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Analyse clinique des pratiques professionnelles en formation initiale : le vocal et le sonore du groupe

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Academic year: 2021

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Titre : Analyse clinique des pratiques professionnelles en formation initiale : le vocal et le sonore du groupe

Auteure : Gayard-Guégan Patricia, doctorante, Equipe de recherche : Savoirs, rapport au savoir et processus de transmission, CREF, EAD 1589, Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Résumé :

Je propose l’analyse d’un dispositif de coopération particulier : un groupe d’analyse des pratiques professionnelles en formation initiale d’assistant de service social.

Après avoir évoqué la mise en place de ces groupes dans le cadre de la formation de ces professionnels, je me propose d’en montrer la pertinence quant à l’élaboration d’une posture professionnelle.

Avec une approche clinique d’orientation psychanalytique, je me focaliserai sur la dimension sonore et vocale d’un groupe. Je tenterai de montrer comment les différentes voix du groupe contribuent à la construction identitaire professionnelle de chaque étudiant.

Mon matériel de recherche est essentiellement constitué de retranscriptions d’enregistrements de séances d’analyse clinique de pratiques professionnelles en 2ème

et 3ème année de formation initiale d’assistant de service social.

Mots-clés : groupe – formation – analyse - pratiques professionnelles - vocal. Introduction

Je propose de m’intéresser à la question de la coopération dans un dispositif d’analyse des pratiques professionnelles en formation initiale de travail social, plus particulièrement en ce qui concerne la formation d’assistant de service social.

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J’évoquerai tout d’abord ma démarche de recherche en Sciences de l’éducation dans une approche clinique d’orientation psychanalytique ; puis je resituerai brièvement mon parcours étudiant et professionnel qui n’est pas sans lien avec la thématique abordée.

Ensuite, j’aborderai la formation initiale d’assistant de service social dans une courte évocation historique en lien avec l’analyse des pratiques professionnelles notamment sous l’angle du case-work.

Puis, j’évoquerai plus particulièrement une forme de coopération entre les membres du groupe à travers le sonore et le vocal en mettant en lien les différentes interactions du groupe ; je tenterai de montrer en quoi cet éclairage contribue véritablement à l’émergence d’une construction identitaire professionnelle pour chaque étudiant en formation ; enfin, j’illustrerai mon propos en restituant une vignette clinique et je conclurai en indiquant comment ce travail a constitué un soubassement de mon travail de thèse.

Recherche clinique d’orientation psychanalytique

Ma recherche se situe dans une démarche clinique en référence à la psychanalyse. Je m’intéresse à des sujets en interaction en tentant de comprendre les dynamiques psychiques de ces sujets dans leur singularité (Blanchard-Laville, 2013). Ma subjectivité de chercheur, y est mise à contribution, notamment par l’analyse de mes propres mouvements contre-transférentiels, mouvements dont G. Devereux (1980) a montré l’importance de la prise en compte dans les sciences du comportement. En référence à l’article qu’il a rédigé avec C. Blanchard-Laville (Blanchard-Laville et Chaussecourte, 2012, p. 51-63), P. Chaussecourte (2014, p. 69-70) indique quant à la démarche clinique d’orientation psychanalytique en Sciences de l’éducation que « l’un des objectifs poursuivis par les chercheurs qui s’y inscrivent est en effet l’étude de phénomènes psychiques inconscients dans les espaces d’enseignement et de formation ». Cette démarche clinique de recherche s’inscrit également

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dans la filiation du mouvement initié par C. Revault d’Allonnes (Revault d’Allonnes, 1989). En ce qui me concerne, je m’intéresse aux groupes d’analyse des pratiques professionnelles en formation initiale de travail social et plus particulièrement à l’étude du vocal et du sonore en lien avec les aspects émotionnels dans une approche clinique prenant en compte ma propre subjectivité de chercheure.

