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Le thème de l'eau dans la vie et dans l'oeuvre de Guy de Maupassant.

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Academic year: 2021

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LE THEME DE L'EAU DANS LA VIE ET DANS L'QETNRE DE GUY DE MAUPASSANT

by Michelle Cuoq

L'oeuvre littéraire de chaque grand écrivain est, selon Bache-lard, baignée par un des quatre éléments traditionnels: l'eau, l'air, la terre et le feu.

Cela est tout-à-fait vrai en ce qui concerne Maupassant puis-que l'eau baigne à la fois son oeuvre et sa vie.

L'eau, sous toutes ses formes, a inspiré cet écrivain et a occu-pé dans sa courte vie une place primordiale.

Sa vie d'enfant, d'adulte et d'écrivain célèbre s'est déroulée entre la Manche, la Méditerranée, la Seine et diverses stations thermales et l'oeuvre de Maupassant est un reflet de l'homme, de ses complexes, de ses névr9ses et de sa philosophie de la vie.

Etudier l'eau dans la vie et dans l'oeuvre de Maupassant, c'est chercher, en quelque sorte, à tendre à ce célèbre écrivain le miroir de vérité pour essayer de pénétrer, au-delà du miroir, le moi profond d'un homme w.alheureux, trop souvent méconnu et, qui sait, pour participer peut-être à sa réhabilitation.

(3)

-'.

LE THE:ME DE LI EAU DANS LA VIE ET DANS LI OEUVRE DE GUY DE MAUPASSANT

by Michelle Cuoq

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Ar~s

Department of French Language and Literature McGill University Montreal March 1972

®

Michelle Guoq 1972 , • • 1 ..-'

(4)

TABLE DES MATIERES

Introduction • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 0 • • • • • 0 • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Chapitre l - L'Eau mouvante (Eau pélagd.que)

...

A- Omniprésente eau mouvante dans la vie de Maupassant B- Omniprésente eau mouvante dans son oeuvre

l

4 4

J2

Chapitre II - L'Eau vive ...•...•... 34

A-

B-Omniprésente eau vive dans la vie de Maupassant Omniprésente eau vive dans son oeuvre

Chapitre III - Eau maternelle et eau féminine

...

34

39

47

Chapitre IV - L'Eau profonde ••••.••••••••.•••.••••••••.••••.•••••

66

A- B-C"

...

Les eaux dormantes

L'eau léthale

...

L'eau narcissique

66

Chapitre V - L'Eau cathartigue .•.•.••••.••••.•.••••.••••••••••.•.

93

A- Pour Maupassant malade .••••••.••••••••.••••••.••.•.••..

93

BOO Dans son oeuvre

Conclusion • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 0 • • • • • • • • • •

104

(5)

INTRODUCTION

Une des idées les plus riches qui aient illuminé la critique au cours des cinquante dernières années est celle de l'utilisation des quatre éléments des philosophes anciens: l'eau, l'air, la terre, le feu, dans l'analyse des thèmes propres à chaque artiste. En effet, tous les grands créateurs paraissent baignés par un élément qui domine leur oeuvre. Selon Bachelard: "Pour qu'une rêverie se poursuive avec assez de constance pour donner une oeuvre éçrite, pour qu'elle ne soit pas simplement la vacance d'une heure fugitive, il faut qu'elle trouve sa matière, il faut qu'un élé-ment matériel lui donne sa propre substance, sa propre règle, sa poétique spécifique." (1)

L'un de ces éléments est l'eau, élément féminin par excellence, mais aussi élément douloureux, puisque, dans sa profondeur, l'@tre humain a

le destin de l'eau qui coule. Héraclite, au bord de son fleuve, avait déjà médité sur cette douloureuse réalité et Bachelard la résume en ces mots: "L'être voué à l'eau est un @tre en vertige. Il meurt à chaque minute,

sans cesse quelque chose de sa substance s'écroule." (2 )

(1) Gaston Bachelard, L'eau et les rêves, Essai sur l'imagination de la matière (Paris: Librairie José Corti,

1942),

p.

5.

(2) Ibid. p.

9.

(6)

2

-Guy de Maupassant, par sa vie, par son oeuvre, semble répondre tout à fait à cette cruelle définition. C'est ce que nous voudrions mon-trer dans cette étude. Mais écoutons dl abord Maupassant lui-m@me se li-vrer à nous en ces termes: IIJ'aime l'eau d'une passion désordonnée, la mer, bien que trop grande, trop remuante, impossible

à

posséder, les

riviè-res si jolies mais qui passent, qui fuient, qui s'en vont, et les marais surtout où palpite toute l'existence inconnue des b@tes aquatiques." (1)

Cet aveu de l'écrivain nous a suggéré le plan d'ensemble de no-tre étude. Nous essaierons de monno-trer que Maupassant était IIfils" de l'eau

et de toutes les eaux.

Dans un premier chapitre, nous étudierons l'influence sur cet auteur de l'eau mouvante de la mer et son omniprésence dans la vie et dans l'oeuvre de l'écrivain.

Le deuxième chapitre nous permettra de voir la mutation qui s'est effectuée chez ce Normand gr~ce

à

l'influence de l'eau vive: la rivière, qu'il a découverte à l' ~ge adulte. Comme précédemment, nous en verrons l' om-niprésence dans la vie et dans l'oeuvre de Maupassant.

Notre troisième chapitre sera consacré à l'étude de l'eau, sym-bole de l'éternel féminin, et s'intitulera en vertu de cela: IIEau maternelle et fémininell

C'est dans le quatrième chapitre, avec l'eau dormante et profonde,

(1) Guy de Maupassant, ~, Contes et Nouvelles, Tome l (Paris: Albin Michel,

1956),

p.

737.

(7)

'--

:;

-que nous réaliserons le sens tragi-que du destin de Maupassant. Hanté par la mort à tous les moments de sa vie, il est révélé par son oeuvre et les multiples suicidés et noyés qui la jalonnent. Nous assimilerons aussi dans ce chapitre l'eau au miroir, parce que c'est dans son miroir que Mau-passant s'est "noyé" bien des fois. Pour cet écrivain particulièrement, le miroir prend un sens tragique et complète ainsi notre analyse de l'eau dormante.

Enfin, d.ans un cinquième chapitre, nous nous attacherons plus spécialement au malade qu'était Maupassant qui croyait désespérément aux vertus purificatrices et curatives de l'eau, donc à l'hydrothérapie, aux tisanes, aux bains et aux cures thermales. Dans son oeuvre aussi, l'eau devient purificatrice et curative; c'est le thème d'un de ses romans.

Grftce

à

la découverte de Gaston Bachelard, en ce qui concerne l'imagination créatrice, nombre de poètes et écrivains se sont trouvés ré-vélés. Dans le cas de Maupassant, une étude psychanalytique des différents thèmes de l'oeuvre éclairerait bien la personnalité véritable de l'auteur; mais n'étant pas psychiatre, nous ne pourrons entreprendre qU'une ébauche de cette étude. Nous avons, pour connaitre la personnalité de Maupassant, seulement quelques ouvrages, souvent inexacts ou contradictoires, mais nous avons surtout l'oeuvre, véritable reflet de l'individu.

C'est dans cette oeuvre, et ce que nous savons de cette vie, que nous pénétrerons, pour montrer que Guy de Maupassant, personnage et écrivain, fut un ho~~ de l'eau comme il y en eut peu~

'

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CHAPITRE l

L'EAU MOUVANTE (E au pélagique)

A- Omniprésente eau mouvante dans la vie de Maupassant

Guy de Maupassant est né le 5 aoüt l85~peut-être près de Dieppe,

au ch~teau de Mirosmenil, peut.-être à Fécamp, mais sans aucun doute sur la

côte normande, au bord de la mer. (1)

Jusqu'à l'age de treize ans, il vit, soit à Fécamp, soit à Etre-tat et passe le plus clair de son temps avec les pêcheurs, sur la plage noircie de goudron, parmi les mouettes et les barques.

IIJ' ai grandi. sur les rivages de la mer grise et froide du Nord, dans une petite ville de pêche toujours battue par le vent, par la pluie et les embruns, toujours pleine d'odeur de poisson séché, dans la maison brune coiffée de cheminées de briques dont la fumée portait au loin, sur

la campagne, des odeurs fortes de harengs." (2 )

Enfermé quelque temps dans une austère pension religieuse à

(1) A propos de la naissance de Maupassant, les critiques se contredisent ainsi que les divers témoignages recueillis pour résoudre ce mystère. Nous éviterons donc de prendre position.

