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« Il me faudrait dix-huit mains pour te corriger » disait un professeur de danse contraignant le corps d’une jeune enfant. De la vertu du masochisme féminin

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02426428

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02426428v2

Preprint submitted on 6 Aug 2020

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“ Il me faudrait dix-huit mains pour te corriger ” disait

un professeur de danse contraignant le corps d’une jeune

enfant. De la vertu du masochisme féminin

Melinda Texier Bazin

To cite this version:

Melinda Texier Bazin. “ Il me faudrait dix-huit mains pour te corriger ” disait un professeur de danse contraignant le corps d’une jeune enfant. De la vertu du masochisme féminin. 2020. �hal-02426428v2�

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Titre :

« Il me faudrait dix-huit mains pour te corriger » disait un professeur de danse contraignant le corps d’une jeune enfant.

De la vertu du masochisme féminin

Title :

« I would need eighteen hands to correct you” said a dance professor to a young girl. The virtue of feminine masochism

Auteur: Melinda Texier-Bazin

Affiliation :

Laboratoire de Cliniques Pathologique et Interculturelle. Université Toulouse 2 Jean Jaurès, 31058 France

Adresse :

Maison de la recherche, 3èmes étage Bureaux RE319, RE320, RE321 et RE322 Université Toulouse Jean-Jaurès

5, allées Antonio-Machado 31058 TOULOUSE Cedex 9 melindatexier@hotmail.fr

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Les différentes formes du masochisme

Freud postule un masochisme spécifiquement féminin, c’est à dire constitutif de l’état d’être femme. Il s’agit ici de le distinguer des deux autres formes de masochisme ; celle dite perverse, l’autre morale ; pour en venir à aborder l’essence psychosexuelle de la femme. Le terme de masochismes a une connotation négative, évoquant une force néfaste, auto

destructrice. Nous aborderons ici en quoi le masochisme féminin se distingue des autres formes et peut être considéré, non pas selon une acception négative, mais comme capacité de don de soi. Si une dynamique de soumission est commune aux différents masochismes, nous verrons que, non entaché par la déviance perverse ou la contrainte morale tyrannisante, le masochisme ne revêt pas nécessairement un caractère auto dépréciatif et peut même se concevoir comme une qualité vertueuse.

Commençons par rappeler ce qu’il en est de la perversion sexuelle. Cela se définit par le fait de prendre plaisir, sexuellement, à subir de la douleur. Plus encore, la douleur physique devient une condition nécessaire à la jouissance. Avoir mal - et son pendant, faire mal - est donc une voie possible de la perversion. Les autres, bien connues, sont le

voyeurisme/exhibitionnisme puis le fétichisme. Ces pratiques sexuelles ont en commun de s’imposer comme incontournables pour le sujet qui s’y adonne, son plaisir est entièrement pris dans la déviance et ne peut en être dissocié. C’est en cela que la sexualité est dite « perverse ». En effet, la sexualité humaine a comme particularité de dévier la pulsion quant au but, de lui faire faire de multiples détours. « Nous sommes tous des pervers polymorphes » remarque Freud (1905/1987), et c’est dans ces digressions que se situe l’essentiel du plaisir, y compris au stade génital. Mais le pervers sexuel est celui qui pousse cette déviation jusqu’à faire de la pratique préliminaire (acte sado/maso, fétichisme, voyeurisme/exhibitionnisme) le mode de satisfaction qui envahit toute la scène fantasmatique et réelle de la vie sexuelle du sujet. Nous ne rentrerons pas ici plus en avant sur l’explication de ce mécanisme mais nous nous contenterons de rappeler que Freud postule que l’étiologie de la perversion sexuelle réside dans le déni de l’existence du sexe féminin ; un achoppement donc de ce délicat passage pour l’enfant qu’est la reconnaissance de la différence des sexes.