Présentation de mon parcours étudiant et professionnel

Je me suis orientée vers la formation d’assistante sociale sans trop connaître les raisons qui me poussaient fortement à me professionnaliser dans un métier d’aide. Les éléments de cours de psychologie qui étaient enseignés de même que les cours liés à la relation d’aide m’ont alors particulièrement fait prendre conscience de ce qui m’avait attirée vers ce métier. J’ai pu en effet, mettre en lien des évènements intimes de mon histoire familiale et mon désir de devenir assistante sociale. J’ai ensuite exercé dans divers secteurs sociaux et principalement en protection de l’enfance ; j’ai pu alors bénéficier, dans certains services, de supervisions individuelles de ma pratique professionnelle par des psychologues cliniciens et des psychiatres psychanalystes. Mes premières vacations dans la formation initiale d’assistant de service social se sont faites en animant des séances d’analyse des pratiques professionnelles. Je suis, par la suite, devenue formatrice puis responsable pédagogique dans un centre de formation préparatoire, entre autres activités, au métier d’assistant social. Il m’a alors paru essentiel de me former davantage à l’analyse clinique des pratiques professionnelles. J’ai donc intégré le Master FIAP1, en Sciences de l’éducation, à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, puis j’ai poursuivi mon cursus universitaire en doctorat, en Sciences de l’éducation.

Il me paraît nécessaire pour situer mon propos de faire ci-après un détour historique par les formations initiales diplômantes en travail social et plus précisément sur celle d’assistant

1 FIAP : Formation à l’Intervention et l’Analyse des pratiques professionnelles, Développement des compétences

en formation d’adultes, UFR des Sciences psychologiques et Sciences de l’Education, Département des sciences de l’éducation, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.

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social. Ensuite, dans un court passage, j’aborderai la question du case-work, en mettant cette notion en perspective des prémices des groupes d’analyse des pratiques professionnelles en formation initiale.

Formations initiales en travail social

Les formations diplômantes en travail social ont émergé au vingtième siècle et ont connu diverses réformes. Elles sont caractérisées par un système de formation en alternance et proposent donc l’acquisition de savoirs théoriques ainsi que de savoirs liés à la pratique professionnelle, initiés lors de stages sur sites qualifiants. Celles dites de niveau III, comme celle d’assistant de service social, se déroulent sur trois années après l’obtention d’un baccalauréat ou d’un diplôme équivalent.

Une dernière réforme en 2004 insiste sur la nécessité de former les assistants sociaux à part égale sur les interventions dites collectives ainsi que pour celles qui concerne l’aide davantage centrée sur la personne. À cette occasion, pour la première fois dans le référentiel de formation, dans la partie concernant les apports théoriques, en lien avec la psychologie, apparaît l’indication d’une initiation à la psychanalyse.

Cependant, ces apports ne sont pas nouveaux et ont nourri auparavant une approche individualisée des situations, notamment depuis l’arrivée du case-work dans les années 50.

Case-work et supervision

Dans leur ouvrage Se former à la supervision et l’analyse des pratiques, F. Coudert et G. Crespo (Coudert et Crespo, 2012), s’appuyant sur les préconisations de la conférence internationale de service social, précisent que c’est à cette occasion, en 1950, « que l’on a découvert le case-work en France » (p. 17) ; elles ajoutent, en se référant aux écrits de M. Richmond (1922) que ce mouvement était déjà décrit en 1928 aux États-Unis comme un « mouvement basé sur la compréhension des relations et des réactions humaines » (p. 17).

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Plus précisément, il semble que M. David, psychiatre et psychanalyste, ayant été formée aux États-Unis sur la clinique de l’enfance, a « introduit le case-work dans les écoles de service social » (p. 18). F. Coudert et G. Crespo ajoutent que « l’arrivée du case-work va s’accompagner rapidement d’une formation à la supervision » (p. 18). Dans les années 60, l’enseignement du case-work va être davantage préconisé dans un but d’une meilleure compréhension de l’analyse et de l’évaluation de la situation d’une personne dans le cadre d’une relation d’aide. Y. Papetti-Tisseron (1986, p. 134) précise même que « le case-work va fortement insuffler un vent de psychologie et de clinique psychanalytique anglo-saxonnes » ; elle ajoute, (p. 134) « qu’il a imprégné la profession en permettant un questionnement sur la relation d’aide et la pratique d’entretien ». En lien avec les groupes Balint, D. Mellier (Mellier, 2002, p. 88) rappelle que même si ces groupes ont principalement analysé la relation médecin/malade, « cette méthode provient directement d’un travail avec E. Balint selon le modèle des case-work, issu des États-Unis pour les travailleurs sociaux ». F. Coudert et G. Crespo (2012, p. 22) indiquent que, en ce qui concerne les formations liées au travail social, « à partir de 1978, la supervision ou l’analyse de pratiques est inclue dans les cycles de formation initiales et continues ».

