Université Paris II- Panthéon-Assas
école doctorale de droit privé
Thèse de doctorat en Droit
soutenue le 26 novembre 2019
Les principes directeurs du droit du travail
Simon RIANCHO
Sous la direction de : Jean-François CESARO
Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)
Membres du jury :
Cécile CHAINAIS
Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II) Membre de l’Institut universitaire de France
Alexandre FABRE
Professeur à l’université Paris-Nanterre (Paris X)
Pascal LOKIEC
Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Antoine LYON-CAEN
Professeur émérite de l’université Paris-Nanterre (Paris X)
T h è se d e D o c to r a t / 2 6 n o v e m b r e 2 0 1 9
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
I
Avertissement
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
III
Remerciements
Je tiens spécialement à faire part de ma profonde reconnaissance au Professeur Jean -François
Cesaro qui a accepté, bien qu’il ne m’ait pas eu comme étudiant, de me suivre dans mon
travail de doctorat. Son suivi, son soutien, et ses conseils ont été sans failles.
Merci infiniment.
Je sais gré aux Professeurs Cécile Chainais, Alexandre Fabre, Pascal Lokiec et Antoine
Lyon-Caen, d’avoir accepté de siéger dans mon jury. C’est un honneur et une joie de pouvoir
échanger avec chacun d’entre eux sur mon travail.
J’ai aussi une pensée toute particulière pour ma famille. Spécialement pour mes parents et
grands-parents, mes frères et sœurs, et bien sûr pour ma femme, Cassandre, qui
m’accompagne au quotidien et qui, par sa présence, a assurément contribué à la réalisation
de ce travail.
Je dois tant à chacun de vous… Merci, vraiment.
Enfin, que les membres du laboratoire de droit social de l’université Paris II, et
particulièrement mes amis les plus proches, soient aussi remerciés. Leur compagnie,
ponctuée d’échanges et de rires, a fait de ces années de thèse de belles années.
V
Au Professeur Jean-François Cesaro
À mes parents
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
VII
Résumé
La référence aux principes est fréquente en Droit. Au sein de cette vaste catégorie juridique – qui
n’est pas parfaitement homogène –, une place particulière doit être faite aux principes qualifiés de
directeurs. Après leur émergence au sein des matières processuelles, et en premier lieu en
procédure civile, ceux-ci se développent dans bien d’autres branches du Droit, y compris en droit
du travail.
Les mutations du droit positif, rapides et nombreuses, qui marquent cette matière, n’interdisent
nullement l’identification, en son sein, de structures stables autour desquelles les règles
s’établissent.
Cet ordonnancement du droit, dérivé de trois principes directeurs cadres sur lesquels sont adossés
treize principes directeurs d’application, offre une vision panoramique du « système » formé par le
droit du travail qui, non seulement, permet une présentation pédagogique mais aussi, pourrait
s’avérer profitable d’un point de vue pratique.
Ainsi, à partir des principes directeurs de direction institutionnelle, de participation collective et de
sécurité individuelle, complétés par les principes directeurs d’application afférents, il est
envisageable de décrire le droit positif et ses transformations, mais aussi d’opérer une mise en
parallèle avec le droit supranational et les droits étrangers.
Les principes directeurs peuvent aussi, dans une mesure qu’il convient de bien déterminer,
participer à la construction du droit du travail. Ils offrent des réponses aux « cas difficiles », et
permettent de suggérer des propositions de droit prospectif.
Compte tenu de ces fonctions, ils suscitent naturellement la tentation d'une codification à laquelle il
n'est guère certain qu'il faille succomber.
Descripteurs : Droit du travail – Fondement – Norme – Origine – Principe – Principe directeur –
Règle – Source – Structure
Abstract
Reference to principles is common in law. Within this broad legal category – which is not wholly homogeneous –, a special attention needs to be paid to guiding principles. After their emergence, in first place in civil procedure, these develop in other branches of law, including in labour law.
The rapid and numerous changes in positive law, which apply in this area, do not forbid, within this matter, the identification of stable structures around which rules are established.
This ordering of labour law, derived from three framework guiding principles to which thirteen application guiding principles are attached, provides a panoramic view of the “labour law system”. This not only allows a pedagogic presentation of labour law, but also could prove beneficial from a practical point of view. Thus, from the guiding principles of institutional direction, collective participation, and personal security, complemented by the associated application guiding principles, it becomes conceivable to describe the positive law and its transformations, as well as establishing a parallel with the supranational law and the foreign laws.
To an extend to be determined, these guiding principles may also be used to participate to the building of labour law. They bring responses to “hard cases” and allow to suggest proposals for prospective labour law. Considering these functions, they understandably give rise to the temptation of codification, to what it is hardly certain that we must succumb.
Keywords : Labour law – Foundation – Founding principles – Guiding principle – Norm – Origin – Principle– Rule – Source – Structure
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IX
Principales abréviations
act. : actualité
Adde. : Addenda, « choses à ajouter »
AJDA : Actualité juridique de droit administratif AJ pénal : Actualité juridique de droit pénal
al. : Alinéa
ANI : Accord national interprofessionnel
Arch. phil. dr. : Archives de philosophie du droit (Dalloz)
Art. : Article Ass. : Assemblée
ass. plén. : Assemblée plénière
BICC : Bulletin d’information de la Cour de cassation BJT : Bulletin Joly travail
Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelle CA : Cour d’appel
Cah. Cons. const. : Cahiers du Conseil constitutionnel
Cahiers de l’IRT : Cahiers de l’Institut régional du travail (Université de la Méditerranée) Cahiers DRH : Les cahiers du DRH
CASF : Code de l’action sociale et des familles Cass. : Cour de cassation
Cass. civ. : Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com. : Chambre commerciale de la Cour de cassation Cass. crim. : Chambre criminelle de la Cour de cassation Cass. soc. : Chambre sociale de la Cour de cassation CE : Conseil d’Etat
Cf. : Confer Ch. : Chapitre chron. : Chronique
CJCE : Cour de justice des Communautés européennes CJUE : Cour de justice de l’Union européenne
comm. : Commentaire
Comptrasec : Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale
concl. : Conclusions cons. : Considérant
Cons. constit. : Conseil constitutionnel
Convention EDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales
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X Cour EDH : Cour européenne des droits de l’Homme CSS : Code de la sécurité sociale
D. : Recueil Dalloz
DDHC : Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
Defrénois : Répertoire du notariat Defrénois
dir. : Direction
Dr. et patr. : Droit et patrimoine
Droits : Droits ; Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques Dr. ouvr. : Droit ouvrier
Dr. trav. : Revue Droit du travail et de la Sécurité sociale Dr. soc. : Droit social
éd. : Édition et. al. : Et autres Fasc. : Fascicule
Gaz. Pal. : Gazette du palais ibid. : Ibidem
in. : Dans infra : Ci-dessous
JDI : Journal du droit international (Clunet) J.-Cl. : Juris-Classeur
JCP E : Juris-Classeur périodique, édition entreprise et affaire JCP G : Juris-Classeur périodique, édition générale
JCP S : Juris-Classeur périodique, édition sociale JO : Journal Officiel
JSL : Jurisprudence sociale Lamy Lebon : Recueil Lebon
LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA : Les Petites Affiches
n° : Numéro not. : Notamment
Nouv. Cah. Cons. : Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel
obs. : Observations
OIT : Organisation internationale du travail
op. cit. : Opere citato
Part. : Partie p. : Page
panor. : Panorama
précit. : Précité
préf. : Préface
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XI pub. : Publication
PUF : Presses universitaires de France Rappr. : Rapprocher de
RDC : Revue des contrats RDI : Revue de droit immobilier
RD publ.: Revue du droit public et de la science politique RDSS : Revue de droit sanitaire et social
RDT : Revue de droit du travail
rééd. : Réédition. réimp. : Réimpression.
