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Gouvernance et imputabilité : la protection des valeurs publiques à l'ère de la privatisation des services d'eau

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Academic year: 2021

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GOUVERNANCE ET IMPUTABILITÉ: LA PROTECTION DES VALEURS PUBLIQUES À L'ÈRE DE LA PRIVATISATION DES SERVICES D'EAU

Marianne Proulx

Faculté de Droit, Institut de Droit Comparé Université McGill, Montréal

Juin, 2003

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfiliment of the requirement of the degree of LLM

© Marianne Proulx, 2003

L*^

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REMERCIEMENTS

L'achèvement de cette thèse n'aurait pas été possible sans les conseils et les heures de discussion ardue dont m'a fait bénéficier mon superviseur, le Professeur Richard Janda. L'intérêt soutenu qu'il a manifesté pour ce sujet m'a encouragée à ne pas faire de compromis quant à mes objectifs.

Par-dessus tout, la réalisation des présentes n'aurait pas été possible sans l'incommensurable et infatigable support de mon amoureux Mathieu et de ma précieuse amie Manon. Mes chères Véronique, Chloé et Kathryn, votre foi en moi, plus grande que la mienne par moment, m'a permis de puiser force et réconfort à la source de nos longues années d'amitié. Un clin d'œil à Ralph et Thierry, compagnons d'infortune aux bonnes heures. A tous mes copains qui ont bien voulu faire patienter leur amitié quelque temps, merci.

J'aimerais également remercier ma famille, mes parents, pour leur aide inestimable et leurs judicieux conseils quant à la version grammaticale de mes idées! Ma complice sœur, Emilie, de même que mes neveux, Zachary et Georges qui m'ont constamment ramenée à la simplicité des petits moments en leur compagnie et m'ont rappelé qu'il y a toujours plus grand que soi.

Finalement, l'aboutissement de cette maîtrise n'aurait pu avoir lieu sans l'apport financier de la Bourse Aubry Senez. Recevez mes sincères remerciements pour votre contribution à ma formation académique.

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RÉSUMÉ

En cette année mondiale de l'Eau, le bilan des défaillances majeures de la gouvernance en matière d'accès aux services d'eau et d'assainissement semble catalyser le mouvement vers la privatisation et les partenariats pour ces services essentiels. Dans la mouvance de la mondialisation et de l'efficience, l'État semble entré dans un cycle de dévolution, alors que l'on présente le marché et la corporation privée comme une panacée aux insuffisances des premières réponses à la crise de l'eau. Dans cette optique, la thèse présente une analyse du débat entourant la privatisation de ces services et une étude de l'impact, sur les valeurs publiques, de l'introduction d'une philosophie de marché dans ce secteur. Nous constaterons qu'en réalité, l'État régulateur devra nécessairement se substituer à F État-Providence. À travers un examen critique de l'approche néoclassique au bien public et à la réglementation, nous argumenterons que l'individualisation du processus de valorisation du bien public nourrit une culture de conflit et de complexité susceptible de miner notre capacité de formuler et d'atteindre des objectifs communs et susceptible de créer un important déficit d'imputabilité. Le besoin d'efficience environnementale et de démocratie en contexte d'incertitude commandera en définitive un effort supplémentaire de réflexion quant à la protection de ces valeurs publiques, témoignant d'un bouleversement de nos structures de gouvernance, privée et publique, plus profond encore que ne l'aurait souhaité au départ les promoteurs de la privatisation.

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ABSTRACT

The international year of fresh water represents the opportunity to look back at the seemingly irrésistible movement toward privatization and at the dévolution of State responsibilities in water and wastewater services. The welfare State appears to be increasingly ill-adapted to times dominated by globalisation and efficiency, while the market and the private corporations are presented as apanacea for solving the water crisis. But expectations of the market hâve not been met. This thesis analyses the debate over privatization of thèse services and the fondamental impacts on public values of introducing a market philosophy into this industry. Rather than witnessing a retreat of the State, its rôle is evolving although direct service provision is superseded by heavy régulation of the industry. In criticizing the neoclassical approach to the public good and régulation, the thesis argues that individualizing the process of valuing the public good fosters a culture of conflict and complexity that ultimately undermines our ability to formulate and achieve common goals. This créâtes an important accountability déficit. The need for environmental efficiency and democracy in an era of uncertainty requires that we search for means of expanding the reach of public values and thus suggests an even deeper reshaping of our governance structures, public and private.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 4

I. L'ÉTAT EN CONTEXTE DE MONDIALISATION : DEVOLUTION ET REVOLUTION 10

A. Le Mouvement vers la Privatisation : la Crise de la Gouvernance 10 1. La Crise de l'Eau : Nouvelles Approches à la Gouvernance des Services

d'Eau et d'Assainissement 12 a. L'Eau : un Bien Essentiel, Culturel et Environnemental 12

b. L'Efficience des Services d'Eau et d'Assainissement au XXieme Siècle. 14 c. L'Eau comme Bien Économique: Solution Envisagée d'une Gestion

Défaillante 16 d. L'Accès à l'Eau comme Droit Fondamental 17

2. Pragmatisme et Investissements 19 B. Intégration Économique et État 21

1. La Motivation Néolibérale: Cure Minceur à Saveur d'Efficience 21

2. La Pression de la Mondialisation Économique 23

3. Les Multiples Privatisations 24

II. LA THEORIE ÉCONOMIQUE DE L'EFFICIENCE : THOU SHALT COMMODIFY 27

A. Un Critère de Bien-Être pour l'Allocation des Revenus de l'État : un

Gouvernement Efficient 28 1. Le Néoclassicisme 28 2. La Théorie Samuelsonienne des Biens Publics 32

3. Généralisation de la Théorie des Biens Publics 33 a. Les Externalités et le Monopole Naturel 33 b. La Qualité, le Choix et l'Information Incomplète 35

B. «Public Choice Theory » et Supériorité du Corporatisme Privé 37

1. Corporatisme et État 38 2. Le Contractualisme Néoclassique 41

3. Mécanismes Internes d'Imputabilité de la Corporation Privée 44 a. La Survie: le Marché des Produits et Services et le Marché des Capitaux

45

b. Le Marché des Administrateurs 46 c. Henry Manne et le Marché pour le Contrôle Corporatif 47

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4. La Piètre Performance Bureaucratique 48 III. CONCEPTUALISATION DU PRIVE ET DU PUBLIC: VERIFICATION EMPIRIQUE D'UN

PRAGMATISME IDEOLOGIQUE ET OPPOSITIONS A LA PRIVATISATION 51

A. La Provision Privée des Services d'Eau 51 1. Privatisation des Services d'Eau et d'Assainissement: l'Exemple Anglais 51

a. Historique de la Provision des Services d'Eau en Grande-Bretagne 51

b. La Marche vers la Privatisation 53 c. Le Choix Britannique: Plein Dessaisissement de la Provision des Services

d'Eau 55 2. Les Partenariats pour l'Eau dans le Monde: le Modèle Français 56

B. Valeurs Publiques et Risques de la Privatisation : Opposition et

Re-Réglementation 57 1. La Recherche de Profit, Risques et Incertitude: une Opposition Morale ? . 57

a. Les Risques pour la Communauté 57

b. Les Risques Écologiques 63 c. Les Risques pour le Développement 65

d. Imputabilité et Risque Démocratique 67 2. Technologie de la Réglementation et Bien Public Normatif: Changement de

Rôle de l'État 70 a. Technologie de la Réglementation 71

b. L'État Régulateur et Surveillant 73 (i) Le Bien Public Normatif 73 (îi) LaNorme, la Surveillance et le Contrôle 74

IV. LIMITES DE LA GOUVERNANCE PAR LE DROIT ET IMPLICATIONS FONDAMENTALES

DE LA PRIVATISATION DES SERVICES D'EAU 78 A. Privatisation, Efficience et Individualisme: le Rétrécissement de la Sphère

Collective 82 1. Intrusion dans le Modèle de Régulation Démocratique 83

2. La Critique Économique du Dispositif Réglementaire 85 a. Souveraineté du Consommateur et Neutralité 86

(i) Risque Réglementaire et Champs d'Intervention de la Loi 86 (ii) La Construction du Consommateur dans l'Industrie Privatisée des

Services d ' Eau en Grande-Bretagne 90 (a) Risques liés à la Qualité de l'Eau et àla Santé Publique 91

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(b) Risques liés à la Sécurité du Service 91

(c) Risques Environnementaux 93 b. L'Efficience Néoclassique: l'Acteur Rationnel et l'Analyse des Coûts et