Rappelons maintenant ce que revêt le masochisme moral. Celui-ci n’est pas lié au plaisir sexuel. Nous pouvons cependant dire qu’il a à voir avec la vie sexuelle, dans le sens où il s’origine également dans la sexualité infantile. Il est la mise en acte de la part coupable du sujet, notamment de désirs œdipiens. En effet, le sujet étant pris dans une contradiction entre son désir (incestueux) et la loi intégrée, ne peut se pardonner son désir coupable. Il est alors tiraillé par l’instance morale qui l’habite. Le masochisme opère alors en s’attaquant au sujet, les pulsions autodestructrices sont infligées à soi-même dans le but de se punir de cette

transgression morale. Paradoxalement, le sujet souffre mais est en même temps soulagé. C’est le Surmoi qui agit là. Il ne peut supporter de fortes excitations mal dirigés (envers un objet interdit) et se soulage donc ainsi, trouvant satisfaction en « payant » sa faute. C’est un processus d’expiation. Ordonné collectivement il peut venir en appui au rituel religieux (confession et expiation dans la religion chrétienne par exemple) et laisse paraître alors la force de son efficacité. C’est aussi le moteur derrière toutes les formes « d’auto saccage ». C’est à dire lorsque le sujet se met en situation d’échouer dans certains domaines de sa vie, entretenant alors une dose suffisante de malheur pour pallier la culpabilité inconsciente dont il est porteur. Étiologiquement, cette forme de masochisme apparaît avec l’instauration du Surmoi, étroitement en lien donc avec l’avènement de la différence des sexes qui entraîne l’angoisse de castration.

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Qu’en est-il alors du masochisme féminin ? Pour Freud (1932/1971), il y a une forme d’expression de la satisfaction sexuelle qui est propre à la femme. Cela a à voir avec une position passive qu’elle adopte spécifiquement au cours de l’œdipe. Si pour lui la libido s’origine de manière identique chez les petits garçons et les petites filles, son expression se différenciera avec l’avènement du complexe de castration. Retraçons cela. Si le concept de féminin fait largement débat et ouvre sur des divergences théoriques, il est cependant communément admis que l’œdipe de la fille ne peut être considérée comme l’équivalent de l’œdipe masculin, en cela qu’elle doit passer par un changement d’objet. Le bébé, garçon comme fille, est attaché libidinalement à sa mère. Le garçon renoncera à son projet de

séduction envers cet objet convoité, sous l’angoissante menace de castration. Quant à la fille, déçue par son absence d’attribut viril, elle se détournera de la mère et reportera sur son père ses motions érotiques. C’est là, dans ce passage de changement d’objet que la fille «se fait » fille, en adoptant une posture passive vis-à-vis du père. De lui, elle attend un bébé à combler son absence de pénis. Cette passivité est une caractéristique propre à la vie sexuelle de la femme (même s’il s’agit de ne pas s’y tromper nous dit Freud, il n’y a qu’une libido et celle-ci est active. La femme utilise le moyen de la passivité pour arriver activement à son but.). Freud postule encore que cette spécificité de la vie préœdipienne de la fille, avec le dégagement vis-à-vis de la mère qu’il nécessite, vient teinter la relation mère-fille d’hostilité dont est exempt la relation du garçon à sa mère. Cette agressivité, ne pouvant l’exprimer ouvertement, notamment par répression culturelle, la fille n’a d’autre solution que de la retourner contre elle-même. Nous avons là la genèse d’un masochisme spécifiquement féminin.

La spécificité du masochisme féminin

Remarquons que les trois masochismes ont en commun d’être héritier du complexe de castration. La forme perverse par son déni de la différence des sexes ; la forme morale par son plaisir devenu coupable (désir œdipien) ; la forme féminine par l’ambivalence envers son objet d’attachement auquel elle doit (partiellement) renoncer (changement d’objet de la mère au père). Ce renoncement entraîne un arrêt de l’activité et fait adopter à la fille une posture passive. C’est cette posture qui permettra à la fille d’être, une fois grandie, disposée à être pénétrée puis à accueillir en son ventre un enfant. Ce postulat, celui d’une fille qui n’a que l’attente de l’autre comme expression amoureuse, n’est pas sans provoquer des réactions ; nombreux sont ceux qui s’inscrivent en faux par rapport à cette caricature (démodée ?) de la femme. Néanmoins, l’attente passive relève du réel corporel de la fille. C’est ce que relève Jacquelin Schaeffer (2003, p.15) : « La fille, elle est vouée à l’attente : elle attend d’abords un pénis, puis ses seins, ses « règles », la première fois, puis tous les mois, elle attend la