(2)

La Vie Errante (Paris: Conard,

1926),

p.

269.

'-.i

(9)

5

-Yvetot, le jeune Guy qui est très malheureux loin de son élément favori se met à rêver de bateaux. Le 2 mai 1864, il écrit à sa mère: II Au lieu du bal que tu as promis, . • • , je te demanderais de me donner seulement la moitié de l'argent que t'aurait coüté le bal, parce que cela m'avancera touj ours pour pouvoir acheter un bateau,

.

.

.,

Je ne veux pas acheter des bateaux que l'on vend au.x Parisiens, mais j'irai chez un douanier que je connais et il me vendra un bateau comme ceux qui sont dans l'église, c'est-à-dire un bateau pêcheur tout rond dessous .•. 11

(1 )

Ayant obtenu son bateau, il emmène Matho, le chien, dans ses promenades. Aussi bon nageur que son jeune maître, Matho n'a pas son pareil pour couper la lame. Souvent Guy s'allonge dans le fond de la barque pour lire, sous la garde de l'animal qui semble piloter.

Pendant la messe, au pensionnat, Guy taquine la muse et chante cette eau qu'il aime tant.

La mer en mugissant bondissait sur la plage

Mais ses lourds grondements et les bruits de l'orage Retentissaient moins haut que les voix de mon coeur. (2)

Plus tard, â.gé de dix-sept ans, il consacre quelques vers à un rocher creux qui surplombe la porte d'aval à Etretat.

(1) René Dumesnil, Chroniques, études, correspondance de Guy de

Maupas-~ (Paris: Grand, 1938), p. 196.

(2) Cité par Armand Lanoux, Maupassant le Bel-Ami (Paris: Fayard, 1967),

p. 30.

i

(10)

6

-Lentement le flot arrive Sur la rive

Qu'il berce et flatte toujours. C'est un triste chant d'automne Monotone

Qu'il pleu-re après les beaux jours. Sur la côte solitaire

Est une aire

Jetée au dessus des eaux .•• (1)

Rien n'a changé du décor, la mer a toujours le m@me bruit lan-cinant de succion Quand elle s'écrase sur ces galets, piétinés, il y a plus d'un siècle,par un adolescent romantiQue, conscient déjà de sa vocation aQuatiQue. Il va mettre cette vocation à l'épreuve pour la première fois en 1868 en participant au sauvetage de l'écrivain anglais Swinburne, per-sonnage étrange Qu'il conna~tra mieux par la suite et Qui l'j~ressionnera

beaucoup. (2)

Ainsi, par son omniprésence, la Manche, mer froide et tumultueu-se, apporte déjà, au matin de cette vie, les éléments essentiels Qui carac-térisent l'homme et l'écrivain.

Maupassant Quitte la côte normande poùr étudier au lycée Cor-neille

à

Rouen. Il apprend

à

mieux connattre son ma~tre: Flaubert. Mobi-lisé en juillet 70, il conna~t les horreurs de la guerre et entr~le 1er février, au Ministère de la Marine. La vie de "rond de cuir" ne lui plaît

(1) Légende de la chambre des demoiselles à Etretat (Paris: Edition des Oeuvres complètes de la Librairie de France, 1934-1938), vol. XIV.

(2) Voir à ce propos par Albert-Marie Schmidt, Mau assant ar lui-m@me

----~~~~~--~~~

(11)

7

-guère; aussi r@ve-t-il des paysages de son enfance.

Quand il peut s'échapper de son labeur, il fait de grandes mar-ches dans la nature et revient harassé mais poursuivi par une idée fixe: Il qu' il f'erait donc bon prendre un bain de mer."

(1)

Et il termine son récit par quelques petits mots déchirants: "Maman, y a-t-il encore beaucoup de monde à Etretat,?" (2 )

L'enfant pitoyable subsiste sous celui qui est déjà, du côté de Sartrouville, le Il f'ier-à-bras des berges" .

Qùelquef'ois aussi, écoeuré par l'odeur fade de la paperasserie, le petit employé fuit vers la mer; mais ses moyens sont limités, alors il doit compter les· jours qui le séparent d'Etretat, son Eldorado. Le temps monotone qui coule le plonge dans des rages d'impatience et de mélancolie amère qui accentuent sa cyclothymie naturelle. "Est-il bien possible que je sois allé à Etretat et que j 'y aie passé quinze jours? Il me semble que je n'ai point quitté le ministère et que j t attends toujours ce congé qui

s'est terminé ce matin." (3 )

Entre temps, Maupassant travaille son style avec acharnement

(1) René Dumesnil, -=-C.:;h=r~on=Fi.:;l,u;:::,e=.s~~e;.'t::.;u;;;;d::;e:;,:s:.z...;::.;::.::.::~====;.;:;,;;.::::....=...:::..::::.l..";:::';:;"":~~::::::""

~ (Paris: GrUnd, 1938 , p. 209. (2) Ibid. p. 209.

(3) Ibid. p. 209.

.i

(12)

8

-et enfin, à trente ans, il fait son entrée dans le monde .des l-ettres où il va réussir brillamment.

Lors d'un voyage en Corse, il découvre la Méditerranée. Désor-mais, la mer grise et verte d'Etretat ne sera plus seule

à

régner dans son coeur.

Très vite, las de Paris ,dans lequel l'écrivain est contraint de vivre puisque sa situation dépend de sa légende, Maupassant fuit de plus en plus souvent vers Etretat, le Midi, l'Algérie, les bateaux, la mer, l'eau.

En 1883, il achète une grande barque gréée, "La Louisette", un gros "pointu". Il aime avec passion sa "chère petite barque" et navigue, en compagnie d'un vieux marin, sur la Méditerranée. Il navigue par tous les temps, aime à prendre des risques, ce qui lui fait envisager l'achat d'un bateau plus" sérieux" .

Entre temps, il retourne en Normandie,

à

Etretat, où il a fait construire une maison: "La guillette", dans laquelle il passe une bonne part de l'été 1884. Chaque jour il va voir la mer et baigne ses yeux avec de l'eau. Il est déjà très malade et a parcouru les trois-quarts de sa vie. Naturellement, il nage chaque fois qu'il le peut.

Le baron Ludovic de Vaux écrit à ce propos: "Il faudrait al-ler sous les tropiques pour trouver ·un nageur possédant autant de résistance

(13)

' 9 '

-et de durée

qUl~

Tl1aupassant." (1)

A la fin de

1884,

Maupassant achète un voilier d'occasion qu'il baptise du nom même de son dernier roman: "Bel-Ami". Ce bateau change la vie de l'écrivain. Il navigue souvent à l'aube ou m@me la nuit avec deux matelots et là, il connatt l'apaisement et le bonheur.

"La joie qui m'envahit qUé!J:ld je me sens poussé par le vent et porté par la vague, natt de ce que je me livre aux forces brutales et na-turelles du monde, de ce que je retourne à la vie primitive." (2 ) La paix qu'il retrouve à bord de son yacht est propice aux méditations et c'est là qu'il rédi~ Sur l'eau~_ Journal de navigation, recueil d'idées éparses et variées.

Ses succès littéraires l'ayant confortablement enrichi, Maupas-sant acquiert en janvier

1888

son" grand oiseau blanc": un yacht splendide qui deviendra le "Bel-Ami II'', plus grand et plus luxueux que le "Bel-Ami 1".

Il navigue le long de la côte méditerranéenne, fait des escales dans les iles d'Hyères et contourne les multiples caps qui découpent le rivage. Il aime sortir quand la houle est profonde et quand ses matelots invoquent à chaque coup de roulis "sainte-Cléophé ou Sainte-Zoé". Dans

(1) Charles de Saint-Cyr (baron Ludovic de vaux), Les tireurs au pistolet (Paris: C. Marpon et E. Flammarion,

1883),

p.

32.

(2) Sur l'eau, Journal de navigation (paris: Conard,

1947,

vol.

1),

p.

18.