Lors des animations de groupes d’analyse des pratiques professionnelles et comme responsable de formation, notamment dans l’architecture des formations, il me semble essentiel de proposer dès la formation initiale des espaces formatifs d’analyse clinique de ces pratiques afin de favoriser, en résonance des situations rencontrées en stage, une élaboration groupale sur ce que Y. Papetti-Tisseron (1986, p. 134) nomme un investissement émotionnel, qui serait selon elle « à l’origine de l’engagement social ». Je fais, en effet, l’hypothèse que l’élaboration des dimensions émotionnelles présentes dans la relation d’aide serait alors essentielle dans la construction identitaire des futurs professionnels assistants sociaux.

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Durant leur formation initiale, les étudiants assistants sociaux sont sensibilisés à un socle de théories qui vont servir de support aux différentes méthodes d’intervention de leur future légitimité professionnelle ; cependant, ces apports théoriques ne suffisent pas dans la relation d’aide qui mobilise plus profondément les assistants sociaux. Chaque rencontre est en effet singulière dans le cadre de la relation d’aide ; elle met en résonance de part et d’autre des divers protagonistes une forme d’investissement émotionnel (Papetti-Tisseron, 1986, p. 134). Ceci d’autant plus, ainsi que le suggère B. Granja (2008, p. 30), dans son article intitulé "Eléments de construction identitaire professionnelle des assistants de service social en

formation", que « le contact quotidien avec la souffrance et la misère, les effets de la

déqualification sociale, le manque de ressources, peut générer un mal-être identitaire chez les étudiants ». Elle ajoute alors (p. 31) que « l’identité de service social mobilise le professionnel dans sa totalité, y compris les sentiments et ses émotions ». Pour ma part, je pense que le travail d’élaboration groupale d’analyse clinique des pratiques professionnelles, avec notamment la prise en compte des aspects vocaux et sonores du groupe, représente une information particulièrement essentielle de ce qui se joue dans la construction identitaire de ces étudiants, notamment en lien avec les aspects émotionnels de la relation d’aide.

Voix et sonore du groupe

Tout d’abord, je vais aborder des éléments classiques en lien avec le sonore, le vocal et le psychique sur un plan individuel puis je le ferai sur un plan groupal, au-delà du singulier. R. Prat (2013, p. 29), s’intéressant à l’élément vocal comme élément central du registre sonore nous invite à réfléchir « au trajet de la voix depuis le départ, la naissance mais aussi avant […] à la croisée des chemins : la musique, le rythme, la voix de celui qui parle, et la voix telle qu’elle est reçue, c’est-à-dire le monde de la communication et des interrelations ». Elle ajoute (p. 29) et son éclairage est central dans mon travail de recherche que « au carrefour du psychique et du somatique, la voix s’altère en fonction des émotions ; ses

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caractéristiques sont tellement individuelles et individualisées qu’on a pu parler de signature, ou d’empreinte vocale […] Que transmet la voix de ce nous voulons dire, mais aussi de ce que nous ne savons pas nous-mêmes ? ». « Nous communiquons », écrit-elle (p. 37), en référence à la voix, « tout au long de notre vie, la part la plus intime de nous-mêmes aux autres ».