pénétration, puis un enfant, puis l’accouchement, puis le sevrage, etc. ». Nous postulons que cet aspect, celui du vécu corporel, n’est pas à négliger dans l’écoute analytique, le risque étant de le recouvrir à trop vouloir traiter « également » la trajectoire de l’homme et de la femme.

Soulignons que ce qui peut être dit masochique dans le développement de la fille a à voir avec cette posture passive qu’elle adopte et qui l’ouvre à la soumission. En ce sens, nous pouvons dire que la fille se met en disposition d’être objet de l’autre. Bien que nous

comprenions que, à l’entendre eu égard d’un combat sociétal cela ne soit pas acceptable, sur la scène psychique cela nous parait n’avoir rien de dénigrant, mais tout au contraire présenter une qualité nécessaire de la psyché. Il nous parait ici important de rappeler que la

psychanalyse s’intéresse au féminin et au masculin en tant que valence psychique, qui ne sont pas à confondre avec le genre biologique. Rappelons que Freud postule une bisexualité psychique chez les hommes comme chez les femmes et que le genre n’a que peu à voir avec l’identification ou bien encore l’orientation sexuelle. Mais nous proposons tout de même, en suivant la trace de Freud (1925/1969), de nous intéresser aux conséquences de la différence

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anatomique, autrement dit, d’attribuer toute son importance au réel du corps. En effet, il y a un vécu spécifique chez la femme qui a à voir avec la maternité. Celui-ci n’est pas sans

conséquence sur son économie psychique. Nous demandons : comment la femme pourrait-elle faire autrement que de se soumettre, son corps étant contraint par nature : lui arrachant

mensuellement le sang de son ventre, lui imposant de s’ouvrir pour faire entrer le partenaire, et plus encore pour en sortir l’enfant ? Ce qui est en lien avec le devenir mère, pas au sens de la parentalité qui peut se lire dans les deux sexes, mais au sens d’une épreuve de corps, c’est cela, nous le pensons, qui fait le propre de la femme, en tant qu’elle n’est pas homme, tout aussi bien que l’homme n’est pas femme. Être mère nécessite un don de soi, tout comme être père d’ailleurs, mais pour la femme ça se paye en corps. Elle doit faire place à l’autre en elle-même ; et nous savons que le corps femelle est ainsi fait qu’il se carencera si nécessaire, faisant passer cet autre, étranger en elle, prioritairement. Comment ne pas statuer alors qu’une femme, par essence, est soumise à la volonté de l’autre ? Nous appelons alors à la prudence : il ne faudrait pas trop laisser croire à la femme moderne qu’elle peut se passer d’un maître. Expliquons-nous. Il s’agit de bien distinguer la place de la femme, en tant qu’être de droit et en tant que sujet désirant. En tant que citoyen(ne), il va de soi que nous soutenons la cause de la femme libre de ses choix, ne devant pas avoir à en passer par un mâle et pouvant jouir pleinement de son indépendance (financière, intellectuelle). Il en relève de l’égalité des droits et nous ne pouvons que souhaiter voir se développer une société qui bannit les injustices et promeut l’égalité des chances pour tous. Mais nous voyons un écueil, à vouloir parfois se précipiter à la revendication, de confondre l’action (ici la liberté d’évolution dans un corps social) et le désir. Le risque serait que la femme en oublie la soumission constitutive qui alimente son énergie libidinale. Nous nous accordons pleinement sur ce point avec la pensée de Schaeffer (2003, p.8) « Autant, dans les domaines social, politique et économique, le combat pour l’égalité entre les sexes est impérieux et à mener constamment, autant il est néfaste dans le domaine sexuel, s’il tend à se confondre avec l’abolition de la différence des sexes, laquelle doit être exaltée. »