Req. : Cour de cassation, chambre des requêtes
Rev. arb. : Revue de l’arbitrage
RFDA : Revue française de droit administratif RFDC : Revue française de droit constitutionnel RHD : Revue historique de droit français et étranger RID comp. : Revue internationale de droit comparé RIEJ : Revue interdisciplinaire d’études juridiques RIT : Revue internationale du travail
RJS : Revue de jurisprudence sociale
RRJ : Revue de la recherche scientifique, droit prospectif RSC : Revue de science criminelle et de droit pénal comparé RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial RTD eur. : Revue trimestrielle de droit européen RTDH : Revue trimestrielle des droits de l’Homme S. : Recueil Sirey
s. : Suivant(e)s
SSL : Semaine sociale Lamy
SLC : Société de législation comparée
somm. : Sommaire spéc. : Spécialement
supra : Ci-dessus
t. : Tome
TPS : Travail et Protection sociale
trad. : Traduction v. : Voir
XIII
« Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile,
s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade,
risque d’oublier quelle étoile le guide.
S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part ».
A. de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, Gallimard, coll. Folio, 2007, p. 65.
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XV
Sommaire
Partie 1 : La détermination des principes directeurs du droit du travail
Titre 1 : La caractérisation des principes directeurs du droit du travail
Chapitre 1 : Un concept Chapitre 2 : Un domaine
Titre 2 : L’identification des principes directeurs du droit du travail
Chapitre 1 : Les principes directeurs cadres Chapitre 2 : Les principes directeurs d’application
Partie 2 : L’utilisation des principes directeurs du droit du travail
Titre 1 : La description du droit
Chapitre 1 : La description sans comparaison Chapitre 2 : La description par comparaison
Titre 2 : La construction du droit
Chapitre 1 : Les principes comme desseins de la construction Chapitre 2 : Les principes comme moyens de la construction
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Introduction
« il n’y a donc rien de plus nécessaire dans les sciences, que d’en posséder les premiers principes »
« on connait comment une chose est faite, si voyant comment elle est faite, on découvre à quoi sa structure peut se rapporter »
J. Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, éd. J.-B. Coignard (Paris), 1689, t. 1, Chapitre I, p. III et IV.
1
. Ordre. 1689 : année de publication des Loix civiles dans leur ordre naturel de
Jean Domat
1. Lier ordre et Droit n’est guère surprenant : le Droit ordonne ce qui doit être
2.
Mais ce n’est pas ce rapport qui est au fondement du travail de Domat : pour lui, le Droit
lui-même tend à être appréhendé de manière ordonnée.
Dès l’époque romaine
3, le Corpus Iuris Civilis révèle un effort de présentation
ordonnée du Droit
4– bien qu’elle fut sommaire
5. Quelques siècles plus tard, « la
1
Par cet écrit et ses « Quatre livres du droit public, […] c’est l’ensemble du droit français que le jurisconsulte du siècle de Louis XIV se donne comme tâche de présenter, selon un plan systématique dont il pense trouver les principes premiers dans la loi fondamentale de l’amour qu’énoncent les Évangiles » (Dictionnaire des grandes œuvres juridiques [sous la dir. de O. Cayla et J.-L. Halpérin], Dalloz, 2010, v. « Jean Domat. Les loix civiles dans leur ordre naturel », par M.-F. Renoux-Zagamé, spéc. p. 134).
Adde. Domat fut « l’un des premiers à avoir vu et démontré que le fait de rassembler et d’articuler les
normes en un tout, constituait une mutation essentielle, non seulement du mode d’exposition des règles, mais aussi, dans le même mouvement, des méthodes d’interprétation du droit » (Dictionnaire des grandes
œuvres juridiques [sous la dir. de O. Cayla et J.-L. Halpérin], op. cit., p. 135). Pour approfondir sur
Domat, v. infra § 437.
2
L’ordre et le Droit sont étroitement liés. L’étymologie le révèle : en effet, l’ordre est « une des notions cardinales de l’univers juridique et aussi religieux et moral des Indo -Européens ; c’est l’ "Ordre" qui règle aussi bien d’ordonnance de l’univers, le mouvements des astres, la périodicité des saisons et des années que les rapports des hommes et des dieux, enfin des hommes entre eux » (E. Benveniste, Le vocabulaire
des institutions indo-européennes, t. 2 [Pouvoir, droit, religion], Les Éditions de Minuit, 1969, p. 100). Le
droit « vient ordonner, dans le sens d’une combinaison harmonieuse, les intérêts et les activités de tous les membres du groupe » (souligné par nous ; J. Dabin, Théorie générale du droit, Dalloz, 1969, § 107). Plus encore, selon le Professeur Rouland, « le contrôle social opéré par le droit dans l'ordre du vécu a pour objet de gérer les conflits qui peuvent résulter de cet état de fait, soit en restaurant l'ordre initial, soit en en créant un nouveau, cela en respectant du mieux possible les princip es contenus dans l'ordre idéal » (N. Rouland, Anthropologie juridique, PUF, 1988, p. 192). Ainsi, le Droit « s’apparente […] à l’épure d’une fonction, primordiale et universelle : contrôler la survenance du désordre social selon un principe
d’ordre traduit en normes de comportement ou en règles d’organisation » (L. Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, Nathan, 1996, p. 60).
3 Et même antérieurement au droit romain, les prémices d’un ordonnancement du droit peu vent être décelées dans certains travaux. Ainsi du Code de Hammourabi. Selon J. Gaudement, il est qualifié « abusivement de "Code" », sauf « si l’on entend par "code", de façon très vague et très génér ale, un ensemble de dispositions législatives assez considérable » (J. Gaudemet, Les naissances du droit. Le
temps, le pouvoir et la science au service du droit, LGDJ, 4ème éd., 2016 [réimp.], p. 5). Il n’en demeure pas moins qu’il y avait une certaine organisation (J. Gaudement, ibid., p. 7-8).
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
redécouverte du droit de Justinien [ouvrit] une ère nouvelle » dans le champ du droit
canonique
6. À partir du XI
èmesiècle
7, les textes romains seront appréhendés de
manières diverses – les méthodes, les courants, les écoles furent pluriels. Au sortir du
Moyen-Âge, les juristes ont tenté de renforcer l’ordonnancement du Corpus Iuris
Civilis, en attribuant au droit romain une tournure systématique qu’il ne possédait
pas
8. Ainsi au XVI
èmesiècle, l’humanisme systématique
9, influencé par le
rationalisme, fut « soucieux de regrouper les textes du Corpus Iuris Civilis en un
ensemble cohérent et logique, autour de thèmes d’inspiration philosophique »
10.
