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Academic year: 2021

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De la confiance Patrick Watier La confiance, voilà un terme bien galvaudé ces derniers temps, louée à tout moment par des politiques qui la brandissent comme une espèce d’amulette lexicologique, ils invoquent rituellement un type de comportement, que de nombreuses pratiques, dans les domaines d’activité auxquels ils appartiennent, foulent aux pieds sans vergogne. Je ne poserai pas la question peut-on faire-confiance à ces nouveaux desservants du culte de la confiance, apparemment d’autant plus dévots que leur foi est récente. La phrase que je viens d’écrire trahissant d’ailleurs une attitude plutôt méfiante. Mon objectif est autre : rappeler des constats effectués par la sociologie, la philosophie, l’histoire et donc à la fois des conditions générales, voire universelles et d’autres contextualisées propices au développement de cette attitude. On pu la décrire comme une catégorie affective du social qui présente des caractéristiques tant normatives, que conventionnelles et pour éviter, d’entrée de jeu tout idéalisme, n’est néanmoins pas à ranger tout uniment sous les registre de l’altruisme et de la bienveillance, mais peut parfaitement correspondre à des attitudes parfaitement égoïstes et utilitaristes, ou encore qu’un individu peut se comporter de manière fiable par crainte d’une sanction.

Dans son ouvrage Confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale Niklas Luhmann indique « La confiance n’est pas le seul fondement du monde, mais elle est une représentation du monde très complexe et pourtant structurée qui ne peut se construire sans une société relativement complexe, laquelle en retour ne peut se construire sans la confiance. » p. 112 Je vais tâcher de voir comment on peut traiter cette attitude qui résulte de l’incertitude préalable à toute entrée en relations et comment la sociologie de G. Simmel M. Weber, E. Goffman, H. Garfinkel, A. Giddens, et N. Luhmann notamment a pris en charge cette situation.1 Disons en suivant Simmel qu’il s’agit d’accéder « à la couche profonde qui permet de trouver les conditions des associations concrètes et vivantes parmi les hommes » et de reconstituer « la vie sociale telle que l’expérience la donne. » La description de sentiments psychosociaux dont la confiance mais on peut aussi penser à la reconnaissance ou à la fidélité répond à une exigence phénoménologique, ils sont présents à un degré divers dans toutes les formes de socialisations. Coordination des actions

La confiance dans le comportement sociable des autres individus assure une sécurité ontologique qui permet de vaquer l’esprit libre à ses occupations. En ce sens la confiance est liée au monde vécu familier, aux petits riens — qui impliquent pourtant tout un ensemble de présupposés sur ce qui va de soi, les apparences normales, des attentes normatives — et sur lesquels repose la vie sociale. Un sentiment de confiance

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soutient les routines de l’existence quotidienne et assure une coordination a minima par inattention polie. Il s’agit d’une confiance quasi ontologique dans les modes de relations sociales. La vie quotidienne dans les espaces collectifs est donc particulièrement vulnérable et la fragilité de la vie publique apparait dès que l’on se rend compte de l’étendue, de la complexité et du degré de confiance mutuelle qu’elle suppose. La vie sociale dépend pour une bonne part des sentiments psychosociaux qui lient les individus les uns aux autres et les orientent réciproquement, parmi lesquelles la foi, Simmel dira la foi quasi mystique en l’autre, sans eux les interactions se perdraient dans le vide. La confiance familiarité, ou encore confiance d’arrière plan est nécessaire. Cela étant, Je ne donne pas, ni n’accorde ma confiance, je suppose que les « occasions sociales », les interactions auxquelles je participe impliquent le respect de certaines règles ou convenances, ne pas marcher sur les pieds ou agresser physiquement les autres participants, qu’un climat de bienveillance ou d’inattention polie règne. Bref qu’en fonction de ce que je sais de telles situations les autres vont se comporter de manière à ce que la situation se déroule « normalement », en ce sens je n’attribue pas ma confiance à un individu, à une institution, une entreprise mais je fais confiance aux règles générales de la socialisation telles qu’elles m’ont été transmises. C’est ainsi que je comprends la remarque de Gofmann que « l’adhésion tacite aux conventions et normes (et le fait de régler l’action en fonction d’elles) revient, en fait, à y mettre sa confiance. Si l’on ne fait pas cela, on peut difficilement avancer dans les affaires courantes : on ne pourrait même pas faire d’affaires du tout. »2 Cette confiance familiarité peut aussi être liée à une forme générale de bienveillance dans la manière de traiter les autres. Un exemple de bienveillance que j’ai pu constater récemment à mon égard : prenant un bus au Brésil et ne pouvant y acheter un ticket, (on le peut dans certains, pas dans d’autres) je ne pouvais franchir le portillon qui permet d’accéder à la partie voyageurs, devant mon embarras et celui de ma compagne, une femme s’est levée et m’a passé sa carte magnétique nous permettant de franchir l’obstacle, sous les yeux eux aussi compatissants du chauffeur et du contrôleur. De tels gestes illustrent cette attitude bienveillante et il semble aller de soi que je ferai de même, dans une situation comparable. J’oriente aussi mon action en fonction de cette bienveillance supposée, un sociologue formé par Goffman pourrait imaginer que les apparences ont été construites, une de ces fabrications de cadres et qu’ainsi on m’attire au fond du bus pour me dévaliser. Que j’introduise la possibilité du doute ou de la suspicion indique aussi que si « quelque chose cloche », je peux commencer à avoir des doutes sur le cadre de la situation, ce qui est un degré différent de la suspicion. Le doute indique que c’est moi qui peut me tromper sur le cadre que j’utilise pour orienter mon action, la suspicion que sous les aspects d’un cadre normal je pense apercevoir une machination dont je suis la victime. Si une telle possibilité n’est bien sûr pas à exclure, on voit bien combien de nombreuses actions seraient bloquées par une attitude systématiquement méfiante ou de suspicion.