Plus particulièrement, en ce qui concerne les groupes, la "climatique" du groupe, serait teintée des différentes voix du groupe. Dans son ouvrage Le groupe, espace analytique, en référence à S. Resnik, J. Rouchy (2008, p. 71) met en relation le concept de Stimmung (la climatique) et la notion de Stimme (la voix). Il s’agirait là de caractéristiques proches de celles des ambiances des groupes évoquées par C. Bittolo (Bittolo, 2007). Mais il conviendrait également d’y associer une forme d’émotionnalité groupale (Avron, 2005, p. 27). O. Avron définit l’émotionnalité groupale comme « les effets énergétiques qui s’établissent entre les individus d’un groupe, désirant souligner par là une fonction d’inter-liaison pulsionnelle réalisée entre tous, grâce au concours de tous » (Avron, 2001, p. 34). Cette coopération vocale et sonore favoriserait alors le travail interpsychique et intrapsychique du groupe dans une forme d’interactivité et d’interliaison rythmique (Avron, 1996/2012, p. 78).

À travers la prise en compte de cette interliaison rythmique, l’écoute du bruissement sonore du groupe (Lecourt 2008, p. 255) serait également à prendre en compte. E. Lecourt définit cette notion comme « la façon dont le groupe habite l’espace sonore » ; elle ajoute que ce bruissement « part de l’identité sonore groupale, il est un composite de pulsation, rythme, densité, volume sonore, énergie dont il donne une forme sonore ».

Cependant, cette question sonore ne tient pas compte de la mise en sens liée à la fonction du récit ; cette fonction est également essentielle dans l’analyse des pratiques professionnelles. Dans son texte Le groupe d’analyse de la pratique (gap), la fonction "à contenir" et la

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(Bion, 1970), concernant la fonction contenante, propose l’idée que « le gap aurait pour fonction de transformer "les contenus" issus du terrain » (p. 91) ; il insiste sur la vie imaginaire ou fantasmatique du groupe qui deviendrait un arrière-fond. La fonction du récit est essentielle, un « récit de rêve » (p. 91), « sorte de réactualisation de la situation initiale dans le groupe ». D. Mellier ajoute que « ce que le participant expose a des effets émotionnels sur le groupe, pour chaque participant et ses liens avec les autres » et que (p. 92) « le climat du groupe reproduit, entre en résonance avec le climat initial qui règne sur le terrain, que le participant transmet, consciemment et inconsciemment, par ses dires, attitudes et sous-entendus ».

Afin de saisir comment le groupe va travailler et élaborer à partir du récit d’une situation vécue en stage par un étudiant, je tente d’articuler le sonore et le sens ; je vais utiliser une vignette clinique ci-après pour éclairer mon propos.

Vignette clinique et données contextuelles

Je donnerai tout d’abord des éléments contextuels de cette vignette. J’en proposerai ensuite une courte analyse.

La récolte de ce matériel s’est faite lors d’une séance d’analyse de pratique que j’ai conduite en troisième année de formation initiale. Nous sommes à une deuxième séance d’analyse de pratiques professionnelles d’un groupe d’étudiantes de 3ème

année en formation préparatoire d’assistante de service social. Elles sont au nombre de huit. Je conduis le groupe clinique d’analyse des pratiques professionnelles depuis leur deuxième année de formation. Cette évocation se situe après un temps de pause du groupe. La protagoniste principale se nomme Léa. Je préciserai juste que Léa a également effectué un parcours en IUT dans une filière "Carrières sociales". Au cours de cette évocation, d’autres participantes seront également

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nommées. J’ai choisi d’évoquer cette vignette car elle me semble éclairer mes propos précédents

J’ai rédigé immédiatement après la séance un compte rendu ; j’ai également, ultérieurement, participé à une séance de supervision groupale clinique d’orientation psychanalytique afin d’élaborer quant à mes mouvements contre-transférentiels à propos de cette séance. Ces différentes temporalités ont pu favoriser en ce qui me concerne des effets d’après-coup (Chaussecourte, 2010, p 39) tant en lien avec l’écriture que les élaborations produites en supervision.

