DEMARCHE VECUE DE SIMULATION EN
EPISTEMOLOGIE ET HISTOIRE DE LA CHIMIE:
LA RUPTURE STAHLILAVOISIER
MyrIam SCHEIDECKER
ChimIe - HistoIre et Eplstémologle des ScIences
Université de Nice
André DUN Y
PhilosophIe - Psychopédagogie Ecole Normale de
Bourg en Bresse
MOTS CLEfS CHIMIE-EPISTEMOLOGIE-SIMULATION-CONSTRUCTION-RUPTURE
RESUME Dans cet atelier, il s'agit de vivre en vrai, une démarche où les partici-pants (toutes compétences, tout niveau) explorent, analysent, construisent, inven tent sur la rupture épistémologique qui s'est consommée à la fin du XVIIlé~esiécle entre STAHL et LAVOISIER relat ive au rôle de l'oxygène dans l'oxydation. Cette démarche peut être apparentée à une simulation de la situation de la chiade è une époque précise. On y rentre par un jeu de rôles (avec texte) et on en sort par une problématique sur les contenus et la rupture STAHL - LAVOISIER, en passant par l'expérience d'époque.
L'objet est bien d'entrer dans une rupture épistémologique non par un cours (fût-il bon) de nature "transmissive" mais par une re-création Qui ne soit pas vécue seulement comme récréation.
9éme journées de l'E.S. de CHAMONIX situation de "simuler" cette rupture Cette démarche n'apporte pas d'exposé. Elle "installe" délibérément les auditeurs en position d'acteurs et d'auteurs, construisant des problématiques à partir de textes, d'act ions et de réflexions confrontées. Les savoirs et conceptions de chacun sont dès lors mobil isés dans une recherche personnelle et de groupe. Comment se fait la "rupture" (le processus des ruptures) entre STAHL (théorie du phlogistique feu fixé à la matière) et LAVOISIER (théorie de l'oxydation
: rôle de l'oxygéne dans la combustion) l'objectif de notre atelier "libre" des est donc de mettre les participants en épistémologique dans toute sa complexité.
Il s'agit d'un apport de la démarche de construction de savoir à une approche "re-créative" de l'histoire des sciences. Cette animation est susceptible de développer la curiosité et de faire surgir de nouvelles interrogations pour des recherches historiographiques ultérieures plus précises. la science est questionnement. Pourquoi sa pédagogie et son épistémologie seraient-elles "dogma-tiques" ?
Transmettre des résultats parait plus "économique" qu'organiser la confrontation d'hypothéses que ce soit au colloque, en formation ou avec des étudiants. Nous voulons donner sur un sujet "pointu" à réfléchir en vue de retombée méthodolo-giques à ces trois niveaux de pratique (1)
1 PROCEDURES D'ANI~TION
1er te!ps (1/2 Hà 314 H)
Iles textesde STAHl sur la théorie du phlogistique et des textes de LAVOISIER refutant cette théorie avec description des protocoles opératoires ont été distribués aux participants. La consigne étant de prendre partie et d'argumenter les uns pour la théorie du phlogist ique de STAHL et les autres pour la théorie de l'oxy-dation de LAVOISIER en vue d'une séance contradictoire à fll'Académie des Sciences" située précisément à l'époque.
2é.e teaps (1/2 H)
Au cours d'un jeu de role, des volontaires, trois "Stilhliens" se sont placés en face de trois "lavoisiens" pour défendre leur théorie respective, en simulant une séance à l'Académie des Sciences. Un débat scientifique animé s'est ainsi instauré.
Il ANALYSE OU DEBAT SCIENTIFIQUE
A la séance de CHAMONIX, les partisans de LAVOISIER ont eu le plus grand lIal à faire admettre leurs arguments aux partisans de la théorie du phlogist ique. C'est un fait que nous constatons à chaque animation i les participants peuvent se rendre compte qu' ; L n'est pas "évident" de détruire une théori.e structurée et de la remplacer par une autre, fut-elle plus "juste". De plus, au cours de cet atelier, la théorie du phlogistique a été particuliérement bien défendue par des professeurs de chimie, en place dans l'institution universitaire, historiens des Sciences, qui connaissaient bien la théorie en question. Ainsi le climat de l'époque, pour ainsi dire, s'est trouvé particuliérement bien rendu lors de ce jeu de rôle.
Le temps nous a manqué pour faire "découvrir" aux participants les étapes histo-riques du débat scientifique que nous résumons ci-dessous dans ses grandes lignes:
- D'après STAHL les corps brûlent parce qu'i ls contiennent un élément-principe porteur de La qualité "combustibi lité" ; le phlogistique. En brûlant ils perdent cet élément et se transforment en corps incombustibles (cendres, ou chaux •.• ). La calcination des métaux est une combustion
Métal - - - t "chaux" + phlogistique
le phénomène inverse est possible i en mélangeant la "chaux" à du charbon, corps particuliérement riche en phlogistique, on obtient Le métaL de départ.