Tout ces éléments renvoient à la question de la coordination des actions à l’intérieur d’une société, de mondes sociaux ou de formes de socialisation, qui a toujours préoccupé la sociologie, et bien avant elle la philosophie, la philosophie sociale, les moralistes et les économistes. L’opérateur de sympathie avait déjà été étudié par l’école écossaise des

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sentiments moraux et A. Smith, mais il s’agissait de réfléchir la place de tels sentiments dans le cadre d’une science de la morale. Son importance n’avait pas non plus échappé aux moralistes français et dans son opuscule De la société, La Rochefoucauld remarquait que « Le commerce des honnêtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance ; elle doit être commune entre eux ; il faut que chacun ait un air de sûreté et de discrétion qui ne donne jamais lieu de craindre qu’on puisse rien dire par imprudence. »3

Lorsque nous demandons notre chemin à des inconnus nous nous attendons à ce qu’il nous renseignent avec bienveillance et ne nous envoient pas dans une direction opposée à celle que nous recherchons, ou alors s’ils le font, c’est parce qu’ils se tromperaient. Cette bienveillance est une condition implicite de la vie en société et autorise des relations sociales en ce sens elle est aussi une base de la confiance que nous pouvons accorder aux indications qui nous sont données. Bienveillance et confiance permettent de vivre sans être dans une position de qui vive permanente, de défiance c’est-à-dire se demander si l’on ne cherche pas à nous duper, si le « cadre » n’a pas été arrangé pour que nous soyons à l’aise, alors que l’on va être détroussé, manipulé, trompé. Parmi les attentes de base rendant les relations sociales possibles on peut considérer un sentiment de sureté mettant entre parenthèse la possibilité d’agression dans des situations normales. Une autre présupposition de base est que les présentations de soi que les individus réalisent sont fiables et qu’ils se conformeront à la face qu’ils présentent : que la présentation est sincère et non frauduleuse. En ce sens elles sont des croyances ou des attentes que nous formons à propos du comportement d’autrui, et qui permettent de vivre avec autrui, cela n’implique aucunement, remarquons le, une attitude ou une position altruiste opposée à une position égoiste. On peut résumer un point central de question de la coordination de la manière suivante : « Une condition nécessaire à l’activité de coopération est la confiance, par quoi il faut entendre la disposition d’une personne à compter sur une autre pour agir d’une certaine façon. Cela implique que la première fasse certaines conjectures quant aux motivations de la seconde, (mais au niveau le plus banal) cela ne veut pas dire que les motivations aient à appartenir à une catégorie particulière. A peut faire confiance à B pour faire quelque chose parce qu’A sait que B s’attend à être puni s’il ne la fait pas. Dans ce cas, les motifs que B a de coopérer sont crûment et directement égoïstes. Ils peuvent être moins crûment et immédiatement égoïstes : B peut trouver son intérêt dans une activité de coopération à long terme avec A et peut penser que s’il est défaillant dans la conjoncture actuelle, A ne lui fera plus confiance. Telle était la motivation qu’Adam Smith, dans une analyse fameuse, trouvait rassurante à propos de son boulanger. Cela implique, naturellement, que A et B se rencontreront à nouveau et que A sera capable de reconnaître B. A peut encore avoir raison de croire que B est une personne de bonne foi en ce sens que, dans des situations où joue la confiance, B est en général disposé à faire ce qu’on attend de lui précisément parce qu’on l’attend de lui. »4

Les relations entre trust et truth, confiance et vérité, sont sensibles je peux faire confiance et coopérer parce que je possède une disposition à compter sur les autres pour qu’ils agissent d’une certaine façon, c’est-à-dire selon les attitudes et sentiments

3 De la Société, in : Réflexions diverses, p. 112.

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« vrais » présentés. Dès lors la question des attentes et des conjectures à propos des autres devient centrale.

