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L’étude du caractère anglais dans l’oeuvre d’André Maurois.

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Lf£TUDE DU CAHAOTÈSE ANGLAIS DAKS L'OEUVKfc D'ANDEÈ EaUEGIB.

A Thesis Presented to

The £aoulty of Graduâte Studies and Research Mo Gill University

In Partial Pulfillment

of the Eequirements for the Degree Master of Arts

by

Sister Mary Alberta Poirier September 1943

(4)

CHAPITRE PAJGBE

Avant-propos • •••••• • I

I. Initiation d'André Maurois aux choses anglaises et ses nombreux contacts ultérieurs avec les

Anglais 1

II. Principaux traits de caractère relevés par M. Maurois chez les Anglais • . 23

III. Goût des Anglais pour le sport 58

IV. Traditionalisme et amour des vieilles choses chez l'Anglais 70

V. L'intelligence anglaise ..•...• 77

VI. L'accueil qu'a reçu l'oeuvre de M. Maurois relative aux Anglais en France et en Angleterre 100

VII• André Maurois et deux qui l'ont précédé dans l'étude des choses anglaises . ... . 114 Bibliographie 131

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Avant-propos

En parcourant lfoeuvre de M. Maurois, on se rend compte qu'il

travaille de toute la force de son âme et de son talent au* rapproche-ment anglo-français*

Lire son oeuvres est une tâche des plus agréables* S'il ne

brille pas par des qualités extrêmes, il n'en réalise pas moins selon un certain commentateur récent un équilibre peu fréquent dans la

littérature d'aujourd'hui où fleurit davantage la maladie que la santé* Il est de notre devoir>a dit un critique canadien des Mémoires,

de nous incliner profondément devant l'auteur de tant de livres relatifs aux Anglais, un Juif* patriote français, académicien qui, dans sa jeunesse, eut pour professeur la tante de 1'exchancelier allemand* Bruning, qui s'éprit de l'impérialisme cadencé du vers de Kipling, qui se maria avec une Russe, qui ayant rencontré et quitté des célébrités, qui ayant fait et vu s'effondre une fortune, trouve enfin plaisir et abri dans les salles de conférences américaines• Agent de liaison! Maurois ne l'est-il pas aujourd'hui coiwrie en 1914? Ecoutons ses propres paroles que nous transmet Amélie Fillon: *!Nous nous haïssons* Nous ne nous comprenons pas. La vie est un perpétuel malentendu» Voilà les dissonances humaines*

Pourtant, il y a des moments où, tout d'un coup, on comprend* Eh bien, pour moi, ce sont ces moments-là qu'un artiste doit fixer**• Ce sont ces moments qui sont les plus beaux, ce sont les moments

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où nous échappons à nous-mêmes, et pour moi, le salut de l'homme (et j'emploie le mot dans un sens presque religieux) est l'état où il se dépasse, soit qu'il s'échappe de lui-même pour communier avec un Dieu, s'il est croyant, soit qu'il s'échappe de lui-même pour communier avec un autre être dans l'amour• "

Il faut dire, à l'honneur de M. Maurois, qu'à l'heure

humil-iante de la débâcle de 1940, il refusa de se ranger du côté des calomniateurs de son pays*

Dans une thèse, travail forcément restreint, le lecteur ne

trouvera pas un portrait achevé du caractère anglais, bien que M* Maurois en ait fait, dans ses écrits, une étude approfondie*

En consultant la Tables des matières de ces modeste pages, on

verra que, en plus des chapitres consacrés aux traits de caractère des Anglais, à la place prépondérante que les Anglais donnent aux sports, à leur traditionalisme et à leur forme d'intelligence, trois chapitres supplémentaires durent trouver place*

Faute d'espace donc, maints détails intéressants notés par

l'auteur au cours de ses recherches, furent mis de côté* Espérons tout de même que ces quelques pages donneront un aperçu suffisant bien qufimparfait du caractère anglais si difficile à approfondir pour qui n'est pas comme M. Maurois wfouilleur d'âmes".

Quant à moi, pour emprunter le mot de Strachey: "Je n'impose rien, je ne propose rien, j'expose*"

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CHAPITRE I

Initiation d* André Maurois aux choses anglaises et ses nombreux contacts ultérieurs avec les Anglais.

Dans une note liminaire des Mémoires écrite le 27 juillet 1941, André Maurois, avec sa franchise coutumière, déclare sans ambages; "Naturellement, comme tout biographe, je commettrai des erreurs, les unes par manque de mémoire, les autres par manque de jugement*

J'es-père pourtant que, si jamais quelque érudit désoeuvré" ou quelque étudiant en mal de thèse, essaie de démêler en ce livre la poésie de la vérité,

il y trouvera peu d'omissions graves ou de complaisances."1 Etudiante en mal de thèse, je prends conseil de Maurois

lui-même. Forte de l'encouragement qu'il donne, je ferai des Mémoires la source principale où puiser les faits pertinents à ce premier cha-pitre de mon travail, assurée d'avance de trouver dans cet ouvrage "peu d'omissions graves," ainsi que me l'affirment les paroles mêmes de l'auteur.

Il faut remonter au-delà d'un demi-siécle pour fixer la date

exacte de l'initiation de notre futur anglophile aux choses anglaises. C*est à l'âge de six ans que, en plus des matières enseignées à l'é-cole, il dut suivre à la maison des cours spéciaux de musique,

d'allemand et d*anglais. "Quant à l'anglais, qui devait jouer dans ma vie un si grand rôle," nous apprend-il dans ses Mémoires, "je

1 André Maurois, Mémoires I* (New York: Editions de la Maison Française, 1942) p. 7.

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lrétudiais fort négligemment avec une jeune Irlandaise... KLle me donnait à lire Little Lord Fauntleroy, que je n'aimais pas, et 2

Treasure Island, qui m*effrayait.**"

Il nfest pas fait mention dans Mémoires d'aucune étude de

littérature anglaise au lycée d'Elbeuf, ville natale du jeune Utoiile Herzog (André Maurois), d'où il sortit à lrage de douze ans. De là, il passa au lycée Corneille de Rouen, où il commença à s'intéresser vivement à la littérature anglaise, se passionnant pour les

roman-tiques tels que Shelley et Byron, mais n'appréciant pas moins Dickens, Kipling, Tdlde, Ruskin et Wells.3

Le nom de Kipling revient souvent sous la plume de Maurois

lorsqu'il rappelle les années passées au lycée Corneille. "Alain," dit-il de son professeur de littérature française (M. Alain Chartier) "voulait rester un homme de peu d'auteurs... Plus tard, je lui fis ajouter à ses familiers... le Cardinal de Retz et Kipling."4

Dès le début, lfinfluence de Kipling sur Maurois s'avéra si

profonde que le futur écrivain déclare nettement "kiplingesque" une longue nouvelle qu'il écrivit pendant son année de service militaire.v L'année 1904 fait époque dans la vie de Maurois. Elle marque

son premier voyage en Angleterre. Industriel à Iulbeuf, son père

2 Ibid, p* 41.

3 Amélie Fillon, André Maurois, Romancier, (Paris: Société' française d'éditions littéraires et techniques, 1937) p. 258. 4 Maurois, Mémoires I, p. 82.

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5

avait décidé que chaque année son fils prendrait un mois de vacances. "Je le passai la première fois en Angleterre," nous raconte Maurois. "Depuis longtemps jfétais nourri de poètes et de romanciers anglais; je sentais avec eux de profondes affinités et je souhaitais mieux ap-prendre leur langue."

C*est à Richmond, non ldin de la Tamise, quTil passa ce mois,

chez une veuve et ses trois filles âgées de seize, dix-huit et vingt ans# De ce premier mois en Angleterre, il conserva un souvenir qui rappelait la famille Micawber et la comédie italienne.6

Les Mémoires ne rapportent pas qu'Emile Hersog ait fait aucun

voyage en Angleterre en qualité d'industriel. Cependant, nous lisons dans 1*ouvrage d'Amélie Fi lion, qu'au cours (Les années passées a l'usine, on lui confia l'essai d'une sorte de lainage de tissu peigné dont la fabrication, pratiquée couramment en Angleterre, ne l'était en France qu'à Roubaix et dans fort peu d'usines. "Le suceé^s

pro-digieux de Maurois dans cette expérience," nous dit-elle, "se rattache aux séjours annuels que faisait en Angleterre ce jeune industriel,

séjours qui lui furent d'un profit réel." 'j£b dans une autre

biographie, à l'endroit où l'auteur décrit les dégoûts que ressentait le jeune Herzog pour la vie d'industriel, il est dit: "He fought

against his feeling of frustration as well as he could. Occasionally when he was able to snatch a brief holiday, he would go to Paris.. „

6 Ibid, pp. 153-154.

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or he would cross the Channel to spend a shor# time in i&igland aciong the strange Britishers*"0

A partir de 1909, les séjours de Maurois en Angleterre

de-vinrent plus fréquents. Ils n'étaient plus déterminés, comme autre-fois, par des raisons d'affinités spirituelles ou des besoins in-dustriels. Lrattirance était autrement forte puisque, cette fois, c'était le coeur qui les dictait. Il rendait visite à Janine, sa future épouse, qui faisait ses études à uxford. C'est d'elle qu'il apprit à connaître l'Université; c'est en sa compagnie quTil vit pour la première fois Llagdalen, Christchurch, iill Soûls, et, à University Collège, le cénotaphe de Shelley.

