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La rêverie rimbaldienne de l'histoire et de l'agir humain.

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(1)

1 r ./ , ~'~'''''~ .. Short Title: LA REVERIE RIMBALDIENNE 1-t.~

.~-t'

(2)

,

1 l

-,

..•.•..

Claude Vinette

French

M.A. ABSTRACT

Dans notre travail, nous nous sommes proposé

d'ex~iner

oom-ment, dans son oeuvre, Rimbaud s'est représenté l'histoire de

l'hu-manité.

Intéressés par les jugements oélèbres du poète

à

l'endroit

de oertaines institutions, de

certain~

comportements, nous avons

cru pressentir que les oondamnations virulentes et les

enthousias-mes soudains exprimés par ses éorits ne trouvaient leur sens

qU'in-tégrés

~

une peroeption globale des Stres et des ohoses. Il nous

est apparu que la rêverie rimbaldienne de l'aventure colleotive

de l'homme pouvait jouer un tel raIe.

Aussi avons-nous interrogé les textes sur des thèmes aussi

divers que le ohristianisme, l'Orient, l'âge d'or, la condition

de la femme, l'enfance, le travail, la politique, en tentant de

mettre

à

jour une oohérenoe dans les évaluations rimbaldiennes des

traditions de l'histoire ou des diverses formes de l'agir.

Nous oroyons avoir montré que derrière l'apparente

dive~

sité de ses préocoupations, qu'en dépit de ses moments d'arrêt,

de ses hésitations, l'auteur se faisait une conoeption

partiou-lièrement rigoureuse du devenir humain.

(3)

-LA

REVERIE

RIMBALDIENNE

DE

L'HISTOIRE

ET

DE

L~AGIR

HUMAIN

PAR

CLAUDE

VINETTE

(4)

L

&

r

S v e r i

e

r i m b a l d i e n n e

d e

L '

h i

s

t o i r e

e t d e

humain

~

thesis submitted to the

Faoulty of Graduate Studies

and

Relrealrch

MoGill University

in partial fulfilments of th&

requirements for the degree

of Master of

A~tŒ

Department of Frenoh l.anguage

and Li te rature .

Juillet

197a

(5)

Nous tenons

à

remercier le professeur Jones dont les enseignements nous ont servi de guide dans l'élaboration de ce travail.

(6)

"Depuis l'origine il y a des hommes qui conspirent contre

l'or-dre du monde. Le souvenir des p~

radis perdus et l'espoir de futurs

~ges d'or ne les emplit point

seu-lement d'une vague nostalgie. mais

(7)

On parle volontiers du mystère de Rimbaud. Malgré le nombre

2

imposant de gloses et de oommentaires qU'a susoités l'oeuvre du "passant oonsidére..ble,,3. il semble qU'aujourd'hui encore subsiste

une part d'inoonnu qui fascine le lecteur. La critique. elle.

peut-être gênée par les s~ns caohés qui lui résistent, parart se

déoou-'vrir face

à

Rimbaud une humilité qu'a pu lui imposer l'aooumulation

des exégèses les plus différentes. Ainsi il est peu d'études oontem-poraines sur oe poète qui. consoientes du "mystère". ne oonsaorent

quelque temps

à

certaines préoautions méthodologiques concernant

l'approche de son oeuvre.

Il est vrai que l'ambigu!té de la poésie rimbaldienne a au-torisé la naissance d'interprétations fort diverses. Ainsi. après

le zèle intéressé d'Isabelle Rimbaud et de Paterne Berriohon4• et

~

la suite de la oélèbre préface de Paul Claude1 5• les interprètes

(1.) M. Carrouges. L81 Mystique du Surhonnne, Paris, Gallimard.

Biblio-thèque des Idées, 1948, p. 8.

(~) La bibliographie rimbaldienne oompilée par R. Etiemble oompte

pJ.us de 2;,600 ouvrages ou référenoes.

R. Etiemble, Le Mythe de Rimbaud, T. l, "Genèse du Mythe,

1869-1949"', Paris, Gallimard, 1954.

(3) S. Mallarmé, "Lettre

à

M. Harrison Rhoàes~, H. Mondor, Rimbaud

ou le génie impatient, Paris. Gallimard, 1955, p. 36.

(4) Voir

à

ce propos le chapitre sur le Christianisme, p. 46.

(5} P. Claudel, "Préfaoe", Oeuvres d'Arthur Rimbaud, Paris.

(8)

-7-oatholiques, tels Daniel Rops, Raymond Clauzea, Paul Debray, Mar-guerite Yerta-Méléra et René Silvain 6, - pour n'en oiter que quel-ques-uns -, nous ont donné un premier visage du poète: oelui d'un 3tre tour.menté, en qu3te d'infini, dont les révoltes les plus vio-lentes oontre Dieu témoignaient déjà de la ferveur religieuse qui l'animait. De telles exégèses ont parfois oonduit à verser dans l'ha-giographie. D'autre part, les ouvrages de Rolland de Renéville, Enid Starkie, Jaoques Gengoux, Claude-Edmonde Magny et Denis Saurat 7 ont oréé l'image d'un Rimbaud oabaliste et oooultiste.

Catholique, leoteur ~'Eliphas Lévi, Arthur Rimbaud devait

en-oore 3tre l'objet de nombreuses sollioitations. C'est ainsi qu'après la seoonde guerre mondiale, alors que l'existentialisme jouit d'une large audienoe, Paul-Henri Paillou oroit déoouvrir une filiation

spirituelle entre Rimbaud et Sartre8 • Di~ ans auparavant, René

Gof-fin prétendait expliquer les textes rimbaldiens par l'homosexuali-té 9..i. ToutefOis, dans son désir d'étendre son interprétation aux

textes antérieurs

à

la renoontre de Verlaine et de Rimbaud, il

al-lait jusqu'à suspeoter Bretagne et Delahaye d'avoir préoédé la Vier-ge folle. Terminons dès maintenant oe bref inventaire en signalant que, la psyohanalyse a elle aussi oréé un visage partioulier de

l'au-(6) Voir la bibliographi". '

(7) Voir la bibliographie.

(8:) P'.-H. Paillou, Arthur Rimbaud, père de l'existentialisme,

Pa-ris, perrin, 1947.

(9) R. Goffin, Rimbaud vivant, Paris, Corr3a, 193;7.

(9)

-8-teur ardennais~ entre autres, elle a vu en oe dernier un

"psyoho-10; 11

pathe constitutionnel" et un "~anofaque ambulatoire" •

Ce n'est pas notre propos, en effet, d'allonger oette liste des multiples interprétations suggérées à la critique par la vie et l'oeuvre du poète de Charleville. On sait que R. Etiemble a dé-jà fait l'investigation de toutes les interprétations qui, selon lui, se sont oonstituées en mythes autour de Rimbaud et qu'il a

oon-é '

la

sacr vingt ans a oe travail • Les quelques exemples dont nous

a-vons fait état suffisent déjà à nous inoiter à une oertaine pruden-oe en nous signalant, par la diversité des thèses, que l'approohe de l'oeuvre pose quelque diffioulté.

Parler de Rimbaud ne va pas sans problèmes et nous ne saurions négliger d'en prendre oonsoience sans risquer de sombrer dans

cer-taines aberrations. D'abord, l'analyse se heurte à une oeuvre dont

l'auteur lui-mGme reoonnaissait le caraotère énigmatique. "J'ai seul

(~O) Dooteur J.-H. Laoambre, L'Instabilité mentale à travers la

Vie et l'Oeuvre littéraire de Jean-Arthur Rimbaud, Essai de

psyohologie pathologique, Lyon,La Souroe, 1923, oité par R.

Etiemble et Y. Gauolère, Rimbaud, Paris, Gallimard, Les

Es-sais XLlV, 1950, p. 17 •

. (ll) H.-P. Faffin, "L'erreur de Rimbaud"', La Revue Générale,

Bruxel-les, 15 juillet 1931, p. 83.