L’anthropologue Marcel Mauss soulignait l’existence « de nombreux liens invisibles qui nouent ensemble les individus dans les sociétés, qui nouent les contrats, les confiances, les crédits, res et rationes contractae (choses et comptes contractuels). » Et il précisait que c’est sur « ce terreau que peut germer et croître l’ardeur à satisfaire les autres, dont on devient sûr. » 5 l’espoir de la foi en soi et en autrui, c’est-à-dire de ce qui, avec le besoin, fait travailler les hommes. » Des liens invisibles, l’expression est bien choisie, et l’on voit aussi au passage quel rôle une représentation des accomplissements humains, joue dans ce passage, autrement dit la confiance, foi en soi et en autrui est considérée j’y reviendrai comme un bien intrinsèque. La citation ci dessus se trouve dans les écrits politiques de M. Mauss, socialiste convaincu, et un des premiers critiques virulent du bolchevisme, qui précisément ne fait pas confiance, mais campe dans son propre pays comme sur un territoire ennemi.

Les sociétés vues sous cet aspect sont dépendantes d’attentions que les individus manifestent les uns envers les autres, et l’on peut dire que sans confiance aucune société ne serait possible, c’était la position de Simmel, un des fondateurs de la sociologie, au début du vingtième siècle. Il soulignait le rôle de dispositions qui « naissent inévitablement au sein des relations pratico-sociales, étroites ou larges : inévitablement, parce qu’une telle cohésion ne pourrait être maintenue en vie et en fonction par aucune espèce de considération utilitaire, de contrainte extérieure ou de règle morale, si aux liens relationnels tissés par ces puissances rationnelles ne venaient en plus se mêler des sentiments sociaux, à savoir qu’on se veut mutuellement du bien et qu’on se lie volontiers : « Si vraiment l’homo homini lupus était la règle — ce qu’on ne saurait écarter par optimisme et bienveillance morale — personne, tout simplement ne supporterait psychiquement de vivre en contact étroit et durable avec les hommes avec qui il serait disposé de la sorte. »6 A contrario l’exemple donné ci-dessus indique comment la bienveillance autorise une forme de fluidité dans les relations sociales, rendre service sans intérêt particulier à le faire, comme l’exemple ci-dessus le signalait. Se vouloir réciproquement du bien a des conséquences immenses sur une atmosphère générale de socialisation. Penser la socialisation implique donc de déterminer les a priori constitutifs qui permettent aux individus de former des liaisons et d’entrer en relation les uns avec les autres, de se socialiser au sens de savoir qu’ils réalisent une unité sociale, d’une part, mais aussi de manière plus phénoménologique de repérer les catégories que Simmel nomme indifféremment affectives ou psychosociales qui assurent la cohésion en deçà ou par-delà toute contrainte, règlement ou finalité utilitaire. Parmi ces catégories du monde vécu, les dispositions aimables, la fidélité, la confiance, la gratitude jouent à des niveaux divers pour les entrées dans les formes sociales, le maintien de celles qui n’obéissent plus aux impulsions de départ ou comme la gratitude, « cette mémoire de l’humanité », soutiennent la fonction sociologique de première importance qu’est le don, illustration par excellence de la réciprocité. Toute vie en commun et l’ensemble des contacts journaliers reposent sur de telles orientations, elles ont pour caractéristique de favoriser les relations et de permettre la synthèse des éléments sociaux.

5 M. Mauss, Ecrits politiques, Fayard, Paris, 1997, p. 549

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La confiance offre une solution pour résoudre le problème de l’incertitude lorsque nous nous engageons dans une relation, avec des personnes à propos desquelles nous ne disposons d’aucune information. Il est clair que cette situation est devenue plus courante à l’époque de Simmel, avoir affaire à des étrangers ce qui signifie pour lui à des personnes sur qui j’ai peu d’informations qui ne sont pas des personnes de connaissance. On peut définir cette incertitude de la façon suivante : elle existe pour tout acteur qui est incité à agir dans un sens qui pourrait avoir un coût pour lui et aussi pour toute situation dans laquelle l’acteur n’a pas suffisamment d’informations pour prévoir comment l’autre ou les autres vont agir. Bien entendu la méfiance serait une autre possibilité mais tout un ensemble d’études montrent qu’en général parce qu’elle accroit les capacités d’action, il est préférable de pouvoir choisir de faire crédit aux autres, d’avoir foi dans leur présentation d’eux mêmes. Cela étant le choix défiance, méfiance n’est bien entendu pas à exclure. Je ne développerai pas les relations que l’on peut établir entre foi et confiance , foi religieuse et foi dans les attitudes des autres individus , mais un auteur comme G. Simmel a pu montrer le parrallèlisme existant entre ces deux types de foi, dans la mesure où faire confiance s’est se mettre entre les mains d’autrui, un autrui dont on suppose qu’il n’aura pas d’intentions malveillantes et pour le dire de manière positive qu’il sera bienveillant. Le croyant se met dans les mains de Dieu