Ces voyages répétés en Angleterre n'étaient pas sans intriguer

Madame Kerzog. Lorsque, fidèle à une coutume française, ]£nile demanda à sa soeur Germaine de "préparer" sa mère après ses fiançailles avec Janine, la maman répliqua: "Je croyais que ton frère était depuis longteaps marié secrètement en Angleterre; il y fait tant de séjours depuis deux ans."

Ce fut donc par l'entremise de Janine que Maurois pénétra et

plus avant et de façon plus directe dans le domaine de la civilisation et de la culture propres à l'Angleterre. Ce fut par l'âme de sa

fiancée, peut-on dire, que Maurois continua en lui l'assimilation de l'âme anglaise, assimilation commencée une décade plus tôt au lycée

8 Georges Lemaitre, André Maurois» (California: Stanford University Press, 1939) p. 8.

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5 Corneille. Bientôt, il trouvera dans les écrivains anglais de quoi nourrir une activité intellectuelle débordante.

A l'idylle succéda la guerre de 1914. "Il fallut tout quitter,"

écrit A. Fillon, "et partir à la rencontre d'un destin imprécis mais plein de menaces. Celui de Ll&urois ne devait pas lui être fatal... on peut même estimer qu'il le mit dans sa véritable voie."10

Au 47e régiment d'infanterie depuis 1903, Maurois se présente 4

devant l'officier qui lui dit: "Mission spéciale H." En compagnie

de plusieurs camarades du regiiaent affectés à la même mission, Herzog se rend dans une salle désignée par un officier. Là, on leur apprend qu'ils seront chargés de la liaison avec les Anglais et qu'ils par-tiront avec eux. Herzog, surpris, désappointé, se dirige vers son commandant, qu'il connait bien, et lui dit qu'il trouve absurde qu'on lui donne la mission d'interprète, à lui qui ne parle pas bien

l'anglais. Plus tard, il apprit eue la "mission H" avait été secrète-ment formée à l'avance, et que le choix fait de sa personne reposait sur la réponse affirmative de sa propre mère à un gendarme qui lui 11

avait demande si son fils parlait l'anglais.

Voici Herzog à la gare de Rouen, chargé de traduire des

ordres d'embarquement. Nul n'a décrit mieux que lui-même l'embarras dans lequel il se trouva alors. "Hélasî" est-il force' d'avouer, "mon anglais littéraire apparaissait soudain bien inutile, lîi dans Keats, ni dans Shelley, ni dans Meredith, je n'avais appris à dire:

10 Fillon, 0£. cit., p. £4.

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"voiture à plateforme mobile" ou "cale spéciale pour affûts". J'es-sayais en vain de me souvenir d'un conte de Kipling, 007, qui, se passant dans le ntmde des locomotives, aurait pu me fournir des

termes techniques, ivlais ces soldats réels mettaient une singulière mauvaise volonté à parler le langage de Soldiers Three.1^

Maurois garda un éloquent souvenir des premiers régiments

anglais auxquels il fut attaché. "Quand ils débarquèrent," raconte-t-il après un quart de siècle, "nous admirâmes leur discipline, leur richesse et la présence parmi eux en mille détails, de l'antique tra-dition d'un grand peuple... Comment ces brillants paladins partant pour la croisade allaient-ils nous accueillir, nous autres pauvres bougres de la piétaille française, baragouinant un anglais détestable? Là-dessus, nous fumes vite rassurés. Non seulement ils nous repurent 13

courtoisement mais tout de suite s'attachèrent à nous."

Ce fut à la suite d'un accident survenu à Ypres que Maurois

eut, pour la première fois, l'idée d'écrire des dialogues qui peindraient l'Angleterre et l'Ecosse par l'intérieur, sans commentaires d'auteur. C'est que cet accident l'envoya à l'infirmerie de la division à la-quelle il se trouvait attaché, et où il connut des médecins et des Padres dont la conversation l'enchanta» Peu de temps après, la divi-sion fut envoyée au repos dans un village en arrière de Bailleul.

Maurois en profita pour visiter tous les régiments aux tartans divers...

12 Maurois, Rouen, (Paris, Etoile Paul, Frères, 1929) p. 72* 13 Maurois, Mémoires I, pp. ZZl-2,22 .

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7

Partout, il picorait des types, recueillait des anecdotes qui lui serviraient pour le livre qu'il rêvait d'écrire.^

Un séjour a Abbeville lui ménagea des contacts plus intimes

avec ses nouveaux amis d'outre-Manche. Elevé au rang d'officier, Maurois prenait ses repas au mess de l'Etat-Major du général Asser avec une équipe d'officiers à laquelle il s'attacha plus qu'à aucune autre de celles qu'il avait rencontrées jusque-là. Parmi ces officiers, il y avait le colonel »varre," son adjoint, le major lake, qui avec un mélange du colonel Jenner, devint un personnage de ses rêves: le

major Parker de son livre. L'aide-de-camp du général Asser, Douglas, devint, bien simplifie, l'Enfant Dundas du livre.^

Les circonstances fortuites de sa position d'interprète

in-stallaient d'elles-mêmes Maurois dans une place idéale pour le ro-mancier qui s'éveillait en lui: celle d'observateur silencieux.

"Pendant quatre ans," écrit Fidus, "il regarda vivre ses futurs héros, les écouta parler avec aisance des Indes, de l'Australie, àe leurs combats, de leurs chasses, de leurs travaux, de tout cet univers bri-tannique qui prenait dans la tristesse immobile des Flandres, une grandeur impériale. Maurois comprenait enfin que le monde est un grand parc dessiné par un dieu jardinier pour les gentlemen des

Royaumes-Unis."-*-0.... Rien d'étonnant donc, qu'avec la succession des semaines, des mois et des années, Maurois n'en soit venu à estimer

14 Ibid., p. 230. 15 Ibid., p. 240.

16 Fidus, "Silhouettes contemporaines," Revue des deux mondes, 35:805, 1936.

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dans ses compagnons d'armes, les qualités qui font les hommes surs; rien d'étonnant qu'entre eux et lui se soient établis les liens d'une sympathie d'autant plus forte qu'elle reposait sur une

quasi-simi-litude de tempéraments.

L'esprit constructeur de Maurois ne tarda pas à agencer ses

expériences et ses observations en des dialogues de la plus fine psychologie ethnique. Le manuscrit fut porté à la connaissance de quelques intimes qui s'en enthousiasmèrent; de leurs mains, il passa en celles de Bernard Grasset, jeune e'diteur de Paris bien connu pour son flair et son audace. Maurois reput de la Mission Française l'au-torisation de publier, mais a condition qu'il prit un pseudonyme. "Les officiers avec lesquels vous vivez ou avez vécu," fit observer le chef du personnel, "pourraient se reconnaître et seraient froissés." Des lors, étoile Herzog devint pour tous, André Maurois.

De l'accueil que reçut Les silences du colonel Bramble, nous

parlerons plus loin. Qu'il nous suffise de dire ici que Maurois n'eut pas à regretter la publication de ce petit livre heureusement hardi. N'anticipons pas davantage.