'

(14)

10

-ces moments-là, Guy est vraiment heureux: "Moi je flotte dans un logis ailé qui se balance, joli comme un oiseau, petit comme un nid, plus doux qu'un hamac et qui erre sur l'eau au gré du vent sans tenir à rien. Il (1 )

Il reçoit à bord ses amis et ses mattresse~ et parvient même à devenir romantique et à parler d'amour. Pendant qu'il navigue, il s' as-seoit à la proue du "Bel-Ami" et regarde filer l'eau transparente. nA quelques pieds, sous le bateau, il se déroulait, lentement, à mesure que nous passions, l'étrange pays d~ l'eau; de l'eau qui vivifie comme l'air du ciel, des plantes et des bêtes." (2)

En 1889, Maupassant retourne à Paris,et là, avant de se mettre au travail, il jette un coup d'oeil au buste de Flaubert et à la photogra-phie de son voilier.

Le 29 juillet 1890, il reprend la mer et navigue au large de st-RaphaMl et de Nice où il rend parfois visite à sa mère. De plus en plus malade, il fait une escapade en Algérie, revient à Rouen, cherchant toujours

à fuir son mal ou à se fuir lui-même.

(1) Sur l'Eau, Journal de navigation (Paris: E. Flanunarion, 1925), p. 22.

(2) Un Soir, Contes et Nouvelles, Tome l (paris: Albin Michel, 1956), p. ll3l. (3) La hantise de l'océan correspond souvent à un besoin de s'arracher au

passé; comme l'écrit Mallarmé:

La chair est triste, hélas~ et j'ai lu tous les livres, • • . , Mais, ô mon ~, entends le chant des matelots.

Mallarmé, Brise marine, Poésies (Paris: Gallimard, 1945), p. 38.

Maupassant avoue aussi sa passion de l'indépendance quand il écrit: "Je sens que j'ai dans les veines le sang des écumeurs de mer. Je n'ai pas de joie meilleure, par des matins de printemps, que d'entrer avec mon bateau

(15)

11

-Il navigue encore souvent en 1891, jetant parfois l'ancre en pleine mer pour nager, seul dans les vagues, jusqu'à épuisezœnt. Il loue une maison

à

Cannes. Ses migraines et ses hantises deviennent de plus en plus fréquentes. Pour se calmer il va jusqu'au port regarder le Il Bel-Amill •

Le 1er janvier 1892, à Cannes, il essaie de se suicider avec un coupe-papier et, trois jours plus tard, un infirmier arrive pour l'inter-ner. On pense que la vue de son cher bateau va le calmer. Les bras serrés dans la camisole de force, on l'emmène jusqu'au quai et là "le ciel bleu, l'air liquide, la ligne élégante de son yacht chéri, tout cela parut le calmer, son regard devint doux. Il contempla longuement son navire d'un oeil mélancolique et tendre." (1)

Pendant qu'on l'emmène, Maupassant se retourne plusieurs fois vers son bateau. Le "Bel-Ami", ce merveilleux navire,n'a pas réussi à sau-ver son capitaine. Guy de Maupassant sombre dans la démence.

(3) ..•

dans des ports inconnus, de marcher tout un jour dans un décor nou-veau, parmi des hommes que je coudoie, que je ne reverrai point, que je

quitterai, le soir venu pour reprendre la mer, pour m'en aller dormir au large, pour donner le coup de barre du côté de ma fantaisie, sans regret des maisons où des vies naissent, durent, s'encadrent, s'éteignent, sans désir de jeter l'ancre nulle part, si doux que soit le ciel, si sourian-te que soit la sourian-terre." Cité par E. Maynial, La vie et l'oeuvre de Guy de Maupassant (Mercure de France, 1906), pp.

37-38.

On lit dans ce passage un refus de tout lien, une jnstabilité et une infidé-lité à bien des systèmes; mais aussi un caractère glissant et fuyant avec un soupçon de mauvaise foi~

(1) Alberto Lumbroso, Souvenirs sur Maupassant (Rome: Bocca, 19(5), p.

86.

'

(16)

12

-B- Omniprésente eau mouvante dans son oeuvre

L'étude du thème de l'eau dans l'oeuvre de Maupassant se limite évidemment à son oeuvre romanesque, y compris cependant le recueil intitulé:

Sur l'eau, Journal de navigation', essentiel pour comprendre les sentiments de l'auteur pour son élément.

1- Dans les romans

C'est la mer que Maupassant a dépeinte dans deux de ses romans: Une :vieet Pierre et Jean. Dans Une vie, roman normand par excellence, Maupassant projette constamment son amour pour une région qui l'a vu gran-dire Ce roman livre tous les thèmes obsessionnels de l'auteur et, en par-ticulier, son amour de l'eau.

C'est d'abord la pluie qui ouvre le roman et qui permet immédia-tement de le situer: "L'averse, toute la nuit avait sonné contre les car-reaux et les toits. Le ciel bas et chargé d'eau semblait crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la :fondant comme du sucre. Des ra:fa-les passaient pleines d'une chaleur lourde. Le ron:flement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l'humidité qui pénétrait au-dedans et :faisait suer les murs de la cave au grenier.1I (1)

Le baron, père de Jeanne, l'héro~ne, ressemble beaucoup à

(1) Une vie, Romans. (paris.: Albin Michel, 1959), p. 11.

'-1

(17)

13

-Maupassant lUi-même, par son amour de la nature; et Jeanne présente aussi une similitude avec l'auteur; en effet, au sortir du couvent, elle "se promettait une joie infinie de cette vie libre au bord des flots". (1)

Quant au ch§.teau, décor principal du roman, dans quelle autre région de France pourrait-il être situé sinon en Normandie, puisqu'il nous est décrit comme un "vieux ch§.teau de famille planté sur la falaise près d' Yportll

• (2 )

La situation même de cette demeure nous donne, dès le début du roman, la note dominante. On peut déjà sentir que la mer, par son rythme régulier, bercera cette vie d'une monotone langueur. La mer est en effet dans cet ouvrage le miroir des sentiments de l'héroine.

A son arrivée, c'est le calme et la majesté de l'eau qui accueil-lent dans son nouveau domaine ce qu'elle est alors: une jeune fille roman-tique.

"Jeanne regardait au loin la longue surface moirée des flots qui semblaient dormir sur les étoiles." (3) Le lendemain, se promenant dans le village, c'est un spectacle joyeux que la mer offre à ses yeux: les bateaux aux voiles blanches, les barques reposant au soleil, et la mer

(1) Une vie, Romans, p. 13. (2) Ibid.

(3) Ibid. p. 21.

(18)

, 14 ,

-qui roule sur les galets "avec 1Ul bruit léger". (1)

Dans ce roman, la mer est le complice principal. Nous la verrons changer de visage au fur et à mesure que la situation de Jeanne se détério-rera.

La je1Ule f'ille est elle-même, comme son auteur, avide d' impres-sions; elle aime courir sur la f'alaise et respirer le vent vivif'iant de la mer; comme lui, elle aime nager, la nuit de préf'érence, avec 1Ule f'ougue in-tense, jusqu'à l'épuisement: "Elle nageait à perte de vue, étant f'orte et hardie, sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau f'roi-de, limpide et bleue qui la portait en la balançant." (2)

Seul 1Ul f'ervent adepte de l'eau pouvait en quelques lignes évo-quer cette jouissance presque sensuelle qU'apportent,aux amoureux de l'élé-ment aquatique, les baignades vivif'iantes en eaux f'roides.

Pareil à l'auteur et à la je1Ule f'ille, son père nous est décrit comme un amant de la mer, des bateaux, de la pêche et du soleil, heureux en compagnie des marins et des pêcheurs. Et c'est évidemment en mer que natt l'amour entre Jeanne et le vicomte.

La mer calme, la brise légère suggèrent à Jeanne 1Ule pensée: i'Il lui semblait que trois seules choses étaient vraiment belles è.ans la

(1) Une vie, Romans, p. 25. (2) Ibid. p. 27.

.1

(19)

15

-création: la lumière, l'espace et l'eau.fI

(1)

On a souvent écrit ~ue c'est ~uand il peint l'eau ~ue Maupassant réussit le mieux. En effet, cet artiste, à ~ui on a souvent reproché un

man~ue total de sensibilité,réalise un véritable chef-d'oeuvre ~uand il

personnalise la mer et le soleil, en les évo~uant comme deux amants com-pliees.

"Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui; mais elle eut comme un co~uetterie et s'enveloppa

d'une brume légère ~ui la voilait à ses rayons, • • • L' astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nuée brillante; et, lors~u' il fut dans tou-te sa force, la buée s'évapora, disparut, et la mer, lisse comme une glace, se mit à miroiter dans la lumière.n (2)

Seul un amoureux de la mer comme l'était Maupassant pouvait écri-re un passage d'une telle perfection.

Cette profusion de lumière, de beauté, accompagne évidemment un intense bonheur. La mer par sa douceur et le soleil par son éclat devien-nent complices pour auréoler les amants ~ui baignent dans une parfaite

sérénité.

(1) Une vie, Romans, p. 37.

(2) Ibid. p. 37

(3) Or, ce ~ui prouve ~ue Maupassant s'identifie à ses héros, c' est ~ue

l'eau seule peut apporter à cet hype~nerveux la sérénit~ainsi ~u'il le confesse dans son journal de bord: Sur l'eau.

(20)

l6

-Plus tard, lorsqu'on baptise le bateau que le baron vient de faire construire, la mer est présente, telle un personnage: "La mer immo-bile et transparente semblait assister,recueillie, au baptême de sa nacel-le, roulant

à

peine, avec un tout petit bruit de râteau grattant le galet, des vaguelettes hautes comme le doigt." (l)

Quelques temps après, par un magistral contrepoint, lui-même surgi de la vie de l'auteur, la Méditerranée répond à la Manche; à Etre-tat et ses falaises, la Corse avec sa somptueuse forêt de Piana et ses calanqJ.es dantesques où Jeanne est en voyage de noce, enfin heureuse, et qu'elle regrettera à en pleurer, de retour en Normandie, comme Guy un an plus t6t.

Ile 1 étaient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surp!enantes modelées par le temps, le vent rongeur et la brume de mer,

Et soudain, sortant de ce chaos, ils découvrirent un nouveau golfe, ce:L.'1t tout entier d'une muraille sanglante de granit rouge. Et dans la mer bleue ces roches écarlates se reflétaient.1I (2)

Revenus aux "Peuples", c'est encore la mer qui annonce le début d'un destin malheureux: "Derrière la lande apparaissait la grande ligne

verd~tre

des flots tout parsemés de trainées blanches. Il (3 )

(l) Une vie, Romans, pp.

44-45.

(2) Ibid. pp. 70-7l.

(21)

17

-Auparavant, la mer nous avait été dépeinte comme verte ou bleue, tout simplement. Elle est devenue maintenant verdâtre et le son même de ce suffixe résonne d'une note lugubre.

Même le petit village d'Yport a perdu son air accueillant. Il est maintenant plein de l'odeur du varech, et là: "La mer grise et froide avec son éternelle et grondante écume commençait à descendre, découvrant, vers Fécamp, les rochers verdâtres au pied des falaises." (1)

Pendant que se poursuit, pour Jeanne, une vie monotone et soli-taire, la seule chose qu'elle peut contempler c'est "la mer sombre qui mou-tonnait" • (2)

Quand elle découvre la trahison de son mari avec Rosalie, la bonne, c'est vers la mer que Jeanne s'enfuit, éplorée, pour en finir. "Soudain, elle se trouva au bord de la falaise, . • • Dans le trou sombre devant elle, la mer invisible et muette exhalait l'odeur salée de ses va-rechs à marée basse." (3)

C'est instinctivement que les personnages de Maupassant se diri-gent vers l'eau, comme il le faisait lui-même, interrompant souvent son tra-vail pour des promenades sur la grève.

(1) Une vie, Romans, p.

92.

(2) Ibid. p.

94.

(22)

18

-Ainsi fait Jeanne lorsqu'elle perd sa mère: on découvre même, ici, un surprenant transfert de la mère morte à la. mer immobile qui "se repose", prouvant déj à l'analogie que l'auteur, inconsciemment, fait entre les deux. "La mer, là-bas se reposait dans une paix silencieuse, endormie sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante pénétra Jeanne et elle se mit à pleurer lentement." (1) Et c'est encore la mer qui est témoin de la mort du vicomte et de sa maîtresse et qui réfléchit ce drame qui s ' accomplit par un j our de tempête.

"La mer houleuse roulait ses vagues; les gros nuages tout noirs arrivaient à une vitesse folle." (2) C'est là au bas de cette falaise que va s'écraser la cabane de berger, refuge des amours coupables du mari de Jeanne et d'une petite comtesse des environs.

Pendant que Jeanne élève seule son fils aux "peuples" , la mer est toujours là, présence latente, qui rythme les saisons; et même si l'au-teur ne la mentionne pas, on la devine, fidèle, cruelle ou affable selon son humeur.

Lorsque son fils devient un raté, Jeanne, à court d'argent, doit s'exiler à Batteville et là, misérable, elle réalise soudain qu'elle a laissé aux "peuples" une partie d'elle-même.

(1) Une vie, Romans, p. 147. (2) Ibid. p. 171.

'

(23)

19

-"Ce qui lui manquait si fort, c'était la mer, sa grande voisi-ne depuis vingt-cinq ans, la mer avec son air salé, ses colères, sa voix

grondeuse, ses souffles puissants, la mer que '=!haque matin elle voyait de sa fenêtre des Peuples, qu'elle respirait jour et nuit, qu'elle sentait près d'elle, qu'elle s'était mise à aimer comme une personne sans s'en dou-ter." (1)

Il faut avoir vécu au bord de l'Océan pour réaliser l'emprise que peut avoir sur l'homme l'élément aquatique et Maupassant, fidèle à

son pays natal, a excellé

à

la rendre.

Pour la première fois,

à

la fin du roman, la mer est assimilée

à

une personne. Or, nous savons déjà que Maupassant n'a eu, tout au long de sa vie,qu'une seule et fidèle passion: l'eau. Aucune femme n'a pu, à

ses yeux, rivaliser avec ce qui était pour lui l'unique mattresse.

Dans Pierre et Jean, nous retrouvons le même procédé en ce qui concerne la mer .et son omniprésence dans le roman.

Encore une fois, c'est l'eau qui est évoquée dans la première page du livre puisque c'est une partie de pêche en mer qui ouvre le premier

chapitre.

L'auteur prend ici un plaisir évident à nous montrer la mer, les falaises,et aussi les poissons, symboles aquatiques par excellence.

(1) Une vie, Romans, p. 209.

(24)

20

-Roland, le père dans cette histoir~ ressemble aussi

à

Maupas-sant par son am.our de la mer et des bateaux:- Gomme l'auteur: "Il aimait s'embarquer avant le jour." (l)

A nouveau dans 'Pierre et Jean' , la mer est témoin des conflits psychologiques des J.)ersonnages et change son aspect conformément à eux. Pendant la partie de pêche du début, la mer nous est décrite comme: "Pla-te, tendue comme une étoffe bleue, immense, luisan"Pla-te, aux reflets d'or et de feu." (2) Elle berce Madame Roland tendrement: "Il lui semblait que son coeur flottait comme son corps sur quelque chose de moelleux, de flui-de, de délicieux qui la berçait et l ' engourdissait .If (3 )

Naturellement, Maupassant nous décrit les bateaux, touj ours et

à jamais symboles de liberté et dl aventure. Notre imagination vagabonde avec la sienne parmi les IIpaquebots, bricks, goélettes, trois-mâts chargés de ramures eIllIllêléesll

,

(4)

et les oiseaux de mer.

Dès que l'héritage de Jean a été annoncé et que la jalousie com-mence à ronger Pierre5 c'est vers la mer qu'il se dirige pour se calmer,

vers le bout de la jetée précisément.

Là, avec la paix de la nuit et le calme de l'air, il se sent

(1)

Pierre et Jean, p. 847. (2 ) Ibid. p. 868. (3 ) Ibid. p. 850. (4 ) Ibid. p. 852. ,-.1

(25)

- 2l .:

mieux et redevient optimiste, grâce

à

la complicité des flots, bien entendu. "Puis, sur l'eau profonde, sur l'eau sans li.m:Ltes, plus sombre que le ciel, on croyait voir, CSà et là des étoiles."

(l)

Il retrouve au même endroit son frère Jean, et c'est le seul passage du livre où ils communiquent vraiment comme des frères, évoquant devant le spectacle du large leurs désirs de départ, de voyages vers des pays inconnus. C'est bien le lieu ici, donc la me:r; qui à favorisé l'échange.