La confiance, le sentiment de confiance, cette catégorie affective « qui signifie une certaine humeur de l’individu tout entier vis-à-vis de l’autre »7 , est si captivante car

elle nous plonge dans la vie courante, au plus près des interactions quotidiennes où tout se passe dans une forme de clair obscur des actions réciproques. En l’analysant on s’approche de caractéristiques centrales des mondes vécus et du monde subjectif vécu qui impliquent que nous ne pouvons être des personnes qu’ « au dedans d’une communauté, au dedans d’une « convivialité intentionnelle » qu’à condition qu’un monde environnant commun nous fasse face. » disait E. Husserl, dans ses Recherches phénoménologiques pour la constitution, Paris, Puf 1982, p. 269. Un tel monde commun passe par la confiance car en faisant confiance et en nous en montrant digne nous manifestons que nous partageons des valeurs communes. Ce faisant on s’aperçoit à quel point le monde de la vie quotidienne repose sur des liens préthéoriques de familiarité, d’assurance, de confiance et de complicité qui attachent le sujet à son monde mais aussi à ses partenaires, un sens partagé du monde émerge parce que les individus se fient les uns aux autres : ils comptent les uns sur les autres pour prendre les mêmes cadres normatifs et les mêmes attentes d’arrière-plan comme bases pour l’action.

Nous vivons dans un monde qui par beaucoup d’aspects va de soi, en ce sens nous avons besoin d’un certain sentiment de sécurité ou de sureté. On a considéré que cette familiarité avec le monde était une forme de confiance envers des évènements tels qu’il sont attendus, je salue une autre personne et elle me rend mon salut, les conducteurs roulent tous à droite, je vas à la station de bus et à l’heure prévue ou dans un délai raisonnable un bus s’arrêtera. En d’autres termes nous faisons tout un ensemble de prévisions sur le comportement des autres individus mais aussi sur le

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fonctionnement de services ou d’institutions. Nous avons une idée très générale et peu de connaissance scientifique sur le fonctionnement de nombreux organismes, mais nous nous organisons en supposant qu’ils vont se comporter normalement, par là il faut entendre comme nous en avons l’habitude, en ce sens nous avons foi en eux, car nous ne maitrisons ni théoriquement, ni pratiquement à moins d’en faire partie les éléments de fonctionnement. Weber le soulignait à sa manière et sur le mode de l’oxymore : l’homme moderne a une foi dans le caractère rationnel des institutions et des organisations. Attentes normatives, confiance personnelle et confiance impersonnelle

La vie ordinaire repose sur tout un ensemble d’attentes, attentes normatives, les autres respecteront les règles liées à leurs rôles sociaux ou à leur qualité de citoyen, attentes cognitives, j’appuie sur un bouton ou j’introduis une carte dans un distributeur et de l’argent doit m’être délivré, j’organise ma journée en fonction des horaires des transports. Attentes instrumentales, le conducteur de bus connaît son métier, et il emprunte la ligne prévue, le questionner pour lui demander s’il est certain d’emprunter le bon trajet, produit une mise en question de la compétence et de l’aigreur dans la communication. C’est une telle direction de recherche que tant Goffmann que Garfinkel choisiront : le second pratiquera des opérations de suspension ou de rupture de confiance, sur le modèle précédent du questionnement intempestif, le premier traitera les impostures comme des révélateurs des termes utilisés pour la fabrication « normale » et ordinaire du monde, du monde confiant nécessaire à mes actions.

Cela étant il faut aussi souligner que l’on on peut dans le monde moderne parler de changement de registre de la confiance qui de personnelle va de plus en plus pour la majorité des domaines de l’existence devenir impersonnelles, ne concernant pas une personnalité mais des compétences, l’amitié et l’amour échappant à cette impersonnalisation généralisée. Ainsi Luhmann, à la suite de Simmel, indique que la confiance personnelle qui a joué un grand rôle pour le passé des sociétés, va être reléguée vers les espaces privés et il faut réfléchir au type et à la modalité de la confiance qui correspond aux nouvelles formes sociales dont le contact en face à face n’est plus la caractéristique centrale ; dès lors les conditions de possibilité d’une confiance impersonnelle et systémique doivent être explorées. Etant entendu, que la modalité de la confiance qu’elle soit de type personnel ou systémique réduit la complexité : « La confiance réduit la complexité sociale en ce qu’elle extrapole l’information disponible et généralise des attentes comportementales, dans la mesure où elle remplace l’information manquante par une assurance intérieure garantie. » Confiance, p.111) La confiance est donc un mode d’assurance individuel dans un monde incertain, en s’appuyant sur des indices parcellaires qui ont déjà fait leur preuve, que les apparences sont normales nous, nous en concluons que les individus devraient se comporter comme nous l’enseignent les règles de l’expérience, dans cette situation.,. Revoir ici simmel luhmann confiance

La confiance joue ainsi un rôle fondamental par rapport aux notions d’attente, d’escompte de l’avenir, qui sont comme le remarquait Mauss l’une des formes de la pensée collective. Il poursuivait « Nous sommes entre nous, en société pour nous attendre entre nous à tel et tel résultat, c’est cela la forme essentielle de la