Psychiquement, nous postulons qu’être femme, c’est faire avec une grande dépendance à l’autre. Cela ne fait pas d’elle moins qu’un homme, bien au contraire,

puisqu’elle signe la condition de son humanité : pas toute, manquante et désirante. L’homme aussi manque, ça va de soi. Mais chez la femme, c’est affiché. Elle porte un trou ; chacun le sait ; il arbore le manque dont elle a fait l’épreuve lors du complexe de castration. Et malgré les subterfuges de la mascarade (maquillage, talons, bijoux…bref phallus factice – tel que le relève J. Rivière, 1929), il ne lui ait jamais permis d’oublier, de par ces épreuves du corps, son caractère fragile, sa nature éphémère1.

Illustration littéraire

Nous voudrions maintenant discuter à partir de ce que nous avons esquissé plus haut : la fille, en adoptant une position passive, se fait objet. La psychanalyse attache une grande importance au sujet, auprès duquel elle vient en appui, en lui donnant la parole notamment. Mais nous en venons à penser, justement à force d’écoute, qu’il est peut-être important de laisser aussi place à l’expression de la part de soi que chacun consent à laisser objectiser. Car nous sommes tous, pris dans des relations d’interdépendances, l’objet de l’autre. Cela a à voir avec la relation première et la position de dépendance qui touche tous les êtres lors de leur venue au monde. Dépendance au corps de la mère, neuf mois durant, puis à un adulte tutélaire les premières années de vie. C’est une condition biologique chez l’être humain, de par sa

1 A noté cependant que la médecine y met du sien pour essayer d’effacer ces rappels du corps (maîtrise de

l’accouchement, etc…). Plus particulièrement, nous pensons aux nouvelles méthodes de contraception qui permettent à la femme une totale aménorrhée, ainsi de refuser que sa condition de femelle s’exprime mensuellement par le sang.

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néoténie, que de ne pouvoir se passer de l’autre. Le bébé, garçon et fille, est au départ passif, sa mère déployant sur lui son activité nécessaire au prendre soin (nourrir, porter, changer…). Être objet n’est donc pas une mauvaise chose en soi puisque c’est une condition

incontournable de la venue au monde. Et puisque la psychanalyse nous enseigne que nos relations affectives sont, la vie durant, sous l’ombre portée des premiers émois affectifs, nous avançons qu’être objet est une des deux facettes nécessaires de l’état amoureux. Aimer c’est assumer son désir de sujet tout en acceptant de se faire objet du désir de l’autre. C’est

pourquoi nous défendons l’idée de laisser s’exprimer la tendance naturelle à se faire objet, qui est le pendant de tout sujet.

Il y a une œuvre littéraire qui illustre outrageusement la capacité féminine à se mettre à disposition d’un autre. Nous pensons à « Histoire d’O » qui pousse à son paroxysme la position d’objet. Cet exemple nous parait intéressant pour discuter l’expression du masochisme d’un point de vue différentiel. En effet, O se livre, sans concession, à la perversion sexuelle de ses bourreaux. Il est évident que les hommes qu’elle rencontre sont animés par une pulsion sadique et que l’expression de la douleur de la femme faite objet est la condition de leur plaisir sexuel. Mais rien ne nous indique, dans l’histoire d’O, qu’elle prenne du plaisir sexuel à être battue. «. O n’avait jamais compris ; mais finit par reconnaître, pour une vérité indéniable ; et importante ; l’enchevêtrement contradictoire et constant de ses sentiments : elle aimait l’idée du supplice ; quand elle le subissait elle aurait trahi le monde entier pour y échapper, quand il était fini elle était heureuse de l’avoir subi, d’autant plus heureuse qu’il avait été plus cruel et plus long. » (Réage, 1954, p. 216).Ainsi, c’est avant et après son supplice qu’O est satisfaite. Nous voyons que le plaisir pour elle ne se situe pas dans l’acte d’être battue mais dans l’idée d’être battue, qui ne semble pas réussir à se constituer en fantasme, et la renvoie donc à l’acte. La jouissance pour elle se trouve dans le fait d’appartenir à un autre, ce qu’elle vient vérifier en corps (et encore) de manière répétée. Bien que cet œuvre soit phare en tant qu’illustration littéraire du masochisme, nous ne