Hugues Doneau, en France, inscrivit ses travaux dans ce cheminement
11. Son
4
Le Code, qui n’était pas la première codification romaine (l’avait précédé le Code théodosien, par exemple), « regroupe par matière, en 12 livres, subdivisés en titres, des fragments de constitutions impériales […]. Dans chaque titre, les textes sont rangés par ordre chronologique » (Dictionnaire de la
culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], PUF-Lamy, 2003, v. « Corpus Iuris Civilis ») ; sur la codification, v. aussi M. Bretone, Histoire du droit romain, éd. Delga, 2016, p. 335 et s. Le Digeste, quant à lui, est composé de « 9 142 fragments d’œuvres des juristes classiques […]. Ces fragments sont groupés selon leur sujet en 50 livres, subdivisés en titres » (Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], ibid.).
5
L’ordonnancement du Droit dans ces œuvres était limité (v. M. Bretone, ibid., p. 360-361). Cela a amené certains auteurs à le qualifier d’ « ensemble factice » (Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], ibid., v. « Corpus Iuris Civilis »). Adde. Outre le Code et le Digeste, il y avait aussi les Institutiones, « un ouvrage puisé en grande partie dans un travail antérieur de Gaïus et rédigé par trois jurisconsultes qui avaient été chargés par l’empereur de développer les Premiers Principes du droit. "Quels sont-ils ?" À cette question, posée au début de l’ouvrage précité, est apportée la réponse suivante : "Les préceptes du droit se réduisent à trois principaux : vivre honnêtement, ne léser personne, rendre à chacun ce qui lui appartient" » (J.-L. Sourioux, « Le concept de principe général », in Écrits du Professeur
Jean-Louis Sourioux. Par le droit, au-delà du droit, LexisNexis, 2011, p. 187, spéc. p. 188).
6
Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), ibid., v. « Corpus Iuris Canonici (Compilations canoniques et codifications plus récentes) ». Adde. Entre temps, l’idée d’un droit systématique n’a pas été totalement éteinte (v. Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], ibid., v. « Corpus Iuris Canonici (Compilations canoniques et codifications plus récentes) »).
7
Pour une présentation de l’influence du droit romain , v. not. J. Krynen, Le théâtre juridique. Un histoire
de la construction du droit, Gallimard, NRF, 2018, spéc. la première Partie de l’ouvrage.
8
La réception du droit romain va être « un facteur déterminant de la rationalisation générale du droit » (J. Freund, « La rationalisation du droit selon Max Weber » : Arch. phil. dr., 1978, t. 23, p. 69, spéc. p. 79).
9
L’un des courants de l’humanisme juridique, avec « l’humanisme historiciste » et « l’humanisme des praticiens du droit » (Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], op. cit., v. « Humaniste (Jurisprudence) »).
10
Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), PUF, 1ère éd., 2003, v. « Humaniste (Jurisprudence) ».
11
Il eut « recours à une nouvelle méthode d’exposé, destinée à embrasser l’ensemble du droit romain et consistant à lui restituer sa cohérence en mett ant à jour ses fondements rationnels, et, à partir de ces fondements, à le réordonner de manière logique et systématique » (Dictionnaire historique des juristes
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
influence s’opéra au-delà des frontières, aux Pays-Bas et en Allemagne notamment
12,
pour ensuite agir par rétroaction sur la doctrine française. En inspirant les juristes de
ces terres (Grotius au premier chef), « les idées de Doneau se sont insinuées dans ce
qui allait devenir le courant dominant dans la doctrine juridique européenne des
XVII
eet XVIII
esiècles : l’École du droit naturel »
13.
L’idée du droit naturel est alors appréhendée comme l’ « expression de la raison en
l’homme »
14, et l’École du droit naturel – bien qu’elle ne forme pas un courant de
pensée monochrome et pleinement cohérent
15–, a comme « projet épistémologique
[celui] d’une "science du droit" placée sous le signe de la rationalité »
16, afin de
« donner à l’univers juridique une forme rationnelle et systématique »
17. C’est dans la
suite de cette démarche que Domat entendit présenter les lois civiles « dans leur ordre
v. « DONEAU (Donellus) Hugues »). Que le Professeur Pfister soit ici remercié pour le temps qu’il a accepté de me consacrer lors du début de mon travail de doctorat, afin de me donner quelques indications historiques, et notamment en insistant sur la pensée de Doneau. Adde. « paradoxalement […], ce juriste oublié, est sans doute l’un de ceux qui ont le plus contribué à l’édification du droit français moderne » (J.-L. Thireau, « Huges Doneau et les fondements de la codification moderne » : Droits, 1997, n° 26, p. 81, spéc. p. 100). Le même auteur explique que de sa vision « rationaliste et subjectiviste du droit romain est né pour une grande part le droit moderne » (Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], op. cit., v. « Humaniste (Jurisprudence) »). Néanmoins, Doneau « n’a été ni le seul, ni même le premier à chercher à donner du droit romain un exposé systématique. Connant, Le Douaren, Baron, ses collègues de Bourges, l’avaient déjà précédé dans cette voie » (J.-L. Thireau, ibid., spéc. p. 84).
12
J.-L. Thireau, ibid.., spéc. p. 98.
13
J.-L. Thireau, ibid., spéc. p. 99.
14
Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), op. cit., v. « École du droit naturel moderne et rationalisme juridique (XVIIe-XVIIIe) ».
15
Pour approfondir, v. les propos du Professeur Goyard -Fabre dans la note du Dictionnaire de la culture
juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), op. cit., v. « École du droit naturel moderne et
rationalisme juridique (XVIIe-XVIIIe) ».
16
Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), op. cit., v. « École du droit naturel moderne et rationalisme juridique (XVIIe-XVIIIe) ».
17
Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), op. cit., v. « École du droit naturel moderne et rationalisme juridique (XVIIe-XVIIIe) ». Le Professeur Frydman a pu expliquer que « pour construire le droit naturel, on partira d’un petit nombre de propositions absolument sim ples et évidentes (les axiomes) et on les combinera dans des démonstrations formelles pour en déduire progressivement toutes les règles. L’ensemble formera un système univoque ( sans ambiguïté), cohérent (sans contradiction) et complet (sans lacune) à l’image d’un système logique » (B. Frydman, Les
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
naturel », et les codifications napoléoniennes en seront, dans une certaine mesure
18,
un écho
19. Ce fut aussi le cas d’autres codifications qui suivront
20.
Depuis 1804, la manière dont les juristes ont appréhendé le Droit ne fut guère
uniforme. Ainsi, l’école dite de l’exégèse
21et la méthode de la libre recherche
scientifique
22ont pu s’opposer ; les positions positivistes et jusnaturalistes cohabitent
sans discontinuer
23. Pour autant, et malgré les transformations ayant affecté le Droit
depuis le début du XIX
èmesiècle, les juristes, dans toute leur diversité, restent
attachés à la quête d’un certain ordre au sein du Droit : il y a un « appel à
l’organisation dans le jeu même du droit positif »
24. La référence commune à la
18
Il ne faut pas omettre l’influence, dans l’élaboration du Code civil, des coutumes et l’élaboration d’un « droit commun coutumier » (sur ce point, v. J. Gaudemet, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et
la science au service du droit, op. cit., p. 357 et s.).
