l'épitaphe en distiques élégiaques de Nymfms provenant de Valentine (Haute-Garonne), conservée au Musée des Augustins de Toulouse, (fig. 1), il a paru bon de donner une forme versifiée, fût-elle assez libre, et, en dépit des obstacles de la langue, strictement «juxtalinéaire ». Le premier caractère de ce liluliis funéraire réside en effet dans le soin apporté à son élaboration littéraire : en témoignent sa longueur très supérieure à la moyenne, la perfection presque classique de sa métrique2 et plus encore la fermeté de sa composition. C'est sur ce point, et sur quelques particularités de la formulation, que je voudrais d'abord insister.

On peut parler, à propos de la composition de ce carmen, de subtilité dans la rigueur. Rigueur d'un découpage qui, mêlant le rythme binaire au rythme ternaire, juxtapose sur la plaque (hune liiulum) deux colonnes de douze vers consacrées respectivement à Nymfms et au luctus des siens.

1 Nous avons essayé de nous conformer aux règles de bon sens posées par J. Perret, sur les traces de Valéry traducteur des Bucoliques, dans Virgile par lui-même, Paris,

1964, p. 166-176. — Voici le texte de l'inscription {C.I.L. XIII, 128 == CE. 2099 = I.L.C.V. 391) :

Nymfius aeterno deuinctus membra sopor e hic situs est, caelo mens pia perfruitur ; mens uidet astra, quies tumuli complectitur arlus,

calcauit tristes sancta fides tenebras.

Te tua pro meritis uirlutis ad astra uehebat 5 intuleratque alto débita fama polo.

Immortalis eris, nam multa laude uigebit uiuax uenturos gloria per populos.

Te coluit proprium prouincia cuncta parentem, optabant uitam publica uota luam, 10 excepere luo quondam data munera sumptu

plaudentis populi gaudia per cuneos. *

Concilium procerum per te patria aima uoeauit seque tuo duxit sanctius ore loqui.

Publicus orbaias modo luctus conficit urbes 15 confusique sedent anxia turba patres,

ut capile erepto torpentia membra rigescunl, ut grex amisso principe maeret iners. Parua tibi coniunx magni solacia luctus

hune tumuli tilulum maesta Serena dicat. 20 Haec indiuidui semper comes addita fulcri

unanima tibi se lustra per oclo dédit. Dulcis uita fuit tecum. Cornes anxia lucem

aelernam sperans hanc cupil esse breuem.

Au Musée des Augustins (Inv. Ra. 197) ; légende : « ive s. Christianisée ultérieurement ».

2 Rares sont les tiluli funéraires dépassant quinze vers (cf. Bûcheler-Lommatzsch, Carmina Latina Epigraphica: CE.). La moyenne s'établit entre cinq et dix vers. Aucun autre titulus, semble-t-il, ne se présente comme celui-ci sous la forme de séries égales de vers juxtaposées en colonnes, (v. fig. 1 et infra n. 55). — En ce qui concerne la métrique, je reproduis ici les justes remarques de M. Monbrun : « Perfection classique, oui — sauf sur un point : la technique des fins de pentamètre. Je relève pêrfrûîtûr v. 2, tënêbrâs v. 4,

pôpùlôs v. 8. cùnëôs v. 12. Or, le pentamètre du distique élégiaque doit se terminer par un mot iambique w— : pôlô, tùâm, etc. Cette règle a été observée avec une rigueur de plus en plus grande au point qu'Ovide ne l'enfreint jamais dans les Amours, l'Art d'aimer et les Remèdes à F Amour ; il se permet de rarissimes infractions dans les Tristes et les Poniiques. Cf. E. Bréguet, Le Roman de Sulpicia, Genève, 1946, p. 78, et H. Drexler, Einfùhrung in die rômische Metrik, Darmstadt, 1967, p. 108. » — Pour ce qui est enfin de la paléographie, je signale aux spécialistes une particularité bien visible sur la photographie (fig. 1) et confirmée par l'examen tactile de la pierre : la grande majorité des A du texte s'adorne d'une petite incision diagonale, sorte d'apex placé entre les deux pieds de la lettre. En elle-même, et dans l'état actuel de nos connaissances, cette particularité, pas plus que d'autres données paléographiques, ne fournit d'indice chronologique incontestable : cf. les conseils de prudence de N. Gauthier, Recueil des Inscriptions Chrétiennes de la Gaule, Première Belgique, Paris, C.N.R.S., 1975, p. 35 (§ 36) : «l'étude paléographique s'avère assez décevante dans la mesure où elle ne permet de déboucher sur aucune vue synthétique. L'habileté et la conscience professionnelle du lapicide semblent des facteurs beaucoup plus déterminants que l'évolution générale de l'écriture épigraphique... » Toutefois, même en tenant compte de la distance séparant la Première Belgique de la Novempopulanie, et du fait que « chaque région a ses propres usages, qui évoluent indépendamment des régions voisines » (ibid.), certains aspects du titulus de Nymfius méritent d'être notés : l'élégance et la régularité des formes, l'allure des lettres « hautes, minces, fines » ; le « F à barre supérieure nettement oblique », le « M à hastes verticales, dont les traverses médianes se joignent au niveau du quart de la hauteur à partir du bas ». Certes, les « T » de la plaque de Valentine ne présentent pas de « linteau ondulé » comme à Saint-Mathias I ou ailleurs dans l'Empire au ive s. (cf. A. E. Gordon, Album of Dated Latin Inscriptions, III, A.D. 200-525, Berkeley-Los Angeles, 1965, pi. 150, 151 a, 164) ; inversement, le « A pointé » ne paraît pas attesté en Première Belgique. Il reste que l'ensemble de ces caractères, le ducius souple et stable de l'écriture, apparentent davantage notre inscription à celles que Mme Gauthier date de la seconde moitié du ive s. qu'à des pierres plus tardives (ibid. p. 27-31, p. 384-385).

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La première se laisse subdiviser en trois « quatrains » illustrant successivement le sort de Nymfius, corps et âme, après sa mort; la gloire éternelle de ses hauts faits; la popularité de l'évergète. La seconde partie, en deux volets égaux de six vers, exprime le deuil : deuil public après la mort d'un « père », pour la « patrie » et les « villes »; deuil privé de l'épouse Serena.

A ce premier principe de la composition, rendu évident par la disposition matérielle du titulus, s'en superposent d'autres, qui mettent en relief l'unité profonde de la pièce. Ainsi, après les quatre premiers vers, où est évoqué à la troisième personne, et comme objectivement, le destin de Nymfius, le reste du poème, s'adressant à lui, martèle un tutoiement3 dont la fin du texte donne le sens en révélant celle qui parle. « Serena », au dactyle cinquième du vers 20, répond ainsi à « Nymfius » du premier vers, et ces seuls noms propres, sujets du dialogue, encadrent l'ensemble du poème. Les reprises tumuli (v. 3) / tumuli (v. 20) et surtout aeterno (v. 1) / aelernam (v. 24) soulignent la fermeté et la finalité de cette disposition en chiasmc. Dans un texte où chaque vers correspond normalement à une unité syntaxique et sémantique, les deux premiers et les deux derniers se singularisent encore, puisque seuls ils donnent lieu à un enjambement qui met symétriquement en relief hic situs est, opposé à caelo mens... perfruitur, et lucem aelernam sperans, qui contraste avec hanc cupil esse breuem : le couple ennemi des deux adjectifs enveloppe ainsi le vers final.