Léa et son accent chantant

Léa prend la parole et demande d’une voix enjouée, légèrement provocatrice : « on peut

parler d’un film, celui que j’ai vu hier, qui m’a marquée sur la question de la résistance et du secret ? » Je me sens alors vraiment sous le charme de cette voix chantante du Sud et amusée

par sa remarque. Elle accompagne sa question d’une gestuelle prononcée, ses bras décrivant un cercle très au-dessus de sa tête et son visage arborant un léger rictus de la lèvre. Percevant alors qu’elle a une forte envie de parler, je lui demande si elle fait un lien entre ce qu’elle propose d’évoquer et sa future profession d’assistante de service social. Elle répond spontanément et vivement : « je ne sais pas quoi faire avec le secret ». Elle rajoute : « pourtant au travail, on a ce qui est secret avec les juges et ce qui ne l’est pas mais je ne sais

pas quoi faire ». Elle bouge de plus en plus sur sa chaise, témoignant d’un certain malaise en

riant nerveusement. Les autres participantes la regardent beaucoup et semblent surprises. Je propose alors : « voulez-vous éclairer votre réflexion avec une situation ? » Elle rit à gorge déployée, reprenant d’une voix très musicale au début : « Ah, Ah, vous voulez que je parle ? » Les deux voyelles /a/ sont très appuyées et je pense d’emblée à un jeu, presque une esquive: « en avez-vous le désir ? » Elle répond plus doucement et avec une hésitation : « je ne sais pas

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(silence), je ne suis qu’une situation seule ». Les termes de « seul » et « une » me paraissent plus accentués dans son énonciation.

Laurence, une autre étudiante, demande alors : « Pourquoi te sens-tu seule ? » Léa précise : « je suis en AEMO2 judiciaire dans le département de A, les familles sont suivies depuis très longtemps et il est difficile de faire un relais pour que je suive, comme stagiaire, une situation ». Sa voix est alors très posée, ce qui est en contraste avec la suite de son propos ; en

effet, elle va très vite imiter les différentes intonations des voix des professionnels avec lesquels elle est amenée à travailler. Elle semble beaucoup s’amuser dans ces imitations et arbore un sourire que je qualifierai d’enfantin. Léa roule le /r/ de Raymond, l’éducateur auprès duquel, elle énoncera plusieurs fois, en riant, que les enfants de la famille dont elle s’occupe lui disent : « eh, rrraymond ! ». Elle continue avec les parents de la jeune dont elle est amenée à s’occuper en stage. Le père est véritablement imité par elle sur un ton assez rustre avec des tonalités traînantes sur la fin des mots. Elle précise que « c’est comme cela que

les gens de la campagne parlent ». Sa voix m’apparaît comme très théâtralisée, à l’image de

sa gestuelle. Je suis vraiment amusée en l’écoutant ; Léa accompagne son énonciation de gestes amples : elle lève les bras, les doigts en arrière, tente d’attraper une de ses mains puis l’autre et répète souvent des mots, comme en écho : « j’ai pas l’habitude, j’ai pas l’habitude » ou encore en parlant des trajets en voiture qu’elle est amenée à faire : « je fais de la route, je

fais de la route, c’est très apaisant, mais c’est long, c’est long, c’est un endroit très perdu… ». Ces différentes imitations ainsi que ces termes repris plusieurs fois semblent

entraîner tant les participants, aussi bien que moi-même, comme dans un récit que nous écoutons attentivement et silencieusement. Elle explique : « Dans le service, il y a des

éducateurs et des assistantes sociales, ils font le même travail, en protection de l’enfance, mais les éducatrices disent que l’on voit que ce sont des AS, elles n’ont pas la même