Bénéfices 96 (i) Retour sur Kaldor-Hicks et le Néoclassicisme : de l'Argent comme de

FEau? 97 (ii) L'Évaluation du Risque et l'Analyse des Coûts et Bénéfices 99

c. Les Critiques du Modèle de l'Acteur Rationnel: « Rational Fools » ?.. 102

3. Valeurs Publiques, Précaution et Participation Publique 108

a. Les Limites de la Rationalité 108 b. Critique de l'Individualisation du Processus d'Évaluation du Bien Public

111

(i) La Rhétonque du Conflit dans le Contexte Anglais 114

(n) Complexité et Imputabilité 116 c. Gouvernance Communicationnelle et Participation Publique 117

B. Transparence, Information et Contrôle: la Problématique de la Distanciation et

Gouvernance Horizontale 121 1. Distinction entre le Contrôle et la Gestion des Opérations: le Problème de

l'Agence 122 a. Les Contraintes Affectant la Réglementation 123

b. Le Risque Moral 124 c. La Transparence et F Antisélection 125

2. Programme de Surveillance et de Contrôle: L'État Vérificateur 127

3. Le Paradigme de la Sûreté 129 4. Au Détour d'un Bouleversement de la Sphère Privée ? 131

Conclusion 135 Bibliographie 139

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INTRODUCTION

Au cours des dernières décennies, le phénomène de mondialisation est venu bouleverser profondément les structures de gouvernance mises en place depuis le début du XXeme siècle et remettre en question les rôles établis de l'État, de la

corporation privée, du marché et de la société civile dans la réalisation du développement et surtout du développement durable1. En effet, ce processus de

mondialisation semble précipiter l'État dans un cycle de dévolution, à saveur d'efficience, suivant le constat des manquements à cet égard, particulièrement au niveau social et environnemental2. Dans la plupart des pays, on assiste à un

repositionnement du balancier entre le « privé » et le « public », bien qu'il s'agisse peut-être davantage du constat d'un certain fusionnement mettant en évidence un flou entre des sphères qu'on aimait séparer étanchemenr'. Cette tendance décrit un mouvement globalisé de privatisation des biens publics qui a été amorcé dans les années 1980s sous l'impulsion des gouvernements Reagan et Thatcher. Les propositions de partenariat avec le secteur privé se sont étendues à la prestation de la plupart des services sociaux et « essentiels », incluant les services d'eau et d'assainissement4.

En cette année internationale de l'eau douce, le troisième Forum Mondial de FEau vient de se conclure sur la nécessité de réaliser les objectifs définis lors du Sommet du Millénaire des Nations Unies, tenu à New York en 2000, et du Sommet Mondial pour le Développement Durable à Johannesburg en septembre 2002, soit de

1 II s'agit par ailleurs d'un objectif de la collaboration du Canada avec le Partenariat Mondial pour

l'Eau. Voir Canada, Environnement Canada, L'eau et le Canada : Présen>er un patrimoine pour les

gens et l'environnement, Document préparé aux tins du Troisième Forum mondial de Peau, Japon,

2003, en ligne : Environnement Canada <http://vvwvv ec.ge. eaAvater/fr/info/pubs/wwf/f contnt.htm> (date d'accès: 25 avril 2003) [ci-après Canada, 2003].

2 A.C. Aman, « Globalization, Democracy, and the Need for a New Administrative Lavv » (2002) 49 U.C.L.A. L.Rev. 1687 [ci-après Aman 2002], N.C. Bardouille, «The Transformation of Govemance Paradigms and Modalities: Insights into the Market ization of the Public Service in Response to Globalization » (2001) 6 Geo.Public Pol'y Rev. 155, J.G. Stein, The Cuit of Efficiency, Toronto, House of Anansi Press, 2001 à la p.50.

J. Kooiman, dir., Modem Govemance: New Governemeiit-Society Interactions, London, Sage Publications, 1993.

Les termes « services d'eau » et « services d'eau et d'assainissement » seront employés indistinctement pour désigner les activités de captage, storage, traitement, testage et distribution de l'eau potable, de même que les activités d'assainissement, d'épuration, de recyclage, etc. des eaux usées.

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réduire de moitié d'ici 2015 le nombre de personnes qui n'ont pas un accès durable à de l'eau potable ni à des installations d'assainissement adéquates5. Toutefois, ces

besoins ne peuvent être distingués de l'importance de préserver la santé écologique des écosystèmes, tant pour leur valeur intrinsèque que pour la durabilité et la sécurité de l'accès à la ressource. Ainsi, a-t-on insisté sur le problème de gouvernance et le besoin d'une gestion efficiente de cette richesse naturelle.

Des obligations à l'égard de la conservation et de la protection de la ressource sont associées aux risques inhérents à la provision de l'eau aux individus et à l'industrie. La gestion des ressources en eau s'effectuera nécessairement dans un contexte d'incertitude quant aux risques pour les individus, mais aussi quant aux risques environnementaux et à la renouvelabilité des sources. En effet, il devient évident que la gestion et consommation actuelles créent un problème de rareté dans les pays expérimentant déjà des déficits et pourraient compromettre l'approvisionnement naturel en eau en détruisant les écosystèmes et donc, la capacité naturelle de captage6. À cet égard, la question de la gouvernance en matière de gestion

de l'eau est primordiale. Une option de gouvernance, la décentralisation et la privatisation de la ressource, mais plus concrètement des services d'eau et d'assainissement, est vivement débattue dans tous les pays.

Bien que la part de marché du secteur privé dans la provision des services d'eau ne soit actuellement que d'environ 10%, à l'échelle mondiale7, son implication

est perçue par plusieurs comme une opportunité inouïe d'atteindre les objectifs humains et écologiques. Au niveau international, les agences de développement telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International appuient fermement les efforts de privatisation. Aux États-Unis, F'Environmental Protection Agency (EPA) encourage les administrations publiques locales à développer des partenariats public-5 Organizing Committee of the 3rd World Water Forum, Preliminaty Forum Statement (Avant-projet,

21 mars 2003), en ligne: World Water Forum <http : //www, world.

water-forum3.com/2003/eng/secretariat/files/Preliminarv SFS .pdf> (Date d'accès: 25 avril 2003), Canada,

2003, supra note 1.

° E.H.P. Brans et al., dir., The Scarcity of Water: Emerging Légal and Policy Responses, London, Kluwer Law International, 1997.

H.P. Gleick et al., « The New Economy of Water : The Risks and Benefits of Globahzation and Privatization of Freah Water », Pacific Institute for Studies m Development, Environment, and Security, Oakland, Californie, Février 2002, en ligne: Pacific Institute <http://v\'\vvv.environmental-center.com/articles/articlell71/new economv of water.pdf> (date d'accès: 29 Septembre, 2002) [ci-après Gleick et al. 2002].

(10)

r 8

prive . Au Canada, la tragédie de Walkerton a ravivé les débats, représentant pour les uns la démonstration claire de l'incapacité gouvernementale9; pour les autres, elle

pourrait avoir sonné la dernière heure de la privatisation au Canada10. Ainsi, alors que

les besoins financiers et les pressions budgétaires semblent rendre l'engouement pour le recours à la corporation privée contagieux, d'autres insistent sur le fait que ce transfert au secteur lucratif soulève des questions fondamentales qui n'ont pas encore été suffisamment abordées, discutées et évaluées.

L'objectif de la présente thèse est d'examiner l'impact de la privatisation des services d'eau et d'assainissement aux mains du secteur privé corporatif, sous l'angle de la nécessité de préserver les valeurs publiques liées à Feau, particulièrement en contexte de risques et d'insécurité11. Nous pensons que le critère d'efficience

économique sous-jacent aux processus combinés de mondialisation et de privatisation des services d'eau tend à requérir que ces services, mais aussi que l'eau elle-même, soient traités comme de simples commodités sujettes aux règles du marché. Nous en examinerons les conséquences. Notre intuition est qu'en réduisant les termes de la délibération collective, cette rhétorique compromet l'atteinte de l'objectif même qu'elle prétend viser et qui a justifié au départ son avancée : l'efficience. Le défi, selon cette hypothèse, sera donc d'établir un dispositif de gouvernance permettant de concilier les valeurs sociales, culturelles, environnementales et économiques liées à l'eau12.

Dans cette optique, nous décrirons, en première partie, le contexte général dans lequel s'inscrit ce mouvement de privatisation et les raisons qui ont poussé la

8 Par exemple: É.-U., Environmental Protection Agency, Partners Rebuilding America: Public-Private

Partnership in Wastewater Finance, EPA #832F930O4, Mars 1993.