Hanc (lucem) : arrêtons-nous un instant sur le triple et savant emploi, dans ces derniers vers, du démonstratif de proximité et de « première personne » : hune, au vers 20, désigne « la plaque que voici », œuvre de Serena; au vers suivant, haec cornes est synonyme de ego...; enfin le hanc du dernier vers a un sens particulièrement riche et suggestif : il caractérise la vie « d'ici-bas » qui est en même temps celle de Serena, son sort présent dans l'attente de l'autre lumière : lucem (illam) aelernam, celle dont jouit déjà (perfruitur) la mens pia de Nymfius. Ainsi se confirme que l'épouse du défunt prend à son compte l'ensemble du poème, dans un langage qui fait la locutrice à la fois proche du tombeau, proche du lecteur4 et proche de Nymfius dans l'éternité désirée.

Un jeu de correspondances plus subtil, très cohérent, entremêle à ces découpages évidents (12/12, 4/20) un autre principe de composition, indifférent celui-là au partage matériel du texte en deux colonnes comme aux variations sur la personne des verbes. Selon ce principe, à l'évocation générale du destin de Nymfms (v. 1 à 8) succède, avec la mention renouvelée de son élévation ad aslra (cf. polo, qui fait écho à caelo), l'illustration de son personnage public (v. 8 à 16)5. Celle-ci se conclut par une double image (v. 17-18) ouvrant enfin la voie au luclus de Serena (v. 19-24). De la même façon, les vers 7-8, qui évoquaient la fama passée du défunt en appelant sur lui laus et gloria chez les peuples

à venir, avaient conduit tout naturellement au second thème.

Dans ces articulations, en effet, non seulement le choix des mots et leur éventuelle récurrence, mais aussi le jeu sur le temps des verbes et le renversement qui s'y opère parfois du sujet à l'objet tiennent une place essentielle. Maniés avec sûreté, ces procédés permettent à la fois le glissement

3 On noiera la place éminenle du pronom personnel et de l'adjectif possessif de la deuxième personne aux vers 5 (premier et deuxième mots), 9-10 (deux mots encadrant ces deux vers), 11, 14, 19, 22 (deuxième mot), 13 et 23 (à la césure). Cet emploi du « Du-Stil », comme le fait observer M. J. Fontaine, est caractéristique du genre hymnique célébrant les exploits d'un héros : ainsi Hercule chez Virgile, En. VIII, 292 s.

4 En contexte funéraire, l'usage expressif de ce démonstratif est facilité par la présence — la prégnance — de la formule classique hic situs est (ici au vers 2). On comparera CE. 856 = I.L.C.V. 3443 : quo repetente suam sedem nunc uiuimus illic, où l'adverbe de lieu désigne le séjour des bienheureux (c'est le défunt qui s'exprime) ; sur cette dernière inscription, v. infra, n. 33. Opposition du même ordre : CE.

1559, 13-14 : hic corpus... narn spiritus iuit j illuc unde ortus ; cf. G. Sanders, Lichl en duisternis in de christelijke graf- schriften, Bruxelles, 1965, p. 127-128, 1028.

5 La densité du vocabulaire civique et « public » est véritablement impressionnante dans ces vers : prouincia, publica uota, munera, tuo sumptu, plaudentis populi... per cuneos, concilium procerum... uoeauit, publicus luclus, urbes, patres. Elle suffit à corriger le sentiment d'emphase un peu vague que pourrait faire naître le texte, et introduit habilement dans le langage poétique les éléments d'une titulature. Multa laude, au v. 7, ferait-il allusion au caractère officiellement laudabilis du personnage, indice de sa place éminente dans les hiérarchies des curies ? Cf. ci-dessous.

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continu, le mouvement perpétuel d'un thème à l'autre et l'expression, au cœur même du texte, du système d'oppositions qui en est constitutif.

Le temps des verbes : le parfait calcauil, mis en valeur par hyperbate en tête du vers 4, montre dans la béatitude présente de l'âme de Nymfius le résultat victorieux d'une épreuve subie lors de la mort. Il introduit en même temps les passés uehebat, intulerat, débita, qui justifient par les mérites de sa vie d'autrefois son bonheur actuel, et fondent la promesse des futurs immortalis eris, uigebit... gloria. Les parfaits de la seconde partie (v. 8-16), soulignés d'un quondam au vers 11, nous ramènent à la carrière terrestre et civique de Nymfms, aux attachements qu'il a suscités dans sa province, et font ressortir par le contraste des temps utilisés l'abattement et le désarroi qui s'emparent maintenant (modo) des cités et des grands : conficit urbes, sedent... paires. La comparaison « homérique » des vers 17- 18 s'exprime normalement au présent, celui des vérités intemporelles. Le même temps est utilisé deux vers plus loin (dical) avec une valeur immédiate, très différente. Il annonce un nouveau diptyque, dont le premier volet, au parfait (dedii... dulcis uiia fuit) rappelle l'harmonie exemplaire de la vie qu'a menée le couple quarante ans durant, avant que le second ne se tourne résolument (cupil) vers un avenir porteur d'éternité.

Quant à la construction antithétique présente de bout en bout, elle ne repose pas simplement sur un goût immodéré, « décadent », pour le cliquetis des symétries verbales, comme le donnerait à penser par exemple une lecture hâtive des vers 19-20, qui mettent en regard, de manière assez plate, parua et magni, et osent le rapprochement maesta-Serena. Cette tendance n'est pas niable, mais elle vient en fait de plus loin, et trouvait d'emblée son expression la plus accomplie dans le premier « quatrain », avec les oppositions déjà évoquées deuinctus /calcauit, membra-arlus/mens, sancla fides j tristes tenebras. Nous reviendrons sur la valeur religieuse possible de cette présentation6. Constatons qu'elle annonce et détermine le sens véritable, tout au long du poème, des reprises et glissements repérés plus haut. Si l'âme du mort a trouvé le bonheur du ciel, c'est tout le terrestre après lui qui s'en trouve comme dévalué, bien au-delà d'un entourage politique et familial frappé de stupeur. Ainsi s'opère un renversement des vers 9-10 au vers 15, avec le retour de l'adjectif publiais dans un contexte complètement bouleversé, puisque l'adhésion ardente à l'action et à la personne vivante d'un parens (le coluii... parentem, opiabanl uitam) fait place à l'abattement passif (luctus est sujet, urbes complément de conficil) des cités orbatas, littéralement « privées de père », tandis qu'aux acclamations du peuple sur les gradins (v. 12) succède l'accablement des patres siégeant dans les curies des villes (v. 16). On comprend dès lors que l'image qui suit : ut... torpentia membra rigescunl, rappelle presque mot à mot deuinctus membra sopore au premier vers, cependant qu' mers fait lointainement écho à deuinctus.

Tout se passe donc comme si la torpeur et la rigidité de la mort — celles qui caractérisent le corps, mais le corps seul de Nymfms — s'étaient communiquées à tous ceux, survivants et désolés, qui subissent la perte de son « âme », c'est-à-dire qui sont privés de son élan, de sa direction, de sa voix même devenue jadis leur propre parole : seque tuo duxit sanclius ore loqui. De même, Serena éplorée (maesla, au v. 20, reprend à son tour maerel du v. 18) ne peut ici-bas que s'occuper, avec le lilulus tombal, des honneurs « corporels » (cf. le v. 3) offerts à son époux : parua solacia, en effet, pour une telle absence ! D'où le rappel insistant de l'indéfectible compagnonnage terrestre de Nymfms et de Serena (indiuidui, unanima, uiia tecum, deux fois cornes7), qui justifie celle-ci de se situer en espérance de l'autre côté de la mort, du côté de la vraie vie avec Nymfms.