"Moi, quand je viens ici, j'ai des désirs fous de partir, de m'en aller avec tous ces bateaux vers le Nord ou vers le Sud." (2 )

Au milieu du roman, Pierre, de bonne hwneur, décide de faire une promenade dans le bateau familial. Là, l'auteur laisse libre cours à

son imagination. Il connatt si bien le sujet que lui seul parvient à évo-quer la plénitude parfaite qu' apporte, par beau temps, une promenade en voilier. On croirait entendre Maupassant lui-même nous faire part de sa propre expérience quand il dit: "Pendant trois heures, Pierre, tranquille, calme et content, vagabonda sur l'eau frémissante, gouvernant comme une

Cl) Pierre et Jean, p. 866.

(2) Ibid. p. 867. Maupassani; par l'intermédiaire de son héros exprime très bien ici le rêve utopique de tous les hommes de toutes les sociétés représenté par le voyage, l'aventure, et ce rêve a pour origine l'angoisse du présent, le refus de la réalité quotidienne et des responsabilités qui s 'y attachent. Cf. Jean Servier, Histoire de l'utopie (Paris: Gallimard, Collection" Idées", 1967), pp. 3l9-327.

(26)

22

-bête ailée, rapide et docile, cette chose de bois et de toile qui allait et venait

à

son caprice sous une pression de ses dOigts." (1)

Au fur et à mesure que le drame se précise, que Pierre devient sfir de la faute de sa mère et de la bâtardise de son frère, la mer change d'aspect.

Son coin favori, sur la jeté~n'est plus accueillant, au con-traire: "Pierre gagna la jetée.à grands pas, ne pensant plus

à

rien, sa-tisfait d'entrer dans ces ténèbres lugubres et mugissantes. Il (2)

La sirène hurle près de lui: "Sa clameur de monstre surnaturel, plus retentissante que le tonnerre, rugissement sauvage et formidable fait pour dominer les voix du vent et des vagues, se répandit dans les ténèbres sur la mer invisible ensevelie sous les brouillards." (3 )

Lorsque, pour oublier, Pierre s'en va à Trouville, la descrip-tion qui nous est donnée ressemble aux toiles des peintres impressionnis-tes et illumine la narration d'une joyeuse tache de couleur.

"Sur la grande dune de sable jaune, depuis la jetée jusqu'aux Roches-Noires, les ombrelles, de toutes les couleurs, les chapeaux de toutes les formes, les toilettes de toutes les nuances, • • • , ressemblaient

(1) Pierre::lt Jean, p. 890.

(2) Ibid p. 895. (3) Ibid p. 898.

(27)

, 23 ,

-vraiment à des bou<luets énormes dans une prairie démesurée." (1)

Quand, vers la fin du roman, Jean confesse son amour

à

Mme Rose-milly, c'est naturellement au beau milieu d'une partie de p@che aux crevet-tes. L'eau est là, fidèle, paisible et accueillante: "d'un bleu d'ar-gent" . (2)

C'est pendant <lu'elle boit l'eau d'une source <lue Jean réalise combien sa compagne est jolie et c'est au beau milieu d'une plaine de va-rech <lue Jean se sent "envahi par l'amour, soulevé de désirs, affamé d'el-le comme si d'el-le mal <lui germait en lui avait attendu ce jour-là pour éclo-re" • (3)

C'est aussi à l'image <lui se reflète dans l'eau <lue Jean, chas-tement, jette des baisers~

L'eau est réellement complice dans ce passage et participe à

l'atmosphère charmante et romantique <lui le caractérise.

A la fin du roman, c'est l'angoisse <lu' elle apporte lors<lue Pierre, ayant pris sa décision de partir comme médecin sur un pa<luebot, réalise <lu'il devra désormais vivre sur cet élément instable: l'océan: "Plus de sol sous les pas, mais la mer <lui roule, <lui gronde et engloutit.

(1) pierre et Jean, p. 909.

(2) Ibid. p.

924.

(3)

Ibid. p.

927.

(28)

24

-Plus d'arbres, de jardins, de rues, de maisons, rien que de l'eau et des nuages." (1)

Ce sont là les paroles d'un condamné, prisonnier d'un élément hostile "uniquement parce que sa mère s'était livrée aux caresses d'un hom-me" . (2 )

C'est avec le navire qui s'en va, emmenant Pierre qui fuit son passé, sa famille, son dest~ que s'achève le roman.

"Madame Roland se retourna encore une fois pour jeter un der-nier regard sur la haute mer; mais elle ne vit plus rien qu'une petite fu-mée grise, si lointaine, si légère qu'elle avait l'air d'un peu de brume."

Pendant toute la durée de ce drame, les humains ont subi des changements; Pierre, Jean et sa mère ne sont plus les mêmes personnes au début et à la fin du roman et pendant tout ce temps, le tém~in principal, la mer, reste imperturbable, intensifiant ainsi le drame de l'homme.

II- Dans les contes et nouvelles

La présence de la mer, de la Manche froide et grise du Nord, domine aussi cette partie de son oeuvre que Maupassant dédàignait quelque peu: les Contes et N.ouvelles. Ce sont pourtant celles-ci qui, plus de

(1) Pierre et Jean, p.

963.

(2) Ibid p.

963.

(29)

25

-soixante ans après sa mort lui assurent une gJ..oire universelle et c'est avec elles que l'on découvre une/province française bien particulière: La Normandie. Si nombreux sont, dans cet ouvrage, les "contes normands"

qu'il serait laborieux de les citer tous. Nonnnons quelques titres, au hasard: Farce normande, Un Normand, La ficelle, Toine, Le vieux, ~etit

!Qi

et tant d'autres qui ont pour cadre les gras p~turages de la Normandie caressés:: par le vent salé de cette mer rude et glacée: La Manche.

Nul., mieux que Maupassant, n'a su faire revivre le paysan Normand auquel lui-même ressemble d'ailleurs. (1)

Cependant, c'est aux récits marins que nous nous attacherons; ceux qui évoquent la mer telle que Maupassant, enfant, l'a connue et telle qu'il l'a aimée.

Dans la plupart des contes, l'auteur insiste sur l'aspect terri-fiant, tragique et inhumain de la Manche qui se transforme, au large des côtes bretonnes en océan (mot qu'il évite d'ailleurs de mentionner pour ne pas déféminiser la mer).

Maupassant insiste sur l' ~preté de la c6te qui sert de cadre

à

un conte dramatique: Le saut du berger qu' il a repris dans Une Vie.

(1) Paul Morand cite en effet les paroles suivantes: "En le regardant de près, je trouve qu' il ressemble à ses paysans. Comme eux, il me para1:t à

la fois misanthrope et farceur, patient et madré" rêveur malgré lui et libertin. "

Paul. Morand, Vie de Maupassant (Paris: Flammarion; 1942), p.

163.

L'au-teur de ce portrait est George de Porto Riche.

(30)

26

-Quelquefois, crest l'élément déchaîné qu' il décrit dans toute son horrible splendeur et les drames qu' il provoque. En Mer raconte

l'histoire de ce p@cheur dont le bras est écrasé par un chalut et qui, tout simplement, une fois coupé, le conserve dans la saumure avec le poisson. Déjà, ce conte révèle un goüt certain pour le morbide, que nous retrouve-rons d'ailleurs très souvent chez l'auteur.

Dans ces histoires marines, c'est une mer forcenée, criminelle et tragique qui est représentée. Dans de telles occasions,et elles sont rares, Maupassant parvient même à la déféminiser pour la nommer "océan" .

ilL' océan démonté battait les falaises, se ruait contre la terre, rendait impossible l'entrée des ports, . . • La tempête continuait à faire infranchissables les jetées, enveloppant d'écume, de bruit et de dan-ger tous les abords du refuge. Il (l)

On peut ressentir dans de tels récits une certaine exaltation de l'eau violente pour Maupassant,dans laquelle se mêlent sadisme et maso-chisme •

C'est d'ailleurs ainsi qu'il con<;;oit la mer puisque, quand il nage, il cherche à vaincre, à lutter contre un adversaire invisible, cha-que vague étant un coup qu' il faut affronter, peut-être pour se prouver à lui-même qu'il est fort et pour vaincre ainsi un vague complexe d'infériorité.

(l) En Mer, Contes et Nouvelles, Tome l, p. 95.