Quand vint le jour de l'iirriistice, les officiers de

l'Etat-Major Asser voulurent faire une surpirse à leur interprète. A la fin du dîner, ils se levèrent, forcèrent Maurois à rester assis, et

chantèrent avec un grand sérieux "For he is a jolly good fellow, - And so say ail of us." Puis ils lui offrirent un beau plat d'argent sur lequel ils avaient fait graver leurs signatures. "J'étais emu,"

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9

clare Maurois. "Leur affection était, je le savais, sincère; de mon côté, j'avais appris à les estimer et à les aimer."^

Ce n'est qu'en mars 1919 que l'interprète titulaire de la

médaille britannique, devenu lieutenant, fut démobilisé. Il ne se sépara pas, pour autant, des Anglais et de l'Angleterre. Bientôt, reprenant sur un autre plan le rôle qu'il avait si bien rempli pen-dant la guerre, il deviendra l'interprète spirituel, l'agent de

liaison de haute classe entre la France et l'Angleterre, et ceci par le double moyen de sa parole et de ses écrits.^-9

Qn le voit, si la guerre était finie, les relations de Maurois

avec les Anglais ne l'étaient pas. A la vérité, elles ne faisaient que commencer. Ses camarades de l'Etat-Major Asser n'oubliaient pas leur interprète. Comment l'auraient-ils pu après la publication des

Silences du Colonel Bramble? En 1920 et en 1921, ils invitèrent

Maurois à des dîners commémorât ifs. A Paris, il reçut quelques-uns d'entre eux. A un dîner organisé en son honneur par Lord Byng, le héros de Vimy, Maurois eut l'insigne privilège de rencontrer douze Anglais appartenant à douze professions et milieux différents. Au Champagne, Lord Byng fit un petit discours dans lequel il dit: "We are ail Brambles hère..." Les membres de l'état-major s'étaient reconnus; ils en avaient été' flattés.

Au moment où parut Las silences du Colonel Bramblg» Maurois

recevait une lettre amusante de Maurice Baring, qui avait servi dans 18 Ibid., p. 256*

19 Fillon, ÇD. cit., p» 31.

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lfaviation britannique en France. Cette lettre fut le point de

dé-part d'une précieuse amitié. Chez ce converti au catholicisme, en qui Maurois croyait voir la gaieté des saints et leur bonté, il

ren-contra plusieurs Anglais avec qui il se lia d'amitié. Le cercle des amis de choix s'agrandit au point qu'en 1936, Fidus pouvait écrire dans la Revue des deux mondes: "Non sans coquetterie, la société an- . glaise entourait le portraitiste de Shelley, de Byron, de Disraeli, d'Edouard VII, comme autrefois elle se pressait autour du chevalet de Van Dyck* M. Maurois, resté fidèle aux colonels Bramble, et aux

majors Parker de l'armée des Flandres; se lia en outre avec Kipling, Chesterton, Vansittart, Duff-Cooper, Huxley, Nicolson, Forster, bref, avec toutes les vedettes politiques et littéraires de l'avant et de 1'après-guerre."^

Lfécole et l'étude avaient fait de Maurois un socialiste que

des vertus innées avaient maintenu dans une heureuse modération. Puis les relations nécessaires entre patron et ouvriers aux usines d'Elbeuf le mirent a une autre école: celle d'une humanité qui peine sous la rude tâche de chaque jour et qui n'en garde pas moins au

coeur un désir insatiable, un besoin véhément de s'élever au-dessus des contingences du gagnepain. Plus tard, la guerre le plaça en con-tact immédiat avec des hommes en qui le sens du devoir s'imprégnait d'endurance joyeuse. Ainsi se formait en Maurois cette personnalité forte et douce, virile et tendre, réaliste et spiritualiste a la

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11 fois, toutes qualités, dont ses oeuvres comme sa vie porteront désor-mais la trace.

En 1933, lorsque parut Edouard VII et son temps, l'oeuvre

lit-téraire de Maurois était déjà considérable, mais surtout elle était variée* Les Silences du Colonel Bramble avaient été suivis en 1922 des Discours du docteur Q'Grady» La revue Modem Languages avait publié dans ses numéros d'avril et juin 1921, une e'tude fort in-téressante intitulée A la découverte des Anglais»

A partir de 1923, Maurois consacre son vaste talent et sa

plume aussi souple que féconde aux oeuvres littéraires et à l'histoire politique de ceux avec qui il vit désormais en communion de pensées et dé sentiments»

Epris de Shelley dès ses premières années au lycée Corneille,

Maurois nous dit lui-même quelque part qu'il trouva dans le livre

revé--la vie de Shelley—l'occasion de concrétiser certains sentiments, certaines idées qui s'agitaient en lui. Sa propre nature romantique aux prises avec les réalités de la vie, trouvait en "Shelley", une porte par où s'extérioriser. John Charpentier, nous apprend dans Living Age que Maurois ne voulut rien de moins, en racontant la vie de Shelley, que se venger des chimères de sa propre^ jeunesse.

Des aff inités mystérieuses l'attiraient vers ce poète qui, comme lui-même avait souffert, avait fait souffrir.

Quelles pensées étaient venues à Maurois en cette heure où,

avec sa fiancée de 1912, il se tenait immobile devant le cénotaphe

22 John Charpentier, "-àndre" Maurois", Living Age, 339:484, January, 1931#

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de Shelley à University Collège? C'est là nous n'en doutons pas, qu'avait germe en lui l'idée dfécrire une vie de Shelley. Si elle

ne parut qu'en 1923, c'est qu'il fallut tout ce temps pour en assurer la réussite. Ariel ou la vie de Shelley» n'est pas a proprement parler une oeuvre d'histoire ou de critique littéraire; c'est plutôt une

biographie romancée où l'illustre poète anglais nous est présenté comme un génie "distant, aérien, spirituel, insaisissable", un peu comme ce nuage que le poète du Surrey chante dans l'ode merveilleuse qui a pour titre The Cloud.

Sept années s'ecoulerent entre la publication de la vie de

Shelley et celle de Byron. Entre temps, Maurois avait réuni sous un même titre, Etudes anglaises, une appréciation assez large de

Dickens, Walpole, Kuskin et d'autres écrivains plus proches de nous. Il avait fait une vie de Disraeli dont nous parlerons bientôt. En outre, il avait fourni à diverses revues des articles sur la litté-rature, l'histoire et les moeurs anglaises.

Romantique par tempérament et peut-être aussi par éducation, Maurois voulut donc aborder l'oeuvre de Byron. Il lui semblait, confie-t-il au lecteur des Mémoires que, dans Ariel, il avait été injuste envers Byron et que peut-é'tre son cynisme apparent était plus généreux que l'idéalisme sensuel de Shelley»

Maurois profita d'un séjour à Trinity Collège pendant l'été

de 1927, pour accumuler des notes sur le sombre auteur de Childe Haro M en vue d'une biographie. L'endroit et le temps étaient des plus propices. Trinity Collège était celui de Byron et 1929

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mar-13 querait bientôt le centenaire de la libération de la Grèce, cause a laquelle il avait consacré et son coeur et sa fortune. 3e

re-portant a cet été de 1927, Maurois écrit dans ses Mémoires: "J'allais souvent voir au tournant de la rivière, le petit gouffre où il aimait à plonger pour s'accrocher au fond des eaux à un vieux tronc

pour-23

rissant."

En 1928, alors qu'avec sa famille, Maurois passa les cinq mois

d'été en Angleterre, il voulut que ses voyages a travers le pays lui fissent suivre de près la trace des pas de Byron. Deux ans plus

tard, il confiait le manuscrit de la vie du poète à Bernard Grasset, de Paris. Des presses sortaient deux forts volumes; non pas une vie romancée comme celle de Shelley, mais une véritable histoire lit-téraire avec des aperçus critiques.

Il y avait encore Kipling, le romancier des "Jungle Books" qui avait si fort charmé ses treize ans au lycée de Rouen. Ce Kipling qu'il avait tant aimé, il le rencontra enfin chez Lady

Colfax. C'était en 1927. Déjà il avait entendu le magique écrivain dans une conférence Impérialiste sur Cecil Rhodes. Cette fois c'était le tête à tête dans un charmant salon. "Je ne fus pas déçu,"

ra-conte Maurois de cette mémorable entrevue. "Kipling parlait Kipling, Kipling était un personnage de Kipling. Il fut le premier à me

mettre en garde contre le pacifisme optimiste qui désarmait l'Angleterre.

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"N*oubliez-pas," me dit-il, 'que les pays finissent par ressembler à leur ombre'."24

Cependant ce ne sera qu'en 1928, au cours de ses conférences

à Cambridge, que Maurois jouira d'une véritable journée "Kipling". "Il vit ici, a Cambridge, à la campagne," écrit-il, "loin du bruit de sa gloire. La dignité de sa vie commande le respect de ses

25

idées." Les pages les plus passionnantes de "Magiciens et logiciens" sont consacrées à Kipling.

C'est pendant la guerre de 1914-1918 que Maurois avait vu

naitre et grandir en lui une adiairation enthousiaste pour la tradition et la valeur britanniques. Il ne devait plus se départir de ce

sen-timent. Pierre iiost dans une étude nous fait remarquer que "on sent en lui (Maurois) une dévotion véritable aux grands esprits qu'il a rencontrés comme des maîtres et qui l'ont enrichi; on sent qu'il vit avec eux, qu'il les écoute; qu'il s'agisse (car il y a des héros de toutes sortes...) de Byron ou de Proust."26 Nous savons avec quelle intelligence amoureuse il avait parlé à ses compatriotes de j?ranee des célébrités littéraires anglaises du siècle dernier. Yoyons

maintenant comment il écrit de ceux qui ont dirigé les destinées de ce vaste empire.