6 Infra, deuxième partie : fides. Le vers 3 résume à lui virgilienne ? V. infra, n. 12.

seul l'intention et les effets décrits ici, par sa disposition 7 Sans oublier le rapprochement expressif à la césure du « embrassée » qui met en valeur mens et artus aux deux v. 22 : tibi se... dédit. Pour l'idée et pour le vocabulaire, on extrémités, tout en les opposant respectivement comme sujet peut comparer le bref carmen funéraire de Rome, CE. 1306, et objet des verbes de chaque hémistiche : réminiscence v. 4 : Celsino nupla uniuira unanimis.

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Peut-on faire le point sur l'intérêt propre de cette pièce, en laissant un instant de côté ses aspects proprement religieux et politiques? Il faut le reconnaître : aucun des thèmes qu'elle développe n'est en soi original. Le défunt élevé au ciel, le peuple privé de chef, la veuve inconsolable aspirant au trépas figurent dans maint autre carmen funéraire8. Mais on ne connaît pas ailleurs d'égal à la réussite, à la cohérence d'une forme qui assure la fusion intime de ces thèmes et la progression interne rigoureuse du texte. Tout autre qu'un simple exercice, ou le démarquage d'un « manuel pour lapicides »9, celui-ci apparaît l'œuvre d'un véritable lettré10, sinon même d'un écrivain authentique. A cette conclusion ne contredit pas le constat fait par divers éditeurs que plusieurs passages démarquent tel ou tel vers de poètes classiques, tandis que certains autres ont des parallèles dans l'épigraphie funéraire latine. Les réminiscences, voire les citations de séquences verbales et métriques, n'ont rien qui déroge aux conventions de ce genre littéraire, et on ne prétendra pas ici en dresser la liste après d'autres11. Posons simplement deux questions : immortalis eris, au début du vers 7, reste, nous semble-t-il, sans précédent ni homologue dans les carmina epigraphica. Ne faut-il pas y voir un lointain rappel du Tu Marcellus eris du livre VI de Y Enéide12 1 L'évocation d'un passage « augustéen » de Virgile serait d'autant plus plausible que notre texte fait de Nymfius, trois vers plus loin, un véritable parens palriae à l'échelle provinciale.

Le second problème est posé par la formule qui ouvre le iiiulus : aeterno deuinctus membra sopore. Ce composé de deux passages de Lucrèce et de Virgile13 n'est pas un hapax : il couronne, comme un signe de reconnaissance, le bref éloge funéraire d'un artis grammatices doctor morumque magister, le Limousin Blaesianus Biturix, représenté sur son tombeau en philosophe qui tient d'une main uolumen et tabella, de l'autre un globe, insignes de son art14. Ce Musarum semper amator, autrement inconnu, serait-il l'auteur sur commande des elogia de grands personnages, parmi lesquels notre Nymfius? La chose par elle-même n'a rien d'impossible15, encore que la date des deux inscriptions nous demeure obscure — on verra plus loin les problèmes posés dans le cas de Nymfius — et que la dernière partie

8 Particulièrement représentatif de ce dernier thème, un carmen de vingt-six vers (CE. 1142) conservé à Rome à Sainte-Marie du Transtévèrc se termine ainsi : quos iungil tumulus iunxeral ut thalamus.

9 L'hypothèse des recueils ou « manuels » de carmina funéraires utilisés par les lapicides a été émise par Le Blant,

I.C. G. II, p. 180-181, 187; contra, entre autres, les solides arguments de Sanders, « Les chrétiens face à l'épigraphie funéraire latine », dans Assimilation et résistance, Actes du VIe Congrès Internat, des Et. Glass. (Madrid, 1974), Paris, 1976, p. 288, et déjà la discussion d'E. Galletier, Étude sur la poésie funéraire romaine, Paris, 1922, p. 237 s.

10 Litterator, et non simple litteralus : sur cette distinction, Suétone, De grammaticis , 1, 3-5. Sur la situation historique et psychologique de ces lettrés de l'Antiquité tardive, v. infra. On opposera à notre auteur, à titre d'exemple, Yignotus et ignobilis poeta (Bùcheler) de CE. 1555.

11 Diehl, I.L.C.V. 391, signale par exemple dans son commentaire des réminiscences de Lucrèce (vers 1, v. infra, n. 13), de Stage, Theb. VIII, 377, 2, de Virgile, Gé. II, 509 s. (vers 11-12), de Silius Italicus, XV, 7 (vers 16).

12 Virgile, En. VI, 883. On songera aussi au famae uenienlis amore dont Anchise, six vers plus loin, enflamme le cœur d'Énée : nos vers 7-8 paraissent là encore en prolonger l'écho. L'hypothèse n'a pourtant rien d'assuré : une séquence sonore comparable se présente en tête du v. 5 de CE. 1295 (lune tu talis eris), où le contexte est bien différent. — D'autre part, la mise en valeur symétrique de mens et arius au vers 3

trahit sans doute un autre souvenir du même livre : lotamque infusa per artus / mens agitât molem... (En. VI, 726-727). Ce vers est signifîcativement placé à l'orée de l'exposé doctrinal d'Anchise (724-751), qui éveille plus d'une résonance chez le lecteur de l'épitaphe de Valentine.

13 Lucrèce, IV, 453 : cum suaui deuinxil membra sopore ; Virgile, En. VIII, 394 : aeterno fatur deuinctus amore. Le mot sopore(m), pour des raisons à la fois sémantiques, métriques et de suggestion évocatrice, apparaît volontiers en fin de vers dans les carmina funéraires : cf. plusieurs exemples dans G. Sanders, Licht..., op. cit. supra, n. 4, p. 336-337. M. Monbrun signale encore des rapprochements avec d'autres vers de Lucrèce (I, 34) et de Virgile (En. VIII, 394).

14 Inscription de trois vers (hexamètres dactyliques) d'abord publiée par Espérandieu, dans la Revue épigraphique du Midi, 1891, p. 77 = CE. 481. Observons, sans en faire un argument pour la suite du débat, que rien n'indique que Blaesianus ait été chrétien.

15 Cf. E. Galletier, op. cit., p. 238. Ce constat reste évidemment insuffisant pour fonder une certitude ou même une simple probabilité : la citation peut aussi bien avoir été empruntée par Blaesianus à l'auteur du carmen de Valentine, ou encore l'un et l'autre doivent ce vers à une source commune — sans exclure la possibilité de deux créations autonomes à partir du matériau poétique classique. Bien entendu, si l'on attribue le tilulus à une époque tardive, on peut en faire l'œuvre d'un « spécialiste » comme Fortunat. Mais v. infra.

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du titulus de Valentine paraisse impliquer trop personnellement Serena pour que Blaesianus, ou tel de ses confrères, ait joué en l'espèce le rôle de simple commanditaire occasionnel. On imaginerait plutôt un « poète de cour » provincial suffisamment lié à Nymfius et à Serena pour traduire fidèlement et habilement les sentiments et les convictions de cette dernière.

Une chose est sûre : par-delà l'expression lyrique, in fine, des sentiments personnels d'une femme anxia, l'ensemble de cette composition savante vise à transmettre un message plus vaste. Et puisqu'il n'est question, tout au long de ce texte, que de la destinée par-delà cette vie de l'être disparu, quelle était donc la nature de ces représentations, voire de ces croyances? En quoi consistait la fides de Nymfius, qui « foula aux pieds les tristes ténèbres »?

