ARTheque - STEF - ENS Cachan | Analyse comparative du traitement de l'information sur l'Environnement dans quatre journaux européens

DE L'INFORMATION SUR L'ENVIRONNEMENT

DANS QUATRE JOURNAUX EUROPEENS.

Christine DASNOY, Marc MORMONT

Fondation Universitaire Luxembourgeoise, Arlon, Belgique.

MOTS·CLES : PRESSE - ENVIRONNEMENT - EUROPE

RESUME: L'analyse comparative de quatre journaux européens permet de rencontrer des points de vue différents, abordant l'environnement selon des critères nationaux propres traduits dans chacun des journaux. Elle permet en outre de déterminer la formation d'enjeux nationaux relatifs à

l'environnement, tant au niveau économique que politique. Cette image fournie par les médias tendà

créer au plan national un climat d'opinion influençant la formation de l'opinion publique.

SUMMARY : Comparative analysis of four european newspapers leads to evidence of different prospects, each paper treating environment according to national bias. This analysis reveals that information contributes to build national representations of environmental- political and economic as weil - problems. This representation, generated by medias, is supposed to be one of the sources of different public opinions about environment arnong european countries.

1. INTRODUCTION

La communication qui suit constitue une première étape d'une recherche qui porte sur la formation de l'opinion publique européenne en matière d'environnement.

L'opinion publique, souvent considérée comme la source des politiques menées par les états ("sous la pression de l'opinion publique..."), peut être analysée comme le résultat d'un ensemble d'actions d'information qui sont dirigées vers les citoyens. Sans entrer ici dans les hypothèses théoriques qui sous-tendent ce point de vue, on remarquera que l'opinion du citoyen est au moins en partie conditionnée par l'information dont il dispose, par le crédit qu'il accordeà cette information, par la manière dont cette information est structurée, et par le poids relatif des différentes sources d'information auxquelles il a accès.

Les problèmes d'environnement ont une dimension européenne prononcée dans la mesure non seulement où ils touchent les différents pays d'Europe, mais aussi parce que les institutions européennes jouent un rôle non négligeable dans la définition et l'avancement des politiques nationales d'environnement: la CEE comme source de réglementations et de travaux scientifiques et techniques, le Parlement Européen comme lieu de débat et comme acteur du jeu politique européen, notamment; de plus, à propos d'un certain nombre de questions internationales, la CEE constitue elle-même un interlocuteur important.

Si l'on dispose de sondages comparant les opinions publiques européennes quant à

l'environnement (euro-baromètre par exemple), ces données ne livrent que l'état momentané de l'opinion, mais ne livrent aucune explication pertinente des différences observées, saufà se rabattre sur des lieux communs qui opposeraient le Nord et le Sud, etc. L'analyse de la presse constitue un biais d'approche explicative dans la mesure où la presse constitue à la fois un médiateur de l'information et un acteur de l'information: elle reflète le poids relatif des différentes sources d'information d'une part, elle agit elle-même comme source ou comme filtre de l'information. Comparer la presse des différents pays d'Europe est cependant une tâche immense, puisqu'il faudrait comparer toutes les formes de presse écrite, tous les journaux, mais aussi la presse audio-visuelle, voire la presse spécialisée (écologique, scientifique, etc.). Pareille tâche déborde largement les capacités d'une équipe de recherche aux moyens limités. Aussi, dans une perspective exploratoire avons-nous opté pour une comparaison de cinq journaux dans cinq pays d'Europe (même si cette note ne se rapporte qu'à quatre d'entre eux).

Les journaux choisis l'ont été en fonction des critères suivants: - journauxirnportants dans leur pays;

- journaux d'audience nationale;

- journaux destinésàun grand public mais plutôt intellectuel que populaire.

Ce choix reste cependant approximatif tant il est vrai qu'on ne peut pas comparer Le Monde au Soir vu la dimension des pays concernés, ni le Frankfurter avec El Pais, parce que les structures du marché de l'information ne sont pas comparables.