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communauté. Les expressions : contrainte, force, autorité, nous avons pu les utiliser autrefois, et elles ont leur valeur, mais çette notion d’attente collective est à mon avis l’une des notions sur lesquelles nous devons travailler. » M. Mauss, p.117, Oeuvres 2. Pas d’escompte de l’avenir sans un minimum de prédictibilité du comportement des autres acteurs, et s’ils peuvent nous décevoir c’est parce que nous en attendions autre chose, mais cet escompte concerne aussi des faits sociaux comme la monnaie. Il y a donc un niveau de confiance interindividuel, une confiance qui porte sur des qualités personnelles, une autre simplement sur le fait que l’individu va correctement jouer son rôle et une confiance à un niveau institutionnel, concernant le fonctionnement des institutions. Confiance en la science comme activité qui recherche la vérité, confiance dans l’argent et sa valeur qui doit me permettre d’acquérir certains biens, confiance dans la stabilité de la monnaie, etc. Alors bien entendu se posent les questions de cette disposition et de son acquisition, je ne m’y attarderai pas ici, mais d’Erikson, à Winnicot en passant par Trevarthen de nombreux psychologues ont montré que les fondations d’une intersubjectivité primaire supposent une délégation de soi auprès de personnes considérées comme fiables. C’est parce que l’enfant a confiance en ses parents que peu à peu il peut généraliser et avoir confiance en d’autres adultes puis se montrer ensuite lui-même digne de confiance. La confiance permet ainsi d’illustrer un mécanisme très général à l’œuvre dans le social celui de la généralisation. En deça de la question de la confiance on peut souligner que dans nos sociétés les individus pratiquent des généralisations psychologiques et des généralisations sociales lors de leurs contacts.

La confiance repose sur ce que l’on a pu appeler une sécurité ontologique ou une assurance concernant les conditions générales d’existence. Autrement dit il faut que nous nous sentions assurés, et des historiens ont pu faire voir comment une sécurité temporelle fut apportée par les assurances dans la mesure où elles sont génératrices de confiance matérielle. Lucien Febvre le rappelait sentiment de sécurité qui repose à la fois sur la familiarité et la confiance que les choses se passeront telles que notre expérience nous permet d’escompter qu’elle le feront. En ce sens toute confiance interindividuelle suppose un socle social confiant dont on sait qu’il est fondamental pour toute économie monétaire,

Pour le dire dans les termes de la phénoménologie sociale d’Alfred Schutz l’homme ne suspend pas sa croyance au monde extérieur et à ses objets, mais au contraire, il suspend tout doute concernant leur existence. Ce qu’il met entre parenthèses est le doute que le monde et ses objets puissent être autres qu’ils lui apparaissent. »8 La familiarité avec le monde est une forme de confiance dans un déroulement normal des évènements.

Je viens d’utiliser plusieurs termes pour désigner des attitudes qui ont des points communs et que l’on peut englober sous l’appelation générique confiance. En effet, un des attraits du concept de confiance, comme le remarque C. Offe dans sa conclusion à l’ouvrage Vertrauen, Die Grundlage des sozialen Zusammenhalts, Confiance le fondement de la solidarité sociale, tient à l’ampleur des champs dans lesquels il intervient : de la discussion quotidienne aux interactions courantes, des relations intimes et amicales à la relation qu’entretiennent vendeurs et clients, des relations entre générations à celles entre étrangers, parties et représentés, sans oublier son

8 Alfred Schütz, Sur les réalités multiples", in p. 127.

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rôle dans la politique internationale. Il y a peu de concepts, sauf peut-être celui de pouvoir, à recouvrir autant de champs d’études. Remarquons aussi, que l’on prenne le point de vue de la théorie des systèmes, de Parsons à Luhman, celle de la structuration, tous les travaux pionniers de Simmel et Weber ou celle à ras de terre (Froschperspective comme disent les allemands) des acteurs sociaux, pour les deux la confiance a une valeur propre et elle est préférable, quant à ses conséquences, à la méfiance. En effet, monde académique et pensée ordinaire tout le monde semble à peu près d’accord la méfiance rend difficile toute forme de coopération, habilement exploitée entre les sujets, jouant la division elle permet même des confiscations de pouvoir comme le notait Simmel pour la politique habile des doges de Venise. D’Anton Ciliga à Simon Leys le répertoire de telles pratiques de construction du pouvoir contre la société a été largement exploré, le fim la vie des autres en donne une illustration cinématographique saisissante.

L’ensemble des pratiques que la confiance irrigue rend la définition du concept délicate, et les tentatives de réduction voire de négation du concept ne manquent pas en sciences sociales. Bien entendu et heureusement on peut se donner pour objectif dans un premier temps de décrire ou présenter les diverses modalités d’un tel sentiment : nous faisons confiances de manière différente dans des contextes eux-mêmes différents, faire confiance à des étrangers, des connaissances, des collègues, des amis, ou des intimes, des époux, des amants, n’engage pas de la même manière, il y a une confiance qui ne porte que sur la prédictibilité du comportement dans une activité précise et limitée dans le temps, confidence confiance assurée , et une confiance comme remise et abandon de soi qui a des conséquences sociales et psychologiques, matérielles ou morales, tout à fait différentes, si les attentes sont déçues, et elle engage aussi de manière tout à fait différente les individus. Il y a des moments ou je ne peux pas faire autrement : Faire confiance à tout un ensemble de mécanismes ou de sytèmes abstraits, la poste, l’enseignement, l’aviation, j’introduis une carte bancaire et le montant demandé n’est pas délivré sous forme de roupies de sansonnet ou de tickets de resto U. Cette forme de confiance n’est pas semblable au fait de ne pas se protéger volontairement dans le cadre d’une relation amoureuse. Dans les deux cas il y a un risque, sauf à ne plus utiliser de carte bancaire, je prends un risque mais parce que je ne peux pas dans les conditions générales du monde moderne faire autrement, dans la relation sexuelle le risque est plus individualisé, l’abstention ou la protection ont pu être pesées, mais l’énamourement n’est pas toujours propice à une décision conforme à la santé publique, et individuelle.