L'année qui vit paraître Etudes anglaises (1927) vit aussi

la publication de Disraeli. Aux yeux de S^aurois, Disraeli incarnait

24 Ibid», p. 291*

25 Maurois, i>les songes que voici: Journal de vacances, (Paris: Grasset, 1928) p. 149.

26 Pierre Bost, "Mes songes que voici" L'Europe nouvelle, 20:597, 195?»

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15 l'admiration pure et totale pour la grande et forte tradition bri-tannique. Il lut ses oeuvres avec enthousiasme et s'éprit des for-mules du grand homme d'état dont quelques-unes trouvaient en lui une résonnance immédiate. La longue et heureuse vie conjugale de

Disraeli lui apparaissait comnie l'image de celle qu'il eut souhaitée et qui lui fut refusée.27 ^'attitude religieuse de Disraeli lui

plaisait d'autant que comme lui il jugeait "qu'un homme, né juif, s'il est sincère et généreux, doit autant et plus qu'un autre,

com-28

prendre et respecter la tradition chrétienne. Et Maurois de dire de son Disraeli: "Jamais je n'avais écrit vm livre avec tant de 29

plaisir.n

Edouard VII et son temps parut en 1933; beau livre qui donne l'Lmpression d'être écrit par les événements eux-mêmes, selon la fine remarque de Louis Chaigne. v

Histoire dffAngleterre, publiée à Paris en 1937, vint clore

la trilogie des grands livres historiques de IJ. Maurois sur l'Angle-terre. Le travail de compilation préparatoire à ce volumineux

ouvrage fut accompli pendant les étés 1932-1937, années pendant les-quelles André" Maurois et sa femme eurent ce qu'il appelle, nTJhe

27 Mme Maurois (Janine-Marie-Wanda de Szymkiewicz) mourut en

1924# Ils avaient alors trois enfants: Michelle, Gerald et Olivier. En 1926, Li. Maurois épousa Mae Simone de Caillavet qui avait une fillette, Françoise.

28 Fillon, op. cit., p. 46 # 29 Maurois, Mémoires II, p. 41.

30 Louis Chaigne, Vies et oeuvres d'écrivains, (Paris: F. Lanore n.d.) p» 92.

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dangereuse fringale de voyages". En hiver, l'Egypte; au printemps, l'île de Malte; en été, l'Angleterre où des amis, le colonel Sterling et sa femme, leur préparaient des séjours 'adorables'... "car,"

ajoute Maurois, "il fallait que nos demeures fussent proches de

Londres ou je travaillais dans les bibliothèques, à l'Histoire d'-ân-31

gleterré." A

1919-193?: vingt années pendant lesquelles la plume de

Maurois ne cesse d'écrire sur les Anglais: vingt années pendant lesquelles il multiplie voyages et séjours dans leur pays; vingt

années de contact répétés, mais forcément limités à la haute société politique, militaire, littéraire ou artistique, la seule qu'il fré-quente. Avec cela, on conçoit aisément que Maurois, observateur sympathique et judicieux, ait trouve'matière à d'intéressants

livres et articles de presse sur les moeurs et coutumes anglaises. Dés 1921, Modem Languages reproduisait: "A la découverte des Anglais" en 1925, Hineteenth Century consacrait près d'une dizaine de pages à un article intitulé "Les Anglais"; en 1929, Spectator contenait: "L'Anglais vu par le Français moyen." La même année paraissaient

Le côté de Ghelsea et dans la Collection Elles, L'Anglaise et d'autres femmes; en 1938, Grasset offrait dans ses vitrines: Conseils à un

jeune Français partant pour l'Angleterre.

...2t tout cela nous amène au moment où Maurois et son ami,

André Morize, se trouvaient, un dimanche après-midi, dans le bureau

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17 du Commissariat de l'Information, £t Paris. C'était le 3 septembre

1939, à l'heure où expirait l'ultimatum de la France et de son alliée, l'Angleterre, au Troisième Reich qui venait d'attaquer lâchement la Pologne; ultimatum qui commençait la terrible guerre que nous vivons. Pendant que les cinq coups sonnaient de l'horloge, ils se serraient les mains en silence.

Ne voulant pas être condamné à l'inaction, Maurois dit au chef

du commissariat, Ciraudoux: "Il me semble que je pourrais utilament assurer la liaison avec l'Angleterre, indiquer aux Anglais nos besoins, les engager à augmenter leur effort, faire connaître cet effort aux Français." On conçoit le plaisir que lui fit la lettre suivante reçue du ïïar Office peu de temps âpres.

Sir:

I am commanded by the army council to convey to you a

most cordial invitation to act as French Officiai Eye-v7itness at Général Headquarters of the British Field Force, vrhich has now arrived in France»

I am to info rai you that, in the event of your accepting

this invitation, our Military Attaché in Paris, Lieutenant-Colonel the Honorable W. Fraser, has been instructed to make ail the necessary arrangements for your réception with the Commander-in-Chief.

Finally I am to say that the Army Council fully

ap-préciâtes the great services which a writer of your distin-guished attainment and profound knowledge of the British Character could render in maintaining thèse happy relations which hâve so long existed between the French people and the British soldiers, and to which your own writing has so largely contributed.

I hope you will f ind it possible to honor us by ac-cepting our invitation.

(24)

I am your obedient servant, H* J. Creed

Permanent Undersecretary of War3^

Après la rupture du front français à Sedan, Maurois fut

en-voyé à Londres où il devait parler en anglais à la British Broad-casting Corporation sur la situation tragique de la France.

A la Mission Militaire Française a Londres, il rencontra

Charles Peake du Foreign Office, qu'il connaissait déjà» Peake avait assemblé au-delà de trois cents correspondants pour une conférence de presse. "Vbus-voulez", dit-il à Maurois, "expliquer au public la

situation de la France? Vous tombez a merveille. •. Vous allez parler à tous nos correspondants." Maurois, malgré ses protestations, dut improviser en anglais, un discours où il décrivit le martyre de la France. "Tous avez ému ces 'hard-boiled boys of the pressf," dit

E. Nicolson du Ministère de 1* Information. Pendant une semaine, Maurois parla â la radio deux: ou trois fois par jour, et parfois la 33

nuit jusqu'à deux heures du matin. ^

Le 3 juin 1940, Paris fut bombardé par 240 avions allemands, quelques jours plus tard, Maurois lisait tristement le "Times" lorsqu'on l'avertit que la Reine Elizabeth souhaitait le voir à Buckingham Palace. Il s'y rendit tout de suite, et fut introduit dans les appartements privés de sa Majesté*. "La Reine fut gracieuse

32 Maurois, Ménpires II, p. 194. 33 Ibid., p. 240.

(25)

19 et compatissante," dit-il. "lillle me dit qu'elle souhaitait, ce soir-là, parler par radio aux femmes françaises et leur dire non

comme Reine, mais comme une femme à d'autres femmes, la part qu'elle prenait a leurs souffrances. Il y avait dans cet entretien avec elle, en un tel moment, et dans un décor que j'avais si souvent décrit à propos de la Reine Victoria et du Roi Edouard VTI, un mélange d'ir-réalité et d'intimité qui m'émut."

C'est â Marlborough, chez ses amis les Phipps où il passait

le week-end, que Maurois apprit par la radio, le 17 juin, qu'une armistice avait été demandée. "Je m'enfermai dans ma chambre,"

dit-il, "me jetai sur mon lit et pleurai comme un enfant." Ses amis de Marlborough, et ensuite ceux de Londres, se montrèrent admirables ' 35

de discrétion et de gentillesse.

Oui, Maurois comprenait les -anglais et il avait su gagner

leur estime. Citons ces paroles de son amit Desmond MacCarthy, paroles si pathétiques, si nobles, prononcées au cours d'une conversation, la dernière, peut-être, qu'il eut avec Maurois avant le départ de ce

dernier pour 1'Amérique:

Nous savons que nous sommes menacés de tout»»» Notre devoir est de sauver ce qui peut être sauvé et qui ne dépend que de nous: la confiance que nous avons les uns dans les autres. Pour cela il faut deux choses: d'abord n'oublions jamais l'existence de nos amis, leur gentillesse et leur affection. Même lorsque nous ne les verrons pas pendant de longues années; même lorsqu'on dira aux Français que nous Anglais, nous sommes des monstres, où à nous-mêmes, que les Français nous ont trahis; pensons à quelques Français

34 Ibid., p. 242. 35 Ihid., p. 243.

(26)

et à quelques Anglais desquels nous savons qu'ils ne peuvent

avoir que des pensées nobles, et généreuses... ïït puis, quand nous en aurons l'occasion, soyons très bons les uns pour les autres, beaucoup meilleurs que d'habitude. Il y a aujourd'hui dans le monde, une grande disette de bonté. Il faut rétablir l'équilibre.