(l~) R. Etiemble, Le MYthe de Rimbaud, ~ tomes, Paris, Gallimard,

(10)

-9-13

la olef de cette parade sauvage" , éorit Rimbaud au bas d'un texte des Illumdnations. Et dans la Saison en enfer, réfléchissant sur ses

productions antérieures, il note t "Je réservais la traduction,,14.

A oet her.métisme de l'oeuvre s'ajoutent les problèmes relatifs

A

la ohronologie des textes. A oet égard, une oertaine

indétermina-tion entoure enoore la date de oomposiindétermina-tion de plusieurs poèmes mais le problème le plus important est sans auoun doute oelui qui oonoer-ne les Illuminations. On sait que Bouillaoonoer-ne de Laooste s'est

pen-15

ohé sur la question r toutefois sa thèse, peu probante, qui n'a pas

reçu l'adhésion de tous, ne' parvient pas à résoudre toutes les diffi-oultés, si bien que la oontroverse demeure. Dans oes oonditions, il faut donc prooéder avec minutie, o'est-à-dire se limiter aux textes dont on oonnart préoisément la date de oomposition, si l'on veut re-traoer une quelconque évolution dans la pensée ou l'esthétique de Rimbaud.

De mGme, nous devons nous garder d'invoquer

A

l'appui de nos

thèses, quel~es qU'elles soient, les données biographiques non

éprou-(13) Arthur Rimbaud, "Parade", Oeuvres oomplètes, texte établi et annoté par Rolland de Renéville et Jules Mouquet, paris, Gal-limard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, pl. 180.

(14)

(15)

Désormais, toute oitation de l'oeuvre ou de la oorrespondanoe de Rimbaud qui apparattra dans oe travail sera extraite de oet-te édition de la Pléiade.

Alohimie du verbe, p. 233.

H. Bouillane de Laooste, Rimbaud et le problème des

(11)

-10-vées qui se sont superposées aux périodes obsoures de la vie du poète. Par exemple, il serait hasardeux de spéouler sur la

oonver-sion de Rimbaud ~ l'hôpital de la Conoeption ou sur sa présenoe ~

Paris, pendant la Commun~, pour tenter d'obtenir des

éclairoisse-ments sur ses sentiéclairoisse-ments religieux ou ses options politiques. Dans

l'état actuel de la biographie rimbaldienne, il s'agit l~ tout au

paus de deux événements possibles, mais invérifiables, de la vie de l'auteur.

Enfin se dresse une dernière diffioulté. Depuis près d'un siècle maintenant, on a tant parlé de Rimbaud qU'un halo d'images de toutes sortes entoure désormais son oeuvre et qU'on ne peut plus

prétendre revenir en toute innooence ~ sa poésie. De plus, après la

monumentale entreprise de démystification accomplie par Etiemble,

il est ~ craindre que la critique soit hantée par la peur de

for-ger de nouveaux mythes. Cependant, la thèse d'Etiemble ne doit pas imposer le silenoe sur Rimbaud. Sans doute un tel ouvrage s'imposait;:

mais il doit 6tre dépassé. Car, en définitive, il s'agissait l~ d'un

point de vue négatif, qui nous renseignait davantage sur les outran-oes de la critique rimbaldienne que sur l'oeuvre même de Rimbaud. Aussi, guidés par une connaissance aocrue des diffioultés qui nous attendent, devons-nous maintenant revenir au texte de Rimbaud et tenter d'en dégager les multiples significations. C'est ce que nous essaierons de faire au oours du présent travail, en nous limitant

toutefois ~ un aspeot partioulier de l'oeuvre, soit la rSverie

(12)

-11-Il nous semble en effet que les préoccupations de Rimbaud au sujet de l'histoire et de l'agir humain constituent un ressort important de sa pensée poétique. Depuis "l'écolier dont les disser-tations invoquaient Marat, Robespierre, ressuscitaient Baboeuf, et

qui.

à

son professeur d'histoire, un abbé, demandait compte de la

16 révocation de l'Edit de Nantes et de la Saint-Barthélémy" , jus-qu'au Voyant qui "rêvai ( t), croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de raceŒ

et de

continentsn~7,

l'oeuvre de Rimbaud témoigne d'un souci

par-tioulièrement obsédant du devenir historique de l'homme.

A cet égard, il est dommage que nous ne puissions disposer d'un texte qui nous eOt certainement renseigné sur oette préocou-pation de Rimbaud; il s'agit de cette Histoire magnifique dont De-lahaye nous a révélé l'existenoet

C'est vers la fin de l 'hiver de 71-72:, ( écrit Delahaye). Il (Rimbaud) me parle d'un projet nouveau qui le ramène aux poèmes en pro-se essayés l'année précédente. veut faire plus grand, plus vivant, plus piotural que Miohelet, ce grand peintre de foules et d'actions oollec-tives, a trouvé un titrer L'histoire magnifique, débute par une série qu'il appelle la Photogra-phie des temps passés. Il me lit plusieurs de ces :p.oèmes ( ••• ): Je me rappelle vaguement une sorte

de Moyen ige, mêlée rutilante

à

la fois et

som-(16} M. Coulon, "Le problème de Rimbaud •. Sa discussion", Meroure

de Franoe, 1er mars 1914, p. 79. (17)1 Alohimie du verbe, p. 232.

(13)

-12-bre, où se trouvaient les "étoiles de sang" et les "ouirasses d'or" dont Verlaine s'est souvenu pour un vers de Sagesse; avec plus de netteté je revois une image du XVIIe sièole,

où le oatholioisme de Franoe parait à

l'apo-gée de son triomphe, et qU'il oondensait, il me semble, en un personnage splendidement oha-pé et mitré d'or, se détaohant sur une soène dont oette seule leoture ne peut m'avoir laissé

de souvenir préois. La Pisoine où Jésus fit son

premier miraole, tableau dont on a retrouvé une première ébauohe - que j'ai vue, et qui est très

diffioile

à

lire, - devait appartenir

à

oette

série. 18

A l'exoeption dono de Beth-Sa!da, qui faisait peut-être par-tie de oette oeuvre, auoun texte de l'Histoire magnifique n'a été retrouvé. Cependant oe souvenir de Delahaye est préoieux, qui oon-fir.me l'intér3t porté par Rimbaud à l'histoire.

Si l'Histoire magnifique a été perdue, - peut-Stre, en outre, était-elle inaohevée -, l'ensemble de l'oeuvre rimbaldienne nous livre, oomme nous le soulignions plus haut, une véritable rSverie de l'histoire et de l'agir humain.

Cette rGverie se manifeste déjà dans oertains poèmes tels

Chant de guerre parisien, Rages de Césars, l'Orgie parisienne, ~

pour n'en oiter que quelques-uns. Elle s'inspire alors de l'aotua-lité politique française de 1870-1871. Parfois aussi, elle s'arrS-te sur un événement du passé. Ainsi le Forgeron, Morts de quatre-vingt-douze ••• , évoquent la Révolution française.

Cependant l'imagination rimbaldienne dépasse largement

l'as-(18) E. Delahaye, Rimbaud, l'Artiste et l'Etre moral, Paris,

Mes-sein, 1923, pp:. 45-46.

(14)

-13-pect strictement politique du devenir de l'homme. Oscillant entre une véritable réévaluation de l'activité humaine et l'appel d'un

déroulement historique propre

à

intégrer un nouvel agir humain, la

rêverie prend alors des dimensions cosmiques. A cet égard, nous

a-VOIlS été frappés par certains thèmes dont la constance nous paratt

signifioative: opposition de l'Orient et de l'Oooident, obsession d'un paradis perdu, désir d'un bouleversement de l'ordre actuel, antioipation d'un 1ge d'or futur, appel d'une révolution oonoomi-tante de l'homme et de la nature.