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posture ». Puis, elle aborde la situation par elle-même : « C. a 17,5 ans, 18 ans bientôt, elle est l’aînée de six enfants ; les parents ne sont jamais d’accord, toujours en conflit, ils se servent des enfants pour alimenter leur conflit, la mère monte les enfants contre le père ; ils habitent au milieu de nulle part, dans les champs ; les enfants sont tous en « segpa » ou en échec scolaire. La mère ne travaille pas, le père a eu un accident du travail et a été longtemps alité. » Léa imite à nouveau le père, accent traînant sur la fin des syllabes, avec une volonté de

caractériser son élocution comme « bourrue » ; ce qui fait rire tout de suite ses collègues et semble beaucoup l’amuser elle-même. Elle nous décrit une maison, isolée, au milieu de « nulle part », dans les champs ; nous apprendrons par la suite que la famille vit dans un bourg et qu’elle n’est pas isolée. Elle poursuit, d’une voix toujours chantante, aux syllabes prononcées, de manière rythmée: « C. prépare un CAP de coiffure en internat, sa mère était

coiffeuse avant d’arrêter de travailler ; elle n’a pas supporté l’internat, a fait une chute de tension et est revenue chez elle ». Immédiatement, lors de la séance, je remarque que le terme

de chute me fait réagir intérieurement. Ce ressenti sera d’autant plus accentué par le fait que C rajoute que l’arrêt en maladie du père est lié à une chute lors d’un accident de travail en tant que manutentionnaire.

Léa précise qu’elle a accepté ce suivi car elle est jeune et qu’elle a pensé d’emblée que C lui parlerait plus facilement, étant donné leur proximité d’âge : « les trajets en voiture facilitent

l’échange », rajoute t’elle. « C. est partie en internat dans le Nord », je fais tout de suite un

lien avec son propre vécu ; Léa aussi vient en formation à Paris, alors qu’elle habite dans le sud-ouest. Elle rit et ajoute que C. est scolarisée à Nantes, dans le Nord, ce qui provoque un éclat de rire général dans le groupe et de vives réactions : « Nantes n’est pas dans le Nord ! », rétorquent à l’unisson plusieurs participantes. Elle poursuit : « C. est l’aînée des enfants » ; elle ajoute d’emblée et très spontanément : « comme moi, je suis l’aînée de ma fratrie ! ». Puis elle élabore sur sa place en tant que travailleur social dans l’accompagnement de cette

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famille, et surtout de C. Il s’ensuit un échange animé entre les participantes sur la fonction d’une assistante sociale en protection de l’enfance, entre fonction éducative et fonction d’accompagnement social. Claire-Agathe, une étudiante, réagit vivement, il y a beaucoup d’énervement dans sa voix : « Quelle légitimité avons-nous pour intervenir ? Qui je suis pour

dire aux gens ce qu’il faut qu’ils fassent avec leurs enfants ? » Je suis surprise par ce ton

véhément qui est en décalage avec l’image d’elle-même qu’elle a montrée jusqu’à maintenant, comme une sorte de lâcher prise dans son attitude qu’elle semble habituellement vouloir maîtriser. Comme en écho à sa réaction, je demande à Léa: « alors, vous vous sentez plutôt

éducatrice ou assistante sociale ? » Aussitôt, Mariama réagit et lance, d’une voix enjouée :

« La question qui tue ! »… Je perçois alors que ma question est trop spontanée, presque impulsive. Dans l’après-coup, je vais élaborer sur mon propre positionnement professionnel dans ma trajectoire, située principalement en protection de l’enfance avant d’être formatrice et sur mon positionnement professionnel davantage enclin à tenir une fonction éducative. Cependant, Léa sourit et très détendue, avec un sourire malicieux et des yeux pétillants, me répond : « je me sens plus assistante sociale, c’est sûr, j’ai pu l’évaluer pendant les entretiens,

le côté administratif, c’est rassurant ». La séance se termine.

Durant la séance suivante, j’invite Léa à faire part de son cheminement dans l’entre-deux des séances. Elle bafouille beaucoup, cherche ses mots. À plusieurs reprises, j’entends qu’elle appuie sur la consonne /n/ quand elle insiste sur des négations ou encore en prononçant certains mots.