Démobilisé par la Mission Française, Maurois dut se demander

à maintes reprises ce qu'il aurait de mieux à faire. Il avait promis de faire, à Boston, un peu plus tard, une série de "Lowell Lectures". Il prit le parti de s'embarquer dès juillet pour l'Amérique bien que les conférences ne fussent données qu'en septembre.

Il n'existait donc plus de communication entre la Grande 4

Bretagne et la France. "Jetais," dit Maurois, "comme un enfant dont les parents divorcent, qui s'attache à sa mère qui souffre Franpais 37

avant tout, mais depuis vingt ans ami de l'Angleterre."

Fidus termine une étude sur Maurois par ces mots: "Paul Morand

a dit de lui qu'il est notre vrai tunnel sous la Manche. Moi, je vois en Maurois, qui a l'esprit flexible et accommodant, mais aussi la

ferme utilité d'un cintre, une des arches de ce pont suspendu au-dessus des océans et des frontières, qui maintient l'intelligence française en contact avec l'extérieur.*^

Nous tenons de M. Maurois lui-même que des ses premières années

au lycée de Rouen, il sentait en lui-même de profondes affinités avec

36 André Maurois, Tragédie en France, (New York- Editions de la Maison Française, 1941) p» 157»

37 Ibid., pp. 159-160» 38 Fidus, op» cit., p» 810.

(27)

21 les Anglais.

Le critique français, Fidus, déclare que les affinités de Maurois avec le tempérament anglais "sautent aux yeux". Il n'est donc pas étonnant que, avec ce penchant pour les personnes et les choses

an-glaises, Maurois se soit épris des écrivains anglais et, plus tard, des officiers de l'armée anglaise avec lesquels il vécut intimement

pen-dant quatre années.

Pour Maurois, le psycholoque, ces année s—1914-1918—ne furent

pas des années perdues pour le travail d'écrivain auquel il désirait se consacrer. Observateur curieux et sympathique à la fois, il pro-fita de cette opportunité des plus favorables pour étudier le tempé'-rament anglais. Il nota soigneusement les traits de caractère de ces "Britishers" qui l'intéressaient énormément: qualités, défauts, manies mêmes, rien ne lui échappa.

Déjà, Maurois e'tait quelque peu auteur. Il conçut donc l'idée

d'écrire un petit ouvrage à l'intention de ses compatriotes, où il dé-crirait de façon amusante ses nouveaux camarades. Ce petit ouvrage, Les Silences du Colonel Bramble, eut pour résultat inattendu et imme-diat la conquête des Anglais lettrés.

La guerre terminée, Maurois entretint des relations suivies avec

les officiers anglais, écossais et irlandais de son régiment; puis, au cours de ses visites en Angleterre, il augnenta le cercle de ses

con-naissances, connaissances recrutées parmi l'élite de la nation, la seule classe $u* il connaisse et fre'quente.

(28)

Il se rendait en Angleterre parfois pour y passer quelques jours

de vacances, plus souvent pour se documenter en vue de quelque nouveau livre; roman, biographie, histoire qu'il voulait écrire.

En psychologue averti, Maurois continuait de noter les traits de caractère de ces Anglais, pour lui, toujours si intéressants, toujours si sympathiques. De nouveaux milieux lui fournirent des aspects nouveaux du tempérament britannique.

De cette étude attentive et prolongée il est résulté chez

M* Maurois une connaissance du caractère et du tempérament anglais que, au dire àes Anglais eux-mêmes, nul autre écrivain français ne possède à un aussi haut degré.

Dans les quelques chapitres qui suivront, nous nous efforcerons d'exposer certains de ces traits caractéristiques remarqués par

M. Maurois chez l'Anglais, dans ses contacts avec lui a l'armée, dans ses universités, dans sa vie intime comme dans sa vie sociale, lit-téraire et politique.

(29)

CHAPITRE II

Principaux traits de caractère relevés par M. Maurois chez les anglais.

Les années vécues en France avec les officiers anglais, les

nombreux contacts ultérieurs avec ces mêmes officiers, rencontrés, cette fois, dans le cadre social ou dans l'intimité du cercle fami-lial, des relations prévues ou fortuites avec les hommes de lettres et les politiciens les plus en vue de son temps, mirent André'Maurois à même de faire une étude approfondie du caractère et du tempérament anglais tels qu'ils existent, du moins, dans la haute société. Des masses anglaises comme telles, Maurois ne dit rien ou à peu près rien, car ni ses occupations, ni ses tendances ne le mirent en con-tact habituel avec elles.

Dans un bref article intitulé "L'Anglais vu par le Français

moyen" Maurois met son lecteur en garde contre tout essai de psycho-logie nationale. "Je vois bien ce cheval," dit Aristote, "îûais je ne vois pas la chevaléité»" "Moi, je connais tel Anglais, mais je ne connais pas l'anglais. Pourtant, puisqu'il est impossible d'em-pêcher les peuples de se former quelque image les uns des autres, et puisque ces images sont toujours fausses et généralement caricaturales, mieux vaut encore essayer de les retoucher."

C'est ce que nous allons tenter de faire dans ce chapitre

1 André Maurois, "L'Anglais vu par le Français moyen" Spectator, 149:719, 1932.

(30)

et les trois suivants, en recueillant dans les oeuvres de îvlaurois les notes essentielles du caractère anglais, telles qu'il les souligne

cherchant en chacun de ses types ce qu'il a de meilleur. Parmi les traits frappants signalés par Ivlaurois tous

in-téressants pour le 5'rançais, soit qu'ils décrivent les'enfantillages d'un Dundas ou les extravagance d'un Shelley, l'humour occupe une place prépondérante...l'humour, cette chose charmante que Littré -«

définit: une gaieté d'imagination, une veine comique. Félix de Grand» Combe voit dans l'humour anglais non pas tant une façon de voir ou de décrire la vie qu'une façon de vivre» Maurois dit tout simplement que c'est une forme de philosophie qui convient admirablement au

tempérament anglais. "Lorsque le réel s'impose avec trop de vigueur," explique-t-il, "le mécanisme auquel l'esprit anglais recourt pour

. exprimer la vérité sans souffrir, c'est de la transporter sur un plan éloigné du possible où elle cesse d'être offensante parce qu'elle

devient invraisemblable: c'est l'humour." "L'humour," dit ailleurs Maurois, "met à leur place véritable des événements que, sans lui, on jugerait tragiques. Il permet dans les circonstances les plus

graves de conserver une légèreté consciente qui est une des formes les plus civilisées du courage."4

2 Félix de Grand'Combe, Tu viens en Angleterre (Paris: Presses Universitaires de France, 1932) p. 100.

3 André' Maurois, "Les Anglais", Nineteenth Qentury, 98:811, 1925» 4 André' Maurois, "A la découverte des Anglais", Modem Languages,

(31)

25 ^<es discours du docteur G'Grady abondent en traits de ce

genre... On est à l'état major Asser. La guerre va mal...et le général Bramble continue de danser au jazz..»

Docteur, murmure gravement Aurelle, nous assistons peut-être aux derniers jours d'une civilisation qui, avec tous ses dé-fauts, fut parfois aimable; ne croyez-vous pas qu'il y aurait mieux à faire que de tanguer aux sons d'une atroce bamboula? My boy, dit le docteur, que feriez-vous si on vous enfonçait

une épingle dans la cuisse?...";ell...la guerre et la paix ont cloué plus d'une pointe dans l'humanité. Jeile-ci se dandine en hurlant de douleur» C'est un réflexe assez naturel» Il y eut aussi une épidémie de Fox-trot après la peste noire au XIV siècle;

seulement, dans ce temps là, on appelait ça la danse de Saint Guy»5

Cette promptitude de l'Anglais "à faire humour" des circonstances tragiques ou simplament ennuyeuses frappait tellement Nietche qu'il

A

écrivit lin jour ces étranges paroles: "L'homme n'aspire pas au

bonheur; il n'y a que l'Anglais qui y aspire." Pour exclusive que soit cette affirmation, elle renferme un certain fond de vérité hu-maine... l'Anglais n'a-t-il pas presque toujours "l'air" plus heureux que les autres?