pouvons affirmer qu’O soit perverse. Rappelons que le masochisme pervers est caractérisé par le plaisir sexuel pris dans la douleur. Mais ce qui semble opérer pour elle s’est le fait de satisfaire son maître coûte que coûte. « Et c’était vrai qu’il lui faudrait accepter, consentir au vrai sens du mot, car rien ne lui serait infligé de force, à quoi elle n’eut consenti d’abord, elle pouvait refuser, rien ne la retenait dans son esclavage, que son amour et son esclavage même. » (Réage, 1954, p. 177).La raison pour laquelle elle doit en passer par le corps n’est pas explicitée de son point de vue. Si quelques rares émois érotiques d’O sont évoqués au cours de l’ouvrage, il n’est jamais indiqué que la douleur lui provoque un plaisir autre que moral. De son paroxysme sexuel nous ne savons rien, si bien qu’il peut sembler que cela ne la concerne même pas, qu’elle n’a d’intérêt que dans le plaisir des autres pris sur elle. Cette soumission absolue au plaisir de l’Autre, cette ferveur à incarner l’objet de jouissance, semble être sa réponse à l’énigme du féminin ; pour être femme, il lui est impératif d’être objet offert à une volonté supérieure. « L’énigme féminine se définit ainsi : plus elle est blessée plus elle a besoin d’être désirée ; plus elle chute, plus elle rend son amant puissant ; plus elle est

soumise, plus elle est puissante sur son amant. Et plus elle est vaincue, plus elle a de plaisir et plus elle est aimée. La « défaite » féminine c’est la puissance de la femme. »(Schaeffer, 2003, p. 14). Il s’agit ici d’une défaite des défenses du Moi qui assurent le contrôle et la maîtrise, permettant une certaine libération de la pulsion. Chez O, la défaite est prise au pied de la lettre, dans un rapport peut être plus psychotique que pervers.

Nous prenons ce « cas » en exemple car il nous semble invoquer une complexité du masochisme. En effet, l’absence de plaisir sexuel explicite chez O nous porte à émettre des réserves sur sa perversion, au sens structural. Elle se présente alors comme une figure du

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masochisme féminin, c’est-à-dire animée par cette dépendance à l’autre qui conditionne une certaine disposition à se faire objet pour se sentir prise par le désir d’un supposé « plus grand que soi »2. Sauf que le prix qu’elle se donne à payer en corps passe par d’outrageux extrêmes,

sans jamais justifier la maltraitance qu’elle s’inflige. O est femme jusqu’à en être malade. Mais c’est bien d’être femme dont il s’agit et c’est en cela que son récit nous intéresse.

Dans une forme plus heureuse, moins dramatique, en même temps que plus acceptable pour la morale, l’ordinaire des femmes se livre à une telle donation de soi par un acte

symbolique. Nous pensons au mariage qui institue l’engagement jusqu’à l’appartenance ; à se faire « femme de », dans son scénario le plus classique, « jusqu’à ce que la mort vous

sépare ». Il est vrai que le mariage, comme le reste des institutions qui régulent le lien social, est en forte décroissance, pris dans les profonds remaniements de notre société post-moderne. Il faudrait pouvoir maintenant intégrer cette transformation dans la lecture de l’être femme que nous proposons. Mais prenons déjà le temps de nous pencher sur ce qui pendant si longtemps, et parfois encore, fait tenir la femme à une place d’épouse. Par les « liens sacrés du mariage » elle consent à être marquée de son époux, et d’en arborer les signes