9 Par exemple : E. Brubaker, « Lessons From Walkerton », Environment Probe, Toronto, 1 A\TI1 2002,

en ligne Environment Probe <http:www.environmentprobe.org/enviroprobe/print.cfm0ContentTD=4485> (date d'accès: 26 février

2003).

10 C. Elwell, « NAFTA Effects on Water: Testing for NAFTA Effects in the Great Lakes Basin »

[2001] Tol.J.Great Lakes' L. Sci. & Pol'y 151.

11 Pour les fins de la présente thèse, la référence au secteur privé et à la privatisation vise le secteur

commercial, à but lucratif. La désignation secteur privé est souvent employée en référence tant au secteur à but lucratif que non lucratif ou autre association volontaire. Voir par exemple: M. Minow, « Public and Private Partnerships: Accounting for the New Religion » (2003) 116 Harv. L. Rev. 1229. Pour notre part, nous nous intéresserons au secteur à but lucratif et à la corporation privée.

12 Cet objectif est d'ailleurs énoncé au chapitre 18 de l'Agenda 21: United Nations Conférence on

Environment and Development, Agenda 21: Programme of Action for Sustainable Development, New York, United Nations Dep. Of Public Information (1993), auchap.18, art.18.8 [ci-après Agenda 21].

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communauté internationale à chercher de nouveaux modes de gouvernance pour les services publics d'eau et d'assainissement. Si la gouvernance reflète une préoccupation et une priorité internationales, elle se pose d'abord dans un cadre national. Toutefois, la crise de l'eau commande une approche et des objectifs concertés et ceux-ci se sont orientés vers la recherche d'efficience économique, sociale et environnementale. Nous verrons ensuite comment le processus de mondialisation et la rhétorique néolibérale d'efficience invitent à privilégier la privatisation et le partenariat comme modèle de gouvernance, s'autorisant d'un pragmatisme économique.

Ainsi, nous approfondirons en deuxième partie les fondements et préceptes de l'approche économique néoclassique, enracinée dans le libéralisme, afin de comprendre comment elle justifie cette révolution des institutions et facilite l'avancée de la grande corporation privée. La vision restrictive de l'État qu'elle propose et la façon dont elle décrit la fonction gouvernementale à travers la théorie des biens publics, limiteront l'intervention de celui-ci aux cas de défaillances du marché. À leur tour, ces cas de défaillance répondront d'un critère d'efficience économique, ancré dans la recherche de rentabilité et même de productivité, pour l'atteinte de laquelle le modèle corporatif néoclassique semble tout à fait indiqué. Il sera important de bien explorer cette théorie des biens publics et sa définition particulière de l'efficience, afin de comprendre plus tard, comment elles encadreront en fait les termes de la délibération quant à la privatisation des services d'eau et d'assainissement.

Dans cette perspective, nous verrons en troisième partie que l'expérience de privatisation des services d'eau en Grande-Bretagne et ailleurs reflète très bien cette démarche. Nous nous intéresserons plus longuement au cas anglais puisqu'il s'agit du plus important cas d'étude en la matière et ses leçons ne doivent pas être ignorées. Les promoteurs de la privatisation s'autorisant d'un pragmatisme économique, seront susceptibles de s'intéresser à une vérification empirique des promesses de la privatisation. Aussi, ils chercheront généralement à identifier les conditions économiques qui pourraient faire obstacle aux efforts de privatisation du gouvernement, ces cas de défaillances du marché, pour les corrigerJ. Dans la mesure

13 J. Freeman, « The Contracting State » (2000) 28 Fla.St.U.L.Rev. 155 à la p. 175 [ci-après Freeman

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où elles pourront être corrigées, il n'y aurait plus d'objection. Nous verrons donc comment la sophistication de la théorie réglementaire aura contribué au changement de rôle, bien plus qu'à la substitution, de l'État dans le secteur de l'eau. De fournisseur direct de services, l'État devient plutôt fournisseur « indirect », par la voie de la législation et même de plus en plus, par la voie contractuelle. Ainsi, cette industrie sera nécessairement réglementée et même, hautement réglementée, la réglementation ayant précisément pour rôle d'aligner les intérêts des corporations avec l'intérêt public. Ces résultats mitigés nous mèneront à réaliser le fort aspect idéologique du pragmatisme économique et nous inciteront à nous intéresser au cadre plus large, révélé par la gouvernance par le droit, dans lequel s'inscrit la privatisation.

Nous argumenterons finalement en quatrième partie que la critique économique du modèle de réglementation, cousine de l'approche économique néoclassique à l'égard de la privatisation, révèle un danger d'alignement des valeurs de l'État avec celles du marché, une forme de marchandisation du droit, qui réduirait les termes de la délibération collective et la possibilité même de construire le bien public, créant ainsi un déficit démocratique à l'intérieur de la gouvernance par le droit. Nous pensons que l'approche économique d'efficience, le modèle de rationalité néoclassique et le rattachement aux valeurs économiques qu'elle propose opèrent en fait une individualisation du processus de définition et d'évaluation du bien public, selon la volonté et la capacité de payer, mettant en péril les valeurs publiques liées à l'eau et à sa provision. En effet, en déresponsabilisant le consommateur et en nourrissant une culture de conflit, l'approche économique le place en conflit avec ses valeurs de citoyen et réduit la possibilité même de cultiver celles-ci et la responsabilité collective envers le bien public. Des implications plus larges donc, que le langage économique qualifie de morales. À cet égard, les précisions apportées au modèle de rationalité par les sciences du comportement à l'intérieur même du modèle économique et la réalisation de notre rationalité limitée pourraient offrir les bases d'un pont entre les positions économique et morale, fondé dans un sentiment renouvelé d'interdépendance et d'imputabilité. En effet, ces apports ont permis de reconnaître l'importance de la participation et de la délibération publique pour l'efficience du système réglementaire, une efficience redéfinie, élargie et attribuant une importance pragmatique aux valeurs publiques. La participation publique étant ultimement tributaire de l'information et de la transaparence, elle pourrait exiger un

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bouleversement de la sphère privée que les tenants de la privatisation n'avaient peut-être pas prévu.

De façon générale, le débat entourant la question de la dévolution des fonctions gouvernementales a évolué d'une confrontation idéologique entre une approche économique dite pragmatique et l'opposition dite morale, vers un dialogue plus nuancé acceptant un rôle pour le secteur privé dans la provision des services gouvernementaux. « Central to this discourse is an understanding ofthe critical rôle

of accountability in ensuring désirable conduct by private and public actors » .

Ainsi, plusieurs auteurs ont amorcé une réflexion autour d'une possible réconciliation par la « publicisation », soit l'extension des valeurs publiques au secteur privé par les instruments du droit administratif13. Il existe peut-être des avenues d'harmonisation,

ancrées dans une nouvelle compréhension des rapports non plus tellement hiérarchiques qu'horizontaux entre le public et le privé, qui permettraient d'éviter de remplacer un chapitre de défaillances gouvernementales par un chapitre de défaillances du marché et d'inégalités encore plus grandes. Bien que ce débat porte plus souvent sur des services tels que l'éducation, les soins de santé ou les services correctionnels, nous pensons trouver des préoccupations similaires dans la vive opposition à la privatisation des services d'eau et d'assainissement, qui justifieraient de nous rattacher à ces propositions. Le défi est grand, mais incontournable.

14 Auteur Inconnu, « When Hope Falls Short: Hope VI, Accountability, and the Privatization of Public

Housing » (2003) 116 Harv.L.Rev. 1477 à la p. 1479 [ci-après « Hope VI »].

15 J. Freeman, « Extending Public Lavv Norms Through Privatization » (2003) 116 Harv.L.Rev. 1285

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I. L'ETAT EN CONTEXTE DE MONDIALISATION : DEVOLUTION ET REVOLUTION

A. Le Mouvement vers la Privatisation : la Crise de la Gouvernance

Depuis le milieu du siècle dernier, le constat de F inefficience gouvernementale à remplir les objectifs qui lui sont assignés démocratiquement a plongé, toujours plus profondément, l'Etat dans une crise de gouvernance et représente un des enjeux principaux de nos délibérations sociales, tant au niveau national qu'international. Ces inefficiences reflètent la problématique d'imputabilité propre à toute structure de gouvernance, c'est-à-dire que ses actions soient en accord avec les objectifs qui lui sont attribués . Le professeur Donahue identifiait deux dimensions de l'efficience: « [t]he first concems getting the right things done [...] The other concerns getting

them done at minimum cost»11. Or, la question de la gouvernance en étant une

d'imputabilité et celle-ci concernant précisément le respect des objectifs choisis en démocratie libérale par la population (organisée en tant que citoyens ou consommateurs), le premier aspect de l'efficience devra toujours tendre à la réalisation de ces aspirations18.