FIDES

Ces questions, que nous nommerons ici celles de la fides, par allusion à la sancla fides du quatrième vers, n'ont guère été posées à propos de Nymfius, ou du moins ne l'ont parfois été qu'à titre secondaire, pour ainsi dire par acquit de conscience. De Sacaze à Sanders en passant par Le Blant, Battifol, Diehl, Lizop, Lattimore et bien d'autres, les commentateurs sont à peu près unanimes à considérer comme chrétiens le document et ses héros (Nymfius, Serena, sans oublier l'auteur du titulus), au motif que l'inscription est gravée de cinq croix, une en son centre et une dans chaque angle (fig. 2). De cette identification première ont découlé toutes les exégèses du texte, qu'elles fussent exemptes d'« états d'âme » ou qu'elles marquassent (Le Blant, Battifol) quelque légitime surprise face à certains aspects de son contenu16.

Or voici que récemment M. Georges Fouet, essayant de déchiffrer le palimpseste des vestiges antiques et médiévaux situés autour des ruines de l'église romane d'Arnesp, à proximité de la villa de Valentine, a rappelé à propos du titulus de Nymfius quelques éléments bien connus et trop négligés17. Il est constant que cette plaque, retirée vers 1818 d'un mur de l'église paroissiale de Valentine, y avait été insérée au xvme siècle, avec d'autres fragments architecturaux, lorsqu'on détruisit l'église d'Arnesp. Elle en provenait donc, et y avait selon toute vraisemblance servi de table d'autel. Quoi qu'il advienne des conjectures de M. Fouet concernant les étapes antérieures de l'histoire des lieux, du « mausolée » de Nymfius à une église paléochrétienne, puis mérovingienne, et enfin au prieuré du xe-xie s., il demeure très probable, comme il l'écrit, que les croix ont été gravées sur la pierre pour la consacrer au culte chrétien, donc à l'occasion d'un remploi postérieur à son utilisation funéraire primitive18.

S'ensuit-il que Nymfius et les siens n'aient pas été chrétiens? Pas nécessairement, mais il faut admettre que la disparition du principal pivot, du « roc » d'une interprétation qui paraissait aller de soi

16 Cf. J. Sacaze, Inscr. Ant., 163 ; E. Le Blant, I.C. G. II, 595 a ; H. Battifol, Bull. litt. eccl., 1902, p. 141-147 ; E. Diehl, I.L.C.V. 391 ; R. Lizop, Les Convenae et les Consoranni, Paris-Toulouse, 1931, p. 341, 460 et passim ; R. Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, Urbana, 1942, p. 306-307, 318 ; G. Sanders, Licht, 1965, p. 53, 156-157, 336-337, 371-372, 493, 506, 521-523, 599, 606, 680, 735-737, 841-843. - Le Blant, loc. cit., p. 415, observe que l'épitaphe de Valentine ne se conforme pas au « formulaire de l'épigraphie chrétienne » commune ; Lizop, p. 460 : « un curieux mélange de caractère chrétien et de phraséologie païenne ». Sur les réserves présentées par H. Battifol, v. infra.

17 G. Fouet, dans Revue de Comminges, XCIII, 1980, p. 495-508, et dans Gallia, 1984, p. 153-173. G. Fouet avait déjà présenté cette remarque dans une communication au

96e Congrès National des Sociétés Savantes (Toulouse, 1971) reproduite dans les Actes de ce Congrès, p. 123-136 (cf. notamment les n. 37-38, avec les observations de M. Durliat).

18 La disposition des croix aux angles et au centre caractérise la consécration de tables d'autel. On remarque le soin avec lequel la branche horizontale de la grande croix centrale est insérée entre deux pentamètres, respectant soigneusement le texte. Autre indice de remploi : les autres croix, plus petites, ont été gravées entre les bords de la plaque et les queues d'arondes qui encadraient latéralement l'inscription à l'origine. Ajoutons que la collation du texte dans un Codex Parisinus du xe s. {CE. 722) implique que dès cette époque il ait été bien lisible, sans doute dans un lieu public : notre table d'autel ? Enfin la plaque porte, surtout en son centre, de très nombreuses marques d'usure anciennes.

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remet en cause l'ensemble de cette exégèse. Ainsi les réserves subalternes présentées par certains auteurs prennent tout à coup une force singulière. Relisons par exemple les remarques de bon sens de H. Battifol : « Serena aura demandé cette inscription à quelque rhéteur païen, comme la Narbonnaise en comptait encore de célèbres (...). De là ces paganismes d'expression : la mort est ' éternelle ' pour le corps, l'âme va ' vers les astres '; la gloire suffît à assurer ' l'immortalité ' à ce haut fonctionnaire, à ce curialis... » Ces lignes, dès lors qu'on allège le lilulus de Nymfius de croix adventices, donnent en fait quelque raison de voir en lui un païen. Au reste, selon le même auteur, c'est « discrètement ou gauchement » que « la foi nouvelle s'essaie à percer toute cette pompe », et il ne peut découvrir que dans « un sentiment unique, celui de l'au-delà », tout ce qu'il appelle « spécifiquement chrétien dans cette poésie »19. Gela serait la marque d'une âme romaine à la fois « convertie et novice ».

En réalité, rien, dans la pièce étudiée ici, ne saurait être tenu avec certitude pour « spécifiquement chrétien », même novice, même exprimé de façon gauche ou discrète. Pour s'en convaincre, il suffît de la comparer à l'épitaphe narbonnaise de Festa20. H. Battifol suggérait que leur auteur commun avait pu être saint Paulin de Noie. Mais à côté de procédés rhétoriques là encore traditionnels, et du recours à un vocabulaire païen bien émoussé (Elysium iransgrederis, hoc superis placitum est), la chrétienne Festa est appelée angelicae legis doda, dicala Deo, et ses proches invoquent le Seigneur :

tu, sandarum moderator animarum... Rien de tel à Valentine, où ne sont nommés ni Dieu ni le Christ — pas plus d'ailleurs que les dieux païens — et où n'apparaît aucune mention biblique, ni liturgique, ni ecclésiale. Seule, l'expression sanda fides figure dans les deux carmina, mais sur ce point la différence des contextes est justement révélatrice : aux proches de Festa, comme à la défunte, sont promises les joies du Ciel, sit modo sanda fides, sit pia credulitas; ce dernier terme, qui ne peut être pris que dans son sens nouveau de « foi », « croyance », donne leur signification pleinement chrétienne aux deux mots qui précèdent. A Valentine au contraire, l'expression quasi tautologique sanda fides peut ne traduire qu'une des valeurs les plus traditionnelles de Rome, indissolublement politique, morale et religieuse : la droiture, la loyauté, la pureté d'une vie conforme à la fides21.

Au registre des éléments peu compatibles avec le christianisme supposé du défunt et de son entourage, on est tenté de ranger les deux vers glorifiant Nymfius des munera, des jeux et combats de gladiateurs donnés par lui au peuple criant sa joie per cuneos. Que soient loués ses autres titres et hauts faits, il n'y a pas à s'en étonner22. Mais faut-il rappeler, parmi bien d'autres, l'anathème lancé par Augustin contre ces spectacles, parce que là où « s'élève la puissante masse du théâtre, les fondements des vertus sont renversés, et quand les folles dépenses deviennent des titres de gloire,

19 H. Battifol, art. cité, p. 145.

20 Cf. E. Le Blant, Nouveau Recueil, 311 et l'article de Couture, dans le Bull. LUI. Eccl., 1892, p. 178-181 ; H. Battifol, p. 146-7.