19
B. Frydman, Les transformations du droit moderne, op. cit., p. 16 ; v. aussi le Dictionnaire de la culture
juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), PUF, 1ère éd., 2003, v. « Codification ». Adde. Du reste, « Domat a été salué comme le "Précurseur du Code civil" ( Dictionnaire historique des juristes français
(XIIe-XXe siècle) [sous la dir. de P. Arabeyre, J.-L. Halpérin et J. Krynen], op. cit., « DOMAT Jean »). Le
Professeur Gazzaniga a pu relever que « tout est romain dans la conception mais un droit romain revu et corrigé par le droit canonique et le droit naturel dont précisément Domat et Pothier ont fait la synthèse » (J.-L. Gazzaniga, « Domat et Pothier. Le contrat à la fin de l’Ancien régime » : Droits, 1990, n° 12, p. 37, spéc. p. 45). Et, avant le Code civil de 1804, c’est grâce au travail de Domat « que d’Aguesseau put entreprendre son travail de codification » (J. Gaudemet, ibid., p. 356). Sur Domat et la codification, v. aussi infra § 437; et pour approfondir sur les origines doctrinales du Code civil, v. A. -J. Arnaud, Les
origines doctrinales du Code civil français (préf. M. Villey), Thèse, LGDJ, 1969, et no t. V.
Lasserre-Kiesow, « L’esprit scientifique du Code civil » : Droits, 2005, n° 41, p. 53.
20
Ainsi des « codes-systèmes » qui « sont inspirés par l’esprit de méthode et constituent des corps de doctrine » (J.-L. Sourioux, « Codification et autres formes de systématisation du droit à l’époque actuelle », in Écrits du Professeur Jean-Louis Sourioux. Par le droit, au-delà du droit, LexisNexis, 2011, p. 247, spéc. p. 249) ; « parmi les nouveaux codes français, celui de procédure civile est, à cet égard, particulièrement révélateur » (spéc. p. 251).
21
« Un Code neuf est un outil incommode » (M. Planiol, « Inutilité d’une Révision générale du Code civil », in Le Code civil. Livre du centenaire, t. 2, Société d’études législatives, 1904, p. 955, spéc. p. 961), et à l’aube du XIXème siècle, il fallut bien composer avec ce nouvel objet j uridique qu’était le Code civil. Pour ce faire, il fallut l’interpréter. Ce fut la tâche à laquelle se sont astreints les commentateurs du Code dont il a été dit qu’ils formaient « l’École de l’exégèse » (J.-L. Halpérin, Histoire
du droit privé français depuis 1804, PUF, 2ème éd., 2012, v. le chapitre 1 de la première Partie de cet ouvrage pour approfondir sur l’école de l’exégèse ; ou pour une présentation plus synthétique, v. Dictionnaire de la culture juridique [sous la dir. de D. Alland et S. Rials], op. cit., v. « Exégèse (École) »). Adde. Il convient toutefois de noter que l’expression « école » porte à débat. Ainsi, le Professeur Philippe Rémy a pu apercevoir une diversité des tempéraments, des genres pratiqués, et des méthodes selon les commentateurs (Ph. Rémy, « Éloge de l’exégèse » : Droits, 1985, n° 1, p. 115, spéc. p. 118-119).
22
Proposée par Gény ; v. F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif , t. 1 et 2, LGDJ, 2nde éd., 1919, pour présentation de la méthode v. spéc. le t. 2, § 155 et s.
23
Comme en témoignent les manifestations mises au jour par le Professeur Oppetit de « la part du positivisme » et de « la part de l’idéalisme » imprégnant notre Droit (v. B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1ère éd., 2017 [réimp.], respectivement p. 93 et s., et p. 111 et s.).
24
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
« hiérarchie des normes », sous l’influence des travaux de Kelsen
25, en est un
témoignage. Et, alors même que ce n’est plus la doctrine de l’École du droit naturel
qui anime les juristes
26, « l’aspiration à la rationalité de la législation » perdure
27, et
avec elle, parfois, une « apologie pour les "faiseurs de systèmes" »
28. De sorte que le
juriste, telle Sisyphe poussant son rocher, n’a cessé et ne cesse de tenter une mise en
ordre.
2
. Mise en ordre. Si le Droit a intrinsèquement partie liée avec la recherche de
l’ordre, il n’est pas, par nature, un objet ordonné
29. L’ordonnancement est lié au travail,
sur le long terme, des juristes. Plus particulièrement, la doctrine a joué, et joue encore, un
rôle essentiel à cette fin
30.
Pour opérer cette mise en ordre du droit, un travail de structuration est nécessaire. Il
prend appui sur une certaine rationalité, en ce sens qu’il « relève de la raison »
31.
25
v. not. H. Kelsen, Théorie pure du droit (trad. par Ch. Eisenmann), Bruylant et LGDJ, 1999 (réimp.), v. spéc. le Titre V de l’ouvrage sur la « norme fondamentale » et la « pyramide de l’ordre juridique ».
26
Ses limites ayant été démontrées : aujourd’hui, « la production des règles juridiques par voie de démonstration et sous forme déductive » paraît « irréaliste » (v. not. D. Baranger, Penser la loi. Essai sur
le législateur des temps modernes, Gallimard, 2018, p. 178). Toutefois, Villey a pu noter que « la science
juridique contemporaine [a] conservé d’énormes pans d’idéologie jusnaturaliste (dont notre théorie des droits de l’homme) » (M. Villey, « Préface historique » des Arch. phil. dr., 1978, t. 23, p. 1, spéc. p. 4).
27
Villey a pu noter en 1978 que du XVIe au XIXe siècle, a été poursuivie « la grande entreprise […] de rationalisation du droit. Le XXe siècle n’y a point renoncé. La même ambition est prise au sérieux, qu’elle se vante d’énormes progrès ; qu’aujourd’hui elle envahit le droit » (M. Villey, ibid., spéc. p. 3 – le tome 23
Arch. phil. dr. dans lequel se trouve cette préface porte sur les « formes de rationalité en droit »). Mais
l’auteur poursuit toutefois en précisant que « cet idéal [de rationalisation] s’est heurté à la résistance des faits » (p. 3). Il est vrai que le Droit n’est pas les mathé matiques. Si un mouvement de rationalisation peut l’animer pour le structurer, le systématiser, il ne peut y avoir de rationalisation totale. Adde. Il convient de noter que la tendance à la rationalisation du droit ne s’inscrit pas seulement dans la suite du « modèle d’Euclide », qui selon Villey a porté l’École du droit naturel ; elle anime aussi le « modèle technique » (droit utilitariste) et le « modèle des sciences naturelles » (Écoles historiques, sociologistes) qui ont eu des répercussions jusqu’à aujourd’hui (M. Villey, ibid., spéc. p. 3 et s.). Néanmoins, ces écoles seront laissées de côté car la quête des principes directeurs s’inscrit moins directement dans leur lignage.