Ajoutons

à

oela les considérations de Rimbaud sur oertaines

traditions de l'héritage historique de l'homme, - par exemple, le christianisme, le rôle de la femme, la science, le patriotisme -, oonsidérons en outre ses préoocupations au sujet de oertains types d'agir, tels le travail et l'action politique, et nous nous trou-vons en présence d'une rêverie globale de l'activité et de l'aven-ture humaine s •

Toutefois, si oette rSverie existe, il faut bien remarquer que Rimbaud n'a pas voulu faire oeuvre d'historien. Selon nous, il serait mSme hasardeux de prétendre tirer de l'oeuvre rimbaldien-ne urimbaldien-ne philosophie de l'histoire. Il nous faudra dono éviter d'éri-ger un système philosophique du devenir oollectif de l'homme là où les éorits de l'auteur proposent uniquement une "rêverie". L'oeuvre de Rimbaud nous dévoile une vision partioulière du monde en devenir; mais oette vision est souvent faite de notations brèves et

(15)

articu-

-14-lées à une thématique fort étrangère au langage du sociologue, du politioologue ou de l'historien. Voilà pourquoi nous parlons de "rêverie" et non pas de "sens" ou de "conoeption" de l'histoire et de l'agir humain.

De oes notations, nous voudrions oependant dégager les lignes de force, les reooupements signifioatifs, les oonstantes,jusqu'à saisir globalement, autant que possible, la représentation rimbal-dienne de l'histoire. En fait, nous voulons proposer une interpré-tation de oette rêverie du devenir humain.

Dans un premier moment de notre reoherohe, nous essaierons de situer le malaise de l'agir humain, tel que l'oeuvre nous le ré-vèle, et de voir en quoi il oonsiste.

Puis, dans un deuxième ohapitre, nous étudierons l'attitude de Rimbaud face à certaines traditions ou à certains types d'action qui dévoilent les tares de l'histoire actuelle. Cette partie de no-tre travail nous occupera plus particulièrement car c'est dans

l'exa-men de la oondition présent? de l'homme que la rêverie manifeste le

plus de générosité dans les renseignements qU'elle nous livre. Par la suite, brièvement cependant, nous nous attaoherons da-vantage à la manière dont certaines époques ou certains événements de l'histoire sont représentés par la rêverie, aux images et scènes qU'elle suscite alors.

Ainsi notre troisième ohapitre sera consacré à la représenta-tion rimbaldienne de l'harmonie primitive et des événements qui ont entratné la ohute de cette époque.

(16)

)

-15-Enfin nous nous penoherons sur le nouvel agir et la nouvelle histoire et nous essaierons d'en dégager les traits fondamentaux.

Evidemment nous sommes oonsoients du fait que oette étude n'épuisera pas la totalité des signifioations possibles de la poé-sie rimbaldienne. Nous n'avons pas l'intention d'imposer un sens

unique à cette oeuvre dont Rimbaud lmi-même affirmait qu'elle

vou-lait dire "oe que qa dit, littéralement et dans tous les sens,,19. Cependant nous croyons que notre perspective est intéressante, qui

permet d'intégrer la révolte du po~te contre oertaines institutions

religieuses ou sociales

à

l'intérieur d'une saisie plus globale,

soit celle d'une rêverie du devenir humain.

(19) A. Rimbaud, "Paroles attribuées à Rimbaud", Oeuvres oompl~tes,

(17)

CHAPI THE PREMIER

(18)

r -

L' HARMONIE PERDUE

Parmi l'ensemble des affirmations disséminées dans les

tex-tes de Rimbaud~ il en est une qui revêt une importanoe oapitale

pour la rêverie de l'histoire et de l'agir hurnaint dans sa

oondi-tion aotuelle~ nous dit l'auteur~ l'homme est un être dépossédé.

S'il parait inoapable de préoiser depuis oombien de temps dure

u-ne telle situation~ Rimbaud déolare oependant en divers endroits

de son oeuvre l'avoir oonstatée avec oertitude. Ce oonstat

s'ex-prime alors dans sa poésie par la mise

à

jour d'une série de

di-voroes entre l'individu et oertaines réalités essentielles.

A elles seules~ les formules les plus oélèbres de Rimbaud

font état de oes ruptures fondamentales. "La vraie vie est

absen-te. Nous ne sommes pas au monde"l, éorit l'auteur dans Délires l.

Déorit tel un être réduit

à

une existenoe parallèle au "monde" et

à

la. "vraie viett'~ l'homme est enoore représenté comme séparé de

lui-2

même par le fameux "Je est un autre" de la lettre du Voyant. Quel-les que soient Quel-les interprétations auxquelQuel-les pourrait nous oonduire

le désir de préoiser la nature de cette "vraie vie"'~ de ce "monde"

et de oet "autre"', il demeure que ces formules affirment des dépos-sessions de fait dans l'expérienoe existentielle. Aux yeux du poète,

la présence au monde et à sai-même, l'aventure d'une vie

authenti-(1), Délires l, F'" 229.

(19)

-18-qu~ semblent maintenant refusées à l'individu.

Mais l'oeuvre de Rimbaud nous dit en outre qU'un divoroe s'est oonsommé entre l'humanité et la nature. C'est l'idée qu'exprime, en-tre auen-tres textes, Soleil et ohair.

S'il fut un temps, révèle ce poème,

Où, debout sur la plaine, il entendait autour Répondre à son appel la Nature vivante (,) 3

l'individu a peu à peu oublié la présence originelle des ohoses et,

aujourd'hui, il en a perdu le oontact essentielt

Misère! Maintenant il dit: Je sais les ohoses, Et va, les yeux fermés et les oreilles oloses. 4 Cette dernière ooupure oonstitue, du point de vue de Rimbaud, un événement oapital de l'histoire humaine. Car depuis qu'elle s'est produite, un voile opaque a reoouvert le monde et

Nous ne pouvons savoir! - Nous sommes acoablés D'un manteau d'ignorance et d'étroites ohimèresJ Sin@Bs dthommes tombés de la vulve des mères, Notre pille raison nous caohe l'infini J

Nous voulons regarder: - le Doute nous 'punit' 5 Ainsi, oomme le révèlent ces derniers vers, Rimbaud prétend

iden-tifier au plan de la oonnaissanoe une rupture analogue

à

oelles

per-oeptibles dans les autres domaines de la vie: maintenant la scienoe

ne parvient plus à saisir l'essentiel.

Voilà donc le point de départ de la rêverie rimbaldienne. Une

(3) Soleil et ohair, p. 47. (4} Loo. oit.

(20)

-19-vision du monde où s'impose l'image d'un malaise fondamental dans la oondition d'homme. Une saisie du réel où, A travers une suite d'avatars dans l'expérience du monde et de soi, - peut-être est-ce toujours la même rupture aussi se manifestant A divers niveaux de l'existenoe -, l'être humain apparaît dépossédé des oontaots vitaux, abandonné A un destin taré.

Or las extraits plus haut oités de Soleil et ohair laisseraient entendre que, selon Rimbaud, tel ne fut pas toujours le lot de l'hom-me. En effet, en plus d'établir qU'une ooupure se produisit, oes extraits reoonnaissent qU'il y eut une époque où l'individu enten-dait "répondre A son appel la Nature vivante". Dans l'esprit du poè-te, il aurait donc existé une période de l'histoire où l'humanité oonnaissait une vie harmonieuse.

C'est bien lA en effet la oonviction de Rimbaud. Soleil et

~ affirme qu'un tel tge heureux jadis eut lieu; et même, il est

pour une grande part oonsaoré A la desoription des jours privilé-giés où régnait l'harmonie, si bien que Y. Bonnefoy a pu dire de ce poème qu'il formule "la théorie de la vie heureuse". 6

Soleil et ohair est oonstruit sur le thème du regret,

expri-mé a

..

la manière d'une litanie:

Je regrette

(

...

)

les temps de l'antique jeunesse,

Je regrette les temps ou

..

la sève du monde (

...

)

(

...

}

Je regratte les temps de la grande Cybè le (

...

) 7

(6) Y. Bonnefoy, Rimbaud par lUi-même, Paris, Seuil, Eorivains de

toujours no 54,

1961,

p. 26.

(21)

)

-20-Le poème reoonnaît dono implicitement une réalité passée dont le

souvenir est agréable. Cependant il ne tarde pas

à

s'avérer

expli-cite quant à l'existence de cette réalité:

Si les temps revenaient. les temps qui sont venusl 8

Ainsi s'affirme qu'une époque différente de l'état actuel a été~

mais aussi que l'ère antérieure est associée

à

une condition

heu-reuse tandis que la présente est liée

à

un malaise.