'-.i

(31)

27

-Dans une lettre à Marie Bashkirtseff, Maupassant écrit en effet: "J'ai la passion des exercices violents, j'ai soutenu de gros paris comme rameur, comme nageur et comme marcheur." (1 )

Pour lui, le vent de la tempête, les flots déchaînés deviennent un défi; et c'est ainsi ~u'il les peint dans les contes, dans Le Retour par exemple: "La mer fouette la côte de sa vague courte et monotone.1f

(2)

~uant aux pêcheurs, ils ont accepté le défi; c'est ainsi que,

dans Le Retour, ils acceptent le père, revenant au foyer après des années, seul ~ survivant d'un naufrage, sans lui poser de questions. C'est ainsi qu'on reconna5:t dans un vagabond l'oncle Jules disparu "aux Amériques" ou

/

qu'on accepte avec fatalité "les coups de vent qui jettent hors la route, tous les accidents, aventures et mésaventures de la

merl~

• (3 )

C'est encore la mer, insidieuse et mortelle,qui est représentée dans L'Epave. En effet, un inspecteur de compagnie d'assurances maritimes, ainsi ~u'un Anglais avec ses deux filles, sont pris par la marée sur une épave échouée sur le sable. Les flots deviennent là un ennemi perfide qui apporte une mort lente et horrible: "Le silence des ténèbres devenait ef-frayant, le silence du ciel, car nous entendions autour de nous vaguement,

(1) Cité par Pierre Cogny dans son étude qui ajoute: "Si l'on prend l'eau, l'élément auquel il avait accordé le plus de crédit, on ne peut pas ne pas être frappé par le mal qu'en définitive elle lui aura fait, • • • Il en fait un défi à ses muscles, à sa résistance et c'est l'échec." Pierre Cogny, Maupassant l'homme sans Dieu (Bruxelles: L~ ren,aissance du livre, 1967), p. 72.

(2) Le Retour, Contes et Nouvelles, Tome 1, p. 184. (3 ) LI oncle Jules, Contes et Nouvelles, Tome 1, p. 413.

(32)

28

-un bruissement léger, infini, la rumeur de la mer sourde qui montait et le monotone clapotement du courant contre le bateau." (1)

C'est une mer aux multiples visages qui est brossée dans les Contes et Nouvelles, mais, le plus souvent, c'est un visage tragique qui appara1t quand il s ' agit de la Manche. Il n'en est pas de même lorsque Maupassant peint la Méditerranée. Cela s'explique peut-être parce qu' il est toujours allé vers le Sud pour rechercher la chaleur, pour guérir son mal et qu' il voit la Méditerranée connne une mer salvatrice, qu' il a choisie.

Toutes les histoires corses qu'il a écrites, même si elles sont souvent dramatiques, n'ont rien du morbide de quelques histoires normandes et les titres mêmes des contes qui ont pour cadre la Méditerranée sont plus. optimistes : ~,Le bonheur, En voyage, Rencontre, Blanc et bleu.

C'est au bord de cette mer, "sans une ride, sans un frisson, lisse, luisante encore sous le jour mourant", (2) que l'on parle d'amour.

C'est à Nice que -:" on fait des batailles de fleUrs avec, pour té-moin, "la mer calme, bleue et claire jusqu'à l' horizon où elle se mêle au

ciel" •

C'est en marchant sur le rivage de la Méditerranée que l'on

(1)

L'Epave, Contes et Nouvelles, Tome II, p.

724.

(2) Le funheur, Contes et Nouvelles, Tome l, p.

686.

(3) ~,Contes et Nouvelles, Tome l, p. 924.

(33)

, 29 ,

-devient romantique. "On marche dans la lumière, dans le vent qui caresse, au flan des montagnes, au bord de la mer; Et on

rêve~"

(1)

C'est dans le golfe de St-Tropez, encore désert

à

l'époque, que l'amitié surgit, au détour d'un chemin avec, pour complice, la nature:

"La route longe la mer, et de l'autre c6té de l'eau, on aperçoit une ligne onduleuse de hautes montagnes vêtues de for@ts de sapins: les arbres descendent jusqu'au flot, qui mouille une longue plage de sable pâle." (2)

Enfin, et c'est rare chez Maupassant, c'est le bonheur, un bon-heur tranquille et silr, qui illumine Blanc et Bleu.

"Ma petite barque allait doucement sur la mer calme, calme, endormie, épaisse et bleue aussi, bleue d'un bleu tr~sp~rent, liquide, où la lumière coulait, la lumière bleue, jusqu'aux roches du fond." (3 )

A lire ce passage, il semble que la chaleur et la lumière nous pénètrent et nous réchauffent comme un bain de jouvence. Q,ue nous sommes loin de Fécamp!

Nous retrouvons la même atmosphère dans ce journal de bord,

(1) Julie Romain, Contes et Nouvelles, Tome l, p. 1241. (2) Rencontre, Contes et Nouvelles, Tome II, p.

332.

(34)

30

-rédigé pendant une croisière sur la Méditerranée, au titre évocateur de Sur l'eau.

C'est un écrit sans prétention, Maupassant, lui-même le dit, "Je me suis a.rmsé

à

écrire chaque jour ce que j'ai vu et ce que j'ai pen-sé. " (l)

Au petit matin, il s'embarque avec ses deux matelots, Bernard et Raymond. Après avoir décrit la côte qui se profile à l'horizon, i l confie

sa joie d'être seul, "au caJ.m.e doux et chaud d'un matin de printemps dans le midi" (2 )

,

et ~tre des éléments puisque c'est lui qui tient la barre.

La mer est ici, pour l'auteur, bienveillante; plus que sur la terre, il a confiance: "Je me suis couché, bercé par le tangage et j'ai dormi d'un profond sommeil comme on dort sur l'eau . •• " (3)

Maupassant, le jouisseur, recherche sur l'onde calme la même sensation que celle que lui offre l'éther

(4)

et c'est ainsi qu'il l'évo-que: "Nous voici glissant sur l'onde, • . . C'est là une sensation, une émotion troublante et délicieuse: s'enfoncer dans cette nuit vide, dans

(1) Sur l'eau, Préface.

(2 ) Sur l'eau, Journal de navigation, p. 2L (3) Ibid. p. 64.

(4) Tout au long de sa vie, Maupassant a recherché des moyens d'évasion mentale. Dans son enfance, c'était la littérature romantique, ce sont en-suite les drogues; (Contes et Nouvelles, Rêves, p. 783) et l'eau, de la

mê-me façon est encore un moyen' pour lui de -rëfuser la réalité et ses angois-santes responsabilités.

'

(35)

3l

-ce silen-ce, sur -cette eau, loin de tout. Il semble qu'on quitte le monde, qu'on ne doit plus j amais arriver nulle part, qu'il n' y aura plus de ri va-ge, qu'il n' y aura plus de jour." (1)

Dans cette rêverie ambivalente, l'eau, substance de vie, devient substance de mort, le "Bel-Ami" pour quelques instants, s'assimile à la barque de Caron et le délice.d'un tel instant provient de ce qu'il a un arrière goüt de néant.

Cette complaisance dans le funèbre nous est confirmée par la sui-te quand Maupassant parle d'un "fantôme effrayant et vague, la grande ombre flottante d'une haute voile aperçue quelques secondes et disparue presque aussitôt" • (2) L'allusion au "Vaisseau Fantôme" errant sur les mers et transportant des ~es est ici évidente.

Maupassant, être cyclothymique, se révèle ici: "Certes, en cer-tains jours, j'éprouve l'horreur de ce qui est jusqu'à désirer la mort, . • . En certains autres, au contraire, je jouis de tout à la façon d'un animal." (3)

Mais en général, quand il navigue, c'est la j oie qui l'inonde, j oie toute primitive, telle qu'il se plai t à la qualifier: "La j oie qui m'envahit, quand je me sens poussé par le vent et porté par la vague, naît de ce que je me livre aux forces brutales et naturelles du monde." (4)

(1) Sur l'eau, Journal de navigation, p.

86.

(2 ) Ibid. p.

87.

(3 ) Ibid. p.

89·

(4 ) Ibid. p.

93..

(36)

32

-Après le factice de la société parisienne et l'artifice des jeux imposés par le succès, quelle détente, ~uelle liberté~

U Je ne suis plus le frère des hommes, mais le frère de tous les êtres et de toutes les choses. U (1)

Maupassant débordait de sensualité, nous le savons; mais elle se manifeste

à

l'égard de la nature comme

à

l'égard des femmes:

UJ'aime d'un amour bestial et profond tout ce qui vit,. tout ce qui pousse, tout ce qu'on voit, •

.