28
J. Rivero, « Apologie pour les "faiseurs de systèmes" » : D. 1951, p. 99.
29
Ce n’est toutefois pas un ensemble totalement désordonné : comme l’a affirmé Batiffol, « il n’est pas sûr que le droit forme vraiment un système, mais il forme, au moins, un ensemble de règles qui ne doivent pas être inconciliables les unes aux autres » (H. Batiffol, « La responsabilité de la doctrine dans la création du droit » : RRJ 1981-2, p. 175, spéc. p. 182). Adde. v. aussi R. J. Vernengo, « Le droit est-il un système ? » :
Arch. phil. dr., 1991, t. 36, p. 253, spéc. p. 259.
30
Ph. Jestaz et Ch. Jamin, La doctrine, Dalloz, 2004, p. 218. Ce n’est toutefois là ni son rôle exclusif, ni un rôle qui lui est exclusivement attaché.
31
Dictionnaire historique de la langue française (sous la dir. d’A. Rey), Le Robert, 2006, v. « Rationnel, elle ». Cette rationalité est plus ou moins complexe : c’est une chose d’organiser les normes en fonction de l’objet sur lequel elle porte (par exemple, une discipline) ; c’en est une autre de penser que le Droit peut
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
C’est par l’appui de la raison, du raisonnement, qu’il va être possible de rendre
compte du Droit, de le présenter comme un ensemble structuré, systématisé de
normes
32, et ainsi de participer à l’exercice de systématisation
33. Certes, des
évolutions du droit positif peuvent rendre plus difficile ce travail de systématisation,
voire sembler incompatibles avec lui
34. Il ne semble toutefois pas avoir été
abandonné. Plus encore, la complexité qui résulte du pullulement des normes et de
leur articulation mérite, pour être maîtrisée par le juriste, un travail de structuration
35.
En laissant de côté les présentations de nature à appréhender le Droit en son entier
36,
il apparaît que l’ensemble du Droit n’est pas affecté par le phénomène de mise en
ordre de façon équivalente. Il n’en est pas au même stade selon les champs
disciplinaires. Le droit des contrats ou la procédure civile, par exemple, paraissent
s’appréhender comme un ensemble entièrement cohérent et déductible d’un très petit nombre d’axiomes (cf. la pensée de l’école du droit naturel).
32
Ce phénomène s’inscrit dans ce que le Professeur Amselek appelle la « technologie juridique » : celle-ci a notamment « pour but de rationaliser la technique juridique constituée, c’est-à-dire les normes juridiques édictées » ; il s’agit d’ « envisager les différents instruments juridiques émis par les pouvoirs publics à la manière d‘un "dogme" et à tâcher de mettre de l’ordre, de la cohérence à l’intérieur de ce dogme » (P. Amselek, « Éléments d’une définition de la recherche juridique » : Arch. phil. dr., 1979, t. 24, p. 297, spéc. p. 303). Adde. Il convient de noter que cet auteur distingue le « "scientifique" du "rationnel" (spéc. p. 304).
33
C’est-à-dire à la réunion de plusieurs éléments en un « système cohérent », en un « ensemble structuré » (Dictionnaire historique de la langue française [sous la dir. d’A. Rey], op. cit., v. « Système »). Adde. La
structuration du Droit (et partant la référence à la structure) telle qu’ici entendue n’est pas à entendre
restrictivement comme l’application en droit de la méthodologie structuraliste, issue du champ des sciences humaines. La référence à la structure est à appréhender au sens commun en tant qu’ « ensemble organisé d’éléments » (Dictionnaire historique de la langue française [sous la dir. d’A. Rey], ibid., v. « Structure »). Sur le structuralisme, v. F. Doss, Histoire du structuralisme. Tome I : le champ du signe,
1945-1966, La Découverte, 2012 ; F. Doss, Histoire du structuralisme. Tome II : Le chant du cygne, 1967 à nos jours, La Découverte, 2012. Au demeurant, l’existence même d’une « méthode structuraliste »
semble incertaine, tant la référence à la structure a été utilisée de diverses manières (v. not. R. Boudon, À
quoi sert la notion de "structure" ?, Gallimard, 1968). Pour des essais de transposition de l’analyse
structurale dans le champ juridique, où il s’agit de « faire dépendre le sens du choix et de l’agencement des mots » (J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 3ème éd., 2016, p. 138 [les p. 136 et s. sont consacrées au structuralisme]), v. toutefois A.-J. Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil
français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise, LGDJ, 1973 ; et du même auteur, « Structuralisme et
droit (notes de lecture et directions de recherche) » : Arch. phil. dr., 1968, t. 13, p. 283. Plus anciennement, pour une analyse juridique mettant en lien l’idée de structure et le droit civil, v. J. Ray,
Essai sur la structure logique du Code civil françai s, Librairie Félix Alcan, 1926.
34
v. R. Libchaber, « Réflexions sur le "désordre juridique français" », in Mélanges offerts à André Decocq, Litec, 2004, p. 405, spéc. p. 406.
35
Il convient toutefois d’admettre que la systématisation n’est pas la panacée, et révèle aussi ses limites (v. par exemple à propos des théories générales S. Pimont, « Peut-on réduire le droit en théories générales ? Exemples en droit des contrats » : RTD civ. 2009, p. 417, spéc. p. 427). Les remarques énoncées pourraient s’appliquer aussi, semble-t-il, aux « principes ».
36
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avoir fait l’objet d’un travail de théorisation débouchant sur une systématisation plus
poussée que le droit du travail
37. Mais partout, le juriste use de méthodes et d’outils
similaires afin de mettre de l’ordre. Les principes sont l’un de ces outils.