Cette opposition d'un âge d'or passé

à

la déchéanoe

d'aujour-d'hui revient constamment dans la rêverie rimbaldienne. dont elle oonstitue un ressort fondwmental. C'est d'ailleurs ce que A. Dhô-tel a bien démontrée

Avant o'était la vie et notre seule vie. Aprts

~y a plus rien. (C'est A. Dhôtel qui sou

i-gnej.

L'oeuvre entière de Rimbaud s'établit sur oette expérience qui n'est jamais discutée. et qui appara!t dans ces deux séries d'affirmations:

D'une part:

Jadis. si je me souviens bien. ma vie

é-tait un festin où s'ouvraient tous les coeurs. où tous les vins coulaient.

- Je véous. étincelle d'or de la lumière na-ture.

- N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable.

héro!que. fabuleuse.

à

écrire sur des

feuil-les d'or. d'autre partr

(8) ~ •• p. 48.

- L'horloge de la vie s'est arrêtée tout ~

l'heure.

- Je ne suis plus au monde.

- Quelle viel La vraie vie est absente. Nous

(22)

-21--Ah' remonter

à

la vie! 8

Et enoore pourrions-nous ajouter à cette liste les affirmations

suivantes:-D'une

part:-Ah' l'enfance. l'herbe. la pluie. le lac sur les pierres. le clair de lune quand le clocher sonnait douze ••• 9

Ah1 cette vie de mon enfance. la grande route par tous les temps ( ••• ) la

De l'autre:

Déoidément, nous sommes hors du monde. ll Et c'est encore la vie! - Si la

damna-tion est éternelle! 12

Et ainsi une opposition qui traverse l'oeuvre de Rimbaud si--tue avec oertitude la période d'har.monie dans un passé révolu tan-dis que le présent se place sous le signe d'un malaise existentiel.

Aussi, lorsque cette opposition s'applique à l'ensemble de la

001-leotivité humaine. tel que oela se produit par exemple dans Soleil et chair. elle déter.mine en même temps que deux moments importants de l'histoire, les appréciations respectives qU'ils inspirent.

(8) A. Dh8tel, Rimbaud et la révolte moderne, Paris. Gallimard, Les Essais LIlI. 1952. p. 24.

(9) Nuit de l'enfer, p. 226.

(lO} L'Impossible, p. 239

(11) Nuit de l'enfer, p. 227. (12): Ibid., p. 226.

(23)

-22-On remarque oependant que le phénomène s'applique aussi au

destin de l'individu. C'est ce qui apparart clairement dans les extraits qu'avec A. Dhôtel nous venons de oiter. Dans les deux sé-ries d'affir.mations, l'opposition har.monie-harmonie perdue

oorres-pond en effet

à

deux moments de la vie de l'homme. Or, s'il y a une

époque dans la vie individuelle oÙ l'Gtre oo!noide avec lui-mGme simultanément qu'il entre en oommunion aveo son entourage, o'est

bien l'enfanoe. La. référenoe explioite des extraits

Il

l'''enfanoe'',

Il

la "jeunesse" nous indique donc que les premières années de la

vie de l'homme sont assooiées dans l'esprit du poète à l'harmonie

primitive.

Il apparatt alors que l'histoire de la colleotivité humaine, tout au moins en oe qui oonoerne son découpage en deux époques, est oonsidérée dans la rêverie poétique par analogie aveo l'aventure individuelle. Comme si l'humanité avait éprouvé par sa déchéanoe de l'âge d'or primitif la rupture que connatt l'individu par le

passage de l'enfanoe à la vie adulte.

Aussi ne sera-t-il pas étonnant de repérer dans la rêverie,

assooiées à l'âge d'enfant, des valeurs aisément oompatibles, quand

ce ne sont pas les mêmes, avec celles qui supportaient l'agir humain dans les premiers temps de l'histoire. Ainsi, dans les extraits oi-tés par A. Dhôtel, Rimbaud parle de la jeunesse oomme d'un temps où la "vie était un festin oÙ s'ouvraient tous les coeurs";: et cela

(24)

-23-l'homme déorit dans Soleil et ohair. De même, dans la période

heu-reuse de son aventure personnelle, l'honune est "étincelle d'or de

la lumi~re nature"'; et oela nous réfère

à

la réjouissance dans la

nature de l'humanité peinte dans le même poème.

A propos de l'enfance, E. Noulet nous semble avoir fait une remarque fort pertinente. "En vérité, écrit-elle au sujet de Rim-baud, deux ohoses ont toujours échappé à ses sarcasmes: la nature

et l'enfanoe."13 Quand on sait,

comm~

nous le révèle Soleil et

~, que o'est la oonununioation entre l'honune et la nature qui

a produit l'époque de l'ha~onie primitive et que, d'autre part,

o'est l'enfance qui oorrespond

à

oet 1ge d'or de l'histoire dans

dans le destin personnel, on oomprend aisément que ces "deux oho-ses" se soient transformées dans l'esprit de Rimbaud en valeurs au-thentiques, inattaquables. C'est ce qU'a très bien vu le oritique

M.-A.

Ruff quand, pénétrant la pensée du poète, i l affi~e que "pour

lui la nature et l'enfanoe - C ••• ) - se rejoignent, se confondent en

un nvert paradis" dont la nostalgie ne oessera de le torturer au point que l'ef·fort de toute sa vie ne tendra qu'à lui en substituer un é-qUivalent,,14. En épargnant la nature et l'enfance du flot d'injures qU'il fera déferler sur la presque totalité de la réalité humaine, Rimbaud est simplement oohérent aveo les postulats de base de sa rê-verie.

(13 )"

(14)

E. Noulet, Le Premier Visage de Rimbaud, Bruxelles, Aoadémie Royale de Langue et de Littérature françaises, 1953, p. 54.

M.-A.

Ruff, Rimbaud, Faris, Hatier, Connaissanoe des Lettres, 1968, p. 28.

(25)

-24-Oependant il faut bien voir que l'analogie établie entre les

aventures individuelle et collective~ en tant surtout qu'elle est

un ressort capital de la pensée poétique de l'histoire~ n'est pas

innocenta. Oette analogie nous renseigne sur le mouvement de la

rêverie rimbaldienne. Elle donne entre autres

à

Rimbaud la

possi-bilité d'ériger en lois universelles les principes ou conclusions

qU'il a pu tirer de son expérience personnelle. Oar~ s'il est

pos-sible de-penser que tous les hommes éprouvent avec une certaine

dou-leur la traversée de l'enfance

à

la vie adulte~ il n'en demeure pas

moins - la biographie rimbaldienne l'a suffisamment démontré - que l'auteur s'est trouvé dans des oonditions qui ne pouvaient qU'aocen-tuer l'impact de ce passage sur sa vie affective et intellectuelle. Si bien qU'il est peu étonnant que Rimbaud ait accordé aux

expé-rienoes de rupture une attention propre à les insérer oomme th~me

dominant dans sa rêverie du devenir collectif de l'homme.

On oonnaît la situation de Rimbaud enfant. Il a vécu parmi les ruptures. Séparation du capitaine Rimbaud et de Vitalie Cuif

d'abordr. mais surtout~ séparation de l'enfant et de sa mèrer

Votre ooeur l'a compris: - ces enfants sont sans mère'15 Plus de mère au 10gis1 - et le père est bien loinl •••

écrit Rimbaud dans son premier véritable po~me~ Les Etrennes des

orphelins~ où apparatt simultanément que la sympathie pour

l'en-fance un premier constat de séparation. Ce manque d'affection a pu

(26)

-25-être déterminant, OOmme le soulignent à peu pr~s tous les

biogra-phes. Y. Bonnefoy va même jusqu'à oonsidérer le manque d'amour ma-ternel oomme "un véritable attentat métaphysique que Rimbaud en-fant a sUbi,,:6

Plus tard,

à

diverses périodes de sa vie, Rimbaud éprouver~

la rupture dont il parle oomme d'un fait objeotif de l'histoire

de l'humanité, à travers des expérienoes et des aspirations

diver-ses. La "vraie vie", oelle qui est "absente", il s'en est alors

plusieurs fois senti séparé. Tant6t elle lui est apparue oomme u-ne existenoe pleiu-ne de "bohémienu-neries,,17, alors qu'il se sentait prisc;>nnier de la maison maternelle ou du oollège - ("Ohl si les

010-ohes sont de bronze ( ••• )")r. 18 tant6t, oraignant le pourrissement

quasi oontagieux qU'il observe dans sa oommunauté étroite de provin-oe, la "vraie vie" lui a semblé accessible à Paris, ••• qU'il n'ha-bitera toutefois que trop tard à son gré. Au point que sa destinée personnelle, oonstamment oaraotérisée par la privation durement res-sentie de réalités qU'il désirait ardemment, aura pu aisément

trans-fo~er une situation partioulière en règle générale.