Il est important de remarquer que la gouvernance est distincte du gouvernement. Conceptuellement, la gouvernance comprend les mécanismes, les processus, les relations et les institutions en vertu desquels la population exprime ses intérêts et différences par Faction collective19. Ainsi, Faction collective sera toujours

rattachée aux valeurs des gens qui autorisent et composent la structure de gouvernance. Ces valeurs publiques représentent donc le cadre d'imputabilité de la structure de gouvernance. En ce sens, le gouvernement est une des institutions de la gouvernance20. Dans le cas spécifique de l'eau, la bonne gouvernance a été identifiée

10 J.D. Donahue, The Privatization Décision: Public Ends, Private Means, New York, Basic Books,

1989àlap.23.

17 Donahue, ibid. à la p.85.

1 Minow, supra note 11 à la p. 1260 : « [a]ccountability in this sensé means being answerable to

authority that can mandate désirable conduct and sanction conduct that breaches identijied obligations. »

19 Bardouille, supra note 2 à la p.l 56.

20 En 1937, R. Coase identifia et décrivit le gouvernement, le marché et la corporation comme des

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comme objectif et champ d'action prioritaire21. Le Global Water Partnership décrivait la gouvernance dans ce secteur en ces termes:

Water govemance refers to the range of political, social, économie and administrative Systems that are in place to develop and manage water resources, and the delivery of water services, at différent levels of society. [...] Water govemance détermines the rôles and responsibilities of the différent interests - public. civil and private - in water resource management and development."

L'attention porte sur la recherche de nouveaux arrangements pour la gestion et la distribution de cette ressource, considérant F inefficience gouvernementale à cet égard, c'est-à-dire la non réalisation des objectifs qui lui sont assignés démocratiquement. En effet, les services d'eau étant généralement fournis par le gouvernement dans la plupart des pays, au cœur de ce débat se trouvera l'épineuse question des fonctions gouvernementales. Quelles sont-elles ? Quels sont les services que l'État doit fournir et en vertu de quel critère ? Plus fondamentalement encore, on se demande où se trace la frontière entre le « privé » et le « public » ? Ces questionnements ne sont pas nouveaux et il demeure difficile d'y répondre. Un auteur écrivait en 1982: «Indeed, I do not doubt that ifwe could see to ohgins, we would

find what is public, what is private, lying close to the heart ofthe human feelings that give rise to governments »2'. N'ayant pas ce pouvoir, le débat sera informé par différents critères. Fondamentale à cette recherche est la compréhension des enjeux liés à Feau et à l'accès à l'eau (les balises d'imputabilité).

386 [ci-après Coase 1937]. Voir également: R.H. Coase. The Firm, the Market and the Law, Chicago, University of Chicago Press, 1988 [ci-après Coase 1988]. Il y a aussi le secteur public, la société civile, la réglementation : Bardouille, supra note 2 à la p. 156.

21 Voir notamment les Recommandations concernant les mesures à prendre : Conférence Internationale

sur l'Eau de Bonn, L'Eau: Une des Clefs du Développement Durable, 3-7 décembre 2001, en ligne: International Conférence on Freshwater <http ://www. water-2001.de/outcome/BonnRecommendations/Bonn_Recommendations fr.pdf>(date d'accès: 8 octobre 2002), à l a p . 3 .

22 Global Water Partnership, « Dialogue on Effective Water Govemance, Learning rrom the

Dialogues », document préparé pour le 3ème Forum Mondial de l'Eau, 2003, en ligne

<hUj.://wyyw.j\yj)forum.org^ (date d'accès: 27

avril 2003), à la p.4.

23 C. Stone, « Corporate Vices and Corporate Virtues: Do Public/Pnvate Distinctions Matter » (1982)

130U. Pa. L. Rev. 1441 à la p. 1509.

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1. La Crise de l'Eau : Nouvelles Approches à la Gouvernance des Services d'Eau et d'Assainissement

a. L Eau : un Bien Essentiel, Culturel et Environnemental

L'eau est un élément de la nature. Elle s'écoule librement des montagnes aux rivières, à l'océan, s'évapore et retombe en pluie. L'eau est à la base de toute vie et est essentielle à la santé humaine et écologique. Ces caractéristiques ont longtemps conduit les économistes à considérer l'eau comme le bien public quintessenciel24. Il

pourrait également être question de « bien social », considérant les impacts sociaux de ce bien tels, d'une part, le bien-être individuel et collectif lié à l'accès à de Feau potable de bonne qualité, à la beauté de la nature aquatique ou aux activités récréatives y exercées. D'autre part, les infections, maladies et épidémies causées par le mauvais traitement des eaux potables et usées, la pollution, etc., peuvent affecter la collectivité autant que les autres espèces, animales et végétales23. Aussi, Feau est

extrêmement importante pour le développement économique. L'historique de la provision des services d'eau et d'assainissement est d'ailleurs intrinsèquement lié à l'histoire de la civilisation . Enfin, Feau et l'accès à Feau ont également une importance culturelle et une signification symbolique, morale et religieuse .

En raison de l'importance tant stratégique qu'humanitaire, écologique ou culturelle de la ressource, l'accès à Feau a généralement été subventionné et la

24 G.R. Williams, « Valuing Natural Environments: Compensation, Market Norms, and the Idea of

Public Goods » (1995) 27 Conn. L. Rev. 365 Un auteur remarquait par ailleurs que ce fait transparaissait de la discussion même des économistes quant aux biens publics lorsqu'ils utilisaient des termes tels « common pool resources » ou « spill over effects » pour les décrire : J.W. Dellapenna, « The Importance of Getting Names Right : The Myth of Markets for Water » (2000) 25 Wm. & Mary Envtl. L & P o l ' y R e v . 317 à la p. 329.

25 Gleick et al. 2002, supra note 7 aux pp. 5-8.

20 National Research Council, Committee on Privatization of Water Services in the United States,

Privatization of Water Services in the United States: An Assessment of Issues and Expérience, National

Academy Press, Washington, D.C., 2002, en ligne National Academy Press <http://www.nap.edu/books/0309074444/html/> (date d'accès: 27 avril 2003) à la p.29 [ci-après

Privatization of Water Ser\'ices in the US].

27 Gleick et al. 2002, supra note 7 à la p. 9, M. Boyer, M. Patry et P.J. Tremblay, « La Gestion

Déléguée de l'Eau : Les Enjeux » Chaire Jarislowsky de l'École Polytechnique de Montréal et Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse des Organisations (CIRANO), Montréal, Juin 1999, en ligne : CIRANO <http://y\a^ (date d'accès : 27 avril 2003), à la p.23 [ci-après Boyer, Patry et Tremblay 1999]. Voir également I. Ramonet, B. Cassen et A.-C. Robert « La Ruée vers L'Eau» Manière de Voir : LE MONDE Diplomatique n°65 (Septembre-Octobre 2002).

(17)

provision des services d'eau et d'assainissement a été fournie gratuitement par le secteur public ou la collectivité:

In populated areas the action taken was frequently collective in character, local government holding that water management was too vital a matter to be left entirely to individual initiatives or to profit-seekers.28

Une telle politique génère évidemment un fardeau financier parfois lourd pour la société. Les dernières décennies ont vu grandir l'opinion selon laquelle elle encouragerait la surconsommation et le gaspillage de cette précieuse ressource, ce qui mènerait, ulumement, à une « tragédie de ce bien commun »29. Le pressentiment

d'une telle tragédie s'est concrétisé en un argument largement répandu selon lequel nous ferions face à une imminente et sévère cnse de Feau. Certains soutiendront plutôt que la crise est un mythe, mais admettront tout de même que la rareté est possible et même potentielle, considérant des facteurs tels le réchauffement planétaire, l'accroissement de la population, la destruction des écosystèmes et donc, des lits des cours d'eau (diminution de la capacité de captage), l'intensification de la pollution et la salinisation. Ces facteurs compromettraient la capacité de régénération de la ressource (la renouvelabilité) et pourrait créer effectivement une rareté"'0. D'autre part,

plusieurs régions expérimentent déjà des déficits en raison de la concentration de la population dans des zones arides, l'eau étant naturellement distribuée inégalement entre les régions politiques. Si les tendances ne sont pas renversées, la moitié de la

28 Hassan, J.A., « The Growth of the Bntish Water Industry in the Nineteenth Century » (1985) 38(4)

The Economie History Review 531 à la p.532.