3
. Les principes comme outils de mise en ordre. Employée aussi hors du champ
juridique
38, la recherche des principes apparaît comme l’une des « modalités
principales » de la mise en ordre du Droit
39. Elle « participe fondamentalement au
processus de rationalisation du droit »
40. Cela n’a rien de nouveau : la formule de Domat
37
Le droit des contrats, en tant que droit commun a certainement favorisé ce phénomène. Quant à la procédure civile, sa rationalisation doit notamment beaucoup a ux travaux de Motulsky, et avant lui de Vizioz, Solus ou Perrot (v. infra § 10). Adde. Ce constat peut, au demeurant, sembler paradoxal au regard de l’importante étude doctrinale dont fait l’objet le droit du travail. Pour expli quer cette situation, Gaudu a fait mention de la « thèse du "caractère progressiste du droit du travail". L’espoir suscité par cette proposition doctrinale [expliquerait] largement le succès de la position doctrinale qui lui était attachée. La notion d’"évolution à sens unique du droit du travail" dissuadait, en outre, de se livrer à des constructions théoriques trop systématiques : si la tendance au progrès était irréversible, il pouvait être inutile, et même néfaste, de se lier par les conceptions a priori qui eussent résulté de l’adoption d’une théorie à valeur normative » (F. Gaudu, « La notion juridique d’emploi en droit privé » : Dr. soc. 1987, p. 414, spéc. p. 416). Il ne faut toutefois pas exagérer l’absence d’ordonnancement, de pensée générale perme ttant d’appréhender la matière en son ensemble. Des recherches en ce sens ont déjà été menées : v. not. G. Lyon-Caen, « Les fondements historiques et rationnels du Droit du travail » : Dr. ouvr. 2004, p. 52 (première publication de l’article dans cette revue en janvier 1951 ; l’auteur note d’ailleurs en introduction de cet article que « jusqu’à la publication du Traité du droit du travail de M. Paul Durand, les arbres cachaient un peu la forêt ; l’effort de systématisation, de construction n’avait pas été m ené à bien. M. Durand et ses collaborateurs ont en France pour la première fois tenté d’exposer systématiquement les fondements du Droit du travail ») ; G. Lyon-Caen, « Idéologies et doctrines en droit du travail » : Annales
de l’Institut d’études du travail et de la sécurité sociale, Université Lyon 2, 1971, p. 9 ; v. aussi,
L. François, Introduction au droit social, éd. de la Faculté de droit de Liège, 1974 ; A. Jeammaud, « Propositions pour une compréhension matérialiste du droit du travail » : Dr. soc. 1978, p. 337 ; A. Jeammaud, M. Le Friant et A. Lyon-Caen, « L’ordonnancement des relations du travail » : D. 1998, p. 359 ; A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 3ème éd., 2015.
38
L’usage des principes est usité dans les sciences : « le "principe", ou arkhè, est ce par quoi commence une science dans le style aristotélicien. Distinct de la loi comme la cause première l’est de la cause seconde, chez Descartes, l’usage des principes dans la constitution d’un système de pensée, qu’il relève de la philosophie ou d’une science quelle qu’elle soit, pose le problème suivant : soit un principe "régule" le système des lois, soit il le détermine. […] Par sa nature, le principe est donc toujours tendu entre la synthèse des lois et la production de leurs conditio ns de possibilité » (Grand Dictionnaire de la
Philosophie, Larousse-CNRS éd., 2012, v. « Principe » – v. cette notice pour approfondir : outre le sens
général du « principe », sont développées ses acceptions en logique, en physique, et en psychanalyse). En morale, le principe est aussi « ce qui commande l’action, sous forme d’une règle ou d’une norme » (E. Clément, Ch. Demonque, L. Hansen-Love et al., La philosophie de A à Z, Hatier, 2000, v. « Principe »).
39
Ph. Jestaz et Ch. Jamin, La doctrine, op. cit., p. 225.
40
G. couturier, « (Pour) La doctrine », in Études offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p. 221, spéc. § 21. Le professeur Pescatore a aussi relevé que « les principes font du droit un système cohérent en ce qu’ils permettent d’assurer l’unité systématique du droit au milieu du désordre des règles positives. Grâce aux principes, l’ordre juridique est plus qu’une mosaïque de textes légaux incohérents et de décisions judiciaires éparses ; les principes permettent d’ordonner le droit et de le déve lopper selon certaines inspirations fondamentales » ; ils « ont une grande valeur didactique en ce sens qu’ils forment des "points de repère" permettant de situer et d’ordonner les règles de droit en fonction de certaines idées directrices. On parle alors de valeur "topique" des principes (du grec topos, le lieu) » (P. Pescatore, Introduction à la
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en exergue de ces propos introductifs en témoigne
41. Depuis, nombre d’auteurs ont
participé à la mise en ordre du Droit en faisant référence à des principes : la construction
des principes, comme celles des concepts, serait la « mission noble de la doctrine »
42. Le
droit privé comme public, et en leur sein l’ensemble des disciplines ont pu être affectés
43.
science du droit, Bruylant, 2ème éd., 2009, § 72). Dans un sens similaire, v. aussi S. Caporal, « Le recours aux principes fondamentaux et généraux est-il l’indice d’une référence au droit naturel ? », in Un dialogue
juridico-politique : le droit naturel, le législateur et le juge, PUAM, 2010, p. 491 ; B. Oppetit, « Les
"principes généraux" dans la jurisprudence de cassation » : Cahiers droit de l’entreprise, 1989/5, p. 14. Et dans le même sens à propos des principes du droit de l’Union européenne, v. l’article C. Flaesch-Mougin, « Typologie des principes de l’Union européenne », in Liber amicorum en l’honneur de Jean Raux, éd. Apogée, 2006, p. 99 ; ou à propos des principes directeurs de la législation pénale, v. M. Delmas-Marty, « Pour des principes directeurs de législation pénale » : RSC 1985, p. 225. Adde. Pour un approfondissement des rapports entre principes directeurs et systématisation du droit, v. infra § 105 et s.
41
Et déjà avant, le droit n’était pas exempt de principes : dans le droit romain, par exemple, les Regulae
Iuris peuvent être appréhendées comme tels (v. D. Deroussin, « Remarques sur les regulae iuris et les
principes en droit » : RHD, 2012-2, p. 195). Mais avant le XVIème siècle, les principes n’avaient pas tendance à être vus comme des outils de mise en ordre du droit : ainsi que le Professeur Deroussin peut le noter, « la première façon de concevoir les principes a consisté, conformément à ce qui devait être l’usage traditionnel des r.i. à Rome, à les traiter comme des points cardinaux (topoi) de l’argumentation juridique » (spéc. p. 198).