En dépit de toutes ces restrictions,ilnous a semblé possible de comparer ces quatre jouL,aux afIn d'examiner les modes différents de traitement de l'information dans ces quatre organès de presse. Par traitement de l'information on peut entendre beaucoup de choses. Dans le cadre de cette communication nous nous limiteronsàdeux aspects :

- une comparaison quantitative de l'approche de l'environnement. Ayant suivi toute cette presse durant six mois, on dispose d'environ 1700 articles recensés dans lesquels des problèmes d'environnement sont pris en compte. Ceci pennet une approche assez grossière mais peninente du poids de l'environnement dans l'information;

- une comparaison plus qualitative de la manière dont un thème a été traité. Nous avons choisi la question des changements climatiques, et de leurs causes (C02, CFC) d'une part parce qu'ils ont fait l'objet d'événements durant cette période, et d'autre part parce qu'il s'agit de faits qui ont une dimension internationale telle que la comparaison de plusieurs journaux est facile et efficace.

Ce document est une première étape de recherche qui sera complétée par d'autres analyses dans les mois qui viennent.

2. COMPARAISON QUANTITATIVE

La comparaison suppose des critères clairs et homogènes qu'il est bien difficile de détenniner en ce qui concerne des organes de presse qui diffèrent sur beaucoup de points cruciaux.

L'importance des questions d'environnement dans chacun des journaux peut d'abord être évaluée en termes de nombre d'articles recensés. De ce point de vueLe Soir l'emporte largement avec plus de 600 articles durant cette période de six mois, alors que les autres se situent entre 350 et 400. Maiscetteobservation peut être largement nuancée par deux effets particuliers :

- un effet structurel: au début de la période considérée,LeSoir, journal national francophone principal, met en place une stratégie de "régionalisation" en créant des rubriques par sous-régions (Bruxelles et les provinces wallonnes) suivant en cela l'évolution d'un marché où seuls les journaux régionaux connaissent une croissance. Cela aboutit en l'occurrenceàun poids nettement plus imponant des articles d'environnement régional que dans Le Monde et FAZ qui ont un caractère très national (276 articles dans les rubriques régionales pour le Soir contre 75 pourLe Monde et 27 pour FAZ);

- un effet conjoncturel car cette période est une période pendant laquelle deux questions d'environnement s'imposent comme importantes : d'une part le gouvernement régional wallon propose une consultation publique sur un plan de gestion des déchets, d'autre part une taxation de l'eau est aussi en discussion, taxation destinéeàfinancer un plan de gestion des eaux usées.

Ces deux effets se renforcent du fait que le plan des déchets est aussi un plan de localisation des décharges et celles-ci suscitent pas mal d'oppositions locales qui vont se retrouver dans les pages régionales du Soir.

Lescore flatteur du Soir résulte effectivement bien d'un poids important de la question des déchets(ISOarticles pour 77 au FAZ, 37 à El Pais et 8 au Monde) et des questions régionales (45+296pourle Soir contre 200 à El Pais, 27 au FAZ et 75 au Monde).

TI est vrai que certains faits régionaux interviennent aussi dans le cas du Monde (avec les impacts du TGV, par exemple, en matière de protection de la nature notamment).

Cet exemple nous montre que ce type de comparaison n'a guère de sens en lui-même, carilest trop influencé par des facteurs conjoncturels qui tiennent à l'actualité de chacun des pays ou à des caractéristiques propres à chaque journal.

Dans la même ligne, on peut par exemple observer que Le Monde consacre une part significativement plus importante d'information aux problèmes énergétiques: ceci est finalement lié à un nombre important d'informations concernant la sécurité nucléaire, problème à la fois conjoncturel (les doutes grandissent parmi les experts, etil y a débat en France) et structurel (du fait de l'importance du nucléaire en France, bien que le pourcentage d'énergie nucléaire soit similaire en Belgique).

De même la question de la réunification allemande et les questions d'environnement en RDA sont évidemment très développées dans le FAZ, et n'apparaissent pratiquement pas dans les autres pays.

Cependant des points de comparaison sont possibles. Le Soir et El Pais sont les plus attentifs aux problèmes régionaux (graphique Gl) comme on l'a déjà signalé, tandis queLe Monde et FAZ traitent plus de problèmes nationaux. Le Monde et FAZ traitent plus volontiers des problèmes d'environnement des autres pays, tandis que El Pais et le Soir privilégient plus les questions internationales. Ceci tient sans doute à l'orientation des journaux eux-mêmes, plus qu'à une manière différente de traiter d'environnement.