Ce qui importe, o'est que oe sentiment profond des ruptures

était néoessaire à l'éolosion de sa poésie. La peroeption aigu8

des divers manques a pu sowAettre la vision de l'homme et de

l'his-(16) Y. Bonnefoy, op. oit., p. 17.

(17) Lettre

à

G. Izambard, 25 août 1870, p. 257.

(27)

-26-toire

A

une exigence intérieure du po~te, mais auparavant elle a

susoité oette exigence qui devait mettre en oeuvre l'appareil poé-tique de la rêverie.

Il est en effet remarquable que, selon le texte de Rimbaud, la r3verie de l'histoire et des comportements humains naît dans un lieu retiré du monde, qui symbolise le divorce consommé dans les faits. C'est ce qU'illustre entre autres ce passage de Vies:

Dans un grenier où je fus enfermé

A

dou-ze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la oomédie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. 19

D'une part, l'homme est

A

oe point déohu, éloigné de la réalité,

que le poète lui-m3me ne peut prétendre 3tre en harmonie avec l'ob-jet de son étude lorsqu'il assul'ob-jettit la comédie humaine et l'his-toire aux exigences de sa r3verie dans le mouvement qui crée son

oeuvre. Comme tous, il est soumis

A

la loi universelle de la

rup-ture; il ne peut oonsidérer les êtres et les choses qu'à la fa-90n d'un individu enfermé dans un "grenier" ou dans un "oellier", un espaoe clos, qui l'exclut du réel. Mais d'autre part, ce retrait du monde est propice à l'apparition de la rêverie. Aussi oette

der-ni~re reoherohe-t-elle les lieux isolés oomme s'ils reproduisaient

les conditions essentielles à son éolosion.

Voilà pourquoi l'enfant des Po~tes de sept ans poursuit les

endroits retirésf

L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté

(19) Vies III, p. 182.

(28)

)

-27-A se renfer.mer dans la fraîoheur des latrines: 20

Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Là,

dans la réolusion, la pensée jaillit. De même, dans "la

cham-bre nue aux persiennes

closes"~;

surgissent les images poétiques

par le truchement de ce

roman sans cesse médité,

Plein de lourds ciels ooreux et de forêts noyées'22 De fleurs de ohair aux bois sidérals déployées, images qui, apparues dans le déoor étroit d'un lieu de retraite, rejoignent l'universel, voire même ioi le cosmique.

Ainsi l'auteur reoonnatt-il que les ponts sont ooupés entre lui et le réel. Mais c'est par là même que son aotivité devient pos-sible. Si la rupture oonsommée entre l'homme et l'univers est

pen-sée par Rimbaud oomme un événement f~oheux, oomme oause de l'aotuel

état pitoyable des ohoses, au point que tout l'effort de sa poésie

tendra à inventer des voies propres à la sur.monter, d'autre part

la rêverie lui doit son existence. Mais alors la séparation impo-sée par les faits est transformée dans l'exercice de la poésie en un dégagement, tel celui qui apparaît dans le poème L'Eternité:

(20) (21); (22) (23 ).

Les Poètes de

Des humains suffrages, Des oommuns élans

tu te dégages Et voles selon. 23 sept ans, p. 77. ~., p. 78., Loo. cit. L 'Eterni té, p. 133.

(29)

-28-Et ainsi. du fait mgme qU'il se dégage de la réalité corrompue d'au-jourd'hui. le rêveur de l'histoire s'accorde la possibilité de re-fa90nner le monde par la pratique de la poésie.

Rimbaud a fondé sa pensée poétique sur la théorie de la voyan-ce. Selon lui, la poésie doit porter au jour les merveilles enfouies sous le voile qui reoouvre le monde. L'activité rimbaldienne se dé-finit donc comme un effort de traverser dans un aU-delà pour en rap-porter une part d'inoonnu. Si le voile n'existe plus, si une

dis-tance ne se pose plus entre l'observateur et les réalités

à

déoou-vrir, oomme la situation est imaginée dans Sensation. alors la

pra-tique de la poésie n'a plus sa raison d'être. Dans ce po~me,

Rim-baud imagine que, dans l'avenir. il s'établira une harmonie entre

lui et la nature, que les choses s'offriront

à

cette occasion

jus-que dans leur profondeur. jus-que le voile sera dissipé. Dans ce futur heureux. la rgverie et son expression seront sans fondement:

Je ne parlerai pas. je ne penserai rien (,)24 éorit Rimbaud.

(30)

II - LA NATURE ET L'AGIR HUl!A.UT

Si. en faisant état d'une série de ruptures. la rêverie rim-baldienne était remontée au problème fondamental des rapports

en-tre l'homme et le monde pour conolure

à

une dépossession de

l'har-monie première, elle retiendra plus particuUè:r:ement le divorce en-tre l'individu et la nature parmi les événements qui ont compromis l'authenticité de l'agir humain.

Il ne doit pas nous surprendre que Rimbaud ait ainsi privi-légié une relation particulière par celles que peut établir l'hom-me avec l'univers qui l'entoure, puisque c'est le mouvel'hom-ment propre d'une rêverie poétique de valoriser certaines réalités entre oelles

qui s'offrent

à

sa saisie. Mais surtout, oe choix de la rêverie

s'explique aisément par le sentiment qu'éprouvait l'auteur

à

l'é-gard de la nature.

Le poème Sensation. plus haut invoqué pour les besoins de

no-tre argumentation, révélait sans doutes possibles qu'une communion

intime avec la nature rétablissait dans l'~e du poète, sous la

for-me d'un bonheur ("heureux oomfor-me avec une femfor-me"l)

l'ha~onie

ori-ginelle. Cette image que nous livre Sensation d'un Rimbaud réoonoi-lié avec l'univers, se promenant dans la vaste oampagne. image qui revient en plusieurs lieux de son oeuvre, a retenu l'attention de

la oritique. C'est elle sans doute qui faisait dire à E. Noulet,

(1). Sensation. p. 41

(31)

-30-comme nous l'avons signalé précédemment, qU'avec l'enfance, la na-ture constituait une des rares réalités que le poète ait exemptées de son acerbe ironie.

Développant son idée, E. Noulet parle de l'adoration de la nature oomme d'un des aspects les plus authentiques de la

person-nalité de l'auteur. Selon elle, il y a "un Rimbaud absolument vrai

(chez); l'Ardennais des routes et des fleuves ( ••• ); (chez) l'enfant

( ••• ) livré ( ••• )

à

ses goûts premiers et profonds qui sont sains:

l'air, la marche, la solitude". "Ce triple besoin, chez Rimbaud, ajoute-t-elle, o'est toute la réalité et la sinoérité de son sen-timent de la nature".2

Chose rare dans la critique rimbaldienne, quoiqu'ils en ait pu tirer des conclusions différentes, quoiqu'ils puissent diverger

sur la portée

à

leur donner, les commentateurs semblent avoir

re-oonnu

à

l'unanimité oes inolinations du poète.