J’en viens maintenant à des idéaux types : d’un côté l’on peut dire que la confiance signale un état d’abandon et de remise de soi sans calcul, qui caractérise selon Benveniste la confiance, foi et credo. En effet, pour ce dernier, dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes « le même cadre apparaît dans toute manifestation de confiance : confier quelque chose (ce qui est un emploi de credo), c’est remettre à un autre, sans considération du risque, quelque chose qui est à soi, qu’on ne donne pas pour des raisons diverses, avec la certitude de retrouver la chose confiée. C’est le même mécanisme, pour une foi proprement religieuse et pour la confiance en un homme, que l’engagement soit de paroles, de promesses ou d’argent »9. Il faut bien

saisir qu’il y a sans aucun doute risque, mais c’est une mise en parenthèse du risque qu’autorise la confiance, car avoir confiance c’est croire en… et Simmel a brillamment

9 E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, 1. Économie, parenté, société, Minuit, Paris,

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développé les points communs et les différences entre la foi religieuse et la confiance. La piété cette source de la foi est un abandon total, si je ne fais pas une confiance absolue, cela n’a pas de sens de croire un peu en Dieu. La phase de blind trust des états énamourés est sans doute du même type. De l’autre on trouvera des formes plus modérées puisque la confiance s’adosse à des autorités, guides par exemple ou assurances fondées sur la réputation. On le voit parler de confiance c’est parler de tout un ensemble de thèmes associés : croyance, risque, incertitude, doute, assurance, crédibilité, crédit, anticipation, familiarité, savoir inductif, ou inférences autant de termes qui permettent de montrer les implications de ce sentiment central pour l’établissement de relations sociales ainsi que pour leur maintien, et terme en même temps fuyant, labile, difficile à cerner.

Mais je n’ai pour l’instant parler de confiance que de manière très générale, ce sur quoi les sociologues vont s’interroger c’est sur les modifications qui peuvent toucher un tel sentiment dans le cadre de sociétés beaucoup plus complexes et diversifiées. Sociétés que l’on a pu alors appeler modernes, à la charnière du 19 et du 20 siècle. Il faut dire ici que c’est à G. Simmel que revient sans conteste le mérite d’avoir le premier abordé de front même si ce n’est pas de manière systématique les modifications entrainées par l’attribution de confiance dans le cadre de sociétés différenciées. A mon sens, Parsons, Luhmann ou Giddens poursuivent développent ou amplifient des constats simmeliens. Bien entendu il ne faut pas oublier M. Weber qui aura montré comment un certain type de foi, une conception universaliste en lieu et place d’une double moralité dans les relations commerciales, —la même marchandise au même prix que l’on soit membre ou non de la communauté — conduira à faire confiance aux protestants plus qu’à d’autres, du coup leur activité commerciale ou industrielle en sera développée.

Société différenciée cela signifie que les individus appartiennent à des cercles sociaux qui ne se recoupent, pas, il y jouent des rôles différents ne mobilisent qu’une partie de leur personne dans ces cercles sociaux, — l’amour serait un sentiment qui par contre impliquerait encore totalement la personne —, et puis surtout comme les lieux d’habitation et de travail sont distincts ils ont affaire au cours d’une journée à de nombreux étrangers. Pour Simmel un étranger est ici à comprendre comme une personne sur laquelle je n’ai aucune information précise, et qui n’est pas une connaissance. Ces modifications des contacts interindividuels doivent conduire à un sentiment de confiance de base pour que la vie sociale soit possible. Il a bien entendu en tête la distinction entre village ou tout le monde se connaît et grande ville où, si je me déplace, dans une journée je croise plus d’inconnus que de proches, inconnus que nous traitons comme le dira Goffman avec une indifférence polie et attendons qu’ils fassent de même à notre égard pour que nous puissions vaquer à nos occupations. En ce sens la confiance va porter sur les apparences et le fait qu’un individu semble bien jouer un rôle correspondant à ce qu’il présente, les relations confiantes se spécialisent sur une partie de la personne, confiance concernant la moralité générale et les compétences de la personne. Pour ne prendre qu’un exemple récent, qui m’est encore arrivé au Brésil, à Joao Pessoa , un réceptionniste m’a aiguillé vers une chambre d’hôtel déjà occupée, dont j’ai pu ouvrir la porte. Je fus tout autant étonné que les occupants, dieu merci la situation n’était pas encore plus scabreuse… Lorsqu’il m’a donné une nouvelle carte magnétique, je n’avais plus le sentiment de sureté et de sécurité présent lorsqu’il avait délivré la première, et ce n’est pas sans une petite appréhension que je l’ai introduite dans le boitier puis poussé la porte.. La confiance