"Chaux" +phlogi st ique---+ "étal.
En vase clos la combustion s'arrête car L'air se sature peu à peu en phlogistique et celui qui reste mêLé au corps combustibLe ne peut pLus s'échapper;
LAVOISIER, judicieusement, porte toute son attention sur l'augmentation du poids des chaux métalliques, lors de la ca lc inat ion des métaux. Pourquoi le résidu de la ca lcinat ion est-il plus lourd que le métal de départ, alors que ce métal a perdu une substance ; le phlogistique ?
Ce phénomène, loin d'êt re une exception comme le croyaient les partisans de
soust ract ion. de
non et d'addition
STAHL, n'est.il pas général à toutes les combustions?
LAVOISIER se met alors à peser systématiquement tous les produits avant et après la combustion y compris les gaz qui se dégagent et que Les chimistes, au dèbut, ne recueillaient mème pas. Il constate que La combustion est bel et bien un
Il y a toujours augmentation du processus
poids des produits de la transformation.
- LAVOISIER réussit à interprèter une réaction étudiée par BAYEN et SCHEELE en 1774 ; la transformation de l'oxyde de mercure à chaud:
H90~ Hg • 0
Il identifie le gaz qui se dégage "l'air vital" Ou "l'air déphlogistiqué" finalement nommé par lui oxygène. C'est la réaction inverse de la combustion. Le phlogistique est une hypothèse inutile. La chaux .étallique est un corps composé (métal + oxygène) et le métal est jusqu'à preuve du contraire, un corps si.ple.
Un corps simple c'est avec les techniques de l'époque, un corps qu'on ne peut plus décomposer :dèfinition non plus produite à priori, déduite "de la philosophie des qualités observables" mais construite comme énoncé tiré d'une "théorisation" de la pratique expérimentale nouvellement mise en place, elle-même liée à un postulat philosophique "matérialiste" implicite.
- En fait pour vaincre définitivement ses adversaires LAVOISIER en février 1785, de manière trés officielle, réalisera l'ilnalyse et lil synthèse de l'eau et entraînera, pour sa nouvelle théorie de l'oxydation,de nombreux adeptes.
III RETO~EES POSSIBlES EN fOR"ATION <des .a;tres, des chercheurs, des étudiants):
Est-ce la nouvelle prat ique expérimentale de LAVOISIER, les fai ts nouveaux qui sont à l'origine de sa nouvelle conception chimique?
Les théories ne sont pas purement et simplement les "reflets" des faits. C'est une idée nouvelle, fut-elle implicite qui est soumise au contrôle expérimental. LAVOISIER appart ient de fait au "collecti f" invisible de tous les chercheurs qui dans la dernière moitié du XVlIlème siècle travaillent à la création de nouveaux concepts: BOYLE, PRIESTLEY, SCHEELE, BAYE N, CAVENDISH ••• etc et contri-buent à la naissance de la chimie "moderne".
LAVOISIER pense partir (et même dans) la théorie des "phlogisticiens" à qui
i l rend hommage STAHL, dit-il, est un des premiers à rompre avec les éléments d'ARISTOTE puisqu'il pense que les éléments "principes" se transportent d'une substance à l'autre au cours des processus chimiques, et ont un support ...tèriel.
Mais, LAVOISIER, indocile à la pensée de ses maîtres, va plus loin qu'eux: le phlo-gistique, élément-principe porteur de la qualité "combustilibil\é" est une hypothé-se inutile que l'expérience ne confirme pas.
L'obstination qu'il met à construire une pratique expéri.entale nouvelle n'était elle pas liée à ce pilrti-pris implicite de la conservation de la matiére ? Il pense, sans le dire, que le livre de la .atière est écrit en termes quantifiables comme GAULEE pensait, en le disant, que le livre de la I\ilture l'était en termes .athé.atiques.
Cependant cet inventeur génial, non isolé (il a repris les e.périepces des autres mais en les interprêtant différemment) conservera l'hypothèse de l'élément "calo-rique" non "pesant" porteur de la qualité "gazéIU" et de l'élément "o.ygine" porteur de la qual ité "acidité", élément en tous points semblables au phlogistique. Les "à priori" implicites, philosophiques, religieux, le poids des conceptions antérieures ne continuent-ils pas de hanter toujours la "théorie" quand on croit celle-ci débarrassée de toute scorie "idéologique".
Ces réflexions et interrogations qui se découvrent autour d'un atel ier de ce genre, ont pour nous, un rôle formateur, en ~ducationscientifique.
NOTES
(1) Cette dé.arche (selon la ter.inologie du GFEN à qui elle est e.pruntée) a été co-ani.ée in extenso pour la pre.ière fois à l'Université d'été du GFEN à GRENOBLE, dans les locaux de chi.ie de l'Univesité, en jui llet 1986. Co.pte-tenu du peu de te~s disponible, seule la pre.ière phase a été ani~e aux J.E.S.