Dans Les Poètes maudits, Verlaine s'exclame: "Quel marcheur 1"3 ,

songeant oertainement

à

oe Rimbaud qui avait partagé pendant

que1-ques temps son existenoe vagabonde. "Toujours Rimbaud fut un

ter-rible marcheur

à

pied", reprend H. Clouard. "Vraiment, il a été

mêlé

à

la nature, aux champs, aux vallées, aux routes, à tous les

(2)! E. Noulet, op. oit., p. 43.

(3) P. Verlaine, "Les Poètes maudits", Oeuvres oomplètes, T. IV, Paris, Léon Vanier, 1900, p. 16.

(32)

-31-oiels, à toutes les vioissitudes des saisons et des jours,,4.

Commentant Vies II, E. Delahaye oonfirme, au sujet de son anoien oamarade, qu' "il fut en effet le poursuivant, l'adorateur têtu de l'immense nature.,,6 Et dans les Souvenirs familiers, il rappelle ce temps où lui-même et Arthur "passai(ent) des heures

à contempler en bas ~a Meuse, ooulant molle et douce,

étincelan-6 te de calme joie".

Ainsi, qu'il se manifeste par la marohe, la flânerie

à

l'al-1er et au retour du oollège ou encore par la fugue et l'éoole

buis-sonnière, le sentiment profond de Rimbaud pour la nature semble à

oe point se retrouver dans toutes les formes de son comportement

que personne ne songe

à

le nier. On le prend pour acquis et on

s'ap-plique plutôt à lui donner un sens.

Certains oommentateurs voient dans oet amour de la nature le témoignage d'un désir de liberté. C'est ce que fait R. MontaI quand, se penohant sur le poème Sensation, il affirme y déceler chez l'au-teur "le sentiment grisant de (la) liberté,,7. Ce critique étend

d'ailleurs son interprétation ~ d'autres textes. Ainsi il voit

(4);

(6)

(6)

( 7)

H. Clouard,

"La

tradition du lyrisme moderne. Arthur Rimbaud~,

La

Revue hebdomadaire, 2 juin 1923, p:. 88.

E. Delahaye, Les "Illuminations" et "Une Saison en enfer" de Rimbaud, Paris, Messein, 1927; rêêd. Messein, 1949, p.53.

E. Delahaye, Souvenirs familiers

à

propos de Rimbaud,

Verlai-ne, Germain Nouveau, Paris, Messein, 1925, p.

ISo.

R. MontaI, Rimbaud, Paris, Ed. Universitaires, Classiques du XXe sièole no 97, 1968, p. 96.

(33)

)

-32-"dans les Réparties de Nina. oomme dans Ma Bohême. étroitement assooié au sentiment d'amour pour la nature déorite, oelui de la liberté profonde qU'elle inspire".8 Que la nature ait séduit le

poète paroe qU'il l'identifiait

à

oes lieux retirés où se

redécou-vre la sensation d'être autonome, o'est oe que semble aussi

pen-ser Guy Miohaud quand il déclare: "La nature" o'est. en attendant

la révolution, le seul refuge qui per.mette d'éohapper aux con-traintes".9 Enfin Izambard oonfir.me les interprétations préoé-dentes en oommentant la lettre que Rimbaud lui ave.i t adressée. le 13 mai 1871:

Que j'aie renonoé au beau voyage, aux bo-hémienneries de la route, pour réendosser la livrée de la servitude volontaire. il n'en re-vient pas; oela lui semble ignoblement bour-geois (.) 10

La remarque du professeur reoonnaît bien. oomme on le voit,

l'exi-genoe de liberté qui s'unit ohez le poète au désir de paroourir la oampagne ardennaise.

Que la nature ait été assooiée par Rimbaud à la liberté dont

elle lui per.mettait de jouir, oela est plus que plausible. On oon-90it aisément que l'adolesoent ait appréoié de fuir dans la oampa-gne environnant Charleville les paralysantes oontraintes de la

mai-~., p. 98.

G. Miohaud, "Arthur Rimbaud. poète de l'image pure", Message

po~tique du Symbolisme, Paris. Nizet, 1947. p. 133.

(10) G. Izambard, Rimbaud tel que je l'ai oonnu, Paris, Mercure de Franoe, 1947; rêêd. Meroure de Franoe, 1963. p. 137-138.

(34)

-33-son maternelle. Mais, pour notre propos, oette assooiation ne nous

intéresse gu~re que dans la meBure où elle oonfir.me l'attaohement

de Rimbaud pour la nature.

Car o'est oe sentiment profond du po~te qui explique le ohoix

opéré par la rSverie poétique. C'est paroe que Rimbaud a lui-mSme éprouvé la riohesse du rapport entre l'individu et la nature qU'il retient la rupture oonsommée avec oette dernière comme la plus lour-de lour-de oonséquenoes par.mi oelles qui ont exilé du monlour-de l'humanité.

C'est ainsi que la révolte du poète contre oertaines attitu-des de l'homme s'appuie fréquemment sur une oondamnation du

divor-oe qU'elles provo qu' ·.t entre l'individu et la nature. Cela se

pro-duit, par exemple, lorsque Rimbaud dénonoe la guerre. Dans le

po~-me intitulé Le Mal, alors qU'il nous déorit l'héoatombe d'une

hu-ma ni té sujette aux moindres oaprioes de ses dirigeants poli tiques, - oela sous l'oeil indifférent de Dieu d'ailleurs -, l'auteur s'é-crie t

• Pauvres mortsl dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,

Naturel

a

toi qui fis ces hommes saintementl ••• - 11

Et quand le th~me de la guerre réapparart dans Le Dormeur du val,

où nous est montré apparemment endor.mi un jeune soldat en fait

viotime des oombats, le po~te élève la propension humaine aux

ac-tes belliqueux

à

la dimension d'un sacril~ge envers la naturel

Les pieds dans les gla!euls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un sommet

(35)

-34-Nature. berce-le chaudement: il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine;

Il dort dans le soleil. la main sur sa poitrine 12

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. Du point de vue de la rêverie. ce soldat était un fils de la natu-re; il était né pour vivre communion intime avec elle; mais des con-sidérations d'ordre politique sont intervenues qui ont ruiné l'har-monie promise. En fait. la mort de ce soldat constitue même une

in-jure

à

l'homme et

à

l'univers si l'on accepte l'avis de W. M.

Fro-hock:

In the economy of Rimbaud's universe. nature is holy. and war is desecration. The mangled de ad in the open fields are tragically out of place. cosmically wrong. 13

Si donc la guerre constitue aux yeux de Rimbaud lm outrage

à

la nature. il en va de même pour plusieurs autres comportements

de l'humanité et. parmi l'ensemble des réalités sociales. po1iti-ques ou religieuses que le poète a violemment rejetées, il s'en

trouve peu qui échappent

à

l'accusation d'avoir consommé une

sé-paration entre l'homme et la nature.

Ainsi quand il s'attaque aux bourgeois de Charleville dans cette féroce caricature qu'est A la Musique. l'auteur ne manque

pas de les associer

à

leur décor. celui d'une nature

domes-(12;) Le Dormeur du val. p. 66.

(13) W. M. Frohock, Rimbaud's Poetic Practice, Cambridge, Massa-chusetts, Harvard University Press, 1963. p. 45.

(36)

}

-35-tiquée t

Sur la plaoe taillée en mesquines pelouses.

Square où tout est correct. les arbres et les fleurs. Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs Portent, les jeudis soirs, leurs bGtises jalouses. 14 Ces gens qui se rassemblent, place de la gare, n'établissent qu'un

oontact illusoire car ils ont transformé la nature à leur image.

En domestiquant la végétation, ils se sont donné un monde familier,

dans lequel ils peuvent éprouver le sentiment d'Gtre à l'aise; mais

ce faisant, ils ont éloigné d'eux ce dont ils pourraient oroire

s'Gtre rapproohés. Il semble

à

Rimbaud que les divertissements des

bourgeois s'aocompagnent d'un mépris de la nature originelle.