Elle dit : « C. va mieux, elle va faire un "CAP petite enfance", elle ne veut pas aller en

internat », et elle ajoute : « cela lui en coûterait trop de quitter sa famille, de partir loin, trop loin ». Elle précise que c’est la fin du stage et que C. lui a dit au revoir et qu’elle ne veut pas

être suivie par Raymond ; là encore, le /rrr/ de Raymond roule. Je le lui fais remarquer. Elle rit. Ce /rrr/ qui roule me met vraiment dans une sensation de mouvement, un mouvement dans

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sa voix ? Je repense au train. Je lui propose, en résonance avec l’éloignement de C., une élaboration quant au train pour elle, en lui demandant si les trajets pour venir à Paris ne sont pas trop longs. Elle répond presque aussitôt : « je n’arrive pas à travailler dans le train, cela

m’angoisse et me fatigue (silence) je suis heureuse au retour, je sors du train, je sens les embruns, je respire ». Elle rejette la tête en arrière en disant cela. Puis, plus posée, elle dit :

« cela m’en coûte d’être ici, en cours, j’étais mieux à l’IUT et entre-temps, j’ai travaillé, je

me sens moins autonome, je me sens à l’écart dans la formation, j’ai l’impression d’avoir attrapé le train en marche ». Sa voix est légèrement moins colorée. Laurence et Aurélie

réagissent aussitôt et presque ensemble, comme en duo énoncent : « cela ne se voit pas, tu es

comme nous, on ne voit pas la différence, tu ne le montres pas ! », les autres acquiescent. Je

n’ai pas trop le temps de repérer qui dit quoi, le rythme du groupe s’emballe, encore l’idée du mouvement, comme dans un tourbillon. Léa reprend la parole : « oui, mais cela m’en coûte

physiquement, je suis épuisée » et d’un coup, elle précise, et c’est un propos étonnant : « ah, je suis plus au clair quant à la méthodologie Isap3 », un coup de théâtre… Je lui demande alors comment elle vit la fin du stage, tentant de la ramener vers un travail d’élaboration. Elle répond sérieusement et bouge moins : « cela va aller, au stage, on m’a dit, on a l’impression

que tu es là depuis toujours, mais ce n’est pas du tout comme cela que je le vis ! ». Je ne peux

m’empêcher de penser qu’à travers ce propos, elle répond également à ses collègues de promotion quant à la formation actuelle.

Je vais présenter maintenant une courte analyse de cette vignette clinique en lien avec des aspects vocaux et sonores du groupe en dépliant mon propos autour la notion de porte-voix (E. Pichon-Rivière, 1969/2004) et celle de bain sonore (E. Lecourt, 1987/2000). J’évoquerai également la question de la transition ainsi que celle du secret en lien avec le signifiant "chute".

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Léa, porte-voix du groupe ?

E. Pichon-Rivière (1969/2004, p. 34) propose l’éclairage suivant de la notion de porte-voix : « le porte-voix d’un groupe est le membre de ce groupe qui, à un moment donné, "dénonce" ce qui se passe dans le groupe, les fantasmes qui animent celui-ci les anxiétés et les besoins de l’ensemble du groupe ». Ne pourrait-on pas penser que Léa serait en quelque sorte le

porte-voix de ce groupe d’étudiantes. En effet, elle viendrait, de par ses différentes tonalités vocales,

refléter les anxiétés du groupe d’étudiants. Les questions de légitimité à être diplômée et exercer en tant qu’assistante sociale seraient au cœur du travail du groupe, de même que les différenciations des fonctions sociales et éducatives. Le terme seul accentué dans l’énonciation de Léa révélerait une certaine inquiétude groupale : elles vont appartenir à un futur corps professionnel mais devront assumer seules des responsabilités professionnelles à un âge plutôt jeune pour la plupart des futures diplômées.

Bain sonore et mouvement musical du groupe

En ce qui concerne les aspects sonores je constate que je n’ai pas été insensible à la voix chantante de Léa à l’écoute de laquelle, les autres participantes, de par leurs sourires, leurs regards amusés, prenaient également plaisir. Il m’a semblé que nous étions comme bercés par cette voix, emportés dans une sensation agréable. Dans l’après-coup, j’ai associé ce sentiment à la notion de "bain sonore" ; en effet, j’ai eu l’impression que nous étions dans une sorte de mouvement musical, nous mettant dans une sorte d’apesanteur et venant teinter l’espace sonore du groupe, à l’instar de ce qu’évoque E. Lecourt (1987/2000, p. 24). Ce /r/ qui roule, comme évoqué dans la vignette, dans la bouche de Léa l’emmènerait vers un ailleurs professionnel, dans un mouvement de transition professionnelle commun à tout le groupe des étudiantes.