Sur le plan des thèmes, si on écarte les effets conjoncturels évoqués plus haut, (déchets et eau pour le Soir, énergie pourLe Monde, réunification pour FAZ), on peut observer (en se référant au graphique G2) :

- l'importance de la question de la nature (c'est à dire des parcs et zones naturelles) dans El Pais. Ceci renvoie largement à un problème sensible en Espagne. Même importance de la question des espèces protégées et des questions de déchets liées à des activités spécifiques;

- l'importance plus grande des questions de pollutions de l'air pour FAZ et le Soir, ce qui résulte soit d'une grande importance de ces pollutions dans ces pays, soit d'une plus grande attention aux débats surleC02 et les CFC dont on va parler.

Ces phénomènes peuvent en fait être attribués en bonne partieà l'importance relative de ces problèmes dans les différents pays.

Par contre il est important de signaler l'opposition entre l'importance économique de l'environnement dans FAZ, (rubrique éco. mais aussi produits et techniques propres) et l'importance politique qu'il a dansLe Monde (renforcé par le fait qu'il a été question des débats politiques autour du Plan National de l'Environnement - rubrique "plan env" dans le graphique). Ceci traduit sans doute des approches différentes, qu'on pourra vérifier par la suite.

En résumé, ce bref aperçu quantitatif ne nous indique pas des différences qui puissent clairement être attribuées à des différences de style ou d'option journalistique. Elle révèle seulement:

- des effets importants de conjoncture qui tiennent à ce que les problèmes d'environnement sont, à un moment donné, très différents en importance dans chaque pays;

- des effets qui tiennent aux caractéristiques des journaux qui accordent une importance relative aux questions locales et régionales.

Onpeut seulement faire l'hypothèse que chaque journal a une perception propre de certains aspects des questions d'environnement (politique vs économique) mais cela ne peut être vérifié que par une analyse plus fme des thèmes environnementaux traités.

Graphique G1 1 • LaMonde 0 FAZ. 300 250 200 150 100 50 0 a b c d e 1:5El Pais • Le Soir 1 9 h

a : problèmes nationaux d'un pays étranger b : problèmes internationaux

c : problèmes européens d : problèmes nationaux

e : problèmes régionaux wallons pour la Belgique f : problèmes en RDA

g : problèmes relatifs aux relations RFA/RDA h : problèmes régionaux et locaux

Graphique G2

1_

0

8

Déchels Air Eau Transp Energie prad lech nalu re dvpt

140 120 100 80 60 40 20

o

espèces agric plan env écon

3. ANALYSE DE CONTENU

pol unit ail déchets général div

3.1. Acteurs

Les journaux privilégient leur rôle de médiateur entre deux sources principales,à savoir les politiques et les scientifiques. C'est de ceUe médiationàlaquelle ilfaut ajouter les références fréquentesà divers mouvements écologiques que l'on peut déduire la position du journal.

La citation de ou la référenceàdes scientifiques permet non seulement de compléter certaines informations mais aussi et surtout sertàconfirmer l'urgence de mesuresà prendre ouàcritiquer, indirectement, la lenteur des décisions politiques.

Demanière générale, sont pris en considération des groupes politiques structurés sur la scène internationale, de même que des personnalités reconnuesàce niveau (Tolba, Manea di Ripa), ou encore, plus spécifiquement dans le cas du FAZ de groupes ou personnalités politiques légitimés au niveau national (Ministres Topfer et Hausmann).

La référenceàdes groupes institutionnalisés au niveau international reste également majoritaire en ce qui concerne les scientifiques (IPCC), avec cette même particularité pour le FAZ qui cite des

groupes nationaux (Académie Allemande du Bundestag). El Pais fait ici un peu figure d'exception dans la mesure où cenains articles sont directement signés par des scientifiques.

Si le journal prend rarement position sur le sujet,ilsignifie toutefois celle-ci par l'intennédiaire d'un troisième groupe, auquel est reconnu implicitement le rôle de groupe de pression. Il s'agit des mouvements écologistes en général et de Greenpeace en particulier. Les citations et références fréquentesàGreenpeace, privilégié par rappon aux autres groupes, sont assez significatives dans la mesure où sa constitution en groupe international reconnu lui donne un statut analogueà celui des acteurs politiques et scientifiques.

C'est donc par l'intermédiaire de ces trois groupes que le journal se positionne, notamment en regard des débats des grandes conférences.

Signalons toutefois que le Soir opte pour une prise de position plus directe: deux anicles de commentaires soulignent en effet une cenaine forme d'inanité de ces conférences. Il sont tous deux signés par la même journaliste, spécialisée en environnement. Signant quelques rares anicles de commentaires, son intervention se rapproche de celle des scientifiques, étant elle-même journaliste spécialisée et reconnue comme telle (prix du journalisme de l'environnement en 86).