29 L'argument découle de : G. Hardin, « The Tragedy of the Commons » (1968) 162 Science 1268. Cet

auteur proposa que seule l'attribution de droits de propriété privée sur les biens communs pourra résoudre le problème. L'argument de « commodification » en découle. La question de la propriété privée de l'eau dépasse le cadre de la présente thèse. Voir par exemple : Dellapenna, supra note 24. La poursuite de multiples objectifs non reliés aux services d'eau comme tel, de même que les subventions attribuées par l'État en vertu de ces autres objectifs sont souvent dénoncées comme conducteur d'importantes inefficiences, qui contribueraient à la surconsommation de l'eau. Il dépasse notre propos d'analyser ces programmes de subventions publiques, quoiqu'il est certainement important de rectifier ce problème, quelle que soit la décision quant à la privatisation Voir par exemple : T.R. Lee, Water

Management in the 21rst Century The Allocation Imperative, Northampton (MA), Edward Elgar, 1999

aux pp. 96-97 et J.J. Clayton, « Hère is a Land Wliere Life is Written in Water' : Rewriuing Western Water Lavv in the 21 st Century » (2002) 5 U.Denv. Water L. Rev. 525 à la p. 542.

Même sans dégradation, l'eau étant présente en quantité fixe sur la terre, l'augmentation de la population conduirait ultimement à la rareté. H.L.F. Saeijs et M.J. van Berkel, « The Global Water Crisis: The Major Issue of the Twenty-tirst Century, a Gowing and Explosive Problem » dans Brans et al., supra note 6, 3, M. Falkenmark, « Water Scarcity - Challenges for the Future » dans Brans et al.,

supra note 6,21.

(18)

population mondiale vivra en zone de pénurie d'eau et les deux tiers seront affectés d'ici quelques 30 ans'1.

b. L Efficience des Services d'Eau et d Assainissement au XXfme Siècle

Dès 1977, une attention particulière fut accordée par la communauté internationale aux besoins vitaux et écologiques liés à l'eau32. Les statistiques

alarmantes fournies par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) selon lesquelles plus d'un milliard de personnes n'ont pas d'accès durable et sécuritaire à de Feau potable et que 2,4 milliards de personnes ne sont toujours pas desservies par un système d'assainissement des eaux33, témoignent de l'échec, au

moins partiel, des grands projets de développement des deux dernières décennies dans ce secteur . Que la crise soit réelle, imminente ou potentielle, les tragédies tant humaines qu'écologiques sont le triste reflet d'une gestion irresponsable de la ressource. Il est donc devenu primordial de revoir nos modèles de gestion et d'adopter une stratégie ancrée dans l'optique du développement durable"'3.

Au cours du XXeme siècle, la gouvernance de l'eau était principalement, sinon

totalement, assumée par l'État. Plus spécifiquement, dans la plupart des pays, les gouvernements locaux et les municipalités étaient chargés de la provision directe des services d'eau et d'assainissement, de même que de la réglementation en matière de qualité de Feau et des écosystèmes, de sécurité et de santé publique. Les deux

United Nations Department of Economie and Social A flairs, Global Challenge, Global Opportunity:

Trends in Sustainable Development, préparé pour le Sommet Mondial sur le Développement Durable à

Johannesburg, 2002, en ligne <http://image.guardian.co.uk/sys-files/Guardian/doeuments/2002/08/13/UNreport.pdf> (date d'accès : 29 avril 2003). Boyer, Patry et Tremblay 1999, supra note 27.

" La Conférence des Nations Unies sur l'eau tenue en 1977 à Mar del Plata a été la première conférence intergouvemementale exclusivement consacrée à l'eau. Voir World Water Council, « Background », 2003, en ligne : <http://www.worldwatercouncil.orjg/backj2jound.shtm}> (date d'accès : le 26 avril 2003).

33 United Nations Development Program (UNDP), Human Development Report 2002, 2002, en ligne:

<http : //www, undp.org/hdr2002/> (date d'accès: 29 avril 2003).

34 Les objectifs fixés pour la Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement

(1981-1990) n'ont pas été atteints, Voir, en ligne: United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation, « Les Grandes Étapes 1972-2003 : de Stockholm à Kyoto-», en ligne: UNESCO <http://wwvv.Unesco.org/water/wwap/milestones/index pr fr.shtml> (date d'accès: 26 avril 2003).

35 Lee, supra note 29 aux pp. 1-19. Le développement durable réfère, quant à l'eau, à la gestion intégrée

de la ressource, c'est-à-dire conciliant les besoins économiques, sociaux et environnementaux pour les générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs besoins : Agenda 21, supra note 12 au chap. 18.

(19)

fonctions étant assumées par FÉtat-providence, on avait peu tendance à les dissocier. En réponse aux insatisfactions grandissantes face à ces statistiques, la discussion quant à la gouvernance s'est orientée vers les résultats, vers FefficienceJ . Ces objectifs étant la satisfaction des besoins vitaux d'accès à l'eau, de même que la durabilité, la qualité et la salubrité liées à l'efficience écologique, c'est-à-dire le respect et la préservation de l'environnement:

Access to safe water supplies and effective samtation arrangements which protect human health and die environment and meet high aesthetic requirements is a universal aspiration and a primary goal of international public policy as expressed in Agenda 21."

De nouvelles stratégies ont été proposées, parmi lesquelles: la révision du balancier entre le gouvernement et le secteur privé dans la gestion de l'eau et, plus spécifiquement, dans la provision des services d'eau et d'assainissement. Une des propositions les plus controversées, celle que nous examinons, concerne la « nouvelle économie de l'eau », soit l'emploi des principes et mécanismes du marché, ainsi que la décentralisation de la gestion et de la provision des services d'eau aux mains du secteur privé, qui était déjà expérimentée dans certains pays industrialisés. Depuis le début des années 1990s, ces propositions de privatisation ou de partenariats public-privé sont mises de l'avant et fermement encouragées par les agences de développement, principalement la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International38. Elles sont souvent présentées comme une nom elle panacée:

In the words of one specialist in the water industry, 'Private ovvnership failed to meet the needs of the public during a period of rapid expansion. Public ovvnership may fail the test when the problem is not grovvth but the need for the most effective économie stewardship of resources.'

30 Canada, 2003, supra note 1 à la p. 3.

37 N. Summerton, « The British Way in Water » (1998) 1 Water Policy 45 à la p.45. Agenda 21, supra

note 12 au chap. 18. Quant à l'éco-efficacité: Boyer, Patry et Tremblay 1999, supra note 27 à la p.6

38 Gleick et al. 2002, supra note 7. Friends of the Earth. « Marketing the Earth: The World Bank and

Sustainable Development », Août 2002, en ligne: Hallifax Initiative <http://www.halifaximtiative.Org/updir/2 pam Hallnit.pdf> (date d'accès: 24 mai 2003 ).

39 C. DeLaughter, « Priming the Water Industry Pump » (2000) 37 Hous. L. Rev. 1465 à la p. 1472.

(20)

c. L'Eau comme Bien Économique: Solution Envisagée d'une Gestion Défaillante

Nous verrons que l'accent mis sur les inefficiences des dispositifs traditionnels de gouvernance est attribuable à la pensée économique qui domine aujourd'hui en réponse à ces insatisfactions. Dans le secteur de Feau, reliée à cet engouement pour la nouvelle économie de l'eau se trouve la reconnaissance d'une valeur économique à cette ressource, qui elle-même est étroitement liée à sa rareté perçue. Au terme de la

Conférence internationale sur l'eau et l'environnement tenue à Dublin en 1992, Feau

fut reconnue par la communauté internationale comme un bien économique: Principe 4 : L'eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et déviait donc être reconnue comme bien économique.4U

Un bien économique est un bien ou un service qui a de la valeur pour plus d'une personne, plus d'une utilisation, ce qui peut inclure la quasi-totalité des biens, y compris les biens sociaux, culturels, etc.41 L'importance de reconnaître le caractère

économique de l'eau pour la gestion efficace de cette ressource et de ses services a été réitérée par la communauté internationale à Rio, lors de la Conférence de Nations

Unies sur l'Environnement et le Développement*2. Or, gérer Feau comme un bien

économique signifie reconnaître une valeur économique liée aux utilisations concurrentielles qui requerront l'allocation efficiente de l'accès à la ressource.