21 II manque une étude d'ensemble sur l'emploi de fides et des mots apparentés, l'adjectif sanctus notamment, dans les épitaphes païennes et chrétiennes, dans l'esprit des recherches de Sanders sur la « lumière » et les « ténèbres ». A s'en tenir à un autre emploi de sancta fides, dans CE. 1142 (v. 23), inscription païenne tout entière vouée à célébrer la fidélité conjugale, de nombreux glissements de sens ont été possibles, à partir d'expressions stéréotypées, du civique au familial et au religieux (on peut aussi rapprocher la fides caelo sala de Fabia Aconia Paulina, femme de Prétextât : I.L.S. 1259, II, 3). Entre cet emploi et le sens chrétien de « foi », la fldes de Nymfius nous paraît occuper une place intermédiaire, valant à la fois dans les différents registres : religieux (vague), politique, domestique — registres correspondant aux

rentes parties de notre inscription. De tels exemples permettent de comprendre comment la « christianisation » du vocabulaire païen a été possible dans le domaine de l'épigraphie funéraire (cf. Sanders, 1976, p. 283-299). Cette situation représente un défi à toute traduction de sancta fides : droiture, pureté de vie, piété, fidélité... Nous avons essayé de préserver l'ambiguïté. — V. en général Th.L.L, s.v., II A 1, spécialement p. 675, 1. 74 à 84, avec la référence aux tiluli sépulcrales. Sur fides, cf. P. Boyancé, Études sur la religion romaine, Rome, 1972, p. 91-152 ; G. Freyburger, dans sa thèse encore inédite sur Fides et son article de la R.E.L., LV, 1977. Sur l'étroite Le Glay dans Ada 280 relation entre fides, concordia, pietas, M

Iranica, 17, Leiden, 1978, p. 279-303, spécialement p (continuité jusqu'à l'époque chrétienne).

22 Malgré E. Le Blant, I.C.G., I

p. 415. Cf. E. Galletier, op. cil., p. 157 ; R. Lattimore, p. 131 et n. 1 ; II, op. cit., p. 333 s. ; et surtout G. Sanders, Licht, 1965, p. 84-100 et 1025-1026.

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on se moque des œuvres de miséricorde... »23. Bien sûr, nous savons par le même Augustin et par Ambroise que de hauts personnages — et pas seulement le païen Symmaque — continuent à la fin

du ive et au début du Ve s. à donner des jeux qui vident, nous dit-on, leurs coffres en même temps que « l'âme » du public. Au moins semble-t-il que ces avertissements aient détourné les chrétiens d'en faire mention dans leurs épitaphes : à notre connaissance24, Nymfius représenterait de ce point de vue un cas unique.

L'exégèse « païenne » du monument, à laquelle on se trouve ainsi logiquement conduit, doit à son tour affronter une objection : celle que suscite le rapprochement déjà effectué entre la victoire sur les ténèbres de la mort (v. 4) et l'attente (v. 23-24) de la « lumière éternelle » opposée à « celle-ci ». L'expression calcare tenebras représente dans les carmina funéraires un hapax combinant l'emploi métaphorique des deux termes qui la composent. Il reste que les textes les plus voisins, ceux qui donnent la clef du passage, sont tous deux chrétiens. Ce sont d'une part les paroles prêtées au Christ par Ambroise : Nolite timere a tenebris : ego sum lux. Nolite timere a morte: ego sum uita25, d'autre part une inscription d'Ostie :

« Accipe me» dixit «domin[e in tua limina Christe » : exaudita cito fruitu[r nunc lumine caeli

Zosime sanda soror m[...

iam uidei et socios sanc[ti certaminis omnes] (...) iam uidet et sentit magni [spedacula Regni et bene pro meritis gaudet sibi praemia reddi tecum, Paule, lenens calcata morte coronam, nam fide seruala cursum cum pace peregit2®.

Si le texte d'Ambroise cherchait à dissiper les ténèbres de la mort, aux yeux des fidèles, par la victoire du Christ-« lumière », l'épitaphe, qui relève incontestablement du même esprit, présente plus d'un parallèle textuel et spirituel avec celle de Nymfius : jouissance (fruiiur) et vision (uidei) de l'au-delà, où sont récompensés les mérites d'ici-bas (pro meritis)] attachement à la fides; triomphe sur la mort (calcata morte). Mais une fois de plus le rapprochement fait éclater les différences : la « lumière du ciel » de l'épitaphe d'Ostie, c'est explicitement le « domaine du Christ »; la « vision » est celle du Royaume et des saints; la «récompense », après la victoire sur la mort, n'est autre que la « couronne » du succès dont parle saint Paul27.

L'absence de tout ou partie de ces éléments dans le iilulus de Nymfius autorise décidément, nous

23 Augustin, Ep. 138, 14 (cf. Enarr. in Ps., 147, 7). On peut se référer sur ce point à Van der Meer, Saint Augustin pasteur d'âmes, éd. fr., Colmar-Paris, 1955, I, p. 95-106 (« pompa diaboli ») et à P. Brown, La vie de saint Augustin, éd. fr., Paris, 1971, p. 232 et p. 352. Sur « Les jeux de gladiateurs dans l'Empire Chrétien », cf. l'article de G. Ville, dans M.E.F.R., 1960, p. 273-335, part. p. 317 n.

24 Une étude exhaustive serait souhaitable. On s'appuie ici sur une consultation des CE. et des I.L.C.V., ainsi que sur les pages consacrées par G. Sanders, Licht, 1965, p. 84-98, au thème de la renommée familiale, sociale et civique dans les tituli chrétiens.

25 De bono mortis, C.S.E.L., XII, 57. Sur le thème de la

lumière et de la « Seigneurie de la lumière » comme enjeu dans le débat entre christianisme et paganisme, au temps de Constantin, cf. le tout récent et important article de J. Fontaine, « Dominus lucis » : un titre singulier du Christ dans le dernier vers de Juvencus, Mémorial A.-J. Festugière, Genève, 1984 (éd. E. Lucchesi et H. D. Saffrey), p. 131-141. 26 C.I.L. XIV, 1938 = CE. 681 == I.L.CV. 2009 = Thylander B 235.

27 // Tim., 4, 7 s. On rapprochera aussi Firmicus Maternus, De err. prof, rel., XXIV, 2, où l'image de la « mort foulée aux pieds » apparaît dans le contexte de la « descente aux enfers » du Christ venu « ramener l'homme à son Père ».

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semble-t-il, à faire de lui et des siens des païens, voire des « crypto-chrétiens »28, en tout cas des « mystiques » bien caractéristiques de certains milieux lettrés du Bas-Empire, dont les idées et le vocabulaire sont marqués à la fois par l'influence des courants orphicisants, gnostiques et/ou orientaux, et des philosophies néo-stoïcienne, néo-pythagoricienne, néo-platonicienne, quand ce n'est du

christianisme lui-même. On ne saurait être surpris du fonds commun de langage29 auquel puisent ces païens et des chrétiens cultivés, leurs contemporains : tous participent, comme l'ont montré notamment H.-I. Marrou et P. Brown30, de la même mutation mentale et religieuse profonde du 111e et du ive siècle. De cette mutation, le déplacement des relations entre vie et mort, entre terrestre et céleste analysé plus haut dans l'inscription de Valentine fournit une remarquable illustration. Pour les chrétiens comme pour bon nombre de païens de cet âge nouveau, « la vraie vie est ailleurs » — même si, aux yeux de toute une élite, une belle vie ici-bas en est le gage et le chemin31.