4

Si Maurois admire tant Dickens, c'est pour la philosophie

"humoristique" de ses oeuvres et le courage qui en marque certains personnages. Nous lisons ce passage dans sa Vie de Dickens:

Voici, un homme qui a traversé pendant son enfance les plus épouvantables événements. Il consacre après un long silence un roman à la décrire et on ne trouve dans le livre que les plaintes les plus mesurées, les plus nobles, les portraits les plus gais et les plus justes.6

Grasset^ iSSif pauîR^s> L e s discours du docteur u'Grady, (Paris:

(32)

Il y a là un bel exemple de maîtrise de soi littéraire et il est juste de reconnaître que l'humour est une forme de philosophie.

Très fière d'elle-même et très impatiente de toute critique,

la société anglaise du dix-neuvième siècle n'aurait pas toléré des pamphlets contre ses institutions, mais elle s'éprenait de Swift et de Dickens, car Swift aussi bien que Dickens recouraient à l'humour pour attaquer les abus de leur temps. Si Bernard Shaw a pu démolir impunément beaucoup de préjugés britanniques, c'est qu'il enfonçait les portes saintes, par des pirouettes. Laissons encore parler

Maurois:

A un journaliste anglais qui, au début de sa carrière l'in-vita à se définir, Shaw répondit: "Bernard Shaw est un céli-bataire, un Irlandais, un végétarien, un menteur, un bavard, un conférencier, un adversaire farouche de la situation faite aux femmes par notre civilisation et il croit au sérieux de

l'art. . ." Cette première pirouette n'est pas un mauvais point de départ, car elle montre la méthode propre à cet auteur et

qui consiste à obtenir un effet comique en disant simplement et cyniquement la vérité.7

Il n'y a pas jusqu'à l'esprit pratique de l'Anglais qui ne se cache sous le voile de l'humour. Maurois raconte:

On avançait; Aurelle sur son vieil arabe blanc trottait entre le docteur et le colonel Parker.

—île tenez pas votre cheval si serré, raessiou, laisses le faire. —Liais c'est plein de trous.

— M y Boy, quand un homme est sur un cheval, le cheval est toujours le plus intelligent des deux.

L'Anglais n'aime pas la loquacité. Veut-il faire taire un

parleur outrancier, l'humour est encore le moyen par excellence.

7 André Maurois, Magiciens et Logiciens, (Paris: Grasset, 1955) p* 101*

(33)

27 O'Grady, loquace comme toujours, parle de ses patients à

l'asile. Il trouve, dit-il chez les officiers du mess "Lennox Eigh-landers," tous les phénomènes qu'il observe dans les asiles.

Parker, dit le colonel Bramble, voyez-vous un moyen de le réduire au silence?

Q Une grenade numéro cinq, dit le major.

Selon Maurois, les Anglais sont à la fois sentimentaux,

dis-ciplinés et timides. L'attaque humoristique leur plaît parce qu'elle laisse^ en apparence subsister l'objet attaque. On sait que l'humoriste raille, mais ses railleries restent discrètes, voilées, et l'âme

an-glaise est rassurée.10

Dans Les Silences du Colonel Bramble, nous trouvons cet autre

bel .exemple de raillerie honnête. Parker avait été promu. Le général Bramble s'avise de le railler en présence d'Aurelle, l'interprète: "Voyez-vous," messiou, "ce n'est pas le bon vieux temps. Parker

ne maudit plus les casquettes dorées. On le maudit sans doute en ce moment, lui même, dans le petit bois que vous voyez là-bas." loin de se froisser, le major Parker maintient l'importance de son nouveau rang: "Il est vrai, qu'il faut faire partie d'un Etat Major pour se rendre compte de l'importance du travail qui s'y fait. L'Etat Major est vraiment un cerveau sans lequel qucune action des bataillons n'est possible." "Vous entendez," dit Bramble, "ce ne sera plus jamais la

9 André' Maurois, Les Silences du Colonel Bramble, (Paris:Grasset, 1918) p. 123,

(34)

même chose.

C'est le propre de l'iînglais de savoir admettre les plaisanteries 12

qu'on peut faire à son compte, écrit Félix de Grand*Combe. Dickens

explique: "Il est facile de rire de soi dans les petites choses quand on s'admire dans les grandes. . .13 d'où le parfait humour des Anglais. Voici un trait assez piquant d'ailleurs emprunté aux Discours du docteur Û'Grady. „ .

Pour railler le Padre protestant, le docteur parle avantageuse-ment du catholicisme:

Je ne veux pas vous chagriner, Padre, mais le catholicisme est la seule religion. La raison d'être d'une foi, c'est

d'apporter une certitude. A quoi sert un credo que .l'on peut discuter, un dogme, aussi changeant qu'une philosophie? Moi

qui suis condamné par profession à étudier des êtres dont 1'équi-libre moral est instable, j'affirme que l'Eglise Romaine a compris la nature humaine. Comme psychologue et comme médecin, j'admire l'intransigeance des conciles. A tant de faiblesse et de sottise, il faut le ferme appui d'une autorité sans tolérance.

Et le colonel Parker de répondre:

Il est certain qu'il fallait au moins les directions rigides du catholicisme pour empêcher les Irlandais de devenir fous, mais ne jugez pas l'espèce d'après vous-même^ O'Grady; les

Saxons ont le cerveau solide et protestant.

Reste à savoir ce que pensa, de cette ronde boutade le fils de la verte Erin, qui, lui non plus, ne manque pas d'humour.

Enfin répétons ce que dit Maurois de ses amis anglais: "A

vivre au milieu de ce peuple qui unissait -une si remarquable finesse

11 Maurois, Les Silences du Colonel Bramble, p. 151. 12 Grand'Combe, op. cit., p. 28.

13 André Maurois, La conversation, (Paris: Hachette, 1925) p. 50, 14 Maurois, Les discours du docteur u'Grady, p. 12.

(35)

29

de moeurs à une si étonnante jeunesse d'esprit, il nous semblait mieux / 15

comprendre les beaux contes étranges de Kipling."

"L'humour anglais," déclare tfidus, "Maurois l'a si bien trans-posé dans notre langue qu'il a réussi à l'acclimater chez nous. Ce n'est pas un mince service à nous rendre. Dorénavant, quand les discoureurs de Genève, grisés par les applaudissements des délègues équatoriaux, se réveilleront le lendemain sous la douche froidedes commentaires de Londres, ils n'auront qu'à relire Les silences du colonel Bramble pour comprendre l'effet produit en Angleterre par

leur génie oratoire."

Chez l'Anglais même mystique, selon Maurois, il y a toujours

un mélange d'humour. "J'entends, par là," affirme-t-il, "que tout

en regardant avec un sérieux émoi la passion et les luttes des hommes, l'Anglais s'en détache toujours comme s'il les regardait d'une autre planète. Il a un besoin permanent de dédoublement* De cette distance, les misères humaines apparaissent si petites que l'importance que nous leur donnons devient nécessairement comique."17 "Il y a en outre chez l'Anglais," nous dit-il dans un autre ouvrage, "un besoin de masquer les aspects sordides de la vie, qui explique l'humour mélancolique de Dickens et de Charles Lamb, et la gaieté des soldats anglais." 8

15 Maurois, "A la Découverte des Anglais", p. 103. 16.J?idus, on* cit.. p. 810#

17 Maurois, Etudes anglaises, p. 242.

18 André Maurois, Le coté de Qhelsea. (Paris: Gallimard, 1932) p. 31.

(36)

Maurois rapporte qu'k l'époque de la première guerre mondiale,

les soldats anglais en wagons, se dirigeaient vers le champ de bataille, saluaient chaque village d'une chanson, et allaient à cette guerre af-freuse comme à un joyeux match de football. "Leur bonne humeur, ou comme ils disent, leur sens de l'humour," conclut Maurois, "leur est utile en temps de guerre."^

"Soyez confiants, restez gais," conseille Dickens, "le monde

est à ceux qui partent à sa conquête avec certitude et bonne humour."2^ Etre assuré de la victoire, n'est-ce pas avoir déjà commencé à vaincre? Et vaincre dans l'optimisme joyeux, c'est vaincre deux fois*

Avec Chesterton, Maurois voit que c'est un besoin pour

l'Anglais de croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes impossibles. Donc ce qui est mauvais doit être nié. L'humour 21

remplit admirablement une telle fonction.