culturellement repérables pour tous : le nom de famille, l’anneau au doigt. Elle sacrifie une part d’elle, laissant de côté son patronyme pour se ranger sous celui du mari. Elle renonce à sa liberté de demoiselle, de manière significative et socialement démontrée, pour se laisser désigner « Madame… », signifiant ainsi aux autres qu’elle n’est plus à prendre, puisque attachée à son époux. Ce n’est rien de moins que ce que fait O, si ce n’est que cette dernière ne peut se satisfaire d’une opération symbolique ; l’acte en passe alors par la chair : l’anneau incrusté dans le sexe, la désignation/nomination gravée dans la peau. En effet, O consent à se faire marquer des initiales de son maître au fer rouge et mutiler le sexe pour y arborer un anneau portant son nom. Nous sommes tentés de dire qu’O est simplement une femme. Une femme folle. Précisons que nous avons, dans l’utilisation du mot « folie », aucune prétention nosologique. Le mot tombe là où la compréhension fait défaut. Mais nous proposons l’idée que ce personnage pourrait représenter le sujet entièrement submergé par sa disposition à la soumission. Comme-ci plus rien ne faisait barrière aux masochismes, et que les trois formes, perverse, morale et féminine, réunies en une alliance, prenaient libre cours à en ravager le sujet.

Du côté de la clinique

Pour prolonger nos réflexions sur cette disposition à se faire objet, nous trouvons utile de nous tourner maintenant vers la clinique rencontrée au sein des cabinets de consultation. Nous pensons aux femmes nombreuses qui viennent témoigner qu’elles sont victimes d’un pervers narcissique. Chacun le sait, le pervers est « à la mode », il s’est vulgarisé aux cours des dernières décennies, et nous le trouvons régulièrement à la page des journaux grand public. Chacun(e) a sa petite histoire avec un pervers. Mais dans de nombreux cas, nous entendons la souffrance dont font part ses femmes comme l’effet d’un chagrin d’amour ; ni plus, ni moins. Nous tenons à préciser ici qu’il ne s’agit pas de minimiser les situations d’abus psychologiques et/ou physiques. Ces cas sont malheureusement nombreux et nous sommes effarés d’en entendre si régulièrement en consultation. Notons d’ailleurs que les femmes ainsi maltraitées qui consultent viennent rarement avec un discours victimaire mais plutôt avec une réelle détermination à ne plus se faire prendre dans des relations néfastes. C’est en grande 2 Remarquons que, poussé à son paroxysme, à nouveau, nous y trouvons dieu. Nous pensons alors aux travaux Lacanien qui rapprochent l’extase féminine de la dévotionreligieuse. In Encore, 1972-1973

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partie d’elles, c’est à dire de celles qui viennent questionner leur implication subjective à s’engager dans des relations profondément maltraitantes, que nos propos sont inspirés. Leurs témoignages contrastent avec celles des femmes que nous décrivons ici et qui cachent leur dépendance sous un discours victimaire. Ce que ces dernières retracent, et qui les a en effet fait souffrir, et dont l’homme est en effet responsable, c’est lorsqu’elles réalisent que la séduction dont elles ont bénéficié était mensongère. Mais c’est cela l’essence de la séduction, ce n’est pas à confondre avec la manipulation perverse. Comment comprendre alors cet engouement à être victime du pervers narcissique ? Nous pensons qu’il y a là, dans cette plainte victimaire, à entendre une autre douleur, restée inconsciente, et qui est adressée à la part de soi que chacun fait objet en le sacrifiant à l’autre. Le sujet se plaint de sa dépendance en même temps qu’il réclame de tout cœur un autre dont dépendre. Nous remarquons

d’ailleurs que ces femmes viennent consulter toujours au moment de la rupture (ou de son imminence), c’est-à-dire lorsque l’hommeleur fait défaut. Soit qu’il se détourne d’elles, soit qu’elles souffrent de la désillusion qui les empêchent alors que perdure l’adulation et les entraînent à se détourner de lui. Autrement dit, celui qui était chéri se transforme en bourreau dès lors que le maître est déchu et qu’elles en perdent leur statut d’objet. La plainte, qui se veut dénoncer la manipulation de l’autre, cache peut-être alors la douleur à ne plus être sous dépendance. Cette situation de rupture, dont souffre la femme qui se sent bernée par un pervers, nous parait riche pour saisir ce à quoi tient la femme : pouvoir s’en remettre à un autre sans concession dans un lien de confiance. Nous voyons à cela rien de dénigrant mais bien une qualité nécessaire au lien amoureux.