..

.

les jours, les nuits, les fleuves, les mers, les tempêtes, les bois, les aurores, le regard et la chair des femmes .u (2)

Si Maupassant n'a jamais décrit, dans son oeuvre romanesque, la Méditerranée violente et meurtrière, il n'en mentionne pas moins la for-ce contenue, la puissanfor-ce intrinsèque qui oblige l'homme le plus orgueil-leux

à

une leçon d'humilité.

UQuiconque n'a pas vu cette mer du large, cette mer de monta-gnes qui vont d'une course rapide et pesante, • • ., ne devine pas, ne soup-çonne pas la force mystérieuse, redoutable, terrifiante et superbe des

flots." (3)

(1) Sur l'eau, Journal de navigation, p. 91.

(2) Ibid. p. 90. (3) Ibid. p. 230.

(37)

'

-.i

33

-L'oeuvre toute entière de Maupassant reflète son unique passion: la mer. Inconsciemment, c'est lui-même qU'il fait vivre par l' intermédiai-re d'un grand nombintermédiai-re de ses personnages, eux-mêmes "fils ou filles de l'eau".

(38)

CHAPITRE II

L'EAU VIVE

A- Omniprésente eau vive dans la vie de Maupassant

Maupassant quitte la côte normande pour étudier au lycée Cor-neille

à

Rouen après s'être fait renvoyer du collège d'Yvetot où il était un pensionnaire

à

l'esprit beaucoup trop polisson.

Là, il découvre la Seine, sa rivière, comme il se platt à appe-1er ce fleuve en le féminisant à dessein.

Plus tard, quand il devient fonctionnaire et qu'il s'ennuie à mourir dans l'atmosphère feutrée des ministères, il s'échappe vers la Seine aussi souvent qu'il le peut.

"Il couche à Bezons deux soirs par semaine, se lève tôt, fait des armes de cinq à sept heures ou lave sa yole. Dans le petit jour embué, il la pousse à l'eau, écoute son glissement fraternel, la fuite d'un rat apeuré, le .frottis contre les roseaux. Respirant à pleins poumons, il ti-re sur les rames, seul avec les braconniers. Il

(1)

Se référant à Bachelard, on voit comment les eaux douces, après

(1) Armand Lanoux, Maupassant le bel-ami (paris: Fayard, 1967), p. 86.

(39)

35

-les vagues d'Etretat sont devenues -les Il supports matériels des rêves" de ce petit fonctionnaire exaspéré qui étouffe au milieu des gratte-papier~ ses confrères. C'est avec passion que le jeune homme rejoint, dès qu'il le peut, son élément pour s'y laver, s'en pénétrer avec une fougue presque anormale. Au même moment, l'eau devient la grande dame de la peinture. C'est entre Argenteuil et Bezons que Guy rencontre ses "copainsll

, et des "filles" ,arborant un maillot de marinier rayé h.orizontalement de bleu et de blanc.

"Sur le fleuve, des yoles passaient, enlevées

à

longs coups d'aviron par des gaillards aux bras nus dont les muscles roulaient sous la chair bI'Ülée. Les canotières, allongées sur des peaux de bêtes, noires ou blanches, gouvernaient la barre, engourdies sous le sole;.l, tenant ouver-tes sur leur tête, comme des fleurs énormes flottant sur l'eau, des ombrel-les de soie rouge, jaune ou bleue.1I (1)

La Seine, c'est l'anti-bureau, le bonheur: une fille, jamais la même, un bateau fidèle et ses amis canotiers.

Pour reconstituer le paysage cher à Maupassant à cette époque, il suffit d'évoquer ilLe D{!jeuner des Canotiersll

de Renoir ou les peintures de Honet •.

Il raconte en ces termes à sa mère ses activités du moment:

(1) L'Héritage, Contes et Nouvelles, Tome 1, p.

52·9.

'-_ .. i

(40)

36

-"Je canote, je me baigne, je me baigne et je canote. Les rats et les gre-nouilles ont tellement l'habitude de me voir passer à toute heure de la nuit avec ma lanterne à l'avant de mon canot qu'ils viennent me souhaiter le bonsoir." (1 )

Pendant ces escapades, il goüte à satiété le vertige de l'eau et l'affirme ainsi dans un passage resté célèbre de Mouche. (2),

Plus tard, devenu un écrivain célèbre, il reste tout de m@me fi-dèle

à

sa rivière. Il lui reproche pourtant d'@tre froide et d'avoir chan-gé. Il reproche aux canotiers de porter le monocle; mais il ne se rend pas compte que lui aussi a bien changé.

Dans un ultime effort, il essaie de renier l'évidence du temps

(1) René Dumesnil, Chroni ues études corres

~, Lettre à sa mère, 29 juillet

1875

(Paris:

(2) liMa grande, ma seule, mon absorbante passion pendant dix ans, ,ce fut la Seine. .Ah ~ la belle, calme, variée et puante rivière, pleine de mirage

et d'immondices~ Je l'ai tant aimée, je crois, parce qU'elle m'a donné,

me semble-t-il, le sens de la vie. Ah, les promenades le long des berges fleuries, mes amies les grenouilles qui r@vaient, le ventre au frais .•. Comme d'autres ont des souvenirs de nuits tendres, j'ai des souvenirs de levers de soleil dans les brumes matinales, flottantes, errantes vapeurs blanches comme les mortes avant l'aurore, • • • , et j'ai des souvenirs de lune argentant l'eau frémissante et courante d'une lueur qui faisait fleurir tous les r@ves.

Et tout cela, symbole de l'éternelle illusion naissait pour moi de l'eau croupie qui charriait vers la mer toutes les ordures de Paris."

Moache, Contes et Nouvelles, Tome I, p.

1338.

'

(41)

37

-qui s'est écoulé en reprenant l'aviron:

"Bel-ami bombe le torse, ôte sa veste et apparaî.t en maillot. Il se frotte longuement les mains avec un enduit spécial contre les ampou-les. Son compagnon s'installe à l'arrière pendant que François, inquiet retient l'embarcation. Trois badauds applaudissent aux premiers coups de pelle tandis que la yole bondit et que le barreur semble projeté en

arriè-re ... 11 (1)

Il a beau faire cependant, Guy de Maupassant ne ressemble plus beaucoup à Joseph Prunier.

C'est le début de la dépression, qui se traduit par un constant besoin de voyages, de changements, ceci, pour éviter à l'angoisse 'le temps de s'installer. Une de ses randonnées le conduit dans les Vosges où il va suivre une de ses nombreuses cures. Là, fidèle à l'eau vive, Maupassant

chante les eaux vertes des montagnes. Il puise dans cette contemplation des bribes de cette jeunesse qu'il a conscience d'abandonner loin derrière lui; il n' a pourtant pas encore quarante ans ~

Ecoutons le revivre avec son élément: ilLe long de toutes les pentes, d'innombrables sources, torrents, ruisseaux. Au fond de toutes les vallées, les lacs. En somme l'eau, encore de l'eau qui court, qui tombe,

(1) Souvenirs ois son valet de chambre

(PariS: Plon,

(42)

- 38 <';

qui glisse, qui rampe, des cascades, des rivières sous l'herbe, sous les mousses les plus belles que j'ai vues, de l'eau, partout de l'eau, une hu-midité froide, pénétrante et légère, car l'air est vif, le pays étant fort

élevé." (1)

Toujours l'eau, une autre encore, plus vive et si séduisante par sa fratcheur et son impétueuse vigueurt

La chute d'eau, la source, la cascade devient ici, pour Maupas-sant qui a conscience de sa décrépitude, le symbole du jaillissement, de la virilité: sa hantise, qu'il voit avec terreur perturbée par sa mala-die. (2 )

L'eau neuve, 11 eau puissante de la montagne, n'est finalement pour ce grand maJ.ade qu'un refus de la douloureuse réalité.

Q.uant

à

son amie, la Seine, il lui restera fidèle jusqu 1

à

la

fin de sa vie comme le prouve une lettre écrite

à

Gisèle d'Estoc rapportée par Pierre Borel:

"Tu sais combien j'ai toujours aimé la Seine. Ses eaux soyeuses grises, bleues ou mordorées, la Seine qui s'en va en répétant les paysages de ses rives et les nuages du ciel. Jeune homme j'ai vécu sur la Seine.