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J’ai entendu ce signifiant "chute" à deux niveaux ; dans un premier temps, j’ai pu associer ce mot au changement d’identité professionnelle qui s’opère pour ces étudiantes, entre ces différentes postures ; comme ainsi que l’évoque S. Resnik (1994, p. 73), « chaque nouvelle situation, chaque crise de croissance est vécue comme un abandon, un sentiment de chute, de mort ».

Dans un deuxième temps, je ne peux m’empêcher d’entendre la sonorité de ce signifiant en l’associant à « chut ! » Il me renvoie alors à cette dimension essentielle du secret professionnel ainsi que le code de déontologie des assistants sociaux. L’obligation de respect de ce secret professionnel renforcerait l’appartenance au groupe de pairs, assistants sociaux.

En écoutant Léa et les différentes réactions des autres étudiantes, je pense avoir été vraiment sensible à la dimension sonore de ce groupe. Je pense que cette musicalité et cette rythmicité ont été propices aux élaborations psychiques de tous et ont progressivement guidé mon intuition clinique comme animatrice. Les différentes imitations de Léa, ses rires ainsi que sa voix particulièrement colorée ont probablement favorisé le travail intra-psychique de l’entièreté du groupe dans une dimension sonore particulièrement contenante, au sens évoqué précédemment dans ma communication par D. Mellier (2002), en lien avec l’émergence d’une dimension émotionnelle.

J’ai souhaité partagé avec vous ce qui a constitué un point de départ pour mon travail de recherche actuel. Probablement le matériel que je récolte devrait permettre d’être encore plus près du vocal et du sonore du groupe. En effet, j’ai pu, durant cinq séances avec un même groupe d’étudiants, enregistrer des séances d’analyse des pratiques professionnelles ; j’ai choisi d’enregistrer un même groupe dans la continuité de son existence au fil des séances.

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Je soutiens que ce travail groupal d’élaboration psychique contribue à la construction identitaire des futurs assistants sociaux et laisse également des traces mnésiques dans l’exercice professionnel de chacun des étudiants. Ce travail groupal favoriserait en effet une forme de coopération vocale et sonore propice à l’élaboration d’une posture professionnelle singulière pour chacun des protagonistes. La subjectivité de chacun des futurs professionnels serait mise au travail dans une dynamique groupale intra-psychique. Ainsi que l’évoque C. Blanchard-Laville (Blanchard-Laville, 2011, p 143), en lien avec l’analyse clinique des pratiques, « chacun […] travaille pour lui-même à haute voix […] lorsqu’il expose une situation professionnelle mais aussi à bas bruit, contre-transférentiellement parlant si l’on peut dire, lorsqu’il contribue à l’exploration de la situation exposée par un autre participant ». Les effets des pistes d’élaboration et d’analyse proposées par l’entièreté du groupe favoriseraient une construction identitaire pour l’étudiant qui expose une situation mais également pour chacun des étudiants participant à ce travail de coopération groupale.

Les groupes d’analyse clinique des pratiques professionnelles seraient alors des espaces de coopération essentiels dans la formation initiale des assistants sociaux, notamment en lien avec la dimension sonore et vocale. De plus, la prise en compte de celle-ci par l’animatrice lui permettrait, en étant au plus près des émotions, de pouvoir étayer plus finement la fonction contenant/conteneur (Kaës, 1993) du groupe.

Bibliographie

Avron, O. (1996/2012). La pensée scénique, groupe et psychodrame. Toulouse, Érès.

Avron, O. (2005) L’émotionnalité groupale et la scénarisation. Revue de psychothérapie

psychanalytique de groupe, 45, p 61-68.

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