Le ton railleur et tendre à la fois des romanciers anglais,

Maurois l'attribue à un effort pour s'affranchir d'une sensibilité trop dangereuse. Le flegme britannique n'a pas d'autre cause; c'est

un masque. Ce n'est que derrière ces traits impassibles qu'il leur

est permis de pleurer et de sourire.22

"Un sentimentalisme anglais déchainé," soutient Maurois,

"c'est presque intolérable, et c'est pourquoi les plus grands parmi les écrivains anglais ont toujours été attentifs à rapprocher dans leurs ouvrages les scènes comiques des scènes tragiques. Shakespeare

19 Maurois, "A la découverte des Anglais", p. 101. 20 Maurois, Dickens« p. 135.

21 Maurois, Etudes anglaises, p. 158.

(37)

31 23

en est un exemple*

Maurois rapporte ce que lui raconta un jour l'Anglais Desmond: Desmond me décrivant les amours secrets d'un de ses amis

m'apprenait que celui-ci était jaloux au point que dans une fête sur la Tamise, une maîtresse de maison maladroite ne

l'ayant pas placé dans le même bateau que la femme qu'il aimait, il avait sauté dans l'eau en habit et avait rejoint cette femme.

24 Ne fut-ce que par orgueil, un français ne l'aurait pas fait. En s'adressant aux Anglais dans un article, Maurois s'exprime ainsi:

De même que votre sentimentalité explique votre froideur, la

violence de vos passions explique la pudeur de vos artistes. Vous interdisez à vos journaux les images voluptueuses parce que arous connaissez plus que les autres la sombre fureur du désir* Nous discutons de ces choses parce que nous y pensons légèrement* L'art n'a a'autre objet que de donner aux hommes ce qui leur manque dans

la vie réelle. Si le peuple français a accepté jadis une littéra-ture un peu libre, c'est que sa vie était la plus austère du monde. Ceux d'entre vous qui ont vécu dans nos petites villes du nord en

ont admiré les vertus bourgeoises et l'ascétisme véritable.2^

La pudeur victorienne est mourante selon Maurois, cependant il conseille son jeune compatriote'd'être prudent:

Freud et ses disciples ont permis aux Anglo-Saxons d'exprimer

enfin leurs passions à l'abri d'un masque scientifique. Tu verras dans les théâtres de Londres des pièces hardies que tu n'aurais pas osé faire représenter à Paris. Tu liras des romans anglais...

qui te paraîtront incroyablement cyniques. Pourtant -sois prudent. Il reste dans la violence même de ce cynisme une part assez large de puritanisme. Cela fait un mélange inimitable et explosif qu'un étranger doit manier avec précaution. D'ailleurs, les masses bri-tanniques ne sont pas atteintes par ces moeurs nouvelles... Tu les trouveras plus sentimentaux...que nos Français. Les films et les pièces qu'aime ici le grand public baignent dans le sentiment.

23 Maurois, Etudes anglaises, p. 162. 24 Maurois, Le côte" de Ghelsea, p. 113.

25 Maurois, "A la découverte des Anglais," p. 126.

26 André" Maurois, Conseils à un jeune Français -partant pour l'Angle-terre. Paris:Grasset. 1938. p. 22.

(38)

La pudeur de l'Ecossais, représente par Bramble dans les

livres de Maurois, atteint parfois le comique. Du moment que Bramble croit apercevoir la moindre nuance de vulgarité ou d'indélicatesse

dans une conversation, il s'efforce d'en changer le sujet ou de montrer clairement, d'une façon quelconque, sa désapprobation. Aurelle, par exemple, est en conversation avec le Padre: "Ahî Padre. si vous aviez vu Grâce, Iris, Violette...leurs yeux..." *!Ne décrivez pas, messiou,"

28

interrompt Bramble, "c'est très malsain." Parfois, Bramble se voit forcé de garder un silence respectueux au moment où on s'entretient de tels propos "malsains". C'est alors qufil sort ses meilleurs dis-ques et fait entendre sur son éternel gramophone: Mrs. Finzi-Magrini ou Destiny Waltz. vitesse accélérée.

L'auteur des Conseils prévient son compatriote contre la jactance:

Si tu es champion du monde de tennis, dis: 'Oui, je ne joue

pas trop mal.' Si tu as écrit des livres ne dis rien» Ils (les Anglais) découvriront eux-mêmes, avec le temps, cette

regrettable mais inoffensive faiblesse; ils te diront en riant: J'ai appris des choses sur vous.' et ils seront contents de toi. Quand pendant trois ans tu n'auras pas ouvert la bouche, ils penseront: 'Ce garçon est un agréable et tranquille garçon.' Sois modeste. Un Anglais te dira: 'J'ai une petite maison à la campagne. Ce sera un château de 300 chambres.'30

Veronica Rice dans ses "English Portraits" affirme que "The

Englishman is the least boastful of men; he is not vain but

self-28 Maurois, Les Discours du docteur O'Orady, p. self-28. 29 Maurois, Les silences du colonel Bramble» p. 50. 30 Maurois, Conseils & un jeune Français partant pour

(39)

sufficient.... It is not so much that he has a high opinion of himself as that he has learnt to hâve a low opinion of others."31 C'est ici

le cas de dire que qualités et défauts vivent dans un étroit parentage. Maurois ne tarit pas d'éloges sur la discrétion des Anglais.

Aussi leur pays est-il, selon lui, celui où il est le moins pénible de souffrir. C'est parmi eux qu'il convient de passer toutes ses convalescences sentimentales. Ils ont le tact de vous faire sentir par d'imperceptibles nuances que cette discrétion n'est pas in-différence. Ce sont des amis exquis, les meilleurs."

Bappelant les années passées à l'état major Asser, Maurois écrit :

Surtout nous goûtions l'extrême courtoisie des rapports entre

tous, et cette discrétion exquise qui nous permettait de vivre pendant des mois dans le même abri que des camarades anglais sans que ceux-ci nous eussent jamais posé une question sur notre vie privée.53

Lorsque Maurois s'avise de conseiller son jeune compatriote

partant pour l'Angleterre, il lui donne comme règle d'or de ne jamais poser de questions» Lui-même avait vécu six mois pendant la guerre sous la même tente qu'un Anglais dont il partageait le tub sans qu'il lui ait demande s'il était marie", ce qu'il faisait en temps de paix et quels étaient les livres qu'il lisait sous ses yeux. "Si tu tiens à faire des confidences," lui dit-il, "elles seront écoutés avec une 31 Veronica Bice, "English Portraits", (André Maurois)

Oon-temporary Review, 131:97, 1927» 32 Maurois, "Les Anglais", p. 806»

(40)

indifférence polie. Garde-toi des confidences sur les autres. Les •potins* existent ici comme ailleurs, mais ils sont à la fois plus rares et plus graves* Pas de milieu entre le silence et le scandale. 34

Préfère le silence."

Quelques années après la guerre, en 1923, îvlaurois rendit

visite à son ancien ami, le docteur James. Toujours gai, celui-ci le raille: "Well, well," dit-il, "vous m'avez bien lâché depuis que vous êtes devenu historien. J'ai lu votre dernier livre..„2t—livres 35

à part, que devenez-vous?"

Maurois apprit pendant ce voyage que peu de temps avant la

dé-claration de la guerre, (1914), le docteur James avait eu des soucis de ménage très sérieux. "Que les êtres humains sont mystérieux," dit-il au docteur Rigby, "ainsi quand je vivais en Belgique, dans le même abri que James, il venait de traverser ce drame et je ne l'ai pas suî

"Oui", dit Rigby, "c'est à la fois la force et le danger de

notre caractère national que cette impuissance à s'exprimer... Nous ne nous livrons pas, nous 'refoulons' comme dit maintenant le public avec un pédantisme un peu naif... Gela ne manque pas de

dignité, mais c'est dangereux pour l'équilibre de l'esprit."

34 Maurois, Conseils à un jeune Français partant pour l'Angle-terre, p. 10.

35 Maurois, Le peseur d'âmes, (Paris : , Gallimard, 1932) p. 113# 36 loc. cit.

(41)

35 Gtétait au début de la guerre actuelle. Maurois se trouvait

avec l'Etat-Major Britannique quand arriva la nouvelle du désastre de Sedan, de la percée allemande et de la déroute de l'armée de Corap. Voici ce qu'il raconte:

Pendant deux jours, mes camarades anglais, par délicatesse, je crois, et peut-être aussi par timidité", ne m'en parlèrent pas. Les communiques officiels demeuraient prudents et obscurs mais

je voyais bien que l*on me cachait quelque chose, que mes camarades se taisaient à mon entrée, et aussi que des ordres de retraites étaient donnés. Enfin les iinglais me dirent ce qu'ils savaient. " Quelle admirable délicatesse!