Conclusion

Nous avons voulu montrer ici en quoi le masochisme féminin est la prédisposition à s’effacer suffisamment pour laisser place à l’autre. Il s’agit en effet de trouer sa volonté propre pour laisser place au désir d’autrui. C’est un effacement de soi en creux, qui permet que l’autre vienne s’y loger. Ce travail du féminin n’est pas des moindres puisqu’il débouche sur la prédisposition à accueillir l’altérité. « Peut-être ne rencontrons-nous quelqu’un qu’à condition de nous montrer altérées, imparfaites, dépendantes. La dépendance s’appelle alors amour. » (Kristeva, 2013, p. 37).C’est un processus au service de l’engagement à répondre au désir de l’autre, que ce soit dans un lien d’amour comme dans une discipline ; un métier ; une passion. C’est pour cela que nous mettons en avant la danse dans notre titre : quel meilleur exemple de la correction sublimée, de la capacité à soumettre le corps à la volonté d’un autre, pour améliorer ses capacités physiques et artistiques ? Cela convoque le rapport à la discipline dans les deux sens du terme : celle qu’on s’impose à soi (être discipliné) pour accroitre sa performance ; ainsi que se soumettre à une discipline (ici, une technique, un art), qui nous dépasse et qui transcende l’ordinaire du mouvoir humain. C’est en cela que nous appelons à concevoir un masochisme féminin vertueux. Il se distingue des autres formes de masochisme car qu’il n’est pas alimenté par un courant autodestructif.

Précisons que cette forme de soumission n’est évidemment pas l’exclusivité du féminin biologique. Homme et femme sont concerné par ce travail en creux. « Et pour tous les êtres parlants, homme et femme, le féminin est le premier autre qui peine à se faire entendre. » (Kristeva, 2013, p.17). L’homme fait également l’épreuve de s’en remettre à un autre, dans un lien inévitablement dépendant. Dans l’amour, éventuellement, mais nous songeons également à la manière dont il peut se donner, jusqu’à la mort, pour une cause. Être objet de l’autre, tout autant qu’être sujet, c’est une condition du vivant humain qui n’a rien à voir avec le corps biologique. Cependant, nous voulions ici rappeler que la trajectoire de la fille et celle du garçon diverge, de par la spécificité anatomique de chacun. Nous nous accordons avec la thèse de Lucie Irigary qui stipule qu’« …entre l’homme et la femme, il y a

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réellement de l’autre : biologique, morphologique, relationnel. » (Irigaray, 1992, p. 105). Et nous voudrions insister sur le fait que cette divergence n’est pas à perdre de vue, dans un contexte sociétal qui lutte, à juste titre, pour les égalités. Car nous stipulons que l’autre sexe est au service de la relation humanisante, tant sur le plan sexuel, amoureux, que sociétal. « …en ce sens, se reconnaître une identité signifie déjà surmonter l’immédiateté instinctuelle et écologique par la reconnaissance du négatif en soi. « Je suis sexué(e) implique je ne suis pas tout(e). » » (Irigaray, 1992, p.91). Nous souhaitons être clair sur le fait qu’il importe peu que cette identification soit rangée du côté homme ou femme ; l’identification sexuée n’ayant que peu à voir avec le genre biologique. Pour autant, cela ne doit pas nous dédommager de l’écoute d’une spécificité de construction de l’identification, au cours de la trajectoire psychosexuelle, dans laquelle, inévitablement, le genre s’en mêle.

