QU'EST-CE QUE MODELISER? L'EXEMPLE DU
MODELE DE L'ECOSYSTEME URBAIN DANS
SES RELATIONS AUX POUVOIRS ET
CONFLITS
Docteur Claude LEROY
Laboratoire d'Eco-éthologie humaine
Institut Marcel Rivière
MGEN
~S·CLES Modèle· Représentation· Comportement: Processus de décision - conflits.
~ : La modèlisation amène des conflits car tout le monde modèlise. La formation des représentations du monde pour un sujet dépend de ses désirs, des contraintes du réel, des modes d'action qu'il a dans le monde. du choix et de la hiérarchisation de. variables, du milieu culturel. Dans la modèlisation scientifique, administrative, éco· nomique, il en est de même entre la commande et l'application. Dans le processus de décision, les différents rôles de technicien, de politique. de gestionnaire et de citoyen aboutissent à des modèles différents. Qui paie? Qui fait fonctionner le modèle? Dans quel but? Quel est l'écart entre les modèles des différents acteurs sociaux
KEYWOROS: Madel, representation. behaviour, process of decision, conflicts. SUHMARY : The building of pattern induces some conflict., because every body make models. The formation of the world's representation by a subject depends on his desires, constraints of the reality. patterns of action on the world, choices and hierarchy of
variables, culture. In the scientific, administrative, economic model making, that is the
same between the arder and the practice. ln the process of decision, the differents roles of expert, politician, administrator, citizen will induce differents models. Who
INTRODUCTION
Un mudcle particulièreméot conflictu~lest celui de l'êco~ystèmeurbain que nous prenJrons pour e:X~mple. Cumment sont fait~ les modèles écù.sy::;[émiques urbains
Pour cela, il faut reprendre rapidement le processus de création du modèle par un horruneJ d~s horrunes. une institution, pOLlr déboucher sur le projet de décision et la pLanification urbaine.
1. La formation de la représentation d'un sujet (ou la modélisation en tant que pro-cessus intra-sujet / monde). (figure 1)
Les ensembles n'existent pas en soi. Seul l'homme les définit. L'espace est de l'ordre du quantitatif, c'est 1" domaine de la mesure.
Le monde extérieur va opposer aux désirs infinis de l'homme un certain nombre de contraintes limitatives. L'apprentissage va réaliser un bouclage par les significa-tions t:ntre le "Dedans" du sujel: et le ItDehors".
2. C" bouclage se fait par l'action humaine.
L'homme est nature et culture, c'est un noeud dans un réseau d'interactions avec les autres hommes, les autres êtres vivants, les objets. C'est par son action qu' il va se forger les représentations qui vont à leur tour organiser ces reconnaissances de formes. ces motivations. ~1ais même les insectes ont des représentations.
En fait, la différence est plus subtile car l'abeille a l 'hexagone inscrit dans son thorax et nombre d'auteurs ont montr~que les abeilles ont une représentation de l'espace alors que l'honune a le langage "inscrit" dans son cerveau.
Ainsi se trouve-t-on simplement ramené à une étude des cOlltraintes internes au sujet (génétique, histoire, temps présent, conflits) et externes i celui-ci (niveau financier, lois, restrictions spatiales ou temporelles etc .• ).
En ce sens, l'éthologie apparaît comme le seul lien entre les sciences humaines et les sciences biologiques. Seule le comportement permet d'articuler les d~ux.
Il en r""ul te un" interaction réciproque Homme - ~li1 ieu dont les contraintes réJuis.Jllt l~s Jegrés J~ liberté du comportem~nt. agissent sur la santé en général et la sant~ mcntal~ en particuli~r.
Tout" la th';ori" d" J. von Uexküll (1920) (~) est basée sur une comparaison mu-sicale du point et du contrepoint, comme par exemple les ab"i lie, et le. fleurs. Il y a là une r~gle Je compl~ment~rit~(Entsprecllungsregel). J'ajouterai pour ma part la
~ùi dl! l'~n0ptimum.