Pour conclure sur ce point, et situer la place propre de notre inscription dans une série aux thèmes relativement proches, on la comparera encore à deux tituli beaucoup plus brefs. Celui de la jeune Eustacia est de Vienne :

Septenis decies cum Eustacia uixerii annis, hoc electa Deo conditur in tumulo deponens senio terris morialia membra,

sed reuehens caelo pro meritis animamZ2.

Là, seule la mention d'une « élection par Dieu » trahit à coup sûr un christianisme fugitivement affirmé, qui se greffe sur la distinction classique du sort du corps et de l'âme. La notion de « retour » de l'âme au ciel, non explicitement exprimée pour Nymfms, se retrouve dans une épitaphe de Niebla (province de Huelva, Espagne), qui est le doublet d'un lilulus de Rignano (dans Yager Capenas, en Étrurie du sud) :

Terrenum corpus caelestis spiritus in me quo repetente suam sedem nunc uiuimus illic et fruiiur superis aelerna in luce Fabatus.

Longtemps on a cru ce texte chrétien, ou « crypto-chrétien ». Une récente étude de Mme Alicia Canto lui a restitué une « atribuciôn pagana »33. A juste titre, semble-t-il, quoique l'auteur cherche à identifier

28 En toute rigueur, il subsiste un doute, étant donné les ambiguïtés du vocabulaire, déjà illustrées à plusieurs reprises, et le manque de netteté ordinaire à ce qui n'est pas une « profession de foi ». Ainsi, la tonalité religieusement « neutre » de notre inscription n'est pas très différente de celle du premier élément (18 vers) du fameux titulus de Probus, que tout lecteur prendrait pour un païen sans les affirmations vigoureusement chrétiennes de son épouse Proba dans un second texte de 30 vers {C.I.L. VI, 1751 s. = CE. 1347 A et B). Cf. E. Galletier, p. 157. Il ne serait par exemple pas totalement impossible d'attribuer à Nymfms ou du moins à Serena un christianisme très modéré, un « semi-christianisme » à la manière d'Ausone (cf. G. Riggi, « II cristianesimo di Ausonio », dans Salesianum, XXX, 1968, p. 642-695 et J. Fontaine, Études sur la poésie latine tardive, Paris, 1980, p. 574-579). Dans une lettre du 30 avril 1985, M. J. Fontaine penche pour l'hypothèse suivante : Nymfius aurait été un païen mystique, un mousikos anèr ; sa femme Serena, chrétienne, aurait conçu et/ou commandé une belle épitaphe

« antique » et « crypto-chrétienne » à la fois, où pussent se

rejoindre leurs convictions religieuses et s'exprimer discrètement sa croyance personnelle. Seule une meilleure connaissance du contexte régional et de la chronologie (v. infra) mettrait à même de résoudre ce problème. On ne saurait absolument exclure, en sens inverse, que les vers 4 et 23-24 portent la trace d'une influence formulaire du christianisme dans certains milieux du paganisme finissant.

29 Cf. G. Sanders, 1976, p. 290-291, et déjà E. Galletier, p. 3, à propos « des ressemblances de ton qui sont troublantes » entre épitaphes chrétiennes et païennes tardo-antiques.

30 H.-I. Marrou, Décadence romaine ou Antiquité tardive?, Paris, 1977, p. 42-53 (« la nouvelle religiosité ») ; P. Brown, Genèse de l'Antiquité tardive, éd. fr., Paris, 1983, p. 188 et passim.

31 G. Sanders, Lichi, p. 99-100, 1025-1026, 1050. 32 C.I.L. XII, 2114.

33 « Et superis aeterna in luce Fabatus », dans Arch. Esp. Arq., 55, 1982, p. 107-117 {C.I.L. XI, 3963 = CE. 591 = I.L.C.V. 3443).

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de manière sans doute trop précise la « secte » ou « religion à mystère » dont Fabatus aurait été le dévot, concluant à un « contexto sincretistico dentro del siglo II, pero en el que las ideas ôrfîco- neopitagôricas son las dominantes »34. On ne peut qu'être frappé de la parenté textuelle entre ce texte, son dernier vers surtout, et l'épitaphe de Nymfms, qui lui aussi fruitur [superis] aelerna in luce...

Dans les deux cas, comme dans celui d'Eustacia et de plusieurs autres, des formules voisines énoncent une sorte de « doctrine de l'au-delà » très générale, qui « affectionne la structure antithétique entre les pôles de laquelle se forme un champ de forces qui sous-tend toute existence (corps-âme, terre-ciel, mort-vie...). Cette structure (...) est l'indice d'une relativisation irréversible des antiques valeurs terrestres »35. C'est ce caractère abstrait et comme désincarné de telles conceptions dualistes de la « désincarnation » qui rend si difficile leur attribution, dans chaque cas particulier, à un cadre de référence précis36, de même que leur datation : comme le fait remarquer G. Sanders, bon nombre de ces thèmes ont été formulés, dans le monde méditerranéen, dès l'époque hellénistique, et ont reçu un écho à Rome au plus tard avec le « Songe de Scipion »37.

Il nous faut donc rechercher l'enracinement humain de l'itinéraire pré- et post-mortel de Nymfms dans les indications que sa plaque tombale nous fournit sur sa carrière et sur le « nom » qu'il s'était fait.

FAMA

L'analyse de la structure même du texte a suffisamment montré la place centrale qu'y tient Yelogium civique du défunt38. Indépendamment de toute considération sur la chronologie inférée de la forme des lettres39, de la doctrine exposée ou (pour qui les juge originelles) des croix qui décorent le titulus, le caractère même de cette longue louange métrique interdit de la dater plus haut que le me s. et même, probablement, le ive s. de notre ère. E. Galletier notamment a bien montré que c'est à cette époque seulement que l'élite civique et sociale, qui avait depuis des siècles abandonné aux humbles la coutume de l'épitaphe en vers, renoue avec « la tradition inaugurée, peut-être, par les Scipions »40. Les éloges des grands ne manquent pas dans les carmina funéraires païens et, à partir du IVe s.41, chrétiens; tantôt ils demeurent très généraux, tantôt, comme ici, ils entrent dans un certain détail.

Quelle place a occupé Nymfms dans la hiérarchie civique locale et régionale? Les commentateurs s'accordent à faire de lui un notable municipal : les vers 11 (tuo quondam data munera sumptu) et 15-16 (urbes... patres) ne laissent pas de doute à cet égard. Mais par-delà, le pluriel urbes fait déjà problème : est-il seulement emphatique, poétique? S'agit-il simplement des «villes» de la cité des Conuenae, rattachées statutairement à Lugdunum Conuenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges)? La cohérence d'ensemble mise au jour dans la première partie de ces remarques interdit de s'en tenir là : orbatas urbes fait clairement référence au parens de la province évoqué au vers 9, ce même « père » dont la mère patrie (v. 13) a fait son porte-parole auprès du « Conseil des Grands ». Il est naturel, dans ce contexte, d'entendre « patrie » provinciale. La double image du caput et du princeps développée

34 Canto, art. cité, p. 115 (le résumé français, p. 117, parle au contraire, sans doute plus justement, du « me s. » : mais l'inscription pourrait aussi bien dater du ive s.).