De même, il est remarquable que, s'en prenant à la religion

ohrétienne, Rimbaud lui reproohe de négliger la nature. Les

Pau-vres

à

l'église nous dit en effet que les croyants "bavant la foi

mendiante et stupide,,15 s'enferment dans "des nefs où périt le so-leil,,16, cet astre qui est selon Soleil et ohair "le foyer de

ten-dresse et de vieiiJ.7. Outre donc l'ensemble des raisons pour

les-quelles Rimbaud se révolte oontre le christianisme, l'attitude re-ligieuse lui parart oondamnable parce qu'elle suppose un éloigne-ment de la nature, comme nous le révèle le symbolisme de l'oeuvre

lorsqu'il eno18t la tenue des cérémonies pieuses dans un lieu qui

(14) A la musique, p. 59.

(15) Les Pauvres à l'église, p. 79.

(16) ~., p. 80.

(37)

-36-n'admet pas la lumière du soleil, qui donc exclut la vie.

En outre, m~me lorsque la rêverie nous renseigne sur les

ré-flexions politiques de l'auteur, elle le fait en se soumettant au souci rimbaldien du respeot de la nature. Il nous semble signifi-oatif en effet que dans l'Orgie parisienne, oonsidérant un fait

po-litique de son époque, soit le retour des Versaillais à Paris apr,s

la Commune, Rimbaud associe l'apparenoe de la oité sous les nouveaux

oocupants

à

un "ulcère ( ••• ) puant

à

la Nature verte" .18

Terminons en soulignant qU'une autre activité, l.a pratique de la poésie, est encore jugée en fonotion d'un idéal de la

natu-re. Lorsque Rimbaud adresse Ce qu'on dit au poète

à

propos de fleurs

à

Théodore de Banville, en juillet 1871, il attaque l'oeuvre de cet

auteur précisément sur son utilisation, fautive selon lui, des thè-mes naturels et floraux.

Aux yeux de Rimbaud, la guerre, le oomportement bourgeois, l'attitude religieuse, une oiroonstanoe politique et la pratique d'une certaine poésie apparaissent donc tous comme des témoignages

du présent écart entre l'homme et la nature. Il appara~t alors, dans

l'exercioe des jugements qu'elle porte sur divers types de oonduite,

que la rêverie de l'agir humain attribue pour une large part

à

l'ou-bli de la nature la déchéance d'aUjourd'hUi. Portant son regard sur l'histoire actuelle, Rimbaud évalue les faits et gestes dont il est

témoin on les comparant

à

ceux que sa rêverie lui rappelle de

(38)

-37-me d'antan. Dans l'éoart sensible entre l'individu et la nature.

qui se manifeste

à

travers l'agir oontemporain, se reproduit la

distanoe qui sépare l'humanité moderne de oel1e de l'harmonie pri-mitive.

(39)

CHAPI TRE SECOND

(40)

1- LES DEUX HISTOIRES

Jusqu'ici nous avons vu que la rêverie rimbaldienne, en

di-visant l'histoire humaine en deux époques, oonsidère la dégradation da présent état des ohoses oomme le résultat d'une dépossession de l'harmonie primitive. QU'aussi,le regret de l'lge d'or antérieur

conduit le poète à juger l'agir actuel en regard de la condition

originelle de l'homme. La hantise de cette dernière paraît alors

tracer un axe important dans la pensée poétique de l'auteur.

Cependant si Rimbaud parvient mal à se libérer de la

fasci-nation qU'exerce sur lui la période révolue, il aspire ~ussi à un

déroulement historique qui. dans l'avenir, s'écarterait de la voie

tracée à l'humanité par la situation présente. Ce désir d'une ère

future heureuse s'exprime souvent dans son oeuvre.

Ainsi le poète se: prend à espérer. tout d'abord, de

profon-des transformations du monde d'aujourd'huir

Je rêvais croisades, ( ••• ) révolutions de moeurs, déplaoements de races et de continents: je croyais

à tous les enchantements.l

Rimbaud. qui lia peut-être des secrets pour changer la Vie"a exige

3

ardemment que l'homme puisse se dégager des "laideurs de ce monde" r

Ah! remonter a la vie! , 4

(1) Alchimie du verbe, p. 2:32.

(2) Délires 1. p,- 2:30.

(3) Les Soeurs de charité, p. 86.

(41)

-40-BientSt, la certitude est acquise; il sera possible de transformer l'existence misérable d'aujourd'huir

Mais tu te mettras à ce travailr toutes les possibilités har.moniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres

parfaits, imprévus, s'offriront

à

tes

expé-riences. ( •••

l

Quant au monde, quand tu

sor-tiras, que sera-t-il devenu? En tout cas,rien des apparences actuelles. 5

Parvenu à cette assurance, l'auteur va même jusqu'à imaginer quelques scènes de la nouvelle histoire:

Quelquefois je vois au ciel des plages sang fin couvertes de blanches nations en joie. Et nous existerons en nous amusant, en rêvant 7 amours monstres et univers fantastiques, ( ••• )

En ce futur &~ d'or, nous pourrons "par delà les grèves et les

monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvel-le, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer - les premiersl - NoUl sur la terrel"8

Que ce soit par la bouche du prophète ou du revendicateur, une nouvelle histoire est ainsi souventes fois évoquée dans la poésie de Rimbaud. Et puisqu'elle procède chez lui d'une tenace exigence, nous ne saurions l'ignorer dans notre étude de la rê-verie. Cette aspiration détermine en effet, à notre avis, un

se-(5) Jeuaesse IV, p. 208.

(6) Adieu, p. 243.

(7) L'Eclair, p. 241. (8): Matin, p. 242.

(42)

41cond axe majeur de la vision poétique du devenir humain. Car l ' i

-dentifioation de oe désir nous oonduit à remarquer que la rêverie

évalue la qualité de l'agir aotuel tout autant en fonotion de l'his-toire nouvelle qu'en regard de l 'harmonie perdue.

A oet égard~ soulignons que si Soleil et chair proolamait

la déchéanoe de la condition humaine comme le résultat de la per-te de la période primitive, il oonstituait en outre un hymne au

progrès~ évoquant même une époque où l'individu serait délivré

du malaise aotuel:

- Car l'Homme a finil l'Homme a joué tous les rôles'

Au grand jour~ fatigué de briser aes idoles

Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux

Et comme il est du ciel, il scrutera les cieux' 9 De même, lorsque Rimbaud se penohe sur un des oomportements de

l'histoire présente, soit l'attitude religieuse, i l la rejette

bien parce qU'il implique le refus de la nature et que la véné-ration de celle-oi était essentielle dans l'harmonie primitive,

comme nous l 'avions fait remarquer à propos des Pauvres à

l'E-glise, mais aussi parce que l'avènement de la nouvelle histoire exige, comme nous l'indiquent les vers cités de Soleil et chair, que l'homme se libère de "ses Dieux".

Aussi, il apparart olairement que les jugements rimbaldiens sur l'agir d'aUjourd'hui s'exeroent en fonotion du souvenir d'un paradis perdu mais aussi d'une exigenoe profonde d'un âge d'or

(43)

-42.'-antioipé. Il nous faudra donc tenir oompte de cette double polari-té de la rêverie lorsque nous étudierons comment certaines tradi-tions ou oertains types d'aotion de l'histoire actuelle sont

appa-rus

à

Rimbaud.

~ \

(44)

)

II- DES TRADI TIONS DE L 'HISTOIRE ACTUELLE

1- Le Christianisme

Dans son examen de l'histoire aotuelle, Rimbaud se heurte

à

une réalité, le ohristianisme, dont il ne peut méoonnaître

l'im-portanoe. La dootrine ohrétienne a oontribué dans une large

mesu-re

à

façonner le destin de l'Oooident et le poète ne doute pas que

oette importante tradition oulturelle agisse enoore sur le oompor-tement de l'individu. Aussi la rêverie poétique aocorde-t-elle une

attention toute partioulière

à

cette réalité historique.

On sait que le problème de l'attitude de Rimbaud faoe au oa-tholioisme a suscité les plus vives controverses. Selon qU'on in-terroge sur oette question l'un ou l'autre des ouvrages oritiques qui s'y sont intéressés, le poète apparaît tantôt animé d'une fer-veur religieuse peu commune, tantôt profondément révolté oontre Dieu.