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en la compétence qui est devenue centrale dans le monde moderne en est affectée, et il y a de fortes chances que vous introduisiez, comme moi, avec circonspection la carte magnétique dans le mécanisme d’ouverture de la porte de votre chambre, de crainte de tomber encore une fois sur des occupants, tout aussi désarçonnés que vous par cette situation. La confiance est donc une anticipation du comportement d’autrui, « un savoir inductif ou encore une hypothèse sur une conduite future, assez sûre pour qu’on fonde sur elle l’action pratique, la confiance est aussi un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir sur autrui. Celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance. Les quantités relatives de savoir et de non-savoir qui doivent se combiner pour que devienne possible la décision individuelle fondée sur la confiance — voilà ce qui distingue les époques, les domaines d’intérêts, les individus. » Il y a des garanties collectives qui nous permettent de penser qu’un fonctionnaire inconnu se comportera comme il doit le faire, qu’un commerçant ne nous trompera pas, etc. Pour le dire de cette manière les relations sociales doivent pouvoir se dérouler même entre inconnus et chacun se guidera sur l’auto présentation de l’autre, mais une auto présentation qui ne concerne qu’une partie de la personne. D’une confiance personnelle dont le rôle serait de traiter de l’incertitude due au comportement d’autres hommes, on passe à une autre forme de confiance qui est conçue comme abandon risqué mais conscient, c’est la confiance systémique qui d’émotionnelle qu’elle était comme confiance personnelle, devient une forme cognitive qui s’oriente sur les apparences, les compétences supposées, les mises en scène du moi, au sens de Goffman. La confiance systémique ne concerne pas seulement les systèmes sociaux mais aussi les systèmes personnels. La familiarité permet en arrière plan de traiter non seulement les conditions favorables concernant l’avenir, mais aussi des dangers qui doivent être en quelque sorte familiers. Toute forme organisationnelle nouvelle est susceptible de créer de nouvelles relations de confiance nécessaires à son fonctionnement, pensons au commerce sur internet. Ces relations peuvent emprunter des éléments appartenant aux formes existantes, réputation reposant sur la fiabilité des livraisons, par exemple.

Simmel affirme que dans les conditions de vie de la société moderne « la vie repose sur mille conditions préalables que l’individu ne peut absolument pas étudier ni vérifier jusque dans leur fondement, mais qu’il doit accepter de confiance. Notre existence moderne — depuis l’économie, qui tend de plus en plus à être une économie de crédit, jusqu’aux activités scientifiques, où la plupart des chercheurs doit appliquer un nombre immense de résultats obtenus par d’autres, sans pouvoir du tout les vérifier — repose, beaucoup plus largement qu’on ne s'en rend compte habituellement, sur la foi en l’honnêteté des autres. Nous fondons nos décisions les plus importantes sur un système complexe de représentations dont la plupart suppose la certitude de ne pas être trompés ».

Si un premier élément concerne la personne ce que l’on peut résumer ainsi « l’individu en tant que membre du groupe n’est que le vecteur d’un acte précis et la seule connaissance du contenu concret est suffisante pour la confiance qui n’exige plus une connaissance personnelle... » Ainsi il avance que « les traditions et les institutions… sont devenues si solides et si fiables que l’on n’a besoin de connaître sur l’autre que certaines données extérieures pour avoir la confiance requise par l’action

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commune. » Dans la plupart des rencontres sociales que nous réalisons dans une journée, l’attribution de confiance concernera la fonction postier, enseignant, artisan, assistante sociale, conducteur de bus, collègue, supérieur hiérarchique ou subordonné ou encore des anonymes, non la personne ou la personnalité au sens où l’entendait la Bildung, derrière, comme on dit, ces rôles. Le second concerne les institutions ou ce que Giddens appelera systèmes experts et que Luhmann lui considère comme des systèmes.