3.2. Débats et opinions

D'une manière générale, on note que le journal traduit la position de son pays en matière d'environnement, plus précisément ici sa position relative aux gazà effet de serre etàla protection de la couche d'ozone.

On peut en effet établir une corrélation entre celle-ci et le choix des rubriques sous lesquelles les anicles sont édités, le choix des informations transmises ou encore les commentaires apponés. Il apparaît ainsi que le journal se fait non seulement le médiateur de la politique nationale de son pays mais qu'il se fait aussi médiateur dans la fonnation d'enjeux politiques ou économiques en rappon aux deux sujets traités.

Il est en effet remarquable de constater que 24 des35 anicles du FAZ figurent dans les pages "politique" ou "économie". Ce que l'on ne retrouve dans aucun des trois autres journaux qui optent davantage pour des rubriquesàcaractère général.

Au travers du suivi de l'information sur les débats politiques nationaux relevant de ces deux thèmes, FAZ intègre la formation d'un enjeu politique au sein du gouvernement, l'incitant par ce biais

àdevenir enjeu politique pour ses lecteurs.

On ne retrouve ce choix dans aucun des trois autres journaux qui inscrivent le débat dans sa dimension générale et internationale. Cet enjeu politique clairement traduit par FAZ se rapproche sans conteste de la position que se voit reconnaître l'Allemagne en la matière, tant au niveau européen qu'international, devançant ses panenaires par des mesures plus strictes de restriction. Cette place de "précurseur" n'est pas sans rappon avec l'enjeu politique créé au niveau national, celui-ci en étantàla fois la cause et l'effet.

Par ailleurs, le débat européen ou la confrontation Europe-USA n'apparaissent que dans FAZ ou El Pais. Tous deux rendent compte et commentent longuement la position des Etats-Unis freinant

les mesures de réduction de C02 ou la création d'un fonds international pour aider les PYDà mettre en place des produits et techniques de substitution aux CFC.

Cette similitude dans le choix du débat relaté traduit toutefois des différences. L'Allemagne tend ici à affirmer sa position forte sur la scène internationale où l'enjeu politique rejoint l'enjeu économique. L'Espagne, quantàelle, dévoile dans ce débat un enjeu national, traduisant au niveau européen une position proche des pays du sud au niveau international. Ainsi, la critique sous-jacente de la politique américaine par le FAZ s'intègre dans la volonté de l'Allemagne de se définir comme le pays qui va plus vite et plus loin, alors que pour l'Espagne, il s'agit de mettreà jour les implications économiques au niveau national engendrées par des mesures drastiques.

El Pais situe, pourrait-on dire, l'Espagneàla croisée des chemins,à la fois en faveur d'une action rapide, eu égards aux conséquences des changements climatiques dans les pays du tiers-monde et en Espagne, mais aussi freinée par les coûts de reconversion.

Les enjeux économiques définis indirectement dans El Pais apparaissent par contre clairement dans FAZ et sont corollaires des enjeux politiques. Il y est en effet largement donnée la paroleà des associations industrielles ou économiques, insistant par ce biais sur l'intérêt financier de mesures politiques avancées au niveau national.

Enfin, dansLeSoir et dans Le Monde, il n'est jamais question de débat politique national ou européen.Larelation des grandes conférences internationales traduit un enjeuà ce niveau, insistant sur la dimension globale des mesuresà prendre. L'information scientifique porte sur les groupes de recherche internationaux ou expéditions chargées d'étudier le climat. Il n'est par contre jamais fait mention de la recherche en matière de produits de substitution, ni de l'intérêt économique de pouvoir disposer rapidement de tels produits sur le marché international.

Toutefois, inscrivant le thème dans sa dimension internationale, Le Soir comme Le Monde soulignent la participation respectivement de la Belgique et de la France aux grandes conférences ou aux groupes de recherche internationaux. On peut en outre remarquer que Le Monde, dans sa relation de la création d'un fonds d'aide international aux PYD, passe sous silence le débat opposant les Etats-Unis et l'Europe, alors qu'il insiste sur la participation financière de la Franceà ce fonds. Ainsi, par ce biais,ilsitue la France parmi les nations donatrices et conscientes de la portée internationale des mesuresàprendre.