Ce n'est pas notre propos d'entrer dans les détails de la querelle, d'autant plus que les positions des adversaires sont

dé-jà suffisamment oonnues. Aussi, puisqu'il serait impossible de

ras-sembler ioi les arguments invoqués

à

l'appui de l'une ou l'autre

des thèses, nous oontenterons-nous, avant d'étudier la peroeption rimbaldienne de l'attitude religieuse, d'indiquer notre point de vue sur la question en donnant brièvement les raisons qui ont dé-ter.miné notre choix.

(45)

Disons tout d'abord que ce probl~me n'intéresse notre propos

qu'en autant qU'il concerne la période durant laquelle Rimbaud &

exprimé par sa poésie sa rêverie de l'histoire et de l'agir humain. Peu nous importe, autrement dit, que Rimbaud se soit ou non

con-verti

à

l'hSpital de la Conception. Le probl~me nous concerne

lors-qU'il risque de toucher l'interprétation des textes. A cet égard, les seuls écrits qui pourraient parattre ambigus nous semblent ê-tre ceux de la Saison en enfer. Or c'est précisément sur cette oeu-vre que s'appuient la plupart des interprétations catholiques

se-Ion lesquelles l'auteur se serait converti. Nous ne croyons pas que

la Saison nous livre l'histoire d'une conversion. Nous y voyons

plutôt un compte-rendu des hésitations qui ont suivi une démarche

autocritique du po~te, un dooument qui nous livre les résultats

d'une prise de conscienoe. Dans cette oeuvre, le po~te nous

sem-ble mesurer les difficultés inhérentes

à

son entreprise d'acoéder

à

un monde nouveau, difficultés qui tiennent dans une large mesure

à

oe qu'il appelle dans L'Eolair sa "sale éducation d'enfance"l.

Or cette éduoation est ohrétienne,qui se dresse comme un obstacle

à

la réalisation de ses rêves.

L'hypothèse d'une oonversion de Rimbaud

à

l'époque où il

oom-posait la Saison nous semble bien fragile. Elle suppose tout d'a-bord, puisque les Illuminations témoignent ohez lui d'une attitu-de toute contraire, que la Saison fut bien écrite après cette

(46)

-45-vre. Or oe probl~me est loin d'3tre résolu et mSme~ il apparatt de

plus en plus clairement que certains textes tout au moins des

Illu-minations sont postérieurs A la Saison en enfer. De plus~ si A

l'é-poque de cette derni~re, o'est-A-dire en 1873~ Rimbaud a

redéoou-vert la vérité des enseignements ohrétiens, oomme l'affirment les

exég~tes oatholiques, il est ourieux de repérer dans la

correspon-dance des années qui suivent des affirmations qui nous présentent l'image d'un Rimbaud encore bien éloigné de Dieu.

Dans la lettre

à

Delahaye du 5 mars 1875, deux ans donc apr~s

la prétendue oonversion, on déoouvre le passage suivant: Verlaine est arrivé-- ioi l'autre jour, un

oha-pelet aux pinoes ••• Trois heures apr~s on avait

renié son dieu et fait saigner les 98 plaies

de N. S. 2

Outre le ton irrévérencieux du passage, il est remarquable que

Rimbaud éorit "son dieu" et non "notre dieu", abandonnant

à

Ver-laine un commerce avec Dieu auquel il n'entend pas gtre mSlé.

De mgme, dans la lettre aux siens du 25 mai 1881, adressée

depuis le Harrar, l'auteur éoritt

Enfin, puissions-nous jouir de quelques années de vrai repos dans cette vie; et heureusement que cette vie est la seule, et que oela est é-vident, puisqu'on ne peut s'imaginer une autre

vie avec un ennui plus grand que celle-oil 3

Ce passage oompromet sérieusement l'hypothèse d'un Rimbaud

oonver-(2), Lettre A E. Delahaye~ 5 mars 1875, p. 307.

(47)

-46:"

ti depuis 1873, ou alors il faudra reconnartre chez ce dernier un

chrétien qui ne croit pas ~ l'Au-Del~. Mais cela conduirait ~

re-définir ce qU'est un ohrétien... A notre avis dono, la Saison ne

rend auounement oompte d'une conversion du po~te.

Quant aux autres textes de l'oeuvre rimbaldienne, ils sup.-portent difficilement l'équivoque et nous ne voyons pas comment on

pourrait parvenir ~ nous présenter Les Pl'emi~res Communions, Les

Pauvres

à

l'église, Le Mal, Un Coeur sous une soutane, comme les

oeuvres d'un poète catholique. Défendre la thèse d'un Rimbaud ca-tholique, c'est profiter de l'ambigurté de la Saison et oublier

~

dessein les textes4 où s'affirme clairement le refus rimbaldien

du Dieu des chrétiens.

(4) D'ailleurs, Isabelle Rimbaud a bien tenté de dissimuler ces textes gSnants. On sait avec quelle ardeur farouche elle a

vou-lu préserver une certaine image de son fr~re, s'attaquant ~ tous

ceux qui interprétaient l'oeuvre comme l'expression d'une

révol-te oontre Dieu. ft,( ••• ) je n'admets qu' un th~me: 0 ' est le mien",

avouait-elle candidement dans sa Lettre ~ Louis Pierquin, 3

jan-vier 1892.

Paterne Berrichon l'a aidée dans ses efforts pour préserver la respectabilité familiale. Alors qU'il avait reconnu quinze

ans auparavant dans une premi~re étude (ta Vie de Jean-Arthur

Rimbaud, Paris, Mercure de Franoe, 1897) les haines rimbaldien-nes de Dieu, il publia en 1912 un ouvrage soutenant la thèse

oontraire (Jean-Arthur Rimbaud, le Po~te (1854-1873), Paris,

Mèrcure de France, 1912). Cependant il ajoutait alors

à

l'i-néléganoe de se contredire la maladresse de présenter une cu-rieuse oo!ncidence entre son changement d'opinion et son ma-riage avec Isabelle Rimbaud.

Le speotacle de telles pratiques pourrait déj~ constituer

un argument de poids en faveur de notre thèse. On est tenté de croire que nul mieux qu'Isabelle Rimbaud et Paterne Berri-chon n'était conscient du rejet rimbaldien de Dieu tant une

grande partie de leur vie semble avoir été consaorée

à

le

(48)

)

-47-Inutile de pousser plus loin oette polémique.

L'hypoth~se

d'un Rimbaud oonverti du temps même où il éorivait son oeuvre

pa-raft suffisamment fragile pour que nous puissions maintenant

re-venir! ses écrits en nous permettant d'en dégager des sens

in-compatibles avec les

th~ses

des exégètes catholiques.

La

polémique soulevée par l'attitude de Rimbaud faoe au

christianisme a évidemment donné lieu ! un duroissement des

po-sitions de part et d'autre. Autant Isabelle Rimbaud, Paterne

Ber-riohon et leurs sucoesseurs ont-ils oatégoriquement nié

l'athéis-me de l'auteur, autant leur ton péremptoire a-t-il susoité chez

leurs adversaires une réplique correspondante. De telle sorte que

la révolte contre Dieu est devenue un thème majeur de la critique

rimbaldienne. Qu'aussi s'est formé chez ceux qui reconnaissaient

cette révolte un consensus qui conduisit rapidement

à

la

répéti-tion des mêmes arguments de l'un

à

l'autre des ouvrages critiques.

Que l'on veuille prouver un athéisme fondamental de Rimbaud

ou que l'on préfère parler plutôt d'une crise passagère de la foi,

on a

const~ent

recours

à

certains gestes ou certaines paroles de

ce dernier. Ainsi oombien de fois n'a-t-on pas invoqué le

témoigna-ge d'E. Delahaye au sUOet du Rimbaud de 1871, écrivant

à

la oraie

sur les banos du jardin publio de Charleville, "M •••

à

Dieul,,5 ou

s'écriant "Un prêtre!,,6 ! la renoontre d'une "soutane"! Alliés!

(5)i A. Rimbaud, "Paroles attribuées

à

Rimbaud", Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 652.

(6)

Loo. oit.

Figure

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