42
G. Lyon-Caen, « À propos de quelques ouvrages de Doctrine » : Dr. soc. 1978, p. 292, spéc. p. 293.
43
Au XVIIème siècle, les œuvres de Pothier en témoignent (par exemple, sont évoqués les « principes généraux sur la nature des obligations individuelles », les principes relatifs à la « nature des obligations pénales », les « principes généraux sur les fins de non recevoir et sur les prescriptions », ou encore les principes généraux sur les cas auxquels la preuve vocale ou testimoniale est admise [ Œuvres de Pothier
contenant les traités du droit français – éd. de M. Dupin –, t. 1, éd. Pichon-Béchet, 1827, respectivement
p. 177, 186, 409 et 462]), tout comme celles de Prévost de la Jannès dont les Principes de la jurisprudence
française qui parut en 1750 (l’œuvre de cet auteur s’est inscrite « dans la démarche suivie par Domat qu’il
admirait » [Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle) – sous la dir. de P. Arabeyre,
J.-L. Halpérin et J. Krynen –, op. cit., « PRÉVOST DE LA JANNÈS Michel »]). Au XVIIIème siècle, ce fut aussi le cas de Claude Bufnoir qui considérait qu’ « il appartient à la science théorique d’ouvrir la voie en dégageant les principes qui se cachent sous la prescription de la loi, et de préparer ainsi le travail de la jurisprudence » (Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle) [sous la dir. de P. Arabeyre,
J.-L. Halpérin et J. Krynen], ibid., « BUFNOIR Claude » ; dans un sens similaire, v. N. Hakim, « De l’esprit et de la méthode des civilistes de la seconde moitié du XIXe
siècle. L’exemplarité de Claude Bufnoir » : Droits, 2008, n° 47, p. 45, spéc. p. 65]). C’est aussi à partir de 1869 que François Laurent commença à publier les divers tomes de ses Principes de droit civil. Plus tard, Thaller, dans l’étude du droit commercial, fera aussi référence aux principes (il évoque les « principes généraux des obligations dans le droit commercial » [E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, éd. A. Rousseau, 3ème éd., 1904, p. 501] – Thaller affirmera d’ailleurs que sans les principes « tout s’effondre, tout s’anéantit. À défaut d’élan pris vers les idées pures, le droit ne m’aurait pas intéressé » [Les méthodes juridiques :
leçons faites au Collège libre des sciences sociales en 1910 – par Larnaude, Berthélémy, Tissier, Truchy,
Thaller, Pillet, Garçon et Gény –, éd. V. Giard et E. Brière, 1911, p. 149]). Dans sa préface de la première édition de son Code pénal annoté, Émile-Auguste Garçon relevait quant à lui que « la doctrine doit rechercher et fixer les principes […] qui dominent les arrêts, et, par synthèse, construire des théories d’ensemble […]. La doctrine peut aider puissamment au progrès du droit et à sa formation même. Elle seule peut faire ce travail de simplification sans lequel le droit risquerait d’être étouffé sous la frondaison jurisprudentielle et de se perdre dans une inextricable complication ». Dans le champ du droit public, les œuvres de Maurice Hauriou et de Gaston Jèze évoquent aussi les principes (M. Hauriou, Principes de droit
public [préf. d’O. Beaud], Dalloz, 2010 [réimp.] ; G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif. La technique juridique du droit public français, t. 1, Dalloz, 2005 [réimp.] – et plus tard René Capitant
donnera un cours de principes du droit public [Cours de principes du droit public (Diplôme d’études
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Les sources du Droit elles-mêmes tendent aussi à intégrer la référence aux principes
comme modalité de structuration
44.
Cependant, cette référence aux principes peut être de nature à semer le trouble,
et à rendre perplexe le juriste parce que l’ensemble des utilisations de ce terme
ne recouvre pas une situation commune
45. Hormis le fait que la référence à un
principe s’inscrit dans une démarche tendant à rendre compte d’une certaine
organisation du droit positif
46, les juristes peuvent y faire mention pour insister sur
des caractéristiques variables qu’ils rattachent à certaines normes, afin justement de
les opposer à d’autres et de permettre de structurer le droit positif. Par exemple, les
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR)
47, sont à
distinguer des principes généraux du droit
48, qui eux-mêmes ne font pas écho à un
temps la référence aux principes s’est emparée de façon marquée du Droit. Nombre d’écrits postérieurs au début du XXème siècle le confirment, au point que leur mise au jour continue d e marquer le travail doctrinal (Ph. Jestaz et Ch. Jamin, La doctrine, op. cit., p. 229). Ils deviennent aussi, en eux-mêmes, objet de réflexion : dans le cadre d’articles (v. not. J. Boulanger, « Principes généraux du droit et droit positif », in Études offertes à Georges Ripert, LGDJ, 1950, t. 1, p. 51 ; H. Buch, « La nature des principes généraux du droit » : Revue de droit inter. et de droit comparé, 1962, p. 55 ; G. Morange, « Une catégorie juridique ambiguë : les principes généraux du droit » : RD publ. 1977, p. 761 ; R. Rodière, « Les principes généraux du droit privé français » : Journées de la société de législation comparée, 1980, p. 317 ; G. del Vecchio, « Les principes généraux du droit », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François
Gény, Sirey, 1934, t. 2, p. 69), d’essai (par exemple, des développements spécifiques y sont consacrés in
G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, § 132 et s.), d’ouvrages collectifs (v. not. Les
principes en droit [sous la dir. de S. Caudal], Economica, 2008 ; Les principes et le droit [sous la dir. de
J.-M. Pontier], PUAM, 2007), ou de thèses de doctorat (v. not. en droit privé M . de Béchillon, La notion
de principe général en droit privé, Thèse, PUAM, 1998 ; P. Morvan, Le principe de droit privé [préf. J.-L.
Sourioux], Thèse, Panthéon-Assas, 1999).
44
Les sources internationales sont concernées : par exemple, la première Partie du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’intitule « Les principes », ou encore existent les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international. Les sources internes le sont aussi, et ce quel que soit le degré au sein de la hiérarchie des normes. Le Préambule de la Constitution de 1946 intégrant le bloc de constitutionnalité française fait part de « principes politiques, économiques et sociaux », tandis que selon l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, la loi doit déterminer les « principes fondamentaux » de divers domaines (enseignement, préservation de l’environne ment, etc.) – pour approfondir sur cet article 34 et la référence qu’il contient aux principes, v. infra § 100. À une échelle inférieure à celle constitutionnelle, les articles 111 -1 à 111-5 du Code pénal énoncent des « principes généraux », tout comme le droit applicable en matière d’exercice de l’autorité parentale qui débute aussi par l’énonciation de « principes généraux » (art. 372 et s. du Code civil). Il n’y a là que quelques illustrations parmi bien d’autres possibles…
45
Pour approfondir sur la référence au principe, et sur ce que recouvre un principe juridique, v. infra § 58 et s.
46
Si certaines normes sont des principes, c’est que d’autres n’en sont pas, et se révèle al ors une certaine rationalisation du Droit.
47
Pour approfondir sur cette catégorie de principes, v. infra § 101.
48
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
signifié similaire au principe de l’unicité du patrimoine
49. La référence à telle ou telle
catégorie de principe renvoie donc à un certain aspect de l’ordonnancement du Droit,
qui est propre à ladite catégorie, et qui est fonction des caractéristiques attachées au
principe en cause.
Pour faire face à cette diversité, et comme ces exemples l’attestent, la diversité
des types de principes justifie qu’ils se voient attachés des qualificatifs afin de les
dissocier les uns des autres. L’une des catégories qui a ainsi pu émerger est celle
des principes directeurs.
4
. Les principes directeurs comme outils de mise en ordre. En droit positif, la
référence aux principes directeurs apparaît dans plusieurs disciplines juridiques
50. Le
droit du travail néanmoins, ne fait pas partie de celles-ci
51. Cette recherche liant les
principes directeurs et le droit du travail (II), s’inscrit donc dans la suite d’un
développement des principes directeurs en Droit, qui du reste est de plus en plus
marqué (I).
Section 1 : Les principes directeurs
5
. Multiplication. Tant en matière extra-juridique, qu’en matière juridique, les
principes directeurs sont présents
52. Mais c’est très largement dans le domaine des
sciences politiques, de l’économie et du droit que les principes directeurs se sont
49
Qui s’entend par opposition à des situations d’exception où une seule personne peut se voir rattacher plusieurs patrimoines (en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée par exemple).
50
v. infra la section 1 de cette introduction, § 5 et s.
51
Sauf particularité en ce qui concerne le droit du travail applicable à la Nouvelle -Calédonie (v. infra § 20).