Attribuer une valeur économique à Feau demeure une proposition extrêmement controversée. Il faut toutefois comprendre que cela n'équivaut pas automatiquement à la « commodification » de la ressource ni des services d'eau ". L'allocation efficiente requiert peut-être une certaine tarification de l'accès à la ressource, mais celle-ci peut être effectuée par l'État ou par le marché . Il est

40 Conférence International sur l'Eau et l'Environnement, Déclaration de Dublin sur l'Eau dans la

Perspective d'un Développement Durable, 1992, Principes Directeurs, Principe No. 4, en ligne :

<http://www.wmo.ch/web/homs/documents/francais/icwedecf.html#p4> (date d'accès : 29 avril 2003).

41 Gleick et al. 2002, supra note 7 à la p. 7.

Agenda 21, supra note 12 auchap. 18, art. 18.8.

Gleick et al. 2002, supra note 7 à la p.6. Une « commodification incomplète » sera possible.

44 II s'agira d'un choix supplémentaire entre « démocratie or bureaucratie allocation » et l'allocation

par le marché. Gleick et al. 2002, supra note 7 à la p.6. L'État pourrait également adopter mie tarification tentant de refléter la valeur marchande de l'accès à l'eau, c'est la marchandisation. Les mêmes difficultés liées à la privatisation et la fixation du prix par le marché seraient soulevées par cette démarche. Cette distinction entre privatisation et marchandisation a été faite par Oesterle quant aux terres publiques: D.A. Oesterle, « Public Land: How Much Is Enough? » (1996) 23 Ecology L.Q. 521

(21)

important de comprendre que la tarification ne requiert pas la privatisation des services d'eau. De même, l'idée d'attribuer une valeur économique à l'eau n'était pas préalable à la provision privée des services d'eau, ceux-ci encourant leurs propres coûts (captage, traitement, transport, distribution, etc.). Toutefois, le concept d'eau comme bien économique a grandement contribué à l'avancée dans les pays en voie de développement au cours des années 1990s de la privatisation de la provision de ces services comme alternative préférable à la gouvernance monopolistique de l'État, suivant l'exemple des pays industrialisés, surtout la Grande-Bretagne45.

Ainsi, le mouvement vers la privatisation de ces services s'inscrit dans la recherche d'efficience pour la gouvernance de la ressource. Il promet donc de rencontrer les objectifs d'accès et d'efficience écologique de façon plus efficace que l'État. Dans ces promesses, il puise sa légitimité.

d. L'Accès à l Eau comme Droit Fondamental

Traditionnellement, l'approche économique en a confronté une autre, celle qu'elle déplace d'ailleurs dans le secteur de l'eau, que l'on pourrait qualifier d'approche « morale » en termes de droits fondamentaux46 ou d'approche éthique.

Plusieurs oppositions à la privatisation des services d'eau et d'assainissement insistent vivement sur le « emerging human right to water »47. En effet, il n'est pas

explicitement reconnu par les principaux accords internationaux concernant les droits de la personne. Comment expliquer cette surprenante constatation ? L'eau étant une nécessité de la vie, une condition nécessaire à la santé, au bien-être et à la nourriture, la communauté internationale pourrait-elle ne pas avoir considéré fondamental un droit d'accès à cette ressource ? Gleick semble plutôt suggérer que s'agissant d'une

aux pp.534 et ss. Rappelons que la proposition de privatiser la ressource par l'attribution de droits de propriété quant à l'eau est également distincte et dépasse le cadre des présentes. Toutefois, si nous trouvons que la privatisation des services d'eau entraîne, en réalité, la « commodification » de la ressource, des préoccupations similaires affecteront les deux propositions.

45 Gleick et al. 2002, ibid. à la p.22.

46 Selon la terminologie de J. Lenoble, « L'Efficience de la Gouvernance par le Droit : Pour une

Procéduralisation Contextuelle du Droit» (2002/2003) 33 R.D.U.S. 13 à la p. 19 [ci-après Lenoble 2002/2003].

47 Elwell, supra note 10 aux pp.189-190. Voir également, par exemple, M. Barlow, Blue Gold : The

Global Water Crisis, and the Commodification of the World's Water Supply, (2002) International Forum on Globalization, en ligne: Third World Traveler <http://wvvw.thirdvvorldtraveler.com/Water/Introduction BG.html> (date d'accès: 7 octobre 2002).

(22)

ressource si incontournable, tout comme l'air, les premiers auteurs des accords internationaux n'auraient pas jugé nécessaire d'expliciter ce droit spécifiquement48. Le droit à un accès à de l'eau potable pourrait donc être implicitement protégé par d'autres droits fondamentaux, notamment le droit à la vie, contenus par exemple dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme49, le Pacte International Relatif

aux Droits Civils et Politiques™ et le Pacte International Relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels51, la Convention Européenne des Droits de

l'Homme et la Convention Interaméricaine des Droits de l'Homme53. Il pourrait

également être rattaché à la protection d'un droit d'accès à un minimum de ressource.

Nous avons vu que l'importance de l'eau a commencé à recevoir une reconnaissance explicite à partir des années 1970s. Le Conférence Statement émis à la fin de la Conférence de Del Mare en 1977 explicite d'ailleurs le droit d'accès à l'eau potable en quantité et qualité suffisantes pour satisfaire les besoins vitaux54. De plus, la Convention de 1989 sur le Droit des Enfants prévoit également explicitement que le droit à la santé des enfants doit être protégé par Faction gouvernementale, en fournissant notamment de l'eau potable33.

Dans tous les cas, nous avons vu que l'accès à Feau est un objectif de la communauté internationale. Est-ce alors nécessaire de parler de « droit »? Selon Gleick, l'importance de reconnaître ce droit est notamment:

To emphasize the human right of access to drinking water does more than emphasize its importance. It grounds the priority on the bedrock of social and économie rights, it emphasizes the obligations of states parties to ensure access, and it identifies the obligations of states parties to provide support internationally as well as nationally'."

48 H.P. Gleick, « The Human Right to Water, Pacific Institute for Studies in Development, Environment

and Security », 1999, en ligne: Pacific Institute <httj2://vvwyj^

(date d'accès: 2 mai 2003), publié dans (1999) 1(5) Water Policy, 487 [ci-après Gleick 1999].

49Rés. AG 217 (III), Doc.off. AG N.U., 3e sess., supp. n°13, DOC. NU A/810 (1948) 71.

50 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 107 et le Protocole Facultatif (1976) 999 R.T.N.U. 216 (entrée en

vigueur : 23 mars 1976).

51 19 décembre 1966, 943 R.T.N.U. 13 (entrée en vigueur 3 janvier 1976). 52 4 novembre 1950, S.T.E. n°5 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953). 53 OÉA, Doc. Off OEA/Ser. L.V/II.92, Doc. 31, Rev.3 (1988), 69. 54 Voir généralement Gleick 1999, supra note 48 à la p. 7.

55 Convention on the Rights of the Child, 20 novembre 1989, Rés. AG 44/25 (entrée en vigueur : 2

Septembre 1990), art. 24. Gleick 1999, supra note 48 à la p.8 56 Gleick 1999, ibid. à la p.3.

(23)

Il servirait également à prioriser les besoins vitaux en eau potable sur les autres décisions quant à la gestion de Feau et l'investissement. Reconnaître un droit fondamental à Feau ne signifie pas toutefois un droit d'accès à n'importe quelle source d'eau, indéfiniment et de façon illimitée. Ainsi, tel que l'écrivait Herman en analysant la légalité d'un moratoire sur les nouvelles utilisations de l'eau imposé par une municipalité afin de protéger la ressource dans le contexte américain:

There is simply no justification for finding a fondamental right to water service in the Fifth Amendment or anyvvhere else in the Constitution. A lavv that said a person could not get water at any time or any place, no matter what, certainly vvould violate the Fifth Amendment's Due Process Clause, because if enforced, such a lavv assuredly would amount to an unlawful deprivation of one's life [... ] Therefore. vvhile it could be argued that there is a fundamental right to water per se, it strains credibility to argue that there is a constitutional right to municipal water sennce.51

De même, Gleick parle-t-il de besoins vitaux, ce qui est fort différent de la consommation actuelle d'eau38. Cela signifie pourtant que l'État doit mettre en place l'environnement social, économique et environnemental propre à permettre à chacun de satisfaire ses besoins vitaux en eau. À cet égard, une approche économique à la gestion et à la provision de Feau n'est pas incompatible en soi avec le droit fondamental d'accès à Feau59. Nous verrons toutefois comment en pratique, le défi de les concilier n'est pas surmonté par les solutions élaborées jusqu'à présent.