(1) René Dumesnil, Chroni ues études

~~~~--~~---~~--~~~~~~~~~~ ~ (paris: Grand, 1938 , p. 391.

(2) Voir à ce propos: Signrund Freud, La Science des rêves (Paris: P.U .F.,

1950), p. 264.

' -.1

(43)

39

-Depuis longtemps je l'avais presque oubliée. Mon travail et mes malaises m'avaient empêché de la revoir. Hier, en regardant des croquis de mon ami

Maurice L~loir, faits il y a bien longtemps à l'1le Marante, j'ai soudain été pris du désir impérieux de faire une longue promenade en canot." (1)

Nous verrons que Maupassant utilise s~1vent le même vocabulaire pour la fennne et la rivière. Pour lui, la Seine est plus qu'une simple particularité géographique; c'est une compagne, c'est une drogue, c'est une échappatoire, la seule qui ne l'ait jamais trompé.

B- Omniprésente eau vive dans son oeuvre

C'est parce qu'il déteste l'air vicié de sa geÔle administrati-ve du Ministère de la Marine que Maupassant, marin d'eau salée devient, contraint par la nécessité, marin d'eau douce. C'est avec ses souvenirs aquatiques que seront, plus tard, composées ses plus jolies nouvelles. La rivière servira de cadre

à

ses thèmes favoris, les farces, les amours, les scènes criminelles ou érotiques. Et lorsque le Maupassant des dernières années continuera

à

utiliser la Seine comme décor, ce sera toujours sa ri-vière de jeume homme qu'il peindra: la Seine de 1875 qui a vu ses

proues-ses de rameur et d'amoureux.

Ainsi, danG les Contes et Nouvelles, Cl est touj ours la Seine

que nous retrouvons, la rivière tranquille que Maupassant aime avec tant

(1) Pierre Borel, Le vrai Maupassant (Genèv~: Cailler, 1951), pp. 109-110.

(44)

' 40 '

-de fougue: IIIl était canotier avant toutll

, dit François, son serviteur dans ses Souvenirs Intimes.

(1)

Et c'est la Seine des canotiers, de la prenouillère qu'il décrit à la perfection recréant ainsi une époque, hélas disparue~

Dans les deux volumes des Contes et Nouvelles, on dénombre une vingtaine Q~ récits qui ont pour cadre la Seine et ses berges fleuries.

Nombreux sont ceux qui décrivent les plaisirs simples de la pê-che

à

la ligne (rappelons que le poisson est un s;ymbole aquatique). C'est encore l'époque où les poissons vivent dans la Seine et nous remarquons que tous les pêcheurs mentionnés par l'auteur en prennent au moins un, tel M. Pat:iSsot dans Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, tout fier de son unique

capture ou Monsieur Renard, tapissier, qui ayant découvert un trou d'eau: IIUne vraie niche à poissons, un paradis pour le pêcheurll (2 )

va jusqu'à noyer -- oh bien involontairement ~ -- un concurrent mal avisé de lui avoir pris sa place.

Mentionnons aussi Deux Amis, cette histoire de pêcheurs aiguil-lonnés par leur passion qui se rendent,en plein siège, dans l'tle Marante et que les Allemands fusillent parce qu'ils ne veulent pas révéler le mot de passe qu'on les soupçonne de connattre. Quand les deux pêcheurs sont

(1) FraJ:J.qois Tas sart , Nouveaux souvenirs intimes sur Gu texte établi et présenté par Pierre Cogny (Paris: Nizet,

(2) Le Trou, Contes et Nouvelles, Tome I, p.

576.

(45)

, 41 ,

-morts, très dignement, le Prussien dit à son ordonnance: "Fais-moi frire tout de suite ces petits animaux-là pendant qu'ils sont encore vivants. Ce sera délicieux." (1) Non seulement les poissons ac·.centuent encore l'hé-roisme des deux amis, mais ils révèlent, chez l'auteur, la présence obses-sionnelle du signe aquatique lié à l'idée de mort.

D'autres récits, et les mieux réussis, sont ceux qui décrivent . la Seine charmeuse, complice des idylles d'un jour et des passions éphémè-res. C'est là. où, après un repas bien arrosé pris dans une des guinguet-tes de la berge, les jeunes filles, un peu grises, connaissent leurs premières étreintes dans les bras d'un canotier.

Ce sont de telles joies, à la fois enivrantes et dangereuses que Guy restitue dans Une partie de campagne, dans Un printemps, dans

g:,

père ou dans Souvenir, évoquant à la perfection l'enivrement que procure l'eau, complice des amoureux.

"La jeune f'ille, assise dans le fauteuil du barreur, se laissait aller à la douceur d'être sur l'eau. Elle se sentait prise d'un renonce-ment de pensée, d'une quiétude de ses membres, • . ., un besoin vague de jouissance, une fermentation du sang parcouraient sa chair excitée par les ardeurs de ce jour." (2 )

(1) Deux Amis, Contes et Nouvelles, Tome II, p. 193.

(2) Une p.!artie de ~pagne, Contes et Nouvelles, Tome l, p. 378.

(46)

42

-L'eau, dans cette nouvelle, et d,'ms beaucoup d'autres, devient le catalyseur de la sensualité, le témoin du plaisir.

Au calme de l'eau s'ajoute le charme des campagnes qui fait na1tre chez les jeunes gens les ardeurs les plus insensées se terminant parfois, connne dans Le 13ère ou dans Mouche par des maternités indésirées:

ilL' air tiède amollissait la chair et l'~e. Le soleil tombant en plein sur le fleuve, sur les feuilles et les gazons, jetait mille re-flets de gaieté dans les corps et dans les esprits. Ils allaient, la main dans la main, le long de la berge, en regardant les petits poissons qui

glissaient, par troupe, entre deux eaux. Ils allaient, inondés de bonheur, comme soulevés de terre dans une félicité éperdue." (1)

Cette belle époque du canotage sur la seine,. c'est dans Mouche que Maupassant l'a peinte avec le plus d'authenticité parce que cette nouvelle est véritablement autobiographique. Joseph Prunier, le héros, y chante s~n amour pour la rivière et ressuscite le charme canaille des bords de Seine de

1875:

"Nous en avions essayé beaucoup, sans succès, des filles de barre, pas des barreuses, canotières imbéciles qui préféraient toujours le petit vin gris, à l'eau qui coule et qui porte ~es yoles. On les gardait un dimanche, puis on les congédiait avec dégoüt." (2)

(1) Le Père, Contes et Nouvelles, Tome I, p. 430. (2) Mouche, Contes et Nouvelles, Tome I, p. 1340.

(47)

43

-Ici, Maupassant prête à ses amis l'inconstance <lui le caractérise lui-m@me.

Pourtant, c'est dans une nouvelle plutôt tragi<lue; La Femme de

~, que l'auteur reconstitùe, à la perfection, l'univers cosmopolite de la "r;renouillère". Les femmes en toilette de printemps, les bourgeois en-dimanchés, les canotiers aux muscles saillants revivent pour nous dans cet-te nouvelle. N~s voyons glisser sur la rivière des kyrielles d' embarca-tions: "yoles, skifs, périssoires, poooscaphes, gigs, embarcations de toutes formes et glissant vivement comme de longs poissons jaunes ou rou-ges." (1)

De l'établissement flottant résonne une mazurka. "Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau enaa:rièï-e., la face rougie, avec des yeux luisants d'ivrognes, s'agitaient en vociférant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir se faisaient payer à boire en attendant. Il (2)

Et pour la première fois, dans les Contes et Nouvelles, Maupas-sant campe en hérd:f.nes deux lesbiennes <lui ne font pourtant pas figure de phénomènes dans le cadre à la fois pervers et débonnaire de cette "are -nouillère" unique

à

Maupassant et <lui reconstitue à merveille la morale, les moeurs et le conformisme du XIXe siècle. (3)

(1) La Femme de Paul, Contes et Nouvelles, Tome 1, p. 1216. (2) Ibid,.·p. 1217.

(3)

Lire à ce propos aussi: La Maison Tellier, v. 20 (Paris: Conard,

1929),

savoureux mélange de conformisme et de débauche ~

' -..1

Figure

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