Chez certains anglais on découvre une réserve qui s'effondre

en face d?un silence sympathique. Tel le colonel Parker. "Je

con-nais assez le colonel Parker," dit Maurois, "pour savoir que le seul moyen d'obtenir de lui un récit est de ne pas le demander*****

Il y a dans l*hésitation et même dans le balbutiement, une

modestie qui plaît à un auditoire anglais. Maurois rapporte d'un vieux ministre, qu'il disait à un débutant aux communes: "Apprenez à bégayer un peu." Il avertit donc son compatriote qu'il arrive dans un pays où il est de bon ton de n'avoir ni une diction trop parfaite, ni une éloquence trop facile, 12t au même endroit il rapporte le fait suivant: "Joseph Chamberlain avait achevé son premier discours au

parlement. Un vieux parlementaire s'approcha de lui, 'C'est très

bien. Mais la chambre serait reconnaissante si vous pouviez hésiter.... 37 Maurois, Tragédie en ffrance, p. 107.

38 Maurois, Mes songes que voici: Journal de vacances, p. 123. 39 Maurois, La Conversation, p. 48.

(42)

quelques f ois.,ff4° Il raconte aussi le fait suivant. Baldwin

prononçait un discours: "La frontière de l'Angleterre," dit-il, n'est plus aux falaises de Douvres* Elle est..." Il s'arrête, cherche parmi ses papiers, et enfin trouve la bonne feuille, et à voix basse annonce rapidement, "elle est sur le Êhin." * C'était là une grande leçon d'éloquence britannique, selon Maurois.

"En Angleterre, la Conversation a ses règles rigides," dit

Maurois, "A table, pendant un dîner, la conversation générale est très rare. On m'a explique ce phénomène par le ton naturellement bas des voix anglaises, qui ne porteraient pas à distance."

Voici la réponse de Maurois au jeune Français partant pour l'Angleterre qui lui demande de quoi il doit parler à table: Parlez de tout, pourvu que vous ne posiez pas de questions

personnelles, que vous ne montriez pas un goût trop vif pour la littérature ni pour les beaux arts, que vous évitiez le

pédantisme, que vous dissimuliez toute compétence sous un masque d'humour, pourvu surtout que T O U S ne fassiez rien pour entrainer votre voisin 'hors de sa profondeur'• S'il prend pied, vous

êtes mal élevé.•• S'il est aussi bon nageur que vous, découvrez ce miracle doucement, prudemment••• Surtout ne parlez pas aux écrivains de leurs livres, ni aux ministres de leur politique. Non que les Anglais n'aiment la flatterie, comme tous les

hommes, mais il faut qi'elle soit ici plus habile et plus dis-crète.^2

Ne pourrait-on pas attribuer à M* Maurois ces exhortations de

Félix de Grand'Combe rédigées pour un compatriote, à l'intention du-quel on a organise un banquet?

40 Maurois, Conseils à un jeune Français partant pour l'Angle-terre, p. 49»

41 Maurois, loc. cit. 42 Ibid». p* 38.

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37 Parle simplement, raconte une ou deux anecdotes amusantes qui ont trait à ton sujet ou qui, de préférence ne s'y rap-portent d'aucune manière. Hésite si tu veux, bredouille si tu l'oses, on te prendra pour un homme d'action ou un aristocrate, Fais à ton auditoire l'aveu de quelque sottise ou de quelque gaffe que tu auras commise toi-même. Cette franchise et cette candeur te vaudront toutes les sympathies et t'attireront

tous les coeurs.4^

Parker, en parlant à l'interprète dans Les silences du

colonel Bramble, lui décrit ses débuts comme sous-lieutenant en Egypte:

Pendant six mois il me fut interdit de parler au mess. Usage

excellent: nous apprenions ainsi à connaître l'humilité'de notre condition et le respect dû à nos anciens.

Si quelque 'tête gonflée* ne s'accommodait pas a ce régime, il trouvait bientôt dans sa chambre son équipement emballé et en-registré pour l'Angleterre. Refusait-il de comprendre, on le traduisait devant une cour martiale de subalternes.•• la il en-tendait quelques vérités sur son caractère.

C'était dur, mais quel esprit de corps, quelle discipline

ces moeurs rudes nous donnaient. Nous ne reyerrons plus jamais un régiment qui vaille nos Lennox de 1914..•

l'Anglais est franc parce que sincère, qualités qui n'ont pas échappé à Maurois.

"Comment ne pas être impressionne'," dit-il, "par ce mot que

Dickens écrivit à Forster après avoir relu son David Copperfield: •Je l'ai relu tout entier l'autre jour, et j'en ai été ému à un point que vous pouvez à peine imaginer. ' Il y a beaucoup de fran-chise et de grâce dans cette façon de parler de ses propres livres.•• J'aime cette honnête fierté des maîtres qui ne contient aucune part

45 de vanité'...

43 Grand'Combe, pp. cit.. p« 173»

44 Maurois, Les silences du colonel Bramble. p» 91. 45 Maurois, Dickens, p. 82.

(44)

Il y a cet autre exemple d'honnêteté chez l'Anglais dont parle Maurois dans un article: "When a compact is drawn up, the Englishman says, 'What must it say?'" Le Français, selon lui, ne s'occupe pas tant du fond que de la forme, tandis que l'Allemand s'inquiète du 46

profit qu'il en tirera*

Dans son grand roman Martin Chuzzlewit. Dickens commence par

la forte satire d'un défaut que beaucoup d'Anglais appelaient de son temps un défaut national: l'hypocrisie. M. Maurois dit même que

l'Angleterre exigeait de ses grandes écoles publiques une génération sagement hypocrite. • .dont le but profond et cache' du système était de former des caractères durs, coulés dans un moule unique. ' Le

résultat d'une telle éducation tend à tromper l'étranger. Ecoutons de nouveau Maurois:

Parce qu'il y avait dans leur aisance, dans leur politesse,

dans la calme surface de leurs visages une qualité lisse et presque moelleuse qui me rappelait invinciblement leurs gazons élastiques et bien tondus, j'avais d'abord été tenté de croire ces Anglais heureux et insensibles.••je découvrais que sous le ton tranquille de leurs voix peuvent se cacher les passions et les souffrances qui agitent les autres hommes; la différence entre les Anglais et mes amis continentaux étant que ces drames chez eux si violents.•.se passaient sur un autre plan, éloigné de l'observateur, et coïncidaient avec une présence parfaitement calme du héros lui-même*

C'est ce qui explique pourquoi les Français voient parfois dans l'idéalisme anglo-saxon une certaine nuance d'hypocrisie* Maurois déclare que l'idéalisme anglo-^axon n'est pas hypocrite, il est

46 André Maurois, "Renewing a Friendship", Commonweal. 19:401 February 9, 1934*

47 André" Maurois, Ariel ou la vie de Shelley. (Paris; Grasset, 1923) p. 4

(45)

39 sincère* Il l'est d'autant plus qu'il est en l'air* C'est une

chanson* "John Bull aime les chants des oiseaux, mais il adore 49

les oiseaux," dit-il*

Bienveillance et fermeté, combinaison qui se rencontre à

tout moment, parmi les officiers et les chefs politiques. Comme autrefois à Rouen, à Abbeville, Maurois les découvre en 1940 au

Quartier Général de l'Advanced Strifcing Force qui se trouvait alors à Troyes:

Je fus reçu par son chef, le Yice-Marshal de l'Air Playfair.

Lorsqu'on a connu quelques-uns des chefs de la 'Royal Air Force* on est frappe par une étrange.et indéfinissable ressemblance entre eux. Ces beaux visages.•.ce mélange de douceur et de fermeté,

cette discipline amicale et grave, sont propres à l'armée de l'air.60

Et ne trouvait-on pas ces mêmes traits, bienveillance et

fermeté, chez Edouard VII, qui, grâce à sa simplicité, à sa fran-chise avait su conquérir tous les coeurs au cours d'une visite en Amérique? Voyons ce qu'en dit Maurois dans sa biographie:

Mais s'il supportait et même encourageait un certain degré"

de familiarité il fallait se garder de dépasser le point que seule une parfaite connaissance du prince pouvait révéler, car il rabrouait les impertinents de façon sommaire et terrifiante. * Nous tenons de Maurois aussi que Churchill, à l'amirauté était à la fois craint et adoré des subalternes.52

• 49 Maurois, "A la découverte des Anglais", p* 133* 50 Maurois, Tragédie en France, p* 121•

51 André" Maurois, Edouard VII et son.temps. (Paris: Les Editions de France, 1933) p. 58.

52 André Maurç>is,"What every Democracy should know", Liberty. 18:12, Llarch 15, 1941.

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