Pour la fille, le masochisme s’origine dans le lien préœdipien teinté d’ambivalence à la mère ; relation faite d’amour et de haine. Cela nous amène à penser qu’il est peut-être plus perméable à des motions contradictoires, pas toutes bonnes ou toutes mauvaises. Nous

supposons une parenté étroite avec le masochisme moral en cela que les deux ont pour origine des motions hostiles éveillés lors de la traversée œdipienne. Néanmoins, nous défendons ici l’idée que le masochisme féminin est une forme de soumission à l’autre qui, lorsqu’elle ne se laisse pas entacher par les formes perverses ou morales - avec lesquelles elle peut être

imbriquée - n’est pas alimentée par un courant autodestructif. Au contraire, nous avons à faire à un masochisme qui promeut le lien à l’autre et le dépassement de soi. Dire alors que la fille est assujettie au masochisme n’est pas pointer du doigt une faiblesse, et encore moins un défaut. C’est simplement un autre rapport à l’objet, et cela dans tous les sens du terme. En effet, être femme implique un autre lien que l’homme à l’objet d’amour (parental et par extension partenaire amoureux) ; à l’objet phallique (partant du membre pénien qui fait défaut et ouvre à la question du manque la vie durant) ; ainsi qu’à la manière de se laisser faire objet de. « Malgré sa résistance, l’effraction par la poussée constante de la libido s’avère plus facile pour le sexe de la femme, dont c’est le destin d’être ouvert…l’accès à sa génitalité est à la fois plus aisé, parce qu’elle y est aidée par l’homme, et plus problématique… C’est ce qui fait de la femme une « âme en peine », dépendante, d’avantage menacée par la perte de l’objet sexuel que par la perte d’un organe sexuel… » (Schaeffer, 2003, p. 11). Nous voyons qu’homme et femme sont porteurs de spécificités psychiques, en lien avec la traversé œdipienne qui ne se décline pas pareillement. Cela participe à la richesse de la différentiation, axe majeure pour une prise en compte de l’altérité. « Il serait question, au-delà de l’asservissement aux biens, de la soumission du sujet a l’objet, de devenir capable de donner et de recevoir, d’être passif et actif, d’avoir une intention restant à l’écoute des interactions, soit de trouver une nouvelle économie de l’être qui ne soit ni celle de la maîtrise ni celle de l’esclavage mais plutôt de l’échange… échange vital, échange culturel : de paroles, de gestes, etc... » (Irigaray, 1992, p. 80). Être deux (sexes) permet en effet de pouvoir s’enrichir l’un de l’autre. Mais cela n’est pas instinctif. Avoir à faire à l’autre, cela nécessite de s’accommoder de sa volonté, qui pourra plus ou moins contraindre les besoins du sujet. C’est en ce sens que nous proposons de reconnaitre le bénéfice à se laisser être objet, c’est-à-dire support du désir de l’autre. Se faire objet suppose un effacement partiel de soi, autrement dit, un effort narcissique. Nous

postulons que cela fait partie de la solution à la difficile (impossible ?) mission que dépeint Freud dans Malaise dans la civilisation (1930/2010). En effet, faire groupe social nécessite un travail permanent pour ménager les tiraillements entre les besoins individuels et les

résistances qu’y opposent les autres. Les interdits viennent alors réguler les besoins,

favorisant leur mise en demande, promouvant une logique du don plutôt que de l’arrachement. Homme et femme sont tous deux soumis à ce qui fait ainsi limite à leurs jouissances en même temps qu’ils doivent consentir à participer au plaisir des autres. C’est une logique

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d’activité/passivité qui imprègne l’ensemble des liens sociaux. Pour se retrouver dans ce délicat système d’échanges, les inventions sont singulières et multiples ; au féminin comme au masculin. Concluons sur une citation de J. Kristeva à ce sujet : « Et bien qu’elle s’enracine dans la dualité sexuelle biologique, chaque personne invente dans son intimité un sexe

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Bibliographie

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Références

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