Cl! qui compte. clest lè milieu ambi.Jntal (UCTl'W'el t), partie perceptible de l'envi-rOIl()cm~llt (Umgcbung). Il y il sélection J.3n~ le milieu environndnt de ce qui intéresse le sujet vivallt. L~ reste est ignurJ. Ctlaque ~tre vivant J ce point Je vue est d3ns
une "bulle de savon" où il met ce qui lui importe.
L'intérit de parler d'éco-éthologie est qu'il faut rappeler en permanence aux
décideurs politiques et sociaux que l'anthropologie est la référence nécessaire pour l'organisation du champ spatial de la société.
Il faut ici ainsi iIlsister sur le rSle du temps lié à l'histoire,
l'apprentis-sage, la prise de sens.
Dans le schéma des réflexes conditionnés pavloviens, c'est p~r transfert tempo-rel récursif que le sens lié au stimulus absolu est transféré en amont v~rs le
stimu-lus conditionnant, dans une organisation temporelle séquentielle de l'action et de la
prévision.
Dans le schéma du réflexe conditionné skinnérien, c'est la mise en évidence du
projet vital qui ne peut s'accomplir qu'en fixant un but futur à atteindre (qui devient alors un conditionnel) : on organise la séquence temporelle des actes pour atteindre le but et assouvir le désir grâce à une tactique mise au point peu à peu par le sujet à
travers des essais/erreurs et un lissage.
Il est évident que les deux types de réflexes se complètent dans la réalité pour organiser l'action d'un individu dans le temps au niveau du but de cette action et des moyens de l'atteindre.
Deux autres faits sont à prendre en considération :
a) Le choix des items pertinents dans l'environnement en fonction du but choisi. b) L'importance des connotations affectives et qualitatives qui vont donner à l'objet support de symboles une valeur attractive (sensibil,sation), répulsive ou neutre (habituation).
Le colloque "Cognitiva" vient de mettre en évidence l'importance pour tous les spécialistes, de la représentation dans la machine à intelligence artificielle pour identifier le champ "perceptif" et optimiser l'action sur le monde.
C'est une révolution copernicienne d'arriver maintenant à la conception que le
symbole au temps T zéro est différent de celui qu'on identifie au Temps Tn et qu'il dépend du but poursuivi au cours de l'apprentissage.
On pourrait dire de même que les recherches modernes sur les systèmes
dissipa-teurs d'énergie vont aboutir dans l'étude des systèmes urbains à des "attracteurs étranges" du fait de la sensibilit~de ces systêmes aux conditions initiales.
3. La relation à autrui :
Deux hommes ne vont pas avoir la même représentation, ils vont communiquer en fonction du plus grand commun dénomioJteur de la rl:!prés~nt<lti()11du même objet, du
Celui-ci est agrandi par une pratique, un langage, une culture, une idéologie communs et réduit par les fact~urs inverses. Il diminue aussi en fOlle tian du nombre
de personnes confrontant leurs opinions.
4. Le référentiel:
Le premier est le corps qui constitue le référentiel de chaque sujet pour l'in-tégration des informations qu'il a rencontrées au cours de son histoire et qui le situe dans l'espace.
Le second est un référentiel structurant mais non structuré : le système de
croyance du sujet (religion. croyance politique etc •. ). Pour le réduire, tous les
pouvoirs, toutes les inquisitions n'ont pas trouvé d'autre solution que la force.
Dans un système démocratique moderne où ces référentiels sont multiples, le pro-blt;l!Ie se complique bien évidemment (U. ECO) () (4). Ainsi, le pouvoir est-il un élé-ment essentiel dans le choix de pertinence des modèles.
5. Le modèliseur institutionnel ou le modèle en tant qu'outil:
Comme tout un chacun, le modèliseur se fabrique des modèles autour de sa croyan-ce personnelle. Hais de plus ici, il répond à une commande institutionnelle avec un but fixé, des indicateurs pertinents à valider, une tactique pour arriver à un but (ou à plusieurs scénarios). Il va donc, à partir des données brutes, les agréger dans une optique particulière pour simplifier d'une certaine façon, éliminer les variables qualitatives difficiles à quantifier, faire "tourner" le modèle.