35 G. Sanders, Licht, p. 1018 (résumé français). 36 Cf. Zephyrus, IX, 1958, p. 234-236 : la stèle de Sârria, monument funéraire « d'inspiration pythagoricienne et néoplatonicienne, mais de sentiment chrétien » (J. de Castro Nunes), où l'aigle de l'apothéose semble prendre appui sur le poisson chrétien. — Sur les problèmes de datation, cf. Sanders, 1976, p. 295.

37 Cf. G. Sanders, Licht, 1965, p. 156-157, 1029 ;

E. Galletier, p. 58-61.

38 Place « centrale » en ce double sens que la laudatio figure au cœur du texte et en représente la charnière logique principale.

39 L'appréciation formulée par Hirschfeld au Corpus (litter is prope V saec.) n'a guère d'autre fondement que l'idée générale d'un litulus tardif. Tout ce qu'on peut dire avec certitude de ces lettres est qu'elles sont postérieures au iie s. Cf. supra, n. 2.

40 Op. cit., p. 152.

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plus loin (v. 17-18) prend tout son sens, elle aussi, dans cette perspective. Le choix de tous ces termes, si libre, archaïsant et « poétique » soit-il, n'est pas le fait du hasard. Il aboutit à faire de Nymfms l'équivalent dans sa province du parens patriae par excellence : l'empereur. Même en tenant compte d'une certaine boursouflure rhétorique, il paraît impossible de réduire cet homme au rôle de magistrat ordinaire de la ciuitas Conuenarum.

S'agirait-il d'un praeses, d'un gouverneur de province? Bien que le langage métaphorique et emphatique utilisé pour évoquer ses fonctions n'ait rien de technique ni de précis, il paraît exclure également cette possibilité : une province (ici, par hypothèse, la Novempopulanie42) pouvait bien, lors d'une assemblée annuelle, « vénérer » (coluil) un gouverneur comme un père, mais on n'eût jamais dit qu'elle « convoquât par son intermédiaire » (v. 13-14) le concilium procerum*3. Le praeses est le délégué de l'empereur et, à ce titre, ne peut en aucune manière « représenter » la province. Ce rôle de président de l'assemblée provinciale est connu de façon générale, mais mal attesté pour le Bas- Empire : c'est celui du sacerdos ou flamen prouinciae, élu à ce poste par les délégués des cités, les proceres (ou, plus techniquement, à cette époque, principales ou primi : l'élite des curies) dont il fait lui-même partie44.

S'il fallait compléter le carmen de Valentine, à l'image de quelques autres, par une titulature en prose, nous verrions donc en Nymfms un principalis exempt des charges curiales, chargé d'honneurs et de titres, tel ce decurio coloniae Agrippinensis mentionné dans une inscription de 35245, qui est

42 Et non l'Aquitaine (sic I.L.C.V. Cf. C. Jullian, H. G. IV p. 445-446 ; VIII, p. 64 et n. 2). Il n'est certes pas entièrement exclu que l'inscription, pour une raison ou pour une autre, ait été transportée à Valentine depuis une autre région (ainsi H. Battifol voulait faire de Nymfms un « Toulousain ») ; mais c'est bien peu probable.

43 Le parfait uocauit (v. 13), comme coluit (v. 9), paraît se référer au « jour de gloire » de Nymflus, celui où il atteignit aux plus hauts honneurs qu'il pût se promettre. C'est le contexte qui incite à comprendre ici concilium procerum comme l'Assemblée de la province, et non comme le « conseil de la cité », à la différence du Lugduni procerum nobile concilium (C.I.L. XII, 2660 = CE. 1366, d'Alba Helviorum) : cette inscription de dix vers mérite par plus d'un aspect d'être comparée à la nôtre. On a également pensé (Sacaze, op. cit., p. 229) à l'Assemblée des sept provinces méridionales de la Gaule instituée à Arles en 418 par Honorius. Cf. la discussion de Lizop, op. cit., p. 49-50 ; 62-66 ; et v. infra les problèmes de chronologie. Cf. encore E. Carette, Les assemblées provinciales de la Gaule romaine, Paris, 1895, p. 252-253.

44 Cf. P. -A. Février, dans Y Histoire de la France urbaine, I, Paris, 1980, p. 451. I. Zeller, partant de la notion communément acceptée d'un Nymflus chrétien, a tiré logiquement du texte l'idée qu'il s'agissait du « prêtre chrétien de la province » (Westd. Zeitschrift, 25, 1906, p. 261 s.). Cette fonction, qui aurait pris la suite du « flaminat » païen, n'est pas clairement attestée en Gaule, si l'on excepte deux allusions de Sidoine Apollinaire, en 467, au « Conseil » de la Lyonnaise première {Ep. I, 6, 4 et V, 20, 1). La survie « chrétienne » du flaminat provincial au ve et même au vie s. a bien été démontrée pour l'Afrique par des inscriptions funéraires qu'étudient A. Chastagnol et N. Duval, « Les survivances du culte impérial dans l'Afrique du Nord à l'époque vandale », dans les Mélanges Seston, Paris, 1974, p. 87-118, notamment p. 113-117. Toutefois, comme l'écrivent les auteurs (p. 115-116), «les

sacerdotes provinciae gardèrent jusqu'au règne d'Honorius un caractère païen très accentué », et « les sacerdotes restèrent choisis le plus souvent, semble- t-il, parmi les païens ». On a même le sentiment (p. 116, n. 100) qu'avant 430 les rares chrétiens acceptant la fonction ont refusé de faire figurer ce titre sur leur épitaphe. Plus tard, en Afrique, à partir de l'époque vandale, ces prêtres furent « tout normalement... des chrétiens ». Pourtant, ceux-ci « sentaient que cette charge qu'ils exerçaient alors plus volontiers restait entourée d'une certaine atmosphère païenne» (p. 110), ce qui les engagea, dans les cas que nous connaissons, à souligner leur qualité de chrétiens : Astius Mustelus, flamine perpétuel d'Ammaedara, en 525-526 encore se fait désigner sur son épitaphe comme flamen perpetuus christianus (ibid., p. 97-99, 110). D'autre part, le seul exemple concret de flaminat chrétien en Gaule cité dans le même article est celui... de Nymfius (p. 113 et n. 83, p. 116 et n. 100). L'hypothèse de I. Zeller pourrait donc confirmer les vues présentées plus haut, en suggérant l'alternative suivante : ou bien Nymflus a vécu au ive s. et, pour avoir exercé de telles fonctions, il faut qu'il ait été païen (ou au plus « crypto-chrétien », sous l'influence de sa femme). Ou bien c'est un chrétien du ve s. avancé — mais l'époque et la mission remplie feraient alors attendre que son épitaphe révélât clairement ses attaches religieuses.

45 I.L.S. 7069. Voir sur cette inscription et sur l'ensemble de la question la synthèse de De Martino, Storia délia Costi- tuzione romana, V, 2e éd., Naples, 1975, p. 513-516 ; R. Ganghoffer, Évolution des institutions municipales en Orient et en Occident au Bas-Empire, Paris, 1963. Pour la Gaule, v. plus spécialement K. F. Stroheker, Der senatorische Adel im spàtantiken Gallien, Tubingen, 1948 (réimp. Darmstadt, 1970) ; A. Chastagnol, « Le diocèse civil d'Aquitaine au Bas-Empire », dans B.S.N.A.F., 1970, p. 272-292.