2. Pragmatisme et Investissements

La rapide expansion des activités économiques catalysée par la mondialisation et la libéralisation des marchés a accentué la pression sur les infrastructures des services d'eau et d'assainissement, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement60. Partout, les villes et municipalités font face à une croissance des besoins. Au même moment, les infrastructures vieillissantes semblent

57 D.J. Herman, « Sometimes There's Nothing Left to Give: The Justification for Denying Water

Service to New Consumers to Control Growth » (1992) 44 StanL.Rev. 429 à la p.459.

58 H.P. Gleick, « Basic Water Requirements for Human Activities: Meeting Basic Needs », Pacific

Institute for Studies in Development, Environment and Security, 1996, en ligne: Pacific Institute

<http_.7/yyww.nacm^^ (date d'accès: 29 mai 2003), publié dans (1996) 21

Water International 83 [ci-après Gleick 1996],

59 Gleick 1999, supra note 48 à la p. 11. 60 Gleick et al. 2002, supra note 7.

(24)

inadaptées au XXIeme siècle et pour plusieurs, elles atteignent la fin de leur cycle de

fonctionnalité. Beaucoup souffrent d'importantes fuites et pertes61. Aussi, de plus en

plus, on constate que les installations actuelles sont inadéquates eu égard aux normes rehaussées de qualité de l'eau et de performance environnementale62. Enfin, comme

nous venons de le voir la communauté internationale s'est engagée à diminuer de moitié la proportion de personnes sans accès aux services de base en eau potable et d'assainissement.

Tous ces facteurs accentuent l'urgence du besoin de restaurer, renouveler ou étendre la portée des infrastructures de l'eau et parfois, d'en déployer de nouvelles. Ceci se traduit par d'importants besoins en investissements pour tous les pays. Par exemple, le Deuxième Forum Mondial de l'Eau tenu à LaHaye en mars 2000, en appelait d'un investissement supplémentaire de 100$ milliards annuellement pour les services d'eau, dont une large portion devrait venir du secteur privé6". En

Grande-Bretagne, le besoin en investissement avant la privatisation de 1989 était évalué à £24 milliards pour les 10 années suivantes et entre 1989 et 2005, l'industrie devait investir quelques £43 milliards dans les installations64. De même, FEnvironmental Protection

Agency et 1 American Water Work Association, notamment, chiffraient à 470$

milliards au cours des vingt prochaines années les besoins financiers du secteur de l'eau et de l'assainissement aux États-Unis63. Au Canada, le Canadian Water and

Wastewater Association estimait en 1997, qu'entre 79$ et 90$ milliards seraient requis

au cours de 15 prochaines années66. Au Québec, les municipalités estimaient en 1999

61 R. Vitale, « Privatizing Water Systems: a Primer » (2001) 24 Fordham Int'l L.J. 1382 à la p. 1383.

Voir également DeLaughter, supra note 39.

02 E. Brubacker, Liquid Assets: Privatizing and Regulating Canada 's Water Utilities, Toronto,

University of Toronto Centre for Public Management, 2002 [ci-après Brubacker Liquid Assets]. Voir également Boyer, Patry et Tremblay 1999, supra note 27 à la p. 14.

03 World Water Council, « World Water Vision: Making Water Everybody's Business, chapitre 5

Investing for the Water Future », Earthscan Publication, 2000, en ligne <http://wvvvv.worldwatercouncil.org/Vision/ccelf838f03d073dcl25688c0063870f.htm> (date d'accès 29 avril 2003).

04 A. Orvvin, « The Privatization of Water and Wastewater Utilities : An International Survey »

Environment Probe, 1999, en ligne: Environment Probe

<http.://ww^..eny^ (date d'accès: 3 avril 2003).

°" J.A. Dysard II, « Trends in privatization », (Nov. 1999) 91(11) American Water Works Association Journal 44.

(25)

à 600$ millions annuellement les besoins pour la mise à niveau des réseaux d'aqueducs et d'égouts67.

Dans ce contexte, les promoteurs de la privatisation prétendent davantage s'autoriser d'un pragmatisme économique, insistant sur le second aspect de l'efficience identifié par Donahue, lié à ces besoins financiers et à l'avantageux accès du secteur privé au marché des capitaux: « \f\he single most important thing to me is

the provision of capital funding, which I think the private sector cando better than the public [...] I just think the private sector can do it faster, quicker andprobably more

innovatively » . Déjà, on peut sentir un rapprochement dangereux entre le deux

aspects de l'efficience, qui fait craindre une perte d'imputabilité. L'approche pragmatique cherchera bien à savoir si ces services en sont qui doivent invariablement être fournis par l'État et financés publiquement. Toutefois, la présomption est en faveur de la provision privée et ne pourra être renversée que par la démonstration de conditions économiques militant à F encontre de cette solution69. En ce sens, elle

prend ses racines dans la théorie économique de l'efficience, où l'emphase est mise sur les coûts. Ainsi, le mouvement de privatisation des services publics sera à la fois promu et décrié comme partie de l'idéologie néolibérale de l'État minimal, dont le vecteur d'expansion semble également être la mondialisation.

B. Intégration Économique et État

1. La Motivation Néolibérale: Cure Minceur à Saveur d'Efficience

L'élan vers la privatisation dans le secteur de l'eau a d'abord fait partie d'un changement idéologique politique plus large qui s'est déployé d'entrée en

Grande-07 Union des municipalités du Québec, Mémoire Présenté à la Commission sur la Gestion de l'Eau au

Québec, Mémoire présenté par l'Union des Municipalités du Québec au Bureau d'Audiences Publiques

sur l'Environnement, 15 novembre 1999, en ligne:

<http..7/>yv}W,ba^ (date

d'accès : 23 avril 2003) à la p.6.

08 Entrevue avec Peter Spillet chef du département Environment, quality and sustainability pour

Thames Water, rapportée par C. Grosskurth, « Hamilton's Crown Jewel : The First Municipality in Canada to Privatize water », CBC Radio, 5 février 2003. La version écrite du reportage est disponible en ligne : CBC <http://www.cbc.ca/news/features/water/hamilton.html> (date d'accès : 6 avril 2003).

09 Freeman 2003, supra note 15 à la p. 1301.

(26)

Bretagne. Vers la fin des années 1970s, le gouvernement britannique devint extrêmement préoccupé par la taille de l'État70. S'inscrivant dans la tradition du

libéralisme classique de Locke - un gouvernement minimal où les décisions économiques doivent être laissées au jeu des préférences individuelles71 - il entreprit

un vaste programme de réduction du secteur public:

In 1979 Margaret Thatcher's Conservative governement swept to power on a neoliberal mandate, vvith the precepts of « minimal government », « market fundamentalism », the « acceptance of inequality » and a « low ecological consciousness » at its heart. 72

A la base du rejet du progressive public administration paradigm et des organismes administratifs du « post New Deal » était la promesse que la provision privée des biens et des services, sujette aux forces du marché, était plus efficiente que la provision publique . Ces premiers signes d'essoufflement de F État-providence ont commencé à se concrétiser en une vague de privatisation et d'impartition qui a déferlé au cours des années 1980s sur la plupart des pays industrialisés. Tous les secteurs de l'industrie des services publics, que ce soit l'énergie, les télécommunications, l'eau ou encore les soins de santé et les services correctionnels, ont été évalués sous la loupe de la restructuration74. Entre 1985 et 1994, le Reason Foundation estima les ventes

d'entreprises étatiques à 468$ milliards73.

Suivant le leadership du gouvernement Thatcher, le Danemark, l'Italie, le Chili, la Malaisie et Singapour ont adopté des programmes de privatisation76. Le Canada,

l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont également entrepris de réformer agressivement

70 S.G. Ogden, « Accounting for Orgaruzational Performance : The Construction of the Customer m the

Privatized Water Industry » (1997) 22(6 ) Accounting, Organizations and Society 529.

71 J. Locke, Two Treatises of Government, par P. Laslett, New York, Cambridge Uruversity Press,

1988.

" S. Letza et C. Smallman, « Est in Aqua Dulci Non Invidiosa Voluptas, In Pure Water There is a Pleasure Begrudged by None: on Ownership, Accountability and Control in a Privatized Utility » (2001) 12 Critical Perspectives on Accounting 65 à la p.66.

73 Letza et Smallman, ibid. Aussi, B.W. Bauman, « Public Perpectives on Privatization: Foreword »

(2000) 63 Law&Contemp.Prob. 1 à la p.4: "Legislator supporting privatization initiatives are less

likely to cite Locke, however than the virtues of efficiency, compétition (both domestic and international), debt réduction [...]".