52
Hors champ juridique, des illustrations peuvent d’ores et déjà êt re données : en psychologie, peut être signalé l’ouvrage de F. Louis, Une leçon de psychologie, notions et vérités premières, principes directeurs
de la raison, impr. Théolier, Saint-Etienne, 1892 ; dans le domaine de l’éducation, une « œuvre catholique
d’éducation morale et sociale » datant de 1911 s’intitule La colonie de vacances des patronages de l’Oise.
Les Principes directeurs et leur application à Vieux -Moulin (préf. du Compte M. Pillet-Will),
imprimeur-éditeur E. Levéziel, Compiègne, 1911 ; la médecine a aussi fait usage de l’expression « principe directeur » : J. C. Jacob, Les Principes directeurs du traitement des paralysies infantiles à la colonie de
RIANCHO Simon | Thèse de doctorat | Novembre 2019
épanouis
53. Et, en Droit, les références aux principes directeurs se sont multipliées
durant le XX
èmesiècle, surtout à partir des années 1970.
Pour étudier le phénomène de multiplication des principes directeurs, et le situer dans
un prolongement historique, présenter leur apparition (§ 1) est un préalable, avant
d’approfondir leur expansion (§ 2).
§ 1 : L’apparition des principes directeurs
6
. Étymologie. Des temps éloignés permettent de remonter aux origines
étymologiques des principes directeurs. Un piège est toutefois à éviter : celui de
transposer littéralement l’expression pour en percer les origines
54. C’est par le biais
d’un seul mot latin que fut évoquée l’idée de principe directeur, à savoir
directivum
55.
7
. De la « loi divine » à la « loi de l’homme ». Dans la Somme théologique de
saint Thomas d’Aquin (1225-1274) est employé, dans un contexte juridique, le terme
directivum
56. Le domaine juridique est approfondi dans le traité des lois, et le traité
de la justice
57. L’article 4 de la question n° 91 du traité des lois – question qui traite
des diverses espèces de lois
58– s’interroge sur l’existence d’une loi divine. Après
53
Lorsqu’est recherchée l’expression « Principes directeurs » dans le titre des ouvrages référencés sur le catalogue général de la Bibliothèque Nationale de France, sur 166 résultats, 125 appartiennent au domaine « Droit, économie, politique » (recherche faite le 30 mars 2015 sur le site internet : www.bnf.fr/).
54
C’est-à-dire d’associer les termes latins ou grecs signifiant « principe » et « directeur ».
55
Étonnamment, ce vocable semble peu connu ; il est absent des dictionnaires de latin (F. Gaffiot, Le
grand Gaffiot. Dictionnaire Latin-Français, Hachette Education, 2000 ; H. Goezler, Dictionnaire de latin français, Garnier-Flammarion, 1966). C’est dans le Dictionnaire historique de la langue française que
cette origine est évoquée : directivum est un terme provenant du latin médiéval, et fut attesté en 1414 (Dictionnaire historique de la langue française [sous la dir. d’A. Rey], op. cit., v. « Directif, ive », sous l’entrée « Direct, directe »). Cependant, une recherche dans les textes médiévaux permet de constater l’emploi de l’expression directivum bien antérieurement à 1414.
56
La Somme théologique est l’une des trois « grandes synthèses »de l’universitaire qu’était saint Thomas (M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, PUF, 2nde éd., 2013, p. 151).
57
Sur ces traités, v. respectivement Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa IIae, questions 90-109, et questions 57 et s.
58
Il y est indiqué : « Deinde considerandum est de diversitate legum » (souligné par nous ; Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia
IIae, question 91). Pour cette traduction, du latin au français, ainsi que celles qui vont suivre des passages de la Somme Théologique, a été pris comme référence l’ouvrage : Thomas d’Aquin, Somme Théologique, t. 1 (avec la collab. de A.-M. Roguet, A. Raulin, A.-M. Dubarle, et
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avoir énoncé les arguments pour et contre l’existence d’une loi divine, saint Thomas
d’Aquin donne un premier élément de solution : selon lui, outre la loi naturelle et la
loi humaine, il est « nécessaire »
59qu’il y ait une loi divine
60. La loi divine, comme
principe directeur, permettrait de guider l’Homme vers sa fin ultime, la béatitude
éternelle
61.
La richesse de la Somme Théologique permet toutefois d’exposer le principe directeur
comme pouvant aussi résulter de la « loi de l’homme ». Dans une autre question,
paradoxalement portant sur « La loi éternelle », saint Thomas d’Aquin use de
directivum en un sens qui n’évoque plus le divin
62. La loi de l’Homme, par sa
promulgation
63, devient principe directeur : elle « imprime » une direction à l’action
des Hommes.
8
. L’apparition de l’expression moderne. C’est au XVII
èmesiècle
qu’auraient été mentionnés pour la première fois dans un texte l’expression
actuelle « principes directeurs »
64. L’ouvrage a pour auteur Raymond de Hézecques,
59
Thomas d’Aquin, Somme Théologique, t. 1 (avec la collab. de A.-M. Roguet, A. Raulin, A.-M. Dubarle, et al.), op. cit., spéc. Ia IIae, question 91, article 4.
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Cette nécessité s’expliquerait notamment par la raison suivante : « C'est par la loi que l'homme est guidé pour accomplir ses actes propres en les ordonnant à la fin ultime. Donc, si l'homme n'était ordonné qu'à une fin proportionnée à sa capacité naturelle, il n'aurait pas besoin de recevoir, du côté de sa raison, un
principe directeur supérieur à la loi naturelle et à la loi humaine qui en découle. Mais, parce que l'homme
est ordonné à la fin de la béatitude éternelle qui dépasse les ressources naturelles des facultés humaines, il était nécessaire qu'au-dessus de la loi naturelle et de la loi humaine il y eût une loi donnée par Dieu pour diriger l'homme vers sa fin » (souligné par nous ; Thomas d’Aquin, ibid., spéc. Ia IIae, question 91, article 4).
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Pour approfondir, v. M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, op. cit., p. 156 et s., et p. 169).
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Thomas d’Aquin, Somme Théologique, t. 1 (avec la collab. de A.-M. Roguet, A. Raulin, A.-M. Dubarle, et al.), op. cit., spéc. Ia IIae, question 93. Sa réponse à l’article 5, posant la question de savoir si les être naturels et contingents sont soumis à la loi éternelle, expose que « l'impression du principe interne d'action dans les êtres de la nature, joue le même rôle que la promulgation de la loi à l'égard des hommes ; car la promulgation de la loi imprime dans les hommes u ne sorte de principe de direction des actes humains » – la traduction du mot a entraîné l’expression « principe de direction » et non « principe directeur » ; mais cela est sans portée.
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v. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, t. 1 [avec la collab. de A.-M. Roguet, A. Raulin, A.-M. Dubarle, et al.], op. cit., spéc. Ia IIae, question 90, art. 4).
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Ce résultat (tiré d’une recherche historique sur le site internet www.gallica.bnf.fr/ [consulté le 16/07/2019]), doit être retenu avec prudence car malgré les moyens technologiques modernes permettant les recherches, il se pourrait que des occurrences plus anciennes des « principe(s) directeur(s) » existent.