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aedilicius, duumuiralicius , curatoricius, sacerdolalis, ex comitibus. Entrant plus avant dans le jeu incertain des hypothèses, et tenant compte des indications de l'archéologie, nous suggérerions que Nymfius, aristocrate terrien comme ses pairs, a pu être, en même temps que le premier des principales de Lugdunum Conuenarum, le propriétaire de la richissime villa de Valentine, près de laquelle il aurait veillé à faire installer sa sépulture46. Action dans les urbes, secessus et mort princière à la uilla rurale : P. -A. Février aurait raison de voir là47 un bel exemple de la complémentarité ville-campagne dans la psychologie d'un grand du Bas-Empire, restée dans une large mesure inchangée de Pline le Jeune à Sidoine Apollinaire.

A quelle époque exactement? Ici encore rien de certain ne peut être avancé, mais l'ensemble des arguments qui précèdent — notamment le fait que ce haut dignitaire, selon toute probabilité, ne soit pas chrétien (du moins pas ouvertement), et qu'il semble occuper ses fonctions dans un monde où règne sans nuage la pax romana — tendrait plutôt à faire remonter la chronologie vers la deuxième moitié, voire le milieu du ive s.48.

Le but ultime de cette étude, si l'on ne veut se contenter de « déshabiller Diehl pour habiller Jones », serait naturellement de situer un tel personnage dans le cadre historique régional49. Mais cette tâche appellerait de longues analyses, qui excéderaient les limites de cette note50, et dont les bases documentaires n'existent sans doute pas encore. Indiquons simplement trois points de repère ponctuels : plusieurs inscriptions et sarcophages paléochrétiens de la cité des Convenes portent non la croix, mais le chrisme, dont le plus ancien date de 34751. La basilique chrétienne du Plan à Saint- Bertrand, une des plus anciennes de la Gaule, semble à peu près contemporaine. Malgré ses dimensions relativement importantes, la modestie de son architecture contraste avec la splendeur des Palais ruraux de Valentine et de Montmaurin52 : présent très tôt en pays convene, le christianisme ne saurait encore rivaliser en richesse et en rayonnement avec le faste des aristocrates païens. Nous ignorons les éventuelles manifestations positives du paganisme de Nymfius, mais celles du propriétaire de Montmaurin éclatent dans le beau sanctuaire « celtique » du vestibule monumental de cette villa, qui nous livre peut-être une des clefs spirituelles de la rencontre, et jusqu'à un certain point de l'entente entre le maître et ses « colons »53. Il reste encore un long chemin à faire à l'Église pour détrôner un

46 Étant donné la complexité du dossier et le caractère irréductible du remploi de notre titulus, nous serions cependant moins affirmatif sur ce point que Lizop, p. 65 et 148, suivi par G. Fouet dans les articles cités supra, n. 17.

47 P. A. Février, « Villes et campagnes des Gaules sous l'Empire », dans Ktèma, VI, Strasbourg, 1981, p. 368-369. Sur ce style de vie traditionnel et son dialogue avec l'aspiration à un radicalisme ascétique dans l'aire « circumpyré- néenne », cf. J. Fontaine, Études, 1980, p. 257 s., 571-595. On joindra au dossier ce vers caractéristique d'un titulus sénatorial de Rome : actibus urbanis miscebas gaudia ruris (I.L.C.V., 247, 6-7), rapproché par G. Sanders, Licht, 1965, p. 96, n. 392, du mot d'Ausone : alternis rure uel urbe fruor (Opusc, 3, 1, 32 : passage commenté par J. Fontaine, p. 575). 48 II faut pourtant se défier d'arguments qui pour cette époque sont redoutablement réversibles : comme le fait observer Mme N. Gauthier, les textes du ve s. reflètent souvent, dans les milieux cultivés, « le désir de retenir une romanité qui s'évanouit ». Cf. encore ce qu'écrit Salvien, dans une perspective polémique certes, de la prospérité de la Novem- populanie au ve s., De gub. Dei, VII, 8 s.

49 Si l'on suit la présente analyse, le maintien de notre inscription dans un Corpus du type de celui de Diehl doit pour le moins s'accompagner d'une mention dubitative ; il est en revanche étonnant qu'un personnage de l'envergure provinciale de Nymfius soit absent de la Prosopography de Jones- Martindale (I, 1971 ; II, 1978).

50 II faudrait par exemple analyser plus finement les relations entre époux et le statut de la femme, tels que les révèle ce type de carmen : les observations de Galletier, p. 116-148, seraient utilement actualisées à la lumière de P. Veyne, « La famille et l'amour à Rome », dans Annales E.S.C., 1978, p. 35-63, et de A. Rousselle, Porneia, Paris, 1983.

51 C.I.L., XIII, 1, 299 ; cf. Lizop, p. 458-459, 504. 52 Cf. G. Fouet, La villa gallo-romaine de Montmaurin, suppl. à Gallia, 2e éd., Paris, 1984, et les articles du même auteur sur la villa de Valentine, surtout dans Rev. de Comminges, 1978.

53 Cf. J.-M. Pailler, « Montmaurin : a Garden- Villa », dans les Actes du Symposium sur les jardins des villas romaines, Washington, Dumbarton Oaks, 1984 (sous presse).

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paganisme — au sens fort, rural, de ce terme — si bien enraciné...54. Parmi d'autres indices, l'hypothèse d'une Serena chrétienne aiderait à comprendre par quelles voies elle y est parvenue.

Sur Nymfius, assurément, le christianisme prendra une sorte de revanche, dès l'hommage funéraire peut-être, et en tout cas lorsqu'il « baptisera » sa plaque tombale : mais un tel remploi plus ou moins conscient signe aussi la reconnaissance, à travers la révolution religieuse, d'une continuité et d'un héritage culturels55.

Jean-Marie Pailler 54 Sur cette évolution, E. Griffe, La Gaule chrétienne à

r époque romaine, III, Paris, 1965, p. 260-298 ; M. Rouche, L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, Paris, 1979, p. 14, 398-399.

55 La présentation sur deux colonnes égales paraît être un hapax pour ce type de titulus. Est-elle simplement due aux contraintes d'une tabula de marbre très large (1,97x0,74 m), ou faut-il y déceler aussi la volonté de présenter le texte comme une œuvre littéraire, l'ultime produit culturel du secessus in uillam (cf. J. Fontaine, Études, 1980, p. 594) : deux colonnes d'un uolumen, ou même deux pages d'un codex, l'équivalent en somme de la tabella brandie par Blaesianus le Biturige (supra, n. 14 et 15) ? On pourrait alors voir dans ce document et sa « reprise » chrétienne une illustration de la thèse défendue par H.-I. Marrou dans son Mousikos Anèr (Grenoble, 1937) ; cf. aussi P. Riche, Éducation et culture dans

V Occident barbare, Paris, 1962, p. 121-2, 233 s., 245, 251-2 ; M. Rouche, 1979, p. 388-389, 393-394.

N.B. J'ai le devoir et le plaisir de remercier ici de leurs informations, suggestions, objections écrites ou orales Mme Nadine Gauthier; MM. D. Cazes, P. -A. Février, J. Fontaine, Ch. Landes, M. Le Glay, R. Lequément, P. Le Roux, M. Monbrun, R. Sablayrolles. J'ai signalé certains de leurs apports à cet article. 11 va de soi que je reste responsable de toutes les affirmations et erreurs qu'il contient. Merci également à Claire Pailler, semper comes et collaboratrice avisée de la traduction.

Les photographies (fig. 1 et 2) ont été réalisées par l'Atelier Municipal de Photographie (A. M. P.), Mairie de Toulouse ; clichés Musée des Augustins, aimablement communiqués par M. D. Cazes.

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