74 Freeman 2003, supra note 15 à la p. 1314.

75 D.H. Cole, « From Local to Global Property: Privatizing the Global Environment?: Clearing the Air:

Four Propositions About Property Rights and Environmental Protections » (1999) 10 Duke Env L & Pol'yF. 103.

(27)

le secteur public77. Après les premières impulsions du gouvernement Reagan des

années 1980s, le National Performance Review mené aux Etats-Unis par l'administration Clinton-Gore a confirmé un mouvement vers la gestion par les résultats, sacrifiant au passage le modèle bureaucratique traditionnel, taxé d'inefficient . Réinventer l'État est devenu le nouveau mot d'ordre et marque une orientation vers l'efficience, c'est-à-dire la recherche de l'institution pouvant faire le mieux avec le moins79.

2. La Pression de la Mondialisation Économique

Cette réorientation de l'État vers la performance et les coûts est étroitement reliée au phénomène de mondialisation et à l'apparition de grandes corporations

o n

transnationales . En effet, la mondialisation représente l'ouverture des marchés et l'intégration des activités économiques, qui se concentreront par ailleurs entre les mains des multinationales81. Les États doivent de plus en plus négocier et coopérer

avec d'autres Nations et des acteurs privés pour réaliser leurs objectifs économiques, de plus en plus interdépendants82. Ce processus tend à la standardisation et

l'uniformisation des modèles de gouvernance8'. Ainsi, la mondialisation crée une

pression sur les nations pour la mise en place des conditions assurant un avantage comparatif pour la réalisation des profits84. « By reinventing government for

77 L.M. Salamon, dir., The Tools of Government: A Guide to the New Govemance, Oxford (N.Y.),

Oxford University Press, 2002 [ci-après Salamon 2002], Bauman, supra note 73, Freeman A-2000,

supra note 13 à la p. 160.

78 Freeman A-2000, supra note 13 à la p. 163. Sur ce modèle voir: M. Weber, Économie et Société, 1.1,

collection « Recherche en sciences humaines », Pans, Pion, 1971. Aussi, le « Contract with America » des élections de 1994 incarne un engagement à la décentralisation et au gouvernement minimal.

79 É.-U., Office of the Vice-Président, U.S. National Perfomrance Review, From Red Tape to Results,

Creating a Government that Worl<s Better and Costs Less, Washington (D.C.), U.S. Government

Printing Office, 1993. en ligne: <http://govinfo.library.unt.edu/npr/library/nprrpt/annrpt/redtpe93/inde\.html> (date d'accès: 29 avril

2003).

80 Aman 2002, supra note 2.

81 L'intégration des activités politiques et socioculturelles également. Voir B. Martin, In the Public

Interests?: Privatization and Public Sector Reform, N.J., Zed Books m association with Public Services

International, 1993 aux pp.25-33. Le secteur privé de la provision des services d'eau et d'assainissement est dominé par de grandes multinationales, particulièrement Suez-Lyonnaise des Eaux et Vivendi.

82

Aman 2002, supra note 2 à la p. 1697.

83 Bardouille, supra note 2 à la p. 156.

84 M. Fisk, « Surviving with Digmty in a Global Economy: The Battle for Public Goods » dans A.

Anton, M. Fisk et N. Holstrom, dir., Not for Sale : In Défense of Public Goods, Boulder (Colo.), Westview Press, 2000, 41 à la p.51 [ci-après Fisk 2000].

(28)

QC

efficiency, the state intends to safeguard its interests in a globalizing world. » Cette

pression est mise en évidence par le langage des accords commerciaux internationaux tels que l'ALENA le GATT et le GATS, qui requièrent généralement que les entreprises gouvernementales et les activités étatiques soient conduites suivant uniquement des considérations et objectifs commerciaux86. De même, la stratégie de

la Commission Européenne pour la libéralisation et la création d'un marché

concurrentiel pour les services publics, incluant les services d'eau, a pour but:

[...] to lovver costs as vvell as to create consumer choice and market opportuiùties [...] creating a level playing field for Europe's industry and thus enhancing its competitiveness vis-à-vis other large régional trading blocs.87

La chute du mur de Berlin et la déconfiture des économies centralisées ont annoncé la défaite de la planification étatique et concrétisé le rayonnement de la pensée économique néoclassique à l'échelle globale88. La foi renouvelée dans le

marché et la privatisation est ainsi devenue le phénomène économique des années 1990s89.

3. Les Multiples Privatisations

Les termes « privatisation » et « partenariat » sont employés dans la doctrine juridique et économique en référence à plusieurs phénomènes et cette sémantique génère une certaine confusion. Dans son sens le plus général, la privatisation, comme construction politique moderne, décrira les phénomènes politiques de déréglementation et de décentralisation, sous toutes leurs formes . Ils décrivent le

85 Bardouille, supra note 2 à la p. 163.

86 Accord de libre échange nord-américain entre le Gouvemment du Canada, le Gouvernement des

Etats-Unis et le Gouvernement du Mexique (ALENA), 17 décembre 1992, R.T. Can. 1994 n. 2, 32

I.L.M. 289 (entrée en vigueur : 1er janvier 1994), Chap. 15, art. 1502. Elwell, supra note 10

auxpp.188-191-192.

87 L. Hancher, « Privatization of Drinking Water in Europe » dans Brans et al., supra note 6, 277 à la

p.278.

88 P.N. Cox, « The Public, the Private and the Corporation » (1997) 80 Marq. L.Rev. 391 à la p.400 89 J.B. Goodman et G.W. Loveman, « Does Privatization Serve the Public Interest? » (Nov.-Dec. 1991 )

69(6) Harvard Business Review 26 à la p.26.

90 G. A. Hodge, Privatization: An International Review of Performance, Oxford, Westview Press, 2000.

Dans les économies en transition de l'Europe de l'Est, la privatisation fait partie d'un mouvement plus large de réintroduction de la notion même de propriété privée: T. Presser, « Social Limits to Privatization » (1995) 21 Brooklyn J. IntT L. 213 à la p.215 [ci-après Presser 1995], A. Anton, « Public Goods as

(29)

passage vers un modèle entrepreneurial de rentabilité, incorporant les mécanismes du marché et dépendant de la concurrence. Donahue identifiera généralement le passage d'un mode de production et/ou de financement public à privé91.

Beerman, reprenant les travaux de Ronald Cass, décrit quatre catégories de privatisation92. La première vise la vente des biens de l'État et le dessaisissement des

entreprises gouvernementales pour que le secteur privé en continue les opérations. Dans sa description la plus restrictive, la privatisation référera à cette catégorie9". La

seconde regroupe tous les types d'impartition, l'approvisionnement de l'État, mais aussi tous les arrangements institutionnels définis sous le vocable de la gestion déléguée ou du partenariat public-privé (pris dans son sens le plus strict)94.

L'insatisfaction face à la performance de l'État est à l'origine de l'émergence de ces nombreux nouveaux modèles de gouvernance95. Ces partenariats pourront prendre la

forme de contrats de gestion et d'exploitation, de louage, de franchise, de concession ou de dessaisissement. Le Secrétariat du Conseil du Trésor fournissait en 1995, la définition suivante des partenariats:

[...] a collaborative arrangement between two or more parties based on mutual interest and a clear understanding, agreement or contract that sets out the objectives and terms of the arrangement.

Toutefois, dans sa signification la plus large, la littérature fait régulièrement mention des partenariats public-privé en référence à toutes formes de collaboration entre le privé et le public pour la création des biens privés et publics. Ainsi, la privatisation des biens et fonctions de l'État ne serait qu'une sous catégorie de partenariats.

Commonstocks: Notes in the Receding Commons » dans A. Anton, M. Fisk et N. Holstrom, supra note 84, 3 à la p.6, établissant un parallèle avec le phénomène d'enclosures.

91 Donahue, supra note 16.

92 J.M. Beerman, « Privatization and Political Accountability » (2001) 28 Fordham Urb.L.J. 1507 aux

pp. 1520 et ss. [ci-après Beerman 2001 ].

93 Hodge, supra note 90 à la p. 15.

94 Beerman 2001, supra note 92 aux pp. 1522 et ss.

95 J. Kooiman, « Social-Political Govemance: Introduction » dans Kooiman, supra note 3 [ci-après

Kooiman « Introduction »], 1; Salamon 2002, supra note 77

90 Rapportée dans N. Bederman et M. Trebilcock, « Unsolicited Bids for Government Functions »

(1997)35 AltaL. Rev. 903.

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