La confiance ne porte plus sur les relations interindividuelles mais dépend d’une puissance tierce aux échangistes. Je pense aux développements que Simmel a consacré à l’économie monétaire dans la philosophie de l’argent. Sans la garantie des institutions monétaires et du crédit, il n’y aurait pas d’attribution de confiance ou plus exactement ce sont elles, en arrière plan, qui agissent et en ce sens la confiance ne concerne pas une personne singulière. C’est à la monnaie ou au système du crédit que l’on fait confiance et non à la personne, ou disons plus précisément que la confiance en la personne s’adosse à un arrière plan institutionnel :« Le crédit est devenu une organisation impersonnelle et la confiance a perdu son caractère proprement individuel (celui qui pouvait lier un gentleman et un commerçant et où il était distingué de payer à crédit) , de fait « le crédit est donc désormais une technique de circulation sans connotations psychologiques, ou alors très émoussées. » Philosophie de l’ Argent p. 617. Halbwachs le disait ainsi « la monnaie ne crée pas le crédit et la confiance en raison de ses propriétés physiques. Mais le groupe crée de la monnaie dans la mesure où il sent en lui des réserves de confiance diffuses et pourtant effectives, qu’il a besoin seulement de concrétiser. »10 Dans un vocabulaire qui se méfie de la personnalisation des instances collectives, (le groupe pense, crée, sent, etc) on dira qu’un sentiment de confiance unit les membres d’un groupe et que ce dernier peut apparaître à l’observateur extérieur et être décrit par lui comme une sorte de personnalité collective du fait de la force de ces liens, en effet, tout un chacun ne semble faire qu’un avec les autres. La seconde grande caractéristique est donc que la confiance devient à de nombreux niveaux totalement impersonnelle, et elle est adossée à un arrière plan social ou institutionnel. De telles réserves de confiance diffuse peuvent être mobilisées dans les activités courantes, confiance que le boulanger me rende bien la monnaie, qu’il n’utilise pas de produits avariés, bref que la grande majorité des individus que je croise sont fiables quand aux fonctions et apparences, et même, en moyenne, bienveillants. La chute d’une telle confiance diffuse conduit à des vérifications incessantes, une suspicion et un ralentissement des échanges si chacun se et à compter et recompter la monnaie rendue, en lieu et place d’un coup d’œil approximatif global, car sans volonté de tromper une erreur n’est jamais à exclure.

Luhmann fait bien voir que la familiarité est conçue comme relevant de l’existence, alors que la confiance ou la méfiance, (dont il montrera qu’elle est aussi mobilisée pour réduire la complexité mais a des résultats qui en termes fonctionnels sont moindres que la confiance), sont des modes de l’action. Les relations que la familiarité entretient avec le passé la caractérisent alors que la confiance renvoie à l’avenir, mais cela c’est le premier pas ; le second, c’est de dire que si la confiance suppose toujours la familiarité, que confiance et familiarité sont nécessairement liées,

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cela dépend aussi des contextes sociaux et qu’à une complexité croissante, il faut sans doute associer un autre type de familiarité et de confiance.

Dans cet espace elle réduit pour Simmel l’incertitude, alors que pour Luhmann, elle augmente l’incertitude supportable. La confiance ne rend pas, c’est un des apports importants de l’approche luhmanienne, le monde plus certain, elle autorise à vivre et à expérimenter au mieux dans un monde dont la contingence, l’incertitude et la mobilité sont des caractéristiques fondamentales. En ce sens, on peut dire que son rôle est encore accru dans le fonctionnement des sociétés complexes.

Il faudrait analytiquement distinguer entre une confiance ontologique qui concerne, pour parler un langage proche de la phénoménologie, les structures du monde de la vie, leur consistance, leur permanence auxquelles s’adossent mon action et qui autorisent des anticipations ou une idéalisation du type je peux le faire à nouveau et des généralisations ; une confiance portant sur les relations sociales et une confiance accordée elle aux institutions ou aux mécanismes impersonnels. Bien entendu ces trois registres sont également entremêlés puisqu’un savoir inductif peut porter sur les structures du monde, les relations sociales ou encore les institutions. En termes luhmaniens on dira que la confiance est un opérateur qui permet de réduire la complexité dans les sociétés différenciées. Elle n’est en rien pour cet analyste des systèmes un bien intrinsèque, la théorie des systèmes ne ferait que décrire une condition d’action dans le labyrinthe des sous-systèmes autonomisés.

On peut conclure que c’est la répétition d’expériences de confiance réussie qui permet de conforter la foi dans la probité des autres. Ayant expérimenté le monde d’une certaine manière je suppose que je peux le considérer comme consistant, les relations sociales à propose desquelles j’ai pu généraliser des attributions conduit à considérer ces dernières comme fiables, et enfin le rapport aux institutions est lui aussi adossé à l’expérience que j’ai pu en faire. Cela étant en se situant à un niveau que Simmel aurait appelé de philosophie sociale on peut affirmer qu’« il y a dans la confiance qu’un être humain porte à un autre une valeur morale aussi haute que dans le fait de ne pas décevoir cette confiance ; et cette valeur est peut-être même encore plus libre et plus méritoire, car lorsqu’on nous fait confiance, nous sommes presque engagés par un jugement porté sur nous par avance, et il faut déjà être positivement mauvais pour le décevoir ; mais la confiance se « donne » ; on ne peut pas exiger qu’on nous l’accorde comme nous exigeons de ne pas être déçus, une fois qu’elle a été accordée. » 11 En termes de philosophie morale on peut dire que la confiance est un bien intrinsèque qui est soutenu comme le remarque B. Williams par les valeurs de sincérité et de vérité. De manière idéal typique s’opposent d’une part, confiance, sincérité, vérité de l’autre, méfiance, duplicité, mensonge. Celui qui abuse de la confiance est donc coupable de violer des piliers de l’existence sociale, et ne mérite que l’opprobre, en effet, la socialité suppose que l’on puisse se fier les uns aux autres, que chacun exprime ses véritables sentiments et dise vrai sur le monde, ou du moins s’y applique tant que faire se peut.

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