Les questions qui se posent alors sont les suivantes
a) Qui pose les questions à modéliser? à qui ? et pourquoi? b) Comment est comprise cette question
c) Comment est-elle mise en forme?
d) Quelles sont alors les variables considérées comme lourdes et celles estimées négli-geables ? Comment les hiérarchise-t-on ?
e) Qui va définir la pertin~n~e du but recherché
f) Bref, le modèle est-il un outil ou un but en soi intra-institutionnel et/ou pour garantir le pouvoir de l'institution (ou du modèliseur) sur la société (les au-t res) ?
g) Quelle relation y-a-t-il entre le but intra-groupe et le but social? h) Qui écrase-t-on en agissant ainsi? Qui laisse-t-on vivre? Que facilite-t-on
Quels effets positifs et négatifs sur chaque élément du système sont considérés
comme importants ou non ?
i) A l'intérieur de quel supra-système se situe le modèle considéré (avec les
j) Quels sous-systèmes commande-t-il (et de même avec les contraintes ascendantes et
descendantes)
k) Quelle relation a-t-il avec les modèles des systèmes spatialement voisins 1) A quelle distance temporelle le modèle peut-il être considéré comme relativement
fiable
6. Le procesus de décision: (5)
Quatre types d'acteurs sont confrontés.
-
b~_~~~~~!~i~~ qui modèlise en fonction d'impératifs techniques théoriquement.-
b~_2~!!~!g~~ qui va choisir une orientation de la société en fonction decer-taines orientations globales et de choix sociaux.
-
~~_g~~~i~~~~iE~ qui doit calculer les coûtsd'
investissement et defonctionne-ment du système et prévenir les limites des possibilités financières.
b~_~!~2Y~~qui dans tout ce contexte essaie de garder une cohérence de sa
qua-lité de la vie, de ses désirs, de sa façon de considérer son environnement. Comme il n'y a aucune raison a priori que tous ces acteurs aient la même représenta-tion du monde, ceci génère des conflits ~ , ce qui est observé dans la pratique
quotidienne.
Qui décide? Pourq,ni ? Sur quels critères 1 Comment le projet? Dans quel but 1 (conscient ou non).
Qui paie Qui fait fonctionner
7. Les conditions d'une planification raisonnable de l'écosystème urbain ou le modèle en tant qu'apprentissage : (6)
De tout ce que nous venons de dire, ressort la nécessité de confronter le modèle
considéré avec ceux des .autres acteurs sociaux et d'analyser la compatibilité qu'il y a avec les autres modèles hiérarchiques d'une part, régionaux d'autre part, avec les autres modèles sectoriels locaux de plus (relation entre la compétence, la congruence, la performance). Les écarts entre les modèles (écarts explicites et implicites)
repré-sentent les valeurs des conflits entre les groupes sociaux. La connaissance de ces
écarts est indispensable pour déclencher des procédures d'arbitrage des conflits (hiérarchiques ou non).
Les problèmes du modèle urbain qui organise la société sont caricaturaux mais les ~odèles scientifiques, de façon plus subtile, posent aussi des problèmes du même type. CONCLUSION: C'est l'enfant, dans le jeu avec autrui qui modelise le mieux le monde en
situant des règl~s et d~s degré:) de liberté de t'action ('Itricheur !"). Le jeu dt=5
modèles, de leur modification et leur apprentissage (par l'effet des feed-backs et des
scénarios) e~t essentiel chez l'adulte. Actu~llement, la question d-: la compétence des
a~teurs sociaux doit passer au deuxième plan derrière celle de la performance finale, de t'efficience du mod~le proposé pour l'ensemble de la soci~té, ou d'une partie
BIBLIOGRAPHIE
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~-UNESCO-UNEPand GKNT - Final Report nO 57, pp. 57-59.
Images et relations de sujets par rapport à
un espace commun Il